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LES MOYENS DE SE PROCURER LA SUBSISTANCE ; SUR L’ACQUISITION, LES ARTS ET TOUT CE QUI S’Y RATTACHE. EXAMEN DES QUESTIONS AUXQUELLES CE SUJET DONNE LIEU. LES PROLÉGOMÈNES d'IBN Khaldoun

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C I N Q U I È M E S E C T I O N.
SUR LES MOYENS DE SE PROCURER LA SUBSISTANCE ; SUR L’ACQUISITION, LES ARTS ET TOUT CE QUI S’Y RATTACHE. EXAMEN DES QUESTIONS AUXQUELLES CE SUJET DONNE LIEU.

# De la véritable signification des termes bénéfice (rizc) et acquisition (kesb). On prouve que celle‑ci est le prix du travail de l’homme.
# Sur les voies et moyens divers de gagner sa vie (ma‑ach)
# Travailler au service d’un maître est un moyen de gagner sa vie qui n’est pas conforme à la nature.
# La recherche des trésors et des dépôts enfouis n’est pas un moyen naturel de gagner sa vie et de s’enrichir.
# La haute considération est une source de richesses.
# Ce sont ordinairement les gens qui savent s’abaisser et faire leur cour qui réus­sissent dans le monde et qui font fortune. La servilité et la flatterie doivent compter parmi les moyens de parvenir.
# Les personnes chargées de fonctions qui se rattachent à la religion, les cadis, par exemple, les muftis, lesinstituteurs, les imams, les prédicateurs et les moueddins parviennent rarement à s’enrichir.
# Les hommes de peu de considération et les campagnards besoigneux sont les seuls qui adoptent l’agriculture comme un moyen de se procurer la subsistance.
# Sur le commerce, sa signification, ses procédés et ses divers genres.
# Sur l’exportation de marchandises.
# De l’accaparement.
# Le vil prix d’une marchandise nuit aux intérêts de ceux qui, par métier, s’occupent de cette (espèce de marchandise) dépréciée.
# Quels sont les hommes qui peuvent s’adonner au commerce avec avantage, et ceux qui doivent s’en abstenir.
# Le caractère moral des négociants est inférieur à celui des personnages qui exercent de hauts commandements, et s’éloigne de celui qui distingue l’homme de cœur.
# Pour apprendre un art quelconque, il faut avoir un maître.
# Les arts se perfectionnent dans une ville à mesure du progrès de la civilisation et de l’accroissement de la population.
# La stabilité et la durée des arts, dans une ville, dépendent de la stabilité et de l’an­cienneté de la civilisation dans cette ville.
# L’amélioration des arts et leur extension dépendent du nombre des personnes qui en recherchent les produits.
# La décadence d’une ville entraîne celle des arts qu’on y cultive.
# Les Arabes sont le peuple du monde qui a le moins de disposition pour les arts.
# Celui qui possède la faculté d’exercer un certain art parvient très rarement à en acquérir parfaitement un autre.
# Indication des arts du premier rang.
# De l’agriculture.
# De l’art de bâtir.
Des divers genres des bâtiments et les matériaux dont on les construit. — Des ques­tions de mitoyenneté et leur solution. — De l’art de l’ingénieur.
# De l’art du charpentier.
# De l’art du tisserand et de celui du tailleur.
# De l’art des accouchements.
Sur l’instinct et sur la perpétuité des espèces.
# De l’art de la médecine. — Il est nécessaire aux peuples sédentaires et aux habitants des villes, mais il est inutile aux peuples nomades.
# L’art d’écrire est un de ceux qui appartiennent à l’espèce humaine.
Notions sur l’histoire de l’écriture. — Sur l’orthographe incorrecte employée dans les premiers exemplaires du Coran. — Les divers genres d’écriture. — Poème d’Ibn el‑Baouwab sur l’art de l’écriture. — Les sigles, les chiffres et l’art de déchiffrer.
# De la librairie.
Le parchemin, le papier, etc. — Les traditions mises par écrit. — Vérification et correction des textes.
# De l’art du chant.
Du chant et des instruments de musique. — Pourquoi la musique est‑elle une source de plaisir. — L’usage de psalmodier le Coran. — Introduction de la musique chez les Arabes. — Les chanteurs perses et grecs. — Ziryab.
# Les arts, et surtout ceux de l’écriture et du calcul, ajoutent à l’intelligence des per­sonnes qui les exercent.

Origine du mot divan.

De la véritable signification des termes bénéfice (rizc) et acquisition (kesb). On prouve que celle‑ci est le prix du travail de l’homme.

p.319 L’homme, dans tous les états et dans toutes les périodes de sa vie, depuis sa naissance jusqu’à l’époque où il est dans la force de l’âge, et depuis lors jusqu’à la vieillesse, est soumis par la nature à l’obligation de prendre de la nourriture et de se procurer la subsis­tance. Le riche (qui n’a besoin de rien), c’est Dieu, et les pauvres, c’est vous. (Coran, sour. XLVII, vers. 40.) Dieu, qu’il soit glorifié et exalté ! a créé pour l’homme tout ce qu’il y a dans le monde et lui en a fait don, ainsi qu’il l’a déclaré dans plus d’un verset de son livre. Il a créé pour vous, dit‑il, tout ce qu’il y a dans les cieux et sur la terre [1]. Et, encore [2] : Il a fait travailler pour vous le soleil et la lune, et il vous a soumis la mer, et il vous a soumis les navires et les bestiaux [3]. Nous pourrions citer encore plusieurs autres témoignages fournis par ce livre.
L’homme étend sa main avec autorité sur le monde et sur tout ce qui s’y trouve, par suite de la déclaration par laquelle Dieu l’é­tablit *273 dans cette terre comme son lieutenant. Les mains de tous les hommes sont ouvertes (pour prendre), et, en cela (seul), elles agissent de concert ; mais aucun individu ne peut se procurer ce qu’un autre a obtenu, à moins de lui donner quelque objet en échange. L’homme, sorti de la faiblesse de ses premières années p.320 et capable d’agir par lui-même, fait des efforts pour acquérir les choses dont il peut tirer un profit, et cela dans le but de les em­ployer, si Dieu les lui accorde, comme moyens d’échange, dans le cas où il veut se procurer celles dont il peut avoir besoin ou qui lui sont d’une nécessité absolue. Dieu lui-même a dit : Cherchez donc auprès de Dieu le bénéfice (que vous désirez). (Coran, sour. XXIX, vers. 16.) Quelquefois l’homme obtient cela sans effort ; ainsi Dieu lui donne la pluie, qui favorise la culture des terres ; mais de tels dons ne sont que de simples secours et ne dispensent pas de travailler, ainsi qu’on le verra plus loin. Si les choses que l’homme parvient à acquérir sont en quantité suffisante pour subvenir à ses besoins et lui procurer le nécessaire, on les désigne, par le terme subsistance (ma‑ach), et si elles sont en plus grande quantité, on les nomme richesses (riach) ou fonds [4]. Ce que l’homme reçoit et ce qu’il acquiert s’appelle béné­fice (rizc), s’il en retire de l’utilité et s’il en recueille le fruit. Cela lui arrive quand il dépense ce qu’il a obtenu pour les choses dont il a besoin ou qui lui sont utiles. Le Prophète a dit : « Les biens que tu as réellement possédés, ce sont les mets que tu as consommés en les mangeant, les habits que tu as usés en les portant et les choses que tu as données en aumônes ». Ce que l’homme a obtenu ne doit pas s’appeler bénéfice s’il ne s’en sert pas pour augmenter sen bien‑être ou pour subvenir à ses besoins. La possession des biens, quand elle est le résultat des efforts de l’homme et de sa force, se nomme ac­quisition (kesb). Il en est le même des successions : l’héritage, envi­sagé comme ayant appartenu au défunt, ne s’appelle pas bénéfice, mais acquisition, car le mort n’en a retiré aucun avantage ; mais, consi­déré comme appartenant aux héritiers, il prend ce premier nom, s’ils l’emploient utilement. Tel est le véritable sens du mot bénéfice, selon les docteurs orthodoxes.
Les Motazélites permettent d’appeler bénéfice les biens laissés par un mort, pourvu que ces biens aient été acquis d’une manière légale. « p.321 Ce qui n’a pas été acquis ainsi, disent‑ils, n’a aucun droit d’être *274 ainsi dénommé ». Aussi refusent‑ils ce titre à ce qui a été obtenu par violence ou par une voie illégale. Cependant Dieu accorde des bénéfices au spoliateur et à l’oppresseur, au vrai croyant et à l’infi­dèle ; il montre sa miséricorde et sa grâce directrice à celui qu’il veut. Ces mêmes docteurs appuient leur opinion sur d’autres argu­ments, mais ce n’est pas ici la place d’en donner l’exposition.
Maintenant il faut savoir que c’est au moyen de son propre tra­vail et en visant au gain que l’homme parvient à acquérir ; il doit agir et travailler pour obtenir un bénéfice, quand même il chercherait à y parvenir par toutes les voies possibles. Dieu a dit : Cherchez votre bénéfice auprès de Dieu. Les efforts que l’homme fait pour cela dé­pendent du pouvoir que Dieu lui a concédé et des idées qu’il lui inspire. Tout bénéfice provient de Dieu ; tout ce qui est acquisition et tout ce qui est fonds et richesses ne provient que du travail de l’homme. Cela est évident quand ce travail consiste dans les efforts personnels de l’individu, comme le serait, par exemple, l’exercice d’un art. Le gain qui résulte de l’élève des bestiaux, de la culture des plantes et de l’exploitation des mines ne peut s’obtenir non plus que par le travail de l’homme ; c’est ce qu’on voit partout. Sans le travail, ces occupations ne fourniraient aucun profit, ni aucun avantage. Ajou­tons que Dieu a créé deux métaux [5], l’or et l’argent, pour représenter la valeur de tout ce qui est richesse.
Aux yeux de la généralité des hommes, ce qui est trésor et gain consiste uniquement en or et en argent ; si l’on recherche d’autres matières, c’est uniquement dans le dessein de profiter des fluctua­tions du marché pour les vendre avantageusement, afin de se pro­curer de l’or et de l’argent. Quant à ces deux métaux, ils ne sauraient être un objet de trafic, puisqu’ils sont la base à laquelle se ramène tout ce qui est gain, acquisition ou trésor. Ayant maintenant établi ces principes, nous dirons que, si le fonds (ou les marchandises) dont p.322 on tire un avantage et un profit est le produit d’un art spécial, cet avantage et ce profit représentent le prix du travail de l’artisan, et *275 c’est là ce qu’on désigne par le mot gain (kinya) ; le travail y est pour tout, mais ce n’est pas pour le travail lui-même qu’on veut bien se donner tant de peine [6]. Il y a certains arts qui en renferment en eux-­mêmes d’autres : celui du charpentier, par exemple, se rattache à celui du menuisier, et l’art de filer doit accompagner celui de tisser ; mais il y a plus de main‑d’œuvre dans la menuiserie et dans la tisseranderie, ce qui fait que le travail y est plus rétribué.
Si le fonds qu’on possède n’est pas le produit d’un art, il n’en faut pas moins faire entrer, dans le prix de ce produit qu’on a ob­tenu et acquis, la valeur du travail que l’on y avait mis. Car sans le travail rien ne s’acquiert. Seulement dans la plupart des cas, il est facile de reconnaître que l’on y a tenu compte de la valeur du travail et qu’on lui a assigné un prix plus ou moins grand ; mais, dans quelques autres, on ne s’en aperçoit pas. C’est ce qui a lieu pour la généralité du monde en ce qui regarde le prix des comes­tibles. Quand on fixe le prix des grains, on tient certainement compte du travail et des frais que leur production a exigés, ainsi que nous l’avons dit ci-dessus ; mais cela échappe à l’attention des per­sonnes qui habitent des contrées où les charges qu’entraîne la cul­ture de la terre sont très légères : quelques cultivateurs seulement se doutent de ce qui en est. En faisant voir que les avantages et les profits (dérivés des arts et du commerce) représentent en totalité ou en grande partie la valeur du travail de l’homme, nous avons rendu clair le sens du terme bénéfice, montré que c’est la chose dont on a tiré de l’utilité, et indiqué ce que nous devons entendre par le mot acquisition.
Il faut maintenant savoir que si le décroissement de la population a fait diminuer ou cesser les travaux dans une ville, cela annonce p.323 que Dieu a enlevé aux habitants de cet endroit les moyens d’acqué­rir des richesses. Voyez les villes où il y a peu de monde ; les bé­néfices et les profits sont bien faibles, parce qu’on n’y fait pas de grands travaux. On peut aussi conclure de là que, dans les villes où l’on travaille beaucoup, les habitants sont très riches et jouissent d’une grande aisance. Cela résulte du principe que nous avons déjà établi. Les gens du peuple s’énoncent conformément aux idées ex­posées dans ce chapitre quand ils disent d’un pays déchu de sa prospérité qu’il a perdu ses bénéfices.
*276 (Dans de tels pays, la ruine se propage) au point que les ruisseaux et les sources disparaissent et n’arrosent plus les plaines. En effet, pour avoir des cours d’eau, il faut nettoyer les sources et puiser de l’eau dans des puits, c’est‑à‑dire, il y faut le travail de l’homme [7]. C’est ainsi que, pour avoir du lait, il faut l’extraire du pis de l’ani­mal. Si l’on a discontinué de curer les puits et d’en tirer de l’eau, ils finissent par se tarir et rester à sec ; de même que les animaux ne fournissent plus de lait quand on a cessé de les traire. Voyez les pays où l’on sait qu’il y avait des sources dans les temps de leur prospérité ; aussitôt que la dévastation s’y est répandue, les eaux ont cessé de couler, comme s’il n’y en avait jamais eu. Dieu règle les vicissitudes des nuits et des jours.

Sur les voies et moyens divers de gagner sa vie (ma‑ach).

Le mot ma‑ach s’emploie pour désigner l’acte de l’homme qui dé­sire la subsistance et qui fait des efforts pour se la procurer. C’est un nom de la forme mefal [8] et dérivé d’aïch (vivre). Comme cet acte est nécessaire pour le soutien de la vie, nous pouvons supposer qu’on lui a donné, par hyperbole, un nom qui signifie lieu où se trouve la vie. p.324 Les moyens d’existence se procurent de diverses manières : 1° En les ôtant aux mains d’autrui, quand on y est autorisé par un code de règlements généralement admis : ce qu’on enlève, ainsi s’appelle taxe ou impôt. 2° En les tirant d’animaux sauvages que l’on prend [9] sur terre ou dans la mer : cela s’appelle chasse. 3° En tirant d’animaux domestiques certains produits d’un emploi général parmi les hommes, le lait, par exemple, qui est fourni par les troupeaux, la soie, qui provient du ver qui la file, et le miel, que l’on doit aux abeilles ; ou bien, on les tire de grains et d’arbres auxquels on a donné des soins et que l’on traite de manière à pouvoir en tirer une récolte : *277 tout cela s’appelle agriculture. 4° Par le travail manuel. Il y a deux espèces de travaux : celui de la première espèce s’emploie uniquement sur une matière spéciale et porte alors le nom d’art ; c’est l’écriture, par exemple, la menuiserie, les arts du tailleur, du tisserand et de l’écuyer. Le travail de la seconde espèce ne s’emploie pas sur une matière spéciale, mais consiste dans les diverses occupations labo­rieuses d’un homme de peine. 5° Par le gain résultant du trafic ; on a des marchandises disponibles que l’on transporte [10] dans d’autres pays, ou bien que l’on tient en réserve jusqu’au moment où l’on peut les écouler avantageusement au marché : cela s’appelle commerce. Ces diverses manières et moyens de gagner sa vie sont identique­ment les mêmes que ceux dont on doit l’indication aux littérateurs et aux philosophes les plus exacts, tels que Harîri [11]. « Ma‑ach, disent-­ils, c’est le haut commandement, le commerce, l’agriculture et les arts (manuels) [12] ». Comme le haut commandement n’est pas un moyen naturel de gagner sa vie, nous ne sommes pas obligé d’en parler ; d’ailleurs, nous avons dit, dans la seconde section, quelques mots sur les impôts qu’on paye au gouvernement et sur les contribuables [13]. p.325 L’agriculture, les arts et le commerce offrent au contraire des moyens d’existence conformes à la nature.
Quant à l’agriculture, elle a une supériorité intrinsèque sur les autres, parce qu’elle est facile, naturelle et conforme à la disposition innée de l’homme ; elle n’exige ni études, ni science, et, pour cette raison, le peuple lui donne pour inventeur Adam, le père de l’espèce humaine. — « Ce fut lui, disent‑ils, qui, le premier, l’enseigna et la pratiqua ». Par ces mots, ils veulent donner à entendre qu’elle est le moyen le plus ancien et le plus naturel de se procurer la subsis­tance. Les arts viennent en second lieu et à la suite de l’agriculture, parce qu’étant compliqués et devant être appris ils exigent l’emploi de la réflexion et de l’attention. Voilà pourquoi ils ne fleurissent or­dinairement que dans la vie sédentaire, mode d’existence qui est précédé par la vie nomade. Ce fut pour la même raison que l’on attribua l’invention des arts à Idrîs, le second père des mortels [14], *278 lequel, dirigé par une inspiration divine, les avait inventés pour l’usage de sa postérité. Le commerce, considéré comme moyen de gagner sa vie, est conforme à la nature, bien que, dans la plupart de ses opérations, il consiste en tours d’adresse employés dans le but d’établir entre le prix d’achat et celui de vente une différence dont on puisse faire son profit [15]. La loi permet l’emploi de ces tours, bien qu’ils rentrent dans la catégorie d’opérations aléatoires, parce qu’ils n’ont pas pour résultat de prendre le bien d’autrui sans rien donner en retour. Mais Dieu sait (mieux que nous ce qui en est).

Travailler au service d’un maître est un moyen de gagner sa vie qui n’est pas conforme à la nature.

p.326 Le souverain, placé toujours vis‑à‑vis [16] de l’obligation de com­mander et de gouverner, a besoin d’avoir des serviteurs dans toutes les branches de l’administration. Il ne saurait se passer de soldats, d’une police armée ni de gens de plume. Pour remplir chaque em­ploi, il fait choix des personnes dont il a reconnu la capacité, et leur assigne des traitements sur son trésor. Tous les emplois étant subordonnés à l’autorité supérieure et fournissant des moyens d’exis­tence qui proviennent d’elle, les hommes qui s’en chargent sont tenus dans la soumission et doivent une obéissance aveugle au sou­verain, l’auteur de leur fortune [17]. Il y a d’autres genres de service moins honorables que celui du prince, et dont l’origine s’explique ainsi : la plupart des individus qui vivent dans le luxe trouvent au­-dessous de leur dignité [18] l’obligation de s’occuper des choses dont ils ont besoin, ou bien, ils sont incapables de le faire, parce qu’ils ont été élevés au sein de la mollesse. Aussi prennent‑ils [19] des gens qui font cette besogne pour eux, moyennant une rétribution. Cette nonchalance n’est pas honorable et ne convient pas à la dignité na­turelle de l’homme : en empruntant l’aide d’autrui on décèle sa propre faiblesse, et l’on se laisse conduire à créer de nouveaux em­plois et à augmenter ainsi ses dépenses. C’est donner une preuve *279 évidente de son impuissance et de son naturel efféminé, défauts que toute personne, jalouse de se conduire en homme, doit tâcher d’évi­ter. Mais il est malheureusement dans la nature de l’espèce humaine de se laisser entraîner [20] par ses habitudes dans l’ornière de la p.327 routine ; ce n’est pas de ses aïeux, mais de ses habitudes que l’homme tient son caractère [21].
Au reste, un serviteur capable et digne de confiance n’existe pas pour ainsi dire. Les individus qui travaillent comme domestiques peuvent se ranger en quatre classes, ni plus ni moins : 1° celui qui a du talent et à la probité duquel on peut se fier ; 2° celui qui, au contraire, n’a ni talent ni probité ; 3° et 4° celui à qui l’une ou l’autre de ces qualités manque, c’est‑à‑dire l’homme habile et sans probité, et l’homme honnête, mais incapable. Quant au premier, on serait dans l’impossibilité de l’engager [22] à son service, puisque ses talents et sa probité lui épargneraient la nécessité d’avoir recours à des gens haut placés dans le monde, et le porteraient à mépriser la rétribution qu’on pourrait lui donner en retour de ses services. D’ailleurs, ces mêmes qualités le mettraient en état de remplir une position plus élevée que celle de domestique, aussi ne voit‑on jamais des hommes de cette classe prendre service excepté chez des émirs qui mènent un grand train de vie, dominés tous, comme ils le sont, par l’amour de l’ostentation. Quant au domestique de la seconde classe, celui qui est inhabile et fripon, aucun homme raisonnable ne songerait à l’em­ployer ; car un tel serviteur ferait du tort [23] à son maître de deux ma­nières : en lui faisant subir des pertes par son incapacité, et en lui dérobant une partie de ses biens. Ainsi, sous tous les rapports, un tel domestique est nuisible. Voilà donc deux classes de domestiques auxquelles il faut renoncer. Il n’en reste alors que deux : celle des serviteurs fidèles, mais incapables, et celle des serviteurs capables, mais infidèles. On a des motifs plus ou moins justes pour donner la préférence à l’une ou à l’autre, mais il me semble que l’homme *280 ca­pable et sans probité est à préférer, parce qu’on peut se tenir en garde contre ses friponneries et prendre toutes les précautions néces­saires pour ne pas se laisser tromper. Un domestique honnête, mais qui nuit aux intérêts de son maître par son incapacité, lui fera p.328 toujours plus de tort que de bien. Prenez ceci pour règle dans le choix d’un serviteur. Dieu fait tout ce qu’il veut.

La recherche des trésors et des dépôts enfouis n’est pas un moyen naturel de gagner sa vie et de s’enrichir [24].

Parmi les habitants des grandes villes, il se trouve beaucoup de gens d’un esprit faible qui, dans l’espoir de s’enrichir, recherchent avec ardeur le moyen de (découvrir et de) retirer du sein de la terre les trésors (que l’on y aurait enfouis). Ils s’imaginent que la terre recèle toutes les richesses des peuples anciens, et qu’on a apposé sur ces dépôts des talismans magiques formant des scellés que per­sonne ne peut briser, à moins de les reconnaître et d’employer les fumigations, les conjurations et les victimes propres à rompre le charme. Les habitants des principales villes de l’Ifrîkiya se figurent que les Francs, qui occupaient cette contrée avant l’introduction de l’islamisme, y ont caché leurs trésors de cette manière et ont inscrit dans certains livres des notes de ces dépôts (pour en conserver la connaissance), jusqu’à ce qu’il se présentât une occasion favorable de les retirer. Dans les contrées de l’Orient, les habitants des grandes villes attribuent une semblable conduite aux Coptes [25], aux Grecs et aux Perses. On raconte, à ce sujet, plusieurs histoires qui ont tout à fait l’air de fables : ce sont des gens qui, en faisant des fouilles pour des recherches de ce genre, parviennent à des dépôts de tré­sors dont ils ne connaissent pas les talismans [26], et qu’ils trouvent ces dépôts, les uns vides, les autres remplis de vers ; ou bien ils y re­marquent [27] des amas d’argent et de bijoux au devant desquels se p.329 tiennent *281 des gardiens ayant des épées nues à la main ; ou bien encore, c’est la terre qui s’ébranle [28], comme si elle allait les engloutir. On débite une multitude de fables semblables.
Dans le Maghreb, on trouve un grand nombre de talebs [29] parmi les Berbers, qui, ne sachant aucun métier et n’ayant appris aucun des moyens naturels de gagner leur vie, recherchent la faveur des gens riches en leur montrant des feuilles de papier dont les marges sont rongées (comme par la vétusté) et couvertes, soit de caractères barbares, soit d’une prétendue traduction d’une pièce laissée par quelqu’un qui aurait caché un trésor. « Voici, disent‑ils, ce qu’on avait écrit dans le but d’indiquer les lieux où ces trésors sont cachés ». Ils veulent, par cet artifice, tirer de l’argent des gens à qui ils s’a­dressent, en les excitant à faire des fouilles pour chercher ces dé­pôts et en leur donnant à entendre que, s’ils ont recours à eux pour cette recherche, c’est uniquement afin de se procurer un appui et de se garantir, à la faveur de leur crédit, des poursuites des ma­gistrats et des châtiments auxquels ils s’exposent. Il n’est pas rare que quelques‑uns de ces imposteurs emploient des tours d’adresse ou de prétendus sortilèges, afin de faire accueillir comme vraies les déclarations qu’ils se réservent de faire, et cela sans avoir aucune connaissance de la magie ni des pratiques de cet art. Beaucoup d’es­prits faibles (se laissent ainsi séduire et) s’empressent de rassembler des ouvriers pour faire des fouilles ; ils se livrent à ces travaux pen­dant l’obscurité de la nuit, afin de se soustraire aux regards des curieux et des espions employés par le gouvernement. Quand ils ne trouvent rien, ils en rejettent la cause sur ce qu’ils ignorent le talis­man avec lequel on avait scellé le trésor qu’on cherchait. Ils essayent ainsi de se faire illusion à eux‑mêmes, afin de se consoler d’être trompés dans leurs espérances.
p.330 Ce n’est pas seulement la faiblesse d’esprit qui porte les hommes à ces vaines recherches ; c’est encore le plus souvent l’impuissance où ils sont de gagner leur vie par quelques‑uns des moyens confor­mes à la nature, comme le commerce, l’agriculture, les arts. Ils cherchent *282 à suppléer à cette impuissance par des moyens anomaux et contraires à la nature, tels que ceux dont nous parlons, et d’autres de même genre. Ne pouvant pas travailler pour se procurer quelques profits, ils se flattent d’obtenir leur subsistance sans qu’il leur en coûte ni peine ni fatigue. Ils ne savent pas qu’en s’y prenant ainsi, d’une manière si fausse, ils se jettent dans des peines, des fatigues et des travaux bien plus durs que n’auraient été ceux qu’ils fuient, et que, outre cela, ils s’exposent à des châtiments.
Il y a encore une chose qui contribue puissamment à entraîner les hommes vers ces recherches : c’est l’accroissement du luxe et de ses habitudes, auxquelles tous les moyens ordinaires d’acquérir de l’argent ne peuvent satisfaire une fois qu’elles commencent à passer les bornes. Lorsque les bénéfices que procurent les moyens naturels de gagner sa vie ne suffisent plus aux exigences du luxe, on n’imagine d’autre ressource, pour y suppléer, que la découverte d’un trésor. On se flatte d’acquérir ainsi, tout d’un coup et sans aucune peine, un fonds immense de richesses, avec lequel on pourra [30] satisfaire aux habitudes (dispendieuses) dont on s’est rendu l’esclave. On persiste à nourrir ce vain souhait, et, pour l’accomplir, on y consacre tous ses efforts. Aussi voyons‑nous que ceux pour qui ces recherches ont de grands attraits sont, pour la plupart, des hommes accou­tumés à vivre dans la mollesse, tels que les gens de cour ou les habitants de grandes villes, le Caire, par exemple, où le luxe est très répandu, et qui offrent beaucoup de ressources. Vous recon­naîtrez que presque toutes ces personnes ne songent qu’à ces vains projets et aux moyens de les réaliser ; elles interrogent les voyageurs pour en tirer des renseignements sur les faits extraordinaires de ce p.331 genre et montrent pour ces recherches la même passion que pour l’alchimie. C’est ainsi, nous a‑t‑on dit, que les habitants du Caire s’entretiennent avec tous les talebs maghrébins qu’ils rencontrent, dans l’espoir de recevoir d’eux l’indication de quelque trésor caché. Ils s’informent aussi des moyens qu’il faut employer afin de faire ab­sorber les eaux par la terre, dans la persuasion où ils sont que la plupart de ces trésors sont enfouis sous le lit où coulent les eaux du Nil et qu’il n’y a point dans l’Égypte d’endroit qui recèle plus de richesses et de trésors.
*283 Les porteurs des écrits forgés dont nous avons parlé abusent de la crédulité de ces hommes, et, quand ils n’ont pu réaliser les décou­vertes dont ils les avaient flattés, ils prétendent que le cours du fleuve les avait empêchés de réussir, couvrant ainsi leur imposture [31] afin d’en faire leur gagne‑pain. Celui qui est assez faible pour les écouter n’a rien plus à cœur que d’avoir recours à des opérations magiques, afin de faire absorber l’eau et de parvenir [32] ensuite à l’objet de sa convoitise ; aussi les habitants de ce pays s’occupent beaucoup de magie, art pour lequel ils ont hérité du goût de leurs ancêtres [33]. En effet, on y voit encore aujourd’hui des monuments qui attestent les connaissances magiques que possédaient les anciens Égyptiens ; tels sont les berbis [34] et autres (édifices antiques). L’histoire des magiciens de Pharaon est une preuve de l’application toute particulière que les anciens habitants de l’Égypte avaient mise à cet art.
Il circule dans le Maghreb une pièce de vers attribuée à un sage de l’Orient, et contenant l’indication des procédés magiques qu’il faut employer pour faire absorber les eaux. La voici :
Toi qui désires apprendre le secret de faire absorber les eaux, écoute les pa­roles de vérité que t’enseigne un homme bien instruit. p.332
Laisse là toutes les recettes mensongères et les doctrines trompeuses dont d’au­tres ont rempli leurs livres,
Et prête l’oreille à mon discours sincère et à mes conseils, si tu es du nombre de ceux qui ne suivent point le mensonge.
Lors donc que tu voudras faire absorber [35] les eaux d’un puits, devant lequel l’imagination resterait embarrassée et incertaine sur les moyens d’exécuter une telle entreprise,
Dessine une figure (humaine) se tenant debout, et semblable à la tienne ; que la tête en soit disposée [36] comme celle d’un lionceau ;
Que les deux mains tiennent la corde qui sert à tirer le seau du fond du puits [37].
Sur sa poitrine trace la figure de la lettre h, comme tu la vois ici ; (trace‑la) autant de fois que le divorce peut avoir lieu [38] et pas davantage.
Que cette figure foule aux pieds plusieurs figures de la lettre t’, sans cepen­dant les toucher tout à fait, imitant la marche d’un homme prudent, fin et adroit.
Qu’une ligne entoure tout cela ; la forme carrée vaut mieux que la forme cir­culaire.
Immole un oiseau sur ce talisman, que tu frotteras avec le sang de la victime, après quoi tu procéderas aux fumigations
De sandarac, d’oliban, de styrax et de costus ; ensuite tu le mettras dans un étui de soie [39].
Rouge ou jaune ou bleue, où il n’y ait ni couleur verte ni taches.
Tu le lieras [40] avec deux cordons de laine blanche ou d’un rouge pur. *284
Que le signe du Lion soit dans l’horoscope, ainsi qu’on l’a bien expliqué ; que ce soit dans le temps où la lune de ce mois n’éclaire point.
La lune (doit être) jointe à la fortune de Mercure [41], un jour de samedi, à l’heure où tu feras cette opération.
p.333 Par les mots qu’elle foule aux pieds des figures de la lettre t’, l’au­teur a voulu dire que ces figures doivent être placées entre les deux pieds de l’homme, comme s’il marchait dessus. Je pense que cette pièce de vers est l’ouvrage d’un imposteur [42]. Ces gens‑là ont beaucoup de pratiques extraordinaires et de termes techniques singuliers dont ils se servent dans l’exercice de leur art.
Les hommes dont nous parlons poussent encore plus loin l’impos­ture [43] et le mensonge : ils vont prendre leur logement dans les mai­sons, grandes ou petites, qui ont la réputation de renfermer des tré­sors cachés ; ils y creusent des trous, dans lesquels ils déposent des contre‑marques et des signes conformes à ce qu’ils ont écrit dans les cahiers (que nous avons déjà mentionnés). Après cela, ils vont montrer ces écrits à quelque homme peu intelligent et le poussent à louer cette maison et à venir l’habiter, lui [44] persuadant qu’il doit y trouver un trésor immense. Ils lui demandent alors de l’argent pour acheter les drogues et les parfums nécessaires aux fumigations par le moyen desquelles ils se proposent de rompre le charme du talisman, et s’en­gagent à lui faire voir certains indices qui sont précisément ceux qu’ils ont placés eux‑mêmes exprès dans ces endroits. La découverte de ces marques excite vivement l’espoir de celui qui les écoute, de sorte qu’il devient, sans s’en douter, dupe de l’imposture et de la su­percherie. Ces escrocs ont entre eux un certain jargon convenu, dont ils se servent pour que ceux qui les emploient ne comprennent point ce qu’ils se disent les uns aux autres en procédant à leurs fouilles, aux fumigations, à l’immolation des victimes et aux autres opérations.
Tout ce qu’ils débitent à ce sujet n’a pour se soutenir aucun principe scientifique, aucune doctrine transmise par la tradition. Si l’on a quelquefois découvert des trésors, c’est rarement et par l’effet du p.334 hasard, et non pas par des recherches faites de dessein prémédité. Jamais, dans les siècles passés, ni dans les temps modernes, on n’a senti généralement la nécessité d’enfouir ses richesses sous terre et *285 de sceller ces dépôts au moyen de talismans. Le terme rekaz, em­ployé dans une tradition (provenant de Mohammed) et bien défini par les docteurs, signifie (il est vrai) des trésors enfouis dans les temps du paganisme ; mais la découverte de ces dépôts est due au pur hasard et non à des recherches systématiques et faites à dessein.
D’ailleurs, supposons qu’un homme veuille enfouir ses trésors et les mettre en sûreté par le moyen de quelques procédés magiques, il prendra toutes les précautions possibles pour que son secret de­meure caché. Comment se figurer, en pareil cas, qu’il mettra certains signes et certains indices pour guider ceux qui les chercheraient et qu’il consignera ces indices par écrit, de manière à fournir aux hommes de tous les siècles et de tous les pays un moyen de décou­vrir ces mêmes secrets ? Cela est directement contraire au but qu’il aurait eu en cachant ses trésors.
En second lieu, les gens de bon sens ne font pas une chose sans se proposer quelque objet d’utilité. Celui qui amasse un trésor le met en réserve pour son fils ou pour un proche parent, ou pour quelqu’un, enfin, à qui il désire en assurer la possession. Mais qu’il veuille le cacher absolument pour qu’il se détériore ou pour qu’il se perde tout à fait, ou pour qu’il tombe entre les mains d’un étranger de quelqu’un des peuples à venir, d’un homme qui lui est totale­ment inconnu, voilà ce qu’on ne peut supposer de la part d’un être raisonnable.
Si l’on dit : « Que sont devenus les trésors des nations qui nous ont précédés, et qui possédaient, comme nous le savons (à n’en pouvoir douter), de si immenses richesses ? Je répondrai que les richesses, telles que l’or, l’argent, les pierres fines et les autres objets (précieux) sont des minéraux, des matières avec lesquelles on peut se procurer les choses nécessaires [45], tout comme le fer, le cuivre, le plomb et les p.335 autres substances minérales [46], et métalliques. La civilisation les tire de la terre par le travail de l’homme, et tantôt en augmente, tan­tôt en diminue l’abondance. La quantité qui en existe entre les mains des hommes passe des uns aux autres par transport ou par voie d’héri­tage. Souvent elle passe de pays en pays, de royaume en royaume, par le commerce d’échange et pour satisfaire aux demandes de la ci­vilisation. Si les richesses ont diminué dans le Maghreb et dans l’Ifrîkiya, elles n’ont pas diminué dans le pays des Slavons et des *286 Francs. Si leur quantité est devenue moindre en Égypte et en Syrie, elle n’a point éprouvé de diminution dans l’Inde et la Chine. (Les métaux) ne sont que des instruments au moyen desquels on acquiert (ce dont on a besoin), et c’est la civilisation qui en cause l’abondance ou la diminution. Outre cela, les métaux sont exposés à se détériorer et à s’user, comme tout ce qui existe. Les pierres fines et les perles se. gâtent plus tôt que beaucoup d’autres substances. De même aussi l’or, l’argent, le cuivre, le fer, le plomb, l’étain, sont exposés à des causes de destruction qui les anéantissent dans un très petit laps de temps.
Ce qui donne lieu, en Égypte, à la recherche des trésors et des dé­pôts enfouis, c’est que ce pays a été pendant deux mille ans ou plus sous la domination des Coptes (les anciens Égyptiens), peuple qui ensevelissait ses morts avec ce qu’ils possédaient d’or, d’argent, de pierres précieuses et de perles, suivant l’usage des anciennes nations. Quand l’empire des Coptes fut détruit et que les Perses furent de­venus maîtres de ce pays, ils ouvrirent les sépultures pour chercher ces richesses [47], et ils en retirèrent des trésors immenses ; ils en trou­vèrent dans les pyramides, qui étaient les tombeaux des rois, et dans les autres sépultures. Les Grecs, après les Perses, en usèrent de même. p.336 En conséquence, les tombeaux des Coptes ont eu la réputation, depuis ce temps jusqu’à nos jours, de receler des trésors. Effective­ment, on trouve souvent des richesses qu’on y avait ensevelies, ou bien des coffrets et des cercueils d’or ou d’argent consacrés à la sé­pulture des morts et faits exprès pour cela [48] ; aussi, depuis plusieurs milliers d’années, on a continué à regarder ces tombeaux comme des endroits on l’on peut trouver des objets précieux ; et c’est ce qui *287 a inspiré aux habitants de l’Égypte cette passion pour la recherche des trésors. Ce métier est si commun parmi eux que chaque dy­nastie égyptienne, lorsqu’elle tirait vers sa fin et qu’elle mettait des impositions sur les divers genres d’industrie [49], y soumettait aussi les chercheurs de trésors. Cet impôt tomba sur les sots qui s’étaient pas­sionnés pour de pareilles recherches ; mais ceux qui, par intérêt, faisaient profession de s’y livrer, trouvèrent dans cet impôt même un prétexte pour agir à découvert et pour faire valoir leurs préten­tions : mais toutes leurs opérations n’ont servi qu’à frustrer les espé­rances qu’ils avaient éveillées. Dieu nous garde contre tout égare­ment ! Quiconque se trouve exposé à des tentations de ce genre doit imiter l’exemple du Prophète et supplier Dieu de le préserver de la nonchalance et de la paresse, qui empêchent l’homme de se pro­curer la subsistance par des moyens légitimes ; il doit s’éloigner des sentiers de Satan et de ses perfides suggestions et ne point bercer son imagination d’espérances absurdes et de récits mensongers. Dieu donne sans compter la subsistance à qui il veut. (Coran, sour. II, vers. 208.)

La haute considération [50] est une source de richesses.

Nous voyons que, dans toutes les professions et tous les genres de p.337 vie, celui qui jouit du crédit et de l’influence est bien plus riche que celui à qui ces avantages font défaut. La cause en est que l’homme puissant trouve toujours des personnes qui mettent leurs travaux à son service [51], dans le but de gagner sa faveur et d’obtenir sa protec­tion. Ces personnes l’aident (des fruits) de leurs travaux toutes les fois qu’il manque du nécessaire ou qu’il n’a pas les moyens de satis­faire à des besoins factices, ou de se maintenir dans l’aisance. La valeur de tous ces travaux [52] lui est donc une chose acquise ; car ce qui se *288 donne ailleurs moyennant une rétribution lui arrive gratuitement. Le montant des valeurs [53] (qu’il reçoit) finit par devenir très consi­dérable : d’un côté, il recueille la valeur des produits qu’il a reçus, et, de l’autre, il compte sur celle d’autres produits que la néces­sité le portera à demander. De cette manière, il se procure de grands bénéfices. L’influence dont il jouit, lui permettant d’obtenir beaucoup de cadeaux, le porte rapidement à l’opulence et ajoute de jour en jour à ses richesses. Sous ce point de vue, l’exercice d’un haut commandement est regardé comme un des moyens de gagner sa subsistance ; Voyez  ci-devant (page 324). Celui qui a de l’argent, mais qui n’exerce aucune influence (sur le gouvernement ou sur le public), ne peut atteindre à l’opulence qu’en travaillant à faire valoir son capital. Tels sont la plupart des négociants ; aussi trouvons-­nous que les hommes les plus influents de cette classe sont ceux qui possèdent le plus de richesses. Une preuve à l’appui de ce que nous venons d’exposer se reconnaît dans les grandes fortunes acquises par plusieurs légistes et hommes dévots. Aussitôt qu’ils se sont fait une réputation de sainteté et qu’ils ont porté le peuple à croire que Dieu se charge de leur entretien, ils voient les autres hommes s’em­presser de les secourir dans leurs besoins temporels et travailler p.338 pour leur assurer le bien‑être. Dès lors, ils arrivent rapidement à l’opulence et se trouvent en possession de grandes richesses, sans avoir fait aucun effort pour les acquérir. Tout ce qu’ils possèdent provient de la valeur des produits du travail [54], produits qu’ils tiennent de la générosité du public. Cela est un fait dont nous avons vu un grand nombre d’exemples, tant dans les villes que dans les campag­nes ; les personnes qui s’occupent de commerce ou d’agriculture [55] s’empressent de venir en aide à ces individus qui, se tenant tran­quillement chez eux [56] et sans bouger, voient accroître leurs gains et augmenter leurs richesses ; tout cela, sans qu’ils s’y donnent la moindre peine. Celui qui n’a pas deviné le mystère de ces grandes fortunes et les causes qui les ont produites en est frappé d’étonnement. Dieu donne, sans compter, la subsistance à qui il veut. *289

Ce sont ordinairement les gens qui savent s’abaisser et faire leur cour qui réussissent dans le monde et qui font fortune [57]. La servilité et la flatterie doivent compter parmi les moyens de parvenir [58].

Nous avons dit précédemment que, pour les hommes, le gain est en réalité le prix des produits de leur travail. Si un individu restait [59] dans l’inaction et s’abstenait tout à fait de travailler, il ne gagnerait absolument rien. S’il travaille, ses profits seront en raison [60] de son application, de la prééminence de l’art qu’il exerce et du besoin qui portera les autres hommes à rechercher les produits de son industrie. p.339 La possession de l’autorité, avons‑nous dit ci-dessus, est une source de richesses ; l’homme influent les recueille sous la forme d’argent ou de produits du travail que d’autres hommes lui présentent dans le but d’obtenir sa protection ou de se procurer quelques faveurs. Les produits et l’argent offerts de cette manière sont réellement donnés en échange [61] contre certains avantages que ces personnes espèrent obtenir par l’influence de leur protecteur et qui consistent dans (la permission d’exécuter) un de ces nombreux projets [62] (qu’on lui sou­met et) dont les uns sont utiles et les autres nuisibles. Ces produits sont autant de gagné pour l’homme influent, et, comme leurs valeurs réunies forment, en argent, une somme très considérable, celui qui les reçoit s’enrichit en peu de temps.
Il faut maintenant savoir que l’autorité est répartie entre tous les hommes dans une gradation régulière. Elle augmente en passant de classe en classe jusqu’à celle des souverains, au‑dessus desquels il n’y a point d’autorité supérieure [63]. Le rang le plus bas est celui des per­sonnes qui n’ont aucun pouvoir, ni pour le bien ni pour le mal. Entre ces deux limites, on voit une foule de rangs établis dans l’intérêt des hommes par la sagesse de Dieu, qui a voulu régulariser leurs moyens de subsistance, leur faciliter l’acquisition du bien‑être et assurer la durée [64] de l’espèce.
En effet, l’existence et la conservation de l’espèce humaine ne peuvent être assurées que par l’empressement des hommes à s’aider les uns les autres pour leur avantage mutuel. On sait d’une manière *290 certaine qu’un seul individu ne saurait soutenir son existence d’une manière complète, et, si l’on admet, pour la forme, que des hommes ont pu vivre seuls, ce qui est arrivé dans certains cas très rares, il faut aussi avouer que la durée de leur existence n’était guère assurée. p.340 Au reste, les hommes ne voudront jamais s’entr’aider [65] à moins d’y être contraints. Ils refusent de le faire, parce qu’ils ignorent ordinairement ce qui est avantageux pour l’espèce humaine, et parce que Dieu leur a accordé le libre arbitre, de sorte que leurs actions ne procèdent pas d’une impulsion naturelle, mais de la considération et de la réflexion. Ils s’abstiennent donc d’aider leurs voisins. Cela rend nécessaire l’in­tervention de quelqu’un qui les porte à le faire. Cette personne doit nécessairement employer la force contre ses semblables, s’il veut les contraindre à travailler pour le bien de la communauté et pour l’ac­complissement de la volonté de Dieu, dont la sagesse a ordonné la conservation de l’espèce humaine. L’idée que nous venons d’exprimer se retrouve dans la parole suivante, émanée de Dieu lui-même : Et nous les avons placés en rangs, les uns au‑dessus des autres, afin que les uns prennent les autres pour les servir ; et la miséricorde de ton Seigneur vaut mieux que les biens qu’ils amassent [66]. (Coran, sour. XLIII, vers. 31.)
Il est donc évident que le terme djah [67] désigne la faculté que l’homme obtient de dominer sur ses subordonnés, de les faire agir conformément à ce qu’il autorise et à ce qu’il défend, et d’employer envers eux la contrainte et la force, afin de les détourner de ce qui leur serait nuisible et de les obliger à travailler pour leur propre avantage. Ce pouvoir doit s’exercer d’une manière équitable et con­formément aux prescriptions, soit de la loi divine, soit de la loi de l’État ; mais on s’en sert aussi quelquefois dans ses propres intérêts. Il a été spécialement établi, par la providence divine, pour être employé de la manière indiquée en premier lieu ; son autre emploi n’est qu’un accident qui s’y présente, de même que le mal s’introduit dans les lois établies par la volonté de Dieu. En effet, l’existence d’un grand bien ne peut avoir lieu sans qu’un peu de mal s’y trouve, ce qui tient à la matière (dont ce bien est la forme). Le bien n’est pas perdu pour cela : il existe réellement, malgré la petite quantité de mal qu’il p.341 contient. Voilà comment on explique l’introduction de l’injustice parmi les hommes. Que le lecteur comprenne bien cela [68].
Maintenant, il faut savoir que, dans les populations des villes et des grands pays, les gens de chaque classe exercent de l’autorité sur ceux des classes inférieures, et que chaque individu d’une classe subordonnée cherche à obtenir de la classe immédiatement au‑dessus *291 de la sienne une portion d’autorité plus grande que celle qu’il pos­sédait déjà. Celui qui l’obtient exerce ensuite sur ses subordonnés une influence plus grande qu’auparavant et réglée, quant à sa force, par l’autorité qu’il vient d’acquérir. Au reste, le pouvoir dont nous traitons est réparti entre toutes les personnes qui travaillent à gagner leur subsistance. Il est grand ou faible, selon le rang ou la classe que celui qui l’exerce occupe dans la société. Plus il est grand, plus le possesseur en tirera de bénéfices ; plus il est faible, moindre sera le profit. Celui qui n’exerce aucune autorité peut avoir de l’argent, mais ses richesses sont toujours en proportion de ses travaux, de l’em­ploi de ses capitaux et des démarches et voyages qu’il a faits dans le but d’augmenter sa fortune. Il en est ainsi de la plupart des négociants, des cultivateurs et des artisans. Quant à ceux‑ci, s’ils ne possèdent aucune influence et se bornent à recueillir les profits de leur métier, ils n’arriveront pas rapidement à la fortune ; au contraire, ils tom­beront presque tous dans l’indigence et la misère. Ils aperçoivent, tout au plus, un éclat passager des jouissances de la vie, et c’est tou­jours à force de lutter qu’ils parviennent à éloigner la pauvreté.
Quand on a reconnu l’exactitude de ce principe et compris que l’autorité se répartit entre plusieurs et amène avec elle les biens de la fortune, on conviendra que c’est un très grand service rendu à un individu que de lui concéder une portion de cette autorité, et que l’homme auquel on doit une telle faveur est un bienfaiteur de premier ordre. Il l’accorde à un subordonné ; il la confère de son plein pouvoir [69] et du haut de sa grandeur ; aussi la personne qui recherche p.342 une grâce de cette nature doit se montrer humble et insinuante, ainsi que font les solliciteurs qui s’adressent à des hommes puissants et à des souverains ; sans cela, elle obtiendrait difficilement ce qu’elle désire. Voilà pourquoi nous avons dit que la servilité et la flatte­rie comptent parmi les moyens dont on se sert pour parvenir à un de­gré d’autorité qui permette de gagner beaucoup et de faire fortune. Nous avons dit aussi [70] que la plupart des gens riches sont arrivés à la fortune de cette manière.
Voilà pourquoi nous voyons que presque tous les hommes d’un caractère fier et hautain n’obtiennent pas la considération qu’ils recherchent, *292 et que, se trouvant obligés de vivre des fruits de leurs travaux, ils tombent graduellement dans la pauvreté et l’indigence. Cette fierté et cet orgueil sont des qualités blâmables, qui prennent leur origine dans la haute opinion que l’on a de soi-même et dans la conviction que le public ne saurait se passer de la science qu’on en­seigne ou de l’art qu’on exerce. Ainsi le savant versé dans les sciences, le scribe habile dans son art, le poète qui fait de beaux vers se figu­rent que tout le monde a besoin de leurs talents : cela les rend hau­tains et fiers à l’égard du public.
Il en est de même des personnes bien nées, de celles, par exemple, qui comptent au nombre de leurs aïeux un roi, un savant illustre ou un homme qui a atteint la perfection dans la partie dont il s’occupait. Égarés par [71] ce qu’ils ont vu ou entendu dire relativement à la posi­tion que leurs aïeux tenaient dans l’État, ils croient avoir droit aux mêmes honneurs, en leur qualité de parents et d’héritiers de ces grands hommes. Ainsi, au moment présent, ils s’accrochent à une chose du passé et qui n’existe plus ; car l’illustration personnelle [72] ne se transmet pas comme un héritage. Nous pouvons encore ranger dans cette catégorie certains hommes qui ont montré beaucoup p.343 d’habileté, d’expérience et de prévoyance dans le maniement des affaires : ils se croient tellement parfaits dans leur profession qu’on ne saurait se passer d’eux.
Nous voyons les gens de toutes ces classes tellement remplis d’or­gueil qu’ils ne daignent pas s’abaisser devant un personnage influent, ni courtiser un homme d’un rang plus élevé que le leur. Ils mépri­sent les autres hommes, parce qu’ils croient les surpasser en mérite ; et, s’ils avaient à s’adresser au souverain, ils compteraient pour un déshonneur, une dégradation et un acte de folie, les marques de respect qu’ils auraient à lui témoigner. Ils se figurent que tout le monde est tenu à leur montrer des égards dignes du haut mérite qu’ils s’attribuent, et ils en voudraient à quiconque manquerait, dans p.293 le moindre point, au respect qu’ils croient leur être dû. De temps en temps ils ressentent de vils chagrins causés par ce manque d’égards, et ils restent dans une grande perplexité, tourmentés, comme ils le sont, par l’envie de faire accepter leurs prétentions, et contrariés par le mauvais vouloir du public. Cela les porte à prendre en haine les autres hommes, tant l’espèce humaine est dominée par l’amour-­propre [73] ! A peine trouvera‑t‑on un seul d’entre eux qui consente à reconnaître le mérite et la supériorité d’un autre, à moins d’y être porté par quelque espèce de contrainte et de domination, ou par l’in­fluence d’une autorité supérieure. Or toutes ces idées de force et de supériorité sont comprises dans le terme djah. Quand un homme de ce caractère ne possède aucune influence, chose dont il sent vivement le besoin, ainsi que nous venons de le faire observer, il s’attire la haine des autres hommes par son orgueil et n’a aucune part à leur bienveillance. Il ne peut obtenir la considération dont il aurait pu jouir sous la protection des personnes occupant un rang supérieur au sien ; il s’en est fait des ennemis, s’étant abstenu de cultiver leur fa­veur et d’aller les visiter chez elles ; aussi ses moyens d’existence en souffrent et il vit dans un état de gêne voisin de la misère. Quant aux p.344 richesses, il en demeure totalement privé. De là vient l’opinion gé­néralement reçue que le savant accompli n’obtient jamais les faveurs de la fortune, que ses connaissances acquises lui tiennent lieu de ri­chesses, et que c’est là la portion d’opulence que la Providence lui a départie. Cela revient à l’idée (exprimée par ce proverbe) : « L’état pour lequel une personne a été créée lui est rendu supportable ». Dieu est le souverain dispensateur ; il n’y a point d’autre seigneur que lui.
La disposition d’esprit que nous venons de signaler amène parfois un bouleversement dans les rangs de la société : elle élève aux grandes dignités beaucoup d’individus appartenant aux classes inférieures [74] et en fait descendre beaucoup d’autres qui appartenaient aux classes supérieures. En effet, lorsque les empires ont atteint leur plus haut degré de puissance et de domination, et que l’autorité suprême se trouve entre les mains de la famille qui a fondé la dynastie et qui a pour représentant un roi ou un sultan, les autres (personnages de l’État), n’ayant plus alors aucun espoir de parvenir au pouvoir, vont *294 se ranger dans les classes subordonnées, et deviennent, pour ainsi dire, les serviteurs du souverain. Avec la durée de l’empire et l’ac­croissement de sa puissance, les personnes attachées au service du prince, tous les individus qui se sont rapprochés de lui par leur dévouement, et tous ceux qu’il favorise à cause de l’habileté qu’ils ont déployée dans la direction des affaires qui l’intéressent, se trou­vent placés sur un pied d’égalité. Voilà pourquoi nous voyons une foule de gens appartenant aux classes inférieures travailler avec la plus grande ardeur à se rendre agréables au souverain et à capter sa bienveillance, en remplissant avec un entier dévouement les com­missions dont il les charge. Pour arriver à leur but, ils lui montrent une profonde soumission et ne cessent de lui faire leur cour, et non­ seulement à lui, mais aux officiers de sa maison et aux membres de sa famille. Une fois qu’ils ont pris pied parmi les courtisans et qu’ils se voient rangés au nombre des serviteurs du prince, ils ne p.345 tardent pas à acquérir une grande fortune. Pendant ce temps, les des­cendants des familles qui avaient eu tant de difficultés à surmon­ter avant de fonder l’empire et d’établir l’ordre dans les provinces, se laissent égarer par le souvenir des hauts faits [75] de leurs aïeux ; rem­plis de présomption et se targuant de la renommée de leurs pères [76], ils se lancent dans la carrière de l’insolence et oublient le respect qui est dû au souverain. Cela l’indispose contre eux ; il les éloigne de sa présence et montre du penchant pour les hommes qu’il a tirés du néant, pour des gens qui n’ont pas l’orgueil de la naissance [77], qui ne se permettent envers lui aucune familiarité, aucun manque d’égards, et qui se sont fait une règle de lui montrer toujours une profonde soumission, de flatter ses inclinations et de le servir aveuglément dans tous ses projets. De cette manière ils parviennent à exercer une grande influence et à tenir un haut rang dans l’État. Tous les re­gards et toutes les pensées [78] se tournent alors vers eux, parce qu’ils jouissent de la faveur du souverain et occupent une haute place dans son estime. Les membres de la famille royale [79], toujours hau­tains, toujours fiers de leur naissance, s’attirent de plus en plus le mécontentement du sultan et le forcent, par leur conduite, à leur *295 préférer ses propres créatures. Cela continue jusqu’à la chute de la dynastie. Le même fait se reproduit naturellement dans tous les em­pires, et c’est ainsi que les protégés et les clients du souverain arri­vent ordinairement à la fortune. Dieu fait tout ce qu’il veut. (Coran, sour. LXXXV, vers. 16.) p.346

Les personnes chargées de fonctions qui se rattachent à la religion, les cadis, par exemple, les muftis, les instituteurs, les imams, les prédicateurs et les moueddins parviennent rarement à s’enrichir.

Cela est un fait dont voici la cause : le gain, ainsi que nous l’avons déjà dit, est le prix du travail et varie selon que le travail dont on s’occupe est plus ou moins demandé. Si les produits d’un certain travail sont d’une nécessité générale dans un grand centre de population, ils auront une grande valeur et seront très recherchés. Or la masse du peuple n’a pas toujours un besoin pressant des services que les per­sonnes chargées de fonctions religieuses peuvent lui rendre [80] ; ce sont seulement les hommes d’élite, ceux qui s’occupent de leurs intérêts spirituels, auxquels ces services sont indispensables. Le besoin d’un cadi ou d’un mufti, pour terminer une contestation, n’est ni général ni absolu ; aussi peut‑on se passer ordinairement de ces fonctionnaires. C’est tout au plus si le chef de l’État, se rappelant qu’il est chargé de veiller au maintien du bien public, leur montre de la considération et les aide à soutenir la dignité de leurs offices. Il leur assigne des traitements proportionnés à la nécessité de leurs services, nécessité qui s’apprécie de la manière que nous venons d’indiquer. A ses yeux, ils ne méritent pas d’être mis au niveau des grands chefs, ni même des hommes qui exercent les arts les plus nécessaires, et cependant ils s’adonnent à des travaux qui [81], sous le point de vue de la religion et de la loi divine, sont plus nobles que tous les autres. Le souverain passe sur cette considération et règle les traitements qu’il accorde à ces employés d’après le degré de nécessité que le public peut avoir de leurs services. Aussi, très peu de ces individus reçoivent‑ils un traitement convenable. D’ailleurs, comme la noblesse de leurs fonctions *296 les met au‑dessus du reste des hommes, ils ont un tel sen­timent de leur propre dignité qu’ils ne s’abaissent jamais devant les grands, dans le but de se faire mettre dans une position qui leur p.347 procurerait des richesses. Loin de là, ils ne consentent pas à y perdre un temps précieux, qu’ils croient mieux employer en s’occupant de travaux honorables qui exigent également la réflexion et le juge­ment. La noblesse de leurs occupations ne leur permet pas de se jeter à la tête des gens du grand monde ; aussi sont‑ils bien éloi­gnés de le faire, et, pour cette raison, ils acquièrent rarement des richesses.
J’avais eu une discussion à ce sujet avec un homme de grand mé­rite et qui n’était pas de mon avis, quand un cahier d’écritures, tout froissé et usé, me tomba entre les mains. Ces feuilles renfermaient une partie des comptes tenus par les bureaux chargés de l’adminis­tration du palais d’El‑Mamoun (le khalife abbacide) et contenaient l’indication d’une grande portion des recettes et des dépenses faites à cette époque. Ayant trouvé dans ce document la liste des traitements accordés aux cadis, aux imams et aux moueddins, je la fis voir à mon contradicteur, qui reconnut aussitôt la justesse de mes observations, et se rallia à mon opinion [82]. Dès lors, nous restâmes émerveillés en voyant par quelles voies secrètes la sagesse de Dieu agit dans le gou­vernement de ses créatures. Dieu est le créateur, le dispensateur.

Les hommes de peu de considération et les campagnards besoigneux sont les seuls qui adoptent l’agriculture comme un moyen de se procurer la subsistance.

       Ils adoptent l’agriculture parce qu’elle est un art dont la pratique est la plus enracinée dans la nature humaine et dont les procédés sont les plus simples. Aussi voit‑on rarement des citadins et des hommes riches s’en faire une occupation. Ceux qui l’exercent sont regardés même comme des êtres dégradés. Le Prophète a dit en voyant un soc de charrue chez un de ses partisans médinois : « Ces choses‑là n’entrent jamais dans une maison sans que l’avilissement y entre aussi ». El-Bokhari a entendu cette parole comme étant dirigée contre une trop grande application à l’agriculture, et, pour cette p.348 rai­son, *297 il l’a insérée dans son livre sous le titre suivant : Des suites qu’il faut craindre si l’on s’occupe trop d’instruments aratoires et si l’on dépasse les bornes qu’on a reçu l’ordre de respecter. Cette dégradation provient, à mon avis, du fait que la culture d’un champ a pour conséquence l’obligation de payer une contribution, ce qui place le cultivateur sous le régime du pouvoir arbitraire et de la violence. De là résulte l’avi­lissement du contribuable, qui tombe enfin dans la misère, par suite de l’oppression et de la tyrannie qui viennent l’accabler. Le Pro­phète a dit : « La (dernière) heure (du monde) n’arrivera pas avant que l’impôt établi par la loi divine soit devenu une contribution illé­gale et oppressive ». Par ces paroles, il donnait à entendre qu’il y aurait un roi sévère, un oppresseur, qui se distinguerait par la tyran­nie, l’injustice, l’oubli des droits de Dieu, en ce qui regarde les ri­chesses fournies par les occupations lucratives, et qui penserait que tous les impôts d’institution divine sont autant de contributions dues au souverain et à son gouvernement. Dieu fait ce qu’il veut.

Sur le commerce, sa signification, ses procédés et ses divers genres [83].

Par le mot commerce on désigne la recherche d’un bénéfice, en faisant accroître son capital au moyen de marchandises achetées à bon mar­ché pour être vendues plus cher. Que ces marchandises consistent en esclaves, en grains, en bestiaux, en armes ou en étoffes, cela revient au même. La quantité de l’augmentation (acquise par le capital) s’ap­pelle bénéfice. La recherche du profit se fait ainsi : on emmagasine des marchandises et l’on attend pour les vendre le moment où leur va­leur, sur le marché, monte beaucoup après avoir été en baisse. On peut alors faire de grands bénéfices. Ou bien on emporte des mar­chandises du pays où on les a achetées pour les vendre dans un autre pays où elles sont très demandées. Cela procure aussi des profits consi­dérables. Un vieux négociant, à qui on demandait la véritable nature du commerce, répondit en ces ternes : « Je vous l’apprendrai en deux p.349 mots : achetez à bas prix et vendez cher ; voilà ce que c’est que le *298 commerce ». Par ces paroles, il exprimait les mêmes idées que nous venons d’énoncer. Dieu est le dispensateur, l’être doué d’une force inébranlable. (Coran, sour. LI, vers. 58.).

Sur l’exportation des marchandises.

Un négociant qui a de la prévoyance ne porte jamais à l’étranger d’autres marchandises que celles dont les riches et les pauvres, le souverain et les hommes du peuple, ont également besoin. C’est là une condition essentielle pour en assurer le prompt débit. S’il se borne à porter dans ce pays des objets dont une partie seulement de la population a besoin, il aura de la peine à s’en défaire [84], parce qu’un accident quelconque peut arriver, qui empêche les hommes de cette classe d’en faire l’achat. En ce cas, il ferait peu de ventes et ne re­cueillerait aucun profit. Quand même il y apporterait des marchan­dises dont tout le monde aurait besoin, il doit se borner à celles qui sont d’une qualité moyenne ; car les objets de toute espèce dont le prix est élevé ne conviennent qu’à des gens riches et aux officiers du prince, c’est‑à‑dire à un petit nombre d’individus. Comme les mar­chandises d’une qualité moyenne conviennent également aux per­sonnes de toutes les classes, le négociant doit s’en tenir uniquement à cette partie. Il vendra beaucoup ou peu, selon le degré d’atten­tion qu’il mettra à l’observation de cette règle. Celui qui apporte des marchandises d’un pays éloigné, ou qui traverse avec elles des routes très dangereuses, les placera avec avantage et en retirera de grands bénéfices. Il peut être assuré de s’en défaire facilement, parce qu’elles sont alors très rares ou manquent tout à fait dans le pays, à cause de la distance du lieu d’où il faut les tirer ou des grands périls auxquels on s’expose sur les routes par lesquelles il faut passer. Il n’y a donc qu’un petit nombre de négociants qui osent apporter de ces marchandises ; aussi sont‑elles très rares dans cette contrée. Or, quand p.350 des marchandises sont rares et qu’il est difficile de se les procurer, elles augmentent de prix. Si le pays où le négociant se rend n’est pas très éloigné, si les routes sont sûres et très fréquentées, beaucoup de ses confrères y passeront ; les marchandises y arriveront en abon­dance et se vendront à bas prix. Voilà pourquoi les commerçants qui *299 ont l’habitude de faire des voyages jusqu’au pays des noirs sont plus à leur aise et plus riches que les autres. La longueur et les périls de la route, la nécessité de traverser de vastes déserts remplis de dangers, où l’on s’expose à mourir de soif parce que l’eau y est très rare et ne se trouve que dans certains endroits connus des individus qui servent de guides aux caravanes, tout cela effraye la plupart des négociants et les empêche d’entreprendre de tels voyages ; aussi voyons‑nous que les marchandises tirées du pays des noirs sont très rares et très­ chères, et il en est de même des nôtres chez ces peuples. Les indi­vidus qui font ce commerce gagnent, pour cette raison, beaucoup d’argent et amassent rapidement de grandes fortunes. Ceux de notre pays qui commercent avec l’Orient s’enrichissent aussi très vite, ce qui tient à la longueur de la route qu’ils doivent faire. Quant à ceux qui se tiennent dans un même pays et vont alternativement d’une ville à une autre, ils ne peuvent faire que de faibles bénéfices, parce que les négociants s’y rendent en grand nombre et qu’on y trouve des marchandises en abondance. Dieu est le dispensateur, l’être doué d’une force inébranlable.

De l’accaparement.

Ceux d’entre les habitants des grandes villes qui ont de l’expé­rience et qui savent observer reconnaissent généralement que l’accapa­rement des grains, dans le but de les garder jusqu’à ce qu’ils devien­nent chers, est une opération qui porte malheur à celui qui la fait et qui lui donne comme profit une perte réelle et le désappointement. La cause en est, si je ne me trompe pas, que les autres hommes, étant forcés d’acheter à un taux énorme les vivres dont ils ont besoin, donnent leur argent à contre‑cœur ; leurs âmes demeurent attachées p.351 à ce qu’ils ont déboursé, et [85] cet attachement à l’argent qu’ils possé­daient [86] porte malheur à l’individu qui l’a reçu sans en avoir rendu la valeur. C’est là, peut‑être, ce que le législateur a voulu désigner par *300 les mots prendre le bien d’autrui sans rien donner en retour. Bien que le cas dont nous parlons n’offre pas un exemple d’argent donné pour absolument rien [87], la pensée [88] de l’acheteur n’en demeure pas moins attachée à cet argent, puisqu’il l’a payé malgré lui et sans avoir le moyen de s’en dispenser. C’est donc, pour ainsi dire, un achat forcé. Quant aux autres marchandises, celles qui ne sont pas des comestibles ni  des aliments, on n’est pas forcé [89] de les acheter, et, si on le fait, c’est pour varier ses plaisirs. On dépense alors son argent par engouement et de bon gré, et l’on n’y pense plus avec regret [90]. Les individus connus pour être des accapareurs [91] s’attirent, il me semble, la puissance réunie de tous ces mauvais vouloirs [92], parce qu’ils ont extorqué de l’argent au peuple, et cela amène la perte du gain qu’ils viennent de faire. Voici une anecdote assez piquante qui se rapporte à ce sujet et que j’ai entendu raconter à mon ancien professeur Abou ­Abd Allah el‑Abbeli [93] : « Sous le règne d’Abou Saïd, le sultan [méri­nide], je me trouvais, dit‑il, chez le légiste Abou ’l-Hacen el‑Melili, qui était alors cadi de Fez, quand on vint lui dire qu’il avait à choisir, entre les diverses branches des contributions gouvernementales [94], celle sur laquelle on lui assignerait son traitement [95] ». il réfléchit un instant, et dit : « Je choisis l’impôt sur les vins.  A ces paroles, tous les assistants éclatèrent de rire, et, dans leur étonnement, ils ne p.352 purent pas s’empêcher de lui demander le motif de ce singulier choix. Il répondit : « Puisque tous les genres de contributions (à l’exception de l’impôt foncier, de la dîme et de la capitation) sont illégaux, je choisis celui qui ne laisse pas de regret dans l’esprit de ceux qui l’ac­quittent. Il est bien rare qu’on ne soit pas gai et de bonne humeur après avoir donné son argent pour du vin, vu la jouissance [96] que cette liqueur procure ; on ne regrette pas ce qu’on a dépensé et l’on n’y pense plus ». C’était là une considération tout à fait originale. *301

Le vil prix d’une marchandise nuit aux intérêts de ceux qui, par métier, s’occupent de cette (espèce de marchandise) dépréciée.

Ce qui procure le gain et fournit les moyens de vivre, ce sont les métiers et le commerce, ainsi que nous l’avons dit. Le commerce consiste à acheter des denrées et des marchandises, et à les emma­gasiner jusqu’à ce que leur prix augmente au marché. Cela s’appelle bénéficier, opération qui fait toujours gagner aux commerçants et leur procure la subsistance. Si une denrée ou marchandise quelcon­que, que ce soient des comestibles, des habillements ou toute autre chose de valeur, reste entre les mains d’un négociant sans augmenter de prix sur le marché, plus ce retard sera long, moins il y aura de bénéfice pour lui, et moins il ajoutera à son capital. Tant que cette marchandise est peu recherchée, le négociant, voyant ses peines per­dues, ne s’occupe plus de son affaire et se trouve obligé d’entamer son capital. Voyez, par exemple, ce qui arrive quand les grains res­tent longtemps à bas prix : les individus qui s’adonnent à l’agriculture et aux autres métiers qui dépendent de la production des grains souffrent dans leur fortune ; ils gagnent peu ou rien, et ne voient pas augmenter leur capital, ou bien, trouvant leurs profits insuffisants, ils prennent l’habitude d’emprunter à leur capital afin de pourvoir à leurs dépenses. Cela aggrave leur position et les réduit enfin à l’in­digence. La même dépréciation fait ensuite du tort aux meuniers, p.353 aux boulangers et à tous ceux qui s’occupent des métiers dont les grains, à partir du moment de l’ensemencement jusqu’à celui où on les convertit en aliments, forment la base. Les militaires, à qui le souverain a concédé, pour leur servir de solde, l’impôt prélevé en nature sur les cultivateurs, souffrent aussi de cet état de choses. Comme cet impôt perd beaucoup de sa valeur, ils n’ont pas assez de moyens pour faire leur service, et, privés de ce qui les faisait *302 subsister, ils se trouvent réduits à l’indigence. Les mêmes effets ont lieu quand le miel et le sucre restent longtemps à vil prix : tous les métiers qui s’y rattachent en pâtissent, et les personnes engagées dans cette branche de commerce cessent de s’en occuper. Il en est de même des objets qui servent à l’habillement quand ils restent long­temps à bas prix. Donc l’extrême dépréciation d’une denrée nuit gravement aux intérêts de ceux qui en font un objet de commerce et porte atteinte à leurs moyens de subsistance. La cherté excessive des marchandises produit aussi le même résultat, bien que, dans des cas assez rares, elle contribue à augmenter beaucoup les richesses des négociants qui ont eu recours à l’accaparement. Mais c’est en gar­dant un juste milieu (dans ses opérations) et en profitant des rapides fluctuations qui ont lieu dans le cours du marché que cette classe d’hommes fait des bénéfices et gagne sa vie. Au reste, les connais­sances dont un négociant a besoin se réduisent à celle des usages et des habitudes du peuple avec qui il a affaire [97]. De toutes les matières que l’on met en vente, c’est pour les grains que le bon marché est le plus à désirer ; le besoin en est général ; aux riches comme aux pauvres il faut des aliments, et les indigents sont partout en grande majorité. C’est du bas prix des grains que dépend l’aisance générale. Voilà la seule espèce de marchandises dans la vente desquelles la nécessité d’alimenter le peuple doit l’emporter sur les intérêts du négociant. Dieu est le dispensateur de la nourriture ; il est  fort et inébran­lable. (Coran, sour. LI, vers. 58.)

Quels sont les hommes qui peuvent s’adonner au commerce avec avantage et ceux qui doivent s’en abstenir.

p.354 Nous avons défini le commerce l’art de faire augmenter son ca­pital en achetant des marchandises et en cherchant à les vendre plus cher qu’elles n’ont coûté. Cela se fait, soit en les gardant jusqu’à ce que leur prix, sur le marché, éprouve une hausse, soit en les trans­portant dans un pays où elles sont très recherchées et se vendent très  *303 cher [98]. On les vend aussi avec avantage à la condition d’en recevoir le prix à des époques ultérieures. Le bénéfice qui s’obtient d’une opé­ration commerciale est peu de close en comparaison du capital em­ployé ; mais [99], si le capital est grand, le bénéfice le sera aussi, car une multitude de bénéfices, quelque petits qu’ils soient, forment une forte somme [100]. Le capital s’accroît par les bénéfices ; mais, pour les obtenir, il faut que les acheteurs aient de l’argent sur eux au moment de faire leurs emplettes, et que le vendeur se fasse payer sur‑le-­champ ; car l’honnêteté se trouve rarement chez ces gens. Cela en­traîne, d’un côté, la fraude et l’adultération des marchandises ; de l’autre, cela amène des retards dans les payements et, par conséquent, une diminution dans les bénéfices du négociant, parce qu’il n’a pas de capital à faire valoir pendant l’intervalle. L’absence des sentiments honnêtes entraîne les acheteurs à nier leurs dettes [101], ce qui porte at­teinte au capital du marchand, à moins qu’il ne puisse prouver la réa­lité de la vente au moyen d’une pièce écrite ou de la déclaration de témoins. Dans les affaires de cette nature, les magistrats ne peuvent être bien utiles, parce qu’ils sont obligés de fonder leurs jugements sur des preuves évidentes. Pendant ce temps le marchand doit lutter contre mille difficultés, et, s’il réussit dans sa demande en justice, il ne reçoit qu’une faible portion du bénéfice sur lequel il comptait ; et p.355 cela, après s’être donné beaucoup de peine et avoir éprouvé bien des en­nuis. Si sa demande est repoussée, il perd (non seulement le bénéfice, mais) le capital. Dans le cas où il aurait la réputation d’aimer les pro­cès, de bien tenir ses comptes, de s’opiniâtrer et de se montrer ferme et hardi devant les juges, il a assez de chances de se faire payer (sans aller plus loin). Si ces qualités lui manquent, il doit avoir pour ap­pui et protection quelque personnage haut placé, afin d’imposer à ses débiteurs et de porter le magistrat à qui rendre bonne et prompte justice. Dans le premier cas, les débiteurs le remboursent de bon gré ; dans le second, ils sont obligés de payer malgré eux. Celui qui n’a pas de hardiesse ni d’audace, ou qui ne sait pas éblouir ses juges par le prestige de ses hautes protections, doit éviter de s’engager dans le commerce ; il s’exposerait à perdre sa fortune, à la laisser devenir la *304 proie de ses débiteurs, et n’aurait presque aucune chance de se faire rendre justice. Le fait est que la plupart des hommes convoitent les biens d’autrui, et, s’il n’y avait pas de magistrats pour les tenir dans le devoir, ils ne laisseraient rien à personne. Tels sont surtout les acheteurs, le bas peuple et les mauvais sujets. Si Dieu ne contenait pas les hommes les uns par les autres, certes la terre serait perdue ; mais Dieu est bienfaisant envers toutes les créatures. (Coran, sour. II, vers. 252.)

Le caractère moral des négociants est inférieur à celui des personnages qui exercent de hauts commandements, et s’éloigne de celui qui distingue l’homme de cœur.

Nous avons dit, dans le chapitre précédent, que les négociants s’occupent de ventes et d’achats, afin d’en retirer du profit et des bé­néfices. Dans une telle occupation, il faut nécessairement avoir beau­coup d’adresse, soutenir des altercations, ruser et se débattre avec les acheteurs, vanter outre mesure (les marchandises qu’on veut vendre) et se montrer opiniâtre et tenace dans la dispute. Telles sont les obligations [102] du métier. Ce sont là des habitudes qui nuisent à la probité [103] de l’homme et à son honneur, et leur portent de graves p.356 atteintes ; car les actions de l’homme influent nécessairement sur son caractère : si elles sont bonnes, elles laissent sur l’âme l’empreinte de l’honnêteté et de la vertu ; si elles sont mauvaises et viles, elles y produisent l’effet contraire. Quand on a commis une mauvaise action et qu’on la répète ensuite plusieurs fois, cela devient une habitude enracinée, et si l’on possédait auparavant des qualités louables, ces actions les affaiblissent par suite des mauvaises impressions qu’elles laissent sur l’âme. C’est ainsi que toutes les habitudes qui naissent de nos actions portent chacune le caractère. des actions qui les ont pro­duites. Ces (mauvaises) impressions diffèrent en intensité, selon le rang plus ou moins élevé que chaque négociant occupe. Celui qui est de la classe inférieure, étant obligé d’être toujours en rapport direct *305 avec de méchantes pratiques, avec des gens habitués à tromper, à frauder, à duper et à se parjurer, qui affirment et qui nient au mé­pris de la vérité, quand il s’agit du payement des objets qu’ils ont achetés, cet homme contracte les mêmes vices qu’eux, et, se laissant dominer par l’improbité, il s’écarte de l’honneur et n’essaye plus de gagner des titres à notre estime. S’il ne se laisse pas corrompre jusqu’à ce point, il ne peut guère empêcher les habitudes de ruse et de dispute qu’il a contractées d’influer, jusqu’à un certain point, sur ses sentiments comme homme d’honneur. En principe général, il est bien rare que ces habitudes ne produisent aucun mauvais effet. Il existe une autre classe de négociants ; ce sont ceux dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et qui, jouissant de la protection d’un homme puissant dont ils cultivent la faveur, obtiennent de lui en retour (de grands avantages). Ceux‑là sont très peu nombreux (et savent maintenir un caractère digne et honorable). Voici comment j’explique ce fait : un négociant se trouve placé tout à coup à la tête d’une grande fortune, qu’il a héritée d’un parent ou gagnée par quel­que voie extraordinaire. Ses richesses le mettent en état de se lier avec des personnages haut placés dans le gouvernement et lui pro­curent une grande réputation parmi ses compatriotes. Dès lors il dédaigne de s’occuper en personne des détails du commerce et se p.357 décharge de tous les soins sur ses agents et domestiques, sachant que, s’ils ont des réclamations à faire, ils trouveront bonne et prompte justice auprès des magistrats, qu’il a habitués à recevoir de lui des services et des présents. Un négociant de cette classe ne contracte pas des habitudes viles, parce qu’il s’abstient des actions qui les pro­duisent ; il a donc un sentiment d’honneur et de dignité bien établi dans son cœur, et à l’abri de toute atteinte. Il est vrai que cet homme, dans son intérieur, peut se laisser entraîner à des actions dégradantes et en subir l’influence : il est obligé de surveiller ses agents, d’ap­prouver ou de blâmer leur conduite dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils s’abstiennent de faire ; mais l’influence de cette habitude est tellement faible qu’on en voit à peine les traces. C’est Dieu qui vous a créés, vous et vos œuvres [104]. (Coran, sour. XXXVII, vers. 94.)*306

Pour apprendre un art quelconque il faut avoir un maître.

L’art est une faculté acquise (par laquelle on agit) sur une chose qui est un objet de travail et de réflexion. Ce qui est un objet de travail est corporel et sensible, et ce qui est corporel et sensible se trans­met (d’une personne à une autre) beaucoup mieux et d’une manière plus complète quand cela se fait directement. C’est donc par la trans­mission directe que ces objets s’obtiennent de la manière la plus avantageuse. Par le terme faculté acquise, nous entendons une qualité inhérente, qui résulte d’un acte répété tant de fois que sa forme est définitivement fixée (dans l’âme). La faculté acquise dépend de la na­ture de son origine. On comprend mieux et d’une façon plus complète ce qui se transmet (à l’esprit) par les yeux que ce qui arrive par la voie des renseignements et de l’instruction. La faculté qu’on acquiert de la première manière est donc plus complète et plus solide que celle dont on aurait fait l’acquisition par la seconde voie. L’habileté de l’individu qui a appris un art et la faculté qu’il possède de bien l’exercer p.358 dépendent des bons enseignements qu’il a reçus et du talent [105] de celui qui l’a instruit. Cela posé, nous dirons que les arts sont, les uns simples, et les autres compliqués. L’objet spécial des arts simples, ce sont les choses indispensables à l’homme ; celui des arts compliqués, ce sont les choses qui contribuent à rendre parfait son bien‑être. On com­mence par enseigner les arts simples, par la raison qu’ils sont simples, et parce que les choses indispensables qu’ils ont pour objet spécial fournissent de nombreux motifs pour les transmettre (par l’enseigne­ment). Comme on commence par apprendre les arts simples, leur en­seignement est d’abord très imparfait ; mais dès lors la réflexion (de l’esprit, humain) ne cesse de faire passer de la puissance à l’acte les di­verses espèces d’arts, tant simples que compliqués. Elle les développe peu à peu, et dans un ordre régulier, jusqu’à ce qu’ils atteignent la perfection. Ils n’y arrivent pas tout d’un coup, mais graduellement, *307 pendant une longue suite de siècles et de générations ; car une chose ne passe pas instantanément de la puissance à l’acte, surtout si elle appartient à la classe des arts. Ce changement ne peut donc s’effec­tuer qu’avec le temps. Voilà pourquoi nous trouvons que, dans les petites villes, les arts sont loin d’être parfaits et appartiennent tous à la classe des arts simples. Si la prospérité d’une ville augmente, la grande demande des objets de luxe pousse à l’exercice des arts (com­posés) et les fait passer de la puissance à l’acte.

Les arts se perfectionnent dans une ville à mesure du progrès de la civilisation et de l’accroissement de la population.

Tant que la civilisation de la vie sédentaire n’est pas complètement établie dans une ville, et tant que cette ville n’a pas acquis le caractère de cité, les habitants songent uniquement à se procurer le nécessaire, c’est‑à‑dire le blé et les autres choses qui servent à l’alimentation. Lorsque cette ville est devenue une véritable cité, et que les produits du travail y abondent au point de dépasser tous les besoins, on emploie le surplus à se procurer ce qui peut compléter le bien‑être.
p.359 Les arts et les sciences sont du domaine spécial de l’homme, parce qu’il se distingue des autres animaux par la faculté réflective ; la nourriture lui est nécessaire en sa qualité d’être animé qui doit manger pour vivre. L’obligation de se nourrir l’emporte sur celle de cultiver les sciences et les arts, parce que les sciences et les arts sont d’une importance secondaire, comparés aux choses qui servent à sou­tenir l’existence. Plus la civilisation s’est développée dans une ville, plus les arts approchent de la perfection, parce qu’on s’y adonne alors avec plus d’ardeur. La qualité des produits que l’on recherche dans la culture des arts dépend des exigences du luxe et de la richesse des habitants. Dans la vie nomade et dans les villes où la civilisation est *308 peu développée, on n’a besoin que des arts les plus simples, de ceux qui s’emploient uniquement pour satisfaire aux nécessités de la popu­lation. Tels sont ceux du menuisier, du forgeron, du tailleur, du bou­cher et du tisserand. Les arts de cette espèce, après s’être introduits chez un peuple, restent dans un état d’imperfection et ne s’améliorent pas. On les pratique parce qu’on ne saurait s’en passer, et on ne les cultive pas pour eux‑mêmes, mais parce qu’ils sont des moyens qu’il faut employer afin d’arriver à d’autres choses.
Ensuite, quand la ville regorge d’habitants et qu’ils recherchent tout ce qui peut contribuer à rendre leur bien‑être plus complet, on s’attache à cultiver les arts et à y porter tant d’améliorations qu’ils arrivent enfin à la perfection. A côté de ces arts, en naissent d’autres dont l’existence est réclamée par les habitudes du luxe qui s’intro­duisent dans la ville, et par les circonstances qui s’y rattachent : le cordonnier, le tanneur, l’ouvrier en soie, le bijoutier, etc. trouvent alors de l’occupation.
Quand la ville est en pleine prospérité, ces métiers ont fait tant de progrès qu’ils [106] fournissent la plupart des objets qui sont néces­saires au bien‑être des habitants, et, par suite des encouragements extraordinaires qu’on leur accorde, ils deviennent des moyens p.360 réguliers de subsistance pour les personnes qui les exercent. Ils rapportent même plus que les autres occupations manuelles. A cela viennent se joindre de nouveaux arts, appelés à se produire par le luxe qui règne dans la ville : on y trouve des parfumeurs, des ouvriers en cuivre, des baigneurs, des cuisiniers, des fabricants de raisiné et de heriça [107], des maîtres qui enseignent le chant, la danse et l’art de battre le tam­bour en mesure. Ajoutons à cela les libraires, dont le travail con­siste à transcrire des livres, à les relier et à les corriger ; car cela est aussi un des arts que le luxe fait naître dans une ville, quand on s’y occupe de choses intellectuelles.
Quand la prospérité de la ville a atteint ses dernières limites, la culture des arts dépasse toutes les bornes. Ainsi nous avons entendu dire qu’au Caire il y a des gens qui apprennent aux oiseaux à parler, qui dressent des ânes à faire des tours, qui opèrent des prestiges à *309 tromper les regards des spectateurs [108], qui enseignent à chanter, à danser et à marcher sur une corde tendue dans les airs, qui soulèvent de gros animaux et de lourdes pierres, sans compter d’autres métiers qui n’existent pas chez nous, en Mauritanie, parce que les villes de ce pays sont bien inférieures en prospérité à celles du vieux et du nouveau Caire. Dieu est le sage, le savant. (Coran, sour. II, vers. 30.)

La stabilité et la durée des arts, dans une ville, dépendent de la stabilité et de l’ancienneté de la civilisation dans cette ville.

La cause de cela est évidente : tous les arts sont des pratiques ha­bituelles aux hommes réunis en société et des teintures diverses (que la société peut recevoir). Or toute habitude s’enracine par la fré­quente répétition et la longue durée (de l’acte qui la produit). La teinture de cette habitude se conserve dans les générations suivantes, et une teinture solide ne s’enlève pas facilement.
Voilà pourquoi nous trouvons dans des villes autrefois florissantes, p.361 et maintenant en pleine décadence, les restes de certains arts qui ne se rencontrent pas dans celles dont la prospérité est de récente date, ni même dans celles dont le nombre des habitants a atteint son maxi­mum. Cela tient au fait que, dans la ville qui avait prospéré autre­fois, tous les usages et toutes les habitudes ont jeté des racines pro­fondes par suite de leur fréquente répétition pendant des siècles, et malgré toutes les vicissitudes par lesquelles cette ville a passé ; mais ces arts sont loin d’avoir atteint la perfection, ainsi que cela se voit encore de nos jours en Espagne.
Nous trouvons dans ce pays les restes de plusieurs arts encore subsistants et bien conservés ; ils se reconnaissent dans tout ce que les habitudes établies dans ces villes ont appelé à l’existence. Citons, comme exemple, la maçonnerie, l’art du cuisinier, le chant, l’art de jouer des instruments à cordes et autres instruments, la danse, l’art de tapisser et de meubler des palais, la belle distribution et la *310 soli­dité des édifices, la fabrication de vases en métal et en argile, les divers ustensiles domestiques, la manière de célébrer les fêtes et les noces, tous les arts enfin que le luxe et ses habitudes font naître. Vous trouverez, parmi les natifs de ce pays, des artisans habiles et intelligents ; vous verrez que la pratique des arts est bien enracinée chez les Espagnols et que leurs connaissances dans cette partie sont assez considérables pour qu’on les distingue des habitants de tous les autres pays. Leurs villes sont cependant bien déchues de leur an­cienne prospérité et n’égalent pas en population certaines villes de la Mauritanie.
Les arts se sont conservés, chez eux [109], parce que la civilisation de la vie sédentaire avait eu le temps de s’y affermir pendant la durée de plusieurs dynasties, celle des Goths, celle des Omeïades, celle des rois des provinces, et celle qui s’y est maintenue jusqu’à nos jours. Cette civilisation était arrivée en Espagne à une limite qu’elle n’avait jamais atteinte en aucun autre pays, à l’exception toutefois de p.362 l’Irac, de la Syrie et de l’Égypte, qui, ayant subi la domination de plusieurs dynasties, dont chacune dura très longtemps, ont conservé un haut degré de civilisation, si ce qu’on nous rapporte à ce sujet est vrai.
Les arts, en Espagne, arrivèrent tous à la perfection, grâce à l’at­tention qu’on avait mise à les améliorer et à les soigner ; aussi ces arts ont‑ils donné à la civilisation espagnole une teinture si persis­tante qu’elle ne disparaîtra qu’avec elle [110]. C’est ainsi que le teint d’une étoffe, quand il a bien pris, subsiste tant que dure cette étoffe.
Tunis ressemble aux villes espagnoles sous ce point de vue ; la ci­vilisation y avait fait de grands progrès sous la dynastie des Sanhadja (Zirides) et ensuite sous celle des Almohades (Hafsides), et les arts de tout genre y avaient atteint un haut degré de perfection. Cette ville était cependant restée, sous ce rapport, dans un état d’infériorité, st on la compare avec les villes espagnoles ; mais la proximité [111] de l’Égypte et le grand nombre de voyageurs qui passent, chaque année, entre ce pays et la Mauritanie, ont eu pour résultat l’introduction d’une foule de pratiques manuelles qui ont servi à augmenter beaucoup le nombre des arts qui existaient déjà dans cette ville. Des Tunisiens demeurent quelquefois au Caire pendant plusieurs années, et, à leur retour, ils en rapportent des habitudes du luxe égyptien et la con­naissance *311 des arts de l’Orient, connaissance qui leur procure une haute considération. De là il résulte que, sous le rapport des arts, Tunis ressemble au Caire. Elle ressemble aussi aux villes espagnoles, parce que la plupart de ses habitants descendent de natifs de l’Es­pagne orientale qui étaient venus s’y réfugier lors de la grande émi­gration qui eut lieu dans le VIIe siècle [112]. Les arts se sont maintenus de cette manière à Tunis, bien que cette ville ne soit pas dans un état de prospérité qui puisse justifier leur existence ; mais, une fois qu’une teinture a bien pris dans une étoffe, elle n’en disparaît presque ja­mais, à moins que cette étoffe ne soit anéantie.
p.363 Nous trouvons aussi à Cairouan, à Maroc et à la Cala d’Ibn Ham­mad [113], un reste des arts qui y avaient fleuri autrefois, et, cependant, ces villes sont aujourd’hui ruinées, ou peu s’en faut. L’homme habitué à observer est le seul qui soit capable d’y reconnaître l’existence de ces arts ; il en découvre des traces qui indiquent ce qu’ils ont dû être, de même qu’en examinant les traces d’une écriture à moitié effacée on parvient à la lire. Dieu est le créateur, le savant [114]. (Coran, sour. XV, vers. 86.)

L’amélioration des arts et leur extension dépendent du nombre des personnes qui en recherchent les produits.

Un homme ne consent jamais à donner gratuitement le fruit de son travail, car c’est là son gain et son moyen de subsistance. Sans le travail, il ne pourrait, de toute sa vie, recueillir aucun avantage ; aussi ne s’occupe‑t‑il que d’ouvrages pour lesquels il peut obtenir une rétribution dans sa ville, et qui lui procurent ainsi un certain bénéfice. Quand (les produits d’un) art sont très recherchés et de bonne défaite [115], cet art est lui-même une marchandise qui se re­cherche et qui a une haute valeur sur le marché [116]. Les habitants de *312 la ville. s’empressent alors d’apprendre un tel art, afin de s’en faire un moyen de subsistance.
Si, au contraire, (les produits) d’un art ne sont pas recherchés et se vendent mal, personne ne sera disposé à l’apprendre ; ceux qui l’exercent y renoncent [117] et le laissent dépérir par leur abstention. Voilà pourquoi (le khalife) Ali disait :  « La valeur d’un homme, c’est ce qu’il sait bien faire ». Par cette parole il donnait à entendre que la valeur d’un homme s’estime d’après l’art qu’il exerce, et qu’elle est le prix du travail qui le fait vivre.
Nous ferons remarquer ici une autre chose qui pourrait échapper p.364 à l’attention du lecteur [118], à savoir que c’est le gouvernement (surtout), qui encourage les arts et qui pousse à leur amélioration : c’est lui qui les fait prospérer et rechercher. Si le gouvernement ne les encourageait pas et laissait ce soin aux habitants de la ville, ce que ceux‑ci pourraient y faire serait peu considérable. Le gouvernement est le grand marché [119] où toute chose se débite et où ce qui est rare se place aussi facilement que ce qui est abondant. Les arts, qui sont de bon débit dans ce marché, sont nécessairement très cultivés. Le peuple re­cherche bien (les produits de) certains arts, mais pas d’une manière complète [120] ; aussi les encouragements qu’il leur donne demeurent sans résultat utile. Dieu fait ce qu’il veut.

La décadence d’une ville entraîne celle des arts qu’on y cultive.

Cela résulte de ce que nous avons déjà énoncé, savoir, que l’amé­lioration des arts dépend de leur nécessité et de l’encouragement qu’on leur donne ; aussi, quand une ville tombe en décadence et touche à la décrépitude, par suite de la ruine de sa prospérité et du décroisse­ment de sa population, le luxe y diminue et les habitants reprennent leur ancien usage de se borner au strict nécessaire. Le nombre des arts, dont l’introduction fut une des conséquences du luxe, diminue p.313 graduellement, car ceux qui les exercent, n’y trouvant plus un moyen de vivre, s’engagent bien vite dans d’autres occupations, ou bien ils meurent et ne laissent pas d’élèves pour les remplacer.
Les arts finissent ainsi par disparaître sans laisser une trace de leur existence, et, avec eux, disparaissent les décorateurs, les orfèvres, les libraires, les copistes de livres et les autres individus qui exercent des arts réclamés par les besoins du luxe. A mesure que la prospérité d’une ville décroît, la pratique des arts y décroît aussi, et quand cette prospérité vient à s’anéantir, les arts n’y existent plus. Dieu est le créateur, le savant.

Les Arabes sont le peuple du monde
qui a le moins de disposition pour les arts.

p.365 La cause de cela est le grand attachement des Arabes pour la vie nomade et leur aversion pour la vie sédentaire et pour les arts et les usages que celle‑ci fait naître. Les peuples étrangers qui habitent l’Orient et les nations de la chrétienté qui occupent le bord (sep­tentrional) de la mer Romaine (la Méditerranée) sont, au contraire, les races qui s’appliquent aux arts avec le plus d’empressement, puisqu’elles sont profondément engagées dans la civilisation de la vie sé­dentaire et n’ont rien qui puisse les disposer à la vie nomade. Cela est tellement vrai que les chameaux, au moyen desquels les Arabes peuvent mener dans les déserts une existence sauvage et se faire à toutes les habitudes de la vie nomade, manquent complètement. chez ces peuples. On n’y trouve même pas de ces lieux qui offrent des pâ­turages propres aux chameaux, et de ces régions sablonneuses qui conviennent le mieux à ces animaux quand ils font leurs petits.
La pratique des arts est en général très limitée dans le pays dont les Arabes sont originaires et dans les contrées dont ils se sont em­parés depuis la promulgation de l’islamisme. C’en est au point qu’ils sont obligés de tirer de l’étranger beaucoup de choses dont ils ont besoin. Voyez, au contraire, combien les arts sont florissants dans les pays habités par les Chinois,. les Indiens, les Turcs et les chré­tiens, et comme les autres peuples en tirent des marchandises et des denrées.
Les Berbers, peuple non arabe qui habite le Maghreb, peuvent être mis sur la même ligne que les Arabes, parce qu’ils se sont habi­tués, *314 depuis des siècles, à la vie nomade ; cela se voit, même au petit nombre de leurs villes ; aussi les arts sont‑ils peu répandus dans le Maghreb, à l’exception, toutefois, du tissage des laines, de l’art du corroyeur et de celui du tanneur. On y a porté ces arts à un haut degré de perfection, parce qu’ils étaient devenus indispensables aussi­tôt que plusieurs tribus berbères eurent pris le parti de s’établir à demeure fixe, et parce que la laine et le cuir sont les produits p.366 les plus abondants de tout pays qui se trouve occupé par un peuple nomade.
Dans l’Orient, les arts eurent le temps de jeter de profondes ra­cines, pendant une longue suite de siècles, sous la domination des Perses, des Nabatéens, des Coptes, des Israélites, des Grecs, des Romains et d’autres anciens peuples. Tous les usages de la vie sé­dentaire, usages dont les arts forment une partie, s’établirent dans ce pays de manière à laisser des traces ineffaçables. Le Yémen, le Bahreïn, Oman et la péninsule arabe ont eu, il est vrai, les Arabes pour maîtres ; mais, comme plusieurs peuples de cette race se suc­cédèrent dans la possession de ces pays et qu’ils s’y maintinrent pen­dant des milliers d’années, ils eurent le temps d’arriver à un haut degré de civilisation, à se former aux usages du luxe et de la vie sédentaire et à fonder les villes qui existent encore dans ce pays. Ces peuples furent les Adites, les Themoudites et les Amalécites, puis les Himyérites, les Tobba et les Dhou [121]. La royauté et la civili­sation sédentaire durèrent si longtemps dans ces pays qu’elles y ont laissé une teinte ineffaçable ; les arts s’y étaient multipliés et leur pratique s’y était établie si solidement que la ruine de la puissance arabe ne leur porta aucune atteinte ; ils s’y sont conservés, toujours renaissants, jusqu’à ce jour, surtout ceux qui sont propres au Yémen, tels que la fabrication de ouéchi (brocart) et d’asb [122], le tissage des toiles et des étoffes de soie, et autres arts qui y ont été portés à la per­fection. Dieu est l’héritier de la terre et de tout ce qu’elle porte. *315

Celui qui possède la faculté d’exercer un certain art [123] parvient très rarement à en acquérir parfaitement une autre.

Un tailleur, par exemple, qui exerce très habilement la faculté de coudre, qui la possède bien et se l’est appropriée intimement, ne pourra pas acquérir ensuite, d’une manière complète, celle d’être menuisier ou maçon. S’il y parvenait, c’est qu’il ne possédait pas p.367 encore complètement la première faculté, et n’en avait pas pris une teinture très solide. En voici la raison : les facultés, étant des attributs de l’âme et des couleurs qu’elle est susceptible de prendre, ne s’y accumulent pas et n’y arrivent pas simultanément. L’âme doit être dans l’état primitif de sa nature pour acquérir facilement une faculté et pour être bien disposée à la recevoir. Ensuite, quand elle prend la couleur de cette faculté, elle sort de son état primitif, et comme la teinte qui vient de lui être communiquée a dû affaiblir chez elle la disposition d’en recevoir une autre, elle n’a plus autant de force qu’auparavant pour acquérir une seconde faculté. Cela est évident, et les faits sont là pour l’attester. Il est bien rare de trouver un homme qui, possédant déjà d’une manière parfaite un art quelconque, se rend ensuite tout à fait maître d’un autre art et les exerce tous les deux également bien. Il en est de même des hommes qui s’occupent de sciences, et dont les facultés acquises sont purement intellectuelles : celui d’entre eux qui s’est rendu parfaitement maître d’une branche de science parvient rarement à devenir habile dans une autre. S’il essaye de l’acquérir complètement, il ne réussira pas, excepté dans certains cas extrêmement rares. La cause de cela se trouve [124] indiquée dans ce que nous venons de dire au sujet de la disposition de l’âme à recevoir des facultés et à prendre la teinte de celle dont elle vient de faire l’acquisition. Au reste, Dieu sait mieux ce qui en est.*316  

Indication des arts du premier rang [125].

Le nombre des arts qui résultent des travaux auxquels l’espèce humaine se livre dans la vie sociale est si considérable qu’on ne peut lui assigner une limite. Il y a cependant certains arts dont les hommes réunis en société ne sauraient se passer, et d’autres qui sont nobles par leur objet ; aussi ferons‑nous une mention spéciale de ces deux classes, sans parler des autres. Comme exemple des arts p.368 absolument nécessaires, nous indiquerons ceux du cultivateur, du maçon, du tailleur, du menuisier et du tisserand, et comme arts nobles par leur objet, nous nommerons celui d’accoucher, ceux de l’écrivain, du libraire, du musicien et du médecin. L’art d’accou­cher est absolument nécessaire à la société ; le besoin en est géné­ral ; car c’est presque toujours à cet art que le nouveau‑né doit la con­servation de la vie et l’achèvement de son existence. Cet art a, de plus, un (noble) objet : les enfants qui vont naître et leurs mères. La mé­decine, branche de la physique, est l’art de conserver la santé de l’homme et de le délivrer des maladies ; il a pour objet le corps hu­main. L’écriture, et l’art du libraire, qui en dépend, servent à fixer et à conserver les souvenirs que l’homme veut garder, à faire parve­nir aux pays lointains les pensées de l’âme, à éterniser dans des vo­lumes les produits de la réflexion et les connaissances scientifiques, et à donner aux idées une existence assurée [126]. La musique est l’art. d’établir un certain rapport entre les sons, afin d’en rendre la beauté sensible à l’oreille. Ces trois derniers arts mettent ceux qui les exer­cent en contact avec les plus grands souverains, et les introduisent dans leur société intime ; ils ont donc un degré de noblesse auquel les autres n’atteignent pas. Ceux‑ci sont d’un rang inférieur et s’exer­cent *317 ordinairement comme des métiers qui font vivre ; mais tout cela varie selon les besoins et les projets (de ceux qui ont de l’ar­gent à dépenser). Dieu est le créateur, le savant.

De l’agriculture.

L’utilité de l’agriculture consiste à faire produire des aliments et des grains, en s’occupant à remuer la terre dans ce but, à l’ense­mencer, à soigner les grains quand ils poussent, à les arroser régu­lièrement et à surveiller leur croissance jusqu’à l’époque de la ma­turité, puis à couper les épis et à faire sortir les grains de leurs enveloppes. Cela exige un travail assidu et l’emploi de tous les moyens p.369 qui peuvent le faire réussir. L’agriculture est le plus ancien de tous les arts, puisqu’il procure la plupart des aliments essentiels à l’exis­tence de l’espèce humaine ; l’homme peut se passer de toutes les autres choses, mais il lui faut absolument de la nourriture.
On voit, d’après ce que nous venons de dire [127], que cet art est spé­cial à la campagne ; (il y est né,) car nous avons déjà dit que la vie de la campagne a précédé celle de la ville. C’est donc [128] une occupa­tion rurale à laquelle le citadin reste étranger, et un art dont il n’a aucune connaissance. Cela tient à ce que la vie des champs a précédé la vie urbaine et tout ce qui s’y rattache, et que les arts propres à ce dernier mode d’existence n’ont paru qu’après ceux qui naissent de la civilisation nomade. Dieu est le créateur, le savant.

De l’art de bâtir.

L’art de bâtir est le premier des arts qui naissent dans la vie sé­dentaire. Il consiste dans la connaissance du genre de travail auquel on doit se livrer quand on veut construire des maisons et des habi­tations qui puissent servir d’abri [129] et de lieux de retraite.
[130]*318 L’homme a inventé cet art par suite d’une disposition innée qui le porte à réfléchir sur son avenir : il pense, nécessairement, aux moyens de se garantir contre les injures du temps, contre la cha­leur et le froid. Il songe à se faire des maisons ayant des murailles et un toit qui le protége de tous les côtés [131] contre les intempéries de l’air.
Cette réflexion innée, laquelle est l’essence de la nature humaine, varie de force chez les hommes des diverses contrées. Ceux qui p.370 habitent les climats tempérés [132], tels que le second et les autres jusqu’au sixième, se construisent des habitations dans lesquelles ils observent plus ou moins un juste milieu ; mais ceux qui demeurent dans le premier climat et dans le septième sont loin d’en faire de même. Cela tient à la position de leurs paye, qui s’écartent tout à fait de la zone tempérée, et à la faiblesse de leur intelligence, qui ne conçoit pas comment on doit faire pour exercer les arts qui sont naturels à l’homme. Aussi n’ont‑ils d’autres lieux de retraite que des grottes et des cavernes ; ils prennent même leurs aliments sans leur faire subir ni apprêt ni cuisson.
Les habitants des climats tempérés, ceux qui construisent des mai­sons pour y trouver un abri, se multiplient beaucoup, et cela fait aug­menter le nombre de leurs maisons. Ils les bâtissent (ordinairement) dans une même plaine, sans se connaître les uns les autres. Craignant alors d’être attaqués chez eux par leurs voisins pendant la nuit, ils voient la nécessité de pourvoir à la sûreté générale en entourant toutes les habitations d’une seule ceinture de murs. Cette réunion de mai­sons forme une ville ou cité, dans laquelle des magistrats veillent au salut public et se servent d’une partie des habitants pour contenir le reste. Le besoin de se mettre à l’abri des attaques de l’ennemi porte quelques individus à construire des places fortes et des cita­delles sur les cimes des montagnes, afin de s’y mettre en sûreté et de s’y enfermer avec leurs subordonnés. Ce sont les rois qui font cela et les personnes de la même catégorie, telles que les émirs et les chefs de tribus.]
Les genres d’édifices diffèrent de ville à ville : dans chaque ville on suit les usages qui y sont propres ; quand on construit des mai­sons on les adapte au caractère du climat, et chaque individu, le riche comme le pauvre, bâtit la sienne conformément à ses moyens. Tel est le cas dans toutes les villes.
*319 Quelques personnes font élever des palais et de vastes p.371 constructions renfermant plusieurs corps de logis et une foule de chambres et de pavillons, afin d’y installer leurs fils, les autres membres de leurs familles, leurs domestiques et leurs subordonnés. Les murs de ces édifices se composent de pierres liées ensemble par un ciment de chaux ; ils sont enduits de plâtre et peints en diverses couleurs, et le tout ensemble est orné et embelli de manière à faire reconnaître l’extrême soin qu’on a mis à se préparer une magnifique demeure. On y dispose aussi des conduits pour les eaux, des souterrains pour emmagasiner les grains et des écuries pour les chevaux, dans le cas où le propriétaire appartient à la classe militaire et a beaucoup de subordonnés et de serviteurs. Tels sont les émirs et autres person­nages de haut rang.
D’autres individus construisent des maisonnettes ou des cabanes pour s’y loger, eux et leurs enfants. Ils ne recherchent pas autre chose, parce que leurs moyens sont très limités et qu’un simple abri, tel que l’exige la constitution de l’homme, leur paraît suffisant. Entre les palais et les cabanes il y a tant de sortes de maisons, qu’il serait impossible d’en faire l’énumération.
L’architecture est indispensable aux rois et aux grands personnages qui entreprennent de fonder des villes et d’élever de grands édifices. Ils ont à faire poser des fondations solides, à élever et à fixer en place de gros blocs de pierre, afin que les bâtiments soient d’une cons­truction aussi parfaite que possible. L’architecture fournit tous. les moyens d’accomplir ces opérations.
Dans les climats tempérés, c’est‑à‑dire dans le quatrième et ceux qui l’avoisinent, l’architecture est pratiquée sur une grande échelle. Dans les climats les plus écartés (de la zone tempérée),. on ne bâ­tit rien et on se contente de cases, dont les parois sont faites avec des roseaux et de l’argile, ou bien on habite dans des grottes et des cavernes.
On remarque de grandes différences entre les individus qui exercent l’architecture : les uns sont habiles et intelligents, les autres peu ca­pables.
p.372 *320 L’art de bâtir se partage en plusieurs branches : l’une consiste à faire des murs avec des pierres de taille [133] [ou des briques], que l’on cimente ensemble au moyen de l’argile ou de la chaux, matières qui, en se consolidant, forment une seule masse avec ces matériaux. Un autre mode de bâtir, c’est de construire des murs avec de l’argile seu­lement. On se sert pour cela de deux planches de bois, dont la lon­gueur et la largeur varient selon les usages locaux ; mais leurs di­mensions sont, en général, de quatre coudées sur deux. On dresse ces planches sur des fondations (déjà préparées), en observant de les espacer entre elles, suivant la largeur que l’architecte a jugé à pro­pos de donner à ces mêmes fondations. Elles tiennent ensemble au moyen de traverses en bois que l’on assujettit avec des cordes ou des liens ; on ferme avec deux autres planches de petite dimen­sion l’espace vide qui reste entre les [extrémités des] deux grandes planches, et l’on y verse un mélange de terre et de chaux que l’on foule ensuite avec des pilons [134] faits exprès pour cet objet. Quand la masse est bien comprimée, et que la terre est suffisamment combi­née avec la chaux, on y ajoute encore de la terre à plusieurs re­prises, jusqu’à ce que le vide soit tout à fait comblé. Les particules de terre et de chaux se trouvent alors si bien mélangées qu’elles ne forment qu’un seul corps. Ensuite on place ces planches sur la partie du mur déjà formée, on y entasse encore de la terre et l’on continue ainsi jusqu’à ce que les masses de terre, rangées en plusieurs ligues superposées, forment un mur dont toutes les parties tiennent en­semble, comme si elles ne faisaient qu’une seule pièce. Ce genre de construction s’appelle tabia (pisé) ; l’ouvrier qui la fait est désigné par le nom de taouwab (piseur).
Une autre branche de l’art de bâtir consiste à revêtir les murs de chaux, que l’on délaye dans de l’eau et qu’on laisse ensuite fermen­ter pendant une ou deux semaines. Elle acquiert alors un tempé­rament convenable, s’étant débarrassée de la qualité ignée qui s’y p.373 *321 trouvait en excès et qui l’aurait empêchée de tenir. Quand l’ouvrier juge qu’elle est bien préparée, il l’applique sur le mur et la frotte jusqu’à ce qu’elle y reste attachée.
La construction des toits forme encore une branche de cet art. On étend, d’un des murs à l’autre, des poutres équarries, ou. bien des mor­ceaux de bois non dégrossis, sur lesquels on pose des planches qu’on assujettit au moyen de chevilles [135]. On verse là‑dessus un mélange de terre et de chaux qu’on bat ou qu’on aplatit avec des pilons, de manière que les particules de ces deux matières soient intimement combinées et forment une surface solide. On recouvre ensuite cette surface d’une couche de chaux, de la même manière que pour le cré­pissage des murs.
L’ornementation et l’embellissement des maisons font encore une branche de l’architecture. Ils consistent à appliquer sur les murs des figures en relief faites avec du plâtre que l’on fait prendre avec de l’eau. On retire le plâtre sous la forme d’une masse solide dans la­quelle il y a encore un reste d’humidité. On façonne cette masse sur un modèle donné, en l’entamant avec des poinçons de fer, et l’on finit par lui donner un beau poli et un aspect agréable. Quelquefois aussi, on revêt les murs de morceaux de marbre ou de tuiles, ou de carreaux de faïence, ou de coquilles et de porcelaines. Les morceaux de chaque espèce s’emploient séparément, ou bien on les combine avec les autres. Ils s’appliquent sur le revêtement de chaux, dans des proportions et d’après des patrons que les gens de l’art ont adoptés. Cela donne au mur l’aspect d’un parterre orné de fleurs.
Une autre branche de l’architecture, c’est la construction de ci­ternes et des bassins pour recevoir des courants d’eau. Mais, avant de commencer, on pose dans les salles (du palais) de grandes cuvettes en marbre travaillées au tour et ayant au centre des orifices par les­quels doit jaillir l’eau qui va se jeter dans le bassin. Cette eau vient du dehors par des tuyaux qui la conduisent dans les salles.
p.374 Il y a encore d’autres branches d’architecture dans le genre de celles‑ci. Les hommes qui y travaillent sont plus ou moins habiles, *322 selon que l’état de la ville est plus ou moins florissant. Quand la ville grandit beaucoup, le nombre de ces artisans augmente dans la même proportion.
Les magistrats ont quelquefois recours à l’avis des architectes quand il s’agit de bâtiments, parce que ceux‑ci s’y entendent mieux que les autres hommes. Dans les grandes villes, la population est si nombreuse et si pressée [136] que chacun tient, comme un avare, à l’em­placement (qu’occupe sa maison) et à la jouissance de l’air (dans toutes les parties de l’habitation), depuis le haut jusqu’en bas ; il ne permet à qui que ce soit de tirer parti [137] de l’extérieur de sa maison, de peur que cela ne nuise à la solidité des murailles. Il empêche ses voisins d’en profiter, à moins qu’ils n’aient le droit de le faire. On a des contestations au sujet du droit de passage, des ruelles, des égouts et des conduits qui laissent écouler les eaux de ménage. Quelque­fois un propriétaire intente un procès à un autre au sujet d’un mur (mitoyen), ou de la hauteur de ce mur ou des créneaux qui le couronnent. ; et cela, sous le prétexte qu’il est trop rapproché de sa propriété. Un tel [138] accuse son voisin d’avoir endommagé sa propre muraille, de sorte qu’elle menace de tomber, et il s’adresse à qui de droit pour le faire condamner à l’abattre, afin de prévenir les mal­heurs qu’elle pourrait causer. Une autre fois il s’agit de partager une maison ou un bâtiment entre deux copropriétaires, de sorte que ni l’un ni l’autre ne puisse y faire des dégradations ou en négliger l’en­tretien. Dans tous les cas de cette nature, personne ne s’y entend excepté les hommes versés dans les détails de l’art de bâtir. Ces ex­perts cherchent des indications dans l’examen des clefs de voûte, des sablières et des endroits où les solives entrent dans les murailles ; ils regardent aux murs pour voir s’ils penchent ou s’ils sont d’aplomb ; ils établissent le partage des habitations, selon la disposition des p.375 *323 pièces et leur destination ; ils donnent aux conduits qui servent à amener ou à faire écouler les eaux la direction nécessaire pour qu’ils ne nuisent pas aux maisons ni aux murailles à côté desquelles ils passent. Ils ont, sur ces divers points et sur plusieurs autres, des connaissances théoriques et pratiques qui leur sont propres.
Ajoutons que, chez les divers peuples, les architectes sont plus ou moins habiles, et que leur talent est toujours en rapport direct avec la puissance de la dynastie sous laquelle ils vivent. Pour que les arts acquièrent toute leur perfection, il faut que la civilisation de la vie sédentaire ait acquis la sienne. Leur multiplication dépend du nombre de ceux qui les encouragent et les recherchent.
Quand l’empire est dans la première période de son existence et conserve encore la rudesse de la vie nomade, on est obligé de faire venir de l’étranger les architectes et ouvriers dont on a besoin. C’est ce qui est arrivé au khalife el-Ouélîd Ibn Abd el‑Melek, quand il se décida à faire construire la mosquée de Médine, celle de Jérusalem et celle de Damas qui porte son nom. Il fit demander au roi des Grecs, à Constantinople [139], des ouvriers habiles dans l’art de bâtir, et ce souverain lui en [140] envoya et le mit ainsi en mesure de mener son projet à bonne fin.
Celui qui exerce cet art est quelquefois obligé de mettre en pra­tique des connaissances qui appartiennent à la géométrie. Cela lui arrive quand il s’agit de donner aux murailles la disposition néces­saire pour qu’elles se soutiennent mutuellement, de diriger les eaux par le moyen des niveaux, et de faire d’autres opérations semblables. Une certaine connaissance des problèmes de la géométrie lui est donc indispensable. Il en a aussi besoin quand il veut transporter de lourdes masses au moyen de machines [141]. Quand on construit de vastes édifices avec des pierres tellement grosses que les ouvriers n’ont pas assez de force [142] pour les élever à l’endroit de la muraille qu’elles p.376 doivent occuper, l’ingénieur a recours à l’adresse, afin de multiplier la puissance de la corde qui doit supporter le poids. Pour y parve­nir, il fait passer cette corde à travers les ouvertures pratiquées dans des poulies [143], et dont le nombre est déterminé par le calcul d’une proportion géométrique. Alors, quand on élève la pierre, on la trouve très légère. [Cet espèce d’instrument [144] s’appelle mîkhal [145].] Au moyen de cet engin, on atteint son but sans se fatiguer ; mais, pour le cons­truire, il faut mettre en application certains principes géométriques dont la connaissance est assez répandue.
Ce fut avec l’aide de ces engins que l’on bâtit les édifices énormes qui se tiennent encore debout et dont on attribue la construction aux peuples qui vécurent dans les temps du paganisme. Le vulgaire de nos jours s’imagine, mais à tort, que la taille de ces peuples était en proportion avec ces vastes monuments ; mais il est certain que, dans l’exécution de ces travaux, les anciens employaient des ma­chines, ainsi que nous l’avons déjà fait observer. C’est là une chose *324 qu’il est bon de savoir. Dieu crée ce qu’il veut.

De l’art du charpentier.

Cet art est un de ceux dont les hommes établis en société ne sau­raient se passer. La matière qui en est l’objet est le bois. Dieu a placé dans les choses sublunaires certaines propriétés utiles, afin que l’homme les emploie pour satisfaire ses besoins, tant ceux de première nécessité que ceux auxquels ses habitudes ont donné nais­sance. Les arbres, par exemple, servent à des usages sans nombre, ainsi que chacun le sait. Quand ils sont desséchés, on en tire du bois, substance de la plus grande utilité. L’homme s’en sert pour alimenter le feu avec lequel il apprête sa nourriture ; il en fait des bâtons pour lui servir d’appui, pour conduire ses troupeaux et pour d’autres usages. Il en fait aussi des poutres pour soutenir des charges très lourdes et les empêcher de tomber. Ajoutons que le bois est d’une grande utilité p.377 dans la vie de la campagne et dans celle de la ville : les peuples no­mades s’en servent pour les montants et les piquets de leurs tentes, pour les palanquins dans lesquels leurs femmes voyagent à dos de chameau, pour les lances, les arcs et les flèches, qui leur servent d’armes offensives. Les habitants des villes emploient le bois pour faire les toits de leurs maisons, les serrures [146] de leurs portes, et des chaises pour s’asseoir. Le bois est la matière dont se composent tous ces objets ; mais ils ne reçoivent leur forme propre que par l’ap­plication de l’art. Le genre d’art qui s’emploie dans ce but et qui donne à chaque objet sa forme spéciale, c’est la charpenterie dans toutes ses branches. Celui qui l’exerce commence par couper les poutres en tronçons ou en planches ; ensuite il assemble ces mor­ceaux de manière à leur donner la forme voulue [147] et, dans toutes *325 ces opérations, il vise à façonner chaque pièce avec une si juste symétrie qu’elle soit propre à devenir une partie de l’objet [148] qu’il se pro­pose de former. Cet artisan, c’est le charpentier, personnage dont les hommes réunis en société ont absolument besoin.
Quand la civilisation de la vie sédentaire prend de grands déve­loppements, que le luxe s’y est introduit et qu’on recherche un cer­tain degré de beauté dans les plafonds, les portes, les sièges, les us­tensiles de ménage, etc. cet art est cultivé avec le plus de soin et reçoit des améliorations extraordinaires, améliorations qui sont tout à fait de luxe et nullement exigées par la nécessité. Telle est l’appli­cation de moulures aux portes et aux sièges. On façonne aussi au tour des morceaux de bois, afin de leur donner une forme élégante et un beau poli ; puis on les assemble en les combinant de certaines fa­çons [149], et on les attache ensemble avec des chevilles. Ils semblent alors ne former qu’un seul morceau. Les figures produites par ces diverses combinaisons diffèrent entre elles, tout en conservant une p.378 ressemblance mutuelle [150]. Les divers objets qui se font avec du bois peuvent se fabriquer ainsi, et ils acquièrent, de cette manière, toute la beauté dont ils sont susceptibles. On améliore de même toutes les espèces d’ustensiles dont le bois forme la matière.
Cet art est encore nécessaire quand il s’agit de construire avec des planches et des chevilles les bâtiments qui sont destinés à naviguer en pleine mer. Ce sont de gros corps formés d’après des principes géométriques et auxquels le poisson a servi de modèle. — Pour les fa­briquer, il faut avoir étudié la manière dont le poisson s’avance dans l’eau, au moyen de ses nageoires et de sa poitrine ; car la forme de cet animal est tout à fait propre à fendre cet élément. Pour rem­placer les instruments de mouvement que le poisson possède natu­rellement, on prend le vent pour moteur et, dans certains navires, tels que les galères, on se sert uniquement de rames [151]. L’art des constructions navales a donc fondamentalement besoin de la géométrie *326 dans toutes ses branches. En effet, quand il s’agit de produire des formes parfaites, en les faisant passer de l’état virtuel à l’état réel, on doit connaître les lois des proportions qui existent entre des quan­tités dans tous les cas, soit généraux, soit particuliers ; or, pour con­naître les rapports mutuels des quantités, il faut avoir recours à la géométrie. Voilà pourquoi les principaux mathématiciens d’entre les Grecs étaient de grands maîtres dans l’art (de la charpenterie). Euclide, l’auteur des Éléments de la géométrie, était charpentier, et on le dési­gnait par ce titre [152]. Apollonius, l’auteur du Traité des sections coniques, s’y était également distingué, ainsi que Ménélaüs [153] et autres.
  On dit que Noé [154] fut le premier qui enseigna cet art aux hommes, p.379 et que ce fut au moyen de ses connaissances en charpenterie qu’il opéra son grand miracle : la construction de l’arche qui sauva un reste de l’espèce humaine lors du déluge. Qu’il ait été le premier charpen­tier, cela est possible, mais nous n’en possédons aucune preuve, vu le long espace de temps qui s’est écoulé depuis cette époque. La tradi­tion qui nous le dit doit être entendue comme indiquant l’antiquité de cet art. Quant aux temps antérieurs à Noé, nous ne possédons au­cun renseignement certain au sujet de l’existence de la charpenterie, et voilà probablement pourquoi on a représenté ce patriarche comme le premier qui l’eût apprise. On voit par là combien il y a de secrets touchant les arts qui sont pratiqués par les hommes. Dieu est le créateur, le. savant.

De l’art du tisserand et de celui du tailleur.

[155] Les hommes qui occupent le juste milieu dans l’état que l’on dé­signe par le terme nature humaine [156] sont obligés de songer aux moyens de se couvrir le corps [157], de même qu’ils doivent songer aux moyens de s’abriter (contre les intempéries des saisons). Ils y parviennent en s’enveloppant d’un tissu qui puisse les garantir contre le chaud et le froid. Or, pour former ce tissu, il faut, de toute nécessité, prendre des matières qu’on a filées et les combiner ensemble de manière à en faire une pièce d’étoffe. Cette opération s’appelle travailler au métier *327 et tisser. S’ils s’adonnent à la vie nomade, ils se contentent d’une pièce d’étoffe unie ; mais, s’ils adoptent la vie sédentaire, ils décou­pent la pièce en morceaux, afin d’en façonner des vêtements qui s’adaptent à la taille et à chaque membre du corps, quelle que soit la diversité de leur position. Ensuite ils unissent ces morceaux en­semble afin d’en faire un vêtement qui aille au corps et dont ils se p.380 revêtent. L’art par l’emploi duquel on effectue cette union est celui du tailleur.]
Les arts [158] du tisserand et du tailleur sont indispensables à toute société civilisée, parce que, sans eux, les hommes [159] n’auraient pas de quoi se couvrir le corps. Le premier de ces arts consiste à tisser des fils de laine ou de coton. On les tend en longueur, pour former la chaîne, et en largeur, pour former la trame, puis on les combine en­semble d’une manière solide. Par ce procédé on fabrique des pièces d’étoffe de la grandeur qu’on veut. Celles qui sont en laine servent de manteaux pour envelopper le corps, et les autres, qui sont en coton ou en lin, s’emploient pour les vêtements (intérieurs).
Le second de ces arts consiste à façonner avec ces étoffes des vête­ments dont les formes varient selon la diversité des tailles et les changements de la mode. On commence par couper l’étoffe avec des ciseaux, afin d’en tirer des morceaux qui puissent s’adapter aux divers membres du corps. Ensuite on attache ces morceaux ensemble, en les ourlant, ou en les cousant, ou en les surjetant, ou en les pi­quant [160], ce qui dépend du système de fabrication employé. Cet art est spécial à la civilisation de la vie sédentaire : les peuples nomades n’en ont pas besoin, parce qu’ils se contentent d’une pièce d’étoffe unie avec laquelle ils puissent s’envelopper le corps. Découper les étoffes, adapter les morceaux les uns aux autres et les coudre en­semble afin d’en faire des vêtements, ce sont des pratiques spéciales à la vie sédentaire.
Quand on a bien compris cela, on conçoit pourquoi le législateur a défendu de porter des vêtements cousus pendant qu’on remplit les cérémonies du pèlerinage. En effet, parmi les prescriptions qui con­cernent ce devoir, il y en a une qui nous oblige de jeter au loin tous les liens qui nous attachaient au monde, et de revenir à Dieu dans le même état où nous étions quand il nous créa. Aussi l’homme p.381 qui va paraître devant le Seigneur, doit détacher son cœur de tous *328 les usages du luxe, s’abstenir de parfums et de femmes, ne porter ni vêtements cousus ni bottes, ne pas faire la chasse ni se livrer à aucune des habitudes dont son âme et son corps ont reçu l’impres­sion dans (la vie du monde) ; il doit absolument éviter toutes ces choses, quand même cette privation lui coûterait la vie. Il est tenu de se montrer humble de cœur et résigné à la volonté de Dieu ; tel enfin qu’il sera quand il comparaîtra devant son créateur au jour du jugement. S’il remplit ces devoirs fidèlement, sa récompense sera d’être délivré de tous ses péchés et de devenir aussi pur qu’il l’était le jour où sa mère le mit au monde. Gloire au Seigneur ! Que de bonté ! que de miséricorde à vouloir mettre ses créatures dans la voie qui les mène jusqu’à lui !
Ces deux arts ont été connus des hommes depuis une époque très reculée, car on ne saurait se passer de vêtements quand on vit dans une société civilisée et dans un climat tempéré. Les peuples qui occupent les pays écartés de la région tempérée et voisins de la zone torride [161] n’ont pas besoin de vêtements pour se tenir chaud ; la plu­part des noirs qui habitent le premier climat vont toujours nus, à ce que nous avons entendu dire.
Comme ces arts sont d’une origine très ancienne, le vulgaire en attribue l’invention à Idrîs (Hénoc), le plus ancien des prophètes, ou bien à Hermès ; mais ce dernier personnage est, dit‑on, le même qu’Idris. Dieu est le créateur, le savant.

De l’art des accouchements.

L’art d’accoucher est la manière de retirer l’enfant [162] du ventre de sa mère, en le faisant sortir doucement de la matrice, après avoir préparé tout ce qui peut faciliter cette opération, et puis en lui donnant les soins dont nous parlerons plus loin. Il est exercé par p.382 des femmes, dans presque tous les cas, parce que la loi leur per­met de regarder aux parties naturelles des personnes de leur sexe. La femme qui fait cette opération s’appelle la cabela (receveuse) *329 terme employé métaphoriquement pour indiquer qu’elle reçoit l’en­fant et que la mère le lui donne. Voici comment cela se pratique : quand l’enfant est complètement formé dans la matrice, après avoir passé par toutes les périodes de sa première croissance, et que s’est écoulé le temps pendant lequel il devait rester dans ce réceptacle, temps qui est ordinairement de neuf mois, il essaye d’en sortir, par suite d’une impulsion que Dieu lui a communiquée. Comme l’orifice est étroit, l’enfant se débat, et, pendant ses efforts, il déchire les pa­rois du vagin, ou bien il détache de la matrice les téguments dont il est enveloppé. Tous ces accidents causent à la mère de vives dou­leurs et s’appellent le travail. Pendant ce temps, l’accoucheuse aide, en quelque sorte, à ces efforts en palpant le dos de la mère, les par­ties charnues du derrière et celles qui sont situées vis‑à‑vis et en bas de la matrice. De cette manière elle seconde les efforts que la mère fait pour pousser l’enfant au dehors et tâche, autant qu’il dépend d’elle, d’employer tous les moyens afin de faciliter cette opération, dont l’expérience lui a appris la grande difficulté. Quand l’enfant est sorti, il reste toujours attaché à la matrice par le lien qui aboutit à son nombril et qui fait passer la nourriture dans ses intestins. Ce lien est un appendice provisoire qui sert uniquement à fournir la nourriture à l’enfant. L’accoucheuse le coupe de manière à n’en lais­ser rien de superflu [163], et à ne nuire ni aux intestins du nouveau‑né ni à la matrice de la mère ; puis elle ferme la blessure par l’emploi du cautère ou de tel autre moyen qu’elle juge convenable. Comme les os de l’enfant sont encore mous et flexibles, à cause de leur récente formation et du peu de consistance de la matière qui les compose, et comme l’enfant pourrait se déformer ou disloquer ses membres en sortant de ce passage étroit, la sage‑femme se met à le p.383 *330 masser et à redresser ses membres jusqu’à ce qu’ils reprennent leur forme naturelle et la position que Dieu leur a assignée. Ensuite elle retourne à la mère et tâche, en la palpant légèrement, de lui retirer du corps les téguments qui enveloppaient l’enfant et qui tardent quelquefois à sortir. Il faut éviter que les muscles constricteurs ne re­prennent leurs fonctions avant que le corps soit débarrassé de ces té­guments, devenus maintenant inutiles ; si on les y laissait, ils tombe­raient en pourriture et communiqueraient au corps une infection qui amènerait la mort. L’accoucheuse travaille pour empêcher cela, en aidant aux efforts que la mère fait pour les expulser ; puis elle re­prend l’enfant et frotte son corps avec de l’huile et des poudres as­tringentes afin de le fortifier et d’enlever l’humidité que la matrice lui avait laissée. Elle frotte aussi le palais de l’enfant afin de faire remonter la luette ; elle lui met dans les narines un sternutatoire afin de dégager le cerveau, et le gargarise avec un looch afin de chasser les matières qui obstruent les intestins et de dilater ceux‑ci pour en empêcher les parois de se coller ensemble. Après cela, elle donne ses soins à l’accouchée afin de remédier à la faiblesse que l’accouchement lui avait fait éprouver et aux douleurs que l’expulsion de l’enfant avait causées à la matrice. Bien que l’enfant ne soit pas un membre naturel du corps de la mère, il y est si étroitement attaché qu’on peut le regarder comme tel ; aussi les souffrances de la mère, pen­dant l’accouchement, sont comme celles qu’on éprouve lors de l’am­putation d’un membre. La sage‑femme s’occupe aussi à guérir les écorchures du vagin produites par les efforts de l’enfant pendant qu’il tâche d’y passer : ce sont là des accidents que les accoucheuses traitent mieux que personne. Elles savent aussi traiter les maladies qui se déclarent chez les enfants pendant la période de l’allaitement, et elles s’y entendent mieux que le médecin le plus habile. Car, à *331 cette époque, le corps de l’enfant n’est qu’un corps en puissance et ne devient corps en acte qu’après le sevrage. C’est alors seulement que les soins d’un médecin deviennent nécessaires.
On voit que, dans la société humaine, cet art est indispensable : p.384 sans cet art, les individus dont elle se compose n’obtiendraient pas la plénitude de leur être, à l’exception, toutefois, de quelques per­sonnes que Dieu a créées avec une existence parfaite, soit en opé­rant un miracle, soit par une grâce tout à fait extraordinaire, comme cela a eu lieu pour les prophètes ; ou bien Dieu leur donne un instinct directeur au moyen duquel ils perfectionnent leur existence sans le secours de cet art. Des miracles de cette espèce sont fréquem­ment arrivés. Tel fut celui de la naissance du Prophète, qui vint au monde circoncis et avec le cordon ombilical coupé ; il y entra en ap­puyant ses mains sur la terre et en levant sa figure vers le ciel. Tel fut aussi celui de Jésus (qui parla étant encore un enfant) au berceau.
Quant à l’instinct, on ne saurait le nier. Puisque les êtres ani­més, tels que les abeilles, ont des instincts très remarquables, les hommes, êtres d’une classe bien supérieure, doivent en avoir, à plus forte raison ; surtout les individus que Dieu a voulu favo­riser. L’impulsion qui porte tous les nouveau‑nés vers le sein ma­ternel montre clairement que l’espèce humaine a des instincts ; d’ailleurs, qui saurait comprendre toute l’étendue de la provi­dence divine ?
Cela nous fait apercevoir la fausseté d’une opinion énoncée par El-Farabi et par les philosophes espagnols, quand ils essayaient de prouver que l’extinction des espèces ne peut pas avoir lieu et qu’il est impossible que les êtres sublunaires, et surtout l’espèce humaine, puissent cesser d’exister. « Si, disent‑ils, tous les individus qui com­posent cette espèce venaient à périr (à l’exception des femmes en­ceintes), la permanence de cette espèce serait impossible, parce *332 qu’elle dépend d’un art (celui des sages‑femmes) sans lequel l’homme n’arriverait pas à une existence complète. Et supposons que l’enfant se puisse passer des services rendus par cet art et vive jusqu’à l’é­poque du sevrage, il sera dans l’impossibilité de se maintenir en vie. Sans la réflexion, point d’arts, car ils en sont les produits et les conséquences. » Avicenne a entrepris de réfuter cette opinion ; elle lui répugnait parce qu’il admettait comme possible l’extinction des espèces p.385 et même la ruine totale du monde sublunaire, et parce qu’il tenait à la doctrine du renouvellement du monde sous l’influence des corps cé­lestes et de certaines configurations [164] extraordinaires, qui, dit-il, se pré­sentent à quelques rares époques dans la suite des siècles. Selon lui, ces influences peuvent amener, par le moyen d’une chaleur convenable, la fermentation d’une masse d’argile, dont le tempérament correspond à celui de l’homme, et la convertir en un être humain. Alors une femelle de l’espèce des animaux pourra être destinée à élever cet enfant, parce qu’elle aura été créée avec un instinct qui la portera à le nourrir et à veiller sur lui avec une affection maternelle jusqu’à l’époque du sevrage et de l’existence complète.
Ce philosophe s’étend longuement sur cette théorie, qu’il développe dans le traité intitulé Haï Ibn Yacdhan [165]. Nous regardons cet argu­ment comme dépourvu de valeur, bien que nous soyons d’accord avec lui sur la possibilité de l’extinction des espèces ; il est vrai que notre opinion sur ce dernier point ne repose pas sur les mêmes preuves que les siennes. Celle qu’il met le plus en avant est fondée sur le principe que les actions (de l’homme) résultent d’une cause nécessitante ; mais on peut lui opposer la doctrine (orthodoxe) de l’agent libre [166], doctrine d’après laquelle il n’y aucun intermédiaire entre les actions de l’homme et la puissance éternelle [167]. Avicenne n’avait donc pas besoin de se donner tant de peine (pour traiter ce sujet).
Quand même nous serions porté, par le simple plaisir d’argu­menter, à admettre la théorie (d’Avicenne), nous verrions qu’elle se réduit, en somme, à ceci : l’existence de l’individu avait été assurée par la création d’un instinct dans un certain animal qui se trouvait p.386 alors porté à l’élever. Mais quelle nécessité y avait‑il de faire cela : Si l’on admet la création d’un instinct dans un animal d’une classe inférieure, pourquoi ne pas admettre la création de cet instinct dans l’enfant lui-même ? Qu’il y ait des instincts chez les enfants, c’est une vérité que nous avons signalée ci-dessus. La création d’un instinct dans un individu (de l’espèce humaine), pour le porter à agir en vue de son *333 propre avantage, est beaucoup plus probable que celle d’un instinct dans un animal, afin que celui-ci agisse pour l’avantage d’autrui.
Au reste, les deux systèmes (celui d’El‑Farabi et celui d’Avicenne) se réfutent mutuellement par la différence de leurs tendances, ainsi que nous venons de l’indiquer. Dieu est le créateur, le savant.

De l’art de la médecine. — Il est nécessaire aux peuples sédentaires et aux habitants des villes, mais il est inutile aux peuples nomades.

Cet art est absolument nécessaire dans toutes les villes, à cause de son utilité bien reconnue. Il conserve la santé à ceux qui se portent bien et débarrasse les malades de leurs infirmités, en les soumettant à un traitement [168] qui leur rend la santé. Toutes les maladies pro­viennent des aliments ; selon la tradition qui résume toute la doctrine médicale [tradition citée par les hommes de l’art, mais rejetée par les ulémâ], le Prophète aurait dit : « L’estomac est le siège des ma­ladies ; la himya (diète) est le meilleur des remèdes, et la berda (la ré­plétion) est la cause de toutes les maladies ». L’estomac est le siège des maladies est une proposition dont la vérité est évidente ; le mot himya signifie la faim, c’est‑à‑dire la privation de nourriture, et indique ici que la faim est le grand remède, la base de tous les autres. Le terme berda désigne l’acte d’introduire des aliments dans l’estomac avant que ceux déjà pris soient digérés.
Pour bien comprendre ce que nous venons d’exposer, il faut savoir que Dieu, en créant l’homme, l’a soumis à la nécessité de prendre des aliments pour se maintenir en vie. La puissance digestive et la p.387 puissance nutritive agissent sur ces aliments et les convertissent en sang, liquide qui convient parfaitement à la formation des chairs et *334 des os, dont se compose le corps. C’est la puissance alimentaire qui, en s’emparant du sang, le convertit en chair et en os. On entend par le mot digestion la cuisson éprouvée par les aliments qui sont soumis à la chaleur naturelle du corps, ce qui se fait par plusieurs opé­rations, jusqu’à ce qu’ils deviennent effectivement une partie [169] du corps.
Expliquons ce que nous venons de dire : les aliments, étant in­troduits dans la bouche et comprimés par les parois de cet organe, reçoivent, de la chaleur qui s’y trouve, un léger degré de cuisson qui opère un certain changement dans leur tempérament, ainsi que l’on peut s’en assurer à l’inspection d’une bouchée de l’aliment qu’on est en train de prendre. Quand on a bien mâché cette bouchée, on verra en­suite, qu’elle a un tempérament tout autre que celui de l’aliment dont elle avait fait partie. Les aliments, arrivés dans l’estomac, subissent une cuisson opérée par la chaleur qui s’y trouve, jusqu’à ce qu’ils se convertissent en chyle, liquide qui est la partie la plus pure de la matière qui vient d’être cuite dans cet organe. Le chyle passe de l’estomac dans le foie, et les parties lourdes qu’il a déposées au fond de l’estomac s’en vont par les deux orifices naturels. La chaleur du foie donne au chyle une cuisson qui le convertit en sang frais [170], en y faisant surnager une écume qui s’appelle la bile, et en déposant des parties de nature sèche qui forment l’atrabile. Le sang renferme aussi des parties grossières qui résistent, jusqu’à un certain point, à la chaleur naturelle du corps et que l’on désigne par le nom de flegme. (Quand il est épuré de cette manière,) il est envoyé par le foie dans les veines et les artères, où il subit encore une cuisson produite par la chaleur na­turelle, puis il donne naissance à une vapeur chaude et humide qui sert à entretenir les esprits animaux. La force alimentaire a produit alors tout son effet sur le sang, dont elle a converti (la partie déliée) p.388 en chair et la partie grossière [171] en os. Le corps se débarrasse ensuite des matières superflues, n’en ayant plus besoin ; telles sont la sueur, la salive, les mucosités et les larmes. Voilà comment se fait la nu­trition et comment elle passe de la puissance à l’acte pour former de la chair.
*335 Nous dirons maintenant que les maladies les plus graves, celles qui amènent toutes les autres, ce sont les fièvres. Elles ont pour cause l’impuissance où se trouve la chaleur des organes d’opérer, d’une manière complète, les diverses coctions que la matière des aliments doit subir dans le corps, et de là résulte qu’une partie de cette matière y reste dans un état de crudité. Cette impuissance provient ordinairement de la présence dans l’estomac d’une si grande quantité d’aliments que la chaleur de cet organe ne suffit pas pour en effectuer la coction ; ou bien, elle a pour cause l’introduction d’aliments dans l’estomac avant qu’il ait digéré complètement ceux qui y étaient déjà. La chaleur de ce viscère s’attache alors aux aliments pris en dernier lieu et laisse les autres dans l’état on ils étaient ; ou bien, elle partage ses forces entre les deux, et se met ainsi dans l’impuissance d’en opérer la coction complète. La chaleur du foie, auquel l’estomac en­voie (le chyle provenant de) ces aliments, est aussi trop faible pour en opérer la coction, de sorte qu’il en renferme une portion tout aussi crue qu’au moment où elle y était entrée. Le foie envoie dans les veines tous ces fluides mal cuits et tels qu’ils l’étaient. Le corps, ayant obtenu la quantité (de chyle) dont il a besoin, se débarrasse de ces crudités autant qu’il le peut, de même qu’il rejette au dehors les autres humeurs superflues, telles que la sueur, la salive et les larmes ; mais, si elles sont trop abondantes, elles restent dans les veines, dans le foie et dans l’estomac, et augmentent en quantité de jour en jour. Or tous les mélanges dont le tempérament est humide se corrompent, s’ils n’ont pas subi une coction parfaite, et cela arrive effectivement aux crudités dont nous parlons et qui s’appellent les p.389 humeurs. Dans toutes les matières qui tombent en décomposition, il y a une chaleur adventice qui, si elle se trouve dans le corps de l’homme, s’appelle fièvre. Voyez ce qui arrive aux aliments quand on leur donne le temps de se corrompre ; voyez  comment le fumier en dé­composition émet une chaleur sensible. Voilà précisément ce que sont les fièvres dans le corps humain, et voila pourquoi il faut les regarder comme les principes et les causes de toutes les autres maladies, ainsi que nous le trouvons énoncé dans la tradition déjà citée.
*336 Pour guérir les fièvres, il faut soumettre le malade à la diète pendant un certain nombre de semaines ; puis on lui donne une nourri­ture convenable, jusqu’à ce qu’il soit parfaitement rétabli. Il y a en­core des traitements que l’homme bien portant doit suivre, afin de se garantir contre ce genre de maladie et contre toutes les autres. Si la corruption se met dans un des organes du corps, cela amène une maladie dans cet organe, ou bien elle fait naître des plaies sur les membres principaux du corps ou sur les membres d’une importance secondaire. Quelquefois la maladie qui se déclare dans un membre amène une autre maladie qui affecte les forces de ce membre. Voilà, en somme, à quoi se réduisent toutes les maladies, et elles pro­viennent presque toujours des aliments. Tout cela est du ressort de la médecine.
Les maladies sont très nombreuses chez les peuples sédentaires et les habitants des villes, à cause de l’abondance dans laquelle ils vivent et de la variété des choses qu’ils mangent. Ils se bornent rarement à une seule espèce d’aliments ; ils en mangent de toutes sans précaution [172], et, dans les procédés culinaires, ils mêlent ensemble divers mets, en y ajoutant des condiments, des légumes et des fruits, combinant ainsi des aliments dont les uns sont de nature sèche et les autres de nature humide. Ils ne se contentent pas d’un seul plat ni même de plusieurs : j’ai compté, dans la liste d’un des services d’un repas, quarante espèces de légumes et de viandes : Tous ces mets p.390 (introduits dans l’estomac) forment un mélange extraordinaire qui, le plus souvent, ne convient ni au corps ni aux parties dont il se compose.
Ajoutons que, dans les villes, l’air est vicié par un mélange d’exha­laisons putrides provenant de la grande quantité d’immondices. L’air (quand il est pur) excite l’activité des esprits (animaux) et fortifie ainsi l’influence que la chaleur des organes exerce sur la faculté di­gestive [173]. De plus, les habitants des villes ne prennent point (assez) d’exercice ; ils sont ordinairement très casaniers et aiment le repos. Le (peu d’) exercice (qu’ils prennent) ne produit sur eux aucun effet *337 et n’a pour eux [174] aucun résultat utile ; aussi les maladies sont‑elles très communes dans les villes, et, plus elles sont fréquentes, plus on a besoin de médecins.
Les gens de la campagne (c’est‑à‑dire du désert) mangent ordinai­rement très peu, et, comme ils n’ont pas beaucoup de blé, ils souffrent si souvent des atteintes de la faim que cela leur devient un état habi­tuel [175]. Leur persistance à endurer la faim est telle qu’on serait tenté de la regarder comme une disposition qui leur est innée. Les assai­sonnements sont très rares chez eux ou y manquent tout à fait. Le luxe, dont les exigences font naître l’art de préparer les aliments avec des condiments et des fruits, leur est totalement inconnu. Leurs ali­ments, qu’ils prennent toujours sans mélange, sont d’une nature qui se rapproche [176] beaucoup de celle du corps et qui lui convient très bien. L’air qu’ils respirent renferme très peu de particules viciées, parce que dans leurs pays les matières humides et corruptibles sont peu abondantes, tant qu’ils vivent sous leurs tentes ; pendant qu’ils sont en route, ils changent constamment d’air. L’exercice du corps ne leur manque pas, car ils sont toujours en mouvement, ils montent à cheval, ils vont à la chasse, ils cherchent les choses dont ils ont besoin et ils travaillent pour se procurer le nécessaire. Tout cela leur rend la digestion bonne et facile. Au reste, ils ne se surchargent p.391 pas l’estomac ; aussi jouissent‑ils d’une excellente constitution, ce qui les rend peu susceptibles de maladies. Cela fait qu’ils ont très ­rarement besoin des secours de la médecine. On ne trouve jamais des médecins dans le désert, car on s’en passe très bien ; s’ils y étaient nécessaires, ils iraient s’y établir, afin de gagner leur vie. Telle est la voie que Dieu suit à l’égard de ses créatures, et tu ne trou­veras aucun changement dans la voie de Dieu. *337

L’art d’écrire est un de ceux qui appartiennent à l’espèce humaine [177].

L’écriture consiste en certains traits et caractères formant des lettres qui servent à représenter des mots perçus par l’oreille, mots, qui, eux‑mêmes, représentent des idées conçues dans l’esprit. Elle tient donc, comme signe d’idées, le second rang, après le langage. C’est un art très noble, puisqu’il fait partie des choses qui sont propres à l’homme et qui le distinguent de tous les autres animaux. D’ailleurs, c’est un moyen (pour l’homme) de faire connaître ses pensées et de transmettre, à de grandes distances, l’expression de ses volontés, sans qu’il soit obligé de s’y rendre en personne pour les énoncer. C’est par son moyen qu’on prend connaissance des sciences, des no­tions utiles, des livres que les anciens nous ont laissés et de ce qu’ils ont écrit au sujet de leurs sciences et de leur histoire. Tous ces divers titres et tous ces avantages assurent à l’écriture un haut rang parmi les sciences les plus nobles.
La faculté d’écrire est naturelle à l’homme ; mais elle ne passe de la puissance à l’acte qu’au moyen de l’enseignement. L’écriture par­vient, dans les villes, à un degré de beauté plus ou moins grand, en proportion des progrès que les hommes ont faits dans la vie sociale et dans la civilisation, et de leur empressement à s’avancer vers les divers genres de perfection. L’écriture, en effet, fait partie des arts, et nous avons dit précédemment que c’est là la condition de tous les p.392 arts, et qu’ils suivent le progrès de la civilisation ; aussi voyons‑nous que la plupart des nomades ne savent ni lire ni écrire, et que, si quelques‑uns d’entre eux possèdent ces talents, leur écriture est gros­sière et leur lecture très défectueuse.
Dans les grandes capitales, où la civilisation est portée au plus haut point, l’enseignement de l’écriture est meilleur, plus facile et plus méthodique, parce que la pratique de cet art y est solidement établie [178]. On nous raconte que, de nos jours, il y a en Égypte des maîtres institués exprès pour enseigner à écrire, qui donnent à l’élève certains principes et certaines règles pour la formation de chaque *339 lettre, et qui l’exercent ensuite à la pratique de l’enseignement. Ce moyen, en fortifiant le talent de l’élève et en le rendant capable de bien enseigner, lui assure, d’une manière complète, la faculté de bien écrire. C’est un effet de la perfection à laquelle les arts sont parvenus et de l’extension qu’ils ont prise à la suite du progrès de la civilisation et de la grandeur de l’empire.
[Ce n’est pas ainsi qu’on montre à écrire en Espagne et dans le Maghreb [179] : on n’y apprend pas à former chaque lettre séparément d’après certains principes que le maître enseigne à l’élève ; c’est seu­lement en imitant des mots tout entiers (qui servent de modèles) qu’on apprend à écrire. L’élève tâche d’imiter la forme de ces mots sous l’inspection du maître, et travaille jusqu’à ce qu’il parvienne à bien faire et que ses doigts aient acquis l’habitude de l’art. On dit alors qu’il sait bien écrire.]
L’écriture arabe était parvenue à un haut degré de régularité et de correction sous l’empire des Tobba, à cause du grand progrès que le luxe et la civilisation de la vie sédentaire avaient fait chez eux. C’est cette écriture qu’on nomme l’écriture himyérite. Elle passa des Tobba au peuple de Hîra [180], parce que ce royaume était entre les mains des p.393 Mondérides, famille alliée aux Tobba par le sang et par l’esprit de corps, et qui avait fondé un nouvel empire arabe dans l’Irac. Cepen­dant l’art d’écrire resta bien au-dessous de ce qu’il avait été sous les Tobba, parce qu’il y avait une grande différence entre les deux royaumes ; en effet, dans celui des Mondérides, la vie sédentaire et tout ce qu’elle introduit, les arts, par exemple, étaient à un degré fort inférieur, par comparaison avec l’empire des Tobba. Ce fut, dit‑on, de Hîra que les habitants de Taïf [181] et la famille de Coreïch reçurent la connaissance de l’écriture. On rapporte que le premier qui apprit l’écriture, venue de Hîra, fut Sofyan, fils d’Omeïa ; d’autres disent Harb, fils d’Omeïa [182] ; elle leur fut communiquée par Aslem, fils de Sidra [183]. Ce qu’on dit là est très possible et a plus de vraisemblance que l’opinion des personnes qui soutiennent que les habitants de Taïf et les Coreïchides ont reçu des Iyadites de l’Irac la connaissance de l’écriture, en se fondant sur ce qu’un de leurs poètes a dit dans ce vers :
Cette famille à qui appartiennent, quand elle marche réunie, les plaines de l’Irac, (et qui possède) l’écriture et le (maniement du) calam.
*340 Cette opinion est dépourvue de vraisemblance ; car, bien que la postérité d’Iyad se fût établie dans l’Irac, elle conserva toutes les ha­bitudes de la vie nomade, et l’écriture fait partie des arts qui ap­partiennent à la vie sédentaire. Le poète a seulement voulu dire que les descendants d’Iyad étaient moins éloignés que les autres p.394 Arabes de faire usage de l’écriture et du calam [184], parce qu’ils ha­bitaient dans le voisinage des grandes villes et dans leurs banlieues. L’opinion la plus vraisemblable de toutes, c’est que les habitants du Hidjaz ont reçu de Hîra la connaissance de l’écriture, et que ceux de Hîra l’avaient reçue des Tobba et des Himyérites.
[J’ai lu [185] dans le Tekmila d’Ibn el Abbar [186], à l’article biographique d’Abd Allah Ibn Ferroukh el‑Cairouani el‑Farisi (le Cairouanite, le Persan) un passage que je vais rapporter. Ce personnage, qui était natif d’Espagne et un des disciples de l’imam Malek, déclare tenir le récit suivant d’Abd er‑Rahman Ibn Zîad Ibn Anam, qui assure l’avoir en­tendu de la bouche de son père (Zîad [187]) : « Je dis (c’est Zîad qui parle) p.395 à Abd Allah Ibn Abbas (cousin de Mohammed) : Vous autres, Coreïchides, parlez‑moi de cette écriture arabe (dont vous faites usage). Quand vous vous en serviez avant que Dieu envoyât le prophète Mohammed, étiez‑vous dans l’usage d’unir les lettres qui s’unissent (maintenant) et de séparer celles qui se séparent ; comme, par exemple, l’élif, le lam, le mîm et le noun [188] ? Il me répondit : Oui. Je lui dis : Et de qui avez‑vous reçu cette écriture ? De Harb, fils d’Omeïa, me répondit‑il. Et de qui, ajoutai-je, Harb la tenait‑il ? Il me ré­pondit : D’Abd Allah, fils de Djodaan [189]. Je repris : Et cet Abd Allah, de qui l’avait‑il reçue ? Des habitants d’El‑Anbar, me dit‑il. Je lui demandai alors d’où la tenaient les habitants d’El‑Anbar : Il me dit qu’ils la tenaient d’un étranger qui était arrivé chez eux. Et cet étranger, repris-je encore, de qui la tenait‑il ? Il me répondit : De Kholdjan, fils d’El‑Cacem, qui écrivait [190] les révélations sous la dictée du prophète Houd (Heber) et qui est l’auteur de ces vers : *341
Est‑ce que, chaque année, vous nous imposerez de nouvelles lois et vous substituerez [191] sans réflexion une opinion à une autre ?
Certes, la mort est préférable à la vie, s’il nous faut supporter les injures dont nous accablent, comme tant d’autres, Djorhem et Himyer.
Ici finit le passage extrait du Tecmila d’Ibn el‑Abbar.
A la fin de la tradition, il (Ibn el‑Abbar) ajoute : « Je la [192] tiens d’un écrit d’Abou Bekr Ibn Abi Hamîra [193], à qui elle avait été commu­niquée par Abou Bekr Ibn el‑Aci, qui l’avait apprise d’Abou Ouelîd el‑Ouakchi, qui l’avait entendue de la bouche d’Abou Omar p.396 et‑Talamenki, qui l’avait prise dans un écrit [194] d’Abou Abd Allah Ibn Mofrah. Celui-ci la tenait d’Abou Saîd Ibn Younos, qui l’avait reçue de Mo­hammed Ibn Mouça Ibn en‑Noman, qui l’avait entendue de la bouche de Yahya Ibn Mohammed Ibn Hachîch, qui l’avait reçue d’Omar [195] Ibn Aïyoub el‑Moaferi [196], le Tunisien, à qui elle avait été communiquée par Behloul Ibn Obeïda en‑Nadjimi [197], qui l’avait apprise d’Abd Allah Ibn Ferroukh ».]
Il y avait chez les Himyérites une sorte d’écriture nommée mosnad, dont les lettres étaient isolées : ils ne voulaient point qu’on apprît [198] cette écriture sans leur autorisation. C’est des Himyérites que les Arabes descendus de Moder ont appris l’écriture arabe ; mais ils s’y montrèrent peu habiles, ainsi que cela arrive pour tout art qui s’in­troduit chez un peuple nomade ; jamais il ne parvient à un système régulier ; il ne tend point à la perfection ni à l’élégance, à cause de l’incompatibilité qui existe entre la vie nomade et la pratique des arts, et parce que, le plus communément, les nomades n’en éprou­vent pas le besoin. L’écriture arabe resta donc chez eux une écri­ture de peuple nomade, précisément ou à peu de chose près [199] telle qu’elle y est encore de nos jours ; à moins qu’on ne dise qu’elle pré­sente aujourd’hui plus d’art, parce que les Arabes de ce siècle appro­chent davantage de la vie sédentaire, et ont plus de communications avec les grandes capitales et les États régulièrement organisés.
Quant aux Arabes de Moder, ils étaient plus attachés à la vie no­made et plus éloignés de la vie sédentaire que les habitants du Yé­men, *342 de l’Irac, de la Syrie et de l’Égypte. Au commencement de l’isla­misme, l’écriture n’était pas parvenue chez eux à un haut degré de netteté, de régularité et de perfection ; elle n’avait pas même p.397 atteint, à cet égard, la simple médiocrité, à raison de leur condition nomade, de leur état sauvage et de leur éloignement de la culture des arts. Voyez ce qui est arrivé, par suite de cet état de choses, dans les exemplaires du Coran écrits par quelques‑uns des Compagnons de Mohammed qui ne possédaient pas une orthographe [200] bien régulière. Sur plusieurs points, en effet, leur écriture n’était point conforme aux règles suivies par les hommes qui connaissent bien l’art de l’écri­ture. La génération suivante, je veux dire les Tabis, adopta l’ortho­graphe des Compagnons du Prophète et se fit un mérite de ne point s’écarter des formes adoptées par ceux qui, après Mohammed, étaient les plus excellents des hommes et qui avaient reçu de lui les révé­lations célestes, soit par écrit, soit de vive voix. En agissant ainsi, ils firent comme des personnes de nos jours qui imitent l’écriture d’un personnage illustre par sa piété ou par sa science, dans la conviction que cela porte bonheur, et qui se modèlent sur les formes qu’il a adoptées, sans se soucier si elles sont bonnes ou mauvaises. A com­bien plus forte raison cela devait‑il avoir lieu à l’égard des Com­pagnons et de ce qu’ils avaient écrit de leur main ? Cela a donc été imité, cela est devenu une orthographe fixe et convenue (en ce qui regarde le Coran), et les savants ont eu soin d’indiquer les passages du livre sacré (où ces irrégularités se rencontrent).
Gardez‑vous bien de prêter l’oreille à ce que disent quelques hommes irréfléchis quand ils prétendent que les Compagnons sa­vaient très bien les règles de l’écriture ; que dans les passages où leur orthographe semble s’éloigner des règles [201], ce ne sont pas (autant d’er­reurs), comme on pourrait se l’imaginer, et que chacune de ces ir­régularités a sa raison. Par exemple, là où se trouve un élif de trop dans le mot ﻪﻨﺣﺒﺫﺍﻻ [202], ils disent que c’est pour indiquer que p.398 l’immolation (de la huppe) ne s’effectua pas ; de même, dans le passage on se trouve le mot ﺪﻳﻳﺎﺒ [203] avec un ya de trop [204], ils disent que c’est pour indiquer la perfection de la puissance divine, et ainsi du reste. Ce sont là des assertions gratuites et dénuées de tout fondement. Ils ont eu recours à de pareilles subtilités dans la pensée que, par ce moyen, ils écarteraient des Compagnons tout soupçon d’erreur et de faute contraire aux règles de l’orthographe. S’imaginant que la connaissance *343 de l’orthographe était une perfection, ils n’ont pas voulu qu’on pût croire qu’aucune perfection ait manqué aux Compagnons, et leur ont donc attribué la perfection en fait d’écriture (ou ortho­graphe). Ils ont donc cherché des raisons pour justifier ce qui, dans le Coran, s’éloignait des règles ordinaires.
Cette opinion est mal fondée : l’écriture n’était pas une perfection par rapport aux Compagnons, puisque cet art est un de ceux qui ap­partiennent à la civilisation née dans les villes et qui sont des moyens de gagner sa vie, ainsi que nous l’avons établi précédemment. La per­fection dans les arts est une perfection relative et non absolue, puisque son absence ne porte aucun préjudice à l’essence de la reli­gion ni aux qualités morales : cette ignorance n’a d’effet que sur les moyens de gagner sa vie, et son influence est toujours en raison du degré de la civilisation et du secours réciproque qu’on trouve dans cet art pour se communiquer ses pensées. Le Prophète ne savait ni lire ni écrire, et cela était pour lui une perfection : son ignorance convenait à la hauteur de sa position et à sa dignité [205], qui le mettait au‑dessus de la pratique des arts industriels, simples moyens de subsistance et produits de la civilisation. Pour nous, au contraire, l’ignorance ne serait pas une perfection. La raison en est que le Prophète devait être uniquement en rapport avec Dieu, tandis que nous, nous devons nous aider les uns les autres afin d’assurer notre existence dans ce monde. C’est là le but naturel de tous les arts et p.399 même des sciences [206]. Pour le Prophète, tout au contraire de nous, la privation de ces connaissances [207] était une perfection.
Lorsque les Arabes eurent fondé leur empire, après avoir pris tant de grandes capitales et conquis tant de royaumes, qu’ils se fu­rent établis à Basra et à Koufa, et que le gouvernement eut besoin d’hommes de plume, on adopta l’usage de l’écriture, on chercha à s’instruire [208] dans cet art et l’on parvint à l’apprendre et à l’exercer. L’écriture fit alors de grands progrès ; elle acquit une forme cons­tante et, dans les villes de Basra et de Koufa, elle parvint à un certain degré de régularité, sans atteindre, toutefois, à la perfection. On sait ce que sont les formes de l’écriture koufique.
Après cela les Arabes se répandirent dans diverses contrées, oc­cupèrent de nouvelles provinces et conquirent l’Ifrîkiya ainsi que l’Es­pagne. *344 Dans la ville de Baghdad, fondée par les Abbacides, l’écriture s’éleva au plus haut point de beauté, parce que la civilisation y était portée très loin et que cette ville était la métropole de l’isla­misme et le centre de l’empire arabe.
[L’écriture de Baghdad [209] s’éloigna des formes de l’écriture de Koufa, parce qu’on tendit à perfectionner les principes de l’écri­ture et à lui donner des traits plus beaux et plus gracieux. La différence entre les deux caractères devint plus prononcée par la suite des siècles, jusqu’à ce que l’étendard (de cette sorte de révolte) fut levé à Baghdad par le vizir [Abou] Ali Ibn Mocla [210], et ensuite par p.400 le kateb Ali Ibn Hilal, mieux connu sous le nom d’Ibn el‑Baouwab [211]. On adopta dès lors, dans l’enseignement de cet art, le système de celui-ci et on le suivit à partir du troisième [212] siècle. Les principes et les formes du caractère de Baghdad s’écartèrent ensuite de ceux de Koufa à tel point que ce furent deux écritures (presque) distinctes. Cette différence s’accrut dans les siècles qui suivirent, parce que les maîtres de cet art introduisirent de nouvelles altérations dans le système de ses formes. Plus tard, Yacout et le saint personnage Ali ’l-Adjemi [213] s’occupèrent de l’écriture et en fournirent des exemples qui, depuis lors, ont servi de base à l’enseignement. Cette écriture, étant passée en Égypte, s’éloigna en quelque chose du caractère de l’Irac. Ce fut là (en Irac) que les Persans l’apprirent ; mais leur écri­ture s’écarta tellement de celle des Égyptiens qu’elle semblait appar­tenir à un système tout à fait différent.]
L’écriture de l’Ifrîkiya, dont on connaît encore les formes suran­nées, approchait beaucoup de celle de l’Orient. En Espagne, où les Omeïades avaient établi un royaume indépendant et s’étaient distin­gués par leur goût pour la vie sédentaire, pour la culture des arts et pour l’écriture, il se forma un caractère espagnol tout particulier, dont les traits nous sont encore aujourd’hui [214] bien connus.
La civilisation et la vie sédentaire ayant pris le dessus dans tous les États musulmans, les royaumes devinrent puissants, les sciences ob­tinrent de grands encouragements, les copies des livres se multipliè­rent, l’écriture et la reliure acquirent plus de beauté, les palais et *345 les trésors des rois se remplirent de livres à un point que rien n’égale ; cela devint un objet de rivalité entre les peuples de diverses con­trées, et l’on n’y mit plus de bornes.
p.401 Quand ces empires musulmans vinrent ensuite à se dissoudre et à tomber en ruines, tout ce progrès se ralentit ; le déclin du khalifat entraîna la ruine de tout ce qui faisait l’ornement de Baghdad. L’art de l’écriture, ou, pour mieux dire, tout ce qui était science, aban­donna cette capitale pour passer en Égypte et au Caire, et il n’a cessé d’y fleurir jusqu’à nos jours. Il y a dans ce pays des maîtres qui ensei­gnent à former les lettres suivant certains principes généralement adoptés parmi eux, et les élèves apprennent en peu de temps à les tracer conformément aux modèles placés sous leurs yeux et à se faire une belle écriture, à force de s’y exercer et de suivre des règles éprouvées par la pratique. Aussi acquièrent‑ils une écriture aussi par­faite qu’on peut le désirer.
Passons aux (Arabes) habitants de l’Espagne : la destruction de leur puissance dans ce pays, la chute de la domination berbère, qui avait remplacé la leur, et la supériorité que les peuples chrétiens y avaient acquise, les forcèrent à se disperser dans divers pays et, à partir de l’époque de la dynastie almoravide jusqu’à notre temps, ils ont con­tinué à se répandre dans les provinces de l’Ifrîkiya et du Maghreb, sur notre côté de la mer. Ils ont communiqué aux habitants séden­taires (de ces contrées) les arts dont ils étaient en possession et se sont attachés au service du gouvernement, et de là est résulté que leur caractère d’écriture a pris le dessus sur celui de l’Ifrîkiya et l’a fait tomber en désuétude. Aussi l’écriture dont on se servait à Cairouan et à El‑Mehdiya est maintenant oubliée, ainsi que les coutumes et les arts qui étaient particuliers à ces deux capitales. Toutes les écri­tures de la province d’Ifrîkiya, à Tunis surtout, et dans ses dépen­dances, sont devenues conformes à l’écriture espagnole, à cause du grand nombre de réfugiés qui, à l’époque de l’émigration [215], quittèrent les contrées orientales de l’Espagne pour aller s’y établir. Il est resté seulement quelques traces de l’ancienne écriture de l’Ifrîkiya dans le Belad el‑Djerîd, parce que le peuple de ce pays n’a pas eu de p.402 rapport avec les écrivains espagnols et n’a pas éprouvé l’influence de *346 leur voisinage, laquelle se faisait sentir surtout à Tunis, capitale de l’empire.
L’écriture des habitants de l’Ifrîkiya devint donc analogue à celle des Espagnols, et cela dura ainsi jusqu’à ce que la puissance des Almo­hades (Hafsides) s’affaiblît et que les habitudes de la vie sédentaire et du luxe rétrogradassent avec la civilisation ; alors l’écriture éprouva aussi de la décadence ; ses principes s’altérèrent ; les procédés employés dans l’enseignement de cet art tombèrent dans l’oubli à mesure que l’influence de la vie sédentaire allait en s’affaiblissant et que la civili­sation reculait. Toutefois, l’écriture de cette contrée a conservé assez de traces du caractère espagnol pour témoigner de ce qu’elle était autrefois. C’est une conséquence du principe que nous avons établi précédemment, savoir que, partout où les arts ont pris racine par suite de la vie sédentaire, il est difficile de les extirper entièrement.
Plus tard, sous la dynastie mérinide, il s’établit dans la partie la plus occidentale du Maghreb une écriture qui n’est qu’une nuance de l’écriture espagnole. Elle s’y était introduite, parce que l’Espagne était un pays voisin et que les émigrés venus de cette contrée depuis peu de temps pour se fixer à Fez étaient entrés au service du gouver­nement et ont continué à y rester. Mais l’écriture tomba en oubli dans tout ce qui était éloigné du siège de l’empire, comme si on ne l’eût jamais connue. Dans l’Ifrîkiya et dans les deux Maghreb, elle dégénéra graduellement et s’éloigna de plus en plus de la perfection. Quand on copiait des livres, c’était sans aucune utilité pour qui­conque voulait les feuilleter ; il ne lui en revenait que de la peine et de la fatigue, tant était grand le nombre des fautes et des altérations qui se glissaient dans le texte : à quoi il faut ajouter que les formes des lettres étaient tellement défigurées qu’à grand’peine pouvait‑on les lire. Il arriva alors à l’écriture ce qui arrive à tous les arts quand la civilisation de la vie sédentaire a reculé et que l’empire est tombé en décadence. Dieu juge, et personne ne peut contrôler ses jugements. (Coran, sour. XIII, vers. 41.)
p.403 [Le docte [216] kateb Abou ’l-Hacen Ali el‑Baghdadi, généralement connu sous le nom d’Ibn el‑Baouwab, a composé un poème du mètre *347 basît et ayant pour rime la lettre r, dans lequel il traite de l’art de l’écriture et des matériaux qu’on y emploie. Comme c’est une des meilleurs choses qu’on ait écrites sur ce sujet, j’ai cru devoir l’in­sérer dans ce chapitre du présent livre, pour qu’elle puisse être utile à ceux qui désirent apprendre cet art. Le voici :
O vous qui souhaitez posséder dans sa perfection l’art d’écrire et qui avez l’ambition de vous distinguer par la beauté et la régularité de votre écriture,
Si votre intention est sincère, priez votre Seigneur de vous en faciliter le succès.
Choisissez d’abord des roseaux bien dressés, durs et propres à produire une belle écriture ;
Et, lorsque vous voudrez en tailler un, préférez celui qui vous paraîtra d’une proportion moyenne.
Considérez ses deux extrémités, et choissez pour la tailler celle qui est la plus mince et la plus ténue.
Donnez à sa tige une juste proportion, en sorte qu’elle ne soit ni trop longue ni trop courte [217].
Placez la fente exactement au milieu, afin que la taille soit égale et uniforme des deux côtés.
Quand vous aurez exécuté tout cela, en homme habile et connaisseur en son art,
Appliquez toute votre attention à la coupe, car c’est de la coupe que tout dépend.
Ne vous flattez pas que je vous en dévoile le mystère : c’est un secret dont je suis avare.
Tout ce que je vous dirai, c’est qu’il faut tenir le milieu entre une forme ar­rondie et une forme pointue [218].
Mettez ensuite dans votre écritoire du noir de fumée, que vous préparerez avec du vinaigre ou [219] avec du verjus ; p.404
Vous y joindrez de l’ocre rouge, qui aura été battu et mélangé avec de l’orpi­ment et du camphre.
Lorsque ce mélange aura suffisamment fermenté, prenez du papier blanc et lisse dont vous aurez fait l’épreuve ;
Puis, après l’avoir coupé, soumettez‑le à l’action de la presse, afin qu’il ne soit pas chiffonné ni froissé.
Ensuite occupez‑vous sans relâche et patiemment à copier des modèles ; la pa­tience est le meilleur moyen d’atteindre le but auquel on aspire.
Commencez d’abord par écrire sur une planche, et dégainez pour cela le glaive d’une volonté ferme, en vous disposant à bien faire.
Ne rougissez pas de la laideur des caractères que vous formerez d’abord en commençant à copier des exemples et à tracer des lignes [220].
La tâche est difficile, mais elle deviendra aisée : combien de fois ne voit‑on pas la facilité succéder à la difficulté !
Aussi, quand une fois vous aurez obtenu ce qui était l’objet de votre espoir, vous en éprouverez beaucoup de joie et de plaisir.
Remerciez alors votre Dieu, et rendez‑vous digne de sa bienveillance, car Dieu aime l’homme reconnaissant [221].
Que votre main et vos doigts ne soient consacrés qu’à écrire des choses utiles, que vous laisserez après vous quand vous quitterez ce séjour d’illusion ;
Car l’homme trouvera demain, lorsque le registre [222] de ses actions sera dé­ployé devant lui, tout ce qu’il aura fait (pendant les jours de sa vie).
*348 Il ne faut pas perdre de vue que l’écriture est à la parole et au discours ce que la parole et le discours sont aux pensées de l’âme et de l’esprit : chacune de ces choses doit être un interprète clair et fidèle de l’objet qu’il représente. Il est dit dans le Coran que Dieu a créé l’homme et lui a appris à s’expliquer clairement (sour. LV, vers. 2 et 3), ce qui comprend la clarté [223] de toutes les espèces d’indications. Or la perfection d’une bonne écriture, c’est qu’elle soit une repré­sentation claire de la parole, et pour cela il faut que les lettres dont les hommes sont convenus entre eux soient bien formées et que la position et les traits de chacune soient observés, en sorte que les p.405 unes se distinguent facilement des autres, et cela sans qu’on ait dé­rogé à l’usage de joindre ensemble toutes les lettres du même mot, excepté celles qu’on est convenu de ne pas unir (aux suivantes) quand elles commencent une syllabe ; telles sont : l’élif, le ra, le za, le dal, le dhal et quelques autres, tandis qu’on les unit aux lettres qui les précèdent dans le même mot.
Les (commis) écrivains des temps modernes se sont accordés à réunir certains mots les uns avec les autres et à supprimer certaines lettres en suivant des règles qui ne sont connues que d’eux et qui sont étrangères à tout le reste des hommes. Tels sont les écrivains employés dans les bureaux du sultan et les greffiers des cadis. Ils ont probablement adopté cet usage, qui leur est spécial, parce qu’ils ont beaucoup de pièces à écrire, que la connaissance de leur écriture est assez répandue dans le public pour qu’un grand nombre de per­sonnes étrangères à leurs fonctions comprennent la signification de ces groupes conventionnels. S’ils ont à communiquer par écrit [224] avec des personnes qui ne comprennent pas ces groupes, ils doivent laisser de côté ce système et faire tout ce qui leur est possible pour écrire d’une façon claire et intelligible. Sans cela, leur écriture serait comme une écriture étrangère, parce qu’il y a absence d’une convention ré­ciproque et antérieure entre les deux parties. Cela n’est excusable [225] que dans les écritures de ceux qui dressent les états [226] des revenus du gouvernement et les rôles des armées, parce qu’il est du devoir de *349 ceux‑ci de dérober ces renseignements à la connaissance du public ; car ce sont là des choses d’administration qu’on doit tenir secrètes : En ce cas, ils emploient très habilement un procédé qui leur est tout à fait spécial : c’est une sorte d’énigme qui consiste à désigner les lettres par les noms d’aromates ou de fruits, ou d’oiseaux, ou de fleurs, ou bien à remplacer les formes reconnues des lettres par d’autres formes, qu’eux et leurs correspondants se sont accordés à p.406 employer pour la communication de leurs pensées. Quelques écrivains ont imaginé certaines règles basées sur des analogies et dont ils se servent pour lire des écritures dont ils ignorent la clef [227]. C’est ce qu’ils appellent déchiffrer [228]. Il existe des traités célèbres de cette science. Dieu est le savant, le sage.]

De la librairie.

On donnait autrefois de grands soins à la transcription des recueils scientifiques [229] et des autres écrits [230] ; on les reliait bien, et, pour assurer l’exactitude des textes, on les corrigeait sous la dictée de ceux qui les savaient par cœur, et l’on fixait l’orthographe des mots d’une manière précise. Cela fut une des conséquences de la grandeur de l’empire (musulman) et de la civilisation qui dérive de la vie sédentaire. Mais cette habitude n’existe plus de nos jours : la ruine des États et la marche rétrograde de la civilisation l’ont fait disparaître. Elle avait été cependant très répandue chez les peuples musulmans de l’Irac et de l’Espagne, parce que, sous tous les rapports, elle était une conséquence nécessaire de la civilisation très avancée qui régnait dans ces pays, de la vaste étendue que ces empires avaient prise et des encouragements que les gouvernements donnaient aux lettres. Les ouvrages scientifiques et les recueils (de tout genre) se multiplièrent alors, et, comme on les recherchait avec empressement partout et tou­jours, il fallait en transcrire de nombreux exemplaires, que l’on faisait ensuite relier. Voilà comment se forma l’art des libraires, de *330 ces individus qui travaillent [231] à copier des volumes, à les corriger et p.407 à les relier ; qui s’occupent, enfin, de tout ce qui concerne les livres et les recueils. C’est là un art tout à fait spécial aux grandes villes, où la civilisation est très avancée.
Dans les premiers temps, le parchemin fait avec des peaux prépa­rées s’employait pour les livres dans lesquels on inscrivait les con­naissances scientifiques et pour les écrits émanant du sultan, tels que dépêches, titres de concessions et actes officiels. Cet usage tenait à l’abondance dans laquelle on vivait [232] alors, au petit nombre d’ouvrages que l’on composait, et aussi au nombre très limité de dépêches et d’actes officiels expédiés par le gouvernement. On employait uni­quement le parchemin pour les écrits, parce qu’on voulait les rendre ainsi plus respectables et en assurer l’authenticité ainsi que la durée. Plus tard, il y eut un tel débordement d’ouvrages originaux, de compilations, de dépêches et de pièces officielles, que le parchemin n’était pas en assez grande quantité pour y suffire. Ce fut alors que, d’après les conseils d’El‑Fadl Ibn Yahya [233], on fabriqua du papier et ce fut sur cette substance qu’il fit écrire les dépêches du sultan et les actes officiels. Dès lors l’usage en devint général pour les pièces émanant du gouvernement et pour les écrits scientifiques, et la fa­brication du papier fut portée à un haut degré de perfection.
Quelque temps après, les savants et les hommes d’État dirigèrent leur attention [234] vers les textes fournis par les recueils scientifiques, et, comme ils y tenaient beaucoup, ils les corrigèrent sous la dictée des personnes qui savaient par cœur le contenu de ces traités et qui pouvaient montrer que la connaissance de ces textes leur était par­venue de ceux qui les avaient compilés ou composés, et cela par une tradition parfaitement sûre. S’adresser à de tels individus est un devoir indispensable quand il s’agit de rétablir un texte dans soit intégrité primitive. En effet, c’est ainsi qu’on démontre que telles p.408 paroles proviennent de telle personne, et que telle décision juridique émane de tel légiste, qui, par un travail d’esprit consciencieux, l’a tirée de la source (du droit musulman). Tant qu’on ne peut pas vérifier les textes en les faisant remonter par (la filière nommée) isnad jusqu’aux écrivains qui les ont compilés, on ne peut pas attri­buer avec certitude telle parole à telle personne et telle décision juri­dique à tel légiste.
Pendant plusieurs siècles et dans beaucoup de pays, les savants et les érudits se bornèrent à ce travail, et ce fut à cela que se réduisit l’art dont les renseignements transmis par la tradition orale sont *351 l’objet. En effet, les fruits les plus importants qu’on avait tirés de cet art étaient déjà perdus : on ne savait plus reconnaître (de prime abord) dans les traditions, ni les saines, ni les passables, ni les parfai­tement appuyées, ni les relâchées, ni les interrompues ni les arrêtées, ni les distinguer des traditions supposées [235]. La crème de ces notions était restée toutefois dans ces textes originaux, dont on reconnaissait uni­versellement l’authenticité, mais chercher à retrouver ces textes au­rait été une peine inutile. L’avantage qu’on recueillait en ayant re­cours à la transmission orale était de pouvoir retrouver les leçons offertes par les prototypes des recueils de traditions, des traités de jurisprudence composés à l’usage des légistes, des compilations scien­tifiques, etc. C’est par un tel travail qu’on établit exactement la filière par laquelle les textes nous sont parvenus ; sans lui, on ne pourrait pas les citer comme provenant réellement des auteurs à qui on les attribue. Ce système (de travail critique) a laissé en Orient et en Es­pagne des chemins bien battus [236] et des sentiers faciles à reconnaître. Quelques recueils copiés à cette époque et dans ces pays existent encore et offrent des exemples parfaits de correction, d’exactitude [237] et d’authenticité. On trouve aussi entre les mains de quelques in­dividus des manuscrits d’une haute antiquité, qui montrent qu’à p.409 cette époque on était parvenu au dernier degré de la perfection dans cette partie. Partout (chez les musulmans), ces manuscrits se sont transmis de génération en génération jusqu’à ce jour, et ceux qui les possèdent les gardent comme des trésors précieux.
Dans le Maghreb, toutes les traces (de ce travail critique) ont to­talement disparu, parce que l’art d’écrire, de corriger des livres et d’en fixer le texte, sous la dictée des personnes qui les savaient par cœur, s’y est perdu depuis la ruine de la civilisation et sous l’influence des habitudes nomades [238]. On y copie encore quelques recueils et quelques livres classiques, mais ce sont des talebs berbers qui les transcrivent, et leur écriture est rude et inculte. Ces volumes sont tellement barbares par l’imperfection de leur écriture, par les fautes de copiste et les altérations du texte, qu’il est impossible de s’en ser­vir [239] et que, à peu d’exceptions près, ils ne sont bons à rien.
Les recueils de décisions juridiques ont subi les mêmes altéra­tions : la plupart des opinions qu’on y rapporte n’ont aucun isnad qui les fasse remonter aux grands docteurs de l’école (de Malek). Les compilateurs se sont bornés à prendre ces sentences dans les *352 premiers traités qui leur tombaient sous la main. A la suite de cela, sont survenues les tentatives de quelques‑uns, parmi leurs docteurs, qui ont voulu composer des ouvrages malgré le peu de connaissance qu’ils avaient de ce métier et dans l’absence de tous les arts qui sont nécessaires pour l’exécution d’un tel projet. Aussi, rien ne reste de cet art, excepté en Espagne, où il est encore possible d’en reconnaître quelques faibles vestiges qu’on distingue à peine et qui vont bientôt disparaître. Les sciences elles‑mêmes sont sur le point de périr dans les pays de l’Occident. Dieu fait tout de sa pleine puissance.
Je viens d’apprendre qu’en Orient la pratique de corriger les ou­vrages sous la dictée des personnes qui les ont appris par la voie p.410 de la tradition orale existe encore, ce qui permet de vérifier facile­ment l’exactitude des textes. Cela tient aux encouragements que les sciences et les arts reçoivent dans ce pays, ainsi que nous le dirons plus tard. Je dois toutefois faire observer qu’en Orient ce qui reste en fait de calligraphie se trouve seulement chez les Perses. En Égypte, l’écriture des livres est devenue tout aussi mauvaise, sinon pire que celle du Maghreb. Dieu fait tout de son plein pouvoir.

De l’art du chant.

Cet art consiste dans une modulation donnée à des vers rythmi­ques, en entrecoupant les sons d’après des rapports réguliers et con­nus (des gens de l’art), (modulation) qui tombe [240] exactement sur chaque son au moment où on le détache (des autres). Cela forme une note musicale. Les notes se combinent ensuite les unes avec les autres dans des rapports déterminés, et font plaisir à l’oreille par suite de ce rapport mutuel et de la nature [241] même de ces sons. En effet, la science musicale nous montre que les notes ont entre elles des rapports déterminés : l’une peut être la moitié ou le quart ou le cinquième ou le onzième d’une autre. Quand ces rapports parviennent *353 à l’oreille, leur variété les fait passer (de la catégorie) du simple à celle du composé. Or, entre les rapports composés, il n’y en a d’a­gréables à entendre qu’un certain nombre, que les hommes versés dans la science musicale ont signalés, et dont ils ont parlé (dans leurs écrits).
Cette modulation des notes chantées est quelquefois accompagnée de sons entrecoupés que l’on tire d’objets inanimés, soit au moyen de la percussion, soit en soufflant dans des instruments faits exprès pour cet objet. L’accompagnement rend les notes encore plus agréables à l’oreille. De ces instruments, il y en a, de nos jours, dans le Maghreb, p.411 plusieurs sortes. Telle est l’espèce de mizmar [242] (ou zemer), que l’on nomme chebaba. C’est un roseau creux dont les côtés sont percés de trous en nombre fixe et dans lequel on souffle pour lui faire produire des sons. Il émet alors directement [243] de son intérieur un son [244] qui passe par ces trous et que l’on modifie en posant sur ces ouvertures les doigts des deux mains. Cela se fait d’une certaine façon connue des gens de l’art, et a pour résultat d’établir des rapports (mutuels). entre les notes. On continue de cette manière à produire une suite de rapports. Le plaisir que l’oreille éprouve provient de la perception des rapports dont nous venons de parler.
Un autre instrument de la même espèce est le zolami (hautbois). C’est un tuyau dont les côtés sont formés avec deux pièces de bois creusées à la main ; on ne le perfore pas au moyen du tour, parce qu’il faut ajuster exactement les deux morceaux dont il se compose. Il est percé de plusieurs trous. On souffle dans le zolami au moyen d’un petit tuyau qui y est attaché et qui sert à y conduire le vent. Le son de cet instrument est perçant ; on y forme les notes [245] en apposant les doigts sur les trous, ainsi que cela se fait avec le chebaba.
Un des plus beaux instruments de l’espèce nommée zemer s’emploie de nos jours et s’appelle bok. Il consiste en un tuyau de cuivre, long *354 d’une coudée, et qui s’élargit de sorte que l’extrémité d’où sort l’air est assez évasée pour admettre la main légèrement fermée, comme elle l’est lorsqu’on taille une plume [246]. On souffle dedans au moyen d’un petit tuyau qui y transmet l’air de la bouche. Il produit un son p.412 bourdonnant et très fort. Il a aussi un certain nombre de trous au moyen desquels on produit, par l’application des doigts, plusieurs notes ayant entre elles des rapports déterminés ; on l’entend alors avec plaisir.
Il y a aussi des instruments à cordes. Ils sont creux à l’intérieur : les uns, tels que le berbat et le rebab, ont la forme d’un segment de sphère ; les autres, comme le canoun [247], ont la forme quadrilatère. Les cordes sont placées sur le côté plat de l’instrument et tiennent chacune, par son extrémité supérieure, à une cheville tournante, ce qui permet de les relâcher quand il le faut. On frappe les cordes avec un morceau de bois, ou bien on fait passer sur elles une autre corde attachée aux deux bouts d’un arc et frottée avec de la cire et de la résine. On forme les notes en tirant l’arc d’une main légère sur une corde ou bien en le passant d’une corde à une autre. En jouant des instruments à cordes, soit qu’on frappe les cordes, soit qu’on les frotte, on les touche avec les bouts des doigts de la main gauche afin de produire des notes justes et agréables à entendre.
Quelquefois on frappe avec des baguettes sur des instruments en forme de plats ; on frappe aussi des morceaux de bois les uns contre les autres, en observant une mesure régulière, ce qui produit encore des sons que l’on entend avec plaisir.
Nous allons maintenant indiquer la cause du plaisir qui dérive de la musique. Le plaisir, comme nous le dirons ailleurs, est la percep­tion de ce qui est convenable (à l’esprit) et qui peut être saisi par les sens [248]. Ce que l’on aperçoit est une modalité (des objets des sens). Quand la modalité est en rapport compatible et convenable avec la faculté perceptive, elle est agréable ; quand elle lui est incompatible et anti­pathique, elle lui cause une sensation désagréable [249]. Les choses qu’on *355 mange sont convenables quand leur modalité est en rapport avec le tempérament du sens du goût. Le convenable, en fait de choses p.413 perçues par le toucher ou par l’odorat, est ce qui est en accord avec le tempérament de l’esprit cardiaque et vaporeux auquel le sens, dans ce cas, transmet la perception ; aussi les plantes odorantes et les fleurs à parfums doux sont‑elles plus agréables à sentir, plus con­venables à l’esprit (cardiaque) que les autres, parce que le principe chaud y prédomine, principe qui est celui du tempérament de cet esprit. Quant aux perceptions de la vue [250] et de l’ouïe, celles dont les formes et les modalités conviennent le mieux à leur destination na­turelle sont plus en accord avec l’esprit et lui sont bien plus compati­bles que les autres. Si l’objet que l’on voit [251] a une juste proportion de forme et de contour, — ce qui dépend de la matière (constituante) de cet objet, — en tant qu’il ne s’écarte pas de cette juste proportion qui convient le mieux à sa destination et qui est exigée par sa matière constituante, — et c’est là ce qu’on entend par le terme beau et bon en parlant de toute chose perceptible, — si l’objet remplit cette con­dition, il est compatible avec l’esprit perceptif, qui en recueille alors avec plaisir des sensations qui sont en rapport avec sa nature.
Voilà pourquoi nous trouvons que l’amant, chez qui l’amour est poussé jusqu’à la folie, exprime l’intensité de sa passion en disant que son âme est mêlée avec celle de l’objet aimé. On peut encore expliquer cela d’une autre manière, à savoir que l’existence est com­mune à tous les êtres, ainsi que le disent les philosophes ; cela fait que vous voudriez être mêlé à l’objet dans lequel vous avez reconnu la perfection, de manière à ne former qu’un seul être avec lui [252].
p.414 La chose qui est le plus en rapport avec l’esprit de l’homme, celle dont la beauté des proportions est la plus facile à saisir [253], c’est le corps humain. La perception de la beauté dans les contours d’une belle personne et dans les sons de sa voix est donc un des sentiments les plus conformes à la nature humaine. Chaque homme est porté *356 par sa nature à rechercher la beauté dans [254] ce qui se voit et dans ce qui s’entend. Or les sons, pour être beaux, doivent avoir entre eux de justes rapports et ne pas être incompatibles les uns avec les autres. Expliquons‑nous : les sons ont plusieurs modalités ; il y en a de bas, de hauts, de doux, de forts, de vibrants, d’étouffés et d’autres encore. C’est de leur juste rapport entre eux qu’ils tiennent leur beauté. Ainsi, en premier lieu, on ne doit pas passer directement d’un son à celui qui lui est contraire, mais y arriver par degrés et en revenir de la même manière. Cela doit se faire aussi pour deux sons sem­blables : il faut absolument interposer entre eux un son dissemblable. Voyez les philologues : ils condamnent les combinaisons dans les­quelles une lettre se trouve jointe à une autre qui lui est incompatible, ou à une lettre qui s’articule par des organes trop rapprochés des siens. p.415 Cela rentre, en effet, dans la catégorie que nous venons de désigner. En second lieu, les sons (qui se suivent immédiatement) doivent avoir entre eux un de ces rapports de proportion que nous avons si­gnalés au commencement de ce chapitre. On peut donc passer d’un son à sa moitié, ou à son tiers, ou à telle autre partie, pourvu que cette transition produise un de ces accords dont les hommes versés dans l’art de la musique ont établi et limité le nombre. « Si, pour employer leur expression, les sons ont un rapport mutuel dans leur modalité, ils conviennent à l’oreille et lui font plaisir. »
De ces rapports, les uns sont si simples que beaucoup de personnes s’en aperçoivent naturellement, sans avoir eu besoin de l’enseignement ou de la pratique. Aussi, voyons‑nous des individus saisir sur‑le­-champ la mesure des vers qu’on récite, celle des danses, etc. Ce talent se désigne vulgairement par le terme midmar (manège). Il existe chez un grand nombre de ceux qui lisent le Coran : en récitant le texte de ce livre, ils donnent à leurs voix des intonations agréables qui res­semblent aux sons des instruments à vent. Leur débit est si beau et les diverses modulations de leurs voix sont si justes qu’on les écoute avec ravissement. Parmi ces rapports, il y en a de composés, qu’il *357 n’est pas donné à tout le monde de saisir et dont les individus qui ne sont pas assez favorisés par la nature ne sauraient se servir, bien qu’ils sachent comment on les produit. Voilà en quoi consiste la mélodie, sujet que la musique entreprend de traiter, ainsi que nous l’expose­rons après avoir parlé des autres sciences.
L’imam Malek désapprouva l’usage de la mélodie [255] dans la lecture du Coran ; mais l’imam Chafêi le permit. La mélodie dont il s’agit ici n’est pas celle que la musique enseigne et qui s’apprend comme un art : l’emploi de cette dernière espèce en récitant le Coran est certainement défendu ; il n’est pas permis d’avoir le moindre doute à cet égard. En effet, l’art de la musique n’a rien de commun avec le Coran : pour lire tout haut le texte de ce livre, il faut ménager sa p.416 voix, de manière à pouvoir bien prononcer les lettres, surtout en allongeant les voyelles dans les propres endroits, en appuyant plus ou moins sur les lettres de prolongation, selon le système de lec­ture que l’on a adopté, et en remplissant quelques autres conditions du même genre. (Voilà pour le Coran.) Passons à la mélodie musicale : elle exige aussi que l’on ménage sa voix, afin qu’on puisse produire des sons ayant entre eux de certains rapports, ainsi que nous l’avons déjà dit en expliquant ce qu’il fallait entendre par ce mot. Mais, en observant les règles d’un de ces arts, on viole celles de l’autre, car ce sont deux arts opposés. Donc, avant tout, il faut s’en tenir à la récitation (cadencée) du texte coranique, afin de ne pas s’exposer à altérer le système de lecture que les anciens docteurs nous ont transmis. Il est donc absolument impossible d’employer simultanément la mélodie et le mode de récitation adopté pour la lecture du Coran.
La mélodie au sujet de laquelle les disciples de Malek et ceux de Chafêi ne sont pas d’accord est d’un genre tout à fait simple, celui que tout homme ayant l’oreille juste est porté naturellement à employer. Il varie alors les sons de sa voix [256] en observant certaines proportions que tout le monde, musiciens et autres, sont également capables de saisir. C’est au sujet de ce genre‑ci qu’on n’est pas d’ac­cord. Mais il est évident qu’on doit s’en abstenir dans la lecture du Coran et que l’imam (Malek) avait raison. En effet, la lecture du Coran est faite pour inspirer l’effroi, parce qu’elle dirige nos pensées vers la mort et ce qui s’en suit ; elle ne doit pas servir à procurer du plaisir aux personnes qui recherchent la perception de sons agréables. Ce fut toujours ainsi (c’est‑à‑dire avec un sentiment de crainte respectueuse) *358 que les Compagnons récitaient le Coran, ainsi que nous le savons par l’histoire.
Le Prophète, en prononçant cette parole, « Il a reçu en cadeau un des mizmar de la famille de David [257] », ne voulait parler ni des p.417 tremblements de notes ni de la mélodie (proprement dite), mais de la beauté de la voix (d’un certain homme), de la manière dont il s’ac­quittait de la lecture (du Coran), du distinct emploi qu’il faisait des organes de la bouche pour articuler les lettres, et de la netteté de son énonciation.
Ayant indiqué en quoi consiste le chant [258], nous dirons qu’il se pro­duit assez tard dans toute société civilisée : il faut que [259] la population soit devenue très nombreuse, et qu’après être sortie de l’état pen­dant lequel elle ne cherchait que l’indispensable, elle passe par celui où elle essaye de satisfaire aux besoins qu’elle s’est créés, et qu’elle entre définitivement dans un état d’aisance parfaite, dont elle tâche de jouir de toutes les manières. C’est alors seulement que l’art du chant prend naissance, car [260] personne ne le recherche, à moins d’être libre de tous les soucis causés par la nécessité de pourvoir à ses besoins, à sa subsistance, à son logement, etc. Il n’y a que les gens tout à fait désœuvrés qui désirent en jouir, afin de multiplier leur plaisirs.
Avant la promulgation de l’islamisme, l’art du chant était très­ répandu dans toutes les villes et toutes les métropoles des royaumes étrangers. Les souverains eux‑mêmes s’y étaient appliqués et s’en montraient très engoués. Cela fut porté à un tel point que les rois de Perse témoignaient une grande considération aux personnes qui cultivaient cet art et les recevaient à leur cour. Ils leur permettaient d’assister à leurs assemblées et réunions, et d’y chanter. Tel est en­core le cas aujourd’hui chez les peuples étrangers de tous les pays et de tous les empires.
Les Arabes n’avaient d’abord (en fait de musique) que l’art des vers. p.418 Ils formaient un discours composé de parties étales les unes aux autres [261], en établissant entre elles un rapport mutuel qui se recon­naissait au nombre de lettres mues et de lettres quiescentes [262] qui s’y trouvaient. En opérant ainsi, ils produisaient un discours consis­tant en plusieurs parties, dans chacune desquelles il y avait un sens complet, sans qu’on fût obligé de passer à la partie suivante. Ces beït, car on les désigne par ce terme, conviennent parfaitement à la na­ture (de l’esprit humain), d’abord, parce que chacun d’eux forme une partie distincte, puis à cause de leurs rapports mutuels en ce qui regarde leurs fins et leurs commencements, et ensuite, par la net­teté *359 avec laquelle ils transmettent les pensées qu’on veut communiquer aux autres et qui se trouvent renfermées dans la composition même de la phrase. De toutes leurs façons de s’exprimer, ce fut la poésie qu’ils admiraient le plus ; ils lui assignèrent le plus haut degré de noblesse, parce qu’elle se distinguait spécialement par ces rap­ports mutuels dont nous avons parlé. Ils en firent le dépôt [263] de leur histoire, de leurs maximes de sagesse et de leurs titres à l’illustration ; ils s’en occupèrent afin d’aiguiser leur esprit en l’habituant à bien sai­sir les idées et à employer les meilleures tournures de phrase. Depuis lors, ils ont continué à suivre cette voie. Les rapports offerts par les diverses parties (ou vers) d’un poème et par les lettres mues et quies­centes ne forment toutefois qu’une seule goutte du vaste océan des rapports des sons, ainsi que le Kitab el‑Mousiki [264] nous le fait voir. Mais les Arabes ne s’aperçurent pas de l’existence d’autres rapports que ceux offerts par leurs poésies ; car, à cette époque, ils n’avaient p.419 cultivé aucune science ni connu aucun art ; ils n’avaient qu’une seule occupation [265] : la pratique des usages de la vie nomade.
Les chameliers se mirent ensuite à chanter pour exciter leurs chameaux ; les jeunes gens chantaient aussi pour passer le temps. Ils faisaient des tremblements sur les notes et formaient des modula­tions. Les Arabes employaient le mot ghana (chant) pour indiquer l’acte de faire des modulations en chantant des vers ; pour désigner la récitation cadencée du Tehlîl (la profession de l’unité de Dieu) et la manière de psalmodier les versets du Coran, ils se servaient du terme taghbîr. Abou Ishac ez‑Zeddjadj [266] explique ainsi l’emploi de ce mot : « Il signifie faire mention du ghabir, c’est‑à‑dire, de ce qui reste, et désigne, pour cette raison, les choses de la vie future ». Quel­quefois aussi, quand ils chantaient, ils établissaient un accord entre des sons différents. Ce renseignement est fourni par plusieurs au­teurs, dont l’un, Ibn Rechîk, l’a inséré dans la dernière partie de son Omda [267]. On nommait cet accord senad. La plupart (de leurs airs) étaient du rhythme appelé khafîf, celui dont on se sert dans la danse et pour marquer le pas quand on marche au son du doff (tam­bour de basque) et du mizmar (flûte). Ce rhythme excite l’âme à la gaieté et fait épanouir les esprits les plus sérieux. Chez les Arabes, il se nommait hezedj. De toutes les mélodies simples, celle‑ci est la première (et la plus facile) ; aussi l’esprit éprouve‑t‑il peu de diffi­culté à la saisir, sans l’avoir apprise ; de même qu’il saisit tout ce qui est simple dans les autres arts. Les Arabes ont toujours conservé *360 (l’usage de chanter) ; ils l’avaient déjà dans les temps du paganisme, et ils s’y adonnent encore dans la vie nomade.
Lors de la promulgation de l’islamisme, ils s’emparèrent (des plus grands) royaumes du monde et enlevèrent l’autorité aux Perses par p.420 la force des armes. Ils étaient alors tout à fait nomades et habitués aux privations, ainsi que chacun le sait ; mais ils possédaient les sen­timents de la religion dans toute leur fraîcheur [268], et cette aversion qu’elle inspire pour les choses de simple agrément et pour toutes les occupations qui ne servent ni à faire triompher la cause de Dieu, ni à se procurer la subsistance ; aussi méprisèrent‑ils le chant jusqu’à un certain point, ne le trouvant agréable que dans la psalmodie du Coran et dans cette manière de moduler les vers dont ils s’étaient fait un système et une habitude. Le luxe étant survenu avec les commodités de la vie et les richesses qui provenaient des dépouilles des peuples, les Arabes se laissèrent entraîner vers les plaisirs de la vie, la jouis­sance du bien‑être et les douceurs du repos.
Les chanteurs perses et grecs s’étant alors répandus dans le monde, (plusieurs d’entre eux) passèrent dans le Hidjaz et se mirent sous le patronage des Arabes. Ils savaient tous jouer de l’aoud (le luth), du tanbour (la pandore, du miezef (la harpe) et du mizmar (la flûte). Ils firent alors entendre aux Arabes des airs que ceux‑ci adoptèrent en chantant leurs poésies. Ce fut alors que Nechît el‑Fareci figura à Mé­dine, ainsi que Towaïs [269] et Saïb Khather [270], client d’Abd Allah Ibn Djafer [271]. Quand ils eurent entendu les chansons arabes, ils les appri­rent et les chantèrent si bien qu’ils se firent une grande réputation. Mabed [272], Ibn Soreidj [273], et leurs confrères eurent ceux‑là pour maîtres.
L’art du chant continua à faire du progrès et, sous la dynastie des p.421 Abbacides, il fut porté à la perfection par Ibrahîm Ibn el-Mehdi [274], Ibrahîm el‑Mauceli [275], Ishac, fils de celui-ci, et Hammad, fils d’Ishac. L’excellence de la musique sous cette dynastie et les beaux concerts qui se donnèrent à Baghdad ont laissé des souvenirs qui durent encore.
On mettait à cette époque tant de recherche dans les jeux et les divertissements qu’on inventa tout un attirail de danse, tel que vête­ments, baguettes [276] et chansons composées exprès pour régler les mou­vements des danseurs. Cela forma même une profession à part. On y *361 employa aussi des choses appelées kerredj [277]. Ce sont des figures de bois représentant des chevaux harnachés, que les danseuses suspen­daient à leurs gilets. Elles s’en revêtaient pour représenter des cavaliers qui couraient à l’attaque, qui battaient en retraite et qui combattaient ensemble. Il y avait encore d’autres jouets dont on se servait dans les noces, les fêtes, les réjouissances publiques et les lieux ont l’on s’assemblait pour passer le temps et pour se divertir. Toutes ces choses étaient très communes à Baghdad et dans les villes de l’Irac, et, de là, l’usage s’en répandait dans les autres pays.
(Ali Ibn Nafê, surnommé) Ziryab, avait été page au service des Maucelides [278]. Ayant appris d’eux la musique, il y devint si habile qu’il excita leur jalousie et se vit obligé par eux de passer dans le Magh­reb. L’Espagne avait alors pour souverain l’émir (Abd er‑Rahman II), p.422 fils d’El‑Hakem, fils de Hicham, fils d’Abd er‑Rahman, le premier des Omeïades qui entra dans ce pays. Ce prince reçut Ziryab avec des honneurs extraordinaires : il monta à cheval pour aller au‑devant de lui, le combla de dons, de concessions et de pensions, l’admit au nombre de ses convives habituels et lui assigna une place honorable à la cour [279]. La connaissance de la musique, laissée par Ziryab comme un héritage à l’Espagne, s’y transmit de génération en génération, jusqu’à l’époque où les gouverneurs des provinces et des villes se furent rendus indépendants. Elle était très répandue à Séville ; et, lors de la décadence de cette ville, elle passa en Ifrîkiya et dans le Maghreb, pour s’introduire dans les villes de ces pays. On en trouve encore quelques restes, malgré le déclin de la civilisation et l’affai­blissement des empires africains.
La musique est le dernier art qui se produit dans les sociétés ci­vilisées, parce qu’elle est un de ceux qui naissent lorsque l’empire est parvenu à un haut degré de prospérité. Elle ne s’y montre qu’à une seule condition : la population de l’endroit doit être désœuvrée et aimer les divertissements. Elle est aussi le premier art à disparaître quand la civilisation est entrée dans son déclin. Dieu est le Créateur. *362

Les arts, et surtout ceux de l’écriture et du calcul, ajoutent à l’intelligence des personnes qui les exercent.

Nous avons fait observer, dans ce traité [280], que, chez l’homme, l’âme raisonnable existe d’abord en puissance, et que son passage de la puissance à l’acte s’opère par l’acquisition de connaissances et de perceptions, fournies d’abord par les choses sensibles, et ensuite par la faculté spéculative. (Cela continue) jusqu’à ce qu’elle devienne perception en acte et intellect pur. Elle est dès lors une essence spirituelle, et son être est parvenu à la perfection [281]. Mais, pour amener p.423 ce résultat, il faut que les diverses espèces de connaissances et (les produits de) la spéculation continuent à faire augmenter l’intellectualité de l’âme. Les arts et la faculté de s’en servir fournissent tou­jours un système de notions instructives [282], qui est le produit de cette faculté ; et voilà pourquoi la prudence qui résulte de l’expérience, la faculté qui s’acquiert par l’exercice d’un art quelconque, et la civilisation sédentaire, quand elle est arrivée à la perfection, contribuent toutes à donner de l’intelligence (à l’âme). La civilisation sédentaire produit cet effet, parce qu’elle consiste en une réunion d’arts qui servent, les uns, à l’économie domestique, et les autres, à façonner l’homme à la vie sociale, à lui former les mœurs et à le mettre en contact avec ses semblables. L’observation des devoirs im­posés par la religion, des préceptes et des obligations qu’elle en­seigne, enfin tout ce que nous venons d’énumérer, forme des systèmes de connaissances qui augmentent l’intelligence.
De tous les arts, celui de l’écriture est le plus efficace sous ce rap­port, parce qu’il offre des connaissances et des matières de spéculation qui ne se trouvent pas dans les autres. L’écriture a pour effet de faire voyager la pensée en la faisant passer de la forme des lettres tracées (sur le papier) aux paroles énoncées par la bouche, et peintes dans l’imagination, et, de ces paroles, aux idées qui sont dans l’âme. *363 La pensée passe, sans s’arrêter, d’indication à indication, tant quelle ­s’occupe de ce qui est écrit. L’âme, s’étant habituée à ce travail, acquiert la faculté de passer des indications aux choses indiquées, fa­culté qui est réellement la spéculation intellectuelle, au moyen de la­quelle on se procure des connaissances que l’on ignorait. Par là l’âme acquiert la faculté de s’intellectualiser, ce qui ajoute encore à son in­telligence et augmente la perspicacité et l’adresse que l’habitude le passer (des indications aux choses indiquées) lui avait acquises. Voila pourquoi [283] Chosroès disait de ses gens de bureau, en les voyant si sa­gaces et si habiles, qu’ils étaient divané, c’est-à-dire, des diables et p.424 des démons. On dit que ce fut là l’origine du mot divan, qui s’em­ploie pour désigner un bureau d’écrivains.
A (l’influence de) l’écriture nous pouvons joindre celle du cal­cul, parce que cet art consiste à opérer sur des nombres en les réunissant et en les séparant, ce qui exige qu’on fasse grande atten­tion aux indications qui s’y présentent. L’âme s’habitue dès lors à comprendre les indications et à exercer sa faculté spéculative, c’est-­à‑dire, à faire acte d’intelligence. Dieu vous a tirés des seins de vos mères, et vous ne compreniez rien alors ; puis il vous donna l’ouïe, la vue et des cœurs (l’intelligence), afin que vous fussiez reconnaissants [284] (Coran, sour. XVI, vers. 80).





[1] Ce verset, tel qu’il est cité par Ibn Khaldoun, ne se trouve pas dans le Coran. Il y a quelques versets qui expriment à peu près la même idée.
[2] Avant ﺭﺧﺳﻭ , il faut insérer ﻪﻨﻣ .
[3] L’auteur donne ici comme un seul verset du Coran des passages appartenant à diverses sourates.
[4] Le mot arabe est motamaouwel, et signifie « qui enrichit », ou bien « ce qui procure des richesses ». Ce mot désigne toutes les choses qui ont une valeur.
[5] Littéral. « les deux pierres minérales ».
[6] Ce passage, dans le texte arabe, est très obscur ; il renferme plusieurs pronoms relatifs, et l’on ne reconnaît pas d’abord les noms auxquels ils se rapportent. Je crois en avoir saisi et rendu le sens, mais le mot ﺔﻴﻨﻗﻠﺍ  me paraît de trop.
[7] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻰﻨﺎﺴﻨﻻﺍ ﻝﻣﻌﻠﺎﺑ , à la place de ﻰﻨﺎﺴﻨﺍ ﻞﻣﻋ ﻭﻫ. La première leçon me paraît la bonne.
[8] Cette forme de nom s’emploie pour indiquer le lieu où se fait l’action désignée par le verbe dont ce nom dérive.
[9] Littéral. « en le prenant par le licou ». Un philologue arabe nous apprend que cette expression s’emploie quand on veut indiquer qu’on prend une chose en tota­lité et avec tout ce qui lui appartient.
[10] Pour ﺐﻠﻐﺘﻠﺎﺑ , lisez ﺐﻠﻗﺘﻠﺎﺑ  .
[11] Je ne trouve aucune indication de cette nature dans les Séances d’Harîri.
[12] Ils omettent la chasse.
[13] Voyez la 1e partie, p. 297.
[14] Idrîs ou Énoch passe, chez les musul­mans, pour être l’inventeur de tous les arts. (Voy. l’article Edris, dans la Biblio­thèque orientale de d’Herbelot ; Taberi, tra­duit par Dubeux, p. 88, et les Monuments arabes, persans et turcs, de M. Reinaud, t. I, p. 138.) Le titre de second père des mortels fut probablement donné à Idrîs parce qu’il était l’arrière‑grand‑père de Noé.
[15] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺔﻟﺿﻔﻟﺍ , leçon que je préfère.
[16] Les mots ﻪﻠﻳﺒﺴﺒ ﻮﻫ ﻯﺫﻠﺍ signifient « avec lequel on se rencontre souvent ». Dans le Hamaça, p. ٦۳۸ , l. 15, on trouve l’expression ﻞﻳﺒﺳﺒ ﻚﻨﻣ ﻭﻫ « il a de fréquentes entrevues avec toi ».
[17] Littéral.  « la source de leurs rigoles », c’est‑à‑dire, « la source qui fournit à leurs dépenses ».
[18] Pour ﻊﻔﺗﺭﻳ , lisez ﻊﻔﺭﺗﻴ .
[19] Pour ﺫﺤﺗﻴﻔ , lisez ﺫﺧﺗﻴﻔ  .
[20] Pour ﺐﻠﻐﺗ , lisez ﺐﻠﻘﺗ  .
[21] Littéral. « l’homme est le fils de ses habitudes et ne l’est pas de sa race ».
[22] Le mot ﻥﻣ est de trop.
[23] Pour ﻒﺠﺤﻣ , lisez ﻒﺤﺠﻣ  .
[24] M. de Sacy a donné une traduction de ce chapitre, avec le texte, dans son édi­tion d’Abd el‑Latîf. (Voyez la Relation de l’Égypte, par Abd Allatif, p. 509, 558.) J’ai adopté sa traduction, en y faisant, toutefois, quelques changements.
[25] C’est‑à‑dire, les anciens Égyptiens.
[26] Pour ﻩﺭﺑﺧﻮ , lisez ﻩﺭﺑﺧ ﻻﻮ  .
[27] Les manuscrits C et D de l’édition de Paris portent ﻒﺮﺎﺗﺳﻳ , forme insolite d’une racine qui n’offre aucune signification qui puisse convenir ici. L’édition de Boulac porte ﺫﻫﺎﺷﻴ , leçon qui présente un sens raisonnable. Le traducteur turc, Péri Zadé, a lu ﻒﺮﺎﺷﻳ , ce qui est évidemment la bonne leçon. Ce passage a été omis dans le manuscrit A, de sorte que M. de Sacy n’en a pas eu connaissance.
[28] Pour ﺪﺗﻣﻴ , lisez ﺪﻴﻣﺗ .
[29] Le mot taleb « chercheur, chercheur de science », s’emploie pour désigner les étudiants en droit et en théologie. Pour le vulgaire, le taleb est un savant accompli, un homme qui sait lire et écrire.
[30] Après ﻰﻔﻴﻟ , insérez ﻪﻠ .
[31] Pour ﺐﺴﻛﻠﺍ , lisez ﺐﺬﻜﻠﺍ .
[32] Il faut lire ﻰﻟﻋ ﻞﺼﺤﻴﻠ , ou bien ﺎﻣ ﻞﻴﺼﺤﺘﻠ . La seconde leçon est celle des manuscrits C et D et de l’édition de Boulac
[33] On lit dans les manuscrits C et D : ﻡﻬﻠﻮﺍ  , et dans l’édition de Boulac : ﻪﻴﻠﻮﺍ  .
[34] Le mot berbi, dont le pluriel est be­rabi, sert à désigner les restes des temples et des autres monuments bâtis par les an­ciens Égyptiens.
[35] Pour ﺭﻴﻮﻐﺘ , lisez ﺮّﻮﻐﺗ .
[36] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺮﻳﻮﻗﺗﻠﺍ ﻰﻔ , c’est‑à‑dire  « circulairement ». Le traducteur turc a em­ployé le mot ﺭﻭﺪﻣ , qui a la même signifi­cation.
[37] Pour ﺭﺋﻠﺍ , lisez ﺭﺋﺒﻠﺍ  .
[38] D’après la loi musulmane, on peut divorcer avec la même femme et la re­prendre deux fois de suite. Quand on di­vorce avec elle pour la troisième fois, on ne peut plus la reprendre, jusqu’à ce qu’elle se soit mariée à un autre, qui l’aura ensuite répudiée.
[39] Littéral. « tu la revêtiras d’une robe de soie ».
[40] Pour ﻩﺪﺷﻮ , lisez ﻩّﺪﺷﺘﻮ .
[41] C’est‑à‑dire, la lune et la planète Mer­cure doivent occuper dans le ciel une posi­tion telle que l’influence heureuse de l’une soit fortifiée par celle de l’autre.
[42] Pour ﻥﻳﻗﺭﺧﻣﻣﻠﺍ , lisez ﻥﻳﻗﺭﺧﺗﻣﻠﺍ  .
[43] Variante offerte par l’édition de Boulac : ﺔﻓﺭﺧﺗﻠﺍ .
[44] M. de Sacy a fait remarquer la cons­truction irrégulière de cette phrase ; mais des incorrections de cette nature sont telle­ment fréquentes chez Ibn Khaldoun que je m’abstiens ordinairement de les signaler. Pour rendre la phrase régulière, il faudrait insérer les mots ﻥﻣ ﻼﺠﺭ après ﻥﻮﺪﺻﻗﻳ .
[45] Littéral.  « des moyens d’acquérir ».
[46] Notre auteur emploie ailleurs l’ex­pression ﺔﻳﻨﺪﻌﻣ ﺭﻳﻗﺎﻗﻋ , ce qui montre que la seconde lettre du mot ﺖﺍﺭﺎﻗﻋ est redoublée. Ces deux formes de pluriel ont pour singulier ﺭﺎّﻗﻋ , mot qui signifie « dro­gue », soit minérale, soit végétale. Les lexicographes ne lui reconnaissent que cette dernière signification, mais M. de Sacy a mieux compris le sens de ce mot.
[47] La bonne leçon est ﺍﻮﺭﻗﻨ . Elle se trouve dans le manuscrit D et dans l’édition de Boulac.
[48] L’auteur laisse échapper ici un de ces traits de négligence qui lui sont habituels ; il a mis au présent les verbes qui signifient ensevelir et consacrer.
[49] Voyez ci-devant, page 94.
[50] Le terme employé ici est ﻩﺎﺟ , djah. Il signifie également « puissance » et « in­fluence » ou « crédit ». L’auteur s’en sert tan­tôt dans le premier sens et tantôt dans le second, sans s’apercevoir de la différence qui existe entre les deux significations. Cela nuit parfois à la justesse de ses raisonne­ments dans ce chapitre et dans le suivant.
[51] Cela peut signifier « qui travaillent pour lui gratuitement », ou bien, « qui lui offrent en cadeau les produits de leur tra­vail ».
[52] Par le mot « travaux », l’auteur en­tend les produits du travail.
[53] Pour َﻢﻳِﻓ , lisez ُﻡَﻴِﻗ .
[54] Littéral. « des valeurs des travaux ».
[55] Pour ﺢﻠﻔﻟ , lisez ﺢﻠﻔﻟﺍ .
[56] Littéral. « chez lui ». Dans cette phrase, l’auteur emploie d’abord au pluriel les verbes et les pronoms, puis il les emploie au singulier. Au reste, les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻪﻟﺯﻨﻣﺒ  à la place de ﻪﻟﺯﻨﻣ ﻰﻔ .
[57] Pour ﻝﺻﺣﺗ  , je lis ﻝﺻﺣﻴ , avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[58] L’auteur exprime cette idée d’une manière moins précise ; il dit : « Cette dis­position d’esprit est une des sources de la fortune ».
[59] Les manuscrits et les deux éditions imprimées portent ﺭﺩﻗ . Je croyais d’abord qu’il fallait lire ﺪﻌﻗ , mais les mots َﺭﺩُِﻗ  ﻭﻠ  ﺩﺤﺍ forment la bonne leçon et signifient : « supposons qu’un homme ».
[60] Pour ﺭﺩﻘ ﻰﻟﻋ , lisez ﺔﺒﺴﻨ ﻰﻟﻋ  , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[61] Pour ﺾﻮﻋ , lisez ﺎﻀﻮﻋ , avec avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[62] L’édition de Boulac porte ﺽﺍﺭﻏﻻﺍ , leçon que j’ai adoptée.
[63] Littéral. « au‑dessus desquelles il n’y a pas de main supérieure ». Je suis la leçon de l’édition de Boulac, qui porte ﺔﻳﻟﺎﻋ , a la place de ﺔﺒﻠﺎﻏ .
[64] Pour ﻡﻫﻮﻟﻌﺒ , lisez ﻡﻫﺅﺎﻘﺒ  , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[65] Pour ﻥﻮﺎﻌﺗ , lisez ﻥﻮﺎﻌﺗﻠﺍ  .
[66] L’auteur a cité ce verset inexactement ayant mis deux fois ﻡﻜﺿﻌﺑ , à la place de ﻡﻬﺿﻌﺑ  .
[67] Voyez ci-devant, p. 336, note 3.
[68] Pour ﻢﻬﻔﺗﻗ , lisez ﻢﻬﻔﺗﻔ .
[69] Littéral. « de haute main ».
[70] L’auteur ne l’a pas dit d’une manière bien précise ; il l’a seulement donné à en­tendre.
[71] J’adopte la leçon fournie par les manuscrits C, D et l’édition de Boulac, qui portent ﺎﻣﺒ à la place de ﺎﻤﻳﻔ .
[72] Le mot arabe est kemal « perfection ». On pourrait aussi le traduire par « talent ».
[73] Littéral. « l’adoration de soi-même ».
[74] Pour ﺀﻼﻓﺴﻠﺍ , lisez ﺔﻠﻓﺴﻠﺍ .
[75] Pour ﺀﺎﺒﻻﺍ , lisez ﺭﺎﺛﻻﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[76] Je lis ﻢﻬﺋﺎﺑﺎﺑ , à la place de ﻩﺭﺎﺜﺎﺑ , bien que cette dernière leçon soit celle des éditions imprimées et des manuscrits.
[77] Littéral. « qui ne se targuent pas d’une chose ancienne ».
[78] Pour ﺹﺍﻮﺧﻠﺍ , je lis ﺭﻃﺍﻮﺧﻠﺍ , avec l’édition de Boulac.
[79] Pour ﻥﺎﻃﻟﺴﻟﺍ , il faut lire ﺔﻟﻮﺪﻠﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[80] Pour ﺎﻬﻴﻠﺍ , lisez ﻢﻬﻳﻠﺍ .
[81] Littéral. « et cependant leurs marchandises, etc ».
[82] Il est bien à regretter que l’auteur ait négligé de nous donner quelques extraits de ce précieux document.
[83] Pour ﺎﻬﻔﺎﻨﺼﻮ , lisez ﺎﻬﻔﺎﻨﺼﺍﻮ  .
[84] Pour ﺪﺎﻔﻨ , lisez ﻖﺎﻔﻨ .
[85] Pour ﻰﻓ , lisez ﻰﻔﻭ .
[86] Pour ﺎﻬﻟ ﺎﻣﺒ , lisez ﺎﻬﻟﺎﻣﺒ  en un seul mot.
[87] Je lis ﺎﻀﺣﻣ ﻼﻁﺎﺒ , avec le manuscrit D.
[88] Littéral. « l’âme ».
[89] Je lis ﺭﺍﺭﻂﻀﺍ ﻻ , avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[90] Littéral. « et l’on ne garde point de l’attachement pour ce qu’on a donné ».
[91] Pour ﺭﺎﻜﺗﺤﻻﺍ , lisez ﺭﺎﻜﺗﺤﻻﺎﺑ  .
[92] Littéral. « de ces forces de l’âme ».
[93] Voyez Introduction, p. XXIV.
[94] Le mot ﺐﻗﻠ a ici la signification de ﺐﺎﺑ « titre, chapitre ». L’emploi du mot ﻰﻨﺯﺧﻣ , dans le sens de gouvernemental, est propre à l’Afrique septentrionale, et se maintient encore dans le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la régence de Tripoli.
[95] Dans l’administration financière des musulmans, le produit de chaque branche de contributions a sa destination spéciale. Il n’y a pas de caisse centrale chez eux.
[96] Pour ﻪﻨﺍ ﺪﺠﻮﻴ , je lis ﻪﻨﺍﺪﺠﻮﺒ  , avec l’édition de Boulac.
[97] Littéral. « la connaissance de cela se réduit aux usages établis chez les peuples ».
[98] Pour ﻼﻏﺎﺒ et ﻼﻏﺍﻮ , lisez ﻰﻟﻏﺎﺒ et ﻰﻟﻏﺍﻮ  .
[99] Pour ﻥﻻ , lisez ﻥﺍ ﻻﺍ , avec l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[100] Littéral.  « car peu, multiplié par beau­coup, donne beaucoup ».
[101] La phrase est mal construite, mais le sens en est parfaitement clair.
[102] Littéral.  « les accidents ».
[103] Pour ﺀﺎﻜﺪﻠﺍ , lisez ﺀﺎﻜﺯﻠﺍ .
[104] Pour ﻥﻮﻣﻟﻌﺗ , lisez ﻥﻮﻟﻣﻌﺗ  .
[105] Littéral. « de la faculté ».
[106] La particule ﻥﺍ est employée ici pour ﻥﺍ ﻰﻠﺍ .
[107] Voyez ci-devant, p. 312, note 3.
[108] Je crois avoir saisi le sens de l’expres­sion arabe ; traduite mot à mot, elle paraît signifier : « à faire croire à un renversement des yeux ».
[109] Pour ﻢﻬﻨﻴﺒ , lisez ﻢﻬﻴﻓ .
[110] Pour ﺺﻗﺗﻨﻴ , lisez ﺾﻗﺗﻨﻴ .
[111] Après ﺔﻔﺎﺴﻣﻠﺍ , insérez ﺎﻣﻬﻨﻴﺑ .
[112] Voyez page 23 de cette partie.
[113] Voyez page 298 de cette partie.
[114] Ce sont les manuscrits C et D et l’édition de Boulac qui ajoutent le mot ﻡﻳﻠﻌﻠﺍ , « le savant ».
[115] Pour ﻪﺠﻮﻴ , lisez ﻪﺠﻮﺗ  .
[116] Pour ﻖﻔﻨ , lisez ﻖﻔﻨﻴ  .
[117] Pour ﻙﺭﻨﻠﺎﺑ , lisez ﻙﺭﺗﻠﺎﺑ  .
[118] Littéral. « il y a ici un autre secret ».
[119] Voyez la 1e partie, p. 45.
[120] Pour ﻢﻬﺒﻠﺼ , lisez ﻢﻬﺒﻠﻁ  .
[121] Voyez la 1e partie, p. 305.
[122] L’asb était une espèce d’étoffe à raies.
[123] Après le mot ﺔﻜﻠﻤ , insérez ﺔﻋﺎﻨﺼ ﻰﻔ .
[124] Littéral. « la fondation de la cause de cela est ».
[125] Littéral. « des mères des arts ». On ne trouve rien dans ce chapitre qui indique pourquoi l’auteur emploie ici le terme mères.
[126] J’ai adopté la leçon ﺔﻌﻔﺍﺭ , qui est celle de l’édition de Boulac.
[127] La leçon des manuscrits est ﺕﺻﺗﺧﺍ ﺎﻣ ﺍﺬﻬﻠﻮ . Le ﺎﻣ  est explétif, et, pour cette raison, on l’a supprimé dans l’édition de Boulac.
[128] Pour ﻚﻟﺫﺒ , lisez ﻚﻠﺫﻟ .
[129] La bonne leçon est ّﻥﻜﻟﻟ .
[130] Les trois paragraphes qui suivent ne se trouvent pas dans les manuscrits C et D. Le manuscrit A les donne, ainsi que l’édition de Boulac. Péri Zadé les a insé­rés dans sa traduction turque.
[131] Je lis ﻪﺗﺎﻫﺠ ﺮﻴﺎﺴ ﻥﻤ ﺔﺎﻴﺎﺤﻟﺍ . Cette le­çon se trouve dans l’édition de Boulac, à l’exception du dernier mot, qui y est écrit ﺎﻬﺗﺎﻬﺠ .
[132] Il faut remplacer ﻥﻮﺪﻳﻗﻣﻠﺎﻔ par ﻥﻮﻟﺪﺘﻌﻣﻠﺎﻔ  , leçon du manuscrit A et de l’édition de Boulac.
[133] Je pense que l’auteur a écrit ﺓﺭﻮﺠﻨﻣﻠﺍ à la place de ﺓﺪﺠﻨﻣﻠﺍ .
[134] Cette signification du mot ﺯﻜﺮﻣ ne se trouve pas dans les dictionnaires.
[135] Le mot ﺮﻨﺎﺴﺪﻠﺍ ne se trouve pas dans les dictionnaires. Il se présente encore dans cette seconde partie, et y a toujours le sens de cheville de bois.
[136] Il faut lire ﺓﺭﺛﻜﻠ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[137] Pour ﻰﻔ , lisez ﻰﻔﻮ .
[138] Variante :  ﻢﻬﻀﻌﺒ .
[139] En écrivant ce nom, l’auteur a oublié la lettre ﻴ entre le ﻨ et le ﺔ .
[140] Pour ﻥﻣﺒ , lisez ﻥﻣ .
[141] Voyez ci-devant, p. 242.
[142] Pour ﺯﺟﻌﺘ , lisez ﺯﺟﻌﻴ  .
[143] Littéral. « les instruments qui suspendent ».
[144] Il faut lire  .ﺔﻟﻻﺍ
[145] Voy. ci-­devant, p. 242, note 2.
[146] On trouvera, dans l’ouvrage de M. Lane intitulé Modern Egyptians, un dessin repré­sentant l’espèce de serrure en bois dont on se sert encore dans la ville du Caire.
[147] Pour ﺔﺒﻮﻠﺻﻣﻠﺍ , lisez ﺔﺒﻮﻠﻁﻣﻠﺍ  .
[148] Littéral. « un membre de la figure ».
[149] Littéral. « dans des proportions dé­terminées ».
[150] Il s’agit de portes à panneaux et de grillages pour les fenêtres, les galeries et les balcons.
[151] Pour ﻒﻳﺫﺎﺠﻣﻠﺍ , lisez ﻒﻳﺫﺎﻘﻣﻠﺍ  .
[152] Je ne sais d’où les mathématiciens et les biographes arabes ont tiré ce rensei­gnement.
[153] Je lis ﺶﻮﻼﻨﻤ , à la place de ﺶﻮﻼﻴﻤ . La plupart des copistes arabes écrivent ce nom incorrectement.
[154] Il faut remplacer la formule ﻢﻠﻌﺻ , ré­servée presque spécialement à Mohammed, par ﻢﻼﺴﻠﺍ ﻪﻴﻠﻋ , et faire la même correc­tion quelques lignes plus bas. Elle est autorisée par les manuscrits C et D et par l’édition de Boulac.
[155] Ce passage, que j’ai mis entre des crochets, ne se trouve pas dans les manus­crits C, D. L’édition de Boulac le donne, ainsi que le manuscrit A.
[156] Littéral. « dans le sens (ou dans la réa­lité) de l’humanité ». (Voyez, du reste, la 1e partie, p. 168 et suiv.)
[157] Littéral. « de se tenir chaud ».
[158] Pour ﻥﺎﺗﻌﻨﺻﻠﺍ , lisez ﻥﺎﺗﻋﺎﻨﺼﻠﺍ .
[159] Pour ﺭﺷﻠﺍ , lisez ﺭﺷﺑﻠﺍ  .
[160] C’est par conjecture que je traduis ainsi les quatre termes techniques em­ployés par l’auteur.
[161] Littéral. « qui sont écartés vers la cha­leur ».
[162] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac insèrent le mot ﻰﻣﺪﻻﺍ , c’est‑à‑dire « de l’espèce humaine », après ﺪﻭﻠﻮﻣﻠﺍ « en­fant ».
[163] Littéral. « de sorte qu’il ne dépasse pas le lieu du superflu ».
[164] Pour ﻉﻮﻀﻭﺍﻮ , lisez ﻉﺎﻀﻭﺍﻮ  . Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[165] Ce Traité d’Avicenne ne nous est pas parvenu, bien que son existence soit signa­lée par le biographe Haddji Khalifa. Ibn Tofeïl composa un autre ouvrage du même titre. C’est celui dont le célèbre Pococke publia le texte avec une traduction latine, l’an 1671, à Oxford.
[166] Voyez la 1e partie de cette traduction, p. 189, note.
[167] C’est‑à‑dire, Dieu crée immédiate­ment les actions de l’homme.
[168] Pour ﺓﺍﻭﺪﻤﻠﺎﺒ , lisez ﺓﺍﻭﺍﺪﻤﻠﺎﺒ  .
[169] Pour ﺀﺍﺭﺨ , lisez ﺀﺍﺯﺠ , avec les manuscrits et l’édition de Boulac.
[170] Pour ﺎﻂﻳﺒﻏ , lisez ﺎﻁﻴﺑﻋ .
[171] Pour ﺔﻅﻴﻟﻏ , lisez ﻪﻅﻴﻟﻏ  .
[172] La bonne leçon est ﻢﻬﺗﻴﻗﻮﺘ , celle des manuscrits C et D et de l’édition de Boulac.
[173] L’édition de Boulac porte ﻡﺿﻬﻠﺍ . J’ai adopté cette leçon.
[174] Après ﺭﺜﻮﺘ , insérez ﻢﻬﻳﻓ .
[175] Le mot ﻢﻬﻟ doit se placer avant ﻚﻟﺫ .
[176] Pour ﺏﺭﻐﻳ , lisez ﺏﺭﻗﻴ , avec le manuscrit C et l’édition de Boulac.
[177] M. de Sacy a donné le texte de la tra­duction de ce chapitre dans sa Chrestoma­thie arabe. édit. t. II, p. 307 et suiv. J’ai adopté sa traduction, après l’avoir modi­fiée dans quelques endroits.
[178] Littéral. « parce que la teinture a bien pris ». L’auteur se plaît beaucoup à em­ployer cette expression métaphorique.
[179] Ce paragraphe manque dans l’édition de Boulac et dans les manuscrits B et C.
[180] La ville de Hîra, située à environ une lieue de Koufa, était le siège de la pe­tite dynastie des phylarques mondérites.
[181] La ville de Taïf est à environ trente­‑cinq lieues de distance au S. E. de la Mecque.
[182] Harb, fils d’Omeïa, était le grand‑père du khalife Moaouïa.
[183] Selon un auteur cité par Ibn Khalli­kan (Biographical diction. vol. II, p. 284), Aslem, fils de Sidra, avait appris l’écri­ture de Moramer Ibn Morra. (Voyez aussi l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 292.) — Il est impossible que l’écriture arabe dérive de l’écriture himyérite ; dans celle‑ci, les lettres sont isolées et diffèrent tout à fait, par la forme, des caractères arabes. On a supposé, avec beaucoup de probabilité, que l’écriture arabe‑koufique est une modification de l’écriture syriaque, et l’on a reconnu, à l’examen de plusieurs médailles et autres monuments, que l’écri­ture arabe‑neskhie était d’un usage assez général dans le nord de l’Arabie et les pays voisins bien des années avant la prédication de l’islamisme.
[184] Pour ﻢﻠﻌﻟﺍﻭ , lisez ﻢﻠﻗﻟﺍﻭ , avec les ma­nuscrits C, D, l’édition de Boulac et le texte publié par M. de Sacy.
[185] Ce paragraphe manque dans les ma­nuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[186] Abou Abd Allah Mohammed el‑Co­daï, surnommé Ibn el‑Abbar, est l’auteur d’un dictionnaire biographique intitulé Tekmila. Cet ouvrage est, comme son titre l’indique, le complément d’un autre traité du même genre, composé par le cé­lèbre historien espagnol Ibn Bachkoual, et intitulé Le Sila « Annexe ». Ce dernier ouvrage servait de supplément à une his­toire biographique des savants les plus il­lustres de l’Espagne musulmane, et dont l’auteur se nommait Ibn el‑Faradi. La So­ciété asiatique de Paris possède un exem­plaire du Tekmila, mais je n’ai pas pu le consulter. L’auteur était natif de la ville de Valence. Après avoir servi quelques souverains espagnols en qualité de secré­taire, il se rendit à Tunis et obtint un emploi dans les bureaux de l’administra­tion hafside. Il fut mis à mort l’an 658 (1260 de J. C.), par l’ordre d’El‑Mos­tancer, sultan de Tunis. Pour les détails, voyez  l’Histoire des Berbers, t. II, p. 347 de la traduction.
[187] M’étant aperçu que cet extrait est donné incorrectement, et n’ayant pas le Tekmila sous la main, je me trouve obligé d’y risquer quelques changements. Je ferai observer d’abord qu’aucun lien de parenté n’existait entre Ibn Ferroukh et Abd er­-Rahman Ibn Zîad, bien que le texte im­primé dise que le premier était fils du se­cond : Ibn Ferroukh était Persan d’origine et Abd er‑Rahman était de race arabe. Nous apprenons par le Nodjoum et par l’Histoire de Cairouan, manuscrit de la Bi­bliothèque impériale, ancien fonds, n° 752, fol. 16 verso, qu’Abou Mohammed Abd Allah Ibn Ferroukh el‑Fareci naquit en Espagne l’an  110 (728729 de J. C.), qu’il alla s’établir à Cairouan, qu’il passa en­suite en Orient et mourut à Misr (le Vieux­ Caire) en l’an 150 (767768 de J. C.). Il se distingua parmi les disciples de l’imam Malek par la sainteté de sa vie. Son con­temporain, Abou Khaled Abd er‑Rahman Ibn Zîad Ibn Anam el‑Moaferi es‑Sofyani, ami intime du célèbre ascète Sofyan et­-Thouri et grand cadi d’Ifrîkiya sous les Aghlebides, naquit dans ce pays et mourut à Cairouan l’an 157 (773774 de J. C.). (Histoire de Cairouan, fol. 14 verso.) — Les corrections que je propose de faire au texte arabe sont de remplacer, p. 340, l. 9, les mots ﻥﺒ  ﺥﻮﺮﻓ  par ﻥﻋ ﻪﺼﻨ ﺎﻣ  ﺥﻮﺮﻓ , puis, à la page 341, ligne 6, de lire ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﻋ , et à la ligne 8 de lire ﺏﻭﻴﺍ ﻥﺒ ﺮﻤﻋ ﻥﻋ .
[188] La lettre élif ne se joint pas à celle qui la suit ; les trois autres se lient à celles qui suivent et à celles qui précèdent.
[189] Ibn Djodaan était contemporain de Mohammed. (Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. II, p. 325.) Pour son histoire, voy. l’Essai, etc. de M. Caussin de Perceval.
[190] Lisez ﺏﺗﺎﻛ .
[191] J’adopte la leçon ﺮﱠﻴﻐﻴ .
[192] Lisez ﻚﻟﺬﺒ .
[193] Variante : Hamra.
[194] Pour ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﺒ , lisez ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﻋ . Dans la même ligne, je lis ﻪﻟﻗﻨ , à la place de ﻪﺗﻟﻗﻨ  .
[195] Pour ﻥﺒ , lisez ﻥﻋ .
[196] Je suis la leçon de M. de Sacy.
[197] Telle est la leçon donnée par M. de Sacy.
[198] Pour ﺎﻬﻣﻴﻠﻌﺗ , lisez ﺎﻬﻣﻠﻌﺗ  , avec le manuscrit A, l’édition de Boulac et le texte donné par M. de Sacy.
[199] La leçon ﺎﺑﻳﺭﻗ ﻮﺍ , celle que M. de Sacy a suivie, se trouve dans les manuscrits A, C, D et l’édition de Boulac.
[200] On verra, plus loin, que l’auteur em­ploie le mot kitaba pour désigner tantôt l’écriture et tantôt l’orthographe.
[201] Pour ﻥﻣﻮ , lisez ﻥﻣ .
[202] On lit dans le Coran, sour. XXVII, vers. 21, 22 : « Il (Salomon) passa en re­vue l’armée des oiseaux, et dit : « Pourquoi ne vois-je pas la huppe ? Est‑elle absente ? Je lui infligerai un châtiment terrible certes, je la ferai mettre à mort, etc ». Dans ce passage, les Compagnons ont écrit ﻻ « non », à la place de ﻞ « certes ».
[203] Coran, sour. LI, vers. 47.
[204] Pour ﺀﺎﺑﻟﺍ , lisez ﺀﺎﻴﻟﺍ  .
[205] Je lis ﻪﻫﺯﻨﺘﻮ ﻪﻔﺮﺷﻠ ﻪﻤﺎﻗﻣ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[206] Littéral. « des connaissances conven­tionnelles ». La science est un système de connaissances sur un objet utile, système conventionnel qui nécessite l’emploi des termes techniques. Les Arabes, n’ayant qu’un seul mot pour désigner connaissance et science, se servent du terme connais­sances conventionnelles ou connaissances tech­niques, ﺔﻴﺤﻼﻁﺼﺍ ﻢﻮﻠﻋ quand ils veulent parler des sciences proprement dites.
[207] Après ﻪﻫﺯﻨﺗ , insérez ﺎﻬﻨﻋ . Cette correction est autorisée par les manuscrits A, C et D, par l’édition de Boulac et par le texte de M. de Sacy.
[208] Les manuscrits C, D et l’édition de Boulac portent ﻪﻣﻠﻌﺗﻮ .
[209] Ce paragraphe manque dans les ma­nuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[210] Pour la vie de ce célèbre vizir et calli­graphe, mort l’an 328 de l’hégire (940 de J. C.), voyez  le Biographical dictionary d’Ibn Khallikan, vol. III.
[211] La vie d’Ibn el‑Baouwab se trouve dans le Biographical dictionary d’Ibn Khallikan, vol. II, p. 282. Ce calligraphe mourut l’an 423 de l’hégire (1032 de J. C.).
[212] Pour ﺔﺛﻟﺎﻤﻠﺍ , lisez ﺔﺛﻟﺎﺛﻠﺍ .
[213] Il ne faut pas confondre Yacout de Mosul, le célèbre calligraphe, avec son homonyme, le géographe. Le premier mou­rut à Mosul en 618 (1221 de J. C.) ; le se­cond mourut près d’Aleppo, en l’an 626 (1229 de J. C.). — Nous ne trouvons aucun renseignement sur Ali ’l-Adjemi.
[214] Après le mot ﻢﺳﺭﻠﺍ , ajoutez ﺪﻬﻌﻟﺍ ﺍﺫﻬﻟ .
[215] Voy. ci-devant, page 23.
[216] Le reste de ce chapitre, à partir d’ici, ne se trouve ni dans les manuscrits C et D, ni dans l’édition de Boulac.
[217] Il faut supprimer le ﻻ .
[218] Quand on regarde un calam bien taillé, en dirigeant la pointe vers soi et la tenant de manière à ce que le dos soit tourné en haut, on voit que le bec de droite est plus court et plus mince que celui de gauche, et que la pointe est taillée obliquement.
[219] Lisez ﻡﺭﺼﺣﻠﺎﺒ ﻮﺍ .
[220] Supprimez le ﻮ de ﻝﻴﺛﻤﺘﻠﺍﻮ .
[221] Pour ﺐﻴﺠﻴ , lisez ﺏﺣﻴ avec le texte de M. de Sacy.
[222] Pour ﺔﺒﺎﺗﻛ , lisez ﻪﺒﺎﺗﻛ  .
[223] L’auteur emploie quelquefois le verbe ﻝﻤﺗﺷﺍ sans la préposition ﻰﻟﻋ .
[224] Le mot ﻚﻟﺫ se trouve dans les manuscrits, mais il est évidemment de trop.
[225] Variante : ﺭﺫﻌﻴ  .
[226] Voyez, pour cette signification du mot ﻝﻤﻋ , la première partie de cette traduction, p. 364, note 2.
[227] Littéral. « dont ils n’étaient pas les in­venteurs ».
[228] Littéral. « résoudre l’énigmatique ».
[229] En arabe, diwans scientifiques. L’au­teur entend désigner par ces mots les re­cueils de traditions, de renseignements historiques, d’explications du texte cora­nique, de notes philologiques, de poésies et de notions de tout genre enseignées dans les écoles.
[230] Le mot ﺖﻼﺠﺴ sidjillat, dérivé du latin sigillum, a plusieurs significations ; il sert à désigner les pièces émanant d’un tribunal, les actes officiels du gouverne­ment, les registres et même les livres.
[231] Lisez ﻥﻴﻨﺎﻌﻣﻠﺍ .
[232] L’auteur veut dire que l’usage de la viande, comme nourriture, était très ré­pandu, et que, pour cette raison, les peaux n’étaient pas rares.
[233] Il s’agit du Barmekide qui était vizir du khalife Haroun er‑Rechîd.
[234] Pour ﻢﻫﻮ , lisez ﻢﻤﻫﻮ  .
[235] Pour l’explication de ces termes tech­niques, voyez  la note qui se trouve à la fin du dernier chapitre de cette partie.
[236] Pour ﺓﺪﻳﻌﻣ , je lis ﺓﺪﱠﺑﻌﻣ . L’édition de Boulac offre cette leçon.
[237] Après ﻥﺎﻗﺘﻻﺍ , insérez ﻢﺎﻜﺣﻻﺍﻮ .
[238] Dans le Ve siècle de l’hégire, les Arabes nomades établis dans la haute Égypte en­vahirent l’Ifrîkiya et le Maghreb, et dévas­tèrent ces contrées à un tel point qu’elles n’ont jamais pu s’en relever.
[239] Litté­ral. « que ce sont des livres clos pour qui­conque voudrait les parcourir ».
[240] Le manuscrit C porte ﻊﻗﻮ-, et l’édition de Boulac offre la leçon ﻊﻗﻮﻳ , celle que j’ai suivie.
[241] Il faut insérer le mot ﻚﻠﺫ avant ﺐﺴﺎﻨﺗﻟﺍ . Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[242] Le mizmar est la flûte à bec, mais ce terme désigne ici tous les instruments à vent qui sont percés de trous.
[243] Pour ﺓﺪﺍﺪﺴ , lisez ﻩﺪﺍﺪﺴ  .
[244] Le mot ﺕﻮﺻ , qui s’emploie dans ce chapitre pour signifier une note de musique, signifie ordinairement « son ».
[245] Littéral. « l’entrecoupement des sons s’y fait ».
[246] Littéral. « sous la forme de la taille d’un calam ». Je suis porté à croire qu’il y a une transposition dans le texte arabe, et que ces mots doivent se placer après ﺓﺮﻳﻐﺼ ﺔﺒﺼﻗﺒ dans la même ligne. Le sens serait alors : un petit roseau, taillé en bec de plume. Au reste, la leçon de l’édition de Paris se retrouve dans l’édition de Boulac et dans tous les manuscrits.
[247] Le berbat (βάρбιτος) et le rebab sont des espèces de guitares ; le canoun est le tympanon.
[248] Littéral. « c’est la perception du conve­nable et du sensible ».
[249] Littéral. « choquant et repoussant ».
[250] Pour ﺖﺎﻴﺭﻤﻟﺍ , lisez ﺖﺎّﻴﺀﺭﻤﻟﺍ  .
[251] Pour ﺉﺭﻣﻠﺍ , lisez ّىﺀﺭﻤﻠﺍ .
[252] Ce raisonnement n’est pas clair et, même avec le secours d’un passage addi­tionnel qui se trouve dans l’édition de Boulac, on ne le comprend pas davan­tage. Nous y lisons, après les mots « est mêlée avec celle de la bien‑aimée » :
ibn_II_413a
ibn_II_413b
« Cela est un mystère que tu comprendras si tu es de ces gens‑là (les amants ?). Il s’agit de l’identité d’origine (de tous les êtres) et du fait que, si tu regardes et examines ce qui est autre que toi, tu verras qu’entre toi-même et cet objet il y a une identité d’origine qui prouve que, toi et cet ob­jet, vous êtes identiques quant à votre Être. » Un peu plus loin, après les mots « ainsi que disent les philosophes », nous lisons :
ibn_II_414a
« Et tu voudras être mêlé avec l’objet dont tu as reconnu la perfec­tion, afin de former un seul être avec lui. Que dis‑je ? l’âme cherche alors à sor­tir de la supposition pour entrer dans la réalité, laquelle est l’identité d’origine et d’être. » La traduction turque n’offre au­cun éclaircissement au sujet de ce para­graphe. Le principe attribué ici aux philo­sophes est ainsi énoncé dans le Dictionary of technical terms, etc. page ۱۴٦ :
ﺎﻳﻮﻨﻌﻣ ﺎﻫﺮﺴﺎﺑ  ﺖﺍﺪﻮﺟﻭﻤﻠﺍ ﻰﻔ  ﻚﺭﺗﺸﻣ  ﺪﻮﺠﻮﻠﺍ , proposition qu’El‑Djordjani, dans son Com­mentaire sur le Mewakif (manuscrit de la Bibliothèque impériale, supplém. n° 1320, cahier 10, fol. 5 v°) explique ainsi :
ibn_II_414b
« L’existence (leur) est commune en réalité, c’est‑à‑dire elle est une réalité, à laquelle tous les êtres participent….. Elle a donc pour parties tous les êtres. » Cette maxime est empruntée à Aristote ; selon lui, la caté­gorie de l’être renferme les substances.
[253] Pour ﻞﺎﻣﻜﻟﺍ ﻚﺭﺪﻤ ﻰﻠﺍ , lisez ﻞﺎﻣﻜﻟﺍ ﻚﺭﺪﻳ  ﻥﺍ ﻰﻠﺍ.
[254] Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻥﻣ , à la place de ﻰﻔ .
[255] Malek n’autorisait que la psalmodie dans la récitation du Coran.
[256] Littéral. « il fait des tremblements sur les sons ».
[257] Cette parole fut prononcée par Mo­hammed, en entendant Abd Allah Ibn Caïs, mieux connu sous le nom d’Abou Mouça el‑Achâri (voy. la 1e partie, p. 416, 449), réciter le Coran à haute voix. Cette tradi­tion est indiquée dans le Mishkat el‑Mesa­bih, traduit en anglais par le capitaine Mat­thews, et on la retrouve, sous trois formes presque identiques, dans un Dictionnaire biographique des Compagnons de Mohammed et leurs disciples, intitulé Sier- es‑Se­lef, manuscrit de la Bibliothèque impériale, supplément arabe, n° 693, fol. 91 v°.
[258] Pour ﺍﺫﺍﻮ , lisez ﺍﺫَﻮ  .
[259] Pour ﺫﺍ , lisez ﺍﺫﺍ .
[260] Pour ﺎﻬﻨﻻ , lisez ﻪﻨﻻ .
[261] Ces parties, ce sont les vers.
[262] C’est‑à‑dire les syllabes brèves et les syllabes longues.
[263] Le terme employé ici est diwan, qui signifie recueil, registre.
[264] Haddji Khalifa, dans son Dictionnaire bibliographique, indique deux ouvrages portant ce titre, l’un d’Abou ’l-Abbas es-­Serakhchi, mort en 286 de l’hégire (899 de J. C.), et l’autre de Thabet Ibn Corra, mort en 288 (901 de J. C.). Un troisième ouvrage du même titre eut pour auteur le célèbre El-Farabi, mort en 561 (1166 de J. C.), et c’est très probablement de celui­-ci qu’Ibn Khaldoun veut parler. M. Ko­segarten en a donné une analyse au commencement de son édition, malheu­reusement inachevée, du Kitab el-Aghani.
[265] Pour ﻢﻬﻠﺣﻣ , lisez ﻢﻬﻠﺣﻨ  .
[266] Abou Ishac Ibrahîm ez-Zaddjadj, sa­vant philologue et grammairien, mourut à Baghdad, l’an 310 (922 de J. C.).
[267] Voyez la 1e partie, p. 8, note 2. L’ouvrage intitulé l’Omda, c’est‑à‑dire la colonne ou l’appui, traitait de l’art de la poésie. Selon Ibn Khallikan, dans son Diction­naire biographique, Ibn Rechîk mourut l’an 456 (164 de J. C.).
[268] J’adopte la leçon ﺓﺮﺎﻀﻏ , celle qui est offerte par l’édition de Boulac.
[269] Eïça Ibn Abd Allah, surnommé To­waïs « le petit paon », fut client de la tribu de Makhzoum, et habitait la Mecque. Il mourut l’an 92 de l’hégire (710‑711 de J. C.).
[270] Saïb Khather était d’origine persane. Il habitait Médine et fut tué à la bataille d’El‑Harra, l’an 63 de l’hégire (683 de J. C.).
[271] Abd Allah Ibn Djafer, petit‑fils d’Abou Taleb, mourut l’an 80 de l’hégire (699­-700 de J. C.).
[272] Abou Abbad Mabed Ibn Ouehb, client d’Abd er‑Rahman Ibn Catan, chantait très­ souvent à la cour d’El‑Ouelid Ibn Yezîd ; il mourut sous le règne de ce khalife. Les airs qu’il composa obtinrent une grande célébrité. Un poète disait de lui : « Towaïs chantait bien, et Ibn Soreïdj plus tard ; mais c’est Mabed qui a remporté la palme ».
[273] Abou Yahya Obeïci Ibn Soreïdj était encore un des protégés d’Abd Allah Ibn Djafer. Comme musicien et chanteur, il n’avait de rival que Mabed. Il faut lire ﺞﻳﺭﺴ , à la place de ﺢﻳﺭﺷ , dans le texte arabe.
[274] Ibrahîm Ibn el‑Mehdi, fut proclamé khalife à Baghdad, l’an 202 de l’hégire (817-818 de J. C.), lors des troubles qui curent lieu après la mort d’El‑Amîn. Pour ses aventures, voyez  la traduction an­glaise des Mille et une Nuits, de Lane, vol. II, p. 336. [css : Gallica, trad. fr.]
[275] Ibrahîm Ibn Mahan naquit à Koufa, l’an 125 et mourut à Baghdad, en 188 (804 de J. C.). Il porta le surnom d’El‑Mauceli, parce qu’il avait demeuré quel­que temps à Mosul. Il jouit d’une grande faveur auprès d’Haroun er‑Rechîd. Son fils Ishac, et son petit‑fils Hammad se distin­guèrent aussi comme musiciens.
[276] Les danseuses se servaient des ba­guettes pour s’escrimer entre elles et pour frapper la terre en cadence.
[277] Ce sont les jouets que les enfants ap­pellent chevaux à jupon et chevaux à car­rousel.
[278] C’est‑à‑dire, d’Ibrahîm el‑Mauceli et de son fils.
[279] On peut consulter, pour l’histoire de ce célèbre musicien et arbiter elegantiarum, la traduction de Maccari, par M. de Gayan­gos, vol. II, p. 116 et suiv. et l’Histoire des Musulmans d’Espagne, de M. Dozy, t. II, p. 89 et suiv.
[280] Voy. la 1e partie, p. 219.
[281] C’est  l’ε̉ντελέχεια d’Aristote.
[282] Littéral. « un canon scientifique ».
[283] Lisez ﻚﻟﺬﻟﻭ avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[284] Pour ﺎﻣﻼﻴﻠﻔ , lisez ﻢﻜﻠﻌﻟ .

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