C I N Q U I È M E S E C T I O N.
SUR LES MOYENS DE SE PROCURER LA SUBSISTANCE ; SUR
L’ACQUISITION, LES ARTS ET TOUT CE QUI S’Y RATTACHE. EXAMEN DES QUESTIONS AUXQUELLES CE SUJET DONNE LIEU.
# De la véritable
signification des termes bénéfice (rizc) et acquisition (kesb).
On prouve que celle‑ci est le prix du travail de l’homme.
# Sur les voies et moyens
divers de gagner sa vie (ma‑ach)
# Travailler au service d’un
maître est un moyen de gagner sa vie qui n’est pas conforme à la nature.
# La recherche des trésors et
des dépôts enfouis n’est pas un moyen naturel de gagner sa vie et de
s’enrichir.
# La haute considération est
une source de richesses.
# Ce sont ordinairement les
gens qui savent s’abaisser et faire leur cour qui réussissent dans le monde et
qui font fortune. La servilité et la flatterie doivent compter parmi les moyens
de parvenir.
# Les personnes chargées de
fonctions qui se rattachent à la religion, les cadis, par exemple, les muftis,
lesinstituteurs, les imams, les prédicateurs et les moueddins parviennent rarement
à s’enrichir.
# Les hommes de peu de
considération et les campagnards besoigneux sont les seuls qui adoptent
l’agriculture comme un moyen de se procurer la subsistance.
# Sur le commerce, sa signification,
ses procédés et ses divers genres.
# Sur l’exportation de
marchandises.
# De l’accaparement.
# Le vil prix d’une
marchandise nuit aux intérêts de ceux qui, par métier, s’occupent de cette
(espèce de marchandise) dépréciée.
# Quels sont les hommes qui
peuvent s’adonner au commerce avec avantage, et ceux qui doivent s’en abstenir.
# Le caractère moral des
négociants est inférieur à celui des personnages qui exercent de hauts
commandements, et s’éloigne de celui qui distingue l’homme de cœur.
# Pour apprendre un art
quelconque, il faut avoir un maître.
# Les arts se perfectionnent
dans une ville à mesure du progrès de la civilisation et de l’accroissement de
la population.
# La stabilité et la durée
des arts, dans une ville, dépendent de la stabilité et de l’ancienneté de la
civilisation dans cette ville.
# L’amélioration des arts et
leur extension dépendent du nombre des personnes qui en recherchent les
produits.
# La décadence d’une ville
entraîne celle des arts qu’on y cultive.
# Les Arabes sont le peuple
du monde qui a le moins de disposition pour les arts.
# Celui qui possède la
faculté d’exercer un certain art parvient très rarement à en acquérir
parfaitement un autre.
# Indication des arts du
premier rang.
# De l’agriculture.
# De l’art de bâtir.
Des
divers genres des bâtiments et les matériaux dont on les construit. — Des questions
de mitoyenneté et leur solution. — De l’art de l’ingénieur.
# De l’art du charpentier.
# De l’art du tisserand et de
celui du tailleur.
# De l’art des accouchements.
Sur
l’instinct et sur la perpétuité des espèces.
# De l’art de la médecine. —
Il est nécessaire aux peuples sédentaires et aux habitants des villes, mais il
est inutile aux peuples nomades.
# L’art d’écrire est un de ceux qui appartiennent à l’espèce
humaine.
Notions
sur l’histoire de l’écriture. — Sur l’orthographe incorrecte employée dans les
premiers exemplaires du Coran. — Les divers genres d’écriture. — Poème d’Ibn el‑Baouwab
sur l’art de l’écriture. — Les sigles, les chiffres et l’art de déchiffrer.
# De la librairie.
Le
parchemin, le papier, etc. — Les traditions mises par écrit. — Vérification et
correction des textes.
# De l’art du chant.
Du chant
et des instruments de musique. — Pourquoi la musique est‑elle une source de
plaisir. — L’usage de psalmodier le Coran. — Introduction de la musique chez
les Arabes. — Les chanteurs perses et grecs. — Ziryab.
# Les arts, et surtout ceux de l’écriture et du calcul,
ajoutent à l’intelligence des personnes qui les exercent.
Origine
du mot divan.
De la véritable signification des
termes bénéfice (rizc) et acquisition (kesb). On prouve que
celle‑ci est le prix du travail de l’homme.
p.319 L’homme, dans tous les états et dans
toutes les périodes de sa vie, depuis sa naissance jusqu’à l’époque où il est
dans la force de l’âge, et depuis lors jusqu’à la vieillesse, est soumis par la
nature à l’obligation de prendre de la nourriture et de se procurer la subsistance.
Le riche (qui n’a besoin de rien),
c’est Dieu, et les pauvres, c’est vous. (Coran, sour. XLVII,
vers. 40.) Dieu, qu’il soit glorifié et exalté ! a créé pour l’homme tout
ce qu’il y a dans le monde et lui en a fait don, ainsi qu’il l’a déclaré dans
plus d’un verset de son livre. Il a
créé pour vous, dit‑il, tout ce qu’il
y a dans les cieux et sur la terre [1]. Et, encore [2] :
Il a fait travailler pour
vous le soleil et la lune, et il vous a soumis la mer, et il vous a soumis les
navires et les bestiaux [3]. Nous pourrions citer encore plusieurs
autres témoignages fournis par ce livre.
L’homme étend sa main avec autorité sur le monde et sur tout ce qui
s’y trouve, par suite de la déclaration par laquelle Dieu l’établit *273 dans cette terre comme son lieutenant. Les
mains de tous les hommes sont ouvertes (pour prendre), et, en cela (seul),
elles agissent de concert ; mais aucun individu ne peut se procurer ce
qu’un autre a obtenu, à moins de lui donner quelque objet en échange. L’homme,
sorti de la faiblesse de ses premières années p.320
et capable d’agir par lui-même, fait des efforts pour acquérir les
choses dont il peut tirer un profit, et cela dans le but de les employer, si
Dieu les lui accorde, comme moyens d’échange, dans le cas où il veut se
procurer celles dont il peut avoir besoin ou qui lui sont d’une nécessité
absolue. Dieu lui-même a dit :
Cherchez donc auprès de Dieu le bénéfice
(que vous désirez). (Coran, sour. XXIX, vers. 16.)
Quelquefois l’homme obtient cela sans effort ; ainsi Dieu lui donne la
pluie, qui favorise la culture des terres ; mais de tels dons ne sont que
de simples secours et ne dispensent pas de travailler, ainsi qu’on le verra
plus loin. Si les choses que l’homme parvient à acquérir sont en quantité
suffisante pour subvenir à ses besoins et lui procurer le nécessaire, on les
désigne, par le terme subsistance (ma‑ach), et si elles sont en
plus grande quantité, on les nomme richesses
(riach) ou fonds [4].
Ce que l’homme reçoit et ce qu’il acquiert s’appelle bénéfice (rizc),
s’il en retire de l’utilité et s’il en recueille le fruit. Cela lui arrive
quand il dépense ce qu’il a obtenu pour les choses dont il a besoin ou qui lui
sont utiles. Le Prophète a dit : « Les biens que tu as
réellement possédés, ce sont les mets que tu as consommés en les mangeant, les
habits que tu as usés en les portant et les choses que tu as données en
aumônes ». Ce que l’homme a obtenu ne doit pas s’appeler bénéfice s’il ne
s’en sert pas pour augmenter sen bien‑être ou pour subvenir à ses besoins. La
possession des biens, quand elle est le résultat des efforts de l’homme et de
sa force, se nomme acquisition (kesb). Il en est le même des
successions : l’héritage, envisagé comme ayant appartenu au défunt, ne
s’appelle pas bénéfice, mais acquisition, car le mort n’en a retiré aucun
avantage ; mais, considéré comme appartenant aux héritiers, il prend ce
premier nom, s’ils l’emploient utilement. Tel est le véritable sens du mot bénéfice,
selon les docteurs orthodoxes.
Les Motazélites permettent d’appeler bénéfice les biens laissés
par un mort, pourvu que ces biens aient été acquis d’une manière légale.
« p.321 Ce qui n’a pas été acquis ainsi,
disent‑ils, n’a aucun droit d’être *274 ainsi
dénommé ». Aussi refusent‑ils ce titre à ce qui a été obtenu par violence
ou par une voie illégale. Cependant Dieu accorde des bénéfices au spoliateur et
à l’oppresseur, au vrai croyant et à l’infidèle ; il montre sa
miséricorde et sa grâce directrice à celui qu’il veut. Ces mêmes docteurs
appuient leur opinion sur d’autres arguments, mais ce n’est pas ici la place
d’en donner l’exposition.
Maintenant il faut savoir que c’est au moyen de son propre travail et
en visant au gain que l’homme parvient à acquérir ; il doit agir et
travailler pour obtenir un bénéfice, quand même il chercherait à y parvenir par
toutes les voies possibles. Dieu a dit : Cherchez votre bénéfice auprès de Dieu. Les efforts que
l’homme fait pour cela dépendent du pouvoir que Dieu lui a concédé et des
idées qu’il lui inspire. Tout bénéfice provient de Dieu ; tout ce qui est
acquisition et tout ce qui est fonds et richesses ne provient que du travail de
l’homme. Cela est évident quand ce travail consiste dans les efforts personnels
de l’individu, comme le serait, par exemple, l’exercice d’un art. Le gain qui résulte
de l’élève des bestiaux, de la culture des plantes et de l’exploitation des
mines ne peut s’obtenir non plus que par le travail de l’homme ; c’est ce
qu’on voit partout. Sans le travail, ces occupations ne fourniraient aucun
profit, ni aucun avantage. Ajoutons que Dieu a créé deux métaux [5],
l’or et l’argent, pour représenter la valeur de tout ce qui est richesse.
Aux yeux de la généralité des hommes, ce qui est trésor et gain
consiste uniquement en or et en argent ; si l’on recherche d’autres matières,
c’est uniquement dans le dessein de profiter des fluctuations du marché pour
les vendre avantageusement, afin de se procurer de l’or et de l’argent. Quant
à ces deux métaux, ils ne sauraient être un objet de trafic, puisqu’ils sont la
base à laquelle se ramène tout ce qui est gain, acquisition ou trésor. Ayant
maintenant établi ces principes, nous dirons que, si le fonds (ou les
marchandises) dont p.322 on tire un
avantage et un profit est le produit d’un art spécial, cet avantage et ce
profit représentent le prix du travail de l’artisan, et *275 c’est là ce qu’on désigne par le mot gain (kinya) ; le travail y est pour tout, mais
ce n’est pas pour le travail lui-même qu’on veut bien se donner tant de
peine [6].
Il y a certains arts qui en renferment en eux-mêmes d’autres : celui du
charpentier, par exemple, se rattache à celui du menuisier, et l’art de filer
doit accompagner celui de tisser ; mais il y a plus de main‑d’œuvre dans
la menuiserie et dans la tisseranderie, ce qui fait que le travail y est plus
rétribué.
Si le fonds qu’on possède n’est pas le produit d’un art, il n’en faut
pas moins faire entrer, dans le prix de ce produit qu’on a obtenu et acquis,
la valeur du travail que l’on y avait mis. Car sans le travail rien ne
s’acquiert. Seulement dans la plupart des cas, il est facile de reconnaître que
l’on y a tenu compte de la valeur du travail et qu’on lui a assigné un prix
plus ou moins grand ; mais, dans quelques autres, on ne s’en aperçoit pas.
C’est ce qui a lieu pour la généralité du monde en ce qui regarde le prix des
comestibles. Quand on fixe le prix des grains, on tient certainement compte du
travail et des frais que leur production a exigés, ainsi que nous l’avons dit
ci-dessus ; mais cela échappe à l’attention des personnes qui habitent
des contrées où les charges qu’entraîne la culture de la terre sont très
légères : quelques cultivateurs seulement se doutent de ce qui en est. En
faisant voir que les avantages et les profits (dérivés des arts et du commerce)
représentent en totalité ou en grande partie la valeur du travail de l’homme,
nous avons rendu clair le sens du terme bénéfice,
montré que c’est la chose dont on a tiré de l’utilité, et indiqué ce que
nous devons entendre par le mot acquisition.
Il faut maintenant savoir que si le décroissement de la
population a fait diminuer ou cesser les travaux dans une ville, cela annonce p.323 que Dieu a enlevé aux habitants de cet
endroit les moyens d’acquérir des richesses. Voyez les villes où il y a peu de
monde ; les bénéfices et les profits sont bien faibles, parce qu’on n’y
fait pas de grands travaux. On peut aussi conclure de là que, dans les villes
où l’on travaille beaucoup, les habitants sont très riches et jouissent d’une
grande aisance. Cela résulte du principe que nous avons déjà établi. Les gens
du peuple s’énoncent conformément aux idées exposées dans ce chapitre quand
ils disent d’un pays déchu de sa prospérité qu’il a perdu ses bénéfices.
*276 (Dans de tels pays, la ruine se
propage) au point que les ruisseaux et les sources disparaissent et n’arrosent
plus les plaines. En effet, pour avoir des cours d’eau, il faut nettoyer les
sources et puiser de l’eau dans des puits, c’est‑à‑dire, il y faut le travail
de l’homme [7].
C’est ainsi que, pour avoir du lait, il faut l’extraire du pis de l’animal. Si
l’on a discontinué de curer les puits et d’en tirer de l’eau, ils finissent par
se tarir et rester à sec ; de même que les animaux ne fournissent plus de
lait quand on a cessé de les traire. Voyez les pays où l’on sait qu’il y avait
des sources dans les temps de leur prospérité ; aussitôt que la
dévastation s’y est répandue, les eaux ont cessé de couler, comme s’il n’y en
avait jamais eu. Dieu règle les
vicissitudes des nuits et des jours.
Sur les voies et moyens divers de
gagner sa vie (ma‑ach).
Le mot ma‑ach s’emploie pour désigner l’acte de l’homme qui désire
la subsistance et qui fait des efforts pour se la procurer. C’est un nom de la
forme mefal [8]
et dérivé d’aïch (vivre). Comme cet acte est nécessaire pour le soutien
de la vie, nous pouvons supposer qu’on lui a donné, par hyperbole, un nom qui
signifie lieu où se trouve la vie. p.324
Les moyens d’existence se procurent de diverses manières : 1° En
les ôtant aux mains d’autrui, quand on y est autorisé par un code de règlements
généralement admis : ce qu’on enlève, ainsi s’appelle taxe ou impôt. 2° En les tirant d’animaux
sauvages que l’on prend [9]
sur terre ou dans la mer : cela s’appelle chasse. 3° En tirant d’animaux
domestiques certains produits d’un emploi général parmi les hommes, le lait,
par exemple, qui est fourni par les troupeaux, la soie, qui provient du ver qui
la file, et le miel, que l’on doit aux abeilles ; ou bien, on les tire de
grains et d’arbres auxquels on a donné des soins et que l’on traite de manière
à pouvoir en tirer une récolte : *277 tout
cela s’appelle agriculture. 4° Par le
travail manuel. Il y a deux espèces de travaux : celui de la première
espèce s’emploie uniquement sur une matière spéciale et porte alors le nom
d’art ; c’est l’écriture, par exemple, la menuiserie, les arts du
tailleur, du tisserand et de l’écuyer. Le travail de la seconde espèce ne
s’emploie pas sur une matière spéciale, mais consiste dans les diverses
occupations laborieuses d’un homme de peine. 5° Par le gain résultant du
trafic ; on a des marchandises disponibles que l’on transporte [10]
dans d’autres pays, ou bien que l’on tient en réserve jusqu’au moment où l’on
peut les écouler avantageusement au marché : cela s’appelle commerce. Ces diverses manières et
moyens de gagner sa vie sont identiquement les mêmes que ceux dont on doit
l’indication aux littérateurs et aux philosophes les plus exacts, tels que
Harîri [11].
« Ma‑ach, disent-ils, c’est le
haut commandement, le commerce, l’agriculture et les arts (manuels) [12] ».
Comme le haut commandement n’est pas un moyen naturel de gagner sa vie, nous ne
sommes pas obligé d’en parler ; d’ailleurs, nous avons dit, dans la
seconde section, quelques mots sur les impôts qu’on paye au gouvernement et sur
les contribuables [13].
p.325 L’agriculture, les arts et le
commerce offrent au contraire des moyens d’existence conformes à la nature.
Quant à l’agriculture, elle a une supériorité intrinsèque sur les
autres, parce qu’elle est facile, naturelle et conforme à la disposition innée
de l’homme ; elle n’exige ni études, ni science, et, pour cette raison, le
peuple lui donne pour inventeur Adam, le père de l’espèce humaine. — « Ce
fut lui, disent‑ils, qui, le premier, l’enseigna et la pratiqua ». Par ces
mots, ils veulent donner à entendre qu’elle est le moyen le plus ancien et le
plus naturel de se procurer la subsistance. Les arts viennent en second lieu
et à la suite de l’agriculture, parce qu’étant compliqués et devant être appris
ils exigent l’emploi de la réflexion et de l’attention. Voilà pourquoi ils ne
fleurissent ordinairement que dans la vie sédentaire, mode d’existence qui est
précédé par la vie nomade. Ce fut pour la même raison que l’on attribua
l’invention des arts à Idrîs, le second père des mortels [14], *278 lequel, dirigé par une inspiration divine,
les avait inventés pour l’usage de sa postérité. Le commerce, considéré comme
moyen de gagner sa vie, est conforme à la nature, bien que, dans la plupart de
ses opérations, il consiste en tours d’adresse employés dans le but d’établir
entre le prix d’achat et celui de vente une différence dont on puisse faire son
profit [15].
La loi permet l’emploi de ces tours, bien qu’ils rentrent dans la
catégorie d’opérations aléatoires, parce qu’ils n’ont pas pour résultat de
prendre le bien d’autrui sans rien donner en retour. Mais Dieu sait (mieux que nous ce qui en est).
Travailler
au service d’un maître est un moyen de gagner sa vie qui n’est pas conforme à
la nature.
p.326 Le souverain, placé toujours vis‑à‑vis [16]
de l’obligation de commander et de gouverner, a besoin d’avoir des serviteurs
dans toutes les branches de l’administration. Il ne saurait se passer de
soldats, d’une police armée ni de gens de plume. Pour remplir chaque emploi,
il fait choix des personnes dont il a reconnu la capacité, et leur assigne des
traitements sur son trésor. Tous les emplois étant subordonnés à l’autorité
supérieure et fournissant des moyens d’existence qui proviennent d’elle, les
hommes qui s’en chargent sont tenus dans la soumission et doivent une
obéissance aveugle au souverain, l’auteur de leur fortune [17].
Il y a d’autres genres de service moins honorables que celui du prince, et dont
l’origine s’explique ainsi : la plupart des individus qui vivent dans le
luxe trouvent au-dessous de leur dignité [18]
l’obligation de s’occuper des choses dont ils ont besoin, ou bien, ils sont
incapables de le faire, parce qu’ils ont été élevés au sein de la mollesse.
Aussi prennent‑ils [19]
des gens qui font cette besogne pour eux, moyennant une rétribution. Cette
nonchalance n’est pas honorable et ne convient pas à la dignité naturelle de
l’homme : en empruntant l’aide d’autrui on décèle sa propre faiblesse, et
l’on se laisse conduire à créer de nouveaux emplois et à augmenter ainsi ses
dépenses. C’est donner une preuve *279 évidente
de son impuissance et de son naturel efféminé, défauts que toute personne,
jalouse de se conduire en homme, doit tâcher d’éviter. Mais il est
malheureusement dans la nature de l’espèce humaine de se laisser
entraîner [20]
par ses habitudes dans l’ornière de la p.327 routine ;
ce n’est pas de ses aïeux, mais de ses habitudes que l’homme tient son
caractère [21].
Au reste, un serviteur capable et digne de confiance n’existe pas pour
ainsi dire. Les individus qui travaillent comme domestiques peuvent se ranger
en quatre classes, ni plus ni moins : 1° celui qui a du talent et à la
probité duquel on peut se fier ; 2° celui qui, au contraire, n’a ni
talent ni probité ; 3° et 4° celui à qui l’une ou l’autre de ces qualités
manque, c’est‑à‑dire l’homme habile et sans probité, et l’homme honnête, mais
incapable. Quant au premier, on serait dans l’impossibilité de l’engager [22]
à son service, puisque ses talents et sa probité lui épargneraient la nécessité
d’avoir recours à des gens haut placés dans le monde, et le porteraient à
mépriser la rétribution qu’on pourrait lui donner en retour de ses services.
D’ailleurs, ces mêmes qualités le mettraient en état de remplir une position
plus élevée que celle de domestique, aussi ne voit‑on jamais des hommes de
cette classe prendre service excepté chez des émirs qui mènent un grand train
de vie, dominés tous, comme ils le sont, par l’amour de l’ostentation. Quant au
domestique de la seconde classe, celui qui est inhabile et fripon, aucun homme
raisonnable ne songerait à l’employer ; car un tel serviteur ferait du
tort [23]
à son maître de deux manières : en lui faisant subir des pertes par son
incapacité, et en lui dérobant une partie de ses biens. Ainsi, sous tous les
rapports, un tel domestique est nuisible. Voilà donc deux classes de
domestiques auxquelles il faut renoncer. Il n’en reste alors que deux :
celle des serviteurs fidèles, mais incapables, et celle des serviteurs
capables, mais infidèles. On a des motifs plus ou moins justes pour donner la préférence
à l’une ou à l’autre, mais il me semble que l’homme
*280 capable et sans probité est à préférer, parce qu’on peut se tenir
en garde contre ses friponneries et prendre toutes les précautions nécessaires
pour ne pas se laisser tromper. Un domestique honnête, mais qui nuit aux
intérêts de son maître par son incapacité, lui fera p.328 toujours plus de tort que de bien. Prenez ceci pour règle
dans le choix d’un serviteur. Dieu fait tout ce qu’il veut.
La
recherche des trésors et des dépôts enfouis n’est pas un moyen naturel de
gagner sa vie et de s’enrichir [24].
Parmi les habitants des grandes villes, il se trouve beaucoup de gens
d’un esprit faible qui, dans l’espoir de s’enrichir, recherchent avec ardeur le
moyen de (découvrir et de) retirer du sein de la terre les trésors (que l’on y
aurait enfouis). Ils s’imaginent que la terre recèle toutes les richesses des
peuples anciens, et qu’on a apposé sur ces dépôts des talismans magiques
formant des scellés que personne ne peut briser, à moins de les reconnaître et
d’employer les fumigations, les conjurations et les victimes propres à rompre
le charme. Les habitants des principales villes de l’Ifrîkiya se figurent que
les Francs, qui occupaient cette contrée avant l’introduction de l’islamisme, y
ont caché leurs trésors de cette manière et ont inscrit dans certains livres
des notes de ces dépôts (pour en conserver la connaissance), jusqu’à ce qu’il
se présentât une occasion favorable de les retirer. Dans les contrées de
l’Orient, les habitants des grandes villes attribuent une semblable conduite
aux Coptes [25],
aux Grecs et aux Perses. On raconte, à ce sujet, plusieurs histoires qui ont
tout à fait l’air de fables : ce sont des gens qui, en faisant des
fouilles pour des recherches de ce genre, parviennent à des dépôts de trésors
dont ils ne connaissent pas les talismans [26],
et qu’ils trouvent ces dépôts, les uns vides, les autres remplis de vers ;
ou bien ils y remarquent [27]
des amas d’argent et de bijoux au devant desquels se p.329 tiennent *281 des
gardiens ayant des épées nues à la main ; ou bien encore, c’est la terre
qui s’ébranle [28],
comme si elle allait les engloutir. On débite une multitude de fables
semblables.
Dans le Maghreb, on trouve un grand nombre de talebs [29]
parmi les Berbers, qui, ne sachant aucun métier et n’ayant appris aucun des
moyens naturels de gagner leur vie, recherchent la faveur des gens riches en
leur montrant des feuilles de papier dont les marges sont rongées (comme par la
vétusté) et couvertes, soit de caractères barbares, soit d’une prétendue
traduction d’une pièce laissée par quelqu’un qui aurait caché un trésor.
« Voici, disent‑ils, ce qu’on avait écrit dans le but d’indiquer les lieux
où ces trésors sont cachés ». Ils veulent, par cet artifice, tirer de
l’argent des gens à qui ils s’adressent, en les excitant à faire des fouilles
pour chercher ces dépôts et en leur donnant à entendre que, s’ils ont recours
à eux pour cette recherche, c’est uniquement afin de se procurer un appui et de
se garantir, à la faveur de leur crédit, des poursuites des magistrats et des
châtiments auxquels ils s’exposent. Il n’est pas rare que quelques‑uns de ces
imposteurs emploient des tours d’adresse ou de prétendus sortilèges, afin de
faire accueillir comme vraies les déclarations qu’ils se réservent de faire, et
cela sans avoir aucune connaissance de la magie ni des pratiques de cet art.
Beaucoup d’esprits faibles (se laissent ainsi séduire et) s’empressent de
rassembler des ouvriers pour faire des fouilles ; ils se livrent à ces
travaux pendant l’obscurité de la nuit, afin de se soustraire aux regards des
curieux et des espions employés par le gouvernement. Quand ils ne trouvent rien,
ils en rejettent la cause sur ce qu’ils ignorent le talisman avec lequel on
avait scellé le trésor qu’on cherchait. Ils essayent ainsi de se faire illusion
à eux‑mêmes, afin de se consoler d’être trompés dans leurs espérances.
p.330 Ce n’est pas seulement la
faiblesse d’esprit qui porte les hommes à ces vaines recherches ; c’est
encore le plus souvent l’impuissance où ils sont de gagner leur vie par
quelques‑uns des moyens conformes à la nature, comme le commerce,
l’agriculture, les arts. Ils cherchent *282 à
suppléer à cette impuissance par des moyens anomaux et contraires à la nature,
tels que ceux dont nous parlons, et d’autres de même genre. Ne pouvant pas
travailler pour se procurer quelques profits, ils se flattent d’obtenir leur
subsistance sans qu’il leur en coûte ni peine ni fatigue. Ils ne savent pas
qu’en s’y prenant ainsi, d’une manière si fausse, ils se jettent dans des
peines, des fatigues et des travaux bien plus durs que n’auraient été ceux
qu’ils fuient, et que, outre cela, ils s’exposent à des châtiments.
Il y a encore une chose qui contribue puissamment à entraîner les
hommes vers ces recherches : c’est l’accroissement du luxe et de ses
habitudes, auxquelles tous les moyens ordinaires d’acquérir de l’argent ne peuvent
satisfaire une fois qu’elles commencent à passer les bornes. Lorsque les
bénéfices que procurent les moyens naturels de gagner sa vie ne suffisent plus
aux exigences du luxe, on n’imagine d’autre ressource, pour y suppléer, que la
découverte d’un trésor. On se flatte d’acquérir ainsi, tout d’un coup et sans
aucune peine, un fonds immense de richesses, avec lequel on pourra [30]
satisfaire aux habitudes (dispendieuses) dont on s’est rendu l’esclave. On
persiste à nourrir ce vain souhait, et, pour l’accomplir, on y consacre tous
ses efforts. Aussi voyons‑nous que ceux pour qui ces recherches ont de grands
attraits sont, pour la plupart, des hommes accoutumés à vivre dans la
mollesse, tels que les gens de cour ou les habitants de grandes villes, le
Caire, par exemple, où le luxe est très répandu, et qui offrent beaucoup de
ressources. Vous reconnaîtrez que presque toutes ces personnes ne songent qu’à
ces vains projets et aux moyens de les réaliser ; elles interrogent les
voyageurs pour en tirer des renseignements sur les faits extraordinaires de ce p.331 genre et montrent pour ces recherches la
même passion que pour l’alchimie. C’est ainsi, nous a‑t‑on dit, que les
habitants du Caire s’entretiennent avec tous les talebs maghrébins qu’ils rencontrent, dans l’espoir de recevoir
d’eux l’indication de quelque trésor caché. Ils s’informent aussi des moyens
qu’il faut employer afin de faire absorber les eaux par la terre, dans la
persuasion où ils sont que la plupart de ces trésors sont enfouis sous le lit
où coulent les eaux du Nil et qu’il n’y a point dans l’Égypte d’endroit qui
recèle plus de richesses et de trésors.
*283 Les porteurs des écrits forgés
dont nous avons parlé abusent de la crédulité de ces hommes, et, quand ils n’ont
pu réaliser les découvertes dont ils les avaient flattés, ils prétendent que
le cours du fleuve les avait empêchés de réussir, couvrant ainsi leur
imposture [31]
afin d’en faire leur gagne‑pain. Celui qui est assez faible pour les écouter
n’a rien plus à cœur que d’avoir recours à des opérations magiques, afin de
faire absorber l’eau et de parvenir [32]
ensuite à l’objet de sa convoitise ; aussi les habitants de ce pays
s’occupent beaucoup de magie, art pour lequel ils ont hérité du goût de leurs
ancêtres [33].
En effet, on y voit encore aujourd’hui des monuments qui attestent les
connaissances magiques que possédaient les anciens Égyptiens ; tels sont
les berbis [34]
et autres (édifices antiques). L’histoire des magiciens de Pharaon est une
preuve de l’application toute particulière que les anciens habitants de
l’Égypte avaient mise à cet art.
Il circule dans le Maghreb une pièce de vers attribuée à un sage de
l’Orient, et contenant l’indication des procédés magiques qu’il faut employer
pour faire absorber les eaux. La voici :
Toi qui désires apprendre le
secret de faire absorber les eaux, écoute les paroles de vérité que t’enseigne
un homme bien instruit. p.332
Laisse là toutes les
recettes mensongères et les doctrines trompeuses dont d’autres ont rempli leurs
livres,
Et prête l’oreille à mon
discours sincère et à mes conseils, si tu es du nombre de ceux qui ne suivent
point le mensonge.
Lors donc que tu voudras
faire absorber [35] les eaux d’un puits, devant lequel
l’imagination resterait embarrassée et incertaine sur les moyens d’exécuter une
telle entreprise,
Dessine une figure (humaine)
se tenant debout, et semblable à la tienne ; que la tête en soit
disposée [36] comme celle d’un lionceau ;
Que les deux mains tiennent
la corde qui sert à tirer le seau du fond du puits [37].
Sur sa poitrine trace la
figure de la lettre h, comme tu la vois ici ; (trace‑la) autant de
fois que le divorce peut avoir lieu [38] et pas
davantage.
Que cette figure foule aux
pieds plusieurs figures de la lettre t’, sans cependant les toucher tout
à fait, imitant la marche d’un homme prudent, fin et adroit.
Qu’une ligne entoure tout
cela ; la forme carrée vaut mieux que la forme circulaire.
Immole un oiseau sur ce
talisman, que tu frotteras avec le sang de la victime, après quoi tu procéderas
aux fumigations
De sandarac, d’oliban, de
styrax et de costus ; ensuite tu le mettras dans un étui de soie [39].
Rouge ou jaune ou bleue, où
il n’y ait ni couleur verte ni taches.
Tu le lieras [40] avec deux cordons de laine blanche ou d’un
rouge pur. *284
Que le signe du Lion soit
dans l’horoscope, ainsi qu’on l’a bien expliqué ; que ce soit dans le
temps où la lune de ce mois n’éclaire point.
La lune (doit être) jointe à la fortune de
Mercure [41], un jour de samedi, à l’heure où tu feras
cette opération.
p.333 Par les mots qu’elle foule aux pieds des figures de la lettre t’, l’auteur a voulu dire que
ces figures doivent être placées entre les deux pieds de l’homme, comme s’il
marchait dessus. Je pense que cette pièce de vers est l’ouvrage d’un
imposteur [42].
Ces gens‑là ont beaucoup de pratiques extraordinaires et de termes techniques
singuliers dont ils se servent dans l’exercice de leur art.
Les hommes dont nous parlons poussent encore plus loin l’imposture [43]
et le mensonge : ils vont prendre leur logement dans les maisons, grandes
ou petites, qui ont la réputation de renfermer des trésors cachés ; ils y
creusent des trous, dans lesquels ils déposent des contre‑marques et des signes
conformes à ce qu’ils ont écrit dans les cahiers (que nous avons déjà mentionnés).
Après cela, ils vont montrer ces écrits à quelque homme peu intelligent et le
poussent à louer cette maison et à venir l’habiter, lui [44]
persuadant qu’il doit y trouver un trésor immense. Ils lui demandent alors de
l’argent pour acheter les drogues et les parfums nécessaires aux fumigations
par le moyen desquelles ils se proposent de rompre le charme du talisman, et
s’engagent à lui faire voir certains indices qui sont précisément ceux qu’ils
ont placés eux‑mêmes exprès dans ces endroits. La découverte de ces marques
excite vivement l’espoir de celui qui les écoute, de sorte qu’il devient, sans
s’en douter, dupe de l’imposture et de la supercherie. Ces escrocs ont entre
eux un certain jargon convenu, dont ils se servent pour que ceux qui les emploient
ne comprennent point ce qu’ils se disent les uns aux autres en procédant à
leurs fouilles, aux fumigations, à l’immolation des victimes et aux autres
opérations.
Tout
ce qu’ils débitent à ce sujet n’a pour se soutenir aucun principe scientifique,
aucune doctrine transmise par la tradition. Si l’on a quelquefois
découvert des trésors, c’est rarement et par l’effet du p.334 hasard, et non pas par des recherches faites de dessein
prémédité. Jamais, dans les siècles passés, ni dans les temps modernes, on n’a
senti généralement la nécessité d’enfouir ses richesses sous terre et *285 de sceller ces dépôts au moyen de
talismans. Le terme rekaz, employé
dans une tradition (provenant de Mohammed) et bien défini par les docteurs,
signifie (il est vrai) des trésors enfouis dans les temps du paganisme ;
mais la découverte de ces dépôts est due au pur hasard et non à des recherches
systématiques et faites à dessein.
D’ailleurs, supposons qu’un homme veuille enfouir ses trésors et les
mettre en sûreté par le moyen de quelques procédés magiques, il prendra toutes
les précautions possibles pour que son secret demeure caché. Comment se
figurer, en pareil cas, qu’il mettra certains signes et certains indices pour
guider ceux qui les chercheraient et qu’il consignera ces indices par écrit, de
manière à fournir aux hommes de tous les siècles et de tous les pays un moyen
de découvrir ces mêmes secrets ? Cela est directement contraire au but
qu’il aurait eu en cachant ses trésors.
En second lieu, les gens de bon sens ne font pas une chose sans se
proposer quelque objet d’utilité. Celui qui amasse un trésor le met en réserve
pour son fils ou pour un proche parent, ou pour quelqu’un, enfin, à qui il
désire en assurer la possession. Mais qu’il veuille le cacher absolument pour
qu’il se détériore ou pour qu’il se perde tout à fait, ou pour qu’il tombe
entre les mains d’un étranger de quelqu’un des peuples à venir, d’un homme qui
lui est totalement inconnu, voilà ce qu’on ne peut supposer de la part d’un
être raisonnable.
Si l’on dit : « Que sont devenus les trésors des nations qui
nous ont précédés, et qui possédaient, comme nous le savons (à n’en pouvoir
douter), de si immenses richesses ? Je répondrai que les richesses, telles
que l’or, l’argent, les pierres fines et les autres objets (précieux) sont des
minéraux, des matières avec lesquelles on peut se procurer les choses
nécessaires [45],
tout comme le fer, le cuivre, le plomb et les p.335
autres substances minérales [46],
et métalliques. La civilisation les tire de la terre par le travail de l’homme,
et tantôt en augmente, tantôt en diminue l’abondance. La quantité qui en
existe entre les mains des hommes passe des uns aux autres par transport ou par
voie d’héritage. Souvent elle passe de pays en pays, de royaume en royaume,
par le commerce d’échange et pour satisfaire aux demandes de la civilisation.
Si les richesses ont diminué dans le Maghreb et dans l’Ifrîkiya, elles n’ont
pas diminué dans le pays des Slavons et des
*286 Francs. Si leur quantité est devenue moindre en Égypte et en Syrie,
elle n’a point éprouvé de diminution dans l’Inde et la Chine. (Les métaux) ne
sont que des instruments au moyen desquels on acquiert (ce dont on a besoin),
et c’est la civilisation qui en cause l’abondance ou la diminution. Outre cela,
les métaux sont exposés à se détériorer et à s’user, comme tout ce qui existe.
Les pierres fines et les perles se. gâtent plus tôt que beaucoup d’autres
substances. De même aussi l’or, l’argent, le cuivre, le fer, le plomb, l’étain,
sont exposés à des causes de destruction qui les anéantissent dans un très
petit laps de temps.
Ce qui donne lieu, en Égypte, à la recherche des trésors et des dépôts
enfouis, c’est que ce pays a été pendant deux mille ans ou plus sous la
domination des Coptes (les anciens Égyptiens), peuple qui ensevelissait ses
morts avec ce qu’ils possédaient d’or, d’argent, de pierres précieuses et de
perles, suivant l’usage des anciennes nations. Quand l’empire des Coptes fut
détruit et que les Perses furent devenus maîtres de ce pays, ils ouvrirent les
sépultures pour chercher ces richesses [47],
et ils en retirèrent des trésors immenses ; ils en trouvèrent dans les
pyramides, qui étaient les tombeaux des rois, et dans les autres sépultures.
Les Grecs, après les Perses, en usèrent de même. p.336
En conséquence, les tombeaux des Coptes ont eu la réputation, depuis ce
temps jusqu’à nos jours, de receler des trésors. Effectivement, on trouve
souvent des richesses qu’on y avait ensevelies, ou bien des coffrets et des
cercueils d’or ou d’argent consacrés à la sépulture des morts et faits exprès
pour cela [48] ;
aussi, depuis plusieurs milliers d’années, on a continué à regarder ces
tombeaux comme des endroits on l’on peut trouver des objets précieux ; et
c’est ce qui *287 a inspiré aux habitants
de l’Égypte cette passion pour la recherche des trésors. Ce métier est si
commun parmi eux que chaque dynastie égyptienne, lorsqu’elle tirait vers sa
fin et qu’elle mettait des impositions sur les divers genres d’industrie [49],
y soumettait aussi les chercheurs de trésors. Cet impôt tomba sur les sots qui
s’étaient passionnés pour de pareilles recherches ; mais ceux qui, par
intérêt, faisaient profession de s’y livrer, trouvèrent dans cet impôt même un
prétexte pour agir à découvert et pour faire valoir leurs prétentions :
mais toutes leurs opérations n’ont servi qu’à frustrer les espérances qu’ils
avaient éveillées. Dieu nous garde contre tout égarement ! Quiconque se
trouve exposé à des tentations de ce genre doit imiter l’exemple du Prophète et
supplier Dieu de le préserver de la nonchalance et de la paresse, qui empêchent
l’homme de se procurer la subsistance par des moyens légitimes ; il doit
s’éloigner des sentiers de Satan et de ses perfides suggestions et ne point
bercer son imagination d’espérances absurdes et de récits mensongers. Dieu donne sans compter la subsistance à qui
il veut. (Coran, sour. II, vers.
208.)
La haute considération [50] est une source de richesses.
Nous voyons que, dans toutes les professions et tous les genres de p.337 vie, celui qui jouit du crédit et de
l’influence est bien plus riche que celui à qui ces avantages font défaut. La
cause en est que l’homme puissant trouve toujours des personnes qui mettent
leurs travaux à son service [51],
dans le but de gagner sa faveur et d’obtenir sa protection. Ces personnes
l’aident (des fruits) de leurs travaux toutes les fois qu’il manque du
nécessaire ou qu’il n’a pas les moyens de satisfaire à des besoins factices,
ou de se maintenir dans l’aisance. La valeur de tous ces travaux [52]
lui est donc une chose acquise ; car ce qui se
*288 donne ailleurs moyennant une rétribution lui arrive gratuitement.
Le montant des valeurs [53]
(qu’il reçoit) finit par devenir très considérable : d’un côté, il
recueille la valeur des produits qu’il a reçus, et, de l’autre, il compte sur
celle d’autres produits que la nécessité le portera à demander. De cette
manière, il se procure de grands bénéfices. L’influence dont il jouit, lui
permettant d’obtenir beaucoup de cadeaux, le porte rapidement à l’opulence et
ajoute de jour en jour à ses richesses. Sous ce point de vue, l’exercice d’un
haut commandement est regardé comme un des moyens de gagner sa subsistance ;
Voyez ci-devant (page 324). Celui qui a
de l’argent, mais qui n’exerce aucune influence (sur le gouvernement ou sur le
public), ne peut atteindre à l’opulence qu’en travaillant à faire valoir son
capital. Tels sont la plupart des négociants ; aussi trouvons-nous que
les hommes les plus influents de cette classe sont ceux qui possèdent le plus
de richesses. Une preuve à l’appui de ce que nous venons d’exposer se reconnaît
dans les grandes fortunes acquises par plusieurs légistes et hommes dévots.
Aussitôt qu’ils se sont fait une réputation de sainteté et qu’ils ont porté le
peuple à croire que Dieu se charge de leur entretien, ils voient les autres
hommes s’empresser de les secourir dans leurs besoins temporels et travailler p.338 pour leur assurer le bien‑être. Dès lors,
ils arrivent rapidement à l’opulence et se trouvent en possession de grandes
richesses, sans avoir fait aucun effort pour les acquérir. Tout ce qu’ils
possèdent provient de la valeur des produits du travail [54],
produits qu’ils tiennent de la générosité du public. Cela est un fait dont nous
avons vu un grand nombre d’exemples, tant dans les villes que dans les campagnes ;
les personnes qui s’occupent de commerce ou d’agriculture [55]
s’empressent de venir en aide à ces individus qui, se tenant tranquillement
chez eux [56]
et sans bouger, voient accroître leurs gains et augmenter leurs
richesses ; tout cela, sans qu’ils s’y donnent la moindre peine. Celui qui
n’a pas deviné le mystère de ces grandes fortunes et les causes qui les ont
produites en est frappé d’étonnement. Dieu
donne, sans compter, la subsistance à qui il veut. *289
Ce sont ordinairement les gens qui
savent s’abaisser et faire leur cour qui réussissent dans le monde et qui font
fortune [57]. La servilité et la flatterie doivent compter parmi les
moyens de parvenir [58].
Nous avons dit précédemment que, pour les hommes, le gain est en
réalité le prix des produits de leur travail. Si un individu restait [59]
dans l’inaction et s’abstenait tout à fait de travailler, il ne gagnerait
absolument rien. S’il travaille, ses profits seront en raison [60]
de son application, de la prééminence de l’art qu’il exerce et du besoin qui portera
les autres hommes à rechercher les produits de son industrie. p.339 La possession de l’autorité, avons‑nous dit
ci-dessus, est une source de richesses ; l’homme influent les recueille
sous la forme d’argent ou de produits du travail que d’autres hommes lui
présentent dans le but d’obtenir sa protection ou de se procurer quelques
faveurs. Les produits et l’argent offerts de cette manière sont réellement
donnés en échange [61]
contre certains avantages que ces personnes espèrent obtenir par l’influence de
leur protecteur et qui consistent dans (la permission d’exécuter) un de ces
nombreux projets [62]
(qu’on lui soumet et) dont les uns sont utiles et les autres nuisibles. Ces
produits sont autant de gagné pour l’homme influent, et, comme leurs valeurs
réunies forment, en argent, une somme très considérable, celui qui les reçoit
s’enrichit en peu de temps.
Il faut maintenant savoir que l’autorité est répartie entre tous les
hommes dans une gradation régulière. Elle augmente en passant de classe en
classe jusqu’à celle des souverains, au‑dessus desquels il n’y a point
d’autorité supérieure [63].
Le rang le plus bas est celui des personnes qui n’ont aucun pouvoir, ni pour
le bien ni pour le mal. Entre ces deux limites, on voit une foule de rangs
établis dans l’intérêt des hommes par la sagesse de Dieu, qui a voulu
régulariser leurs moyens de subsistance, leur faciliter l’acquisition du bien‑être
et assurer la durée [64]
de l’espèce.
En effet, l’existence et la conservation de l’espèce humaine ne
peuvent être assurées que par l’empressement des hommes à s’aider les uns les
autres pour leur avantage mutuel. On sait d’une manière *290 certaine qu’un seul individu ne saurait soutenir son
existence d’une manière complète, et, si l’on admet, pour la forme, que des
hommes ont pu vivre seuls, ce qui est arrivé dans certains cas très rares, il
faut aussi avouer que la durée de leur existence n’était guère assurée. p.340 Au reste, les hommes ne voudront jamais
s’entr’aider [65]
à moins d’y être contraints. Ils refusent de le faire, parce qu’ils ignorent
ordinairement ce qui est avantageux pour l’espèce humaine, et parce que Dieu
leur a accordé le libre arbitre, de sorte que leurs actions ne procèdent pas
d’une impulsion naturelle, mais de la considération et de la réflexion. Ils s’abstiennent
donc d’aider leurs voisins. Cela rend nécessaire l’intervention de quelqu’un
qui les porte à le faire. Cette personne doit nécessairement employer la force
contre ses semblables, s’il veut les contraindre à travailler pour le bien de
la communauté et pour l’accomplissement de la volonté de Dieu, dont la sagesse
a ordonné la conservation de l’espèce humaine. L’idée que nous venons
d’exprimer se retrouve dans la parole suivante, émanée de Dieu lui-même : Et
nous les avons placés en rangs, les uns au‑dessus des autres, afin que les uns
prennent les autres pour les servir ; et la miséricorde de ton Seigneur
vaut mieux que les biens qu’ils amassent [66].
(Coran, sour. XLIII, vers. 31.)
Il est donc évident que le terme djah [67]
désigne la faculté que l’homme obtient de dominer sur ses subordonnés, de les
faire agir conformément à ce qu’il autorise et à ce qu’il défend, et d’employer
envers eux la contrainte et la force, afin de les détourner de ce qui leur
serait nuisible et de les obliger à travailler pour leur propre avantage. Ce
pouvoir doit s’exercer d’une manière équitable et conformément aux
prescriptions, soit de la loi divine, soit de la loi de l’État ; mais on
s’en sert aussi quelquefois dans ses propres intérêts. Il a été spécialement
établi, par la providence divine, pour être employé de la manière indiquée en
premier lieu ; son autre emploi n’est qu’un accident qui s’y présente, de
même que le mal s’introduit dans les lois établies par la volonté de Dieu. En
effet, l’existence d’un grand bien ne peut avoir lieu sans qu’un peu de mal s’y
trouve, ce qui tient à la matière (dont ce bien est la forme). Le bien n’est
pas perdu pour cela : il existe réellement, malgré la petite quantité de
mal qu’il p.341 contient. Voilà comment on
explique l’introduction de l’injustice parmi les hommes. Que le lecteur
comprenne bien cela [68].
Maintenant, il faut savoir que, dans les populations des villes et des
grands pays, les gens de chaque classe exercent de l’autorité sur ceux des
classes inférieures, et que chaque individu d’une classe subordonnée cherche à
obtenir de la classe immédiatement au‑dessus
*291 de la sienne une portion d’autorité plus grande que celle qu’il possédait
déjà. Celui qui l’obtient exerce ensuite sur ses subordonnés une influence plus
grande qu’auparavant et réglée, quant à sa force, par l’autorité qu’il vient
d’acquérir. Au reste, le pouvoir dont nous traitons est réparti entre toutes
les personnes qui travaillent à gagner leur subsistance. Il est grand ou faible,
selon le rang ou la classe que celui qui l’exerce occupe dans la société. Plus
il est grand, plus le possesseur en tirera de bénéfices ; plus il est
faible, moindre sera le profit. Celui qui n’exerce aucune autorité peut avoir
de l’argent, mais ses richesses sont toujours en proportion de ses travaux, de
l’emploi de ses capitaux et des démarches et voyages qu’il a faits dans le but
d’augmenter sa fortune. Il en est ainsi de la plupart des négociants, des
cultivateurs et des artisans. Quant à ceux‑ci, s’ils ne possèdent aucune
influence et se bornent à recueillir les profits de leur métier, ils
n’arriveront pas rapidement à la fortune ; au contraire, ils tomberont
presque tous dans l’indigence et la misère. Ils aperçoivent, tout au plus, un
éclat passager des jouissances de la vie, et c’est toujours à force de lutter
qu’ils parviennent à éloigner la pauvreté.
Quand on a reconnu l’exactitude de ce principe et compris que
l’autorité se répartit entre plusieurs et amène avec elle les biens de la
fortune, on conviendra que c’est un très grand service rendu à un individu que
de lui concéder une portion de cette autorité, et que l’homme auquel on doit
une telle faveur est un bienfaiteur de premier ordre. Il l’accorde à un
subordonné ; il la confère de son plein pouvoir [69]
et du haut de sa grandeur ; aussi la personne qui recherche p.342 une grâce de cette nature doit se montrer
humble et insinuante, ainsi que font les solliciteurs qui s’adressent à des
hommes puissants et à des souverains ; sans cela, elle obtiendrait
difficilement ce qu’elle désire. Voilà pourquoi nous avons dit que la servilité
et la flatterie comptent parmi les moyens dont on se sert pour parvenir à un
degré d’autorité qui permette de gagner beaucoup et de faire fortune. Nous
avons dit aussi [70]
que la plupart des gens riches sont arrivés à la fortune de cette manière.
Voilà pourquoi nous voyons que presque tous les hommes d’un caractère
fier et hautain n’obtiennent pas la considération qu’ils recherchent, *292 et que, se trouvant obligés de vivre des
fruits de leurs travaux, ils tombent graduellement dans la pauvreté et
l’indigence. Cette fierté et cet orgueil sont des qualités blâmables, qui
prennent leur origine dans la haute opinion que l’on a de soi-même et dans la
conviction que le public ne saurait se passer de la science qu’on enseigne ou
de l’art qu’on exerce. Ainsi le savant versé dans les sciences, le scribe
habile dans son art, le poète qui fait de beaux vers se figurent que tout le
monde a besoin de leurs talents : cela les rend hautains et fiers à
l’égard du public.
Il en est de même des personnes bien nées, de celles, par exemple, qui
comptent au nombre de leurs aïeux un roi, un savant illustre ou un homme qui a
atteint la perfection dans la partie dont il s’occupait. Égarés par [71]
ce qu’ils ont vu ou entendu dire relativement à la position que leurs aïeux
tenaient dans l’État, ils croient avoir droit aux mêmes honneurs, en leur
qualité de parents et d’héritiers de ces grands hommes. Ainsi, au moment
présent, ils s’accrochent à une chose du passé et qui n’existe plus ; car
l’illustration personnelle [72]
ne se transmet pas comme un héritage. Nous pouvons encore ranger dans cette
catégorie certains hommes qui ont montré beaucoup p.343
d’habileté, d’expérience et de prévoyance dans le maniement des
affaires : ils se croient tellement parfaits dans leur profession qu’on ne
saurait se passer d’eux.
Nous voyons les gens de toutes ces classes tellement remplis d’orgueil
qu’ils ne daignent pas s’abaisser devant un personnage influent, ni courtiser
un homme d’un rang plus élevé que le leur. Ils méprisent les autres hommes,
parce qu’ils croient les surpasser en mérite ; et, s’ils avaient à
s’adresser au souverain, ils compteraient pour un déshonneur, une dégradation
et un acte de folie, les marques de respect qu’ils auraient à lui témoigner.
Ils se figurent que tout le monde est tenu à leur montrer des égards dignes du
haut mérite qu’ils s’attribuent, et ils en voudraient à quiconque manquerait,
dans p.293 le moindre point, au respect
qu’ils croient leur être dû. De temps en temps ils ressentent de vils chagrins
causés par ce manque d’égards, et ils restent dans une grande perplexité,
tourmentés, comme ils le sont, par l’envie de faire accepter leurs prétentions,
et contrariés par le mauvais vouloir du public. Cela les porte à prendre en
haine les autres hommes, tant l’espèce humaine est dominée par l’amour-propre [73] !
A peine trouvera‑t‑on un seul d’entre eux qui consente à reconnaître le mérite
et la supériorité d’un autre, à moins d’y être porté par quelque espèce de
contrainte et de domination, ou par l’influence d’une autorité supérieure. Or
toutes ces idées de force et de supériorité sont comprises dans le terme djah. Quand un homme de ce caractère ne
possède aucune influence, chose dont il sent vivement le besoin, ainsi que nous
venons de le faire observer, il s’attire la haine des autres hommes par son
orgueil et n’a aucune part à leur bienveillance. Il ne peut obtenir la
considération dont il aurait pu jouir sous la protection des personnes occupant
un rang supérieur au sien ; il s’en est fait des ennemis, s’étant abstenu
de cultiver leur faveur et d’aller les visiter chez elles ; aussi ses
moyens d’existence en souffrent et il vit dans un état de gêne voisin de la
misère. Quant aux p.344 richesses, il
en demeure totalement privé. De là vient l’opinion généralement reçue que le
savant accompli n’obtient jamais les faveurs de la fortune, que ses
connaissances acquises lui tiennent lieu de richesses, et que c’est là la
portion d’opulence que la Providence lui a départie. Cela revient à l’idée
(exprimée par ce proverbe) : « L’état pour lequel une personne a été
créée lui est rendu supportable ». Dieu
est le souverain dispensateur ; il n’y a point d’autre seigneur que lui.
La disposition d’esprit que nous venons de signaler amène parfois un
bouleversement dans les rangs de la société : elle élève aux grandes
dignités beaucoup d’individus appartenant aux classes inférieures [74]
et en fait descendre beaucoup d’autres qui appartenaient aux classes
supérieures. En effet, lorsque les empires ont atteint leur plus haut degré de
puissance et de domination, et que l’autorité suprême se trouve entre les mains
de la famille qui a fondé la dynastie et qui a pour représentant un roi ou un
sultan, les autres (personnages de l’État), n’ayant plus alors aucun espoir de
parvenir au pouvoir, vont *294 se ranger dans
les classes subordonnées, et deviennent, pour ainsi dire, les serviteurs du
souverain. Avec la durée de l’empire et l’accroissement de sa puissance, les
personnes attachées au service du prince, tous les individus qui se sont
rapprochés de lui par leur dévouement, et tous ceux qu’il favorise à cause de
l’habileté qu’ils ont déployée dans la direction des affaires qui
l’intéressent, se trouvent placés sur un pied d’égalité. Voilà pourquoi nous
voyons une foule de gens appartenant aux classes inférieures travailler avec la
plus grande ardeur à se rendre agréables au souverain et à capter sa
bienveillance, en remplissant avec un entier dévouement les commissions dont
il les charge. Pour arriver à leur but, ils lui montrent une profonde
soumission et ne cessent de lui faire leur cour, et non seulement à lui, mais
aux officiers de sa maison et aux membres de sa famille. Une fois qu’ils ont
pris pied parmi les courtisans et qu’ils se voient rangés au nombre des
serviteurs du prince, ils ne p.345 tardent
pas à acquérir une grande fortune. Pendant ce temps, les descendants des
familles qui avaient eu tant de difficultés à surmonter avant de fonder
l’empire et d’établir l’ordre dans les provinces, se laissent égarer par le
souvenir des hauts faits [75]
de leurs aïeux ; remplis de présomption et se targuant de la renommée de
leurs pères [76],
ils se lancent dans la carrière de l’insolence et oublient le respect qui est
dû au souverain. Cela l’indispose contre eux ; il les éloigne de sa
présence et montre du penchant pour les hommes qu’il a tirés du néant, pour des
gens qui n’ont pas l’orgueil de la naissance [77],
qui ne se permettent envers lui aucune familiarité, aucun manque d’égards, et
qui se sont fait une règle de lui montrer toujours une profonde soumission, de
flatter ses inclinations et de le servir aveuglément dans tous ses projets. De
cette manière ils parviennent à exercer une grande influence et à tenir un haut
rang dans l’État. Tous les regards et toutes les pensées [78]
se tournent alors vers eux, parce qu’ils jouissent de la faveur du souverain et
occupent une haute place dans son estime. Les membres de la famille
royale [79],
toujours hautains, toujours fiers de leur naissance, s’attirent de plus en
plus le mécontentement du sultan et le forcent, par leur conduite, à leur *295 préférer ses propres créatures. Cela
continue jusqu’à la chute de la dynastie. Le même fait se reproduit
naturellement dans tous les empires, et c’est ainsi que les protégés et les
clients du souverain arrivent ordinairement à la fortune. Dieu fait tout ce qu’il veut. (Coran, sour. LXXXV, vers. 16.) p.346
Les personnes chargées de fonctions
qui se rattachent à la religion, les cadis, par exemple, les muftis, les
instituteurs, les imams, les prédicateurs et les moueddins parviennent rarement
à s’enrichir.
Cela est un fait dont voici la cause : le gain, ainsi que nous
l’avons déjà dit, est le prix du travail et varie selon que le travail dont on
s’occupe est plus ou moins demandé. Si les produits d’un certain travail sont
d’une nécessité générale dans un grand centre de population, ils auront une
grande valeur et seront très recherchés. Or la masse du peuple n’a pas toujours
un besoin pressant des services que les personnes chargées de fonctions
religieuses peuvent lui rendre [80] ;
ce sont seulement les hommes d’élite, ceux qui s’occupent de leurs intérêts
spirituels, auxquels ces services sont indispensables. Le besoin d’un cadi ou
d’un mufti, pour terminer une contestation, n’est ni général ni absolu ;
aussi peut‑on se passer ordinairement de ces fonctionnaires. C’est tout au plus
si le chef de l’État, se rappelant qu’il est chargé de veiller au maintien du
bien public, leur montre de la considération et les aide à soutenir la dignité
de leurs offices. Il leur assigne des traitements proportionnés à la nécessité
de leurs services, nécessité qui s’apprécie de la manière que nous venons
d’indiquer. A ses yeux, ils ne méritent pas d’être mis au niveau des grands
chefs, ni même des hommes qui exercent les arts les plus nécessaires, et
cependant ils s’adonnent à des travaux qui [81],
sous le point de vue de la religion et de la loi divine, sont plus nobles que
tous les autres. Le souverain passe sur cette considération et règle les
traitements qu’il accorde à ces employés d’après le degré de nécessité que le
public peut avoir de leurs services. Aussi, très peu de ces individus reçoivent‑ils
un traitement convenable. D’ailleurs, comme la noblesse de leurs fonctions *296 les met au‑dessus du reste des hommes, ils
ont un tel sentiment de leur propre dignité qu’ils ne s’abaissent jamais devant
les grands, dans le but de se faire mettre dans une position qui leur p.347 procurerait des richesses. Loin de là, ils
ne consentent pas à y perdre un temps précieux, qu’ils croient mieux employer
en s’occupant de travaux honorables qui exigent également la réflexion et le
jugement. La noblesse de leurs occupations ne leur permet pas de se jeter à la
tête des gens du grand monde ; aussi sont‑ils bien éloignés de le faire,
et, pour cette raison, ils acquièrent rarement des richesses.
J’avais eu une discussion
à ce sujet avec un homme de grand mérite et qui n’était pas de mon avis,
quand un cahier d’écritures, tout froissé et usé, me tomba entre les mains. Ces
feuilles renfermaient une partie des comptes tenus par les bureaux chargés de
l’administration du palais d’El‑Mamoun (le khalife abbacide) et contenaient
l’indication d’une grande portion des recettes et des dépenses faites à cette
époque. Ayant trouvé dans ce document la liste des traitements accordés aux
cadis, aux imams et aux moueddins, je la fis voir à mon contradicteur, qui
reconnut aussitôt la justesse de mes observations, et se rallia à mon
opinion [82].
Dès lors, nous restâmes émerveillés en voyant par quelles voies secrètes la
sagesse de Dieu agit dans le gouvernement de ses créatures. Dieu est le créateur, le dispensateur.
Les hommes de peu de considération et les campagnards
besoigneux sont les seuls qui adoptent l’agriculture comme un moyen de se
procurer la subsistance.
Ils
adoptent l’agriculture parce qu’elle est un art dont la pratique est la plus enracinée
dans la nature humaine et dont les procédés sont les plus simples. Aussi voit‑on
rarement des citadins et des hommes riches s’en faire une occupation. Ceux qui
l’exercent sont regardés même comme des êtres dégradés. Le Prophète a dit en
voyant un soc de charrue chez un de ses partisans médinois : « Ces
choses‑là n’entrent jamais dans une maison sans que l’avilissement y entre
aussi ». El-Bokhari a entendu cette parole comme étant dirigée contre une
trop grande application à l’agriculture, et, pour cette p.348 raison, *297 il l’a
insérée dans son livre sous le titre suivant : Des suites qu’il faut craindre si l’on s’occupe trop d’instruments
aratoires et si l’on dépasse les bornes qu’on a reçu l’ordre de respecter. Cette
dégradation provient, à mon avis, du fait que la culture d’un champ a pour
conséquence l’obligation de payer une contribution, ce qui place le cultivateur
sous le régime du pouvoir arbitraire et de la violence. De là résulte l’avilissement
du contribuable, qui tombe enfin dans la misère, par suite de l’oppression et
de la tyrannie qui viennent l’accabler. Le Prophète a dit : « La
(dernière) heure (du monde) n’arrivera pas avant que l’impôt établi par la loi
divine soit devenu une contribution illégale et oppressive ». Par ces
paroles, il donnait à entendre qu’il y aurait un roi sévère, un oppresseur, qui
se distinguerait par la tyrannie, l’injustice, l’oubli des droits de Dieu, en
ce qui regarde les richesses fournies par les occupations lucratives, et qui
penserait que tous les impôts d’institution divine sont autant de contributions
dues au souverain et à son gouvernement. Dieu
fait ce qu’il veut.
Sur le commerce, sa signification,
ses procédés et ses divers genres [83].
Par le mot commerce on
désigne la recherche d’un bénéfice, en faisant accroître son capital au moyen
de marchandises achetées à bon marché pour être vendues plus cher. Que ces
marchandises consistent en esclaves, en grains, en bestiaux, en armes ou en
étoffes, cela revient au même. La quantité de l’augmentation (acquise par le
capital) s’appelle bénéfice. La
recherche du profit se fait ainsi : on emmagasine des marchandises et l’on
attend pour les vendre le moment où leur valeur, sur le marché, monte beaucoup
après avoir été en baisse. On peut alors faire de grands bénéfices. Ou bien on
emporte des marchandises du pays où on les a achetées pour les vendre dans un
autre pays où elles sont très demandées. Cela procure aussi des profits considérables.
Un vieux négociant, à qui on demandait la véritable nature du commerce,
répondit en ces ternes : « Je vous l’apprendrai en deux p.349 mots : achetez à bas prix et vendez
cher ; voilà ce que c’est que le *298 commerce ».
Par ces paroles, il exprimait les mêmes idées que nous venons d’énoncer. Dieu est le dispensateur, l’être doué d’une
force inébranlable. (Coran, sour.
LI, vers. 58.).
Sur l’exportation des marchandises.
Un négociant qui a de la prévoyance ne porte jamais à l’étranger
d’autres marchandises que celles dont les riches et les pauvres, le souverain
et les hommes du peuple, ont également besoin. C’est là une condition
essentielle pour en assurer le prompt débit. S’il se borne à porter dans ce
pays des objets dont une partie seulement de la population a besoin, il aura de
la peine à s’en défaire [84],
parce qu’un accident quelconque peut arriver, qui empêche les hommes de cette
classe d’en faire l’achat. En ce cas, il ferait peu de ventes et ne recueillerait
aucun profit. Quand même il y apporterait des marchandises dont tout le monde
aurait besoin, il doit se borner à celles qui sont d’une qualité moyenne ;
car les objets de toute espèce dont le prix est élevé ne conviennent qu’à des
gens riches et aux officiers du prince, c’est‑à‑dire à un petit nombre
d’individus. Comme les marchandises d’une qualité moyenne conviennent
également aux personnes de toutes les classes, le négociant doit s’en tenir
uniquement à cette partie. Il vendra beaucoup ou peu, selon le degré d’attention
qu’il mettra à l’observation de cette règle. Celui qui apporte des marchandises
d’un pays éloigné, ou qui traverse avec elles des routes très dangereuses, les
placera avec avantage et en retirera de grands bénéfices. Il peut être assuré
de s’en défaire facilement, parce qu’elles sont alors très rares ou manquent
tout à fait dans le pays, à cause de la distance du lieu d’où il faut les tirer
ou des grands périls auxquels on s’expose sur les routes par lesquelles il faut
passer. Il n’y a donc qu’un petit nombre de négociants qui osent apporter de
ces marchandises ; aussi sont‑elles très rares dans cette contrée. Or,
quand p.350 des marchandises sont rares et
qu’il est difficile de se les procurer, elles augmentent de prix. Si le pays où
le négociant se rend n’est pas très éloigné, si les routes sont sûres et très
fréquentées, beaucoup de ses confrères y passeront ; les marchandises y
arriveront en abondance et se vendront à bas prix. Voilà pourquoi les
commerçants qui *299 ont l’habitude
de faire des voyages jusqu’au pays des noirs sont plus à leur aise et plus
riches que les autres. La longueur et les périls de la route, la nécessité de
traverser de vastes déserts remplis de dangers, où l’on s’expose à mourir de
soif parce que l’eau y est très rare et ne se trouve que dans certains endroits
connus des individus qui servent de guides aux caravanes, tout cela effraye la
plupart des négociants et les empêche d’entreprendre de tels voyages ;
aussi voyons‑nous que les marchandises tirées du pays des noirs sont très rares
et très chères, et il en est de même des nôtres chez ces peuples. Les individus
qui font ce commerce gagnent, pour cette raison, beaucoup d’argent et amassent
rapidement de grandes fortunes. Ceux de notre pays qui commercent avec l’Orient
s’enrichissent aussi très vite, ce qui tient à la longueur de la route qu’ils
doivent faire. Quant à ceux qui se tiennent dans un même pays et vont
alternativement d’une ville à une autre, ils ne peuvent faire que de faibles
bénéfices, parce que les négociants s’y rendent en grand nombre et qu’on y
trouve des marchandises en abondance. Dieu
est le dispensateur, l’être doué d’une force inébranlable.
De l’accaparement.
Ceux d’entre les habitants des grandes villes qui ont de l’expérience
et qui savent observer reconnaissent généralement que l’accaparement des
grains, dans le but de les garder jusqu’à ce qu’ils deviennent chers, est une
opération qui porte malheur à celui qui la fait et qui lui donne comme profit
une perte réelle et le désappointement. La cause en est, si je ne me trompe
pas, que les autres hommes, étant forcés d’acheter à un taux énorme les vivres
dont ils ont besoin, donnent leur argent à contre‑cœur ; leurs âmes
demeurent attachées p.351 à ce qu’ils ont
déboursé, et [85]
cet attachement à l’argent qu’ils possédaient [86]
porte malheur à l’individu qui l’a reçu sans en avoir rendu la valeur. C’est
là, peut‑être, ce que le législateur a voulu désigner par *300 les mots prendre le bien d’autrui sans rien donner en retour. Bien que le
cas dont nous parlons n’offre pas un exemple d’argent donné pour absolument
rien [87],
la pensée [88]
de l’acheteur n’en demeure pas moins attachée à cet argent, puisqu’il l’a payé
malgré lui et sans avoir le moyen de s’en dispenser. C’est donc, pour ainsi
dire, un achat forcé. Quant aux autres marchandises, celles qui ne sont pas des
comestibles ni des aliments, on n’est
pas forcé [89]
de les acheter, et, si on le fait, c’est pour varier ses plaisirs. On dépense
alors son argent par engouement et de bon gré, et l’on n’y pense plus avec
regret [90].
Les individus connus pour être des accapareurs [91]
s’attirent, il me semble, la puissance réunie de tous ces mauvais
vouloirs [92],
parce qu’ils ont extorqué de l’argent au peuple, et cela amène la perte du gain
qu’ils viennent de faire. Voici une anecdote assez piquante qui se rapporte à
ce sujet et que j’ai entendu raconter à mon ancien professeur Abou Abd Allah
el‑Abbeli [93] :
« Sous le règne d’Abou Saïd, le sultan [mérinide], je me trouvais, dit‑il,
chez le légiste Abou ’l-Hacen el‑Melili, qui était alors cadi de Fez, quand on
vint lui dire qu’il avait à choisir, entre les diverses branches des
contributions gouvernementales [94],
celle sur laquelle on lui assignerait son traitement [95] ».
il réfléchit un instant, et dit : « Je choisis l’impôt sur les
vins. A ces paroles, tous les assistants
éclatèrent de rire, et, dans leur étonnement, ils ne p.352 purent pas s’empêcher de lui demander le motif de ce
singulier choix. Il répondit : « Puisque tous les genres de
contributions (à l’exception de l’impôt foncier, de la dîme et de la
capitation) sont illégaux, je choisis celui qui ne laisse pas de regret dans
l’esprit de ceux qui l’acquittent. Il est bien rare qu’on ne soit pas gai et
de bonne humeur après avoir donné son argent pour du vin, vu la jouissance [96]
que cette liqueur procure ; on ne regrette pas ce qu’on a dépensé et l’on
n’y pense plus ». C’était là une considération tout à fait originale. *301
Le vil prix d’une marchandise nuit aux
intérêts de ceux qui, par métier, s’occupent de cette (espèce de marchandise)
dépréciée.
Ce qui procure le gain et fournit les moyens de vivre, ce sont les
métiers et le commerce, ainsi que nous l’avons dit. Le commerce consiste à
acheter des denrées et des marchandises, et à les emmagasiner jusqu’à ce que
leur prix augmente au marché. Cela s’appelle bénéficier, opération qui fait toujours gagner aux commerçants et
leur procure la subsistance. Si une denrée ou marchandise quelconque, que ce
soient des comestibles, des habillements ou toute autre chose de valeur, reste
entre les mains d’un négociant sans augmenter de prix sur le marché, plus ce
retard sera long, moins il y aura de bénéfice pour lui, et moins il ajoutera à
son capital. Tant que cette marchandise est peu recherchée, le négociant,
voyant ses peines perdues, ne s’occupe plus de son affaire et se trouve obligé
d’entamer son capital. Voyez, par exemple, ce qui arrive quand les grains restent
longtemps à bas prix : les individus qui s’adonnent à l’agriculture et aux
autres métiers qui dépendent de la production des grains souffrent dans leur
fortune ; ils gagnent peu ou rien, et ne voient pas augmenter leur
capital, ou bien, trouvant leurs profits insuffisants, ils prennent l’habitude
d’emprunter à leur capital afin de pourvoir à leurs dépenses. Cela aggrave leur
position et les réduit enfin à l’indigence. La même dépréciation fait ensuite
du tort aux meuniers, p.353 aux boulangers
et à tous ceux qui s’occupent des métiers dont les grains, à partir du moment
de l’ensemencement jusqu’à celui où on les convertit en aliments, forment la base.
Les militaires, à qui le souverain a concédé, pour leur servir de solde,
l’impôt prélevé en nature sur les cultivateurs, souffrent aussi de cet état de
choses. Comme cet impôt perd beaucoup de sa valeur, ils n’ont pas assez de
moyens pour faire leur service, et, privés de ce qui les faisait *302 subsister, ils se trouvent réduits à
l’indigence. Les mêmes effets ont lieu quand le miel et le sucre restent
longtemps à vil prix : tous les métiers qui s’y rattachent en pâtissent,
et les personnes engagées dans cette branche de commerce cessent de s’en
occuper. Il en est de même des objets qui servent à l’habillement quand ils
restent longtemps à bas prix. Donc l’extrême dépréciation d’une denrée nuit
gravement aux intérêts de ceux qui en font un objet de commerce et porte
atteinte à leurs moyens de subsistance. La cherté excessive des marchandises
produit aussi le même résultat, bien que, dans des cas assez rares, elle
contribue à augmenter beaucoup les richesses des négociants qui ont eu recours
à l’accaparement. Mais c’est en gardant un juste milieu (dans ses opérations)
et en profitant des rapides fluctuations qui ont lieu dans le cours du marché
que cette classe d’hommes fait des bénéfices et gagne sa vie. Au reste, les
connaissances dont un négociant a besoin se réduisent à celle des usages et
des habitudes du peuple avec qui il a affaire [97].
De toutes les matières que l’on met en vente, c’est pour les grains que le bon
marché est le plus à désirer ; le besoin en est général ; aux riches
comme aux pauvres il faut des aliments, et les indigents sont partout en grande
majorité. C’est du bas prix des grains que dépend l’aisance générale. Voilà la
seule espèce de marchandises dans la vente desquelles la nécessité d’alimenter
le peuple doit l’emporter sur les intérêts du négociant. Dieu est le dispensateur de la nourriture ;
il est fort et inébranlable. (Coran,
sour. LI, vers. 58.)
Quels
sont les hommes qui peuvent s’adonner au commerce avec avantage et ceux qui
doivent s’en abstenir.
p.354 Nous avons défini le commerce
l’art de faire augmenter son capital en achetant des marchandises et en
cherchant à les vendre plus cher qu’elles n’ont coûté. Cela se fait, soit en
les gardant jusqu’à ce que leur prix, sur le marché, éprouve une hausse, soit
en les transportant dans un pays où elles sont très recherchées et se vendent
très *303 cher [98].
On les vend aussi avec avantage à la condition d’en recevoir le prix à des
époques ultérieures. Le bénéfice qui s’obtient d’une opération commerciale est
peu de close en comparaison du capital employé ; mais [99],
si le capital est grand, le bénéfice le sera aussi, car une multitude de
bénéfices, quelque petits qu’ils soient, forment une forte somme [100].
Le capital s’accroît par les bénéfices ; mais, pour les obtenir, il faut
que les acheteurs aient de l’argent sur eux au moment de faire leurs emplettes,
et que le vendeur se fasse payer sur‑le-champ ; car l’honnêteté se trouve
rarement chez ces gens. Cela entraîne, d’un côté, la fraude et l’adultération
des marchandises ; de l’autre, cela amène des retards dans les payements
et, par conséquent, une diminution dans les bénéfices du négociant, parce qu’il
n’a pas de capital à faire valoir pendant l’intervalle. L’absence des
sentiments honnêtes entraîne les acheteurs à nier leurs dettes [101],
ce qui porte atteinte au capital du marchand, à moins qu’il ne puisse prouver
la réalité de la vente au moyen d’une pièce écrite ou de la déclaration de
témoins. Dans les affaires de cette nature, les magistrats ne peuvent être bien
utiles, parce qu’ils sont obligés de fonder leurs jugements sur des preuves
évidentes. Pendant ce temps le marchand doit lutter contre mille difficultés,
et, s’il réussit dans sa demande en justice, il ne reçoit qu’une faible portion
du bénéfice sur lequel il comptait ; et p.355
cela, après s’être donné beaucoup de peine et avoir éprouvé bien des ennuis.
Si sa demande est repoussée, il perd (non seulement le bénéfice, mais) le
capital. Dans le cas où il aurait la réputation d’aimer les procès, de bien
tenir ses comptes, de s’opiniâtrer et de se montrer ferme et hardi devant les
juges, il a assez de chances de se faire payer (sans aller plus loin). Si ces
qualités lui manquent, il doit avoir pour appui et protection quelque
personnage haut placé, afin d’imposer à ses débiteurs et de porter le magistrat
à qui rendre bonne et prompte justice. Dans le premier cas, les débiteurs le
remboursent de bon gré ; dans le second, ils sont obligés de payer malgré
eux. Celui qui n’a pas de hardiesse ni d’audace, ou qui ne sait pas éblouir ses
juges par le prestige de ses hautes protections, doit éviter de s’engager dans
le commerce ; il s’exposerait à perdre sa fortune, à la laisser devenir la *304 proie de ses débiteurs, et n’aurait presque
aucune chance de se faire rendre justice. Le fait est que la plupart des hommes
convoitent les biens d’autrui, et, s’il n’y avait pas de magistrats pour les
tenir dans le devoir, ils ne laisseraient rien à personne. Tels sont surtout
les acheteurs, le bas peuple et les mauvais sujets. Si Dieu ne contenait pas
les hommes les uns par les autres, certes la terre serait perdue ; mais
Dieu est bienfaisant envers toutes les créatures. (Coran, sour. II,
vers. 252.)
Le
caractère moral des négociants est inférieur à celui des personnages qui
exercent de hauts commandements, et s’éloigne de celui qui distingue l’homme de
cœur.
Nous avons dit, dans le chapitre précédent, que les négociants
s’occupent de ventes et d’achats, afin d’en retirer du profit et des bénéfices.
Dans une telle occupation, il faut nécessairement avoir beaucoup d’adresse,
soutenir des altercations, ruser et se débattre avec les acheteurs, vanter
outre mesure (les marchandises qu’on veut vendre) et se montrer opiniâtre et
tenace dans la dispute. Telles sont les obligations [102]
du métier. Ce sont là des habitudes qui nuisent à la probité [103]
de l’homme et à son honneur, et leur portent de graves p.356 atteintes ; car les actions de l’homme influent
nécessairement sur son caractère : si elles sont bonnes, elles laissent
sur l’âme l’empreinte de l’honnêteté et de la vertu ; si elles sont
mauvaises et viles, elles y produisent l’effet contraire. Quand on a commis une
mauvaise action et qu’on la répète ensuite plusieurs fois, cela devient une
habitude enracinée, et si l’on possédait auparavant des qualités louables, ces
actions les affaiblissent par suite des mauvaises impressions qu’elles laissent
sur l’âme. C’est ainsi que toutes les habitudes qui naissent de nos actions
portent chacune le caractère. des actions qui les ont produites. Ces
(mauvaises) impressions diffèrent en intensité, selon le rang plus ou moins
élevé que chaque négociant occupe. Celui qui est de la classe inférieure, étant
obligé d’être toujours en rapport direct
*305 avec de méchantes pratiques, avec des gens habitués à tromper, à
frauder, à duper et à se parjurer, qui affirment et qui nient au mépris de la
vérité, quand il s’agit du payement des objets qu’ils ont achetés, cet homme
contracte les mêmes vices qu’eux, et, se laissant dominer par l’improbité, il
s’écarte de l’honneur et n’essaye plus de gagner des titres à notre estime.
S’il ne se laisse pas corrompre jusqu’à ce point, il ne peut guère empêcher les
habitudes de ruse et de dispute qu’il a contractées d’influer, jusqu’à un
certain point, sur ses sentiments comme homme d’honneur. En principe général,
il est bien rare que ces habitudes ne produisent aucun mauvais effet. Il existe
une autre classe de négociants ; ce sont ceux dont nous avons parlé dans
le chapitre précédent, et qui, jouissant de la protection d’un homme puissant
dont ils cultivent la faveur, obtiennent de lui en retour (de grands
avantages). Ceux‑là sont très peu nombreux (et savent maintenir un caractère
digne et honorable). Voici comment j’explique ce fait : un négociant se
trouve placé tout à coup à la tête d’une grande fortune, qu’il a héritée d’un
parent ou gagnée par quelque voie extraordinaire. Ses richesses le mettent en
état de se lier avec des personnages haut placés dans le gouvernement et lui
procurent une grande réputation parmi ses compatriotes. Dès lors il dédaigne
de s’occuper en personne des détails du commerce et se p.357 décharge de tous les soins sur ses agents et domestiques,
sachant que, s’ils ont des réclamations à faire, ils trouveront bonne et
prompte justice auprès des magistrats, qu’il a habitués à recevoir de lui des
services et des présents. Un négociant de cette classe ne contracte pas des
habitudes viles, parce qu’il s’abstient des actions qui les produisent ;
il a donc un sentiment d’honneur et de dignité bien établi dans son cœur, et à
l’abri de toute atteinte. Il est vrai que cet homme, dans son intérieur, peut
se laisser entraîner à des actions dégradantes et en subir l’influence :
il est obligé de surveiller ses agents, d’approuver ou de blâmer leur conduite
dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils s’abstiennent de faire ; mais
l’influence de cette habitude est tellement faible qu’on en voit à peine les
traces. C’est Dieu qui vous a créés, vous
et vos œuvres [104]. (Coran,
sour. XXXVII, vers. 94.)*306
Pour
apprendre un art quelconque il faut avoir un maître.
L’art est une faculté acquise (par laquelle on agit) sur une chose qui
est un objet de travail et de réflexion. Ce qui est un objet de travail est
corporel et sensible, et ce qui est corporel et sensible se transmet (d’une
personne à une autre) beaucoup mieux et d’une manière plus complète quand cela
se fait directement. C’est donc par la transmission directe que ces objets
s’obtiennent de la manière la plus avantageuse. Par le terme faculté acquise, nous entendons une qualité
inhérente, qui résulte d’un acte répété tant de fois que sa forme est
définitivement fixée (dans l’âme). La faculté acquise dépend de la nature de
son origine. On comprend mieux et d’une façon plus complète ce qui se transmet
(à l’esprit) par les yeux que ce qui arrive par la voie des renseignements et
de l’instruction. La faculté qu’on acquiert de la première manière est donc
plus complète et plus solide que celle dont on aurait fait l’acquisition par la
seconde voie. L’habileté de l’individu qui a appris un art et la faculté qu’il
possède de bien l’exercer p.358 dépendent des
bons enseignements qu’il a reçus et du talent [105]
de celui qui l’a instruit. Cela posé, nous dirons que les arts sont, les uns
simples, et les autres compliqués. L’objet spécial des arts simples, ce sont
les choses indispensables à l’homme ; celui des arts compliqués, ce sont
les choses qui contribuent à rendre parfait son bien‑être. On commence par
enseigner les arts simples, par la raison qu’ils sont simples, et parce que les
choses indispensables qu’ils ont pour objet spécial fournissent de nombreux
motifs pour les transmettre (par l’enseignement). Comme on commence par
apprendre les arts simples, leur enseignement est d’abord très
imparfait ; mais dès lors la réflexion (de l’esprit, humain) ne cesse de
faire passer de la puissance à l’acte les diverses espèces d’arts, tant simples
que compliqués. Elle les développe peu à peu, et dans un ordre régulier,
jusqu’à ce qu’ils atteignent la perfection. Ils n’y arrivent pas tout d’un
coup, mais graduellement, *307 pendant une
longue suite de siècles et de générations ; car une chose ne passe pas
instantanément de la puissance à l’acte, surtout si elle appartient à la classe
des arts. Ce changement ne peut donc s’effectuer qu’avec le temps. Voilà
pourquoi nous trouvons que, dans les petites villes, les arts sont loin d’être
parfaits et appartiennent tous à la classe des arts simples. Si la prospérité
d’une ville augmente, la grande demande des objets de luxe pousse à l’exercice
des arts (composés) et les fait passer de la puissance à l’acte.
Les arts
se perfectionnent dans une ville à mesure du progrès de la civilisation et de
l’accroissement de la population.
Tant que la civilisation de la vie sédentaire n’est pas complètement
établie dans une ville, et tant que cette ville n’a pas acquis le caractère de
cité, les habitants songent uniquement à se procurer le nécessaire, c’est‑à‑dire
le blé et les autres choses qui servent à l’alimentation. Lorsque cette ville
est devenue une véritable cité, et que les produits du travail y abondent au
point de dépasser tous les besoins, on emploie le surplus à se procurer ce qui
peut compléter le bien‑être.
p.359 Les arts et les sciences sont du
domaine spécial de l’homme, parce qu’il se distingue des autres animaux par la
faculté réflective ; la nourriture lui est nécessaire en sa qualité d’être
animé qui doit manger pour vivre. L’obligation de se nourrir l’emporte sur
celle de cultiver les sciences et les arts, parce que les sciences et les arts
sont d’une importance secondaire, comparés aux choses qui servent à soutenir
l’existence. Plus la civilisation s’est développée dans une ville, plus les
arts approchent de la perfection, parce qu’on s’y adonne alors avec plus
d’ardeur. La qualité des produits que l’on recherche dans la culture des arts
dépend des exigences du luxe et de la richesse des habitants. Dans la vie
nomade et dans les villes où la civilisation est
*308 peu développée, on n’a besoin que des arts les plus simples, de
ceux qui s’emploient uniquement pour satisfaire aux nécessités de la population.
Tels sont ceux du menuisier, du forgeron, du tailleur, du boucher et du
tisserand. Les arts de cette espèce, après s’être introduits chez un peuple,
restent dans un état d’imperfection et ne s’améliorent pas. On les pratique
parce qu’on ne saurait s’en passer, et on ne les cultive pas pour eux‑mêmes,
mais parce qu’ils sont des moyens qu’il faut employer afin d’arriver à d’autres
choses.
Ensuite, quand la ville regorge d’habitants et qu’ils recherchent tout
ce qui peut contribuer à rendre leur bien‑être plus complet, on s’attache à
cultiver les arts et à y porter tant d’améliorations qu’ils arrivent enfin à la
perfection. A côté de ces arts, en naissent d’autres dont l’existence est
réclamée par les habitudes du luxe qui s’introduisent dans la ville, et par
les circonstances qui s’y rattachent : le cordonnier, le tanneur,
l’ouvrier en soie, le bijoutier, etc. trouvent alors de l’occupation.
Quand la ville est en pleine prospérité, ces métiers ont fait tant de
progrès qu’ils [106]
fournissent la plupart des objets qui sont nécessaires au bien‑être des
habitants, et, par suite des encouragements extraordinaires qu’on leur accorde,
ils deviennent des moyens p.360 réguliers de
subsistance pour les personnes qui les exercent. Ils rapportent même plus que
les autres occupations manuelles. A cela viennent se joindre de nouveaux arts,
appelés à se produire par le luxe qui règne dans la ville : on y trouve
des parfumeurs, des ouvriers en cuivre, des baigneurs, des cuisiniers, des
fabricants de raisiné et de heriça [107], des maîtres qui enseignent le chant,
la danse et l’art de battre le tambour en mesure. Ajoutons à cela les
libraires, dont le travail consiste à transcrire des livres, à les relier et à
les corriger ; car cela est aussi un des arts que le luxe fait naître dans
une ville, quand on s’y occupe de choses intellectuelles.
Quand la prospérité de la ville a atteint ses dernières limites, la
culture des arts dépasse toutes les bornes. Ainsi nous avons entendu dire qu’au
Caire il y a des gens qui apprennent aux oiseaux à parler, qui dressent des
ânes à faire des tours, qui opèrent des prestiges à
*309 tromper les regards des spectateurs [108],
qui enseignent à chanter, à danser et à marcher sur une corde tendue dans les
airs, qui soulèvent de gros animaux et de lourdes pierres, sans compter
d’autres métiers qui n’existent pas chez nous, en Mauritanie, parce que les
villes de ce pays sont bien inférieures en prospérité à celles du vieux et du nouveau
Caire. Dieu est le sage, le savant. (Coran, sour. II, vers. 30.)
La stabilité et la durée des arts,
dans une ville, dépendent de la stabilité et de l’ancienneté de la civilisation
dans cette ville.
La cause de cela est évidente : tous les arts sont des pratiques
habituelles aux hommes réunis en société et des teintures diverses (que la
société peut recevoir). Or toute habitude s’enracine par la fréquente
répétition et la longue durée (de l’acte qui la produit). La teinture de cette
habitude se conserve dans les générations suivantes, et une teinture solide ne
s’enlève pas facilement.
Voilà pourquoi nous trouvons dans des villes autrefois florissantes, p.361 et maintenant en pleine décadence, les
restes de certains arts qui ne se rencontrent pas dans celles dont la
prospérité est de récente date, ni même dans celles dont le nombre des habitants
a atteint son maximum. Cela tient au fait que, dans la ville qui avait
prospéré autrefois, tous les usages et toutes les habitudes ont jeté des
racines profondes par suite de leur fréquente répétition pendant des siècles,
et malgré toutes les vicissitudes par lesquelles cette ville a passé ;
mais ces arts sont loin d’avoir atteint la perfection, ainsi que cela se voit
encore de nos jours en Espagne.
Nous trouvons dans ce pays les restes de plusieurs arts encore
subsistants et bien conservés ; ils se reconnaissent dans tout ce que les
habitudes établies dans ces villes ont appelé à l’existence. Citons, comme
exemple, la maçonnerie, l’art du cuisinier, le chant, l’art de jouer des
instruments à cordes et autres instruments, la danse, l’art de tapisser et de
meubler des palais, la belle distribution et la
*310 solidité des édifices, la fabrication de vases en métal et en
argile, les divers ustensiles domestiques, la manière de célébrer les fêtes et
les noces, tous les arts enfin que le luxe et ses habitudes font naître. Vous
trouverez, parmi les natifs de ce pays, des artisans habiles et
intelligents ; vous verrez que la pratique des arts est bien enracinée
chez les Espagnols et que leurs connaissances dans cette partie sont assez
considérables pour qu’on les distingue des habitants de tous les autres pays.
Leurs villes sont cependant bien déchues de leur ancienne prospérité et
n’égalent pas en population certaines villes de la Mauritanie.
Les arts se sont conservés, chez eux [109],
parce que la civilisation de la vie sédentaire avait eu le temps de s’y
affermir pendant la durée de plusieurs dynasties, celle des Goths, celle des
Omeïades, celle des rois des provinces, et celle qui s’y est maintenue jusqu’à
nos jours. Cette civilisation était arrivée en Espagne à une limite qu’elle
n’avait jamais atteinte en aucun autre pays, à l’exception toutefois de p.362 l’Irac, de la Syrie et de l’Égypte, qui,
ayant subi la domination de plusieurs dynasties, dont chacune dura très
longtemps, ont conservé un haut degré de civilisation, si ce qu’on nous
rapporte à ce sujet est vrai.
Les arts, en Espagne, arrivèrent tous à la perfection, grâce à l’attention
qu’on avait mise à les améliorer et à les soigner ; aussi ces arts ont‑ils
donné à la civilisation espagnole une teinture si persistante qu’elle ne
disparaîtra qu’avec elle [110].
C’est ainsi que le teint d’une étoffe, quand il a bien pris, subsiste tant que
dure cette étoffe.
Tunis ressemble aux villes espagnoles sous ce point de vue ; la
civilisation y avait fait de grands progrès sous la dynastie des Sanhadja
(Zirides) et ensuite sous celle des Almohades (Hafsides), et les arts de tout
genre y avaient atteint un haut degré de perfection. Cette ville était
cependant restée, sous ce rapport, dans un état d’infériorité, st on la compare
avec les villes espagnoles ; mais la proximité [111]
de l’Égypte et le grand nombre de voyageurs qui passent, chaque année, entre ce
pays et la Mauritanie, ont eu pour résultat l’introduction d’une foule de
pratiques manuelles qui ont servi à augmenter beaucoup le nombre des arts qui
existaient déjà dans cette ville. Des Tunisiens demeurent quelquefois au Caire
pendant plusieurs années, et, à leur retour, ils en rapportent des
habitudes du luxe égyptien et la connaissance
*311 des arts de l’Orient, connaissance qui leur procure une haute
considération. De là il résulte que, sous le rapport des arts, Tunis ressemble
au Caire. Elle ressemble aussi aux villes espagnoles, parce que la plupart de
ses habitants descendent de natifs de l’Espagne orientale qui étaient venus
s’y réfugier lors de la grande émigration qui eut lieu dans le VIIe siècle [112].
Les arts se sont maintenus de cette manière à Tunis, bien que cette ville ne
soit pas dans un état de prospérité qui puisse justifier leur existence ; mais,
une fois qu’une teinture a bien pris dans une étoffe, elle n’en disparaît
presque jamais, à moins que cette étoffe ne soit anéantie.
p.363 Nous trouvons aussi à Cairouan, à
Maroc et à la Cala d’Ibn Hammad [113],
un reste des arts qui y avaient fleuri autrefois, et, cependant, ces villes
sont aujourd’hui ruinées, ou peu s’en faut. L’homme habitué à observer est le
seul qui soit capable d’y reconnaître l’existence de ces arts ; il en
découvre des traces qui indiquent ce qu’ils ont dû être, de même qu’en examinant
les traces d’une écriture à moitié effacée on parvient à la lire. Dieu est le créateur, le savant [114].
(Coran, sour. XV, vers. 86.)
L’amélioration
des arts et leur extension dépendent du nombre des personnes qui en recherchent
les produits.
Un homme ne consent jamais à donner gratuitement le fruit de son
travail, car c’est là son gain et son moyen de subsistance. Sans le travail, il
ne pourrait, de toute sa vie, recueillir aucun avantage ; aussi ne
s’occupe‑t‑il que d’ouvrages pour lesquels il peut obtenir une rétribution dans
sa ville, et qui lui procurent ainsi un certain bénéfice. Quand (les produits
d’un) art sont très recherchés et de bonne défaite [115],
cet art est lui-même une marchandise qui se recherche et qui a une haute
valeur sur le marché [116].
Les habitants de *312 la ville.
s’empressent alors d’apprendre un tel art, afin de s’en faire un moyen de
subsistance.
Si, au contraire, (les produits) d’un art ne sont pas recherchés et se
vendent mal, personne ne sera disposé à l’apprendre ; ceux qui l’exercent
y renoncent [117]
et le laissent dépérir par leur abstention. Voilà pourquoi (le khalife) Ali
disait : « La valeur d’un
homme, c’est ce qu’il sait bien faire ». Par cette parole il donnait à
entendre que la valeur d’un homme s’estime d’après l’art qu’il exerce, et
qu’elle est le prix du travail qui le fait vivre.
Nous ferons remarquer ici une autre chose qui pourrait échapper p.364 à l’attention du lecteur [118],
à savoir que c’est le gouvernement (surtout), qui encourage les arts et qui
pousse à leur amélioration : c’est lui qui les fait prospérer et
rechercher. Si le gouvernement ne les encourageait pas et laissait ce soin aux
habitants de la ville, ce que ceux‑ci pourraient y faire serait peu
considérable. Le gouvernement est le grand marché [119]
où toute chose se débite et où ce qui est rare se place aussi facilement que ce
qui est abondant. Les arts, qui sont de bon débit dans ce marché, sont
nécessairement très cultivés. Le peuple recherche bien (les produits de)
certains arts, mais pas d’une manière complète [120] ;
aussi les encouragements qu’il leur donne demeurent sans résultat utile. Dieu fait ce qu’il veut.
La décadence d’une ville entraîne celle des arts qu’on y
cultive.
Cela résulte de ce que nous avons déjà énoncé, savoir, que l’amélioration
des arts dépend de leur nécessité et de l’encouragement qu’on leur donne ;
aussi, quand une ville tombe en décadence et touche à la décrépitude, par suite
de la ruine de sa prospérité et du décroissement de sa population, le luxe y
diminue et les habitants reprennent leur ancien usage de se borner au strict
nécessaire. Le nombre des arts, dont l’introduction fut une des conséquences du
luxe, diminue p.313 graduellement,
car ceux qui les exercent, n’y trouvant plus un moyen de vivre, s’engagent bien
vite dans d’autres occupations, ou bien ils meurent et ne laissent pas d’élèves
pour les remplacer.
Les arts finissent ainsi par disparaître sans laisser une trace de
leur existence, et, avec eux, disparaissent les décorateurs, les orfèvres, les
libraires, les copistes de livres et les autres individus qui exercent des arts
réclamés par les besoins du luxe. A mesure que la prospérité d’une ville décroît,
la pratique des arts y décroît aussi, et quand cette prospérité vient à
s’anéantir, les arts n’y existent plus. Dieu est le créateur, le savant.
Les Arabes sont le peuple du monde
qui a le moins de disposition pour les arts.
p.365 La cause de cela est le grand
attachement des Arabes pour la vie nomade et leur aversion pour la vie
sédentaire et pour les arts et les usages que celle‑ci fait naître. Les peuples
étrangers qui habitent l’Orient et les nations de la chrétienté qui occupent le
bord (septentrional) de la mer Romaine (la Méditerranée) sont, au contraire,
les races qui s’appliquent aux arts avec le plus d’empressement, puisqu’elles
sont profondément engagées dans la civilisation de la vie sédentaire et n’ont
rien qui puisse les disposer à la vie nomade. Cela est tellement vrai que les
chameaux, au moyen desquels les Arabes peuvent mener dans les déserts une
existence sauvage et se faire à toutes les habitudes de la vie nomade, manquent
complètement. chez ces peuples. On n’y trouve même pas de ces lieux qui offrent
des pâturages propres aux chameaux, et de ces régions sablonneuses qui
conviennent le mieux à ces animaux quand ils font leurs petits.
La pratique des arts est en général très limitée dans le pays dont les
Arabes sont originaires et dans les contrées dont ils se sont emparés depuis
la promulgation de l’islamisme. C’en est au point qu’ils sont obligés de tirer
de l’étranger beaucoup de choses dont ils ont besoin. Voyez, au contraire,
combien les arts sont florissants dans les pays habités par les Chinois,. les
Indiens, les Turcs et les chrétiens, et comme les autres peuples en tirent des
marchandises et des denrées.
Les Berbers, peuple non arabe qui habite le Maghreb, peuvent être mis
sur la même ligne que les Arabes, parce qu’ils se sont habitués, *314 depuis des siècles, à la vie nomade ;
cela se voit, même au petit nombre de leurs villes ; aussi les arts sont‑ils
peu répandus dans le Maghreb, à l’exception, toutefois, du tissage des laines,
de l’art du corroyeur et de celui du tanneur. On y a porté ces arts à un haut
degré de perfection, parce qu’ils étaient devenus indispensables aussitôt que
plusieurs tribus berbères eurent pris le parti de s’établir à demeure fixe, et
parce que la laine et le cuir sont les produits p.366
les plus abondants de tout pays qui se trouve occupé par un peuple
nomade.
Dans l’Orient, les arts eurent le temps de jeter de profondes racines,
pendant une longue suite de siècles, sous la domination des Perses, des
Nabatéens, des Coptes, des Israélites, des Grecs, des Romains et d’autres
anciens peuples. Tous les usages de la vie sédentaire, usages dont les arts
forment une partie, s’établirent dans ce pays de manière à laisser des traces
ineffaçables. Le Yémen, le Bahreïn, Oman et la péninsule arabe ont eu, il est
vrai, les Arabes pour maîtres ; mais, comme plusieurs peuples de cette
race se succédèrent dans la possession de ces pays et qu’ils s’y maintinrent
pendant des milliers d’années, ils eurent le temps d’arriver à un haut degré de
civilisation, à se former aux usages du luxe et de la vie sédentaire et à
fonder les villes qui existent encore dans ce pays. Ces peuples furent les
Adites, les Themoudites et les Amalécites, puis les Himyérites, les Tobba et
les Dhou [121].
La royauté et la civilisation sédentaire durèrent si longtemps dans ces pays
qu’elles y ont laissé une teinte ineffaçable ; les arts s’y étaient
multipliés et leur pratique s’y était établie si solidement que la ruine de la
puissance arabe ne leur porta aucune atteinte ; ils s’y sont conservés,
toujours renaissants, jusqu’à ce jour, surtout ceux qui sont propres au Yémen,
tels que la fabrication de ouéchi (brocart)
et d’asb [122],
le tissage des toiles et des étoffes de soie, et autres arts qui y ont été
portés à la perfection. Dieu est
l’héritier de la terre et de tout ce qu’elle porte. *315
Celui qui possède la faculté d’exercer un certain art [123] parvient très rarement à en acquérir parfaitement une
autre.
Un tailleur, par exemple, qui exerce très habilement la faculté de
coudre, qui la possède bien et se l’est appropriée intimement, ne pourra pas
acquérir ensuite, d’une manière complète, celle d’être menuisier ou maçon. S’il
y parvenait, c’est qu’il ne possédait pas p.367
encore complètement la première faculté, et n’en avait pas pris une
teinture très solide. En voici la raison : les facultés, étant des
attributs de l’âme et des couleurs qu’elle est susceptible de prendre, ne s’y
accumulent pas et n’y arrivent pas simultanément. L’âme doit être dans l’état
primitif de sa nature pour acquérir facilement une faculté et pour être bien
disposée à la recevoir. Ensuite, quand elle prend la couleur de cette faculté,
elle sort de son état primitif, et comme la teinte qui vient de lui être
communiquée a dû affaiblir chez elle la disposition d’en recevoir une autre,
elle n’a plus autant de force qu’auparavant pour acquérir une seconde faculté.
Cela est évident, et les faits sont là pour l’attester. Il est bien rare de
trouver un homme qui, possédant déjà d’une manière parfaite un art quelconque,
se rend ensuite tout à fait maître d’un autre art et les exerce tous les deux
également bien. Il en est de même des hommes qui s’occupent de sciences, et
dont les facultés acquises sont purement intellectuelles : celui d’entre
eux qui s’est rendu parfaitement maître d’une branche de science parvient
rarement à devenir habile dans une autre. S’il essaye de l’acquérir
complètement, il ne réussira pas, excepté dans certains cas extrêmement rares.
La cause de cela se trouve [124]
indiquée dans ce que nous venons de dire au sujet de la disposition de l’âme à
recevoir des facultés et à prendre la teinte de celle dont elle vient de faire
l’acquisition. Au reste, Dieu sait mieux ce qui en est.*316
Indication des arts du premier rang [125].
Le nombre des arts qui résultent des travaux auxquels l’espèce humaine
se livre dans la vie sociale est si considérable qu’on ne peut lui assigner une
limite. Il y a cependant certains arts dont les hommes réunis en société ne
sauraient se passer, et d’autres qui sont nobles par leur objet ; aussi
ferons‑nous une mention spéciale de ces deux classes, sans parler des autres.
Comme exemple des arts p.368 absolument
nécessaires, nous indiquerons ceux du cultivateur, du maçon, du tailleur, du
menuisier et du tisserand, et comme arts nobles par leur objet, nous nommerons
celui d’accoucher, ceux de l’écrivain, du libraire, du musicien et du médecin.
L’art d’accoucher est absolument nécessaire à la société ; le besoin en
est général ; car c’est presque toujours à cet art que le nouveau‑né doit
la conservation de la vie et l’achèvement de son existence. Cet art a, de
plus, un (noble) objet : les enfants qui vont naître et leurs mères. La médecine,
branche de la physique, est l’art de conserver la santé de l’homme et de le
délivrer des maladies ; il a pour objet le corps humain. L’écriture, et
l’art du libraire, qui en dépend, servent à fixer et à conserver les souvenirs
que l’homme veut garder, à faire parvenir aux pays lointains les pensées de
l’âme, à éterniser dans des volumes les produits de la réflexion et les
connaissances scientifiques, et à donner aux idées une existence assurée [126].
La musique est l’art. d’établir un certain rapport entre les sons, afin d’en
rendre la beauté sensible à l’oreille. Ces trois derniers arts mettent ceux qui
les exercent en contact avec les plus grands souverains, et les introduisent
dans leur société intime ; ils ont donc un degré de noblesse auquel les
autres n’atteignent pas. Ceux‑ci sont d’un rang inférieur et s’exercent *317 ordinairement comme des métiers qui font
vivre ; mais tout cela varie selon les besoins et les projets (de ceux qui
ont de l’argent à dépenser). Dieu est le
créateur, le savant.
De l’agriculture.
L’utilité de l’agriculture consiste à faire produire des aliments et
des grains, en s’occupant à remuer la terre dans ce but, à l’ensemencer, à
soigner les grains quand ils poussent, à les arroser régulièrement et à
surveiller leur croissance jusqu’à l’époque de la maturité, puis à couper les
épis et à faire sortir les grains de leurs enveloppes. Cela exige un travail
assidu et l’emploi de tous les moyens p.369 qui
peuvent le faire réussir. L’agriculture est le plus ancien de tous les arts,
puisqu’il procure la plupart des aliments essentiels à l’existence de l’espèce
humaine ; l’homme peut se passer de toutes les autres choses, mais il lui
faut absolument de la nourriture.
On voit, d’après ce que nous venons de dire [127],
que cet art est spécial à la campagne ; (il y est né,) car nous avons
déjà dit que la vie de la campagne a précédé celle de la ville. C’est
donc [128]
une occupation rurale à laquelle le citadin reste étranger, et un art dont il
n’a aucune connaissance. Cela tient à ce que la vie des champs a précédé la vie
urbaine et tout ce qui s’y rattache, et que les arts propres à ce dernier mode
d’existence n’ont paru qu’après ceux qui naissent de la civilisation nomade. Dieu est le créateur, le savant.
De l’art de bâtir.
L’art de bâtir est le premier des arts qui naissent dans la vie sédentaire.
Il consiste dans la connaissance du genre de travail auquel on doit se livrer
quand on veut construire des maisons et des habitations qui puissent servir
d’abri [129]
et de lieux de retraite.
[ [130]*318 L’homme a inventé cet art par suite d’une
disposition innée qui le porte à réfléchir sur son avenir : il pense,
nécessairement, aux moyens de se garantir contre les injures du temps, contre
la chaleur et le froid. Il songe à se faire des maisons ayant des murailles et
un toit qui le protége de tous les côtés [131]
contre les intempéries de l’air.
Cette réflexion innée, laquelle est l’essence de la nature humaine,
varie de force chez les hommes des diverses contrées. Ceux qui p.370 habitent les climats tempérés [132],
tels que le second et les autres jusqu’au sixième, se construisent des
habitations dans lesquelles ils observent plus ou moins un juste milieu ;
mais ceux qui demeurent dans le premier climat et dans le septième sont loin
d’en faire de même. Cela tient à la position de leurs paye, qui s’écartent tout
à fait de la zone tempérée, et à la faiblesse de leur intelligence, qui ne
conçoit pas comment on doit faire pour exercer les arts qui sont naturels à
l’homme. Aussi n’ont‑ils d’autres lieux de retraite que des grottes et des
cavernes ; ils prennent même leurs aliments sans leur faire subir ni
apprêt ni cuisson.
Les habitants des climats tempérés, ceux qui construisent des maisons
pour y trouver un abri, se multiplient beaucoup, et cela fait augmenter le
nombre de leurs maisons. Ils les bâtissent (ordinairement) dans une même
plaine, sans se connaître les uns les autres. Craignant alors d’être attaqués
chez eux par leurs voisins pendant la nuit, ils voient la nécessité de pourvoir
à la sûreté générale en entourant toutes les habitations d’une seule ceinture
de murs. Cette réunion de maisons forme une ville ou cité, dans laquelle des
magistrats veillent au salut public et se servent d’une partie des habitants
pour contenir le reste. Le besoin de se mettre à l’abri des attaques de l’ennemi
porte quelques individus à construire des places fortes et des citadelles sur
les cimes des montagnes, afin de s’y mettre en sûreté et de s’y enfermer avec
leurs subordonnés. Ce sont les rois qui font cela et les personnes de la même
catégorie, telles que les émirs et les chefs de tribus.]
Les genres d’édifices diffèrent de ville à ville : dans chaque
ville on suit les usages qui y sont propres ; quand on construit des maisons
on les adapte au caractère du climat, et chaque individu, le riche comme le
pauvre, bâtit la sienne conformément à ses moyens. Tel est le cas dans toutes
les villes.
*319 Quelques personnes font élever des
palais et de vastes p.371 constructions renfermant
plusieurs corps de logis et une foule de chambres et de pavillons, afin d’y
installer leurs fils, les autres membres de leurs familles, leurs domestiques
et leurs subordonnés. Les murs de ces édifices se composent de pierres liées
ensemble par un ciment de chaux ; ils sont enduits de plâtre et peints en
diverses couleurs, et le tout ensemble est orné et embelli de manière à faire
reconnaître l’extrême soin qu’on a mis à se préparer une magnifique demeure. On
y dispose aussi des conduits pour les eaux, des souterrains pour emmagasiner
les grains et des écuries pour les chevaux, dans le cas où le propriétaire
appartient à la classe militaire et a beaucoup de subordonnés et de serviteurs.
Tels sont les émirs et autres personnages de haut rang.
D’autres individus construisent des maisonnettes ou des cabanes pour
s’y loger, eux et leurs enfants. Ils ne recherchent pas autre chose, parce que
leurs moyens sont très limités et qu’un simple abri, tel que l’exige la
constitution de l’homme, leur paraît suffisant. Entre les palais et les cabanes
il y a tant de sortes de maisons, qu’il serait impossible d’en faire
l’énumération.
L’architecture est indispensable aux rois et aux grands personnages
qui entreprennent de fonder des villes et d’élever de grands édifices. Ils ont
à faire poser des fondations solides, à élever et à fixer en place de gros
blocs de pierre, afin que les bâtiments soient d’une construction aussi
parfaite que possible. L’architecture fournit tous. les moyens d’accomplir ces
opérations.
Dans les climats tempérés, c’est‑à‑dire dans le quatrième et ceux qui
l’avoisinent, l’architecture est pratiquée sur une grande échelle. Dans les
climats les plus écartés (de la zone tempérée),. on ne bâtit rien et on se
contente de cases, dont les parois sont faites avec des roseaux et de l’argile,
ou bien on habite dans des grottes et des cavernes.
On remarque de grandes différences entre les individus qui exercent
l’architecture : les uns sont habiles et intelligents, les autres peu capables.
p.372 *320 L’art de bâtir se partage en
plusieurs branches : l’une consiste à faire des murs avec des pierres de
taille [133]
[ou des briques], que l’on cimente ensemble au moyen de l’argile ou de la
chaux, matières qui, en se consolidant, forment une seule masse avec ces
matériaux. Un autre mode de bâtir, c’est de construire des murs avec de
l’argile seulement. On se sert pour cela de deux planches de bois, dont la longueur
et la largeur varient selon les usages locaux ; mais leurs dimensions
sont, en général, de quatre coudées sur deux. On dresse ces planches sur des
fondations (déjà préparées), en observant de les espacer entre elles, suivant
la largeur que l’architecte a jugé à propos de donner à ces mêmes fondations.
Elles tiennent ensemble au moyen de traverses en bois que l’on assujettit avec
des cordes ou des liens ; on ferme avec deux autres planches de petite
dimension l’espace vide qui reste entre les [extrémités des] deux grandes
planches, et l’on y verse un mélange de terre et de chaux que l’on foule ensuite
avec des pilons [134]
faits exprès pour cet objet. Quand la masse est bien comprimée, et que la terre
est suffisamment combinée avec la chaux, on y ajoute encore de la terre à
plusieurs reprises, jusqu’à ce que le vide soit tout à fait comblé. Les particules
de terre et de chaux se trouvent alors si bien mélangées qu’elles ne forment
qu’un seul corps. Ensuite on place ces planches sur la partie du mur déjà
formée, on y entasse encore de la terre et l’on continue ainsi jusqu’à ce que
les masses de terre, rangées en plusieurs ligues superposées, forment un mur
dont toutes les parties tiennent ensemble, comme si elles ne faisaient qu’une
seule pièce. Ce genre de construction s’appelle tabia (pisé) ; l’ouvrier qui la fait est désigné par le nom de
taouwab (piseur).
Une autre branche de l’art de bâtir consiste à revêtir les murs de
chaux, que l’on délaye dans de l’eau et qu’on laisse ensuite fermenter pendant
une ou deux semaines. Elle acquiert alors un tempérament convenable, s’étant
débarrassée de la qualité ignée qui s’y p.373
*321 trouvait en excès et qui l’aurait empêchée de tenir. Quand
l’ouvrier juge qu’elle est bien préparée, il l’applique sur le mur et la frotte
jusqu’à ce qu’elle y reste attachée.
La construction des toits forme encore une branche de cet art. On
étend, d’un des murs à l’autre, des poutres équarries, ou. bien des morceaux
de bois non dégrossis, sur lesquels on pose des planches qu’on assujettit au
moyen de chevilles [135].
On verse là‑dessus un mélange de terre et de chaux qu’on bat ou qu’on aplatit
avec des pilons, de manière que les particules de ces deux matières soient
intimement combinées et forment une surface solide. On recouvre ensuite cette
surface d’une couche de chaux, de la même manière que pour le crépissage des
murs.
L’ornementation et l’embellissement des maisons font encore une
branche de l’architecture. Ils consistent à appliquer sur les murs des figures
en relief faites avec du plâtre que l’on fait prendre avec de l’eau. On retire
le plâtre sous la forme d’une masse solide dans laquelle il y a encore un
reste d’humidité. On façonne cette masse sur un modèle donné, en l’entamant
avec des poinçons de fer, et l’on finit par lui donner un beau poli et un
aspect agréable. Quelquefois aussi, on revêt les murs de morceaux de marbre ou
de tuiles, ou de carreaux de faïence, ou de coquilles et de porcelaines. Les
morceaux de chaque espèce s’emploient séparément, ou bien on les combine avec
les autres. Ils s’appliquent sur le revêtement de chaux, dans des proportions
et d’après des patrons que les gens de l’art ont adoptés. Cela donne au mur
l’aspect d’un parterre orné de fleurs.
Une autre branche de l’architecture, c’est la construction de citernes
et des bassins pour recevoir des courants d’eau. Mais, avant de commencer, on pose
dans les salles (du palais) de grandes cuvettes en marbre travaillées au tour
et ayant au centre des orifices par lesquels doit jaillir l’eau qui va se
jeter dans le bassin. Cette eau vient du dehors par des tuyaux qui la
conduisent dans les salles.
p.374 Il y a encore d’autres branches
d’architecture dans le genre de celles‑ci. Les hommes qui y travaillent sont
plus ou moins habiles, *322 selon que
l’état de la ville est plus ou moins florissant. Quand la ville grandit
beaucoup, le nombre de ces artisans augmente dans la même proportion.
Les magistrats ont quelquefois recours à l’avis des architectes quand
il s’agit de bâtiments, parce que ceux‑ci s’y entendent mieux que les autres
hommes. Dans les grandes villes, la population est si nombreuse et si
pressée [136]
que chacun tient, comme un avare, à l’emplacement (qu’occupe sa maison) et à
la jouissance de l’air (dans toutes les parties de l’habitation), depuis le
haut jusqu’en bas ; il ne permet à qui que ce soit de tirer parti [137]
de l’extérieur de sa maison, de peur que cela ne nuise à la solidité des
murailles. Il empêche ses voisins d’en profiter, à moins qu’ils n’aient le
droit de le faire. On a des contestations au sujet du droit de passage, des
ruelles, des égouts et des conduits qui laissent écouler les eaux de ménage.
Quelquefois un propriétaire intente un procès à un autre au sujet d’un mur
(mitoyen), ou de la hauteur de ce mur ou des créneaux qui le couronnent. ; et
cela, sous le prétexte qu’il est trop rapproché de sa propriété. Un tel [138]
accuse son voisin d’avoir endommagé sa propre muraille, de sorte qu’elle menace
de tomber, et il s’adresse à qui de droit pour le faire condamner à l’abattre,
afin de prévenir les malheurs qu’elle pourrait causer. Une autre fois il
s’agit de partager une maison ou un bâtiment entre deux copropriétaires, de
sorte que ni l’un ni l’autre ne puisse y faire des dégradations ou en négliger
l’entretien. Dans tous les cas de cette nature, personne ne s’y entend excepté
les hommes versés dans les détails de l’art de bâtir. Ces experts cherchent
des indications dans l’examen des clefs de voûte, des sablières et des endroits
où les solives entrent dans les murailles ; ils regardent aux murs pour
voir s’ils penchent ou s’ils sont d’aplomb ; ils établissent le partage
des habitations, selon la disposition des p.375
*323 pièces et leur destination ; ils donnent aux conduits qui
servent à amener ou à faire écouler les eaux la direction nécessaire pour
qu’ils ne nuisent pas aux maisons ni aux murailles à côté desquelles ils passent.
Ils ont, sur ces divers points et sur plusieurs autres, des connaissances
théoriques et pratiques qui leur sont propres.
Ajoutons que, chez les divers peuples, les architectes sont plus ou
moins habiles, et que leur talent est toujours en rapport direct avec la
puissance de la dynastie sous laquelle ils vivent. Pour que les arts acquièrent
toute leur perfection, il faut que la civilisation de la vie sédentaire ait
acquis la sienne. Leur multiplication dépend du nombre de ceux qui les
encouragent et les recherchent.
Quand l’empire est dans la première période de son existence et
conserve encore la rudesse de la vie nomade, on est obligé de faire venir de
l’étranger les architectes et ouvriers dont on a besoin. C’est ce qui est
arrivé au khalife el-Ouélîd Ibn Abd el‑Melek, quand il se décida à faire
construire la mosquée de Médine, celle de Jérusalem et celle de Damas qui porte
son nom. Il fit demander au roi des Grecs, à Constantinople [139],
des ouvriers habiles dans l’art de bâtir, et ce souverain lui en [140]
envoya et le mit ainsi en mesure de mener son projet à bonne fin.
Celui qui exerce cet art est quelquefois obligé de mettre en pratique
des connaissances qui appartiennent à la géométrie. Cela lui arrive quand il
s’agit de donner aux murailles la disposition nécessaire pour qu’elles se
soutiennent mutuellement, de diriger les eaux par le moyen des niveaux, et de
faire d’autres opérations semblables. Une certaine connaissance des problèmes
de la géométrie lui est donc indispensable. Il en a aussi besoin quand il veut
transporter de lourdes masses au moyen de machines [141].
Quand on construit de vastes édifices avec des pierres tellement grosses que
les ouvriers n’ont pas assez de force [142]
pour les élever à l’endroit de la muraille qu’elles p.376 doivent occuper, l’ingénieur a recours à l’adresse, afin
de multiplier la puissance de la corde qui doit supporter le poids. Pour y
parvenir, il fait passer cette corde à travers les ouvertures pratiquées dans
des poulies [143],
et dont le nombre est déterminé par le calcul d’une proportion géométrique.
Alors, quand on élève la pierre, on la trouve très légère. [Cet espèce
d’instrument [144]
s’appelle mîkhal [145].]
Au moyen de cet engin, on atteint son but sans se fatiguer ; mais,
pour le construire, il faut mettre en application certains principes
géométriques dont la connaissance est assez répandue.
Ce fut avec l’aide de ces engins que l’on bâtit les édifices énormes
qui se tiennent encore debout et dont on attribue la construction aux peuples
qui vécurent dans les temps du paganisme. Le vulgaire de nos jours s’imagine,
mais à tort, que la taille de ces peuples était en proportion avec ces vastes
monuments ; mais il est certain que, dans l’exécution de ces travaux, les
anciens employaient des machines, ainsi que nous l’avons déjà fait observer.
C’est là une chose *324 qu’il est bon
de savoir. Dieu crée ce qu’il veut.
De l’art du charpentier.
Cet art est un de ceux dont les hommes établis en société ne sauraient
se passer. La matière qui en est l’objet est le bois. Dieu a placé dans les
choses sublunaires certaines propriétés utiles, afin que l’homme les emploie
pour satisfaire ses besoins, tant ceux de première nécessité que ceux auxquels
ses habitudes ont donné naissance. Les arbres, par exemple, servent à des
usages sans nombre, ainsi que chacun le sait. Quand ils sont desséchés, on en
tire du bois, substance de la plus grande utilité. L’homme s’en sert pour
alimenter le feu avec lequel il apprête sa nourriture ; il en fait des
bâtons pour lui servir d’appui, pour conduire ses troupeaux et pour d’autres
usages. Il en fait aussi des poutres pour soutenir des charges très lourdes et
les empêcher de tomber. Ajoutons que le bois est d’une grande utilité p.377 dans la vie de la campagne et dans celle de
la ville : les peuples nomades s’en servent pour les montants et les
piquets de leurs tentes, pour les palanquins dans lesquels leurs femmes
voyagent à dos de chameau, pour les lances, les arcs et les flèches, qui leur
servent d’armes offensives. Les habitants des villes emploient le bois pour
faire les toits de leurs maisons, les serrures [146]
de leurs portes, et des chaises pour s’asseoir. Le bois est la matière dont se
composent tous ces objets ; mais ils ne reçoivent leur forme propre que
par l’application de l’art. Le genre d’art qui s’emploie dans ce but et qui
donne à chaque objet sa forme spéciale, c’est la charpenterie dans toutes ses
branches. Celui qui l’exerce commence par couper les poutres en tronçons ou en
planches ; ensuite il assemble ces morceaux de manière à leur donner la
forme voulue [147]
et, dans toutes *325 ces opérations,
il vise à façonner chaque pièce avec une si juste symétrie qu’elle soit propre
à devenir une partie de l’objet [148]
qu’il se propose de former. Cet artisan, c’est le charpentier, personnage dont
les hommes réunis en société ont absolument besoin.
Quand la civilisation de la vie sédentaire prend de grands développements,
que le luxe s’y est introduit et qu’on recherche un certain degré de beauté
dans les plafonds, les portes, les sièges, les ustensiles de ménage, etc. cet
art est cultivé avec le plus de soin et reçoit des améliorations
extraordinaires, améliorations qui sont tout à fait de luxe et nullement
exigées par la nécessité. Telle est l’application de moulures aux portes
et aux sièges. On façonne aussi au tour des morceaux de bois, afin de leur
donner une forme élégante et un beau poli ; puis on les assemble en les
combinant de certaines façons [149],
et on les attache ensemble avec des chevilles. Ils semblent alors ne former
qu’un seul morceau. Les figures produites par ces diverses combinaisons
diffèrent entre elles, tout en conservant une p.378
ressemblance mutuelle [150].
Les divers objets qui se font avec du bois peuvent se fabriquer ainsi, et ils
acquièrent, de cette manière, toute la beauté dont ils sont susceptibles. On
améliore de même toutes les espèces d’ustensiles dont le bois forme la matière.
Cet art est encore nécessaire quand il s’agit de construire avec des
planches et des chevilles les bâtiments qui sont destinés à naviguer en pleine
mer. Ce sont de gros corps formés d’après des principes géométriques et
auxquels le poisson a servi de modèle. — Pour les fabriquer, il faut avoir
étudié la manière dont le poisson s’avance dans l’eau, au moyen de ses
nageoires et de sa poitrine ; car la forme de cet animal est tout à fait
propre à fendre cet élément. Pour remplacer les instruments de mouvement que
le poisson possède naturellement, on prend le vent pour moteur et, dans
certains navires, tels que les galères, on se sert uniquement de rames [151].
L’art des constructions navales a donc fondamentalement besoin de la géométrie *326 dans toutes ses branches. En effet, quand
il s’agit de produire des formes parfaites, en les faisant passer de l’état virtuel
à l’état réel, on doit connaître les lois des proportions qui existent entre
des quantités dans tous les cas, soit généraux, soit particuliers ; or,
pour connaître les rapports mutuels des quantités, il faut avoir recours à la
géométrie. Voilà pourquoi les principaux mathématiciens d’entre les Grecs
étaient de grands maîtres dans l’art (de la charpenterie). Euclide, l’auteur
des Éléments de la géométrie, était
charpentier, et on le désignait par ce titre [152].
Apollonius, l’auteur du Traité des sections
coniques, s’y était également distingué, ainsi que Ménélaüs [153]
et autres.
On dit que Noé [154]
fut le premier qui enseigna cet art aux hommes, p.379
et que ce fut au moyen de ses connaissances en charpenterie qu’il opéra
son grand miracle : la construction de l’arche qui sauva un reste de
l’espèce humaine lors du déluge. Qu’il ait été le premier charpentier, cela
est possible, mais nous n’en possédons aucune preuve, vu le long espace de
temps qui s’est écoulé depuis cette époque. La tradition qui nous le dit doit
être entendue comme indiquant l’antiquité de cet art. Quant aux temps
antérieurs à Noé, nous ne possédons aucun renseignement certain au sujet de
l’existence de la charpenterie, et voilà probablement pourquoi on a
représenté ce patriarche comme le premier qui l’eût apprise. On voit par là
combien il y a de secrets touchant les arts qui sont pratiqués par les hommes. Dieu est le créateur, le. savant.
De l’art du tisserand et de celui du tailleur.
[ [155]
Les hommes qui occupent le juste milieu dans l’état que l’on désigne par le
terme nature humaine [156]
sont obligés de songer aux moyens de se couvrir le corps [157],
de même qu’ils doivent songer aux moyens de s’abriter (contre les intempéries
des saisons). Ils y parviennent en s’enveloppant d’un tissu qui puisse les
garantir contre le chaud et le froid. Or, pour former ce tissu, il faut, de
toute nécessité, prendre des matières qu’on a filées et les combiner ensemble
de manière à en faire une pièce d’étoffe. Cette opération s’appelle travailler au métier *327 et
tisser. S’ils s’adonnent à la
vie nomade, ils se contentent d’une pièce d’étoffe unie ; mais, s’ils
adoptent la vie sédentaire, ils découpent la pièce en morceaux, afin d’en
façonner des vêtements qui s’adaptent à la taille et à chaque membre du corps,
quelle que soit la diversité de leur position. Ensuite ils unissent ces
morceaux ensemble afin d’en faire un vêtement qui aille au corps et dont ils
se p.380 revêtent. L’art par l’emploi
duquel on effectue cette union est celui du tailleur.]
Les arts [158]
du tisserand et du tailleur sont indispensables à toute société civilisée,
parce que, sans eux, les hommes [159]
n’auraient pas de quoi se couvrir le corps. Le premier de ces arts consiste à
tisser des fils de laine ou de coton. On les tend en longueur, pour former la
chaîne, et en largeur, pour former la trame, puis on les combine ensemble
d’une manière solide. Par ce procédé on fabrique des pièces d’étoffe de la
grandeur qu’on veut. Celles qui sont en laine servent de manteaux pour
envelopper le corps, et les autres, qui sont en coton ou en lin, s’emploient
pour les vêtements (intérieurs).
Le second de ces arts consiste à façonner avec ces étoffes des vêtements
dont les formes varient selon la diversité des tailles et les changements de la
mode. On commence par couper l’étoffe avec des ciseaux, afin d’en tirer des
morceaux qui puissent s’adapter aux divers membres du corps. Ensuite on attache
ces morceaux ensemble, en les ourlant, ou en les cousant, ou en les surjetant,
ou en les piquant [160],
ce qui dépend du système de fabrication employé. Cet art est spécial à la
civilisation de la vie sédentaire : les peuples nomades n’en ont pas
besoin, parce qu’ils se contentent d’une pièce d’étoffe unie avec laquelle ils
puissent s’envelopper le corps. Découper les étoffes, adapter les morceaux les
uns aux autres et les coudre ensemble afin d’en faire des vêtements, ce sont
des pratiques spéciales à la vie sédentaire.
Quand on a bien compris cela, on conçoit pourquoi le législateur a
défendu de porter des vêtements cousus pendant qu’on remplit les cérémonies du
pèlerinage. En effet, parmi les prescriptions qui concernent ce devoir, il y
en a une qui nous oblige de jeter au loin tous les liens qui nous attachaient
au monde, et de revenir à Dieu dans le même état où nous étions quand il nous
créa. Aussi l’homme p.381 qui va paraître
devant le Seigneur, doit détacher son cœur de tous
*328 les usages du luxe, s’abstenir de parfums et de femmes, ne porter
ni vêtements cousus ni bottes, ne pas faire la chasse ni se livrer à aucune des
habitudes dont son âme et son corps ont reçu l’impression dans (la vie du
monde) ; il doit absolument éviter toutes ces choses, quand même cette
privation lui coûterait la vie. Il est tenu de se montrer humble de cœur et
résigné à la volonté de Dieu ; tel enfin qu’il sera quand il comparaîtra
devant son créateur au jour du jugement. S’il remplit ces devoirs fidèlement,
sa récompense sera d’être délivré de tous ses péchés et de devenir aussi pur
qu’il l’était le jour où sa mère le mit au monde. Gloire au Seigneur ! Que
de bonté ! que de miséricorde à vouloir mettre ses créatures dans la voie
qui les mène jusqu’à lui !
Ces deux arts ont été connus des hommes depuis une époque très
reculée, car on ne saurait se passer de vêtements quand on vit dans une société
civilisée et dans un climat tempéré. Les peuples qui occupent les pays écartés
de la région tempérée et voisins de la zone torride [161]
n’ont pas besoin de vêtements pour se tenir chaud ; la plupart des noirs
qui habitent le premier climat vont toujours nus, à ce que nous avons entendu
dire.
Comme ces arts sont d’une origine très ancienne, le vulgaire en
attribue l’invention à Idrîs (Hénoc), le plus ancien des prophètes, ou bien à
Hermès ; mais ce dernier personnage est, dit‑on, le même qu’Idris. Dieu est le créateur, le savant.
De l’art des accouchements.
L’art d’accoucher est la manière de retirer l’enfant [162]
du ventre de sa mère, en le faisant sortir doucement de la matrice, après avoir
préparé tout ce qui peut faciliter cette opération, et puis en lui donnant les
soins dont nous parlerons plus loin. Il est exercé par p.382 des femmes, dans presque tous les cas, parce que la loi
leur permet de regarder aux parties naturelles des personnes de leur sexe. La
femme qui fait cette opération s’appelle la cabela
(receveuse) *329 terme employé
métaphoriquement pour indiquer qu’elle reçoit
l’enfant et que la mère le lui donne. Voici comment cela se
pratique : quand l’enfant est complètement formé dans la matrice, après
avoir passé par toutes les périodes de sa première croissance, et que s’est
écoulé le temps pendant lequel il devait rester dans ce réceptacle, temps qui
est ordinairement de neuf mois, il essaye d’en sortir, par suite d’une
impulsion que Dieu lui a communiquée. Comme l’orifice est étroit, l’enfant se
débat, et, pendant ses efforts, il déchire les parois du vagin, ou bien il
détache de la matrice les téguments dont il est enveloppé. Tous ces accidents
causent à la mère de vives douleurs et s’appellent le travail. Pendant ce temps, l’accoucheuse aide, en quelque sorte,
à ces efforts en palpant le dos de la mère, les parties charnues du derrière
et celles qui sont situées vis‑à‑vis et en bas de la matrice. De cette manière
elle seconde les efforts que la mère fait pour pousser l’enfant au dehors et
tâche, autant qu’il dépend d’elle, d’employer tous les moyens afin de faciliter
cette opération, dont l’expérience lui a appris la grande difficulté. Quand
l’enfant est sorti, il reste toujours attaché à la matrice par le lien qui
aboutit à son nombril et qui fait passer la nourriture dans ses intestins. Ce
lien est un appendice provisoire qui sert uniquement à fournir la nourriture à
l’enfant. L’accoucheuse le coupe de manière à n’en laisser rien de
superflu [163],
et à ne nuire ni aux intestins du nouveau‑né ni à la matrice de la mère ;
puis elle ferme la blessure par l’emploi du cautère ou de tel autre moyen
qu’elle juge convenable. Comme les os de l’enfant sont encore mous et
flexibles, à cause de leur récente formation et du peu de consistance de la
matière qui les compose, et comme l’enfant pourrait se déformer ou disloquer
ses membres en sortant de ce passage étroit, la sage‑femme se met à le p.383 *330 masser et à redresser ses membres
jusqu’à ce qu’ils reprennent leur forme naturelle et la position que Dieu leur
a assignée. Ensuite elle retourne à la mère et tâche, en la palpant légèrement,
de lui retirer du corps les téguments qui enveloppaient l’enfant et qui tardent
quelquefois à sortir. Il faut éviter que les muscles constricteurs ne reprennent
leurs fonctions avant que le corps soit débarrassé de ces téguments, devenus
maintenant inutiles ; si on les y laissait, ils tomberaient en pourriture
et communiqueraient au corps une infection qui amènerait la mort. L’accoucheuse
travaille pour empêcher cela, en aidant aux efforts que la mère fait pour les
expulser ; puis elle reprend l’enfant et frotte son corps avec de l’huile
et des poudres astringentes afin de le fortifier et d’enlever l’humidité que
la matrice lui avait laissée. Elle frotte aussi le palais de l’enfant afin de
faire remonter la luette ; elle lui met dans les narines un sternutatoire
afin de dégager le cerveau, et le gargarise avec un looch afin de chasser les
matières qui obstruent les intestins et de dilater ceux‑ci pour en empêcher les
parois de se coller ensemble. Après cela, elle donne ses soins à l’accouchée
afin de remédier à la faiblesse que l’accouchement lui avait fait éprouver et
aux douleurs que l’expulsion de l’enfant avait causées à la matrice. Bien que
l’enfant ne soit pas un membre naturel du corps de la mère, il y est si
étroitement attaché qu’on peut le regarder comme tel ; aussi les
souffrances de la mère, pendant l’accouchement, sont comme celles qu’on
éprouve lors de l’amputation d’un membre. La sage‑femme s’occupe aussi à
guérir les écorchures du vagin produites par les efforts de l’enfant pendant
qu’il tâche d’y passer : ce sont là des accidents que les accoucheuses
traitent mieux que personne. Elles savent aussi traiter les maladies qui se
déclarent chez les enfants pendant la période de l’allaitement, et elles s’y
entendent mieux que le médecin le plus habile. Car, à *331 cette époque, le corps de l’enfant n’est qu’un corps en
puissance et ne devient corps en acte qu’après le sevrage. C’est alors
seulement que les soins d’un médecin deviennent nécessaires.
On voit que, dans la société humaine, cet art
est indispensable : p.384 sans cet art,
les individus dont elle se compose n’obtiendraient pas la plénitude de leur
être, à l’exception, toutefois, de quelques personnes que Dieu a créées avec
une existence parfaite, soit en opérant un miracle, soit par une grâce tout à
fait extraordinaire, comme cela a eu lieu pour les prophètes ; ou bien
Dieu leur donne un instinct directeur au moyen duquel ils perfectionnent leur
existence sans le secours de cet art. Des miracles de cette espèce sont fréquemment
arrivés. Tel fut celui de la naissance du Prophète, qui vint au monde circoncis
et avec le cordon ombilical coupé ; il y entra en appuyant ses mains sur
la terre et en levant sa figure vers le ciel. Tel fut aussi celui de Jésus (qui
parla étant encore un enfant) au berceau.
Quant à l’instinct, on ne saurait le nier. Puisque les êtres animés,
tels que les abeilles, ont des instincts très remarquables, les hommes, êtres
d’une classe bien supérieure, doivent en avoir, à plus forte raison ;
surtout les individus que Dieu a voulu favoriser. L’impulsion qui porte tous
les nouveau‑nés vers le sein maternel montre clairement que l’espèce humaine a
des instincts ; d’ailleurs, qui saurait comprendre toute l’étendue de la
providence divine ?
Cela nous fait apercevoir la fausseté d’une opinion énoncée par
El-Farabi et par les philosophes espagnols, quand ils essayaient de prouver que
l’extinction des espèces ne peut pas avoir lieu et qu’il est impossible que les
êtres sublunaires, et surtout l’espèce humaine, puissent cesser d’exister.
« Si, disent‑ils, tous les individus qui composent cette espèce venaient
à périr (à l’exception des femmes enceintes), la permanence de cette espèce
serait impossible, parce *332 qu’elle dépend
d’un art (celui des sages‑femmes) sans lequel l’homme n’arriverait pas à une
existence complète. Et supposons que l’enfant se puisse passer des services
rendus par cet art et vive jusqu’à l’époque du sevrage, il sera dans
l’impossibilité de se maintenir en vie. Sans la réflexion, point d’arts, car
ils en sont les produits et les conséquences. » Avicenne a entrepris de
réfuter cette opinion ; elle lui répugnait parce qu’il admettait comme
possible l’extinction des espèces p.385 et même
la ruine totale du monde sublunaire, et parce qu’il tenait à la doctrine du
renouvellement du monde sous l’influence des corps célestes et de certaines
configurations [164]
extraordinaires, qui, dit-il, se présentent à quelques rares époques dans la
suite des siècles. Selon lui, ces influences peuvent amener, par le moyen d’une
chaleur convenable, la fermentation d’une masse d’argile, dont le tempérament
correspond à celui de l’homme, et la convertir en un être humain. Alors une
femelle de l’espèce des animaux pourra être destinée à élever cet enfant, parce
qu’elle aura été créée avec un instinct qui la portera à le nourrir et à
veiller sur lui avec une affection maternelle jusqu’à l’époque du sevrage et de
l’existence complète.
Ce philosophe s’étend longuement sur cette théorie, qu’il développe
dans le traité intitulé Haï Ibn
Yacdhan [165]. Nous regardons cet argument comme dépourvu de
valeur, bien que nous soyons d’accord avec lui sur la possibilité de
l’extinction des espèces ; il est vrai que notre opinion sur ce dernier
point ne repose pas sur les mêmes preuves que les siennes. Celle qu’il met le
plus en avant est fondée sur le principe que les actions (de l’homme) résultent
d’une cause nécessitante ; mais on peut lui opposer la doctrine
(orthodoxe) de l’agent libre [166],
doctrine d’après laquelle il n’y aucun intermédiaire entre les actions de
l’homme et la puissance éternelle [167].
Avicenne n’avait donc pas besoin de se donner tant de peine (pour traiter ce
sujet).
Quand même nous serions porté, par le simple plaisir d’argumenter, à
admettre la théorie (d’Avicenne), nous verrions qu’elle se réduit, en somme, à
ceci : l’existence de l’individu avait été assurée par la création d’un
instinct dans un certain animal qui se trouvait p.386
alors porté à l’élever. Mais quelle nécessité y avait‑il de faire
cela : Si l’on admet la création d’un instinct dans un animal d’une classe
inférieure, pourquoi ne pas admettre la création de cet instinct dans l’enfant
lui-même ? Qu’il y ait des instincts chez les enfants, c’est une vérité
que nous avons signalée ci-dessus. La création d’un instinct dans un individu
(de l’espèce humaine), pour le porter à agir en vue de son *333 propre avantage, est beaucoup plus probable
que celle d’un instinct dans un animal, afin que celui-ci agisse pour
l’avantage d’autrui.
Au reste, les deux systèmes (celui d’El‑Farabi et celui d’Avicenne) se
réfutent mutuellement par la différence de leurs tendances, ainsi que nous
venons de l’indiquer. Dieu est le
créateur, le savant.
De l’art de la médecine.
— Il est nécessaire aux peuples sédentaires et aux habitants des villes, mais
il est inutile aux peuples nomades.
Cet art est absolument nécessaire dans toutes les villes, à cause de
son utilité bien reconnue. Il conserve la santé à ceux qui se portent bien et
débarrasse les malades de leurs infirmités, en les soumettant à un
traitement [168]
qui leur rend la santé. Toutes les maladies proviennent des aliments ;
selon la tradition qui résume toute la doctrine médicale [tradition citée par
les hommes de l’art, mais rejetée par les ulémâ], le Prophète aurait
dit : « L’estomac est le siège des maladies ; la himya
(diète) est le meilleur des remèdes, et la berda
(la réplétion) est la cause de toutes les maladies ». L’estomac est le siège des maladies est
une proposition dont la vérité est évidente ; le mot himya signifie la faim, c’est‑à‑dire
la privation de nourriture, et indique ici que la faim est le grand remède, la
base de tous les autres. Le terme berda désigne
l’acte d’introduire des aliments dans l’estomac avant que ceux déjà pris soient
digérés.
Pour bien comprendre ce que nous venons d’exposer, il faut savoir que
Dieu, en créant l’homme, l’a soumis à la nécessité de prendre des aliments pour
se maintenir en vie. La puissance digestive et la p.387
puissance nutritive agissent sur ces aliments et les convertissent en
sang, liquide qui convient parfaitement à la formation des chairs et *334 des os, dont se compose le corps. C’est la
puissance alimentaire qui, en s’emparant du sang, le convertit en chair et en
os. On entend par le mot digestion la
cuisson éprouvée par les aliments qui sont soumis à la chaleur naturelle du
corps, ce qui se fait par plusieurs opérations, jusqu’à ce qu’ils deviennent
effectivement une partie [169]
du corps.
Expliquons ce que nous venons de dire : les aliments, étant introduits
dans la bouche et comprimés par les parois de cet organe, reçoivent, de la chaleur
qui s’y trouve, un léger degré de cuisson qui opère un certain changement dans
leur tempérament, ainsi que l’on peut s’en assurer à l’inspection d’une bouchée
de l’aliment qu’on est en train de prendre. Quand on a bien mâché cette
bouchée, on verra ensuite, qu’elle a un tempérament tout autre que celui de
l’aliment dont elle avait fait partie. Les aliments, arrivés dans l’estomac,
subissent une cuisson opérée par la chaleur qui s’y trouve, jusqu’à ce qu’ils
se convertissent en chyle, liquide qui est la partie la plus pure de la matière
qui vient d’être cuite dans cet organe. Le chyle passe de l’estomac dans le
foie, et les parties lourdes qu’il a déposées au fond de l’estomac s’en vont
par les deux orifices naturels. La chaleur du foie donne au chyle une cuisson
qui le convertit en sang frais [170],
en y faisant surnager une écume qui s’appelle la bile, et en déposant des parties de nature sèche qui forment
l’atrabile. Le sang renferme aussi des parties grossières qui résistent,
jusqu’à un certain point, à la chaleur naturelle du corps et que l’on désigne
par le nom de flegme. (Quand il est
épuré de cette manière,) il est envoyé par le foie dans les veines et les
artères, où il subit encore une cuisson produite par la chaleur naturelle,
puis il donne naissance à une vapeur chaude et humide qui sert à entretenir les
esprits animaux. La force alimentaire a produit alors tout son effet sur le
sang, dont elle a converti (la partie déliée) p.388
en chair et la partie grossière [171]
en os. Le corps se débarrasse ensuite des matières superflues, n’en ayant plus
besoin ; telles sont la sueur, la salive, les mucosités et les larmes.
Voilà comment se fait la nutrition et comment elle passe de la puissance à
l’acte pour former de la chair.
*335 Nous dirons maintenant que les
maladies les plus graves, celles qui amènent toutes les autres, ce sont les
fièvres. Elles ont pour cause l’impuissance où se trouve la chaleur des organes
d’opérer, d’une manière complète, les diverses coctions que la matière des
aliments doit subir dans le corps, et de là résulte qu’une partie de cette
matière y reste dans un état de crudité. Cette impuissance provient
ordinairement de la présence dans l’estomac d’une si grande quantité d’aliments
que la chaleur de cet organe ne suffit pas pour en effectuer la coction ;
ou bien, elle a pour cause l’introduction d’aliments dans l’estomac avant qu’il
ait digéré complètement ceux qui y étaient déjà. La chaleur de ce viscère
s’attache alors aux aliments pris en dernier lieu et laisse les autres dans l’état
on ils étaient ; ou bien, elle partage ses forces entre les deux, et se
met ainsi dans l’impuissance d’en opérer la coction complète. La chaleur du
foie, auquel l’estomac envoie (le chyle provenant de) ces aliments, est aussi
trop faible pour en opérer la coction, de sorte qu’il en renferme une portion
tout aussi crue qu’au moment où elle y était entrée. Le foie envoie dans les
veines tous ces fluides mal cuits et tels qu’ils l’étaient. Le corps, ayant
obtenu la quantité (de chyle) dont il a besoin, se débarrasse de ces crudités
autant qu’il le peut, de même qu’il rejette au dehors les autres humeurs
superflues, telles que la sueur, la salive et les larmes ; mais, si elles
sont trop abondantes, elles restent dans les veines, dans le foie et dans
l’estomac, et augmentent en quantité de jour en jour. Or tous les mélanges dont
le tempérament est humide se corrompent, s’ils n’ont pas subi une coction
parfaite, et cela arrive effectivement aux crudités dont nous parlons et qui
s’appellent les p.389 humeurs. Dans toutes les matières qui
tombent en décomposition, il y a une chaleur adventice qui, si elle se trouve
dans le corps de l’homme, s’appelle fièvre. Voyez ce qui arrive aux
aliments quand on leur donne le temps de se corrompre ; voyez comment le fumier en décomposition émet une
chaleur sensible. Voilà précisément ce que sont les fièvres dans le corps
humain, et voila pourquoi il faut les regarder comme les principes et les
causes de toutes les autres maladies, ainsi que nous le trouvons énoncé dans la
tradition déjà citée.
*336 Pour guérir les fièvres, il faut
soumettre le malade à la diète pendant un certain nombre de semaines ;
puis on lui donne une nourriture convenable, jusqu’à ce qu’il soit
parfaitement rétabli. Il y a encore des traitements que l’homme bien portant
doit suivre, afin de se garantir contre ce genre de maladie et contre toutes
les autres. Si la corruption se met dans un des organes du corps, cela amène
une maladie dans cet organe, ou bien elle fait naître des plaies sur les
membres principaux du corps ou sur les membres d’une importance secondaire.
Quelquefois la maladie qui se déclare dans un membre amène une autre maladie
qui affecte les forces de ce membre. Voilà, en somme, à quoi se réduisent
toutes les maladies, et elles proviennent presque toujours des aliments.
Tout cela est du ressort de la médecine.
Les maladies sont très nombreuses chez les peuples sédentaires et les
habitants des villes, à cause de l’abondance dans laquelle ils vivent et de la
variété des choses qu’ils mangent. Ils se bornent rarement à une seule espèce
d’aliments ; ils en mangent de toutes sans précaution [172],
et, dans les procédés culinaires, ils mêlent ensemble divers mets, en y
ajoutant des condiments, des légumes et des fruits, combinant ainsi des
aliments dont les uns sont de nature sèche et les autres de nature humide. Ils
ne se contentent pas d’un seul plat ni même de plusieurs : j’ai compté,
dans la liste d’un des services d’un repas, quarante espèces de légumes et de
viandes : Tous ces mets p.390 (introduits
dans l’estomac) forment un mélange extraordinaire qui, le plus souvent, ne
convient ni au corps ni aux parties dont il se compose.
Ajoutons que, dans les villes, l’air est vicié par un mélange d’exhalaisons
putrides provenant de la grande quantité d’immondices. L’air (quand il est pur)
excite l’activité des esprits (animaux) et fortifie ainsi l’influence que la
chaleur des organes exerce sur la faculté digestive [173].
De plus, les habitants des villes ne prennent point (assez) d’exercice ;
ils sont ordinairement très casaniers et aiment le repos. Le (peu d’) exercice
(qu’ils prennent) ne produit sur eux aucun effet
*337 et n’a pour eux [174]
aucun résultat utile ; aussi les maladies sont‑elles très communes dans
les villes, et, plus elles sont fréquentes, plus on a besoin de médecins.
Les gens de la campagne (c’est‑à‑dire du désert) mangent ordinairement
très peu, et, comme ils n’ont pas beaucoup de blé, ils souffrent si souvent des
atteintes de la faim que cela leur devient un état habituel [175].
Leur persistance à endurer la faim est telle qu’on serait tenté de la regarder
comme une disposition qui leur est innée. Les assaisonnements sont très rares
chez eux ou y manquent tout à fait. Le luxe, dont les exigences font naître
l’art de préparer les aliments avec des condiments et des fruits, leur est
totalement inconnu. Leurs aliments, qu’ils prennent toujours sans mélange,
sont d’une nature qui se rapproche [176]
beaucoup de celle du corps et qui lui convient très bien. L’air qu’ils
respirent renferme très peu de particules viciées, parce que dans leurs pays
les matières humides et corruptibles sont peu abondantes, tant qu’ils vivent
sous leurs tentes ; pendant qu’ils sont en route, ils changent constamment
d’air. L’exercice du corps ne leur manque pas, car ils sont toujours en
mouvement, ils montent à cheval, ils vont à la chasse, ils cherchent les choses
dont ils ont besoin et ils travaillent pour se procurer le nécessaire. Tout
cela leur rend la digestion bonne et facile. Au reste, ils ne se surchargent p.391 pas l’estomac ; aussi jouissent‑ils
d’une excellente constitution, ce qui les rend peu susceptibles de maladies.
Cela fait qu’ils ont très rarement besoin des secours de la médecine. On ne
trouve jamais des médecins dans le désert, car on s’en passe très bien ;
s’ils y étaient nécessaires, ils iraient s’y établir, afin de gagner leur vie. Telle est la voie que Dieu suit à l’égard de
ses créatures, et tu ne trouveras aucun changement dans la voie de Dieu. *337
L’art d’écrire
est un de ceux qui appartiennent à l’espèce humaine [177].
L’écriture consiste en certains traits et caractères formant des
lettres qui servent à représenter des mots perçus par l’oreille, mots, qui, eux‑mêmes,
représentent des idées conçues dans l’esprit. Elle tient donc, comme signe
d’idées, le second rang, après le langage. C’est un art très noble, puisqu’il
fait partie des choses qui sont propres à l’homme et qui le distinguent de tous
les autres animaux. D’ailleurs, c’est un moyen (pour l’homme) de faire
connaître ses pensées et de transmettre, à de grandes distances, l’expression
de ses volontés, sans qu’il soit obligé de s’y rendre en personne pour les
énoncer. C’est par son moyen qu’on prend connaissance des sciences, des notions
utiles, des livres que les anciens nous ont laissés et de ce qu’ils ont écrit
au sujet de leurs sciences et de leur histoire. Tous ces divers titres et tous
ces avantages assurent à l’écriture un haut rang parmi les sciences les plus
nobles.
La faculté d’écrire est naturelle à l’homme ; mais elle ne passe
de la puissance à l’acte qu’au moyen de l’enseignement. L’écriture parvient,
dans les villes, à un degré de beauté plus ou moins grand, en proportion des
progrès que les hommes ont faits dans la vie sociale et dans la civilisation,
et de leur empressement à s’avancer vers les divers genres de perfection.
L’écriture, en effet, fait partie des arts, et nous avons dit précédemment que
c’est là la condition de tous les p.392 arts, et
qu’ils suivent le progrès de la civilisation ; aussi voyons‑nous que la
plupart des nomades ne savent ni lire ni écrire, et que, si quelques‑uns
d’entre eux possèdent ces talents, leur écriture est grossière et leur lecture
très défectueuse.
Dans les grandes capitales, où la civilisation est portée au plus haut
point, l’enseignement de l’écriture est meilleur, plus facile et plus
méthodique, parce que la pratique de cet art y est solidement établie [178].
On nous raconte que, de nos jours, il y a en Égypte des maîtres institués exprès
pour enseigner à écrire, qui donnent à l’élève certains principes et certaines
règles pour la formation de chaque *339 lettre,
et qui l’exercent ensuite à la pratique de l’enseignement. Ce moyen, en
fortifiant le talent de l’élève et en le rendant capable de bien enseigner, lui
assure, d’une manière complète, la faculté de bien écrire. C’est un effet de la
perfection à laquelle les arts sont parvenus et de l’extension qu’ils ont prise
à la suite du progrès de la civilisation et de la grandeur de l’empire.
[Ce n’est pas ainsi qu’on montre à écrire en Espagne et dans le
Maghreb [179] :
on n’y apprend pas à former chaque lettre séparément d’après certains principes
que le maître enseigne à l’élève ; c’est seulement en imitant des mots
tout entiers (qui servent de modèles) qu’on apprend à écrire. L’élève tâche
d’imiter la forme de ces mots sous l’inspection du maître, et travaille jusqu’à
ce qu’il parvienne à bien faire et que ses doigts aient acquis l’habitude de
l’art. On dit alors qu’il sait bien écrire.]
L’écriture arabe était parvenue à un haut degré de régularité et de
correction sous l’empire des Tobba, à
cause du grand progrès que le luxe et la civilisation de la vie sédentaire
avaient fait chez eux. C’est cette écriture qu’on nomme l’écriture himyérite.
Elle passa des Tobba au peuple de
Hîra [180],
parce que ce royaume était entre les mains des p.393
Mondérides, famille alliée aux Tobba
par le sang et par l’esprit de corps, et qui avait fondé un nouvel empire
arabe dans l’Irac. Cependant l’art d’écrire resta bien au-dessous de ce qu’il
avait été sous les Tobba, parce qu’il
y avait une grande différence entre les deux royaumes ; en effet, dans
celui des Mondérides, la vie sédentaire et tout ce qu’elle introduit, les arts,
par exemple, étaient à un degré fort inférieur, par comparaison avec l’empire
des Tobba. Ce fut, dit‑on, de
Hîra que les habitants de Taïf [181]
et la famille de Coreïch reçurent la connaissance de l’écriture. On rapporte
que le premier qui apprit l’écriture, venue de Hîra, fut Sofyan, fils d’Omeïa ;
d’autres disent Harb, fils d’Omeïa [182] ;
elle leur fut communiquée par Aslem, fils de Sidra [183].
Ce qu’on dit là est très possible et a plus de vraisemblance que l’opinion des
personnes qui soutiennent que les habitants de Taïf et les Coreïchides ont reçu
des Iyadites de l’Irac la connaissance de l’écriture, en se fondant sur ce
qu’un de leurs poètes a dit dans ce vers :
Cette famille à qui appartiennent, quand elle marche
réunie, les plaines de l’Irac, (et qui possède) l’écriture et le (maniement du) calam.
*340 Cette opinion est dépourvue de
vraisemblance ; car, bien que la postérité d’Iyad se fût établie dans
l’Irac, elle conserva toutes les habitudes de la vie nomade, et l’écriture
fait partie des arts qui appartiennent à la vie sédentaire. Le poète a
seulement voulu dire que les descendants d’Iyad étaient moins éloignés que les
autres p.394 Arabes de faire usage de
l’écriture et du calam [184], parce qu’ils habitaient dans le voisinage des grandes villes et dans
leurs banlieues. L’opinion la plus vraisemblable de toutes, c’est que les
habitants du Hidjaz ont reçu de Hîra la connaissance de l’écriture, et que ceux
de Hîra l’avaient reçue des Tobba et
des Himyérites.
[J’ai lu [185]
dans le Tekmila d’Ibn el Abbar [186],
à l’article biographique d’Abd Allah Ibn Ferroukh el‑Cairouani el‑Farisi (le
Cairouanite, le Persan) un passage que je vais rapporter. Ce personnage, qui
était natif d’Espagne et un des disciples de l’imam Malek, déclare tenir le
récit suivant d’Abd er‑Rahman Ibn Zîad Ibn Anam, qui assure l’avoir entendu de
la bouche de son père (Zîad [187]) :
« Je dis (c’est Zîad qui parle) p.395 à Abd
Allah Ibn Abbas (cousin de Mohammed) : Vous autres, Coreïchides, parlez‑moi
de cette écriture arabe (dont vous faites usage). Quand vous vous en serviez
avant que Dieu envoyât le prophète Mohammed, étiez‑vous dans l’usage d’unir les
lettres qui s’unissent (maintenant) et de séparer celles qui se séparent ;
comme, par exemple, l’élif, le lam, le mîm et le noun [188] ? Il me
répondit : Oui. Je lui dis : Et de qui avez‑vous reçu cette
écriture ? De Harb, fils d’Omeïa, me répondit‑il. Et de qui, ajoutai-je,
Harb la tenait‑il ? Il me répondit : D’Abd Allah, fils de
Djodaan [189].
Je repris : Et cet Abd Allah, de qui l’avait‑il reçue ? Des habitants
d’El‑Anbar, me dit‑il. Je lui demandai alors d’où la tenaient les habitants
d’El‑Anbar : Il me dit qu’ils la tenaient d’un étranger qui était arrivé
chez eux. Et cet étranger, repris-je encore, de qui la tenait‑il ?
Il me répondit : De Kholdjan, fils d’El‑Cacem, qui écrivait [190]
les révélations sous la dictée du prophète Houd (Heber) et qui est l’auteur de
ces vers : *341
Est‑ce que, chaque année,
vous nous imposerez de nouvelles lois et vous substituerez [191] sans réflexion une opinion à une
autre ?
Certes, la mort est préférable à la vie, s’il
nous faut supporter les injures dont nous accablent, comme tant d’autres,
Djorhem et Himyer.
Ici finit le passage extrait du Tecmila d’Ibn el‑Abbar.
A la fin de la tradition, il (Ibn el‑Abbar) ajoute : « Je
la [192]
tiens d’un écrit d’Abou Bekr Ibn Abi Hamîra [193],
à qui elle avait été communiquée par Abou Bekr Ibn el‑Aci, qui l’avait apprise
d’Abou Ouelîd el‑Ouakchi, qui l’avait entendue de la bouche d’Abou Omar p.396 et‑Talamenki,
qui l’avait prise dans un écrit [194]
d’Abou Abd Allah Ibn Mofrah. Celui-ci la tenait d’Abou Saîd Ibn Younos, qui
l’avait reçue de Mohammed Ibn Mouça Ibn en‑Noman, qui l’avait entendue de la
bouche de Yahya Ibn Mohammed Ibn Hachîch, qui l’avait reçue d’Omar [195]
Ibn Aïyoub el‑Moaferi [196],
le Tunisien, à qui elle avait été communiquée par Behloul Ibn Obeïda en‑Nadjimi [197],
qui l’avait apprise d’Abd Allah Ibn Ferroukh ».]
Il y avait chez les Himyérites une sorte d’écriture nommée mosnad,
dont les lettres étaient isolées : ils ne voulaient point qu’on
apprît [198]
cette écriture sans leur autorisation. C’est des Himyérites que les Arabes
descendus de Moder ont appris l’écriture arabe ; mais ils s’y montrèrent
peu habiles, ainsi que cela arrive pour tout art qui s’introduit chez un
peuple nomade ; jamais il ne parvient à un système régulier ; il ne
tend point à la perfection ni à l’élégance, à cause de l’incompatibilité qui
existe entre la vie nomade et la pratique des arts, et parce que, le plus
communément, les nomades n’en éprouvent pas le besoin. L’écriture arabe resta
donc chez eux une écriture de peuple nomade, précisément ou à peu de chose
près [199]
telle qu’elle y est encore de nos jours ; à moins qu’on ne dise qu’elle
présente aujourd’hui plus d’art, parce que les Arabes de ce siècle approchent
davantage de la vie sédentaire, et ont plus de communications avec les grandes
capitales et les États régulièrement organisés.
Quant aux Arabes de Moder, ils étaient plus attachés à la vie nomade
et plus éloignés de la vie sédentaire que les habitants du Yémen, *342 de l’Irac, de la Syrie et de l’Égypte. Au
commencement de l’islamisme, l’écriture n’était pas parvenue chez eux à un
haut degré de netteté, de régularité et de perfection ; elle n’avait pas
même p.397 atteint, à cet égard, la simple
médiocrité, à raison de leur condition nomade, de leur état sauvage et de leur
éloignement de la culture des arts. Voyez ce qui est arrivé, par suite de cet
état de choses, dans les exemplaires du Coran écrits par quelques‑uns des
Compagnons de Mohammed qui ne possédaient pas une orthographe [200]
bien régulière. Sur plusieurs points, en effet, leur écriture n’était point
conforme aux règles suivies par les hommes qui connaissent bien l’art de l’écriture.
La génération suivante, je veux dire les Tabis, adopta l’orthographe
des Compagnons du Prophète et se fit un mérite de ne point s’écarter des formes
adoptées par ceux qui, après Mohammed, étaient les plus excellents des hommes
et qui avaient reçu de lui les révélations célestes, soit par écrit, soit de
vive voix. En agissant ainsi, ils firent comme des personnes de nos jours qui
imitent l’écriture d’un personnage illustre par sa piété ou par sa science,
dans la conviction que cela porte bonheur, et qui se modèlent sur les formes
qu’il a adoptées, sans se soucier si elles sont bonnes ou mauvaises. A combien
plus forte raison cela devait‑il avoir lieu à l’égard des Compagnons et de ce
qu’ils avaient écrit de leur main ? Cela a donc été imité, cela est devenu
une orthographe fixe et convenue (en ce qui regarde le Coran), et les savants
ont eu soin d’indiquer les passages du livre sacré (où ces irrégularités se
rencontrent).
Gardez‑vous bien de prêter l’oreille à ce que disent quelques hommes
irréfléchis quand ils prétendent que les Compagnons savaient très bien les
règles de l’écriture ; que dans les passages où leur orthographe semble
s’éloigner des règles [201],
ce ne sont pas (autant d’erreurs), comme on pourrait se l’imaginer, et que
chacune de ces irrégularités a sa raison. Par exemple, là où se trouve un élif
de trop dans le mot ﻪﻨﺣﺒﺫﺍﻻ [202],
ils disent que c’est pour indiquer que p.398 l’immolation
(de la huppe) ne s’effectua pas ; de même, dans le passage on se trouve le
mot ﺪﻳﻳﺎﺒ [203]
avec un ya de trop [204],
ils disent que c’est pour indiquer la perfection de la puissance divine, et
ainsi du reste. Ce sont là des assertions gratuites et dénuées de tout
fondement. Ils ont eu recours à de pareilles subtilités dans la pensée que, par
ce moyen, ils écarteraient des Compagnons tout soupçon d’erreur et de faute
contraire aux règles de l’orthographe. S’imaginant que la connaissance *343 de l’orthographe était une perfection, ils
n’ont pas voulu qu’on pût croire qu’aucune perfection ait manqué aux
Compagnons, et leur ont donc attribué la perfection en fait d’écriture (ou
orthographe). Ils ont donc cherché des raisons pour justifier ce qui, dans le
Coran, s’éloignait des règles ordinaires.
Cette opinion est mal fondée : l’écriture n’était pas une
perfection par rapport aux Compagnons, puisque cet art est un de ceux qui appartiennent
à la civilisation née dans les villes et qui sont des moyens de gagner sa vie,
ainsi que nous l’avons établi précédemment. La perfection dans les arts est
une perfection relative et non absolue, puisque son absence ne porte aucun
préjudice à l’essence de la religion ni aux qualités morales : cette
ignorance n’a d’effet que sur les moyens de gagner sa vie, et son influence est
toujours en raison du degré de la civilisation et du secours réciproque qu’on
trouve dans cet art pour se communiquer ses pensées. Le Prophète ne savait ni
lire ni écrire, et cela était pour lui une perfection : son ignorance
convenait à la hauteur de sa position et à sa dignité [205],
qui le mettait au‑dessus de la pratique des arts industriels, simples moyens de
subsistance et produits de la civilisation. Pour nous, au contraire,
l’ignorance ne serait pas une perfection. La raison en est que le Prophète
devait être uniquement en rapport avec Dieu, tandis que nous, nous devons nous
aider les uns les autres afin d’assurer notre existence dans ce monde. C’est là
le but naturel de tous les arts et p.399 même des
sciences [206].
Pour le Prophète, tout au contraire de nous, la privation de ces
connaissances [207]
était une perfection.
Lorsque les Arabes eurent fondé leur empire, après avoir pris tant de
grandes capitales et conquis tant de royaumes, qu’ils se furent établis à
Basra et à Koufa, et que le gouvernement eut besoin d’hommes de plume, on
adopta l’usage de l’écriture, on chercha à s’instruire [208]
dans cet art et l’on parvint à l’apprendre et à l’exercer. L’écriture fit alors
de grands progrès ; elle acquit une forme constante et, dans les villes
de Basra et de Koufa, elle parvint à un certain degré de régularité, sans
atteindre, toutefois, à la perfection. On sait ce que sont les formes de
l’écriture koufique.
Après cela les Arabes se répandirent dans diverses contrées, occupèrent
de nouvelles provinces et conquirent l’Ifrîkiya ainsi que l’Espagne. *344 Dans la ville de Baghdad, fondée par les
Abbacides, l’écriture s’éleva au plus haut point de beauté, parce que la
civilisation y était portée très loin et que cette ville était la métropole de
l’islamisme et le centre de l’empire arabe.
[L’écriture de Baghdad [209]
s’éloigna des formes de l’écriture de Koufa, parce qu’on tendit à perfectionner
les principes de l’écriture et à lui donner des traits plus beaux et plus
gracieux. La différence entre les deux caractères devint plus prononcée par la
suite des siècles, jusqu’à ce que l’étendard (de cette sorte de révolte) fut
levé à Baghdad par le vizir [Abou] Ali Ibn Mocla [210],
et ensuite par p.400 le kateb Ali
Ibn Hilal, mieux connu sous le nom d’Ibn el‑Baouwab [211]. On adopta dès lors, dans
l’enseignement de cet art, le système de celui-ci et on le suivit à partir du
troisième [212]
siècle. Les principes et les formes du caractère de Baghdad s’écartèrent
ensuite de ceux de Koufa à tel point que ce furent deux écritures (presque)
distinctes. Cette différence s’accrut dans les siècles qui suivirent, parce que
les maîtres de cet art introduisirent de nouvelles altérations dans le système
de ses formes. Plus tard, Yacout et le saint personnage Ali ’l-Adjemi [213]
s’occupèrent de l’écriture et en fournirent des exemples qui, depuis lors, ont
servi de base à l’enseignement. Cette écriture, étant passée en Égypte,
s’éloigna en quelque chose du caractère de l’Irac. Ce fut là (en Irac) que les
Persans l’apprirent ; mais leur écriture s’écarta tellement de celle des
Égyptiens qu’elle semblait appartenir à un système tout à fait différent.]
L’écriture de l’Ifrîkiya, dont on connaît encore les formes surannées,
approchait beaucoup de celle de l’Orient. En Espagne, où les Omeïades avaient
établi un royaume indépendant et s’étaient distingués par leur goût pour la
vie sédentaire, pour la culture des arts et pour l’écriture, il se forma un caractère
espagnol tout particulier, dont les traits nous sont encore aujourd’hui [214]
bien connus.
La civilisation et la vie sédentaire ayant pris le dessus dans tous
les États musulmans, les royaumes devinrent puissants, les sciences obtinrent de
grands encouragements, les copies des livres se multiplièrent, l’écriture et
la reliure acquirent plus de beauté, les palais et
*345 les trésors des rois se remplirent de livres à un point que rien
n’égale ; cela devint un objet de rivalité entre les peuples de diverses
contrées, et l’on n’y mit plus de bornes.
p.401 Quand ces empires musulmans
vinrent ensuite à se dissoudre et à tomber en ruines, tout ce progrès se
ralentit ; le déclin du khalifat entraîna la ruine de tout ce qui faisait
l’ornement de Baghdad. L’art de l’écriture, ou, pour mieux dire, tout ce qui
était science, abandonna cette capitale pour passer en Égypte et au Caire, et
il n’a cessé d’y fleurir jusqu’à nos jours. Il y a dans ce pays des maîtres qui
enseignent à former les lettres suivant certains principes généralement
adoptés parmi eux, et les élèves apprennent en peu de temps à les tracer
conformément aux modèles placés sous leurs yeux et à se faire une belle
écriture, à force de s’y exercer et de suivre des règles éprouvées par la
pratique. Aussi acquièrent‑ils une écriture aussi parfaite qu’on peut le
désirer.
Passons aux (Arabes) habitants de l’Espagne : la destruction de
leur puissance dans ce pays, la chute de la domination berbère, qui avait
remplacé la leur, et la supériorité que les peuples chrétiens y avaient
acquise, les forcèrent à se disperser dans divers pays et, à partir de l’époque
de la dynastie almoravide jusqu’à notre temps, ils ont continué à se répandre
dans les provinces de l’Ifrîkiya et du Maghreb, sur notre côté de la mer. Ils
ont communiqué aux habitants sédentaires (de ces contrées) les arts dont ils
étaient en possession et se sont attachés au service du gouvernement, et de là
est résulté que leur caractère d’écriture a pris le dessus sur celui de l’Ifrîkiya
et l’a fait tomber en désuétude. Aussi l’écriture dont on se servait à Cairouan
et à El‑Mehdiya est maintenant oubliée, ainsi que les coutumes et les arts qui
étaient particuliers à ces deux capitales. Toutes les écritures de la province
d’Ifrîkiya, à Tunis surtout, et dans ses dépendances, sont devenues conformes
à l’écriture espagnole, à cause du grand nombre de réfugiés qui, à l’époque de
l’émigration [215],
quittèrent les contrées orientales de l’Espagne pour aller s’y établir. Il est
resté seulement quelques traces de l’ancienne écriture de l’Ifrîkiya dans le
Belad el‑Djerîd, parce que le peuple de ce pays n’a pas eu de p.402 rapport avec les écrivains espagnols et n’a
pas éprouvé l’influence de *346 leur
voisinage, laquelle se faisait sentir surtout à Tunis, capitale de l’empire.
L’écriture des habitants de l’Ifrîkiya devint donc analogue à celle
des Espagnols, et cela dura ainsi jusqu’à ce que la puissance des Almohades
(Hafsides) s’affaiblît et que les habitudes de la vie sédentaire et du luxe rétrogradassent
avec la civilisation ; alors l’écriture éprouva aussi de la
décadence ; ses principes s’altérèrent ; les procédés employés dans
l’enseignement de cet art tombèrent dans l’oubli à mesure que l’influence de la
vie sédentaire allait en s’affaiblissant et que la civilisation reculait.
Toutefois, l’écriture de cette contrée a conservé assez de traces du caractère
espagnol pour témoigner de ce qu’elle était autrefois. C’est une conséquence du
principe que nous avons établi précédemment, savoir que, partout où les arts
ont pris racine par suite de la vie sédentaire, il est difficile de les
extirper entièrement.
Plus tard, sous la dynastie mérinide, il s’établit dans la partie la
plus occidentale du Maghreb une écriture qui n’est qu’une nuance de l’écriture
espagnole. Elle s’y était introduite, parce que l’Espagne était un pays voisin
et que les émigrés venus de cette contrée depuis peu de temps pour se fixer à
Fez étaient entrés au service du gouvernement et ont continué à y rester. Mais
l’écriture tomba en oubli dans tout ce qui était éloigné du siège de l’empire,
comme si on ne l’eût jamais connue. Dans l’Ifrîkiya et dans les deux Maghreb,
elle dégénéra graduellement et s’éloigna de plus en plus de la perfection.
Quand on copiait des livres, c’était sans aucune utilité pour quiconque
voulait les feuilleter ; il ne lui en revenait que de la peine et de la
fatigue, tant était grand le nombre des fautes et des altérations qui se
glissaient dans le texte : à quoi il faut ajouter que les formes des lettres
étaient tellement défigurées qu’à grand’peine pouvait‑on les lire. Il arriva
alors à l’écriture ce qui arrive à tous les arts quand la civilisation de la
vie sédentaire a reculé et que l’empire est tombé en décadence. Dieu juge, et personne ne peut contrôler ses jugements. (Coran, sour. XIII, vers. 41.)
p.403 [Le docte [216]
kateb Abou ’l-Hacen Ali el‑Baghdadi, généralement connu sous le
nom d’Ibn el‑Baouwab, a
composé un poème du mètre *347 basît
et ayant pour rime la lettre r, dans lequel il traite de l’art de
l’écriture et des matériaux qu’on y emploie. Comme c’est une des meilleurs
choses qu’on ait écrites sur ce sujet, j’ai cru devoir l’insérer dans ce
chapitre du présent livre, pour qu’elle puisse être utile à ceux qui désirent
apprendre cet art. Le voici :
O vous qui souhaitez
posséder dans sa perfection l’art d’écrire et qui avez l’ambition de vous
distinguer par la beauté et la régularité de votre écriture,
Si votre intention est
sincère, priez votre Seigneur de vous en faciliter le succès.
Choisissez d’abord des
roseaux bien dressés, durs et propres à produire une belle écriture ;
Et, lorsque vous voudrez en
tailler un, préférez celui qui vous paraîtra d’une proportion moyenne.
Considérez ses deux
extrémités, et choissez pour la tailler celle qui est la plus mince et la plus
ténue.
Donnez à
sa tige une juste proportion, en sorte qu’elle ne soit ni trop longue ni trop
courte [217].
Placez la fente exactement
au milieu, afin que la taille soit égale et uniforme des deux côtés.
Quand vous aurez exécuté
tout cela, en homme habile et connaisseur en son art,
Appliquez toute votre
attention à la coupe, car c’est de la coupe que tout dépend.
Ne vous flattez pas que je
vous en dévoile le mystère : c’est un secret dont je suis avare.
Tout ce que je vous dirai,
c’est qu’il faut tenir le milieu entre une forme arrondie et une forme
pointue [218].
Mettez ensuite dans votre
écritoire du noir de fumée, que vous préparerez avec du vinaigre ou [219] avec du verjus ; p.404
Vous y joindrez de l’ocre rouge,
qui aura été battu et mélangé avec de l’orpiment et du camphre.
Lorsque ce mélange aura
suffisamment fermenté, prenez du papier blanc et lisse dont vous aurez fait
l’épreuve ;
Puis, après l’avoir coupé,
soumettez‑le à l’action de la presse, afin qu’il ne soit pas chiffonné ni
froissé.
Ensuite occupez‑vous sans
relâche et patiemment à copier des modèles ; la patience est le meilleur
moyen d’atteindre le but auquel on aspire.
Commencez d’abord par écrire
sur une planche, et dégainez pour cela le glaive d’une volonté ferme, en vous
disposant à bien faire.
Ne rougissez pas de la
laideur des caractères que vous formerez d’abord en commençant à copier des
exemples et à tracer des lignes [220].
La tâche est difficile, mais
elle deviendra aisée : combien de fois ne voit‑on pas la facilité succéder
à la difficulté !
Aussi, quand une fois vous
aurez obtenu ce qui était l’objet de votre espoir, vous en éprouverez beaucoup
de joie et de plaisir.
Remerciez alors votre Dieu,
et rendez‑vous digne de sa bienveillance, car Dieu aime l’homme
reconnaissant [221].
Que votre main et vos doigts
ne soient consacrés qu’à écrire des choses utiles, que vous laisserez après
vous quand vous quitterez ce séjour d’illusion ;
Car l’homme trouvera demain, lorsque le
registre [222] de ses actions sera déployé devant lui,
tout ce qu’il aura fait (pendant les jours de sa vie).
*348 Il ne faut pas perdre de vue que
l’écriture est à la parole et au discours ce que la parole et le discours sont
aux pensées de l’âme et de l’esprit : chacune de ces choses doit être un
interprète clair et fidèle de l’objet qu’il représente. Il est dit dans le
Coran que Dieu a créé l’homme et lui a
appris à s’expliquer clairement (sour. LV, vers. 2 et 3), ce qui comprend
la clarté [223]
de toutes les espèces d’indications. Or la perfection d’une bonne écriture,
c’est qu’elle soit une représentation claire de la parole, et pour cela il
faut que les lettres dont les hommes sont convenus entre eux soient bien
formées et que la position et les traits de chacune soient observés, en sorte
que les p.405 unes se distinguent facilement
des autres, et cela sans qu’on ait dérogé à l’usage de joindre ensemble toutes
les lettres du même mot, excepté celles qu’on est convenu de ne pas unir (aux
suivantes) quand elles commencent une syllabe ; telles sont : l’élif,
le ra, le za, le dal, le dhal et quelques autres, tandis qu’on les unit aux lettres qui les
précèdent dans le même mot.
Les (commis) écrivains des temps modernes se sont accordés à réunir
certains mots les uns avec les autres et à supprimer certaines lettres en
suivant des règles qui ne sont connues que d’eux et qui sont étrangères à tout
le reste des hommes. Tels sont les écrivains employés dans les bureaux du
sultan et les greffiers des cadis. Ils ont probablement adopté cet usage, qui
leur est spécial, parce qu’ils ont beaucoup de pièces à écrire, que la
connaissance de leur écriture est assez répandue dans le public pour qu’un
grand nombre de personnes étrangères à leurs fonctions comprennent la
signification de ces groupes conventionnels. S’ils ont à communiquer par
écrit [224]
avec des personnes qui ne comprennent pas ces groupes, ils doivent laisser de
côté ce système et faire tout ce qui leur est possible pour écrire d’une façon
claire et intelligible. Sans cela, leur écriture serait comme une écriture
étrangère, parce qu’il y a absence d’une convention réciproque et antérieure
entre les deux parties. Cela n’est excusable [225]
que dans les écritures de ceux qui dressent les états [226]
des revenus du gouvernement et les rôles des armées, parce qu’il est du devoir
de *349 ceux‑ci de dérober ces
renseignements à la connaissance du public ; car ce sont là des choses
d’administration qu’on doit tenir secrètes : En ce cas, ils emploient très
habilement un procédé qui leur est tout à fait spécial : c’est une sorte
d’énigme qui consiste à désigner les lettres par les noms d’aromates ou de
fruits, ou d’oiseaux, ou de fleurs, ou bien à remplacer les formes reconnues
des lettres par d’autres formes, qu’eux et leurs correspondants se sont accordés
à p.406 employer pour la communication de
leurs pensées. Quelques écrivains ont imaginé certaines règles basées sur des
analogies et dont ils se servent pour lire des écritures dont ils ignorent la
clef [227].
C’est ce qu’ils appellent déchiffrer [228].
Il existe des traités célèbres de cette science. Dieu est le savant, le sage.]
De la librairie.
On donnait autrefois de grands soins à la transcription des recueils
scientifiques [229]
et des autres écrits [230] ;
on les reliait bien, et, pour assurer l’exactitude des textes, on les
corrigeait sous la dictée de ceux qui les savaient par cœur, et l’on fixait
l’orthographe des mots d’une manière précise. Cela fut une des conséquences de
la grandeur de l’empire (musulman) et de la civilisation qui dérive de la vie sédentaire.
Mais cette habitude n’existe plus de nos jours : la ruine des États et la
marche rétrograde de la civilisation l’ont fait disparaître. Elle avait été
cependant très répandue chez les peuples musulmans de l’Irac et de l’Espagne,
parce que, sous tous les rapports, elle était une conséquence nécessaire de la
civilisation très avancée qui régnait dans ces pays, de la vaste étendue que
ces empires avaient prise et des encouragements que les gouvernements donnaient
aux lettres. Les ouvrages scientifiques et les recueils (de tout genre) se
multiplièrent alors, et, comme on les recherchait avec empressement partout et
toujours, il fallait en transcrire de nombreux exemplaires, que l’on faisait
ensuite relier. Voilà comment se forma l’art des libraires, de *330 ces individus qui travaillent [231]
à copier des volumes, à les corriger et p.407
à les relier ; qui s’occupent, enfin, de tout ce qui concerne les
livres et les recueils. C’est là un art tout à fait spécial aux grandes villes,
où la civilisation est très avancée.
Dans les premiers temps, le parchemin fait avec des peaux préparées
s’employait pour les livres dans lesquels on inscrivait les connaissances
scientifiques et pour les écrits émanant du sultan, tels que dépêches, titres
de concessions et actes officiels. Cet usage tenait à l’abondance dans laquelle
on vivait [232]
alors, au petit nombre d’ouvrages que l’on composait, et aussi au nombre très
limité de dépêches et d’actes officiels expédiés par le gouvernement. On
employait uniquement le parchemin pour les écrits, parce qu’on voulait les
rendre ainsi plus respectables et en assurer l’authenticité ainsi que la durée.
Plus tard, il y eut un tel débordement d’ouvrages originaux, de compilations,
de dépêches et de pièces officielles, que le parchemin n’était pas en assez
grande quantité pour y suffire. Ce fut alors que, d’après les conseils d’El‑Fadl
Ibn Yahya [233],
on fabriqua du papier et ce fut sur cette substance qu’il fit écrire les
dépêches du sultan et les actes officiels. Dès lors l’usage en devint général
pour les pièces émanant du gouvernement et pour les écrits scientifiques, et la
fabrication du papier fut portée à un haut degré de perfection.
Quelque temps après, les savants et les hommes d’État dirigèrent leur
attention [234]
vers les textes fournis par les recueils scientifiques, et, comme ils y
tenaient beaucoup, ils les corrigèrent sous la dictée des personnes qui
savaient par cœur le contenu de ces traités et qui pouvaient montrer que la
connaissance de ces textes leur était parvenue de ceux qui les avaient
compilés ou composés, et cela par une tradition parfaitement sûre. S’adresser à
de tels individus est un devoir indispensable quand il s’agit de rétablir un
texte dans soit intégrité primitive. En effet, c’est ainsi qu’on démontre que
telles p.408 paroles proviennent de telle
personne, et que telle décision juridique émane de tel légiste, qui, par un
travail d’esprit consciencieux, l’a tirée de la source (du droit musulman).
Tant qu’on ne peut pas vérifier les textes en les faisant remonter par (la
filière nommée) isnad jusqu’aux
écrivains qui les ont compilés, on ne peut pas attribuer avec certitude telle
parole à telle personne et telle décision juridique à tel légiste.
Pendant plusieurs siècles et dans beaucoup de pays, les savants et les
érudits se bornèrent à ce travail, et ce fut à cela que se réduisit l’art dont
les renseignements transmis par la tradition orale sont *351 l’objet. En effet, les fruits les plus importants qu’on
avait tirés de cet art étaient déjà perdus : on ne savait plus reconnaître
(de prime abord) dans les traditions, ni les saines, ni les passables, ni
les parfaitement appuyées, ni les relâchées, ni les interrompues ni les arrêtées,
ni les distinguer des traditions supposées [235]. La crème de ces notions était restée
toutefois dans ces textes originaux, dont on reconnaissait universellement
l’authenticité, mais chercher à retrouver ces textes aurait été une peine
inutile. L’avantage qu’on recueillait en ayant recours à la transmission orale
était de pouvoir retrouver les leçons offertes par les prototypes des recueils
de traditions, des traités de jurisprudence composés à l’usage des légistes,
des compilations scientifiques, etc. C’est par un tel travail qu’on établit
exactement la filière par laquelle les textes nous sont parvenus ; sans
lui, on ne pourrait pas les citer comme provenant réellement des auteurs à qui
on les attribue. Ce système (de travail critique) a laissé en Orient et en Espagne
des chemins bien battus [236]
et des sentiers faciles à reconnaître. Quelques recueils copiés à cette époque
et dans ces pays existent encore et offrent des exemples parfaits de
correction, d’exactitude [237]
et d’authenticité. On trouve aussi entre les mains de quelques individus des
manuscrits d’une haute antiquité, qui montrent qu’à p.409 cette époque on était parvenu au dernier degré de la
perfection dans cette partie. Partout (chez les musulmans), ces manuscrits se
sont transmis de génération en génération jusqu’à ce jour, et ceux qui les
possèdent les gardent comme des trésors précieux.
Dans le Maghreb, toutes les
traces (de ce travail critique) ont totalement disparu, parce que l’art
d’écrire, de corriger des livres et d’en fixer le texte, sous la dictée des
personnes qui les savaient par cœur, s’y
est perdu depuis la ruine de la civilisation et sous l’influence des habitudes
nomades [238].
On y copie encore quelques recueils et quelques livres classiques, mais ce sont
des talebs berbers qui les
transcrivent, et leur écriture est rude et inculte. Ces volumes sont tellement
barbares par l’imperfection de leur écriture, par les fautes de copiste et les
altérations du texte, qu’il est impossible de s’en servir [239]
et que, à peu d’exceptions près, ils ne sont bons à rien.
Les recueils de décisions
juridiques ont subi les mêmes altérations : la plupart des opinions qu’on
y rapporte n’ont aucun isnad qui les
fasse remonter aux grands docteurs de l’école (de Malek). Les compilateurs se
sont bornés à prendre ces sentences dans les
*352 premiers traités qui leur tombaient sous la main. A la suite de
cela, sont survenues les tentatives de quelques‑uns, parmi leurs docteurs, qui
ont voulu composer des ouvrages malgré le peu de connaissance qu’ils avaient de
ce métier et dans l’absence de tous les arts qui sont nécessaires pour
l’exécution d’un tel projet. Aussi, rien ne reste de cet art, excepté en
Espagne, où il est encore possible d’en reconnaître quelques faibles vestiges
qu’on distingue à peine et qui vont bientôt disparaître. Les sciences elles‑mêmes
sont sur le point de périr dans les pays de l’Occident. Dieu fait tout de sa pleine puissance.
Je viens d’apprendre qu’en
Orient la pratique de corriger les ouvrages sous la dictée des personnes qui
les ont appris par la voie p.410 de la tradition
orale existe encore, ce qui permet de vérifier facilement l’exactitude des
textes. Cela tient aux encouragements que les sciences et les arts reçoivent
dans ce pays, ainsi que nous le dirons plus tard. Je dois toutefois faire
observer qu’en Orient ce qui reste en fait de calligraphie se trouve seulement
chez les Perses. En Égypte, l’écriture des livres est devenue tout aussi
mauvaise, sinon pire que celle du Maghreb. Dieu
fait tout de son plein pouvoir.
De l’art du chant.
Cet art consiste dans une modulation donnée à des vers rythmiques, en
entrecoupant les sons d’après des rapports réguliers et connus (des gens de
l’art), (modulation) qui tombe [240]
exactement sur chaque son au moment où on le détache (des autres). Cela forme
une note musicale. Les notes se combinent ensuite les unes avec les autres dans
des rapports déterminés, et font plaisir à l’oreille par suite de ce rapport
mutuel et de la nature [241]
même de ces sons. En effet, la science musicale nous montre que les notes ont
entre elles des rapports déterminés : l’une peut être la moitié ou le
quart ou le cinquième ou le onzième d’une autre. Quand ces rapports parviennent *353 à l’oreille, leur variété les fait passer
(de la catégorie) du simple à celle du composé. Or, entre les rapports composés,
il n’y en a d’agréables à entendre qu’un certain nombre, que les hommes versés
dans la science musicale ont signalés, et dont ils ont parlé (dans leurs
écrits).
Cette modulation des notes chantées est quelquefois accompagnée de
sons entrecoupés que l’on tire d’objets inanimés, soit au moyen de la
percussion, soit en soufflant dans des instruments faits exprès pour cet objet.
L’accompagnement rend les notes encore plus agréables à l’oreille. De ces
instruments, il y en a, de nos jours, dans le Maghreb, p.411 plusieurs sortes. Telle est l’espèce de mizmar [242] (ou zemer), que l’on nomme chebaba. C’est
un roseau creux dont les côtés sont percés de trous en nombre fixe et dans
lequel on souffle pour lui faire produire des sons. Il émet alors
directement [243]
de son intérieur un son [244]
qui passe par ces trous et que l’on modifie en posant sur ces ouvertures les
doigts des deux mains. Cela se fait d’une certaine façon connue des gens de
l’art, et a pour résultat d’établir des rapports (mutuels). entre les notes. On
continue de cette manière à produire une suite de rapports. Le plaisir que
l’oreille éprouve provient de la perception des rapports dont nous venons de
parler.
Un
autre instrument de la même espèce est le zolami
(hautbois). C’est un tuyau dont les côtés sont formés avec deux pièces de
bois creusées à la main ; on ne le perfore pas au moyen du tour, parce
qu’il faut ajuster exactement les deux morceaux dont il se compose. Il est
percé de plusieurs trous. On souffle dans le zolami au moyen d’un petit tuyau qui y est attaché et qui sert à y
conduire le vent. Le son de cet instrument est perçant ; on y forme les
notes [245]
en apposant les doigts sur les trous, ainsi que cela se fait avec le chebaba.
Un des plus beaux instruments de l’espèce nommée zemer s’emploie de nos jours et s’appelle bok. Il consiste en un tuyau de cuivre, long *354 d’une coudée, et qui s’élargit de sorte que l’extrémité
d’où sort l’air est assez évasée pour admettre la main légèrement fermée, comme
elle l’est lorsqu’on taille une plume [246].
On souffle dedans au moyen d’un petit tuyau qui y transmet l’air de la bouche.
Il produit un son p.412 bourdonnant et
très fort. Il a aussi un certain nombre de trous au moyen desquels on produit,
par l’application des doigts, plusieurs notes ayant entre elles des rapports
déterminés ; on l’entend alors avec plaisir.
Il y a aussi des instruments à cordes. Ils sont creux à
l’intérieur : les uns, tels que le berbat
et le rebab, ont la forme d’un
segment de sphère ; les autres, comme le canoun [247],
ont la forme quadrilatère. Les cordes sont placées sur le côté plat de
l’instrument et tiennent chacune, par son extrémité supérieure, à une cheville
tournante, ce qui permet de les relâcher quand il le faut. On frappe les cordes
avec un morceau de bois, ou bien on fait passer sur elles une autre corde
attachée aux deux bouts d’un arc et frottée avec de la cire et de la résine. On
forme les notes en tirant l’arc d’une main légère sur une corde ou bien en le
passant d’une corde à une autre. En jouant des instruments à cordes, soit qu’on
frappe les cordes, soit qu’on les frotte, on les touche avec les bouts des
doigts de la main gauche afin de produire des notes justes et agréables à
entendre.
Quelquefois on frappe avec des baguettes sur des instruments en forme
de plats ; on frappe aussi des morceaux de bois les uns contre les autres,
en observant une mesure régulière, ce qui produit encore des sons que l’on
entend avec plaisir.
Nous allons maintenant indiquer la cause du plaisir qui dérive de la
musique. Le plaisir, comme nous le dirons ailleurs, est la perception de ce
qui est convenable (à l’esprit) et qui peut être saisi par les sens [248].
Ce que l’on aperçoit est une modalité (des objets des sens). Quand la modalité
est en rapport compatible et convenable avec la faculté perceptive, elle est
agréable ; quand elle lui est incompatible et antipathique, elle lui
cause une sensation désagréable [249].
Les choses qu’on *355 mange sont
convenables quand leur modalité est en rapport avec le tempérament du sens du
goût. Le convenable, en fait de choses p.413 perçues
par le toucher ou par l’odorat, est ce qui est en accord avec le tempérament de
l’esprit cardiaque et vaporeux auquel le sens, dans ce cas, transmet la
perception ; aussi les plantes odorantes et les fleurs à parfums doux sont‑elles
plus agréables à sentir, plus convenables à l’esprit (cardiaque) que les
autres, parce que le principe chaud y prédomine, principe qui est celui du
tempérament de cet esprit. Quant aux perceptions de la vue [250]
et de l’ouïe, celles dont les formes et les modalités conviennent le mieux à
leur destination naturelle sont plus en accord avec l’esprit et lui sont bien
plus compatibles que les autres. Si l’objet que l’on voit [251]
a une juste proportion de forme et de contour, — ce qui dépend de la matière
(constituante) de cet objet, — en tant qu’il ne s’écarte pas de cette juste
proportion qui convient le mieux à sa destination et qui est exigée par sa
matière constituante, — et c’est là ce qu’on entend par le terme beau et bon en parlant de toute chose
perceptible, — si l’objet remplit cette condition, il est compatible avec
l’esprit perceptif, qui en recueille alors avec plaisir des sensations qui sont
en rapport avec sa nature.
Voilà pourquoi nous trouvons que l’amant, chez qui l’amour est poussé
jusqu’à la folie, exprime l’intensité de sa passion en disant que son âme est
mêlée avec celle de l’objet aimé. On peut encore expliquer cela d’une autre
manière, à savoir que l’existence est commune à tous les êtres, ainsi que le
disent les philosophes ; cela fait que vous voudriez être mêlé à l’objet
dans lequel vous avez reconnu la perfection, de manière à ne former qu’un seul
être avec lui [252].
p.414 La chose qui est le plus en
rapport avec l’esprit de l’homme, celle dont la beauté des proportions est la
plus facile à saisir [253],
c’est le corps humain. La perception de la beauté dans les contours d’une belle
personne et dans les sons de sa voix est donc un des sentiments les plus
conformes à la nature humaine. Chaque homme est porté *356 par sa nature à rechercher la beauté dans [254]
ce qui se voit et dans ce qui s’entend. Or les sons, pour être beaux, doivent
avoir entre eux de justes rapports et ne pas être incompatibles les uns avec
les autres. Expliquons‑nous : les sons ont plusieurs modalités ; il y
en a de bas, de hauts, de doux, de forts, de vibrants, d’étouffés et d’autres
encore. C’est de leur juste rapport entre eux qu’ils tiennent leur beauté.
Ainsi, en premier lieu, on ne doit pas passer directement d’un son à celui qui
lui est contraire, mais y arriver par degrés et en revenir de la même manière.
Cela doit se faire aussi pour deux sons semblables : il faut absolument
interposer entre eux un son dissemblable. Voyez les philologues : ils
condamnent les combinaisons dans lesquelles une lettre se trouve jointe à une
autre qui lui est incompatible, ou à une lettre qui s’articule par des organes
trop rapprochés des siens. p.415 Cela
rentre, en effet, dans la catégorie que nous venons de désigner. En second
lieu, les sons (qui se suivent immédiatement) doivent avoir entre eux un de ces
rapports de proportion que nous avons signalés au commencement de ce chapitre.
On peut donc passer d’un son à sa moitié, ou à son tiers, ou à telle autre
partie, pourvu que cette transition produise un de ces accords dont les hommes
versés dans l’art de la musique ont établi et limité le nombre. « Si, pour
employer leur expression, les sons ont un rapport mutuel dans leur modalité,
ils conviennent à l’oreille et lui font plaisir. »
De ces rapports, les uns sont si simples que beaucoup de personnes
s’en aperçoivent naturellement, sans avoir eu besoin de l’enseignement ou de la
pratique. Aussi, voyons‑nous des individus saisir sur‑le-champ la mesure des
vers qu’on récite, celle des danses, etc. Ce talent se désigne vulgairement par
le terme midmar (manège). Il existe chez un grand nombre de ceux qui
lisent le Coran : en récitant le texte de ce livre, ils donnent à leurs
voix des intonations agréables qui ressemblent aux sons des instruments à
vent. Leur débit est si beau et les diverses modulations de leurs voix sont si
justes qu’on les écoute avec ravissement. Parmi ces rapports, il y en a de
composés, qu’il *357 n’est pas donné
à tout le monde de saisir et dont les individus qui ne sont pas assez favorisés
par la nature ne sauraient se servir, bien qu’ils sachent comment on les
produit. Voilà en quoi consiste la mélodie, sujet que la musique entreprend de
traiter, ainsi que nous l’exposerons après avoir parlé des autres sciences.
L’imam Malek désapprouva l’usage de la mélodie [255]
dans la lecture du Coran ; mais l’imam Chafêi le permit. La mélodie dont
il s’agit ici n’est pas celle que la musique enseigne et qui s’apprend comme un
art : l’emploi de cette dernière espèce en récitant le Coran est
certainement défendu ; il n’est pas permis d’avoir le moindre doute à cet
égard. En effet, l’art de la musique n’a rien de commun avec le Coran :
pour lire tout haut le texte de ce livre, il faut ménager sa p.416 voix, de manière à pouvoir bien prononcer
les lettres, surtout en allongeant les voyelles dans les propres endroits, en
appuyant plus ou moins sur les lettres de prolongation, selon le système de lecture
que l’on a adopté, et en remplissant quelques autres conditions du même genre.
(Voilà pour le Coran.) Passons à la mélodie musicale : elle exige aussi
que l’on ménage sa voix, afin qu’on puisse produire des sons ayant entre eux de
certains rapports, ainsi que nous l’avons déjà dit en expliquant ce qu’il
fallait entendre par ce mot. Mais, en observant les règles d’un de ces arts, on
viole celles de l’autre, car ce sont deux arts opposés. Donc, avant tout, il
faut s’en tenir à la récitation (cadencée) du texte coranique, afin de ne pas
s’exposer à altérer le système de lecture que les anciens docteurs nous ont
transmis. Il est donc absolument impossible d’employer simultanément la mélodie
et le mode de récitation adopté pour la lecture du Coran.
La mélodie au sujet de laquelle les
disciples de Malek et ceux de Chafêi ne sont pas d’accord est d’un genre tout à
fait simple, celui que tout homme ayant l’oreille juste est porté naturellement
à employer. Il varie alors les sons de sa voix [256]
en observant certaines proportions que tout le monde, musiciens et autres, sont
également capables de saisir. C’est au sujet de ce genre‑ci qu’on n’est pas
d’accord. Mais il est évident qu’on doit s’en abstenir dans la lecture du
Coran et que l’imam (Malek) avait raison. En effet, la lecture du Coran est
faite pour inspirer l’effroi, parce qu’elle dirige nos pensées vers la mort et
ce qui s’en suit ; elle ne doit pas servir à procurer du plaisir aux
personnes qui recherchent la perception de sons agréables. Ce fut toujours
ainsi (c’est‑à‑dire avec un sentiment de crainte respectueuse) *358 que les Compagnons récitaient le Coran,
ainsi que nous le savons par l’histoire.
Le Prophète, en prononçant cette parole, « Il a reçu en cadeau un
des mizmar de la famille de David [257] »,
ne voulait parler ni des p.417 tremblements de
notes ni de la mélodie (proprement dite), mais de la beauté de la voix (d’un
certain homme), de la manière dont il s’acquittait de la lecture (du Coran),
du distinct emploi qu’il faisait des organes de la bouche pour articuler les
lettres, et de la netteté de son énonciation.
Ayant indiqué en quoi consiste le chant [258],
nous dirons qu’il se produit assez tard dans toute société civilisée : il
faut que [259]
la population soit devenue très nombreuse, et qu’après être sortie de l’état
pendant lequel elle ne cherchait que l’indispensable, elle passe par celui où
elle essaye de satisfaire aux besoins qu’elle s’est créés, et qu’elle entre
définitivement dans un état d’aisance parfaite, dont elle tâche de jouir de
toutes les manières. C’est alors seulement que l’art du chant prend naissance,
car [260]
personne ne le recherche, à moins d’être libre de tous les soucis causés par la
nécessité de pourvoir à ses besoins, à sa subsistance, à son logement, etc. Il
n’y a que les gens tout à fait désœuvrés qui désirent en jouir, afin de
multiplier leur plaisirs.
Avant la promulgation de l’islamisme, l’art du chant était très
répandu dans toutes les villes et toutes les métropoles des royaumes étrangers.
Les souverains eux‑mêmes s’y étaient appliqués et s’en montraient très engoués.
Cela fut porté à un tel point que les rois de Perse témoignaient une grande
considération aux personnes qui cultivaient cet art et les recevaient à leur
cour. Ils leur permettaient d’assister à leurs assemblées et réunions, et d’y
chanter. Tel est encore le cas aujourd’hui chez les peuples étrangers de tous
les pays et de tous les empires.
Les Arabes n’avaient d’abord (en fait de musique) que l’art des vers. p.418 Ils formaient un discours composé de
parties étales les unes aux autres [261],
en établissant entre elles un rapport mutuel qui se reconnaissait au nombre de
lettres mues et de lettres quiescentes [262]
qui s’y trouvaient. En opérant ainsi, ils produisaient un discours consistant
en plusieurs parties, dans chacune desquelles il y avait un sens complet, sans
qu’on fût obligé de passer à la partie suivante. Ces beït, car on les désigne par ce terme, conviennent parfaitement à
la nature (de l’esprit humain), d’abord, parce que chacun d’eux forme une
partie distincte, puis à cause de leurs rapports mutuels en ce qui regarde
leurs fins et leurs commencements, et ensuite, par la netteté *359 avec laquelle ils transmettent les pensées
qu’on veut communiquer aux autres et qui se trouvent renfermées dans la
composition même de la phrase. De toutes leurs façons de s’exprimer, ce fut la
poésie qu’ils admiraient le plus ; ils lui assignèrent le plus haut degré
de noblesse, parce qu’elle se distinguait spécialement par ces rapports
mutuels dont nous avons parlé. Ils en firent le dépôt [263]
de leur histoire, de leurs maximes de sagesse et de leurs titres à
l’illustration ; ils s’en occupèrent afin d’aiguiser leur esprit en
l’habituant à bien saisir les idées et à employer les meilleures tournures de
phrase. Depuis lors, ils ont continué à suivre cette voie. Les rapports offerts
par les diverses parties (ou vers) d’un poème et par les lettres mues et quiescentes
ne forment toutefois qu’une seule goutte du vaste océan des rapports des sons,
ainsi que le Kitab el‑Mousiki [264] nous le fait voir. Mais les Arabes ne
s’aperçurent pas de l’existence d’autres rapports que ceux offerts par leurs
poésies ; car, à cette époque, ils n’avaient p.419
cultivé aucune science ni connu aucun art ; ils n’avaient qu’une
seule occupation [265] :
la pratique des usages de la vie nomade.
Les chameliers se mirent ensuite à chanter pour exciter leurs
chameaux ; les jeunes gens chantaient aussi pour passer le temps. Ils
faisaient des tremblements sur les notes et formaient des modulations. Les
Arabes employaient le mot ghana (chant)
pour indiquer l’acte de faire des modulations en chantant des vers ; pour
désigner la récitation cadencée du Tehlîl
(la profession de l’unité de Dieu) et la manière de psalmodier les versets
du Coran, ils se servaient du terme taghbîr.
Abou Ishac ez‑Zeddjadj [266]
explique ainsi l’emploi de ce mot : « Il signifie faire mention du ghabir, c’est‑à‑dire, de ce qui reste, et désigne, pour cette
raison, les choses de la vie future ». Quelquefois aussi, quand ils
chantaient, ils établissaient un accord entre des sons différents. Ce
renseignement est fourni par plusieurs auteurs, dont l’un, Ibn Rechîk, l’a
inséré dans la dernière partie de son Omda [267].
On nommait cet accord senad. La
plupart (de leurs airs) étaient du rhythme appelé khafîf, celui dont on se sert dans la danse et pour marquer le pas
quand on marche au son du doff (tambour
de basque) et du mizmar (flûte). Ce
rhythme excite l’âme à la gaieté et fait épanouir les esprits les plus sérieux.
Chez les Arabes, il se nommait hezedj. De
toutes les mélodies simples, celle‑ci est la première (et la plus
facile) ; aussi l’esprit éprouve‑t‑il peu de difficulté à la saisir, sans
l’avoir apprise ; de même qu’il saisit tout ce qui est simple dans les
autres arts. Les Arabes ont toujours conservé
*360 (l’usage de chanter) ; ils l’avaient déjà dans les temps du
paganisme, et ils s’y adonnent encore dans la vie nomade.
Lors de la promulgation de l’islamisme, ils s’emparèrent (des plus
grands) royaumes du monde et enlevèrent l’autorité aux Perses par p.420 la force des armes. Ils étaient alors tout à
fait nomades et habitués aux privations, ainsi que chacun le sait ; mais
ils possédaient les sentiments de la religion dans toute leur fraîcheur [268],
et cette aversion qu’elle inspire pour les choses de simple agrément et pour
toutes les occupations qui ne servent ni à faire triompher la cause de Dieu, ni
à se procurer la subsistance ; aussi méprisèrent‑ils le chant jusqu’à un
certain point, ne le trouvant agréable que dans la psalmodie du Coran et dans
cette manière de moduler les vers dont ils s’étaient fait un système et une
habitude. Le luxe étant survenu avec les commodités de la vie et les richesses
qui provenaient des dépouilles des peuples, les Arabes se laissèrent entraîner
vers les plaisirs de la vie, la jouissance du bien‑être et les douceurs du
repos.
Les chanteurs perses et grecs s’étant alors répandus dans le monde,
(plusieurs d’entre eux) passèrent dans le Hidjaz et se mirent sous le patronage
des Arabes. Ils savaient tous jouer de l’aoud (le luth), du tanbour
(la pandore, du miezef (la harpe) et
du mizmar (la flûte). Ils firent alors entendre aux Arabes des airs que
ceux‑ci adoptèrent en chantant leurs poésies. Ce fut alors que Nechît el‑Fareci
figura à Médine, ainsi que Towaïs [269]
et Saïb Khather [270],
client d’Abd Allah Ibn Djafer [271].
Quand ils eurent entendu les chansons arabes, ils les apprirent et les
chantèrent si bien qu’ils se firent une grande réputation. Mabed [272],
Ibn Soreidj [273],
et leurs confrères eurent ceux‑là pour maîtres.
L’art du chant continua à faire du progrès et, sous la dynastie des p.421 Abbacides, il fut porté à la perfection par
Ibrahîm Ibn el-Mehdi [274],
Ibrahîm el‑Mauceli [275],
Ishac, fils de celui-ci, et Hammad, fils d’Ishac. L’excellence de la musique
sous cette dynastie et les beaux concerts qui se donnèrent à Baghdad ont laissé
des souvenirs qui durent encore.
On mettait à cette époque tant de recherche dans les jeux et les
divertissements qu’on inventa tout un attirail de danse, tel que vêtements,
baguettes [276]
et chansons composées exprès pour régler les mouvements des danseurs. Cela
forma même une profession à part. On y *361 employa
aussi des choses appelées kerredj [277]. Ce sont des figures de bois
représentant des chevaux harnachés, que les danseuses suspendaient à leurs
gilets. Elles s’en revêtaient pour représenter des cavaliers qui couraient à
l’attaque, qui battaient en retraite et qui combattaient ensemble. Il y avait
encore d’autres jouets dont on se servait dans les noces, les fêtes, les
réjouissances publiques et les lieux ont l’on s’assemblait pour passer le temps
et pour se divertir. Toutes ces choses étaient très communes à Baghdad et dans
les villes de l’Irac, et, de là, l’usage s’en répandait dans les autres pays.
(Ali Ibn Nafê, surnommé) Ziryab, avait été page au service des
Maucelides [278].
Ayant appris d’eux la musique, il y devint si habile qu’il excita leur jalousie
et se vit obligé par eux de passer dans le Maghreb. L’Espagne avait alors pour
souverain l’émir (Abd er‑Rahman II), p.422 fils
d’El‑Hakem, fils de Hicham, fils d’Abd er‑Rahman, le premier des Omeïades qui
entra dans ce pays. Ce prince reçut Ziryab avec des honneurs
extraordinaires : il monta à cheval pour aller au‑devant de lui, le combla
de dons, de concessions et de pensions, l’admit au nombre de ses convives
habituels et lui assigna une place honorable à la cour [279].
La connaissance de la musique, laissée par Ziryab comme un héritage à
l’Espagne, s’y transmit de génération en génération, jusqu’à l’époque où les
gouverneurs des provinces et des villes se furent rendus indépendants. Elle était
très répandue à Séville ; et, lors de la décadence de cette ville, elle
passa en Ifrîkiya et dans le Maghreb, pour s’introduire dans les villes de ces
pays. On en trouve encore quelques restes, malgré le déclin de la civilisation
et l’affaiblissement des empires africains.
La musique est le dernier art qui se produit dans les sociétés civilisées,
parce qu’elle est un de ceux qui naissent lorsque l’empire est parvenu à un
haut degré de prospérité. Elle ne s’y montre qu’à une seule condition : la
population de l’endroit doit être désœuvrée et aimer les divertissements. Elle
est aussi le premier art à disparaître quand la civilisation est entrée dans
son déclin. Dieu est le Créateur. *362
Les arts, et
surtout ceux de l’écriture et du calcul, ajoutent à l’intelligence des
personnes qui les exercent.
Nous avons fait observer, dans ce traité [280],
que, chez l’homme, l’âme raisonnable existe d’abord en puissance, et que son
passage de la puissance à l’acte s’opère par l’acquisition de connaissances et
de perceptions, fournies d’abord par les choses sensibles, et ensuite par la
faculté spéculative. (Cela continue) jusqu’à ce qu’elle devienne perception en
acte et intellect pur. Elle est dès lors une essence spirituelle, et son être
est parvenu à la perfection [281].
Mais, pour amener p.423 ce résultat, il
faut que les diverses espèces de connaissances et (les produits de) la
spéculation continuent à faire augmenter l’intellectualité de l’âme. Les arts
et la faculté de s’en servir fournissent toujours un système de notions
instructives [282],
qui est le produit de cette faculté ; et voilà pourquoi la prudence qui
résulte de l’expérience, la faculté qui s’acquiert par l’exercice d’un art
quelconque, et la civilisation sédentaire, quand elle est arrivée à la
perfection, contribuent toutes à donner de l’intelligence (à l’âme). La
civilisation sédentaire produit cet effet, parce qu’elle consiste en une
réunion d’arts qui servent, les uns, à l’économie domestique, et les autres, à
façonner l’homme à la vie sociale, à lui former les mœurs et à le mettre en
contact avec ses semblables. L’observation des devoirs imposés par la
religion, des préceptes et des obligations qu’elle enseigne, enfin tout ce que
nous venons d’énumérer, forme des systèmes de connaissances qui augmentent
l’intelligence.
De tous les arts, celui de l’écriture est le plus efficace sous
ce rapport, parce qu’il offre des connaissances et des matières de
spéculation qui ne se trouvent pas dans les autres. L’écriture a pour effet de
faire voyager la pensée en la faisant passer de la forme des lettres tracées
(sur le papier) aux paroles énoncées par la bouche, et peintes dans
l’imagination, et, de ces paroles, aux idées qui sont dans l’âme. *363 La pensée passe, sans s’arrêter,
d’indication à indication, tant quelle s’occupe de ce qui est écrit. L’âme,
s’étant habituée à ce travail, acquiert la faculté de passer des indications
aux choses indiquées, faculté qui est réellement la spéculation
intellectuelle, au moyen de laquelle on se procure des connaissances que l’on
ignorait. Par là l’âme acquiert la faculté de s’intellectualiser, ce qui ajoute
encore à son intelligence et augmente la perspicacité et l’adresse que
l’habitude le passer (des indications aux choses indiquées) lui avait acquises.
Voila pourquoi [283]
Chosroès disait de ses gens de bureau, en les voyant si sagaces et si habiles,
qu’ils étaient divané, c’est-à-dire, des diables et p.424 des démons. On dit que ce fut là l’origine
du mot divan, qui s’emploie pour
désigner un bureau d’écrivains.
A (l’influence de) l’écriture nous pouvons joindre celle du calcul,
parce que cet art consiste à opérer sur des nombres en les réunissant et en les
séparant, ce qui exige qu’on fasse grande attention aux indications qui s’y
présentent. L’âme s’habitue dès lors à comprendre les indications et à exercer
sa faculté spéculative, c’est-à‑dire, à faire acte d’intelligence. Dieu vous a tirés des seins de vos mères, et
vous ne compreniez rien alors ; puis il vous donna l’ouïe, la vue et des
cœurs (l’intelligence), afin que vous fussiez reconnaissants [284] (Coran,
sour. XVI, vers. 80).
[1]
Ce verset, tel qu’il est cité par Ibn Khaldoun, ne se trouve pas dans le Coran.
Il y a quelques versets qui expriment à peu près la même idée.
[2]
Avant ﺭﺧﺳﻭ , il faut insérer ﻪﻨﻣ .
[3]
L’auteur donne ici comme un seul verset du Coran des passages appartenant à
diverses sourates.
[4]
Le mot arabe est motamaouwel, et signifie « qui enrichit », ou
bien « ce qui procure des richesses ». Ce mot désigne toutes les
choses qui ont une valeur.
[5]
Littéral. « les deux pierres minérales ».
[6]
Ce passage, dans le texte arabe, est très obscur ; il renferme plusieurs
pronoms relatifs, et l’on ne reconnaît pas d’abord les noms auxquels ils se rapportent.
Je crois en avoir saisi et rendu le sens, mais le mot ﺔﻴﻨﻗﻠﺍ me paraît de
trop.
[7]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻰﻨﺎﺴﻨﻻﺍ ﻝﻣﻌﻠﺎﺑ , à la place
de ﻰﻨﺎﺴﻨﺍ ﻞﻣﻋ ﻭﻫ. La première leçon me paraît la bonne.
[8]
Cette forme de nom s’emploie pour indiquer le lieu où se fait l’action désignée
par le verbe dont ce nom dérive.
[9]
Littéral. « en le prenant par le licou ». Un philologue arabe nous
apprend que cette expression s’emploie quand on veut indiquer qu’on prend une
chose en totalité et avec tout ce qui lui appartient.
[10]
Pour ﺐﻠﻐﺘﻠﺎﺑ , lisez ﺐﻠﻗﺘﻠﺎﺑ .
[11]
Je ne trouve aucune indication de cette nature dans les Séances d’Harîri.
[12]
Ils omettent la chasse.
[13]
Voyez la 1e partie, p. 297.
[14]
Idrîs ou Énoch passe, chez les musulmans, pour être l’inventeur de tous les
arts. (Voy. l’article Edris, dans la Bibliothèque orientale de
d’Herbelot ; Taberi, traduit par Dubeux, p. 88, et les Monuments arabes, persans et turcs, de M. Reinaud, t. I, p. 138.)
Le titre de second père des mortels fut
probablement donné à Idrîs parce qu’il était l’arrière‑grand‑père de Noé.
[15]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺔﻟﺿﻔﻟﺍ , leçon que je
préfère.
[16]
Les mots ﻪﻠﻳﺒﺴﺒ ﻮﻫ ﻯﺫﻠﺍ signifient « avec lequel on se rencontre
souvent ». Dans le Hamaça, p. ٦۳۸ , l. 15, on trouve l’expression ﻞﻳﺒﺳﺒ
ﻚﻨﻣ ﻭﻫ « il a de fréquentes entrevues avec toi ».
[17]
Littéral. « la source de leurs
rigoles », c’est‑à‑dire, « la source qui fournit à leurs
dépenses ».
[18]
Pour ﻊﻔﺗﺭﻳ , lisez ﻊﻔﺭﺗﻴ .
[19]
Pour ﺫﺤﺗﻴﻔ , lisez ﺫﺧﺗﻴﻔ .
[20]
Pour ﺐﻠﻐﺗ , lisez ﺐﻠﻘﺗ .
[21]
Littéral. « l’homme est le fils de ses habitudes et ne l’est pas de sa
race ».
[22]
Le mot ﻥﻣ est de trop.
[23]
Pour ﻒﺠﺤﻣ , lisez ﻒﺤﺠﻣ .
[24]
M. de Sacy a donné une traduction de ce chapitre, avec le texte, dans son édition
d’Abd el‑Latîf. (Voyez la Relation de
l’Égypte, par Abd Allatif, p. 509, 558.) J’ai adopté sa traduction, en y
faisant, toutefois, quelques changements.
[25]
C’est‑à‑dire, les anciens Égyptiens.
[26]
Pour ﻩﺭﺑﺧﻮ , lisez ﻩﺭﺑﺧ ﻻﻮ .
[27]
Les manuscrits C et D de l’édition de Paris portent ﻒﺮﺎﺗﺳﻳ , forme
insolite d’une racine qui n’offre aucune signification qui puisse convenir ici.
L’édition de Boulac porte ﺫﻫﺎﺷﻴ , leçon qui présente un sens raisonnable. Le
traducteur turc, Péri Zadé, a lu ﻒﺮﺎﺷﻳ , ce qui est évidemment la
bonne leçon. Ce passage a été omis dans le manuscrit A, de sorte que M. de Sacy
n’en a pas eu connaissance.
[28]
Pour ﺪﺗﻣﻴ , lisez ﺪﻴﻣﺗ .
[29]
Le mot taleb « chercheur,
chercheur de science », s’emploie pour désigner les étudiants en droit et
en théologie. Pour le vulgaire, le taleb est
un savant accompli, un homme qui sait lire et écrire.
[30]
Après ﻰﻔﻴﻟ , insérez ﻪﻠ .
[31]
Pour ﺐﺴﻛﻠﺍ , lisez ﺐﺬﻜﻠﺍ .
[32]
Il faut lire ﻰﻟﻋ ﻞﺼﺤﻴﻠ , ou bien ﺎﻣ ﻞﻴﺼﺤﺘﻠ . La seconde leçon est celle des
manuscrits C et D et de l’édition de Boulac
[33]
On lit dans les manuscrits C et D : ﻡﻬﻠﻮﺍ
, et dans l’édition de Boulac : ﻪﻴﻠﻮﺍ .
[34]
Le mot berbi, dont le pluriel est berabi,
sert à désigner les restes des temples et des autres monuments bâtis par les anciens
Égyptiens.
[35]
Pour ﺭﻴﻮﻐﺘ , lisez ﺮّﻮﻐﺗ .
[36]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺮﻳﻮﻗﺗﻠﺍ ﻰﻔ , c’est‑à‑dire
« circulairement ». Le traducteur turc a employé le mot ﺭﻭﺪﻣ ,
qui a la même signification.
[37]
Pour ﺭﺋﻠﺍ , lisez ﺭﺋﺒﻠﺍ .
[38]
D’après la loi musulmane, on peut divorcer avec la même femme et la reprendre
deux fois de suite. Quand on divorce avec elle pour la troisième fois, on ne
peut plus la reprendre, jusqu’à ce qu’elle se soit mariée à un autre, qui
l’aura ensuite répudiée.
[39]
Littéral. « tu la revêtiras d’une robe de soie ».
[40]
Pour ﻩﺪﺷﻮ , lisez ﻩّﺪﺷﺘﻮ .
[41]
C’est‑à‑dire, la lune et la planète Mercure doivent occuper dans le ciel une
position telle que l’influence heureuse de l’une soit fortifiée par celle de
l’autre.
[42]
Pour ﻥﻳﻗﺭﺧﻣﻣﻠﺍ , lisez ﻥﻳﻗﺭﺧﺗﻣﻠﺍ .
[43]
Variante offerte par l’édition de Boulac : ﺔﻓﺭﺧﺗﻠﺍ .
[44]
M. de Sacy a fait remarquer la construction irrégulière de cette phrase ;
mais des incorrections de cette nature sont tellement fréquentes chez Ibn
Khaldoun que je m’abstiens ordinairement de les signaler. Pour rendre la phrase
régulière, il faudrait insérer les mots ﻥﻣ ﻼﺠﺭ après ﻥﻮﺪﺻﻗﻳ .
[45]
Littéral. « des moyens
d’acquérir ».
[46]
Notre auteur emploie ailleurs l’expression ﺔﻳﻨﺪﻌﻣ ﺭﻳﻗﺎﻗﻋ , ce qui montre que
la seconde lettre du mot ﺖﺍﺭﺎﻗﻋ est redoublée. Ces deux formes de pluriel
ont pour singulier ﺭﺎّﻗﻋ , mot qui signifie « drogue », soit
minérale, soit végétale. Les lexicographes ne lui reconnaissent que cette
dernière signification, mais M. de Sacy a mieux compris le sens de ce mot.
[47]
La bonne leçon est ﺍﻮﺭﻗﻨ . Elle se trouve dans le manuscrit D et dans
l’édition de Boulac.
[48]
L’auteur laisse échapper ici un de ces traits de négligence qui lui sont
habituels ; il a mis au présent les verbes qui signifient ensevelir et consacrer.
[49]
Voyez ci-devant, page 94.
[50]
Le terme employé ici est ﻩﺎﺟ , djah. Il signifie également
« puissance » et « influence » ou « crédit ».
L’auteur s’en sert tantôt dans le premier sens et tantôt dans le second, sans
s’apercevoir de la différence qui existe entre les deux significations. Cela
nuit parfois à la justesse de ses raisonnements dans ce chapitre et dans le
suivant.
[51]
Cela peut signifier « qui travaillent pour lui gratuitement », ou
bien, « qui lui offrent en cadeau les produits de leur travail ».
[52]
Par le mot « travaux », l’auteur entend les produits du travail.
[53]
Pour َﻢﻳِﻓ , lisez ُﻡَﻴِﻗ .
[54]
Littéral. « des valeurs des travaux ».
[55]
Pour ﺢﻠﻔﻟ , lisez ﺢﻠﻔﻟﺍ .
[56]
Littéral. « chez lui ». Dans cette phrase, l’auteur emploie d’abord au
pluriel les verbes et les pronoms, puis il les emploie au singulier. Au reste,
les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻪﻟﺯﻨﻣﺒ à la place de ﻪﻟﺯﻨﻣ ﻰﻔ .
[57]
Pour ﻝﺻﺣﺗ , je lis ﻝﺻﺣﻴ , avec le
manuscrit D et l’édition de Boulac.
[58]
L’auteur exprime cette idée d’une manière moins précise ; il dit :
« Cette disposition d’esprit est une des sources de la fortune ».
[59]
Les manuscrits et les deux éditions imprimées portent ﺭﺩﻗ . Je croyais d’abord
qu’il fallait lire ﺪﻌﻗ , mais les mots َﺭﺩُِﻗ ﻭﻠ ﺩﺤﺍ forment la bonne leçon et
signifient : « supposons qu’un homme ».
[60]
Pour ﺭﺩﻘ ﻰﻟﻋ , lisez ﺔﺒﺴﻨ ﻰﻟﻋ , avec
l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[61]
Pour ﺾﻮﻋ , lisez ﺎﻀﻮﻋ , avec avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[62]
L’édition de Boulac porte ﺽﺍﺭﻏﻻﺍ , leçon que j’ai adoptée.
[63]
Littéral. « au‑dessus desquelles il n’y a pas de main supérieure ». Je
suis la leçon de l’édition de Boulac, qui porte ﺔﻳﻟﺎﻋ , a la place de ﺔﺒﻠﺎﻏ .
[64]
Pour ﻡﻫﻮﻟﻌﺒ , lisez ﻡﻫﺅﺎﻘﺒ , avec les
manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[65]
Pour ﻥﻮﺎﻌﺗ , lisez ﻥﻮﺎﻌﺗﻠﺍ .
[66]
L’auteur a cité ce verset inexactement ayant mis deux fois ﻡﻜﺿﻌﺑ , à la place de
ﻡﻬﺿﻌﺑ .
[67]
Voyez ci-devant, p. 336, note 3.
[68]
Pour ﻢﻬﻔﺗﻗ , lisez ﻢﻬﻔﺗﻔ .
[69]
Littéral. « de haute main ».
[70]
L’auteur ne l’a pas dit d’une manière bien précise ; il l’a seulement
donné à entendre.
[71]
J’adopte la leçon fournie par les manuscrits C, D et l’édition de Boulac, qui portent
ﺎﻣﺒ à la place de ﺎﻤﻳﻔ .
[72]
Le mot arabe est kemal « perfection ». On pourrait aussi le
traduire par « talent ».
[73]
Littéral. « l’adoration de soi-même ».
[74]
Pour ﺀﻼﻓﺴﻠﺍ , lisez ﺔﻠﻓﺴﻠﺍ .
[75]
Pour ﺀﺎﺒﻻﺍ , lisez ﺭﺎﺛﻻﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de Boulac.
[76]
Je lis ﻢﻬﺋﺎﺑﺎﺑ , à la place de ﻩﺭﺎﺜﺎﺑ , bien que cette dernière leçon soit
celle des éditions imprimées et des manuscrits.
[77]
Littéral. « qui ne se targuent pas d’une chose ancienne ».
[78]
Pour ﺹﺍﻮﺧﻠﺍ , je lis ﺭﻃﺍﻮﺧﻠﺍ , avec l’édition de Boulac.
[79]
Pour ﻥﺎﻃﻟﺴﻟﺍ , il faut lire ﺔﻟﻮﺪﻠﺍ , avec les manuscrits C, D et l’édition de
Boulac.
[80]
Pour ﺎﻬﻴﻠﺍ , lisez ﻢﻬﻳﻠﺍ .
[81]
Littéral. « et cependant leurs marchandises, etc ».
[82]
Il est bien à regretter que l’auteur ait négligé de nous donner quelques
extraits de ce précieux document.
[83]
Pour ﺎﻬﻔﺎﻨﺼﻮ , lisez ﺎﻬﻔﺎﻨﺼﺍﻮ .
[84]
Pour ﺪﺎﻔﻨ , lisez ﻖﺎﻔﻨ .
[85]
Pour ﻰﻓ , lisez ﻰﻔﻭ .
[86]
Pour ﺎﻬﻟ ﺎﻣﺒ , lisez ﺎﻬﻟﺎﻣﺒ en un seul
mot.
[87]
Je lis ﺎﻀﺣﻣ ﻼﻁﺎﺒ , avec le manuscrit D.
[88]
Littéral. « l’âme ».
[89]
Je lis ﺭﺍﺭﻂﻀﺍ ﻻ , avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[90]
Littéral. « et l’on ne garde point de l’attachement pour ce qu’on a
donné ».
[91]
Pour ﺭﺎﻜﺗﺤﻻﺍ , lisez ﺭﺎﻜﺗﺤﻻﺎﺑ .
[92]
Littéral. « de ces forces de l’âme ».
[93]
Voyez Introduction, p. XXIV.
[94]
Le mot ﺐﻗﻠ a ici la signification de ﺐﺎﺑ « titre, chapitre ». L’emploi du mot
ﻰﻨﺯﺧﻣ , dans le sens de gouvernemental, est propre à l’Afrique
septentrionale, et se maintient encore dans le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et
la régence de Tripoli.
[95]
Dans l’administration financière des musulmans, le produit de chaque branche de
contributions a sa destination spéciale. Il n’y a pas de caisse centrale chez
eux.
[96]
Pour ﻪﻨﺍ ﺪﺠﻮﻴ , je lis ﻪﻨﺍﺪﺠﻮﺒ , avec
l’édition de Boulac.
[97]
Littéral. « la connaissance de cela se réduit aux usages établis chez les
peuples ».
[98]
Pour ﻼﻏﺎﺒ et ﻼﻏﺍﻮ , lisez ﻰﻟﻏﺎﺒ et ﻰﻟﻏﺍﻮ
.
[99]
Pour ﻥﻻ , lisez ﻥﺍ ﻻﺍ , avec l’édition de Boulac
et les manuscrits C et D.
[100]
Littéral. « car peu, multiplié par
beaucoup, donne beaucoup ».
[101]
La phrase est mal construite, mais le sens en est parfaitement clair.
[102]
Littéral. « les accidents ».
[103]
Pour ﺀﺎﻜﺪﻠﺍ , lisez ﺀﺎﻜﺯﻠﺍ .
[104]
Pour ﻥﻮﻣﻟﻌﺗ , lisez ﻥﻮﻟﻣﻌﺗ .
[105]
Littéral. « de la faculté ».
[106]
La particule ﻥﺍ est employée ici pour ﻥﺍ ﻰﻠﺍ .
[107]
Voyez ci-devant, p. 312, note 3.
[108]
Je crois avoir saisi le sens de l’expression arabe ; traduite mot à mot,
elle paraît signifier : « à faire croire à un renversement des
yeux ».
[109]
Pour ﻢﻬﻨﻴﺒ , lisez ﻢﻬﻴﻓ .
[110]
Pour ﺺﻗﺗﻨﻴ , lisez ﺾﻗﺗﻨﻴ .
[111]
Après ﺔﻔﺎﺴﻣﻠﺍ , insérez ﺎﻣﻬﻨﻴﺑ .
[112]
Voyez page 23 de cette partie.
[113]
Voyez page 298 de cette partie.
[114]
Ce sont les manuscrits C et D et l’édition de Boulac qui ajoutent le mot ﻡﻳﻠﻌﻠﺍ ,
« le savant ».
[115]
Pour ﻪﺠﻮﻴ , lisez ﻪﺠﻮﺗ .
[116]
Pour ﻖﻔﻨ , lisez ﻖﻔﻨﻴ .
[117]
Pour ﻙﺭﻨﻠﺎﺑ , lisez ﻙﺭﺗﻠﺎﺑ .
[118]
Littéral. « il y a ici un autre secret ».
[119]
Voyez la 1e partie, p. 45.
[120]
Pour ﻢﻬﺒﻠﺼ , lisez ﻢﻬﺒﻠﻁ .
[121]
Voyez la 1e partie, p. 305.
[122]
L’asb était une espèce d’étoffe à raies.
[123]
Après le mot ﺔﻜﻠﻤ , insérez ﺔﻋﺎﻨﺼ ﻰﻔ .
[124]
Littéral. « la fondation de la cause de cela est ».
[125]
Littéral. « des mères des arts ». On ne trouve rien dans ce chapitre
qui indique pourquoi l’auteur emploie ici le terme mères.
[126]
J’ai adopté la leçon ﺔﻌﻔﺍﺭ , qui est celle de l’édition de Boulac.
[127]
La leçon des manuscrits est ﺕﺻﺗﺧﺍ ﺎﻣ ﺍﺬﻬﻠﻮ . Le ﺎﻣ est explétif, et, pour cette raison, on l’a
supprimé dans l’édition de Boulac.
[128]
Pour ﻚﻟﺫﺒ , lisez ﻚﻠﺫﻟ .
[129]
La bonne leçon est ّﻥﻜﻟﻟ .
[130]
Les trois paragraphes qui suivent ne se trouvent pas dans les manuscrits C et
D. Le manuscrit A les donne, ainsi que l’édition de Boulac. Péri Zadé les a
insérés dans sa traduction turque.
[131]
Je lis ﻪﺗﺎﻫﺠ ﺮﻴﺎﺴ ﻥﻤ ﺔﺎﻴﺎﺤﻟﺍ . Cette leçon se trouve dans l’édition de Boulac,
à l’exception du dernier mot, qui y est écrit ﺎﻬﺗﺎﻬﺠ .
[132]
Il faut remplacer ﻥﻮﺪﻳﻗﻣﻠﺎﻔ par ﻥﻮﻟﺪﺘﻌﻣﻠﺎﻔ
, leçon du manuscrit A et de l’édition de Boulac.
[133]
Je pense que l’auteur a écrit ﺓﺭﻮﺠﻨﻣﻠﺍ à la place de ﺓﺪﺠﻨﻣﻠﺍ .
[134]
Cette signification du mot ﺯﻜﺮﻣ ne se trouve pas dans les dictionnaires.
[135]
Le mot ﺮﻨﺎﺴﺪﻠﺍ ne se trouve pas dans les dictionnaires. Il se présente encore
dans cette seconde partie, et y a toujours le sens de cheville de bois.
[136]
Il faut lire ﺓﺭﺛﻜﻠ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[137]
Pour ﻰﻔ , lisez ﻰﻔﻮ .
[138]
Variante : ﻢﻬﻀﻌﺒ .
[139]
En écrivant ce nom, l’auteur a oublié la lettre ﻴ entre le ﻨ et le ﺔ .
[140]
Pour ﻥﻣﺒ , lisez ﻥﻣ .
[141]
Voyez ci-devant, p. 242.
[142]
Pour ﺯﺟﻌﺘ , lisez ﺯﺟﻌﻴ .
[143]
Littéral. « les instruments qui suspendent ».
[144]
Il faut lire .ﺔﻟﻻﺍ
[145]
Voy. ci-devant, p. 242, note 2.
[146]
On trouvera, dans l’ouvrage de M. Lane intitulé Modern Egyptians, un dessin représentant l’espèce de serrure en
bois dont on se sert encore dans la ville du Caire.
[147]
Pour ﺔﺒﻮﻠﺻﻣﻠﺍ , lisez ﺔﺒﻮﻠﻁﻣﻠﺍ .
[148]
Littéral. « un membre de la figure ».
[149]
Littéral. « dans des proportions déterminées ».
[150]
Il s’agit de portes à panneaux et de grillages pour les fenêtres, les galeries
et les balcons.
[151]
Pour ﻒﻳﺫﺎﺠﻣﻠﺍ , lisez ﻒﻳﺫﺎﻘﻣﻠﺍ .
[152]
Je ne sais d’où les mathématiciens et les biographes arabes ont tiré ce renseignement.
[153]
Je lis ﺶﻮﻼﻨﻤ , à la place de ﺶﻮﻼﻴﻤ . La plupart des copistes arabes écrivent ce
nom incorrectement.
[154]
Il faut remplacer la formule ﻢﻠﻌﺻ , réservée presque spécialement à Mohammed,
par ﻢﻼﺴﻠﺍ ﻪﻴﻠﻋ , et faire la même correction quelques lignes plus
bas. Elle est autorisée par les manuscrits C et D et par l’édition de Boulac.
[155]
Ce passage, que j’ai mis entre des crochets, ne se trouve pas dans les manuscrits
C, D. L’édition de Boulac le donne, ainsi que le manuscrit A.
[156]
Littéral. « dans le sens (ou dans la réalité) de l’humanité ».
(Voyez, du reste, la 1e partie, p. 168 et suiv.)
[157]
Littéral. « de se tenir chaud ».
[158]
Pour ﻥﺎﺗﻌﻨﺻﻠﺍ , lisez ﻥﺎﺗﻋﺎﻨﺼﻠﺍ .
[159]
Pour ﺭﺷﻠﺍ , lisez ﺭﺷﺑﻠﺍ .
[160]
C’est par conjecture que je traduis ainsi les quatre termes techniques employés
par l’auteur.
[161]
Littéral. « qui sont écartés vers la chaleur ».
[162]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac insèrent le mot ﻰﻣﺪﻻﺍ , c’est‑à‑dire
« de l’espèce humaine », après ﺪﻭﻠﻮﻣﻠﺍ « enfant ».
[163]
Littéral. « de sorte qu’il ne dépasse pas le lieu du superflu ».
[164]
Pour ﻉﻮﻀﻭﺍﻮ , lisez ﻉﺎﻀﻭﺍﻮ . Les
manuscrits C et D et l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[165]
Ce Traité d’Avicenne ne nous est pas parvenu, bien que son existence soit signalée
par le biographe Haddji Khalifa. Ibn Tofeïl composa un autre ouvrage du même
titre. C’est celui dont le célèbre Pococke publia le texte avec une traduction
latine, l’an 1671, à Oxford.
[166]
Voyez la 1e partie de cette traduction, p. 189, note.
[167]
C’est‑à‑dire, Dieu crée immédiatement les actions de l’homme.
[168]
Pour ﺓﺍﻭﺪﻤﻠﺎﺒ , lisez ﺓﺍﻭﺍﺪﻤﻠﺎﺒ .
[169]
Pour ﺀﺍﺭﺨ , lisez ﺀﺍﺯﺠ , avec les manuscrits et l’édition de Boulac.
[170]
Pour ﺎﻂﻳﺒﻏ , lisez ﺎﻁﻴﺑﻋ .
[171]
Pour ﺔﻅﻴﻟﻏ , lisez ﻪﻅﻴﻟﻏ .
[172]
La bonne leçon est ﻢﻬﺗﻴﻗﻮﺘ , celle des manuscrits C et D et de l’édition de
Boulac.
[173]
L’édition de Boulac porte ﻡﺿﻬﻠﺍ . J’ai adopté cette leçon.
[174]
Après ﺭﺜﻮﺘ , insérez ﻢﻬﻳﻓ .
[175]
Le mot ﻢﻬﻟ doit se placer avant ﻚﻟﺫ .
[176]
Pour ﺏﺭﻐﻳ , lisez ﺏﺭﻗﻴ , avec le manuscrit C et
l’édition de Boulac.
[177]
M. de Sacy a donné le texte de la traduction de ce chapitre dans sa Chrestomathie arabe. édit. t. II, p.
307 et suiv. J’ai adopté sa traduction, après l’avoir modifiée dans quelques
endroits.
[178]
Littéral. « parce que la teinture a bien pris ». L’auteur se plaît
beaucoup à employer cette expression métaphorique.
[179]
Ce paragraphe manque dans l’édition de Boulac et dans les manuscrits B et C.
[180]
La ville de Hîra, située à environ une lieue de Koufa, était le siège de la petite
dynastie des phylarques mondérites.
[181]
La ville de Taïf est à environ trente‑cinq lieues de distance au S. E. de la Mecque.
[182]
Harb, fils d’Omeïa, était le grand‑père du khalife Moaouïa.
[183]
Selon un auteur cité par Ibn Khallikan (Biographical
diction. vol. II, p. 284),
Aslem, fils de Sidra, avait appris l’écriture de
Moramer Ibn Morra. (Voyez aussi l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 292.) — Il est impossible que l’écriture arabe
dérive de l’écriture himyérite ; dans celle‑ci, les lettres sont isolées
et diffèrent tout à fait, par la forme, des caractères arabes. On a supposé,
avec beaucoup de probabilité, que l’écriture arabe‑koufique est une
modification de l’écriture syriaque, et l’on
a reconnu, à l’examen de plusieurs médailles et autres monuments, que
l’écriture arabe‑neskhie était d’un usage assez général dans le nord de
l’Arabie et les pays voisins bien des années avant la prédication de
l’islamisme.
[184]
Pour ﻢﻠﻌﻟﺍﻭ , lisez ﻢﻠﻗﻟﺍﻭ , avec les manuscrits C, D, l’édition de Boulac et le texte publié par M. de Sacy.
[185]
Ce paragraphe manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[186]
Abou Abd Allah Mohammed el‑Codaï, surnommé Ibn
el‑Abbar, est l’auteur d’un dictionnaire biographique intitulé Tekmila. Cet ouvrage est, comme son
titre l’indique, le complément d’un
autre traité du même genre, composé par le célèbre historien espagnol Ibn
Bachkoual, et intitulé Le Sila « Annexe ».
Ce dernier ouvrage servait de supplément à une histoire biographique des savants
les plus illustres de l’Espagne musulmane, et dont l’auteur se nommait Ibn el‑Faradi. La Société asiatique de
Paris possède un exemplaire du Tekmila, mais
je n’ai pas pu le consulter. L’auteur était natif de la ville de Valence. Après
avoir servi quelques souverains espagnols en qualité de secrétaire, il se
rendit à Tunis et obtint un emploi dans les bureaux de l’administration
hafside. Il fut mis à mort l’an 658 (1260 de J. C.), par l’ordre d’El‑Mostancer,
sultan de Tunis. Pour les détails, voyez
l’Histoire des Berbers, t. II, p. 347 de la traduction.
[187]
M’étant aperçu que cet extrait est donné incorrectement, et n’ayant pas le Tekmila sous la main, je me
trouve obligé d’y risquer quelques changements. Je ferai observer d’abord
qu’aucun lien de parenté n’existait entre Ibn Ferroukh et Abd er-Rahman Ibn
Zîad, bien que le texte imprimé dise que le premier était fils du second :
Ibn Ferroukh était Persan d’origine et Abd er‑Rahman était de race arabe. Nous apprenons par le Nodjoum et
par l’Histoire de Cairouan, manuscrit de la Bibliothèque impériale,
ancien fonds, n° 752, fol. 16 verso, qu’Abou Mohammed Abd Allah Ibn Ferroukh el‑Fareci naquit en
Espagne l’an 110 (728‑729
de J. C.), qu’il alla s’établir à Cairouan, qu’il passa ensuite en Orient
et mourut à Misr (le Vieux Caire) en l’an 150 (767‑768 de J. C.). Il se distingua parmi les
disciples de l’imam Malek par la sainteté de sa vie. Son contemporain, Abou
Khaled Abd er‑Rahman Ibn Zîad Ibn Anam el‑Moaferi es‑Sofyani, ami intime du célèbre
ascète Sofyan et-Thouri et grand cadi d’Ifrîkiya sous les Aghlebides, naquit dans ce pays et mourut à Cairouan l’an
157 (773‑774 de J. C.). (Histoire
de Cairouan, fol. 14 verso.) — Les corrections que je
propose de faire au texte arabe sont de remplacer, p. 340, l. 9, les mots ﻥﺒ ﺥﻮﺮﻓ par
ﻥﻋ ﻪﺼﻨ ﺎﻣ ﺥﻮﺮﻓ , puis, à la page 341,
ligne 6, de lire ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﻋ , et à la ligne 8 de lire ﺏﻭﻴﺍ ﻥﺒ ﺮﻤﻋ ﻥﻋ .
[188]
La lettre élif ne se joint pas à celle qui la suit ; les trois
autres se lient à celles qui suivent et à celles qui précèdent.
[189]
Ibn Djodaan était contemporain de Mohammed. (Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. II, p. 325.) Pour son
histoire, voy. l’Essai, etc. de
M. Caussin de Perceval.
[190]
Lisez ﺏﺗﺎﻛ .
[191]
J’adopte la leçon ﺮﱠﻴﻐﻴ .
[192]
Lisez ﻚﻟﺬﺒ .
[193]
Variante : Hamra.
[194]
Pour ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﺒ , lisez ﻪﻟﻟﺍ ﺪﺑﻋ ﻰﻨﺍ ﻥﻋ . Dans la même ligne, je lis ﻪﻟﻗﻨ ,
à la place de ﻪﺗﻟﻗﻨ .
[195]
Pour ﻥﺒ , lisez ﻥﻋ .
[196]
Je suis la leçon de M. de Sacy.
[197]
Telle est la leçon donnée par M. de Sacy.
[198]
Pour ﺎﻬﻣﻴﻠﻌﺗ , lisez ﺎﻬﻣﻠﻌﺗ , avec le
manuscrit A, l’édition de Boulac et le texte donné par M. de Sacy.
[199]
La leçon ﺎﺑﻳﺭﻗ ﻮﺍ , celle que M. de Sacy a suivie, se trouve dans les
manuscrits A, C, D et l’édition de Boulac.
[200]
On verra, plus loin, que l’auteur emploie le mot kitaba pour désigner tantôt
l’écriture et tantôt l’orthographe.
[201]
Pour ﻥﻣﻮ , lisez ﻥﻣ .
[202]
On lit dans le Coran, sour. XXVII, vers. 21, 22 : « Il
(Salomon) passa en revue l’armée des oiseaux, et dit : « Pourquoi ne
vois-je pas la huppe ? Est‑elle absente ? Je lui infligerai un
châtiment terrible certes, je la ferai mettre à mort, etc ». Dans ce passage,
les Compagnons ont écrit ﻻ « non », à la place de ﻞ « certes ».
[203]
Coran, sour. LI, vers. 47.
[204]
Pour ﺀﺎﺑﻟﺍ , lisez ﺀﺎﻴﻟﺍ .
[205]
Je lis ﻪﻫﺯﻨﺘﻮ ﻪﻔﺮﺷﻠ ﻪﻤﺎﻗﻣ , avec les manuscrits
C, D et l’édition de Boulac.
[206]
Littéral. « des connaissances conventionnelles ». La science est un
système de connaissances sur un objet utile, système conventionnel qui
nécessite l’emploi des termes techniques. Les Arabes, n’ayant qu’un seul mot
pour désigner connaissance et science, se servent du terme connaissances conventionnelles ou
connaissances techniques, ﺔﻴﺤﻼﻁﺼﺍ ﻢﻮﻠﻋ quand ils veulent parler des
sciences proprement dites.
[207]
Après ﻪﻫﺯﻨﺗ , insérez ﺎﻬﻨﻋ . Cette correction est autorisée par les
manuscrits A, C et D, par l’édition de Boulac et par le texte de M. de Sacy.
[208]
Les manuscrits C, D et l’édition de Boulac portent ﻪﻣﻠﻌﺗﻮ .
[209]
Ce paragraphe manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[210]
Pour la vie de ce célèbre vizir et calligraphe, mort l’an 328 de l’hégire (940
de J. C.), voyez le Biographical dictionary d’Ibn Khallikan, vol. III.
[211]
La vie d’Ibn el‑Baouwab se trouve dans le Biographical
dictionary d’Ibn Khallikan, vol. II, p. 282. Ce calligraphe mourut l’an 423
de l’hégire (1032 de J. C.).
[212]
Pour ﺔﺛﻟﺎﻤﻠﺍ , lisez ﺔﺛﻟﺎﺛﻠﺍ .
[213]
Il ne faut pas confondre Yacout de Mosul, le célèbre calligraphe, avec son
homonyme, le géographe. Le premier mourut à Mosul en 618 (1221 de J. C.) ;
le second mourut près d’Aleppo, en l’an 626 (1229 de J. C.). — Nous ne
trouvons aucun renseignement sur Ali ’l-Adjemi.
[214]
Après le mot ﻢﺳﺭﻠﺍ , ajoutez ﺪﻬﻌﻟﺍ ﺍﺫﻬﻟ .
[215]
Voy. ci-devant, page 23.
[216]
Le reste de ce chapitre, à partir d’ici, ne se trouve ni dans les manuscrits C
et D, ni dans l’édition de Boulac.
[217]
Il faut supprimer le ﻻ .
[218]
Quand on regarde un calam bien taillé, en dirigeant la pointe vers soi
et la tenant de manière à ce que le dos soit tourné en haut, on voit que le bec
de droite est plus court et plus mince que celui de gauche, et que la pointe
est taillée obliquement.
[219]
Lisez ﻡﺭﺼﺣﻠﺎﺒ ﻮﺍ .
[220]
Supprimez le ﻮ de ﻝﻴﺛﻤﺘﻠﺍﻮ .
[221]
Pour ﺐﻴﺠﻴ , lisez ﺏﺣﻴ avec le texte de M. de Sacy.
[222]
Pour ﺔﺒﺎﺗﻛ , lisez ﻪﺒﺎﺗﻛ .
[223]
L’auteur emploie quelquefois le verbe ﻝﻤﺗﺷﺍ sans la préposition ﻰﻟﻋ .
[224]
Le mot ﻚﻟﺫ se trouve dans les manuscrits, mais il est évidemment de trop.
[225]
Variante : ﺭﺫﻌﻴ .
[226]
Voyez, pour cette signification du mot ﻝﻤﻋ , la première partie de cette
traduction, p. 364, note 2.
[227]
Littéral. « dont ils n’étaient pas les inventeurs ».
[228]
Littéral. « résoudre l’énigmatique ».
[229]
En arabe, diwans scientifiques. L’auteur entend désigner par ces
mots les recueils de traditions, de renseignements historiques, d’explications
du texte coranique, de notes philologiques, de poésies et de notions de tout
genre enseignées dans les écoles.
[230]
Le mot ﺖﻼﺠﺴ sidjillat, dérivé du
latin sigillum, a plusieurs significations ; il sert à désigner les
pièces émanant d’un tribunal, les actes officiels du gouvernement, les registres
et même les livres.
[231]
Lisez ﻥﻴﻨﺎﻌﻣﻠﺍ .
[232]
L’auteur veut dire que l’usage de la viande, comme nourriture, était très répandu,
et que, pour cette raison, les peaux n’étaient pas rares.
[233]
Il s’agit du Barmekide qui était vizir du khalife Haroun er‑Rechîd.
[234]
Pour ﻢﻫﻮ , lisez ﻢﻤﻫﻮ .
[235]
Pour l’explication de ces termes techniques, voyez la note qui se trouve à la fin du dernier
chapitre de cette partie.
[236]
Pour ﺓﺪﻳﻌﻣ , je lis ﺓﺪﱠﺑﻌﻣ . L’édition de Boulac offre cette leçon.
[237]
Après ﻥﺎﻗﺘﻻﺍ , insérez ﻢﺎﻜﺣﻻﺍﻮ .
[238]
Dans le Ve siècle de l’hégire, les Arabes nomades établis
dans la haute Égypte envahirent l’Ifrîkiya et le Maghreb, et dévastèrent ces
contrées à un tel point qu’elles n’ont jamais pu s’en relever.
[239]
Littéral. « que ce sont des livres clos pour quiconque voudrait les
parcourir ».
[240]
Le manuscrit C porte ﻊﻗﻮ-, et l’édition de Boulac offre la leçon ﻊﻗﻮﻳ , celle
que j’ai suivie.
[241]
Il faut insérer le mot ﻚﻠﺫ avant ﺐﺴﺎﻨﺗﻟﺍ . Les
manuscrits C et D et l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[242]
Le mizmar est la flûte à bec, mais ce terme désigne ici tous les
instruments à vent qui sont percés de trous.
[243]
Pour ﺓﺪﺍﺪﺴ , lisez ﻩﺪﺍﺪﺴ .
[244]
Le mot ﺕﻮﺻ , qui s’emploie dans ce chapitre pour signifier une note de
musique, signifie ordinairement « son ».
[245]
Littéral. « l’entrecoupement des sons s’y fait ».
[246]
Littéral. « sous la forme de la taille d’un calam ». Je suis
porté à croire qu’il y a une transposition dans le texte arabe, et que ces mots
doivent se placer après ﺓﺮﻳﻐﺼ ﺔﺒﺼﻗﺒ dans la même ligne. Le sens serait alors :
un petit roseau, taillé en bec de plume. Au reste, la leçon de l’édition de
Paris se retrouve dans l’édition de Boulac et dans tous les manuscrits.
[247]
Le berbat (βάρбιτος) et le rebab sont des espèces de guitares ; le canoun est le
tympanon.
[248]
Littéral. « c’est la perception du convenable et du sensible ».
[249]
Littéral. « choquant et repoussant ».
[250]
Pour ﺖﺎﺀﻴﺭﻤﻟﺍ
, lisez ﺖﺎّﻴﺀﺭﻤﻟﺍ .
[251]
Pour ﺉﺭﻣﻠﺍ , lisez ّىﺀﺭﻤﻠﺍ .
[252]
Ce raisonnement n’est pas clair et, même avec le secours d’un passage additionnel
qui se trouve dans l’édition de Boulac, on ne le comprend pas davantage. Nous
y lisons, après les mots « est mêlée avec celle de la bien‑aimée » :
« Cela est un mystère
que tu comprendras si tu es de ces gens‑là (les amants ?). Il s’agit de
l’identité d’origine (de tous les êtres) et du fait que, si tu regardes et
examines ce qui est autre que toi, tu verras qu’entre toi-même et cet objet il
y a une identité d’origine qui prouve que, toi et cet objet, vous êtes
identiques quant à votre Être. » Un peu plus loin, après les mots
« ainsi que disent les philosophes », nous lisons :
« Et tu voudras être mêlé avec l’objet dont tu as
reconnu la perfection, afin de former un seul être avec lui. Que dis‑je ?
l’âme cherche alors à sortir de la supposition pour entrer dans la réalité,
laquelle est l’identité d’origine et d’être. » La traduction turque
n’offre aucun éclaircissement au sujet de ce paragraphe. Le principe attribué
ici aux philosophes est ainsi énoncé dans le Dictionary of technical terms, etc. page ۱۴٦ :
ﺎﻳﻮﻨﻌﻣ ﺎﻫﺮﺴﺎﺑ ﺖﺍﺪﻮﺟﻭﻤﻠﺍ
ﻰﻔ ﻚﺭﺗﺸﻣ
ﺪﻮﺠﻮﻠﺍ , proposition qu’El‑Djordjani, dans son Commentaire sur le Mewakif (manuscrit de la Bibliothèque
impériale, supplém. n° 1320, cahier
10, fol. 5 v°) explique ainsi :
« L’existence (leur)
est commune en réalité, c’est‑à‑dire elle est une réalité, à laquelle tous les
êtres participent….. Elle a donc pour parties tous les êtres. » Cette maxime est empruntée à
Aristote ; selon lui, la catégorie de l’être renferme les substances.
[253]
Pour ﻞﺎﻣﻜﻟﺍ ﻚﺭﺪﻤ ﻰﻠﺍ , lisez ﻞﺎﻣﻜﻟﺍ ﻚﺭﺪﻳ
ﻥﺍ ﻰﻠﺍ.
[254]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent
ﻥﻣ , à la place de ﻰﻔ .
[255]
Malek n’autorisait que la psalmodie dans la récitation du Coran.
[256]
Littéral. « il fait des tremblements sur les sons ».
[257]
Cette parole fut prononcée par Mohammed, en entendant Abd Allah Ibn Caïs,
mieux connu sous le nom d’Abou Mouça el‑Achâri (voy. la 1e
partie, p. 416, 449), réciter le Coran à haute voix. Cette tradition est
indiquée dans le Mishkat el‑Mesabih, traduit en anglais par
le capitaine Matthews, et on la retrouve, sous trois formes presque
identiques, dans un Dictionnaire biographique des Compagnons de Mohammed et
leurs disciples, intitulé Sier- es‑Selef, manuscrit de la Bibliothèque
impériale, supplément arabe, n° 693, fol. 91 v°.
[258]
Pour ﺍﺫﺍﻮ , lisez ﺍﺫَﻮ .
[259]
Pour ﺫﺍ , lisez ﺍﺫﺍ .
[260]
Pour ﺎﻬﻨﻻ , lisez ﻪﻨﻻ .
[261]
Ces parties, ce sont les vers.
[262]
C’est‑à‑dire les syllabes brèves et les syllabes longues.
[263]
Le terme employé ici est diwan, qui signifie recueil, registre.
[264]
Haddji Khalifa, dans son Dictionnaire bibliographique, indique deux ouvrages
portant ce titre, l’un d’Abou ’l-Abbas es-Serakhchi, mort en 286 de l’hégire
(899 de J. C.), et l’autre de Thabet Ibn Corra, mort en 288 (901 de J. C.). Un
troisième ouvrage du même titre eut pour auteur le célèbre El-Farabi, mort en
561 (1166 de J. C.), et c’est très probablement de celui-ci qu’Ibn Khaldoun
veut parler. M. Kosegarten en a donné une analyse au commencement de son
édition, malheureusement inachevée, du Kitab el-Aghani.
[265]
Pour ﻢﻬﻠﺣﻣ , lisez ﻢﻬﻠﺣﻨ .
[266]
Abou Ishac Ibrahîm ez-Zaddjadj, savant philologue et grammairien, mourut à
Baghdad, l’an 310 (922 de J. C.).
[267]
Voyez la 1e
partie, p. 8, note 2. L’ouvrage intitulé l’Omda, c’est‑à‑dire la
colonne ou l’appui, traitait de l’art de la poésie. Selon Ibn
Khallikan, dans son Dictionnaire biographique, Ibn Rechîk mourut l’an 456 (164
de J. C.).
[268]
J’adopte la leçon ﺓﺮﺎﻀﻏ , celle qui est offerte par l’édition de Boulac.
[269]
Eïça Ibn Abd Allah, surnommé Towaïs « le petit paon », fut
client de la tribu de Makhzoum, et habitait la Mecque. Il mourut l’an 92 de
l’hégire (710‑711 de J. C.).
[270]
Saïb Khather était d’origine persane. Il habitait Médine et fut tué à la
bataille d’El‑Harra, l’an 63 de l’hégire (683 de J. C.).
[271]
Abd Allah Ibn Djafer, petit‑fils d’Abou Taleb, mourut l’an 80 de l’hégire (699-700
de J. C.).
[272]
Abou Abbad Mabed Ibn Ouehb, client d’Abd er‑Rahman Ibn Catan, chantait très
souvent à la cour d’El‑Ouelid Ibn Yezîd ; il mourut sous le règne de ce
khalife. Les airs qu’il composa obtinrent une grande célébrité. Un poète disait
de lui : « Towaïs chantait bien, et Ibn Soreïdj plus tard ; mais
c’est Mabed qui a remporté la palme ».
[273]
Abou Yahya Obeïci Ibn Soreïdj était encore un des protégés d’Abd Allah Ibn
Djafer. Comme musicien et chanteur, il n’avait de rival que Mabed. Il faut lire
ﺞﻳﺭﺴ , à la place de ﺢﻳﺭﺷ , dans le texte arabe.
[274]
Ibrahîm Ibn el‑Mehdi, fut proclamé khalife à Baghdad, l’an 202 de l’hégire
(817-818 de J. C.), lors des troubles qui curent lieu après la mort d’El‑Amîn.
Pour ses aventures, voyez la traduction
anglaise des Mille et une Nuits, de
Lane, vol. II, p. 336. [css :
Gallica, trad. fr.]
[275]
Ibrahîm Ibn Mahan naquit à Koufa, l’an 125 et mourut à Baghdad, en 188 (804 de
J. C.). Il porta le surnom d’El‑Mauceli,
parce qu’il avait demeuré quelque temps à Mosul. Il jouit d’une grande
faveur auprès d’Haroun er‑Rechîd. Son fils Ishac, et son petit‑fils Hammad se
distinguèrent aussi comme musiciens.
[276]
Les danseuses se servaient des baguettes pour s’escrimer entre elles et pour
frapper la terre en cadence.
[277]
Ce sont les jouets que les enfants appellent chevaux à jupon et chevaux à carrousel.
[278]
C’est‑à‑dire, d’Ibrahîm el‑Mauceli et de son fils.
[279]
On peut consulter, pour l’histoire de ce célèbre musicien et arbiter elegantiarum,
la traduction de Maccari, par M. de Gayangos, vol. II, p. 116 et suiv. et l’Histoire
des Musulmans d’Espagne, de M. Dozy, t. II, p. 89 et suiv.
[280]
Voy. la 1e partie, p. 219.
[281]
C’est l’ε̉ντελέχεια d’Aristote.
[282]
Littéral. « un canon scientifique ».
[283]
Lisez ﻚﻟﺬﻟﻭ avec le manuscrit D et l’édition de Boulac.
[284]
Pour ﺎﻣﻼﻴﻠﻔ , lisez ﻢﻜﻠﻌﻟ .
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