S I X I È M E
S E C T I O N.
DES SCIENCES ET
DE LEURS DIVERSES ESPÈCES ;
DE L’ENSEIGNEMENT, DE SES MÉTHODES ET PROCÉDÉS ET DE TOUT CE
QUI S’Y RATTACHE.
CETTE SECTION
COMMENCE PAR UNE
INTRODUCTION ET
RENFERME
(PLUSIEURS CHAPITRES) ACCESSOIRES.
L’introduction [2]
traite de la réflexion, faculté qui distingue l’homme des autres animaux, qui
le porte à travailler pour sa subsistance avec
*364 le concours de ses semblables, qui dirige son attention vers l’Être
p.426 qu’il doit adorer et vers les
communications que les prophètes ont apportées de la part de Dieu. C’est par le
don de la réflexion que Dieu a mis l’homme en état de réduire tous les animaux
sous son autorité et de les soumettre [3]
à sa puissance ; c’est aussi par ce don qu’il lui a assuré la supériorité
sur la plupart des êtres créés.
De la réflexion.
L’intellect ne peut embrasser toute la catégorie
des choses sans l’aide de la réflexion.
De l’intelligence expérimentale et de la manière
dont elle se produit.
De la nature des connaissances humaines et de
celles des anges.
Sur les connaissances acquises par les prophètes.
L’homme est ignorant par sa nature ; ce
qu’il sait consiste en connaissances acquises.
L’enseignement
fait partie des arts.
Histoire
des méthodes d’enseignement chez les musulmans. Les bonnes traditions s’y
perdent.
Les connaissances (ou sciences) ne se multiplient
que dans les villes on la civilisation et les usages de la vie sédentaire ont
fait de grands progrès.
Sur
les diverses sciences qui, de nos jours, existent dans la civilisation
(musulmane).
Les
sciences naturelles ou positives, et les sciences traditionnelles ou fondées
sur la foi. — Les sciences islamiques.
Des
sciences coraniques, à savoir l’interprétation et la lecture.
Les sept
leçons. — L’interprétation traditionnelle et l’interprétation philologique. —
Le keschaf d’Ez‑Zamakhcheri ; caractère de ce livre. — Les traditions et
les termes techniques qui s’y rapportent. — Les recueils de traditions.
De l’interprétation du texte coranique.
Des sciences qui ont pour objet les traditions.
Note sur les termes techniques employés dans la
science des traditions.
# De la Jurisprudence et de la science du partage des
successions, qui en est le complément.
Origine
de cette science. — Les Dhaherites. — Les gens de la maison. — Les Kharedjites.
— Les Chîïtes. — Les gens de l’opinion (rai). — Les gens de
Hidjaz. — La coutume de Médine. — Les quatre écoles. — L’Idjtihad.
— Les Hanbelites. — Les Hanefites. — Les Chaféites. — Les Malekites. — Les
traités de droit malekite. — Les trois branches de l’école de Malek.
# De la science qui a pour objet le partage des successions (eïlm
el-feraïd)
But et
caractère de cette science.
# Des bases de la jurisprudence et de ce qui s’y rattache,
c’est‑à‑dire la science des matières controversées et la dialectique.
Importance
de cette science. — Ses bases. — Le Coran. — La Sonna. — L’accord
général des premiers docteurs. — La déduction analogique (kias). —
Vérification du texte de la Sonna. — Règles à suivre dans l’examen des
textes sacrés. — Origine de la jurisprudence. — Docteurs qui s’y sont
distingués.
# Les matières controversées.
Ouvrages
composés sur ce sujet.
# La dialectique (djedl).
Les deux
méthodes de la dialectique.
# La théologie scolastique (eïlm el‑kelam).
Preuve
rationnelle de l’unité divine. — Dieu est la cause des causes. — Nulle intelligence
ne peut comprendre la succession des causes. — L’investigation des causes a été
défendue par le législateur inspiré. — Le dogme de l’unité. — Les diverses stations
qu’on atteint dans la connaissance de l’unité divine. — La foi est une faculté
acquise. — Les divers degrés de la foi. — Ce que le législateur nous a
prescrit de croire. — Vérité de ces dogmes de foi. — Certains textes de la loi
divine ont conduit à l’anthropomorphisme, parce qu’ils ont été mal entendus. —
L’exemption. — L’assimilation des attributs. — Les attributs
essentiels. — Ce fut une doctrine bien pernicieuse que celle de la création du
Coran. — La doctrine d’El‑Achari. — La science de la parole. — La
doctrine d’Abou Bekr el‑Bakillani. — Introduction de l’art de la logique chez
les musulmans. — Les scolastiques n’envisagent pas le corps sous le même point
de vue que les philosophes. — La connaissance de la scolastique n’est plus
nécessaire.
# Éclaircissements au sujet des motachabeh (passages et
termes de signification obscure) qui se trouvent dans le Coran et la Sonna,
et indication de l’influence qu’ils ont eue sur les croyances des diverses
sectes, tant sonnites qu’hétérodoxes.
Comment
les savants d’entre les premiers musulmans entendaient les versets motachabeh.
— La manière d’expliquer ces versets est inconnue aux mortels. — Opinion des
Motazelites au sujet des attributs divins. — Ce furent eux qui inventèrent le
système de doctrine appelé science de la parole. — La doctrine d’El‑Achari.
— L’opinion d’Abmed Ibn Hanbel et la doctrine de ses disciples au sujet des
attributs. — Les corporalistes. — Les assimilateurs. — Diverses
phases de la nature humaine, et perceptions qu’elle éprouve dans chacune de
ces phases. — Opinion d’Avicenne au sujet du prophétisme. — Résumé.
De la réflexion.
Dieu a distingué l’homme de tous les autres animaux en lui accordant
la réflexion, faculté qui marque le commencement de la perfectibilité humaine
et qui achève la noblesse de l’espèce, en lui assurant la supériorité sur
(presque tous) les êtres. (Pour en comprendre la nature,) il faut savoir que la
perception est l’acte par lequel l’être perceptif aperçoit en lui-même ce qui
est en dehors de lui. De tous les êtres créés, les animaux sont les seuls qui
jouissent de cette faculté : ils aperçoivent les objets extérieurs au
moyen des sens externes dont Dieu les a pourvus. Il y en a cinq : l’ouïe,
la vue, l’odorat, le goût et le toucher. L’homme possède, de plus, la faculté
de la réflexion, qui, placée derrière les sens, lui procure la perception de
ce qui est en dehors de lui. Cela se fait au moyen de certaines puissances,
qui, situées dans les ventricules du cerveau, saisissent les formes des choses
sensibles, les retournent dans l’entendement et leur donnent , par abstraction,
d’autres formes. La réflexion, agissant derrière les sens, opère sur ces
formes ; c’est elle et l’acte de l’entendement qui les retournent pour les
décomposer et les combiner, et voilà ce que Dieu a désigné par le mot afida (cœurs) dans ce passage du
Coran p.427 (sourate XVI, vers.
80) : Il vous a donné la vue,
l’ouïe et des cœurs ». Fouad, le singulier d’afida, désigne ici la réflexion.
Cette faculté a plusieurs degrés (d’intensité) : dans le premier,
elle donne l’intelligence des choses extérieures qui se présentent dans un
arrangement naturel ou conventionnel [4],
de manière que l’homme puisse amener, par sa puissance, le résultat qu’il veut
obtenir. Ce genre de réflexion se compose, en grande partie [5],
de concepts ou *365 simples idées,
et s’appelle intelligence discernante. L’homme,
aidé par elle, se procure les choses qui lui sont utiles, ainsi que la
nourriture, et évite ce qui peut lui faire du mal. La réflexion du second degré
enseigne les opinions reçues et les règles de conduite que l’homme doit
observer dans ses transactions et dans le gouvernement des êtres de son espèce,
et qui, en grande partie, se composent d’affirmations (ou propositions) dont
l’exactitude s’est graduellement vérifiée par l’expérience. On désigne ce
genre de réflexion par le nom d’intelligence expérimentale. Au
troisième degré, la réflexion trouve la connaissance réelle ou hypothétique
des choses qu’elle cherche derrière les sens et sur lesquelles elle ne peut
agir directement. C’est là l’intelligence spéculative. Elle consiste
en concepts et en affirmations, combinés d’une manière toute particulière,
d’après certaines conditions spéciales, et fournit d’autres connaissances de
la classe des concepts ou de celle des affirmations. Combinant alors ces
connaissances avec d’autres, elle en produit encore de nouvelles. En dernier
résultat, elle forme une idée exacte des choses existantes selon leurs espèces,
leurs classes et leurs causes premières et secondaires. C’est ainsi qu’au moyen
de la réflexion elle (l’âme) parvient à compléter sa nature et à devenir une
intelligence pure et un esprit perceptif. C’est là ce qu’on appelle la réalisation de cette qualité qu’on nomme humanité [6].
L’intellect ne peut embrasser toute
la catégorie des choses
sans l’aide de la réflexion [7].
p.428 Le monde (ou catégorie) des êtres
se compose d’essences pures, telles que les (quatre) éléments et leurs
impressions, et des trois catégories des choses qui en dérivent, savoir :
les minéraux, les plantes et les animaux. Tout ce que nous venons d’énumérer
est dans la dépendance de la puissance divine. Le monde des êtres renferme encore
les actions faites par les animaux avec intention et au moyen d’une puissance
qu’ils ont reçue de Dieu. Parmi les actions, celles de l’espèce humaine ont de
la suite et de la régularité, tandis que celles
*366 des autres animaux se font sans règle et sans ordre. C’est au moyen
de la réflexion qu’on aperçoit l’ordre naturel ou conventionnel des faits. Pour
faire qu’une chose ait lieu il faut en connaître les causes premières et
secondaires ainsi que les conditions nécessaires à sa production ; en un
mot, il faut connaître les principes d’où elle dérive ; car les choses se
présentent toujours dans un ordre et une liaison réguliers. Aucun effet ne peut
avoir lieu qu’à la suite de son principe ; car ce qui est le premier ne
saurait être le dernier, et ce qui est le dernier ne saurait précéder le
premier. Ces principes tirent souvent leur origine d’autres principes et ne se
manifestent qu’à la suite de ceux‑ci. Quelquefois il y a un principe supérieur
auquel il faut remonter ; d’autres fois, le principe immédiat forme le
point d’arrêt. Quand on parvient au principe final, qui peut être du second
degré, du troisième, et même d’un degré plus élevé, on commence l’acte qui doit
amener le résultat désiré, et l’on part du principe le plus élevé auquel la
réflexion a pu atteindre. Ensuite on parcourt successivement les causes
secondaires, jusqu’au dernier principe, celui dont la pensée s’était préoccupée
d’abord. Ainsi, par exemple, l’homme qui veut faire un toit pour se couvrir
pense d’abord à un mur, qui doit soutenir ce toit, puis aux fondations, sur
lesquelles ce mur doit p.429 s’élever. Ici
l’acte de la réflexion ne va pas plus loin. Donc l’homme commence par poser les
fondations, ensuite il construit un mur, puis il termine son œuvre en
établissant le toit. La même idée se trouve exprimée dans cette maxime : Le
commencement de l’acte est la fin de la
réflexion, et le commencement de la réflexion est la fin de l’acte. En
effet, l’homme ne peut agir d’une manière complète sur ce qui est en dehors de
lui, à moins d’employer la réflexion pour reconnaître l’ordre et la connexion
des principes, parce que les uns dépendent des autres. C’est alors seulement
qu’il doit commencer l’acte. La réflexion part du dernier des effets, celui
par lequel se termine l’acte, et s’arrête au premier, celui par lequel l’acte
doit commencer. C’est par la découverte de cette ordonnance de principes et de
causes que les hommes ont donné à leurs actions de la suite et de la
régularité. *367 Les autres [8]
animaux agissent sans suite, parce qu’ils sont dépourvus de réflexion, seule
faculté par laquelle l’agent puisse reconnaître l’ordre du procédé qu’il doit
suivre. En effet, les animaux des classes inférieures n’acquièrent des
perceptions que par la voie des sens, perceptions isolées et privées de la
liaison que la réflexion seule aurait pu leur donner. Dans le monde des faits,
les actes [9]
qui se font avec suite sont les seuls qui ont de l’importance ; les actes
faits sans règle étant d’une nature très inférieure, et c’est dans cette
dernière classe que se rangent ceux des animaux. Il en résulte que l’homme peut
asservir les animaux, agir sur ce qui est renfermé dans le monde des faits,
étendre sa domination sur les êtres et les soumettre [10]
à sa volonté. Voilà ce que signifie la
lieutenance à laquelle Dieu a fait allusion dans ces paroles (Coran, sour. II, vers. 2) : Je
vais placer sur la terre un lieutenant.
La faculté réflective dont nous venons de parler, appartient spécialement
à l’homme et le distingue de tous les autres animaux. Plus la p.430 réflexion embrasse une suite régulière de
causes et d’effets, plus la véritable nature de l’humanité se développe (dans
l’homme). On trouve des hommes capables de reconnaître deux chaînons dans une
série de causes et d’effets ; d’autres peuvent en saisir trois, mais ils
sont incapables d’aller plus loin, D’autres peuvent suivre une série d’effets
jusqu’au cinquième ou au sixième résultat ; aussi, chez ceux-ci, la
qualité distinctive de l’humanité est plus développée que chez les autres.
Voyez deux joueurs d’échecs : l’un prévoit les troisièmes, et même les
cinquièmes résultats d’un coup ; et cela, parce qu’ils arrivent dans un ordre
convenu. Son adversaire, dont l’esprit a moins de portée, ne voit pas si loin.
Cet exemple, je l’avoue, n’est pas tout à fait juste : bien jouer aux
échecs est un talent acquis, connaître l’enchaînement des causes et des effets
dépend d’une disposition naturelle. Il peut cependant servir à celui qui veut
se rendre compte des principes que nous venons d’exposer. Dieu a créé l’homme
et lui a donné la supériorité sur la plupart des créatures. *368
De
l’intelligence expérimentale et de la manière dont elle se produit.
L’homme est citadin par nature [11]. Cette maxime, bien connue des personnes
qui ont entendu expliquer les livres des philosophes, est employée par eux
dans le chapitre qui démontre la réalité du prophétisme [12],
etc. Le mot citadin dérive de cité,
terme qui s’emploie pour désigner la réunion des hommes en société. La maxime
que nous venons de citer donne à entendre qu’un homme isolé ne saurait vivre ni
rendre son existence complète, à moins d’être avec ses semblables. En effet,
un homme seul est incapable d’obtenir la plénitude de l’existence et de la
vie ; aussi la nature l’oblige à chercher le concours de ses semblables
afin de se procurer les choses dont il a besoin. Ce concours, obtenu
nécessairement par un accord préliminaire, aboutit à une combinaison d’efforts
et à tout ce qui s’ensuit. p.431 Établi
d’abord pour imprimer une direction unique aux travaux des hommes, il peut
donner lieu à des querelles et à des disputes. Alors se développent les
sentiments d’aversion et d’affection, d’amitié et de haine ; ce qui, chez
les peuples et les tribus, amène la guerre ou la paix. De quelque façon que
cela arrive [13],
rien de semblable ne se montre chez les animaux, qui vivent abandonnés à eux‑mêmes :
il n’y a que l’espèce humaine chez laquelle cela se trouve, grâce à la bonté de
Dieu, qui lui a accordé la faculté de régler ses actions au moyen de la
réflexion, ainsi que nous venons de le dire. Dieu a implanté dans les hommes
cette puissance régulatrice ; il l’a même rendue facile à manier, afin
qu’ils l’emploient pour établir leur organisation politique et judiciaire. Elle
les porte à fuir le vice pour embrasser la vertu, et les éloigne du mal pour
les rapprocher du bien [14]
aussitôt qu’ils ont appris, par l’expérience et par l’habitude, à prévoir les
suites, bonnes ou mauvaises, de leurs actions. Voilà ce qui distingue les
hommes des autres animaux.
Chez l’homme, les fruits de la réflexion se voient dans la manière
dont il règle ses actions afin de les détourner de ce qui pourrait *369 avoir des suites nuisibles. Les notions qui
mènent à ce résultat ne sont pas tout à fait en dehors du domaine des sens, et,
pour les saisir, on n’a pas besoin de profondes recherches : elles
dérivent de l’expérience, et c’est par l’expérience qu’on les apprend. Ce sont
des idées particulières qui dépendent d’objets sensibles et dont l’exactitude
ou la fausseté se montre promptement dans l’application ; aussi c’est par
l’application qu’on parvient à les apprécier. Chaque individu en recueille
selon ses moyens et d’après l’expérience qu’il a acquise dans ses rapports avec
ses semblables. Parvenu, de cette manière, à savoir ce qu’il doit faire et ce
qu’il doit éviter, il obtient, p.432 en
fréquentant les hommes [15],
la faculté de vivre en société. Celui qui passe sa vie avec ses semblables
acquiert successivement toutes ces notions utiles.
Les résultats de l’expérience ne peuvent s’obtenir qu’avec le
temps ; mais bien des personnes tiennent de Dieu l’avantage de pouvoir les
apprendre dans un espace de temps bien plus court que celui dont l’expérience a
besoin. S’instruisant auprès de leurs parents, de leurs précepteurs et des
vieillards, elles recueillent beaucoup de notions et les conservent dans la
mémoire, ce qui leur épargne la nécessité d’étudier longtemps la corrélation de
faits, afin d’en tirer des conclusions. Celui qui ne possède pas ces
connaissances, qui n’en a pas obtenu d’autrui, ou qui a négligé de mettre à
profit les renseignements et les bons exemples qu’on lui a offerts, ne pourra
s’y instruire que par une longue application. Il doit s’engager dans une
matière qui ne lui est pas familière et l’aborder sans méthode. Les connaissances
qu’il acquiert de cette façon et les principes qu’il adopte pour se guider dans
ses relations sociales reposent sur une mauvaise base et offrent de nombreuses
lacunes ; aussi ne pourra‑t‑il guère se mettre en état de vivre avec ses
semblables. C’est ainsi que nous entendons le proverbe bien connu : Celui qui n’a pas été instruit par ses parents a eu
le temps pour précepteur. Cela veut dire : la personne qui n’a pas
appris les convenances sociales de son père et de sa mère, ou bien de *370 ses précepteurs et maîtres, ce qui revient
au même, est portée par la nature à s’instruire en observant les événements de
chaque jour ; donc le temps lui sert de précepteur. Cela est une
conséquence inévitable de l’impulsion donnée par le sentiment bien naturel de
la nécessité où l’on se trouve de se faire aider par ses semblables. Voilà
(comment se forme) l’intelligence expérimentale : elle arrive plus tard
que l’intelligence discernante, faculté d’où procèdent les actions de l’homme,
ainsi que nous l’avons dit.
L’intelligence spéculative, se développe
à la suite des autres. Nous p.433 n’entreprendrons
pas d’en expliquer la nature dans cet ouvrage, parce que les hommes versés dans
les sciences (spéculatives) se sont déjà chargés de cette tâche. Dieu vous a donné l’ouïe, la vue et des
cœurs ; mais très peu d’entre vous lui témoignent de la reconnaissance. (Coran, sour. XXIII, vers. 80.)
De la nature des connaissances
humaines et de celles des anges.
Nous avons en nous‑mêmes la conviction intime et certaine qu’il existe
trois mondes (ou catégories d’êtres), dont le premier est le monde qui tombe
sous les sens. Nous reconnaissons celui-ci aux impressions recueillies par les
sens, moyens de perception que nous possédons en commun avec les autres
animaux. La réflexion, faculté spéciale à l’homme, nous enseigne [16]
de la manière la plus positive l’existence de l’âme humaine ; (elle nous
le fait savoir) au moyen des connaissances acquises et renfermées dans notre
intérieur ; connaissances bien au‑dessus de celles qui proviennent des
sens. Voilà donc un monde supérieur au monde sensible. Le troisième monde est
au-dessus de nous et se reconnaît aux impressions qu’il laisse dans nos cœurs,
c’est‑à‑dire, aux volontés et inclinations qui nous portent à nous remuer pour
agir. Nous reconnaissons ainsi l’existence d’un agent qui nous fait agir et qui
est dans un monde au‑dessus du nôtre ; c’est là le monde des esprits et
des anges. Là se trouvent des essences (c’est‑à-dire des êtres) qui, malgré la
différence qui existe entre nous et elles, s’aperçoivent aux impressions
qu’elles font sur nous. On atteint quelquefois à ce monde supérieur et
spirituel ainsi qu’aux essences qu’il *371 renferme ;
la vision (spirituelle) et ce que nous éprouvons pendant le sommeil peuvent
nous y conduire. Dans le sommeil, on
apprend des choses dont on ne se doutait pas dans l’état de veille et
qui se trouvent ensuite justifiées par les événements. On reconnaît là des
vérités provenant du monde de la vérité. Quant aux songes confus, ce sont des formes déposées par la perception dans
l’intérieur de p.434 l’imagination
et au milieu desquelles la réflexion se retourne et s’agite, pendant qu’elle
est détachée de l’influence des sens. C’est là la preuve la plus claire que
nous pouvons offrir en faveur de l’existence du monde spirituel, monde que nous
comprenons seulement d’une manière générale, sans en connaître les
particularités.
Les philosophes théologiens ont prétendu indiquer les classes et
l’arrangement des essences appartenant au monde spirituel, essences qu’ils
nomment intelligences [17] ; mais ce qu’ils en disent ne renferme rien de certain. En effet
leur preuve spéculative ne remplit pas la condition exigée pour que cette
preuve soit valide. Ils ont eux‑mêmes posé cette condition dans leurs traités
de logique, en disant : « Dans une démonstration spéculative, les
propositions doivent être primitives (c’est‑à‑dire des premiers principes ou
axiomes) et intelligibles par elles-mêmes ». Or la vraie nature des
essences spirituelles est inconnue ; on ne peut donc rien prouver à leur
égard. Il n’y a aucun moyen d’apercevoir les subdivisions de ces
essences [18],
excepté par les indications que nous trouvons dans la loi révélée et dont la
clarté, ainsi que la certitude, est reconnue par la foi. De ces (trois) mondes,
celui de l’homme est le plus rapproché de notre compréhension, car son existence
nous est certifiée par la conviction intime que nous dérivons de nos
perceptions corporelles et spirituelles. L’homme participe avec les autres
animaux au monde des sens ; il participe au monde de l’intelligence et
des esprits avec les anges, dont les essences sont de la même espèce que la
sienne ; essences dépouillées de matière et de corporéité et formant une
intelligence pure dans laquelle se trouvent réunis l’intellect, l’agent
intellectuel et l’objet de l’intellect. La nature véritable de ces êtres
consiste alors, pour ainsi dire, en perceptivité et en intellect ; les
connaissances qu’ils possèdent sont toujours présentes *372 (à leur entendement) et s’accordent, par leur nature, avec
les choses connues, et cela, d’une manière parfaitement précise et sans la
moindre disparate.
p.435 Chez l’homme, la connaissance
c’est l’acquisition de la forme de l’objet connaissable. Il reçoit cette forme
dans son essence, où elle n’avait jamais été auparavant ; aussi tout ce
que l’homme sait se compose de connaissances acquises. L’essence dans laquelle
arrivent les formes des êtres dont on prend connaissance c’est l’âme, substance
hylique qui se revêt de la forme de l’existence, au fur et à mesure qu’elle
recueille les formes des choses connaissables. L’existence de l’âme a atteint
la perfection, tant en matière qu’en forme, lors de la mort du corps. Toute
connaissance que l’âme cherche à obtenir est, soit une affirmation, soit une
négation ; elle se procure l’une ou l’autre en se servant du terme (moyen)
qui lie les deux extrêmes [19].
Chaque connaissance que l’on obtient a besoin d’être justifiée par son accord
(avec la vérité) ; et, alors même qu’elle se laisse éclaircir par un
procédé artificiel, la démonstration, on ne l’aperçoit qu’à travers un voile.
La démonstration est donc bien différente de l’intuition qui existe chez les
anges. Quelquefois ce voile est écarté et la conformité de la connaissance
(avec la réalité) se montre clairement à la faculté perceptive. L’homme est
donc ignorant par nature ; cela s’aperçoit à l’incertitude qui affecte
toutes ses connaissances. Ce que l’homme sait lui arrive par la voie de
l’acquisition et par l’emploi de l’art. En effet, les connaissances qu’il
recherche au moyen de la réflexion ne s’obtiennent qu’en observant les
conditions imposées par l’art (de la logique).
Le voile dont nous venons de parler ne peut être levé que par le moyen
d’exercices spirituels, soit qu’on se serve d’invocations, dont la meilleure
est une prière pour écarter l’impureté et le péché, soit qu’on s’abstienne des
choses qui donnent satisfaction aux appétits importuns (du corps), et c’est par
le jeûne que l’on y parvient le plus sûrement, soit encore qu’on se tourne vers
Dieu avec toute la force de son âme. Dieu
a enseigné aux hommes ce qu’ils ne savaient pas. (Coran, sour.
XCVI, vers. 5.)
Sur les
connaissances acquises par les prophètes.
p.436 On sait que les hommes de cette
classe éprouvent des accès d’une *373 excitation
divine [20]
tout à fait étrangère aux impulsions et au caractère de la nature humaine. La
tendance qui les porte vers le Seigneur surpasse la force de l’humanité par la
perceptivité qu’elle donne à ces hommes (favorisés) et par l’influence qu’elle
exerce sur eux en les éloignant de la concupiscence, de la colère et de toutes
les passions qui dépendent du corps. Le prophète, étant détaché de tout ce qui
intéresse l’homme, se borne au strict nécessaire et s’adonne aux pratiques de
la haute dévotion. Rempli de piété, il exalte la gloire de Dieu autant qu’il
peut la connaître ; il annonce aux hommes les révélations qu’il a reçues
dans ses moments d’excitation et qui doivent servir à les diriger. En ceci les
prophètes suivent tous la même voie, et tiennent une conduite identique,
conduite que nous savons leur être habituelle, qui ne varie point et qui peut
être regardée comme le résultat d’une disposition qui leur est innée.
Nous avons déjà parlé de la révélation [21]
dans le chapitre qui traite des hommes ayant la faculté d’apercevoir les choses
du monde invisible, et nous avons fait observer que l’univers, avec toutes ses
catégories d’êtres, tant simples que composés, est arrangé naturellement dans
un ordre régulier, depuis le haut de l’échelle jusqu’en bas ; que ces catégories
touchent immédiatement les unes aux autres, et que les êtres [22]
placés à l’extrême limite de chaque catégorie sont prédisposés par leur nature
à se convertir en êtres faisant partie des catégories qui les avoisinent, soit
du côté supérieur, soit du côté inférieur. Il en est ainsi des quatre éléments
simples et matériels ; il en est ainsi du dattier et de la vigne, qui,
étant placés sur l’extrême limite de la catégorie des plantes, touchent à celle
des animaux, là où se trouvent les coquillages et les limaçons. Citons encore
le singe, animal qui p.437 réunit
l’adresse à la perceptivité, et qui se rencontre avec l’homme, être doué de
réflexion et de prévoyance. Cette disposition, par suite de laquelle les
extrémités de chaque catégorie touchent à celles des catégories voisines, est
désignée par le terme ittisal (jonction, contact).
Le monde spirituel est situé au‑dessus du nôtre : la perception
et la volonté, facultés que nous tenons de lui et qui laissent en nous-mêmes
des traces profondes, suffisent pour en démontrer l’existence. *374 Les êtres du monde spirituel se composent
de perception pure et d’intelligence sans mélange. C’est le monde des anges.
Il résulte nécessairement de ce que nous avons exposé que l’âme de
l’homme a une disposition innée à se dépouiller de la nature humaine pour
revêtir celle des anges et devenir ange en réalité pendant un seul instant de
temps, un moment aussi rapide qu’un clin d’œil [23].
Ensuite elle reprend la nature humaine, après avoir reçu, dans le monde des
anges, un message qu’elle doit porter à ses semblables de l’espèce humaine.
Voilà ce que signifient les mots révélation et discours des anges.
Tous les prophètes ont été créés avec
cette disposition ; elle leur est, pour ainsi dire, une qualité innée. En
se dépouillant de l’humanité, ils éprouvent des douleurs et poussent des
gémissements, ainsi que chacun le sait. Les connaissances qu’ils recueillent
pendant cet état d’exaltation s’obtiennent par la vue directe et par
l’intuition ; aucune erreur ni aucun défaut ne peuvent s’y glisser. Par
leur essence même elles s’accordent avec la vérité, car le voile qui cachait
aux prophètes le monde invisible a été enlevé, de sorte qu’ils peuvent le
voir directement. Lorsqu’ils [24]
ont quitté cet état pour rentrer dans la nature humaine, les connaissances
qu’ils y ont acquises ne perdent rien de leur clarté pendant le trajet [25].
Ces hommes, animés d’une ardeur qui leur est propre et qui les emporte vers le
monde spirituel, s’y rendent à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’ils aient pu
accomplir leur mission et ramener leurs compatriotes dans la bonne voie. Dieu a
dit (au nom p.438 de son Prophète) :
« Je ne suis qu’un homme semblable à vous ; j’ai appris par une
révélation que votre Dieu est un dieu unique ; agissez donc avec droiture
en sa présence et implorez sa miséricorde ». (Coran, sour. XLI,
vers. 5.)
Nous recommandons ce verset à la considération du lecteur et nous le
prions de revoir ce que nous avons dit vers le commencement de cet
ouvrage [26],
en traitant des diverses classes de personnes qui sont capables de recueillir
des connaissances dans le monde invisible. Il y trouvera une explication claire
et satisfaisante de cette matière, car nous l’avons examinée en détail. C’est Dieu qui peut nous aider par sa grâce. *375
L’homme est ignorant par sa nature ;
ce qu’il sait consiste en connaissances acquises [27].
En commençant ces chapitres, nous avons dit [28]
que l’homme appartenait à l’espèce des animaux, et qu’il se distinguait d’eux
par la réflexion. Cette faculté, qu’il tient de Dieu, s’appelle intelligence discernante, tant qu’elle
rend l’homme capable de mettre de la suite dans ses actions ; on la nomme intelligence expérimentale, quand elle
lui permet d’apprendre les opinions de ses semblables et ce qu’ils regardent
comme bon ou comme mauvais ; enfin on l’appelle intelligence spéculative, quand elle met l’homme à même de se
faire une idée juste des choses qui existent, tant de celles qu’il a sous les
yeux que de celles qu’il ne voit pas.
La réflexion ne vient pas à l’homme avant que son animalité soit
entièrement constituée ; elle se montre alors comme intelligence
discernante. Avant ce moment, l’homme est absolument dépourvu de connaissances
et doit être considéré [29]
comme un simple animal, puisque son existence commence par une goutte de
sperme, un caillot de sang et un morceau de chair [30].
Les connaissances qui lui surviennent dans la suite proviennent des deux sources
que Dieu a mises à sa p.439 disposition et
qui sont les perceptions des sens et l’influence des cœurs, c’est‑à-dire, la réflexion. Dieu, voulant nous reprocher
ses bienfaits, a dit : « Il (c’est‑à‑dire Dieu) vous a donné l’ouïe,
la vue et des cœurs. »
Tant que l’homme est dans la première période de son existence et
qu’il n’a pas encore obtenu la réflexion discernante, il n’est que matière
hylique, puisqu’il ne sait absolument rien. Ensuite la forme (de l’humanité)
s’achève par des connaissances acquises au moyen d’instruments qui se trouvent
à la disposition de l’homme : alors seulement l’humanité atteint la
perfection de son être. Considérez la phrase que Dieu adressa à son Prophète en
commençant à lui fournir des révélations : « Lis (dit‑il), au nom de
ton Seigneur, qui a créé (tout) ! il a créé l’homme d’un caillot de sang.
Lis, au nom de ton Seigneur, le très généreux, qui a enseigné l’usage du calam ! qui a enseigné à
l’homme ce qu’il (l’homme) ne savait pas ». (Coran, sour. XCVI.)
Cela signifie que la Divinité a permis à l’homme d’acquérir des connaissances
qu’il ne possédait pas à l’époque où il était un
*376 caillot de sang et un morceau de chair. Nous voyons par la nature
de l’homme et par l’essence de son être que, chez lui, l’ignorance était d’abord
totale (littéral. « essentielle ») et que son savoir consiste en
connaissances acquises. Les saints versets que nous venons de citer et qui
forment le commencement des révélations (faites à notre Prophète) indiquent la
même chose : ils rappellent à l’homme, sous la forme d’un reproche, la
première des diverses périodes de son existence, c’est‑à‑dire l’humanité dans
l’état de sa formation et dans l’état pendant lequel elle acquiert des
connaissances. Et Dieu a toujours possédé
le savoir et !a sagesse.
L’enseignement fait partie des arts.
Pour être habile dans ce qui est science, pour en posséder des
connaissances sûres et s’en rendre parfaitement maître, il faut avoir acquis la
faculté de bien comprendre les bases et les principes sur lesquels cette
science est fondée, avoir étudié les problèmes qui s’y p.440 rattachent et en avoir parcouru les fondamentaux dans
toutes leurs ramifications. On ne devient pas habile dans une branche de
connaissances tant qu’on ne possède pas la faculté dont nous parlons et qu’il
ne faut pas confondre avec celle d’entendre et de retenir. Nous voyons
quelquefois qu’un des problèmes d’une science est compris également bien par
l’homme versé dans cette matière et par le simple commençant, par le savant le
plus érudit et par l’homme du peuple qui n’a reçu aucune instruction. Mais la
faculté en question ne se trouve que chez le savant et chez l’homme
instruit ; nul autre ne la possède ; et cela montre que nous devons
la regarder comme tout à fait différente de l’entendement. Or toutes les
facultés acquises sont corporelles [31],
soit [32]
qu’elles aient leur siège dans le corps ou bien dans le cerveau, comme celles
de la réflexion et du calcul ; et, puisque tous les objets corporels sont
sensibles [33],
elles ne peuvent s’acquérir qu’au moyen de l’enseignement [34].
Voilà pourquoi, chez les peuples de tous les pays et dans toutes les
générations, on tient à ce que, pour chaque science et pour chaque art, le
système d’enseignement soit basé sur [35]
l’autorité et l’exemple de quelque docteur très renommé. Les différences qui
existent entre les divers systèmes d’enseignement
*377 en ce qui regarde les termes techniques montrent que l’enseignement
lui-même fait partie des arts. En effet, les maîtres les plus illustres dans
chaque science avaient chacun une terminologie particulière ainsi que cela
s’observe encore chez les professeurs de tous les arts. Donc les termes
techniques ne font pas partie de la science ; car, s’il en était ainsi,
tous les maîtres n’auraient qu’un seul et même système de terminologie. Voyez
quelles différences existent entre les termes employés par les anciens et ceux
adoptés par les p.441 modernes dans
l’enseignement, soit de la théologie scholastique, soit des principes
fondamentaux de la jurisprudence, soit encore de la grammaire arabe ou du
droit. Il en est de même de toutes les branches de connaissances que l’on
entreprend [36]
d’étudier : chaque maître se sert d’une terminologie différente. Cela
montre que les diverses terminologies employées dans l’instruction forment
autant d’arts, bien que la science en elle‑même soit unique.
Ces principes établis, je dirai que la bonne tradition en ce qui
regarde la pratique de l’enseignement [37]
a presque disparu de nos jours chez les peuples de l’Occident ; résultat
amené par la dépopulation de ce pays, par la ruine des dynasties qui y avaient
régné, et par une conséquence nécessaire de cet état de choses, à savoir la
perte totale des arts qui y avaient fleuri. Nous avons montré ailleurs que
cette conséquence est inévitable [38].
A l’époque où Cairouan et Cordoue étaient les métropoles du Maghreb et de
l’Espagne, la civilisation y avait fait beaucoup de progrès, les sciences et
les arts y trouvaient de grands encouragements et formaient un océan rempli
jusqu’aux bords. Une longue suite de siècles et les habitudes de la vie
sédentaire qui prédominaient dans ces villes permirent à l’enseignement d’y
pousser de profondes racines. Mais la décadence de ces capitales amena la ruine
presque totale de l’enseignement dans les pays de l’Occident.
Dans la première période de la dynastie des Almohades, l’art d’enseigner
avait disparu, excepté à Maroc, où l’on en possédait encore quelques principes
que l’on avait reçus [39]
des deux villes déjà nommées. Mais la civilisation de la vie sédentaire n’eut
pas la force de s’établir à Maroc, parce que l’empire almohade, dans les
premiers temps de son existence, était celui d’un peuple imbu des habitudes de
la vie nomade, et parce que son commencement fut bientôt suivi p.442 de sa fin [40].
Cela empêcha presque tous les usages de la vie sédentaire de s’y maintenir.
Vers le milieu du VIIe siècle, quand l’autorité du gouvernement *378 almohade fut renversée à Maroc [41],
un cadi, nommé Abou ’l-Cacem Ibn Zeïtoun, quitta l’Ifrîkiya,
et, s’étant rendu en Orient, il y rencontra les élèves [42]
de l’imam Ibn el‑Khatib [43], et s’instruisit auprès d’eux. Ayant
étudié leur manière d’enseigner et acquis une grande habileté dans les sciences
intellectuelles et traditionnelles, il rapporta à Tunis un vaste fonds de
connaissances et un excellent système d’enseignement. Abou Abd Allah Ibn
Choaïb, un membre de la tribu berbère des Dokkala, l’y suivit de près. Il avait
quitté le Maghreb pour visiter l’Orient et travailler sous [44]
les professeurs de l’Égypte ; et il se rendit ensuite à Tunis, où il fixa
son séjour. Les leçons qu’il y donna furent très instructives. Ce fut sous ces
deux professeurs que la jeunesse tunisienne fit ses études. Le système de
connaissances enseignées par eux se transmit d’une génération d’étudiants à
une autre, et, parvenu enfin au cadi Mohammed Ibn Abd es-Selam [45],
celui qui commenta les ouvrages d’Ibn el‑Hadjeb [46],
il passa de lui à ses disciples. Le même système fut apporté de Tunis à Tlemcen
par Ibn el‑Imam [47]
et ses disciples. Ce docteur avait étudié sous les mêmes maîtres et dans les
mêmes classes avec Ibn Abd es‑Selam. On trouve encore des élèves de celui-ci à
Tunis, et d’Ibn el‑Imam à Tlemcen, mais ils sont en si petit nombre qu’on peut
craindre de voir bientôt interrompre la tradition de l’enseignement introduit
par ces docteurs.
p.443 Vers la fin du VIIe siècle, un
membre de la tribu (berbère) de Mecheddala [48],
nommé Abou Ali Nacer ed-Dîn, quitta
le pays des Zouaoua [49]
et se rendit en Orient, où il fit des études sous les anciens élèves d’Abou Amr
Ibn el‑Hadjeb. Ayant appris à fond leur système d’enseignement et suivi, avec
Chihab ed-Dîn el‑Carafi [50],
les mêmes cours académiques, il devint très savant dans les sciences intellectuelles
et traditionnelles. Rentré dans le Maghreb avec un vaste fonds de science, il
s’établit à Bougie, où ses disciples conservent encore la tradition de son
excellent système d’enseignement. Il paraît qu’un de *379 ses disciples, le nommé Amran el‑Mecheddali [51],
alla se fixer à Tlemcen et y répandre la connaissance du système d’enseignement
suivi par son maître ; mais à peine reste-t‑il maintenant à Bougie et à
Tlemcen quelques disciples de l’école de Nacer ed‑Dîn.
Depuis la ruine de l’enseignement à Cordoue et à Cairouan, Fez et les
autres villes du Maghreb n’ont aucun système d’instruction qui soit passable.
Les bonnes traditions s’y sont perdues, de sorte que l’on n’y peut guère
acquérir la faculté de diriger avec habileté ses études scientifiques. La
manière la plus facile d’y parvenir [52],
ce serait de travailler à se délier [53]
la langue en prenant part à des entretiens et à des discussions scientifiques.
C’est ainsi qu’on se rapproche du but, et qu’on réussit à l’atteindre. On voit
beaucoup d’étudiants qui, après avoir passé une grande partie de leur vie à
suivre assidûment les cours d’enseignement, gardent le silence (quand on
discute une question scientifique) et ne prennent aucune part à la
conversation. Ils s’étaient donné plus de peine qu’il ne fallait pour se
charger la mémoire (de notions scientifiques), mais ils n’avaient rien acquis p.444 d’utile en ce qui touche la faculté de
faire valoir ses connaissances ou de les enseigner. Si vous examinez les
étudiants qui croient [54]
y être parvenus, vous trouverez que, chez eux, cette faculté ne répond pas à
l’étendue de leur savoir, soit qu’ils prennent part à un entretien littéraire,
ou à une discussion, soit qu’ils entreprennent d’enseigner. Ce défaut provient
de l’instruction défectueuse qu’ils ont reçue et de l’interruption des bonnes
traditions (académiques). Au reste, il faut convenir qu’ils savent par cœur
beaucoup plus que les autres, avantage qu’ils doivent à leur grande application
et à l’idée que, pour acquérir la faculté scientifique, il suffit de se charger
la mémoire. Cette idée est cependant tout à fait fausse. Pour montrer jusqu’à
quel point (l’usage d’apprendre par cœur) est porté dans le Maghreb, nous
dirons que le temps pendant lequel les étudiants doivent demeurer dans les
collèges est fixé à seize ans [55],
tandis qu’à Tunis il n’est que de cinq. Ce dernier chiffre est le minimum
reçu : on suppose qu’il faut au moins cinq années d’études avant que
l’élève puisse acquérir la faculté scientifique qui est l’objet de ses
souhaits, ou reconnaître qu’il doit renoncer à l’espoir d’y parvenir. Le plus
long de ces espaces de temps *380 était
devenu nécessaire dans le Maghreb, pendant les derniers siècles, à cause de la
difficulté (d’y acquérir la faculté dont nous parlons, difficulté) qui résultait uniquement de l’imperfection
du système d’enseignement.
En Espagne, les habitants ont laissé dépérir jusqu’aux derniers restes
de l’enseignement académique et ne s’occupent plus de matières scientifiques.
Cela a eu pour cause le déclin de la civilisation, qui, chez les musulmans de
ce pays, avait commencé depuis plusieurs siècles. On n’y retrouve [56]
aucune trace d’études, à l’exception toutefois de celle de la langue arabe et
des belles‑lettres. On se borne à cultiver ces branches de connaissances dont
on a conservé l’enseignement traditionnel, et c’est grâce à cette dernière
circonstance que ces deux sciences se sont maintenues en Espagne [57].
p.445 De l’étude du droit il ne reste
en Espagne qu’un vague souvenir, une ombre de la réalité, et celle des sciences
intellectuelles n’y a pas laissé même une trace. Cela doit s’attribuer à
l’interruption de la tradition scolaire, par suite du déclin de la
civilisation et du progrès de la domination chrétienne. Un petit nombre de
musulmans, ceux qui habitent les pays du littoral, ont conservé leur
indépendance, mais ils s’occupent bien plus de leurs moyens de subsistance que
des matières scientifiques. La puissance
de Dieu domine dans tous les événements.
La tradition de l’enseignement n’a pas été interrompue en
Orient ; les études y trouvent toujours des encouragements et
l’enseignement y est répandu comme une mer qui déborde. Cette tradition s’y est
conservée, parce que la civilisation n’y a jamais reculé. Quelques grandes
villes, telles que Baghdad, Basra et Koufa, ont pu tomber en ruine, après avoir
été les dépôts de toutes les connaissances scientifiques ; mais elles ont
été remplacées par d’autres encore plus grandes, d’où la science s’est répandue
dans l’Irac persan, et, de là, dans le Khoraçan et la Transoxiane, du côté de
l’Orient ; puis jusqu’au Caire et aux pays voisins, du côté de
l’Occident. Ces villes ont continué à posséder une nombreuse population et à
jouir d’une haute civilisation ; aussi les bonnes traditions de
l’enseignement s’y sont toujours maintenues.
Comme les Orientaux sont en général très habiles dans l’enseignement
et même dans tous les autres arts, la plupart des Maghrébins qui ont visité
l’Orient afin d’y faire des études se sont imaginé que, dans ce dernier pays,
les habitants sont bien supérieurs en intelligence
*381 à ceux du Maghreb. Ils pensent aussi que, chez les Orientaux,
l’âme raisonnable est plus complète par sa nature que chez les Occidentaux.
Voyant combien ceux‑là montrent de talent dans les sciences et d’habileté dans
les arts, ils croient que la différence qui existe (en ce point) entre les deux
peuples provient d’une p.446 différence
radicale dans leur constitution même [58].
Mais cette opinion est tout à fait erronée : la différence qui existe
entre les pays de l’Orient et ceux de l’Occident n’est pas assez considérable pour
produire une différence [59]
dans le même être individuel (la nature humaine). C’est tout au plus si cette
différence se laisse remarquer chez les habitants des contrées situées en
dehors de la zone tempérée, ceux du premier climat, par exemple, et ceux du
septième. Dans ces régions, la constitution de l’homme s’écarte du juste
milieu, et celle de l’âme s’en éloigne dans la même proportion, ainsi que nous
l’avons dit ailleurs [60].
La supériorité des Orientaux sur les Occidentaux dérive uniquement de l’intelligence
plus avancée que l’influence de la vie sédentaire a communiquée aux premiers.
C’est là un point que nous avons traité en parlant des arts [61] ;
mais nous ajouterons ici des éclaircissements afin de montrer l’exactitude de
ce que nous avons avancé.
Les peuples sédentaires observent certaines convenances (et une juste
mesure) dans tout ce qu’ils font. Cela se remarque dans leur manière de se
nourrir et de se loger ; dans le style de leurs édifices, dans les choses
qui concernent la religion et dans les affaires mondaines, enfin dans toutes
leurs habitudes [62],
transactions et procédés. Ils respectent ces convenances jusque dans le choix
des objets qui servent à l’alimentation et à l’habillement. Ce sont là, pour
ainsi dire, des limites qui leur sont imposées, et qui ne se laissent point
franchir. De plus, toutes ces pratiques constituent chez eux des arts qui se
transmettent d’une génération à une autre ; or il est certain que chaque
art forme un système dont la régularité doit nécessairement réagir sur l’âme et
lui communiquer un surcroît d’intelligence ; cela rend l’acquisition d’un
autre art plus facile, et dispose l’intelligence à saisir avec plus de
promptitude les connaissances (de tout genre).
p.447 Nous avons entendu dire que les
Égyptiens ont porté à un point incroyable leur habileté dans l’enseignement des
arts ; ainsi, pour en *382 citer un
exemple, ils dressent des ânes domestiques et d’autres quadrupèdes à faire des
tours, et enseignent aux oiseaux à prononcer des paroles isolées. Ces choses
sont si extraordinaires qu’elles remplissent les spectateurs d’admiration. Les
Maghrébins sont incapables de concevoir comment cela se fait, et, à plus forte
raison, de l’enseigner.
Le talent d’enseigner, celui d’exercer un art quelconque, et celui
d’agir avec adresse dans les diverses circonstances qui dépendent des habitudes
de la vie, augmentent la vigueur de l’intelligence si on les possède bien, et
donnent une grande clarté à l’esprit de l’homme, parce que ce sont autant de
facultés acquises à l’âme. Nous avons déjà dit que l’âme se forme au moyen des
perceptions et des facultés qui lui surviennent. Ce qui a augmenté la sagacité
de ceux‑là (les Orientaux), ce sont les impressions que les connaissances ainsi
apprises laissent sur l’âme. Croire que cette sagacité est le résultat d’une
différence réelle dans la nature même de l’humanité est une erreur que le
vulgaire seul est capable de commettre. Si l’on compare l’homme de la ville
avec celui du désert, on remarquera (il est vrai), chez le premier, un esprit
rempli de pénétration et de sagacité ; cela est même au point que l’homme
des champs se croit inférieur en nature et en intelligence au citadin. Il se
trompe cependant ; la supériorité de celui-ci provient de la parfaite
acquisition de facultés qui lui facilitent l’exercice des arts, ainsi que de
l’observation des convenances imposées par les usages et habitudes de la vie
sédentaire ; choses dont l’homme du désert n’a aucune idée. Quand le
citadin entend bien la pratique des arts et s’est acquis la faculté de les
exercer et de les enseigner bien, tous les individus [63]
à qui ces facultés manquent s’imaginent que l’autre les doit à la nature
supérieure de son intelligence, et que l’âne, chez les habitants du désert,
est bien inférieure en organisation et en nature aux âmes des citadins. Mais il
n’en est pas p.448 ainsi. Nous avons connu
des bédouins dignes du premier rang par leur intelligence, leur bon jugement et
la belle organisation de leur esprit. Ce qui distingue l’esprit du citadin,
c’est tout simplement l’éclat que la faculté d’exercer les arts et de les
enseigner lui a communiqué. En effet, ces talents acquis influent sur l’âme,
ainsi que nous l’avons dit. L’erreur au sujet des Orientaux est du même
genre : comme ils sont très habiles dans l’enseignement et tiennent le
premier rang dans l’exercice des arts, pendant que les Occidentaux (ou
Maghrébins) ont une civilisation qui diffère peu de celle de la vie nomade, les
gens irréfléchis, jugeant d’après les apparences, s’imaginent que cette différence
provient de la supériorité de la nature même [64]
des Orientaux, nature qu’ils croient leur être particulière, à l’exclusion des
Occidentaux ; mais c’est là une opinion tout à fait fausse, ainsi que le
lecteur doit bien s’en apercevoir. Dieu
ajoute aux choses créées autant qu’il veut. (Coran, sour. XXXV, vers. 1.)
*383
Les connaissances (ou sciences) ne se multiplient que dans
les lieux où la civilisation et les
usages de la vie sédentaire ont fait de grands progrès.
L’enseignement,
avons‑nous dit, fait partie des arts, et ceux‑ci se développent surtout dans
les grandes villes. Plus la population d’une ville est nombreuse et plus il y a
de civilisation et de luxe, plus les arts se perfectionnent et se multiplient.
Cela arrive parce que la culture des arts commence à la suite des efforts qui
ont assuré la subsistance du peuple [65].
Quand les hommes établis en société ont pu se procurer par leur travail plus
qu’il ne leur suffit pour vivre, ils dirigent leurs regards vers un but plus
éloigné, et s’occupent de matières qui, comme les sciences et les arts,
appartiennent plus intimement à la nature humaine. Si le natif d’un village ou
d’une ville qui n’est pas une métropole est poussé par une disposition
naturelle à recueillir des connaissances scientifiques, il n’y trouvera pas les
moyens p.449 d’instruction ; car
l’enseignement lui-même est un art [66],
et les arts n’existent pas chez les gens de la campagne, ainsi que nous l’avons
déjà montré. Donc, pour s’instruire, il faut se rendre dans une grande
ville [67].
Il en est ainsi de tous les arts [68].
Que le lecteur se rappelle ce que nous avons dit au sujet de Baghdad, de
Cordoue, de Cairouan, de Basra et de Koufa, quand nous parlions de la haute
prospérité dont ces villes jouissaient dans les premiers temps de l’islamisme,
et de la civilisation qui y régnait. L’océan des sciences y était plein à déborder ; *384 on y avait adopté divers systèmes
technologiques pour la pratique de l’enseignement et des autres arts ; on
s’y occupait à résoudre des problèmes scientifiques et à suivre la culture des
sciences dans toutes leurs branches, et l’on avait fini par l’emporter sur les
anciens et aller plus loin que les modernes. Mais, lorsque ces villes firent
déchues de leur prospérité et que leurs habitants se dispersèrent de tous
côtés, le tapis de la science qu’on y avait déployé fut plié et enlevé avec
tout ce qui le couvrait. Les sciences en disparurent alors, ainsi que
l’enseignement, pour se transporter dans les autres villes musulmanes. Autant
que je puis en juger, elles ne se trouvent, de nos jours, que dans le Caire, et
cela parce que l’Égypte a joui, depuis plusieurs milliers d’années, d’une
grande prospérité et d’une civilisation bien établie ; aussi les divers
arts, et l’enseignement en est un, y ont pris un grand développement et une
assiette solide.
Ce qui a contribué au maintien de cet état de choses, c’est la conduite
tenue par les membres du gouvernement turc (les Mamlouks) pendant les deux
derniers siècles, à partir du règne de Salah ed‑Dîn (Saladin), fils d’Aïyoub.
Les émirs turcs, pensant que l’empire pourrait un jour éprouver quelque grande
catastrophe et craignant que leur souverain ne fît des avanies aux enfants
qu’ils laisseraient après eux et sur lesquels il avait des droits, en leur
qualité d’esclaves ou d’affranchis, ont bâti un grand nombre de collèges, de
couvents et de cloîtres, auxquels ils ont assigné, à titre de ouakf [69],
des immeubles p.450 d’un bon
produit. En constituant ces ouakf, ils mirent pour condition que leurs
enfants en seraient les administrateurs [70]
ou toucheraient une partie du revenu. Au reste, ces émirs étaient presque tous
portés à faire le bien et les bonnes œuvres, et à diriger leurs intentions et
leurs actions en vue d’une récompense dans l’autre vie. Cela a eu pour résultat
que les ouakf sont très nombreux au Caire et qu’ils produisent des
revenus considérables, dont une partie est consacrée à l’entretien des
étudiants et aux traitements des professeurs ; aussi s’y rend-on de
l’Irac et du Maghreb pour faire ses études. Les marchés [71]
de la science y sont donc très achalandés et les océans du savoir y sont pleins
à déborder. Dieu crée ce qu’il veut. *385
Sur
les diverses sciences qui, de nos jours, existent dans la civilisation
(musulmane).
Les sciences étudiées par les hommes et qui, dans les grandes villes,
s’apprennent et se transmettent par la voie de l’acquisition et de
l’enseignement, se rangent en deux classes. La première est celle des sciences
qui sont naturelles à l’homme et vers l’acquisition desquelles il est conduit
par sa faculté réflective ; la seconde consiste en sciences
traditionnelles, provenant des individus qui les ont instituées. Celles qui
forment la première classe sont les sciences philosophiques [72].
La réflexion mène naturellement l’homme à en prendre connaissance, et les
perceptions qu’il éprouve le conduisent à reconnaître l’objet de chaque
science, les problèmes dont elle s’occupe, le mode de démonstration qui s’y
emploie et les diverses manières de l’enseigner. C’est ainsi qu’en sa qualité
d’être doué de réflexion il acquiert, par l’emploi de la spéculation et de
l’investigation, la faculté de distinguer la vérité de l’erreur. Les sciences
qui appartiennent à la seconde classe sont formées par institution et reçues
par tradition, et chacune d’elles se base sur des renseignements provenant du
législateur qui p.451 l’a
établie [73].
Celles‑ci ne sont du domaine de la raison qu’autant qu’il s’agit de rattacher à
leurs racines (bases ou principes fondamentaux) les questions qui doivent en
former les branches. En effet, (dans ces dernières sciences) les (notions)
particulières qui surgissent après (le principe général), et qui se présentent
les unes à la suite des autres, ne rentrent pas sous la règle générale à
laquelle toute science traditionnelle est soumise par le fait même de son
institution ; aussi, pour rattacher (ces branches à leurs racines), il
faut nécessairement avoir recours à un mode de raisonnement fondé sur
l’analogie. Or ce raisonnement analogique a pour base [74]
la déclaration transmise oralement et nous faisant connaître que la règle
(ci-dessus mentionnée) s’applique d’une manière absolue et invariable aux
fondements de ces sciences. Mais, comme (cette déclaration) est traditionnelle,
le raisonnement dont nous parlons et qui en dérive est traditionnel aussi.
Toutes les sciences de cette dernière classe sont fondées sur les prescriptions
du Livre (le Coran) et de la sonna, prescriptions dont l’observation nous est
imposée par Dieu et par son Prophète. Il en est de même des sciences qui ont
été établies [75]
dans le but de nous faciliter l’acquisition de celles‑ci. (Leur étude) amène
nécessairement celle des sciences qui ont pour objet la langue arabe, langue *386 du peuple musulman et dans laquelle le
Coran a été révélé.
Les sciences
traditionnelles sont très nombreuses, parce que chaque être responsable est
tenu de connaître les obligations que Dieu a imposées non seulement à lui,
mais aux autres membres de l’espèce humaine. On trouve ces obligations dans le
Coran et dans la sonna, sous la forme de textes écrits, ou bien dans les doctrines admises
unanimement par les anciens musulmans, ou bien encore dans des maximes que
l’on a rattachées (à ces textes ou à ces doctrines). Donc il faut
nécessairement commencer par étudier le sens des mots employés dans le Coran,
et c’est là la science de l’interprétation (tefcîr) ; ensuite, p.452 il faut faire remonter jusqu’au Prophète,
par une chaîne de traditionnistes dignes de foi, le texte du livre sacré tel
qu’il nous a été transmis de la part de Dieu [76] ;
il faut aussi apprendre les différences qui existent entre les divers systèmes
de leçons adoptés par les lecteurs : cela forme la science des
leçons coraniques (eïlm el‑carâat). Ensuite il faut savoir faire remonter
les traditions de la sonna jusqu’à leur auteur, donner des
renseignements sur les traditionnistes qui les ont rapportées, connaître
l’histoire de ces hommes, démontrer qu’ils étaient tellement vertueux qu’on
pouvait mettre une confiance entière dans leurs déclarations, et savoir [77]
employer tous les moyens exigés dans une tâche de cette nature. Telle est la
science des traditions (eïlm el‑hadîth).
Il faut alors savoir déduire (des fondamentaux de la loi) les maximes (qui en
découlent), en se servant d’un système de règles indiquant la manière dont
cette déduction doit être faite. Cela forme la science des fondamentaux de la
jurisprudence (osoul el-fikh). Les études de ce genre ont pour
résultat de faire connaître les prescriptions de Dieu en ce qui touche les
actions des êtres responsables, et de former la science de la jurisprudence (eïlm el‑fikh). Parmi les obligations (imposées à l’homme), les unes concernent
son corps et les autres son âme [78].
Celles‑ci se rattachent spécialement à la foi et à ce qu’on est obligé à croire
en fait de choses auxquelles on ne croirait pas (sans y être obligé). Elles
forment les dogmes qui se rapportent à l’essence et aux attributs de la
divinité, aux évènements du jour du jugement dernier, aux délices (du
paradis), aux peines (de l’enfer) et à la prédestination. La science qui
démontre ces dogmes au moyen de preuves tirées de la raison s’appelle la
théologie scolastique (eïlm el‑kelam). Avant d’aborder l’étude du Coran et
des traditions, il faut connaître les sciences qui se rattachent à la langue
(arabe), car c’est sur elles que cette étude doit s’appuyer. Il y en a plusieurs,
dont une est la lexicologie (logha) ; une autre, la grammaire p.453 (nahou) ; une autre, la rhétorique (beïan), et une autre, les belles-lettres (adeb), ainsi que le
lecteur le verra quand nous traiterons de ces sciences.
*387 Toutes les sciences
traditionnelles appartiennent spécialement à la religion musulmane et à ceux
qui la professent. Il est vrai que, en principe général, des sciences analogues
doivent se trouver chez les peuples des autres communions, sciences qui
diffèrent toutefois de celles‑ci, bien qu’elles soient de la même espèce. En
effet, les sciences islamiques se rattachent à la loi que Dieu révéla au
législateur et que celui-ci fut chargé de communiquer aux hommes. Elles ont
ceci de particulier qu’elles diffèrent des sciences des autres peuples, l’islamisme
ayant annulé les autres religions ; aussi doit‑on s’éloigner des sciences
dépendant des religions qui existaient avant l’islamisme : il n’est pas
permis de les étudier, car la loi défend la lecture d’autres livres révélés que
le Coran. Le Prophète a prononcé cette parole : « Ne dites pas à ceux
qui possèdent des livres révélés : Vous êtes dans le vrai, ou vous faites
des mensonges ; mais dites‑leur : Nous croyons à ce qui nous a été
révélé et à ce qui vous a été révélé ; votre Dieu est le nôtre ».
Ayant vu Omar qui tenait à la main une feuille du Pentateuque [79],
il se fâcha au point de laisser paraître sur sa figure l’expression de la
colère, et il lui dit : « Ne vous ai-je pas apporté une doctrine
claire et pure ? Par Allah ! si Moïse vivait encore, il ne saurait
s’empêcher de me suivre ».
Les sciences traditionnelles qui se rattachent à la loi islamique
reçurent des musulmans des encouragements sans bornes, et les personnes qui
s’adonnaient à leur étude en acquirent une connaissance d’une profondeur sans
égale. On dressa la terminologie de toutes les sciences, on les disposa par
classes et on leur donna une beauté et une élégance qui n’ont jamais été
surpassées. Il y avait à cette époque pour chaque science des hommes [80]
que l’on pouvait consulter (et dont p.454 la
parole faisait autorité), et l’on possédait les principes d’où l’on pouvait
déduire un système régulier d’enseignement. Les pays de l’Orient et ceux de
l’Occident jouissaient d’une manière spéciale de ce privilège, ainsi qu’on le
sait et que nous l’établirons en faisant la revue de *388 ces branches de connaissances. Mais, dans le Maghreb, de
nos jours, le marché de la science chôme presque tout à fait, en conséquence du
déclin de la civilisation et de l’interruption de l’enseignement traditionnel ;
voyez le chapitre précédent (p. 441).
J’ignore comment Dieu a traité l’Orient, mais je suis porté à croire que les
sciences y trouvent encore des encouragements et que les bonnes traditions
d’enseignement s’y sont toujours maintenues, non seulement pour les sciences,
mais pour les arts de première nécessité et pour ceux qui naissent quand le
bien‑être général est devenu complet. Je le suppose, parce que la population
est très nombreuse, que la civilisation de la vie sédentaire y est fort avancée
et que les étudiants y obtiennent des secours et des pensions auxquelles les
revenus des fondations pieuses doivent amplement suffire. Dieu règle les
vicissitudes de la nuit et du jour.
Des sciences coraniques, à savoir,
l’interprétation et la lecture.
Le Coran est la parole de Dieu, qu’il a envoyée du ciel à son Prophète
et qui forme un écrit placé entre les deux ais du livre (sacré). Cette parole
s’est conservée dans le peuple par une tradition authentique. Les Compagnons,
il est vrai, ceux qui apprirent du Prophète le texte du Coran, le rapportèrent
en son nom, mais avec des leçons (litt. des voies) qui différaient entre elles
à l’égard de la prononciation de certains mots et de la manière de proférer
certaines lettres. Ces systèmes de lecture, ayant été transmis par la voie de
la tradition, acquirent une grande publicité, et l’on finit par reconnaître
sept formes (ou voies) différentes d’énoncer (le texte du Coran) et basées
également sur des traditions authentiques. On désigne chacun de ces systèmes
par le nom du traditionniste le plus distingué d’entre le très grand nombre de
ceux qui l’ont rapporté. Ces sept leçons (ou
p.455 systèmes de lecture) servent de bases à la lecture
exacte du Coran. Quelques personnes y ont ajouté d’autres systèmes ; mais
ceux‑ci, aux yeux des docteurs versés dans la science de la lecture coranique,
ne s’appuient pas sur des traditions aussi sûres que les premiers. Les sept
leçons sont bien connues par les livres qui traitent de cette matière.
La transmission de chacune des sept leçons par une voie authentique
n’est pas admise par quelques docteurs. Selon eux, ces leçons ne sont que de
certaines manières d’après lesquelles on énonçait le texte coranique ; or
les manières d’énoncer (de vive voix) ne se laissent *389 pas fixer avec exactitude. « Mais cela, disent‑ils,
ne porte aucune atteinte à la certitude de la voie traditionnelle par laquelle
le Coran (lui-même) nous est parvenu ». La grande majorité des docteurs
repousse cette opinion et soutient que chacune de ces leçons a été transmise
par une voie parfaitement sûre. D’autres sont d’avis que la tradition des
leçons est certaine, à l’exception toutefois de la partie qui dépend de
l’énonciation, comme, par exemple la prolongation de l’élif et
l’adoucissement du hamza [81] : « La voie de l’audition, disent‑ils, ne nous fournit aucune
connaissance au sujet de la manière dont les modifications de ces lettres
doivent se faire ; » et cette opinion est la bonne.
Les (sept) leçons et la manière de les réciter continuèrent à se
transmettre parmi les lecteurs, jusqu’à ce qu’on eût mis par écrit et
enregistré dans des recueils les connaissances scientifiques. Alors les leçons
furent mises par écrit avec les autres [82]
sciences et formèrent l’objet d’un art particulier, d’une science sui
generis. Cet art se propagea parmi les peuples de l’Orient et de
l’Espagne, et passa, de génération en génération, jusqu’à ce que Modjahed [83]
eût établi sa souveraineté dans l’Espagne orientale. Ce prince, ancien client
de la famille d’Ibn Abi Amer [84],
avait cultivé cette branche de p.456 connaissances,
d’après les injonctions de son patron, qui avait mis le plus grand soin à son
éducation et qui ne manquait jamais de le présenter à tous les doctes lecteurs
qui venaient à sa cour. Après avoir acquis, dans cette partie, des
connaissances très étendues, et obtenu ensuite la souveraineté de Dénia et des
îles orientales (les Baléares), il encouragea l’étude de la science dans
laquelle il était lui-même un
si grand maître. Protecteur zélé des sciences en général, il favorisait d’une
manière toute particulière celle des leçons coraniques.
Abou Amr ed‑Dani (habitant de
Dénia) [85],
qui parut vers cette époque. parvint comme lecteur au premier rang. Ce fut à
lui qu’on fit remonter les connaissances que l’on possédait dans cette science,
et ce fut à son système de récitation que l’on fit aboutir les isnads des leçons qu’on enseignait. Les
nombreux ouvrages qu’il composa sur cette matière devinrent des autorités
auxquelles les lecteurs se rapportaient
avec confiance et qui firent négliger les anciens traités sur le même sujet. On
étudia surtout son ouvrage intitulé Teïcîr [86].
Dans une des générations
suivantes parut Abou ’l‑Cacem Ibn Ferro [87] es‑Chatebi (natif de Xativa). Ce
docteur, ayant entrepris d’arranger et d’abréger le recueil d’Abou Amr, mit en
vers tous les renseignements que celui-ci avait consignés dans ses écrits.
Comme il visait à p.457 *390 la
concision, il désigna, par des lettres de l’alphabet employées d’après un
système régulier, les noms des lecteurs (qu’il avait à citer), et rédigea son
ouvrage en vers afin qu’on pût le retenir plus facilement dans la mémoire [88].
Toute la science se trouve renfermée dans cet excellent traité. On se mit à
l’apprendre par cœur et à l’enseigner aux enfants [89]
dans les écoles, et cet usage se maintint (longtemps) dans les grandes villes
de la Mauritanie et de l’Andalousie.
On ajoute quelquefois à l’étude des leçons celle de l’écriture,
c’est-à‑dire, l’orthographe [90]
employée dans la transcription du Coran. La raison en est que plusieurs mots de
ce livre sont orthographiés contrairement à l’usage établi et aux règles.
Ainsi, par exemple, on trouve le mot ﺪﻳﻳﺎﺒ écrit avec un i (ﻲ) de
trop [91],
les mots ﻪﻨﺠﺬﺍﻻ [92]
et ﺍﻮﻌﺿﻭﺍﻻﻭ [93]
écrits avec un a (ﺍ) de trop, et un oua (ﻭ) de trop dans
l’expression ﻥﻳﻣﻠﺎﻅﻠﺍ ﺀﻮﺍﺯﺠ [94].
On remarque aussi que l’a est tantôt supprimé dans certains mots et
tantôt conservé, et que le t est quelquefois représenté par un ﺖ allongé
quand il devait avoir la forme du t lié (ﺔ), lettre qui ressemble à l’h
(ﻪ). Nous avons indiqué la cause de ces irrégularités dans notre chapitre sur
l’écriture [95],
et, comme elles sont contraires aux règles et aux principes fondamentaux de
l’orthographe, on s’est cru obligé d’en faire l’énumération et d’en parler
dans les livres qui traitent des sciences.
Quand ces écrits furent parvenus dans les contrées de l’Occident,
Abou [96]
Amr ed‑Dani en prit connaissance et composa sur la même matière plusieurs
traités, dont le mieux connu est celui qui
p.458 porte le titre d’El‑Mocné.
Cet ouvrage fut bien accueilli par le public et devint pour lui une autorité
décisive. Mis en vers par Abou ’l‑Cacem (Ibn Ferro) de Xativa, il forme un
poème qui est très connu et dont la rime a pour base la lettre r. On
s’empressa d’apprendre cette pièce par cœur.
Il survint ensuite une très grande diversité dans les manières d’écrire
certains mots et groupes de lettres autres que ceux dont nous avons parlé. Ces
variantes furent signalées dans les écrits d’Abou *391 Dawoud Soleïman Ibn Nedjah, affranchi de Modjahed et
célèbre [97]
comme rapporteur des doctrines enseignées par son professeur [98]
Abou Amr ed‑Dani, et comme répétiteur des livres composé par ce docteur.
D’autres irrégularités d’orthographe s’étant ensuite propagées dans le
monde, un natif de Maghreb, qui vivait dans ces derniers temps et qui
s’appelait El‑Kharraz, les signala dans un autre poème, composé en vers
libres (ardjouza), et indiqua les noms des personnages sur l’autorité
desquels on les avait reçues. Ce traité renferme de plus un grand nombre de
discussions qui manquent dans le Mocnê.
Il a acquis une grande publicité dans les pays de l’Occident ;
c’est le seul ouvrage sur cette matière que les étudiants apprennent par cœur,
car ils ont laissé de côté les écrits d’Abou Dawoud, d’Abou Amr et d’Es‑Chatebi.
De l’interprétation du texte
coranique.
Le Coran fut envoyé du ciel en langue arabe et dans un style conforme
à la manière suivie par les Arabes pour bien exprimer leurs pensées. Ils le
comprenaient tous alors, et entendaient parfaitement les idées simples et
composées qu’il renferme. Il fut révélé phrase par phrase, verset par verset,
selon les occasions, soit pour manifester la doctrine de l’unité de Dieu,
soit pour indiquer les obligations auxquelles les hommes doivent se soumettre
dans ce p.459 monde. De ces passages, les uns
énoncent les dogmes de la foi, d’autres renferment des prescriptions servant à
régler les actions de l’homme [99].
Il y en a aussi qui, révélés d’abord, ont été annulés par d’autres, révélés
postérieurement. Ce fut le Prophète qui en donna l’explication. Dieu lui‑même a
dit : (Nous l’avons donné un livre) afin que tu expliques aux hommes ce qui leur
a été envoyé du ciel (Coran, sour. XVI, verset 46) ; aussi, ce
fut le Prophète qui en développa le sens, distingua les versets abrogeants de
ceux qui sont abrogés et communiqua ces connaissances à ses Compagnons. Ce fut
aussi de sa bouche que les Compagnons apprirent la signification (des versets)
et les circonstances qui avaient donné lieu à leur révélation. Ainsi, pour
n’en citer qu’un exemple, ils surent que ces paroles, L’assistance de Dieu et la victoire étant venues [100],
étaient l’annonce de la mort du Prophète [101].
On tient des Compagnons quelques autres indications d’un genre analogue. Leurs
disciples communiquèrent ces notions les uns aux autres et les transmirent
aux générations suivantes. *392 (Cet usage
continua jusqu’à l’époque où les divers genres de connaissances acquises par
les musulmans formèrent autant de sciences et furent mis par écrit dans des
recueils. Une grande partie de ces renseignements (au sujet du Coran) fut alors
transcrite dans des livres dont quelques‑uns offraient les traditions provenant des
Compagnons et de leurs disciples. Les commentateurs, tels que Taberi [102],
el-Ouakedi [103],
Thaalebi [104],
et autres, à qui ces renseignements étaient parvenus (par la voie de la
transmission orale), firent de leur mieux pour les mettre par écrit. Les
sciences qui se rapportaient à la langue arabe, à l’institution primitive des
mots, aux principes qui régissaient p.460 les
inflexions grammaticales [105]
et à la manière de combiner les mots afin d’exprimer les idées avec justesse et
élégance, devinrent plus tard les objets de l’enseignement professionnel [106],
et il fallut les réunir dans des recueils. Jusqu’alors, ces notions avaient été
tellement familières au peuple arabe qu’il n’avait aucun besoin de recourir à
des livres ou à la tradition orale pour se les procurer ; mais ensuite
elles avaient commencé à tomber dans l’oubli et à ne plus se retrouver que dans
les écrits des philologues ; aussi était‑on obligé de recourir à ces
ouvrages quand on s’occupait de l’interprétation du Coran, car ce livre était
en langue arabe et dans un style conforme à la manière dont ce peuple s’y
prenait pour bien exprimer ses idées.
L’interprétation du Coran forma ainsi deux branches (d’exégèse), dont
l’une s’appelle traditionnelle (et
l’autre philologique). La première s’appuie sur des
renseignements oraux qui remontent aux premiers musulmans et consistent en la
connaissance de l’abrogeant et
l’abrogé [107], des circonstances qui donnèrent lieu à
la révélation des divers passages du Coran, et de l’objet de chaque verset.
Rien de tout cela n’a pu se connaître que par des indications provenant des Compagnons
et de leurs disciples. Les docteurs d’autrefois avaient réuni ces
renseignements dans des recueils ; mais leurs ouvrages renfermaient du bon
et du mauvais, des traditions dont les unes étaient acceptables et les autres rejetables [108]. Cela tenait à ce que les Arabes
n’étaient pas de ces peuples qui possédaient des livres révélés et des notions
spécifiques, mais des gens habitués à la vie nomade et profondément
ignorants ; aussi, quand ils voulaient connaître les causes *393 qui produisirent les êtres sublunaires, le
mode de la création du monde, les mystères de l’univers, et autres choses qui
intéressent profondément l’esprit humain, ils s’adressaient aux peuples qui p.461 avaient déjà reçu des livres révélés et
acceptèrent leurs renseignements. Ces peuples étaient les gens du Pentateuque, c’est‑à‑dire les juifs, et ceux qui les
suivirent dans leur religion, c’est‑à‑dire les chrétiens. Or les gens du
Pentateuque qui habitaient alors parmi les Arabes étaient nomades (et
ignorants) comme eux et ne possédaient pas plus de connaissances que le
vulgaire de leurs coreligionnaires. La plupart d’entre eux étaient des [109]
Himyérites convertis au judaïsme. Lorsqu’ils embrassèrent la doctrine
musulmane, ils conservèrent (une masse de récits) qui n’avaient aucun rapport
avec les principes de la loi islamique qu’ils venaient d’apprendre :
telles furent les traditions au sujet de l’origine des êtres créés, les
prédictions de grandes catastrophes et autres choses de ce genre. Les personnes
dont nous parlons étaient Kaab el‑Abbar [110],
Ouehb Ibn Monebbeh [111],
Abd Allah Ibn Selam [112],
etc. Les commentaires du Coran se remplirent alors de récits provenant de ces
individus, sans remonter plus haut, se rapportant à des matières analogues à
celles dont nous avons fait mention, et n’ayant pas assez de connexion avec les
articles de la loi islamique pour qu’on se donnât la peine d’y rechercher ceux
qui étaient authentiques et dignes d’être acceptés. Les commentateurs se montrèrent
très faciles là‑dessus et remplirent leurs livres de récits de ce genre. Ils
les reçurent des gens du Pentateuque, ainsi que nous venons de le dire,
d’individus qui habitaient le désert et qui étaient tout à fait incapables de
prouver l’exactitude des histoires qu’ils p.462
racontaient. Ce fut la grande réputation de ces néophytes et la haute
considération dont on les entourait, à cause de leur zèle pour la religion
musulmane, qui portèrent les commentateurs à adopter leurs communications.
L’on s’appliqua plus tard à vérifier les traditions et à rechercher
leur authenticité, et, dans un des derniers siècles, un docteur nommé Abou Mohammed Ibn Atiya [113],
étant venu au Maghreb, résuma le contenu
*394 de ces commentaires, en y prenant surtout ce qui semblait le plus
rapproché de la vérité. Son ouvrage, qui est très bien rédigé, est fort répandu
dans ce pays et en Espagne. El-Cortobi [114]
vint après lui et suivit précisément le même plan et la même méthode dans un
traité qui jouit d’une grande réputation en Orient.
La seconde branche de la science d’interprétation coranique est
purement philologique, étant basée sur la connaissance de la langue [115]
et sur l’art de bien exprimer ses pensées au moyen de termes et de tournures
convenables [116].
Cette branche se trouve rarement isolée de l’autre, laquelle est la seule qu’on
regarde comme essentielle. En effet, l’interprétation philologique commence
seulement à se développer quand la connaissance de la langue et des sciences
qui s’y rattachent ne s’acquiert plus que par l’étude. Il est vrai cependant
que, dans certains commentaires, elle occupe la principale place.
Le meilleur ouvrage de cette (dernière) classe est celui qui porte le
titre d’El‑Keschaf (qui dévoile, révélateur) et qui a pour
auteur Ez-Zamakhcheri [117],
natif du Kharism de l’Irac [118].
Mais malheureusement p.463 ce docteur
professa les opinions des Motazelites en ce qui touche à certains dogmes de la
foi, et cela le porta à insérer dans son ouvrage des arguments en faveur des
doctrines pernicieuses de ces sectaires, toutes les fois que les figures de
rhétorique offertes par certains versets du Coran lui en donnaient
l’occasion : aussi les docteurs sonnites les plus scrupuleux se détournent‑ils
de ce livre et mettent‑ils le public en garde contre le venin qui s’y trouve
caché ; mais cela ne les empêche pas de reconnaître le profond savoir de
l’auteur en tout ce qui touche à la langue et au style. Ceux qui connaissent
bien les doctrines orthodoxes et qui savent employer de bons raisonnements
pour les défendre pourront lire cet ouvrage sans tomber dans les pièges qu’ils
doivent y rencontrer. Je leur recommande même de prendre connaissance de ce
traité, à cause du talent extraordinaire déployé par l’auteur dans les diverses
branches de la science philologique.
Nous avons reçu dernièrement, en Maghreb un ouvrage composé par Cheref
ed‑Dîn et‑Teïibi [119],
natif de Tauris dans l’Irac persan. L’auteur commente le texte de Zamakhcheri
mot par mot, tout en exposant la futilité des preuves alléguées par ce docteur
en faveur du système des Motazelites. Il y démontre aussi que les expressions
figurées du Coran doivent s’entendre d’après le système des Sonnites et non pas
d’après celui des Motazelites. Dans ce livre, il déploie un profond savoir
ainsi qu’une grande connaissance de toutes les branches de la rhétorique. Il
est quelqu’un plus savant que les
savants. (Coran, sour. XII, vers. 76.)
Des sciences qui ont pour objet les
traditions.
Les sciences qui ont pour objet les traditions sont très nombreuses et
de diverses espèces. Une de ces sciences regarde les traditions qui p.464 annulent les autres et celles qui ont été
annulées. Il faut savoir que notre loi admet la validité de ces abrogations et
enseigne qu’elles ont eu lieu par une grâce spéciale de Dieu envers les hommes,
et dans le but d’alléger les obligations dont il les avait chargés et de contribuer
à leur bien‑être. Dieu a dit (à son Prophète) : Nous n’abrogerons
aucun verset de ce livre ni n’en ferons
disparaître un seul de ta mémoire, sans le remplacer par un autre qui sera meilleur ou pareil. (Coran, sour. II, vers. 100).
[La connaissance de l’abrogeant
et l’abrogé se rapporte également
au texte du Coran et à celui des traditions ; mais, en ce qui regarde le
Coran, cette connaissance se trouve incluse dans la science de l’exégèse [120],
tandis que celle qui regarde le texte des traditions tient une place
particulière parmi les sciences qui ont les traditions pour objet [121].]
Quand deux déclarations (soit du Coran, soit des traditions) se
contredisent, l’une étant négative et l’autre affirmative, et qu’elles ne se
laissent pas concilier par la voie de l’interprétation, on n’a qu’à connaître
celle qui a été énoncée en premier lieu pour être assuré que celle dont
l’énonciation a eu lieu postérieurement annule l’autre. De toutes les sciences
qui ont pour objet les traditions, celle‑ci est la plus importante et la plus
difficile. « Les savants, dit Ez‑Zohri [122]
se sont fatigués et épuisés en travaillant à distinguer l’abrogeant de l’abrogé, dans
les traditions provenant du Prophète de Dieu ». L’imam Es‑Chafêi était
profondément versé dans cette branche de connaissances.
p.465 *396 [ [123]Parmi
les sciences qui ont les traditions pour objet on compte celle qui nous apprend
les règles établies par les anciens docteurs en traditions, dans le but de nous
faire connaître les isnads, les rapporteurs
(de traditions, leurs noms, la manière dont les uns recevaient les traditions
des autres, leur caractère et leur conduite, le rang qu’ils occupaient parmi
les traditionnistes et les divers systèmes de termes techniques [124].
Voici l’avantage qui découle de cette étude : les docteurs de la loi sont
unanimement d’accord sur l’obligation de conformer ses actions à ce qui est
indiqué dans les traditions attribuées au Prophète et dont l’authenticité a été
reconnue. L’établissement *397 de leur
authenticité dépend d’une condition, à savoir, qu’on ait dans l’esprit plus de
motifs pour y croire que pour la nier. Celui qui s’occupe de questions de
cette nature est donc obligé par devoir de vérifier les points qui lui ont
servi pour établir son opinion. Pour cela il doit examiner les isnads de la tradition et savoir d’une
manière certaine que les individus qui l’ont rapportée étaient d’une probité
bien constatée (adala), jouissaient d’une bonne mémoire (dabt),
retenaient exactement ce qu’ils avaient appris (itcan), et n’étaient pas
disposés à l’incurie ni à la négligence. La constatation de ces qualités résulte
des déclarations fournies par des docteurs d’un mérite reconnu. On doit aussi
connaître le rang que chaque traditionniste tenait dans la science et la
manière dont il avait reçu ses traditions ; si c’était oralement, de la
bouche même de son précepteur, ou en les lisant sous la direction de ce maître,
ou en les entendant lire à un autre sous p.466
cette direction, ou en se les faisant écrire par son précepteur, ou en
les obtenant de lui déjà écrites (monaouela), ou en se faisant donner par ce docteur une
licence d’enseigner certaines traditions avec une attestation p.467 de leur authenticité. Les traditions acceptables [125]
sont celles qui ont été transmises
par des traditionnistes (d’une probité bien constatée).]
[Selon les docteurs qui cultivent cette science, les traditions qui
tiennent le premier rang parmi les acceptables
sont les saines (sahîh) et
puis les passables (hacen) ; celles du rang inférieur sont les faibles (dhaîf),
terme qui comprend les relâchées (morcel),
les interrompues (moncateâ),
les réfractaires (modhal), les défectueuses (moallel), les exceptionnelles (chadd), les extraordinaires (gharîb) et les désapprouvées (monker) [126].
Parmi les traditions faibles il y en a dont le rejet est admis par
quelques critiques et désapprouvé par d’autres ; il s’en trouve aussi sur
(le rejet) desquelles ils sont tous d’accord. Il en est de même en ce qui
regarde les traditions saines : parmi elles s’en trouvent plusieurs
que tous les docteurs reçoivent comme authentiques, et d’autres sur lesquelles
ils différent d’avis. Une grande diversité d’opinions existe aussi parmi les
docteurs au sujet de la signification précise de chacun de ces termes
techniques.]
[A la suite de cette partie, on discute la signification des mots remarquables
qui se rencontrent dans les textes mêmes des traditions et dont on a formé des
classes qui se désignent par les termes rare (gharîb), obscur
(mochkel), altéré (mosahhaf) et homonyme
(mofterec). On a dressé un
corps de règles qui servent à faire reconnaître les mots qui doivent entrer
dans chacune de ces classes, à en expliquer le sens et à distinguer les isnads qui n’ont pas subi
d’altérations.]
[Le premier des grands docteurs en traditions qui rédigea un code de
cette espèce fut Abou Abd Allah el‑Hakem [127] ;
ce fut lui qui disposa les règles en ordre et en fit valoir la grande utilité.
Les traités qu’il composa sur cette matière sont bien connus. Après lui vinrent
d’autres docteurs qui écrivirent des livres sur le même sujet. Celui d’entre
eux dont l’ouvrage est le mieux connu vivait au commencement du *398 VIIe siècle et s’appelait Abou Amr Ibn es‑Salâh [128].
Un autre docteur, Mohii ed‑Dîn en‑Newaoui [129],
le suivit dans la même voie. Cette branche de la science (des traditions) a un
but bien noble, car elle enseigne les moyens qu’il faut employer afin (de
reconnaître et) de conserver les traditions provenant de l’auteur de notre loi,
de sorte qu’on puisse distinguer celles qu’il faut recevoir de celles qu’il
faut rejeter.]
[Les Compagnons et leurs disciples qui ont rapporté (les traditions
qui forment) la Sonna étaient des personnages bien connus dans les grandes
villes de l’empire musulman. Les uns habitaient le Hidjaz, les autres
demeuraient à Koura, à Basra, en Syrie et en Égypte. Ils comptaient tous parmi
les gens les plus marquants de leurs générations respectives. Le système d’isnads
employé par les traditionnistes du Hidjaz est bien supérieur à celui dont les
autres traditionnistes se servaient, et corrobore singulièrement
l’authenticité des traditions. Cela tient à l’extrême soin qu’ils mettaient à
observer toutes p.469 les conditions
exigées pour la transmission de ces renseignements. Les Hidjaziens ne
recevaient des traditions que de la bouche d’hommes probes et vertueux, doués
d’une bonne mémoire ; ils évitaient surtout d’écouter des rapports
provenant de gens obscurs dont on ignorait les antécédents.] L’école du
Hidjaz, établie après le temps des premiers musulmans, eut pour chef l’imam
Malek [130],
le grand savant de Médine. Après lui vinrent ses élèves, l’imam Abou Abd Allah
Mohammed Ibn Idris es‑Chafêi [131],
les docteurs Ibn Ouehb [132],
Ibn Bokeïr [133],
El-Canabi [134],
et Mohammed Ibn el‑Hacen [135].
L’imam Ahmed Ibn Hanbel [136]
parut ensuite, ainsi que d’autres docteurs très distingués.
Dans les premiers temps de l’islamisme, la connaissance de la loi
était purement traditionnelle. [On n’avait recours (pour former ses jugements)
ni à la spéculation, ni à son opinion privée, ni à des raisonnements fondés sur
des analogies.] Les musulmans de cette époque s’appliquaient à l’étude de la
loi et travaillaient avec tant de zèle à en reconnaître les véritables
doctrines, qu’ils y réussirent. L’imam Malek rédigea son Mowatta
[d’après le système des légistes du Hidjaz] et y consigna les principes
fondamentaux de jurisprudence qui se trouvent dans les traditions dont
l’authenticité est universellement admise. Il adopta pour son livre le même
ordre de chapitres et les mêmes titres qui s’emploient dans les traités de
droit.
Les docteurs en traditions s’occupèrent ensuite de la science qui a
pour objet les diverses voies (ou filières) par lesquelles certaines
traditions (identiques) leur étaient parvenues ; [ces voies étaient celles
des écoles du Hidjaz, de l’Irac, etc.] car il arrivait quelquefois que la même
tradition leur était transmise par plusieurs voies [et par différentes séries
de rapporteurs]. Quelques traditions leur venaient, les p.470 *399 unes par une seule voie, et d’autres par plusieurs,
[ce qui leur permit de répéter celles‑ci dans leurs ouvrages, sous les divers
titres employés dans les traités de droit, en se guidant] d’après les
indications qu’elles contenaient.
Mohammed Ibn Ismaïl el‑Bokhari, le chef des traditionnistes de son
époque [agrandit beaucoup le domaine de la transmission des traditions et]
publia celles de la Sonna par ordre de matières, dans son Mosned (ou corps de traditions authentiques)
intitulé le Sahîh. Il y réunit aussi les différentes voies (ou filières)
suivies par les traditionnistes du Hidjaz, de l’Irac et de la Syrie, mais en
ayant soin d’omettre celles sur l’exactitude desquelles on n’était pas d’accord
et de ne conserver que les autres. Il reproduisit souvent les mêmes traditions
plusieurs fois, en les distribuant sous les divers titres des chapitres
auxquels leur contenu avait quelque rapport. Des traditions identiques se
trouvent donc répétées [dans plusieurs chapitres, selon les diverses
indications qu’elles renferment, ainsi que nous venons de le faire observer.
En effet, son livre renferme] [137]
sept mille deux cents traditions, dont trois mille sont reproduites avec des voies
et des isnads différents dans divers
chapitres.
L’imam Moslem, fils d’El‑Haddjadj el‑Cocheïri, parut ensuite et
composa un Sahîh sur le plan adopté par El‑Bokhari et qui consistait à ne donner que
les traditions dont l’authenticité était universellement admise. Il supprima,
toutefois, les doubles emplois et réunit à chaque tradition les diverses voies et isnads qui lui appartenaient. (A l’exemple d’El‑Bokhari),
il distribua son ouvrage en chapitres [138]
dont les titres et le contenu correspondaient à ceux que l’on trouve dans les
traités de droit. Mais, malgré toute son application, il ne put rassembler dans
son livre toutes les traditions saines ;
aussi a‑t‑on rédigé des traités pour remédier aux défauts [139]
de ce livre et de celui p.471 d’El‑Bokhari
[en signalant les cas dans lesquels les auteurs ont passé trop légèrement sur
les conditions requises pour l’authenticité des traditions [140].]
Quelque temps après, on vit paraître des ouvrages traitant de la Sonna
et encore plus étendus que celui d’El‑Bokhari. Ils eurent pour auteurs Abou
Dawoud es‑Sidjistani [141],
Abou Eïça et‑Termidi [142],
et Abou Abd er‑Rahman en‑Neçaï [143],
qui visèrent à rassembler toutes les traditions offrant les conditions
nécessaires pour devenir des règles de conduite. Ils les choisirent parmi
celles qui devaient le premier rang à l’excellence de leurs isnads et
que l’on désigne par le terme saines, comme
on le sait, et parmi celles des classes inférieures, c’est‑à‑dire les passables et les autres. Ils avaient
l’intention de fournir ainsi des indications aux personnes qui cherchaient à
bien régler leurs actions en *400 se
conformant aux usages et à la pratique du Prophète. Voilà les mosneds [144] (ou recueils authentiques) qui ont le plus
d’autorité dans l’islamisme et qui ont donné naissance à tous les autres
recueils de traditions touchant la Sonna (les gestes, actes et paroles
de Mohammed).
[Les cinq ouvrages dont nous venons de parler [145]
furent suivis de plusieurs autres, tels que : le Mosned d’Abou Dawoud et‑Teïalici [146],
d’El‑Bezzar [147],
d’Abd Ibn Hamîd [148],
d’Ed‑Daremi [149],
d’Abou Yala ’l‑Mauceli [150]
et de l’imam Ahmed (Ibn Hanbel). « Dans ces compilations, les auteurs
s’occupèrent uniquement des traditions provenant des Compagnons du Prophète et
soutenues par de bonnes autorités ; mais ils ne s’en servirent pas comme
preuves pour établir des articles de loi. » Telles sont les paroles d’Ibn
es‑Salâh, mais nous savons par la voie de la tradition que l’imam Ahmed en a
dit le contraire à son fils Abd Allah, en parlant de son Mosned, ouvrage qui renferme
trente et un mille traditions, et plusieurs de ses élèves ont fait la même
déclaration. Voici ce qu’ils racontent : « Il a dit en nous lisant
son Mosned : J’ai choisi les matériaux de ce
livre dans une masse de sept cent cinquante mille traditions, et vous n’y
trouverez [151]
aucune de ces traditions relatives au Prophète sur l’authenticité desquelles
les (anciens) musulmans furent en désaccord ; celles‑ci ne peuvent pas
servir d’arguments ». Cela fait voir que toutes les traditions contenues
dans les Mosneds peuvent très bien
s’employer comme bases d’arguments, malgré ce qu’en a dit Ibn es‑Salâh. J’ai
pris ce renseignement dans le Menakeb el‑Imam Ahmed (mérites de
l’imam Ahmed), ouvrage composé par Ibn el‑Djauzi [152]].
p.473 *401 On a renoncé aujourd’hui à
la pratique d’exhumer et de publier des traditions, ainsi qu’à celle de
corriger les (erreurs et oublis des) anciens (compilateurs). L’habitude de lire
les œuvres de ces grands maîtres nous a bien démontré qu’ils étaient assez
nombreux, assez rapprochés les uns des autres par les époques où ils vivaient,
et assez consciencieux pour ne rien négliger des traditions de la Sonna et pour ne rien laisser à ramasser
par les docteurs venus après eux. Supposer le contraire ne nous est guère
permis. Le travail auquel on s’occupe de nos jours consiste à corriger le texte
écrit des grands recueils fondamentaux et à en déterminer les vraies leçons,
en se faisant réciter ces textes par des personnes qui les savent par cœur et
en prouvant que cette récitation traditionnelle remonte jusqu’au temps des
premiers rapporteurs. (On vise) à établir la filiation (de ces textes écrits)
par des isnads qui soient solides
depuis leur point de départ jusqu’à leur dernier terme. Ce travail critique ne
s’est fait que pour le texte des cinq recueils fondamentaux et pour un très
petit nombre d’autres ouvrages.
Le Sahîh d’El‑Bokhari tient
le premier rang parmi ces recueils, mais il est difficile à entendre, et ceux
qui tâchent de découvrir les tendances de sa rédaction se trouvent (pour ainsi
dire) devant une porte fermée. Pour bien le comprendre, il faut connaître les
diverses voies de chaque tradition,
les noms des individus qui se les sont successivement transmises, savoir s’ils
étaient du Hidjaz, ou de la Syrie, ou de l’Irac, connaître les circonstances de
leur vie et les différences d’opinion qui ont eu lieu à l’égard de leur
caractère. Il faut aussi avoir étudié la science du droit, afin de s’apercevoir
du sens réel de chaque titre de chapitre. L’auteur inscrivait le titre d’abord,
puis il y insérait une tradition avec un isnad
ou voie ; ensuite il écrivait un autre titre sous lequel il
plaçait cette même tradition, pour la raison que son contenu avait un certain
rapport avec ce titre. Il procéda ainsi de chapitre en chapitre, et alla
jusqu’à reproduire plusieurs fois une même tradition dans divers chapitres, en
se guidant d’après les indications différentes qu’elle pouvait fournir.
p.474 *402 [On voit [153],
à l’inspection de ces titres, qu’un certain rapport doit exister entre eux et
les traditions qui les accompagnent ; mais, dans [154]
un assez grand nombre de cas, ce rapport est difficile à saisir, et cela a
donné lieu à de longues disquisitions. Aussi, pour citer un exemple de ces
difficultés, nous indiquerons le chapitre intitulé Kitab el‑fiten (chapitre sur les calamités), où se trouve un
sous-chapitre portant le titre de L’Abyssin
aux petites jambes (Dhou ’l-Soueï-cateïn) détruira [155]
la Caaba, et offrant ensuite ce
passage : « Dieu très haut a dit : Et lorsque nous établîmes la maison sainte pour
être la retraite et l’asile des hommes ». (Sour.
II, vers. 119.) L’auteur n’y ajoute plus rien, de sorte qu’on n’aperçoit
pas le rapport qui peut exister entre le titre et le contenu du chapitre.
Quelques docteurs ont tâché de lever la difficulté en disant qu’El‑Bokhari
avait écrit d’abord les titres de chapitre dans son brouillon et distribué
ensuite les traditions dans les chapitres au fur et à mesure qu’il se les rappelait.
« Mais il mourut, disent‑ils, avant d’avoir rempli tous les chapitres, et
l’œuvre fut ensuite lue et enseignée dans cet état. » J’ai entendu
expliquer la difficulté d’une autre manière par les anciens élèves d’Ibn
Bekkar, cadi de Grenade, qui trouva le martyre sur le champ de bataille, l’an
741 (1340 de J. C.), en combattant les chrétiens à Tarifa [156],
et qui possédait une connaissance parfaite du Sahîh d’El‑Bokhari. Selon lui, l’auteur avait adopté ce titre de
chapitre dans le but de faire comprendre le sens du verset du Coran, en indiquant
que l’immunité de la maison sainte n’était pas prédestinée (pour toujours), mais prescrite (par une loi révocable), et, de montrer que la difficulté
provenait de ce qu’on avait expliqué le mot établîmes
par prédestinâmes. En
supposant que ce mot ait le sens de prescrivîmes,
on ne sera pas embarrassé d’admettre que la maison sainte sera
détruite par l’homme aux petites jambes. J’ai
entendu cette explication de la bouche de notre professeur Abou ’l-Berekat el‑Belfîki [157],
qui la tenait directement du cadi dont il fut un des principaux disciples.]
Celui qui entreprend d’expliquer le livre (d’El‑Bokhari) et qui n’en
aplanit pas toutes les difficultés de cette nature ne remplit pas les devoirs
d’un commentateur et peut être mis sur le même rang qu’Ibn Battal [158],
Ibn el‑Mohelleb, Ibn et‑Tin [159],
et leurs pareils. J’ai entendu *403 dire à
plusieurs de mes professeurs que la tâche d’expliquer l’ouvrage d’El‑Bokhari
est une obligation que la religion impose à la communauté musulmane. Par ces
paroles ils donnaient à entendre qu’aucun savant (uléma) de la
communauté n’avait rempli ce devoir d’une manière satisfaisante [160].
Passons au Sahîh de Moslem. Les savants de l’Occident l’ont
étudié avec une application extrême et, s’accordent à lui donner la préférence
sur celui d’El‑Bokhari. « On lui a accordé cette préférence, dit Ibn es‑Salâh,
par la raison que l’auteur en a écarté toutes les traditions non saines qu’El‑Bokhari avait admises
dans le sien, malgré les conditions de critique qu’il s’était imposées, ainsi
que la plupart des indications inexactes qu’il avait mises en tête de ses
chapitres ». L’imam El‑Mazeri [161],
jurisconsulte de l’école de Malek, composa, sur le Sahîh de Moslem, un commentaire qu’il intitula El‑Molem bi-fewaïd Moslem (l’indicateur des renseignements utiles
de Moslem), et qui renferme p.476 des
sources abondantes de connaissances relatives aux traditions, ainsi que de
solides renseignements sur des questions de droit. Le cadi Eïyad [162],
qui vécut plus tard, compléta ce livre et lui donna le titre d’Ikmal el‑Molem (le complément de
l’indicateur), et Mohii ed‑Dîn en‑Newaouï [163],
qui vint après eux, suppléa à ce qui manquait aux deux ouvrages en y ajoutant
un ample commentaire.
Les [trois] autres recueils de traditions sont ceux que les légistes
consultent le plus souvent et aux textes desquels les livres de droit
fournissent le plus d’éclaircissements : Mais, comme ces renseignements
ne s’appliquaient pas aux questions qui se rattachent à la science des
traditions proprement dite, on a composé des traités pour réparer cette
omission, et l’on y a inséré tout ce qui était nécessaire en fait de notions
se rapportant à la science des traditions. Ils renferment aussi le sens des
traditions et les isnads qui
accompagnent celles dont les indications servent de règles de conduite et qui
forment la Sonna.
De nos jours, les traditions se trouvent rangées en plusieurs classes,
dont une renferme les saines, et les
autres les passables, les faibles, les
*404 défectueuses, etc. Ce
furent les docteurs en traditions et les critiques les plus exacts qui
établirent cette classification et la firent connaître, et (puisqu’ils ont
épuisé la matière,) la voie n’est plus ouverte pour procéder à la vérification
des traditions dont l’authenticité n’a pas été déjà déterminée.
Les grands maîtres dans cette partie savaient si bien les traditions,
ainsi que les voies et les isnads auxquels elles sont jointes, que,
s’ils en entendaient réciter une à laquelle on aurait accolé une autre voie
ou un autre isnad que le sien, ils se
seraient tout de suite aperçus p.477 du
changement. C’est ce qui arriva à l’imam El‑Bokhari lorsqu’il vint à
Baghdad : les traditionnistes qu’il allait voir essayèrent de l’éprouver
en lui demandant son opinion au sujet de certaines traditions dont ils avaient
changé les isnads, et il leur
répondit : « Je ne connais pas celles‑là, mais un tel m’a communiqué
des traditions ainsi conçues), et il les répétait toutes dans leur forme
véritable, en réunissant chaque texte à l’isnad qui lui appartenait. Ces
docteurs convinrent alors qu’El‑Bokhari était un des grands maîtres dans cette
science.
Entre les grands imams qui travaillèrent consciencieusement à résoudre
des questions légales et à former des jugements sur des points de droit, il
existait une différence remarquable en ce qui regarde le nombre des traditions
qu’ils ont fournies : les uns en possédaient une provision très grande, et
les autres n’en avaient qu’une petite. On dit que le nombre des traditions
enseignées par Abou Hanîfa montait à environ dix‑sept [ou à cinquante selon un
autre rapport]. Le nombre de traditions saines
possédées par Malek, et qu’il consigna dans le Mowatta, est d’environ trois cents. Ahmed Ibn
Hanbel inséra trente [164]
mille des siennes dans son mosned. Chacun
d’eux en a donné autant qu’il en avait pu recueillir par un travail zélé et
consciencieux.
Quelques hommes pervers et animés par l’esprit de parti sont allés
jusqu’à [165]
dire que plusieurs de ces docteurs n’avaient appris qu’un petit nombre de
traditions et que ce fut pour cette raison qu’ils en rapportèrent si peu. Il
n’est pas permis d’entretenir une telle croyance à l’égard de personnages aussi
illustres ; car, puisque la loi dérive du Coran et de la Sonna, celui qui ne sait qu’un petit
nombre de traditions est soumis au devoir d’en recueillir davantage *405 et de les enseigner avec tout le zèle et
toute l’application possibles. (Il doit les apprendre) s’il veut connaître les
véritables bases de la loi religieuse et faire remonter les maximes de la
jurisprudence p.478 musulmane
jusqu’à celui qui a promulgué l’islamisme et qui nous l’a communiqué de la part
de Dieu. S’ils ont rapporté peu de traditions, c’est parce qu’ils redoutaient
les attaques que l’on pourrait diriger contre ces renseignements et les défauts
qui pourraient se rencontrer [166]
dans leurs voies, et surtout parce
que la généralité des hommes est plutôt portée à blâmer qu’à approuver. Chacun
de ces imams se vit donc obligé, en conscience, de laisser de côté toutes les
traditions, voies et isnads
dans lesquels des imperfections se présentaient et, comme ils possédaient
beaucoup de traditions dont les voies étaient quelquefois faibles, ils n’en rapportèrent qu’un petit nombre. Les docteurs du
Hidjaz en ont donné au public plus que ceux de l’Irac, parce que Médine (la
ville qu’ils habitaient) était devenue le siège de l’émigration (depuis que
Mohammed s’était enfui de la Mecque), et qu’elle formait l’asile où ses
compagnons s’étaient réfugiés. Ceux d’entre les Compagnons qui (dans la suite)
passèrent en Irac étaient trop occupés à combattre les infidèles pour enseigner
les traditions. Celles qu’Abou Hanîfa a rapportées sont peu nombreuses, parce
qu’avant d’en avoir reconnu l’exactitude et d’avoir constaté la probité des
personnes qui les avaient rapportées, il exigeait rigoureusement que toutes les
conditions d’authenticité fussent parfaitement remplies. Il se montra très
difficile, et, [comme toute tradition paraît faible si on la soumet à une critique trop
sévère, il] n’en rapporta que très peu [167].
Bien que les traditions provenant de lui soient peu nombreuses, il est loin
d’être vrai que ce docteur ait renoncé, de propos délibéré, à en rapporter.
Loin de lui une pareille imputation. Ce qui prouve qu’il était un des plus
grands docteurs en traditions et des plus consciencieux, c’est la grande
autorité dont son système de droit jouit chez les musulmans, et la confiance
qu’ils mettent en l’auteur et dans ses opinions, soit qu’il approuve, soit
qu’il rejette.
Les autres traditionnistes, c’est‑à‑dire la
grande majorité (des p.479 individus qui
s’occupaient de cette branche de science) se montraient beaucoup moins
exigeants sur ces conditions et rapportaient un grand nombre de traditions,
tout en y allant de la meilleure foi. Après la mort d’Abou Hanîfa, ses
disciples se relâchèrent beaucoup de la rigueur de ces conditions et publièrent
des traditions en quantité. C’est ce que fit Et‑Tahaoui [168],
dont le mosned forme un gros ouvrage,
qui est cependant loin d’égaler en mérite les deux Sahîhs (celui d’El‑Bokhari et celui de Moslem). El‑Bokhari et
Moslem observèrent, dans la composition de leurs recueils, les conditions
universellement acceptées *406 par les grands
docteurs, ainsi qu’ils le déclarent eux‑mêmes, tandis qu’Et-Tahaoui en
admettait qui n’étaient pas généralement reconnues. Ainsi, par exemple, il
appuyait ses traditions sur l’autorité d’individus dont on ignorait le
caractère et les antécédents. Cela suffit [169]
pour assurer la préférence au Sahîh d’El‑Bokhari et à celui de Moslem,
et même aux autres recueils de Sonna généralement reçus ; car les
conditions qu’Et‑Tahaoui exigeait pour l’authenticité de ses traditions
étaient beaucoup moins rigoureuses que celles dont les compilateurs de ces
ouvrages avaient regardé l’observation comme nécessaire. Aussi dit‑on, au sujet
des deux Sahîhs, qu’on doit les accepter hardiment, parce que tout le
monde avoue que leur contenu est authentique et remplit toutes les conditions
universellement admises. Cela étant ainsi, on ne doit rien penser de mal à
l’égard des docteurs (qui n’ont rapporté qu’un petit nombre de
traditions) ; il faut toujours avoir d’eux l’opinion la plus favorable et
chercher de bonnes raisons pour les justifier.
[On compte [170],
au nombre des sciences qui se rattachent aux traditions, l’application des
règles de critique dont nous avons parlé aux principaux recueils, afin de
montrer pourquoi on a rangé plusieurs traditions sous certains titres et dans
certains chapitres, plutôt p.480 que de
les placer ailleurs. C’est ce que firent le hafedh [171] Abou Omar Ibn Abd el‑Berr [172],
Abou Mohammed Ibn Hazm [173],
le cadi Eïyad, Mohii ed‑Dîn en‑Newaouï, Ibn el‑Attar [174],
qui vint après ces deux derniers, et plusieurs autres docteurs tant de
l’Occident que de l’Orient. Bien que leurs traités renferment d’autres
matières, comme des questions qui se rapportent à la signification des textes
rapportés par eux, aux termes qui s’y emploient et à leur construction grammaticale,
on doit convenir que leurs observations sur les isnads offrent une foule de bons renseignements au sujet des
traditions, et que leurs ouvrages renferment plus de matières et sont plus
abondants que les autres traités. De toutes les sciences qui se rattachent aux
traditions, il n’y a que celles dont nous avons parlé qui se cultivent encore
parmi les docteurs établis dans les grandes villes.] Dieu nous dirige vers la vérité ; c’est par son aide seulement que
nous pouvons y parvenir.
NOTE
sur
QUELQUES TERMES
TECHNIQUES
employés dans
LA SCIENCE DES
TRADITIONS.
p.481 Une tradition (hadith ou hadîts
ﺙﻳﺪﺤ) est un récit renfermant une sentence ou une déclaration (coul
ﻞﻮﻗ) énoncée par l’auteur de la loi musulmane, ou bien l’indication d’un acte
(fial ﻞﻌﻓ) par lequel il avait attiré l’attention de ses disciples, les
Compagnons. Quelques traditions constatent aussi le silence gardé par le
législateur (tacrîr, ﺮﻴﺮﻗﺗ) au sujet de certains cas qui s’étaient
présentés ; ce silence équivalait à une approbation formelle. Les
Compagnons transmirent ces renseignements à leurs disciples, les Tabês ;
ceux‑ci les communiquèrent à une nouvelle génération, qui les transmit à une
autre, et ainsi de suite, tant que dura l’enseignement de vive voix. Celui qui
avait appris une tradition était tenu à l’enseigner sans rien y changer ni
ajouter, et il devait de plus indiquer les noms des personnes par la filière
desquelles cette tradition lui était parvenue. Aussi toute tradition doit‑elle
commencer par cette formule : J’entendis dire à Zeïd (par exemple),
d’après Omar, d’après Ahmed. . . . . . . etc. que le Prophète de Dieu
avait dit. Cela s’appelle l’isnad (ﺪﺍﻨﺴﺍ), ou appui, servant
à soutenir le metn (ﻥﺗﻤ), ou texte de la tradition. Un texte
dépourvu d’un appui de cette nature n’est d’aucune valeur, puisqu’on ne
saurait en reconnaître l’authenticité qu’à l’examen de son isnad. Pour
qu’un isnad soit regardé comme bon, il faut que les personnes dont les
noms s’y trouvent mentionnés se soient distinguées par leur probité (ﺔﻟﺍﺪﻋ adala),
leur piété (ﻯﻭﻗﺗ tacoua) et leur bonne mémoire (ﻂﺒﺿ dhabt). Il
faut aussi que la série des rapporteurs remonte sans interruption jusqu’à
Mohammed, et qu’elle n’offre aucun anachronisme. L’authenticité de quelques
milliers de traditions est bien constatée, selon les docteurs musulmans ;
mais, de l’avis des mêmes critiques, toutes les autres traditions, au nombre de
plusieurs centaines de mille, offrent des défauts qui nuisent à leur
authenticité, ou bien elles ne remplissent pas entièrement les conditions
requises pour les rendre acceptables. Les docteurs qui s’occupèrent à
distinguer les bonnes traditions des mauvaises eurent besoin de termes
techniques pour marquer la valeur précise de chaque tradition, désigner les
divers caractères des isnads et indiquer les nombreux genres
d’imperfection que ces séries de noms propres pourraient offrir. Dans
l’impossibilité d’inventer de nouveaux mots, ce que la langue arabe ne permet
pas, ils empruntèrent au langage usuel un assez grand nombre de termes dont ils
modifièrent la signification. Ibn Khaldoun ayant employé plusieurs de ces mots
dans cette seconde partie, je les ai rendus par des équivalents, en me
réservant la faculté de les expliquer tous dans une note. Voici la liste de ces
noms, traduits en français et disposés en ordre alphabétique :
§ Abrogé
(ﺥﻭﺳﻨﻤ mensoukh). Un texte annulé par un autre texte énoncé
postérieurement.
§ Abrogeant
(ﺦﺴﺎﻨ nasikh). Un texte dont le contenu est en contradiction avec celui
d’un autre texte déjà énoncé ; il sert à l’annuler.
§ Acceptable
(ﻞﻮﺑﻘﻣ macboul). Une tradition remplissant toutes les conditions
requises.
§ Admis
(ﻑﻮﺭﻌﻣ marouf). Une tradition faible qui a pour la confirmer une
autre tradition faible.
§ Admissible.
Voyez Acceptable.
§ Altéré
(ﻒّﺣﺼﻣ mosahhaf). Un isnad dans lequel un ou plusieurs noms
propres sont mal orthographiés. — Un texte dans lequel un mot ou un nom est mal
orthographié.
§ Arrêté
(ﻒﻮﻗﻮﻣ maoucouf). Un isnad qui remonte jusqu’à un des Compagnons,
sans aller jusqu’au Prophète.
§ Bien
appuyé (ﺪﻨﺴﻣ mosned). Une tradition dont l’isnad remonte
jusqu’au Prophète. — Un recueil de traditions avec leurs isnads.
§ Bon
à apprendre par cœur (ﻅﻭﻔﺣﻣ mahfoudh). Celle de deux traditions désapprouvées
qui l’emporte en valeur sur l’autre.
§ Collectif
(ﻰﻠﺎﻣﺠﺍ idjmali). Tradition se rapportant à plusieurs choses.
§ Connu.
Voyez Admis.
§ Consécutif
(ﻊﺒﺎﺗﻤ motabiâ). Une tradition qui correspond à une autre : soit
pour le sens, soit pour les expressions ; mais elle ne reçoit pas cette
désignation à moins que les deux traditions ne proviennent du même Compagnon.
§ Continu
(ﻞﺻّﺘﻤ mottecel). Une tradition dont l’isnad n’offre pas de
lacune.
§ Coupé (ﻉﻭﻁﻗﻣ mactouâ). Un isnad dont on ne peut
établir la continuité par aucun moyen.
§ Défectueux
(ﻞﻠﻌﻤ moallel). Se dit d’un isnad ou d’un texte renfermant un
défaut caché, provenant d’une erreur du rapporteur.
§ Déguisé
(ﺲّﻠﺪﻣ modellès). Un isnad dans lequel le rapporteur ne fait pas
mention de la personne dont il avait appris la tradition, et déclare l’avoir
tenue directement d’un autre individu, de celui qui, en réalité, avait enseigné
la tradition à cette personne. Une autre
espèce d’isnad déguisé est celui dans lequel le dernier rapporteur
supprime le nom d’un de ses garants, ou remplace ce nom par le surnom de cet
individu. Cette supercherie se pratiquait quand la personne dont on supprimait
ou déguisait le nom était suspecte de mensonge ou de mauvaise mémoire.
§ Dérangé
(ﺐﺮﻂﺿﻣ modtarib). Une tradition dans laquelle il y a un mot déplacé, ou
bien une tradition dans laquelle un ou plusieurs mots ont été ajoutés ou
supprimés. — Un isnad joint à un texte qui ne lui appartient pas. — Un isnad
dans lequel un des noms propres est donné incorrectement. — Un texte abrégé.
§ Désapprouvé
(ﺭﻜﻨﻣ monker). Une tradition provenant d’un rapporteur de faible
autorité, et en contradiction avec une autre tradition fournie par un
rapporteur dont l’autorité est encore plus faible. C’est l’opposé de la
tradition admise.
§ Disséminé
partout (ﺭﺗﺍﻮﺗﻣ motewater). Une tradition dont les rapporteurs
sont si nombreux qu’il est impossible de supposer qu’ils se soient concertés
pour publier un mensonge.
§ Douteux
(ﻞﻜﺷﻣ mochkel). Une tradition dont l’authenticité n’est pas bien
établie.
§ Élevé
(ﻉﻮﻔﺭﻣ merfouâ). Le récit, fait par un Compagnon, d’une parole ou d’un
acte émané du Prophète, et dont ce Compagnon a été l’auditeur ou le témoin.
§ Enchaîné
(ﻞﺴﻞﺴﻣ moselsel) : Une tradition qui remonte d’un rapporteur à un
autre, sans interruption, jusqu’au Prophète.
§ Exceptionnel
(ّﺬﺎﺷ chadd). Une tradition provenant d’un rapporteur de bonne autorité
et en contradiction avec une autre tradition fournie par d’autres rapporteurs
dignes de foi.
§ Extraordinaire
(ﺐﻳﺭﻏ gharîb). Une tradition authentique qui ne provient que d’un seul
individu d’entre les Compagnons.
§ Faible
(ﻑﻳﻌﻀ dhaîf). Une tradition qui ne remplit pas toutes les conditions
requises.
§ Filière.
Voyez Voie.
§ Hommes
des traditions (ﺚﻳﺪﺣﻠﺍ ﻞﺎﺠﺭ ridjal el‑hadîth). Tous les rapporteurs
dont les noms sont cités dans les isnads.
§ Homonyme
(ﻒﻠﺗﻮُﻣ moutalef). Se dit d’un isnad dans lequel le
nom d’un des rapporteurs s’écrit comme celui d’un autre rapporteur, mais se
prononce différemment.
§ Interpolé
(ﺝﺭﺪﻣ modredj). Une tradition dans laquelle se trouve une observation ou
glose insérée par un des premiers rapporteurs, soit Compagnon, soit Tabê,
et cela dans le but d’éclaircir une expression ou de fixer le sens d’un mot.
§ Interrompu
(ﻊﻃﻗﻨﻣ moncateâ). Un isnad duquel un ou plusieurs noms ont
disparu.
§ Notoire
(ﺭﻮﻬﺸﻣ mech’hour). Une tradition authentique provenant simultanément de
plus de deux individus d’entre les Compagnons.
§ Passable
(ﻥﺴﺣ hacen). Une tradition
offrant un léger défaut auquel on peut remédier à l’aide d’autres
renseignements.
§ Précieux
(ﺯﻳﺯﻋ âzîz). Une tradition authentique qui provient simultanément de
deux individus d’entre les Compagnons.
§ Rapporteur
(ﻯﻭﺍﺭ raoui). Celui qui a rapporté une tradition.
§ Rare.
Voyez Extraordinaire.
§ Récusable.
Voyez Désapprouvé.
§ Réfractaire
(ﻞﺿﻌﻣ modhal). Un isnad duquel un ou plusieurs noms ont disparu.
— Un isnad qui offre une lacune de deux noms propres qui devaient se
suivre directement.
§ Rejetable
(ﺪﻮﺪﺭﻣ merdoud). Une tradition provenant d’un rapporteur dont l’autorité
est faible, et qui contredit une autre tradition fournie par des rapporteurs
dignes de foi.
§ Relâché
(ﻞﺴﺭﻣ morcel). Un texte sans isnad. — Un texte dont l’isnad
est incomplet par la fin, ayant perdu un ou plusieurs noms propres qui devaient
s’y trouver. — Un isnad dans lequel le nom du Tabé (ou second
rapporteur) a été omis.
§ Renversé
(ﺐﻭﻠﻗﻣ macloub). Une tradition généralement reconnue comme étant
provenue d’un certain rapporteur, mais attribuée (dans l’isnad) à un
autre.
§ Répandu
(ﺾﻳﻔﺗﺴﻣ mostafidh). Une tradition notoire. Voyez ce mot.
§ Sain
(ﺢﻳﺣﺻ sahîh). Une tradition sans
défaut et remplissant toutes les conditions d’authenticité est appelé saine,
à moins qu’elle ne se trouve en contradiction avec une autre tradition
provenant d’un rapporteur digne de foi.
§ Singulier.
Voyez Exceptionnel.
§ Sonna
(manière d’agir). Par ce terme, on désigne toutes les pratiques
habituelles de Mohammed, ses gestes, actes et paroles. On l’emploie aussi pour
désigner tout le corps de traditions qui se rapportent à lui.
§ Supposé
(ﻉﻮﺿﻮﻣ maoudhouâ). Une tradition fausse.
§ Suspendu
(ﻖّﻟﻌﻤ moallac). Un isnad dont le commencement est défectueux,
puisque le nom du premier rapporteur, c’est‑à‑dire du Compagnon, y manque.
§ Synonyme
(ﻒﻟﺗﺧﻣ mokhtelef). Ce terme sert à désigner deux traditions qui semblent
se contredire, mais qui peuvent se concilier.
§ Témoin
(ﺪﻫﺎﺷ chahid). Une tradition émanant d’un des Compagnons et
correspondant, pour le sens ou pour les expressions, avec une autre tradition
émanant d’un autre Compagnon.
§ Transmis
(ﻞﻮﻗﻨﻣ mencoul). Un récit qu’on a reçu par la voie de la
tradition.
§ Unanimement
reçue (ﻪﻴﻠﻋ ﻖﻔّﺗﻣ mottafac aleîh).
Une tradition reçue également par El-Bokhâri et par Moslem.
§ Unique
(ﺪﺮﻔ ferd). Une tradition extraordinaire. Voyez ce mot.
§
Vague (ﻢﻬﺒﻣ mobhem). Une tradition
provenant d’un rapporteur dont on ne connaît que le nom.
§
Voie (ﻖﻳﺭﻁ tarîc). Série des
rapporteurs par la filière desquels un texte a été transmis.
§
Un autre terme dont je ne trouve pas
l’équivalent est ﻦﻌﻨﻌﻣ moânân. On désigne par ce mot un isnad qui
commence par la préposition ân (ﻦﻋ), qui signifie d’après, ou sur
l’autorité de. Exemple : « D’après (ân) Zeïd, d’après (ân)
Omar, d’après (ân) Ahmed ». Cette formule est imparfaite puisque
tout bon isnad doit commencer par les mots : J’entendis dire à
Zeïd, ou renunciavit mihi Zeidus. Une tradition moânân
est bonne si l’isnad n’offre aucune marque de supercherie, et s’il y a
possibilité que le dernier rapporteur ait rencontré celui d’après lequel il a
donné le renseignement.
[2]
Cette courte introduction et les six chapitres
qui la suivent se trouvent dans les manuscrits A et B, et dans la traduction
turque de Djevdet Éfendi. Ils remplacent un seul chapitre qui se lit dans les
manuscrits C et D, et dans l’édition de Boulac, et dont M. Quatremère a reproduit
le texte dans l’appendice de cette partie. Je donne ici, la traduction de ce
chapitre, qui appartient évidemment à la rédaction primitive :
L’existence
des sciences et de l’enseignement dans l’état civilisé
est un fait conforme à la nature.
L’homme possède en commun,
avec les autres animaux, les facultés des sens, du mouvement et de la
nutrition ; comme eux aussi il a besoin d’un abri, etc. Il se distingue
d’eux par la réflexion, faculté qui le conduit à trouver les moyens de vivre,
et à se les procurer avec le concours de ses semblables. Elle le porte aussi
vers la vie sociale, état qui dispose les hommes à s’entr’aider, à accepter ce
que les prophètes leur annoncent de la part de Dieu, à s’y conformer dans leurs
actions et à travailler pour leur salut dans l’autre vie. L’homme réfléchit
toujours à ces matières ; il ne discontinue pas d’y penser, même pendant
un temps aussi court que celui d’un clin d’œil ; que dis‑je ? même
pour un instant aussi rapide que la pensée qui traverse l’esprit, et qui est
encore plus prompt que le regard. C’est de la réflexion que proviennent les
sciences et ceux d’entre les arts dont nous avons déjà parlé. C’est à cause
d’elle et de la disposition innée qui porte les hommes et même les autres animaux
à rechercher ce que leur naturel exige, que l’homme (je lis ﻥﺎﺴﻨﻻﺍ , à la
place de ﺮﻛﻔﻠﺍ) désire se procurer les perceptions (notions) qu’il n’a pas
encore acquises. Aussi s’adresse‑t‑il à celui qui le surpasse en savoir, en
connaissances ou en perceptivité ; ou bien il accepte ces notions d’une
personne qu’il rencontre, et qui les aura reçues (par la voie de la tradition)
des prophètes qui ont vécu avant lui. Il apprend ces renseignements, et s’empresse
de les recueillir et de les connaître. Ensuite il dirige sa réflexion et sa
faculté spéculative vers une vérité (une chose réelle) quelconque, et examine,
un à un, les accidents qui surviennent à l’essence de cette vérité ; il y
persévère jusqu’à ce qu’il acquière, comme une faculté, la connaissance de ces
accidents. Alors ce qu’il a découvert à ce sujet forme une science sui
generis. Comme les hommes de la nouvelle génération (lisez ﻞﻳﺟﻠﺍ) aspirent
à connaître ces faits et s’empressent de les apprendre, cela donne lieu à
l’enseignement de cette branche de connaissances. On voit par là que les
sciences et l’enseignement sont naturels à l’espèce humaine ».
[3]
Pour ﺭﺎﺼﻔ , je lis ﺭﺎﺼﺎﻔ , avec le manuscrit A, et je remplace ﺖﻜﻠﻣ par ﺔﻜﻠﻣ .
[4]
Je crois que l’auteur veut désigner par ces mots l’enchaînement des causes et
des effets et le rapport des mots aux idées.
[5]
Pour ﺭﺛﻜﺍ , je lis ﻩﺭﺛﻜﺍ , leçon que le
traducteur turc me paraît avoir suivie.
[6]
Littéral. « la réalité de l’humanité ».
[7]
Littéral. « la catégorie des choses
intellectuelles ne se complète que par la réflexion ». Je lis ﺔﻴﻟﻗﻌﻠﺍ à la
place de ﺔﻴﻠﻌﻓﻟﺍ .
[8]
Il faut probablement remplacer le mot ﺭﻴﻐﻠ par ﺭﻴﻏ .
[9]
Pour ّﺲﺍﻮﺤﻟﺍ , lisez ﺕﺪﺍﻭﺣﻟﺍ , leçon du manuscrit A.
[10]
Je lis ﻩﺭﻴﺧﺴﺘ , à la place de ﻩﺭﺧﺴﻨ . Le manuscrit A porte ﻩﺭﺧﺴﺗ . J’ai déjà
fait observer que ces chapitres ne se trouvent ni dans les manuscrits C et D,
ni dans l’édition de Boulac.
[11]
Aνθροπος φύσει πολιτικόν ζω̃ον . (Aristote, Pol. II , ch. II.)
[12]
Je lis ﺓﻮﺒﻨﻟﺍ , avec le traducteur turc.
[13]
Pour ﻪﺠﻮ ﻰﻟﻋ ﻯﺍ , leçon du texte imprimé et du manuscrit A, il faut lire
ﻪﺠﻮ ﻯﺍ ﻰﻟﻋ . Le traducteur turc rend ces
mots par leur équivalent arabe ﻖﻔﺗﺍ ﺎﻣ ﺐﺳﺤ .
[14]
Pour ﺢﻴﺑﻗﻠﺍ ﻰﻟﺍ ﻥﺴﺤﻟﺍ ﻥﻋﻮ , je lis ﻥﺴﺤﻟﺍ ﻰﻟﺍ ﺢﻴﺑﻗﻠﺍ ﻥﻋﻮ . Le traducteur turc a
lu comme moi, puisqu’il a rendu la phrase qui renferme cette expression par les
mots :
[15]
Le manuscrit A porte ﻪﺗﺴﺑﻼﻣﺒ , leçon que j’adopte.
[16]
Je lis ﺭﻜﻔﻠﺎﺒ .
[17]
Voyez la 1e partie, p. 200, note 2.
[18]
Je lis ﺕﺍﻭﺬﻠﺍ , à la place de ﻢﻠﺍﻮﻌﻠﺍ . La traduction turque porte ﻪﻴﻨﺎﺤﻮﺭ ﺕﺍﻭﺬ, ce qui justifie ma correction.
[19]
C’est‑à‑dire, par le raisonnement syllogistique.
[20]
Pour ﺔﺋﻬﻠﺍ , lisez ﺔّﻴﻬﻠﺍ .
[21]
Voyez la 1e partie, p. 184.
[22]
Littéral. « les essences ».
[23]
Voyez la 1e partie, p. 203 et suiv.
[24]
Je lis ﺪﻨﻋﻮ , à la place de ﺪﻨﻋ .
[25]
Littéral. « en les accompagnant ».
[26]
Voyez la 1e partie, p. 201 et suiv.
[27]
Littéral. « l’homme est ignorant par essence et savant par
acquisition ».
[28]
Voyez ci-devant, p. 426.
[29]
J’insère ﺎﻬﺒ après ﻖﺤﻻ .
[30]
Coran, sour. XXII, vers. 5.
[31]
Corporelles, ou appartenant au corps.
[32]
Le ﻮ de ﺀﺍﻭﺴﻭ est explétif ; l’édition de Boulac l’omet, et le traducteur
turc n’en a tenu aucun compte.
[33]
C’est‑à‑dire, qui peuvent être aperçus par les sens.
[34]
Littéral. « elles exigent l’enseignement ».
[35]
Le mot ﺮﻗﺗﻔﻴ doit être supprimé ; il ne se trouve pas dans l’édition
de Boulac ; le traducteur turc ne l’a pas trouvé dans les manuscrits dont
il s’est servi.
[36]
Pour ﺝﺎﺗﺣﻴ , lisez ﻪﺠﻮﺗﻴ .
[37]
Pour ﻢﻠﻌﻟﺍ ﺪﻨﺴ , je lis ﻢﻠﻌﻟﺍ ﻢﻴﻠﻌﺗ ﺪﻨﺴ,
avec le traducteur turc et l’édition de Boulac.
[38]
Le texte porte simplement : « comme cela a été déjà mentionné ».
(Voy. ci-devant, p. 264.)
[39]
Pour ﺪﺎﻓﺗﺴﻤ , lisez ﺍﺪﺎﻓﺗﺴﻤ .
[40]
Après ﺐﺭﻗﻮ , j’insère les mots ﻪﻨﻣ ﺪﻬﻋ , sur l’autorité des manuscrits C et D
et de l’édition de Boulac.
[41]
En 668 de l’hégire (1269 de J. C.), le sultan mérinide Abou Youçof Yacoub
enleva la ville de Maroc à Abou Debbous, dernier souverain de la dynastie
almohade.
[42]
Notre auteur emploie très souvent le mot ﺬﻴﻣﻠﺗ comme un nom collectif.
[43]
Le célèbre philosophe Fakllr ed-Dîn er‑Razi. (Voyez la 1e partie, p.
399.)
[44]
Pour ﻪﻨﻋ , lisez ﻥﻋ .
[45]
Voy. la 1e partie, Introduct. p. XXII.
[46] Ibid. p. XX.
[47]
Il y avait deux frères de ce nom. Ibn Khaldoun en parle dans son Histoire des Berbers, t. III, p. 386,
387, 412 de la traduction.
[48]
Les Mecheddala formaient une branche de la tribu berbère des Zouaoua. Dans le
texte arabe, il faut lire ﻖﺭﺷﻣﻠﺍ ﻰﻟﺍ ﻰﻟﺍﺪﺷﻤﻠﺍ , à la place de ﻖﺭﺷﻣﻠﺍ ﻰﻟﺍ
ﺪﺷﻤﻠﺍ .
[49]
Le pays des Zouaoua a reçu des Français le nom de Kabylie.
[50]
Chihah ed‑Dîn Abou ’l‑Abbas Ahmed el‑Carafi, professeur de jurisprudence
malékite, mourut l’an 684 de l’hégire (1285-6 de J. C.).
[51]
Lisez ﻩﺫﻴﻣﻠﺗ ﻥﻣ ﻰﻟﺍ ﺪﺸﻤﻠﺍ
[52]
Pour ﺍﺫﻫ , lisez ﻩﺫﻫ .
[53]
Je lis ﻖﺗﻓ , à la place de ﺓﻮﻗ . Cette correction m’a été fournie par l’édition
de Boulac et par la traduction turque. Le manuscrit C porte ﺓﺭﺘﻔ , et le
manuscrit D, ﺓﻭﺗﻔ .
[54]
Pour ﻯﺭﺘ , lisez ﻯﺭﻴ .
[55]
Pour ﺭﺷﻋ ﺔﻨﺴ , lisez ﺓﺭﺷﻋ ﺖﺴ .
[56]
Pour ﻢﻫﺪﻨﻋ , lisez ﻢﻬﻴﻓ .
[57]
Pour ﺎﻣﻬﻣﻳﻠﻌﺗ , lisez ﻪﻣﻳﻠﻌﺗ . Si l’on conservait la première leçon, il
faudrait lire, plus loin, ﺎﻆﻔﺣﻨﺎﻔ , à la place de ﻇﻔﺤﻨﺎﻔ .
[58]
Littéral. « existe dans la réalité de la nature humaine ».
[59]
Je lis ﺖﻮﺎﻓﺗ ﻪﺑ ﺐﺠﻴ
ﻯﺫﻠﺍ , leçon qui doit être celle que le traducteur turc avait sous les
yeux. L’édition de Boulac porte ﺖﻮﺎﻓﺗ
ﻮﻫ ﻯﺫﻠﺍ, leçon peu satisfaisante.
[60]
Voyez la 1e partie, p. 169.
[61]
Voyez ci-devant, p. 422.
[62]
Je lis ﻢﻬﺗﺍﺪﺎﻋ , avec l’édition de Boulac et la traduction turque.
[63]
Après ﻥﻂ , il faut ajouter ﻞﻛ .
[64]
La bonne leçon est ﺔﻴﻨﺍﺴﻨﻻﺍ ﺔﻗﻴﻗﺣ ﻰﻓ ﻝﺎﻤﻜﻟ .
[65]
Littéral. « car cela est une chose additionnelle à la subsistance ».
[66]
Pour ﻰﻋﺎﻨﺻﻟﺍ , lisez ﻰﻋﺎﻨﺼ .
[67]
Je lis ﻰﻠﺍ ﻪﺑﻠﻂ ﻰﻓ .
[68]
Pour ﻮﺪﺑﻠﺍ ﻝﻫﺍ ﻰﻔ , lisez ﺎﻬﻟﻜ .
[69]
Voyez la 1e partie, introd. p. LXXVII.
[70]
Pour ﺭﻅﻨﻴ , lisez ﺭﻅﻨﺑ .
[71]
Pour ﻮﺍﻮﺴﺍ , lisez ﻖﺍﻮﺴﺍ .
[72]
L’auteur emploie ici deux termes, ﻪﻴﻓﺴﻟﻔ ﺔﻳﻣﻜﺣ , mais l’un est simplement
l’équivalent de l’autre.
[73]
Pour ﻊﻀﻮﻠﺍ , lisez ﻊﻀﺍﻮﻠﺍ , avec les manuscrits
C, D, l’édition de Boulac et la traduction turque.
[74]
Littéral. « est une branche ».
[75]
Je lis ﺍﻮﻳﻬﺘ , avec le manuscrit C.
[76]
Littéral. « il faut appuyer jusqu’au Prophète la tradition et la
récitation du livre qu’il nous apporta de la part de Dieu ».
[77]
Pour ﻝﻣﻌﻳﻭ , lisez ﻡﻠﻌﻴﻭ .
[78]
Le texte porte « son cœur ».
[79]
Omar ne savait probablement pas l’hébreu ; il y avait donc de son temps
une traduction arabe du Pentateuque.
[80]
Pour ﻞﺠﺭ , lisez ﻞﺎﺠﺭ .
[81]
Voyez la Grammaire arabe de M. de Sacy, 2e édition, t. I, p.
72 et 100, et le tome VIII des Notices et Extraits.
[82]
Pour ﺎﻤﻬﻳﻔ , lisez ﺎﻤﻳﻔ .
[83]
Voy. la traduction de Maccari, vol. II, p. 257, de M. de Gayangos,
et l’Histoire des musulmans
d’Espagne de M. Dozy, t. II, p. 4.
[84]
Il s’agit du célèbre vizir
El-Mansour surnommé Ibn Abi Amer. Les affranchis et clients qui l’avaient
soutenu, lui et ses fils, formaient un parti très puissant dans les derniers
temps de la dynastie omeïade. Modjahed fut client d’Abd er‑Rahman, fils d’el‑Mansour.
[85]
Abou Amr Othman, originaire de Cordoue et domicilié à Dénia, naquit l’an 371 de
l’hégire (981‑982 de J. C.). Il composa, sur les leçons coraniques, plusieurs
ouvrages, dont le plus célèbre, le Mocnê,
nous est connu par une savante notice, insérée par M. de Sacy dans le tome VIII
des Notices et Extraits. Abou Amr mourut à Dénia l’an 444 de l’hégire
(1052 de J. C.).
[86]
Cet ouvrage, dont le titre signifie simplification ou aplanissement, a eu
plusieurs commentaires, dont on trouvera l’indication dans le Dictionnaire
bibliographique de Haddji-Khalifa.
[87]
Ibn Ferro naquit à Xativa, l’an 1144 de J. C. Il se rendit en Égypte l’an
1176-1177, et mourut au Caire, l’an 1194. Son autorité comme traditionniste et
lecteur est du plus grand poids chez les docteurs musulmans. On trouvera une
notice de ce savant, dans le Dictionnaire biographique d’Ibn Khallikan, vol.
II, p. 499 de la traduction anglaise. Le mot espagnol fierro (fer)
s’écrivait, en arabe, fîrra.
[88]
Le même système a été employé dans quelques exemplaires du Coran. (Voy. la Notice
d’un manuscrit arabe de l’Alcoran que M. de Sacy inséra dans le tome IX des Notices et Extraits,
p. 91 et suivantes.)
[89]
Je lis ﻥﺍﺪﻟﻮﻟﻟ avec l’édition de Boulac.
[90]
On verra par la suite que le terme ﻒﻮﺮﺤ est employé ici pour désigner les mots
du Coran et non pas les lettres écrites. J’ai déjà fait observer,
ci-devant, p. 397, que notre auteur emploie le mot kitaba, tantôt avec
le sens d’écriture et tantôt avec celui d’orthographe.
[91]
Sour. LI, verset 47.
[92]
Sour. XXVII, verset 21.
[93]
Sour. IX, verset 47.
[94]
Sour. LIX, verset 17.
[95]
Voyez ci-devant, p. 398.
[96]
Pour ﻰﺒ , lisez ﻰﺑﺍ . Les manuscrits C et D et
l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[97]
Pour ﺭﻮﻬﺷﻣﻠﺍ , lisez ﺭﻮﻬﺷﻣﻠﺍﻮ .
[98]
Pour ﺬﻴﻣﻟﺘ ﻮﻫﻮ , lisez ﺬﻴﻣﻟﺘ ﻥﻣ ﻮﻫﻮ .
[99]
Litt. « à régler les membres du corps ».
[100]
Sour. CX, verset 1.
[101]
L’annonce supposée de la mort de Mohammed se trouve non seulement dans le
verset, cité par Ibn Khaldoun, mais aussi dans le troisième verset de la même
sourate. Quand Mohammed récita ces paroles, « Célèbre donc les louanges
du Seigneur et implore sa miséricorde », son cousin, Ibn Abbas, fondit en
larmes, étant convaincu que c’était là un avertissement adressé par Dieu à son
Prophète afin qu’il se préparât à la mort.
[102]
Voy. 1e partie, p. 5, note 2.
[103] Ibid. p. 5, note 4.
[104] Ibid. p. 23, note 3.
[105]
Je lis ﺐﺍﺭﻋﻻﺍ avec le manuscrit D, l’édition de Boulac et la traduction turque.
[106]
Littéral. « étant devenus
pratiques ». Le mot ﻰﻋﺎﻨﺼ (artificiel) signifie ici : ce qui
s’enseigne comme un art et qui s’acquiert par l’étude et par la pratique.
[107]
Voy. ci-après, p. 464.
[108]
En arabe macboul et merdoud.
Je traduis littéralement ces deux mois, qui font partie des termes
techniques employés par les docteurs qui examinaient l’authenticité des
traditions.
[109]
Pour ﺭﻴﻣﺣ , lisez ﺭﻴﻣﺣ ﻥﻣ .
[110]
Voyez 1e partie, p. 24, note 1.
[111]
Ouehb Ibn Monebbeh, juif converti à l’islamisme et natif de Dimar ﺮﺎﻤﺬ village
situé à deux étapes de Sanà, capitale du Yémen, fut un des disciples des
Compagnons de Mohammed, sur l’autorité desquels il enseigna des Traditions. Il
mourut à Sanà, vers l’an 114 de l’hégire (732 de J. C.).
[112]
Abd Allah Ibn Selam appartenait à la tribu juive des Beni Cainocâ. Il embrassa
l’islamisme lors de la fuite de Mohammed et de son arrivée à Médine. Ce fut en
sa faveur, dit‑on, que Dieu révéla ce verset : « Et un témoin
appartenant aux enfants d’Israël atteste qu’il (le Coran) ressemble à la loi
(de Moïse) et y croit ». (Coran, sour. XLVI, verset 9.) On tient de
lui vingt-cinq traditions relatives à Mohammed, dont il fut un des Compagnons.
Il assista à la conquête de Jérusalem par les musulmans et mourut à Médine,
l’an 43 (663‑664 de J. C.).
[113]
Ce personnage est le même que le cadi Abd el-Hacc dont notre auteur a déjà fait
mention. (Voy. ci-devant, p. 61.)
[114]
Abou Abd Allah Mohammed Ibn Ahmed Ibn Atiya el‑Cortobi (natif de Cordoue)
composa plusieurs ouvrages sur les traditions. Il mourut dans la haute Égypte
l’an 671 (1272‑1273 de J. C.).
[115]
On lit de plus dans l’édition de Boulac ﺏﺍﺭﻋﻻﺍﻮ « et des inflexions
grammaticales ».
[116]
Littéral. « Par la justesse des vues et des tournures ».
[117]
Ce célèbre docteur, dont la vie se trouve dans le Dictionnaire biographique
d’Ibn Khallikan, vol. III, mourut l’an 538 de l’hégire (1141 de J. C.). Son
excellent commentaire, le Keschaf, vient
d’être publié à Calcutta par le capitaine Nassau Lees, en 2 vol. in‑4°.
[118]
Ibn Khaldoun commet ici une étrange inadvertance : le Kharism (Khouarezm)
est situé, non pas en Irac, mais bien au delà, sur le bord de l’Oxus.
[119]
Cheref ed-Dîn Hacen Ibn Mohammed et‑Teïibi mourut l’an 743 (1342‑1343 de J. C.).
Ses gloses sur le Keschaf remplissent
plusieurs grands volumes. Il intitula cet ouvrage : Fotouh el‑Gheïb. Haddji Khalifa en parle dans son Dictionnaire
bibliographique, t. V, p. 185.
[120]
Le traducteur turc relève l’opinion qu’Ibn Khaldoun énonce ici indirectement et
nous apprend qu’on a composé plusieurs traités ayant pour sujet spécial l’abrogeant
et l’abrogé du texte coranique. Un de ces ouvrages jouit d’une grande
réputation et a pour auteur le cheïkh Abou ’l-Cacem
Hibet Allah Ibn Selama, surnommé l’interprète
du Coran (El‑Mofasser). Nous savons par Haddji Khalifa et par
Soyouti, que cc docteur mourut l’an 410 de l’hégire (1019 de J. C.).
[121]
Ce passage ne se trouve ni dans l’édition de Boulac ni dans les mss. C et D.
Le traducteur turc l’a inséré dans le second des paragraphes suivants, après
les mots : de ces termes
techniques.
[122]
Voy. la 1e partie, p. 15, note 7.
[123]
Les paragraphes et les mots placés entre des crochets ne se trouvent pas dans
les mss. C et D, ni dans l’édition de Boulac.
[124]
Je dois faire observer qu’à la place des cinq
paragraphes qui suivent on trouve une autre rédaction dans les manuscrits C et
D et dans l’édition de Boulac. L’auteur avait remplacé la première rédaction
par une autre, que M. Quatremère a reproduite. La rédaction primitive se trouve, en forme de note, dans
son édition du texte arabe, et j’en donne ici la traduction :
On range au
nombre [Pour ﻥﻣ , lisez ﻥﻣﻭ ] des sciences qui ont pour objet les traditions,
l’examen des isnads et la connaissance des traditions qui, en s’appuyant
sur des isnads remplissant toutes les conditions exigées, offrent les
règles auxquelles les croyants sont tenus de conformer leurs actions. Le
contenu de toutes les traditions qui rappellent les actes ou les paroles du
Prophète est obligatoire quand les motifs de croire [Pour ﺭﻆﻨﻟﺍ , lisez ﻥﻅﻠﺍ ]
à leur authenticité prédominent sur ceux qui les feraient rejeter. Ou doit
donc s’appliquer avec un zèle sincère à parcourir la voie par laquelle on
arrive à cette croyance. Il faut donc apprendre quel était le caractère de
chaque rapporteur de traditions, sous le point de vue de la probité et de la
bonne mémoire ; connaissance qui se puise dans les renseignements fournis
par les grands docteurs de la religion et nous donnant l’assurance que ces
traditionnistes étaient des hommes de bien, d’un caractère irréprochable et
incapables de se tromper dans ce qu’ils rapportaient. Cela nous conduit à
distinguer les traditions qu’il faut accepter de celles que nous devons
rejeter. On doit savoir, de plus, le degré d’autorité qu’on accordait à chaque
traditionniste, tant des Compagnons que de leurs disciples, à connaître les
indices au moyen desquels on avait établi entre eux ces différences, et les
circonstances et les traits qui les distinguaient individuellement. Ajoutons
que les isnads varient de
caractère : les uns sont continus (mottecel) et les autres interrompus (moncateâ). Ces derniers
proviennent de rapporteurs qui n’ont pas rencontré les traditionnistes sur
l’autorité desquels ils enseignaient des traditions. Les premiers se
reconnaissent à l’absence de tout défaut qui pourrait affaiblir leur authenticité.
La différence qui existe entre ces deux classes conduit à un double résultat
[Pour ﻥﻴﻗﻴﺭﻁ , lisez ﻥﻴﻓﺭﻂ ], savoir, qu’il faut accepter les traditions du
degré supérieur et rejeter celles du degré inférieur. Quant à celles de la
classe intermédiaire, les opinions varient, selon qu’on accepte les jugements
émis à cet égard par l’un ou par l’autre des grands docteurs. Les hommes versés
dans la science des traditions font usage de termes techniques qu’ils sont
convenus d’employer et qui servent à désigner les traditions selon leurs divers
degrés d’authenticité. Tels sont les mots : saines (sahîh), passables (hacen),
faibles (dhaîf), relâchées (morcel), interrompues (moncateâ),
réfractaires (modhal), exceptionnelles
(chadd), extraordinaires (gharîb), etc. C’est sous ces divers titres
qu’on a classé les traditions, avec l’indication de l’accord ou du désaccord
des docteurs à l’égard de leur authenticité. L’étudiant doit aussi examiner la
voie par laquelle chaque traditionniste a reçu de son devancier le
renseignement qu’il rapporte, c’est‑à‑dire si c’est en les lisant devant lui
(pour y obtenir son approbation), ou en les écrivant sous sa dictée, ou en les
obtenant de lui, déjà écrits, ou en se faisant donner une licence de les
enseigner. Il est tenu, de plus, à connaître le degré d’autorité qui
s’accordait à chaque (tradition), les diverses opinions des docteurs à l’égard
de l’accueil qu’on doit faire à ces récits, soit pour les accepter, soit pour
les rejeter. Ensuite on doit aborder les traités [Pour ﻰﻔ ﻙﻟﺬ ﺍﻮﻌﺑﺗﺍ , lisez ﻰﻔ
ﻡﻼﻛﻠﺎﺒ ﻙﻟﺬ ﺍﻮﻌﺑﺗﺍ] servant à expliquer les mots qui se rencontrent dans le texte
des traditions et qui se désignent (selon leur caractère) par les termes :
extraordinaires (gharîb), douteux (mochkel),
altérés (mosahhaf), homonymes (mofterec) et synonymes
(moutelef). Voilà ce qui doit fermer l’étude principale de ceux qui s’occupent
des traditions. Les traditionnistes des temps anciens, c’est‑à-dire les
Compagnons et leurs disciples, étaient des personnages notables ; chacun
d’eux étant bien connu dans la ville qu’il habitait. Les uns demeuraient dans
le Hidjaz, les autres à Basra et à Koufa, villes de l’Irac, d’autres encore
s’étaient fixés en Syrie ou en Égypte, et tous jouissaient d’une grande
notoriété dans les temps où ils vivaient. A cette époque déjà ancienne la voie
(ou système) suivie par les traditionnistes du Hidjaz, en ce qui regarde les isnads, était bien supérieure [Pour ﻼﻋﺍ
, lisez ﻰﻠﻋﺍ ] à celle de leurs confrères et donnait bien plus de certitude à
l’authenticité de leurs traditions. Cela provenait de l’extrême soin qu’ils
avaient mis à observer toutes les conditions requises dans cette matière,
surtout en ne rapportant rien que sur l’autorité des hommes de bien, doués
d’une bonne mémoire, et en repoussant les traditions qui provenaient de
rapporteurs dont on ignorait l’histoire et le caractère ».
[125]
La leçon imprimée ﻝﻮﺒﻗﻠﺍ me paraît inadmissible : Je lis ﻝﻮﺑﻔﻣﻠﺍ .
[126]
Voy. pour l’explication de ces termes, la note à la fin de cette partie.
[127]
Voy. la 1e partie, p. 188, note.
[128]
Taki ed‑Dîn Abou Amr Othman Ibn es‑Salâh, célèbre docteur en traditions et
jurisconsulte très habile, enseignait à Damas, et mourut dans cette ville
l’an 643 (1245 de J. C.). On trouvera sa biographie dans l’ouvrage d’Ibn
Khallikan, vol. II, p. 188.
[129]
Voy. la 1e partie, p. 392.
[130]
Voy. la 1e partie, p. 32.
[131]
Voy. ci-devant, p. 189.
[132]
Abd Allah Ibn Ouebb, disciple de l’imam Halek, mourut au Caire l’an 197 (813
de J. C.).
[133]
Yahya Ibn Abd Allah Ibn Bokeïr mourut en 231 (845‑846 de J. C.).
[134]
Abd Allah Ibn Maslema el‑Canabi mourut à la Mecque, en 221 (836 de J. C.).
[135]
Mohammed Ibn el‑Hacen mourut à Reï, l’an 289 (902 de J. C.).
[136]
Voy. 1e partie, p. 36.
[137]
Les manuscrits C, D et l’édition de Boulac offrent la rédaction primitive de ce
passage et portent :
,
c’est-à-dire : « les traditions s’y trouvent donc répétées, de sorte
qu’il renferme, dit-on, etc. ».
[138]
Pour ﻪﺑﻭﺑﻔ , lisez ﻪﺑﻭﺑﻮ .
[139]
Pour ﻚﺭﺪﺗﺴﺍﻮ , lisez ﻚﺭﺪﺘﺴﺍ ﺪﻗﻮ .
[140]
Je lis ﺎﻬﻁﻮﺭﺷ à la place de ﺎﻣﻬﻁﻮﺭﺷ .
[141]
Abou Dawoud mourut en 159 (775-776 de J. C.).
[142]
Voy. 1e partie, p. 37.
[143]
Pour ﻯﻭﺴﻨﻟﺍ , lisez ﻯﺀﺎﺴﻨﻠﺍ . (Voy. ci-devant, p. 164).
[144]
Si nous ne savions pas par le Camous que le mot ﺪﻴﻨﺎﺴﻣ est un des
pluriels de ﺪﻨﺳﺀﻣ
(mosned), nous serions portés à croire qu’il eut pour forme, au
singulier, le participe ﺪﻮﻨﺴﻤ , ou bien le nom ﺪﺎﻨﺴﻣ .
[145]
Voici la traduction du passage de la rédaction primitive, celle des manuscrits
C et D et de l’édition de Boulac.
« En
effet, ceux‑ci, malgré leur grand nombre, (consistent en matières qui) peuvent
ordinairement se ramener à celles qui se trouvent dans les recueils dont nous
venons de parler. La connaissance des conditions dont nous avons fait mention
et de tous ces termes techniques forme la science des traditions. On a
quelquefois traité à part l’abrogeant et l’abrogé, dont on a fait ainsi une branche de connaissances sui generis. Il en a été de même de la
catégorie des traditions désignées par le terme gharîb (extraordinaire) : on a composé là‑dessus des ouvrages
qui ont une grande réputation. Cela est arrivé aussi pour les catégories
intitulées homonymes (mokhtelef) et synonymes (moutelef). On a écrit un
grand nombre de traités sur les sciences qui se rapportent aux traditions.
Parmi les grands docteurs et maîtres dans cette partie, on distingue surtout le
Hakem Abou Abd Allah, dont les ouvrages sont bien connus. Ce fut lui qui
réduisit en système toutes ces connaissances éparses et montra aux hommes la
grande utilité de la science des traditions. On remarque, parmi les livres
composés par les docteurs des temps rapprochés de nous, celui d’Amr Ibn es‑Salâh,
auteur qui florissait dans la première moitié du VIIe siècle. Mohii ed‑Dîn
en-Newaouï vint après lui et suivit la même voie. C’est une science vraiement
noble par son but, car elle enseigne les moyens qu’il faut employer afin de
conserver les traditions provenant de l’auteur de notre loi. » — Ces
anciennes rédactions sont bien inférieures aux autres et ne méritaient pas
d’être reproduites.
[146]
Abou Dawoud Soleïman et‑Teïalici mourut à Basra l’an 203 (818‑819 de J. C.).
[147]
Voy. ci-devant, p. 159.
[148]
Abd Ibn Hamîd mourut en 249 (863‑864 de J. C.).
[149]
Ahmed Ibn el‑Hoceïn ed‑Daremi mourut à Hérat en l’an 398 (1008 de J. C.).
[150]
Abou Yala Ahmed el‑Maucili mourut en 307 (919-920 de J. C.).
[151]
Je lis ﻩﻭﺪﺠﺘ à la place de ﻩﻮﺩﺠﻴ .
[152]
Abou ’l-Feredj Abd er‑Rahman Ibn el-Djauzi mourut l’an 597 (1200-1201 de J.
C.).
[153]
Ce paragraphe ne se trouve que dans le manuscrit A et la traduction turque.
[154]
Je lis ﻰﻔ à la place de ﻪﻟ .
[155]
Pour ﺐﻳﺭﺧﺗ , lisez ﺏﺭﺧﻴ avec le
traducteur turc et les manuscrits du Sahîh.
[156]
La forteresse de Tarifa, enlevée aux Mérinides, l’an 1273, par Sanche IV, roi de
Léon et de Castille, fut assiégée, l’an 1340, par les armées d’Abou ’l-Haddjadj,
sultan de l’Andalousie, et d’Abou ’l-Hacen, roi des Mérinides. Alphonse
XI, roi de Léon et de Castille, secondé par Alphonse IV, roi de Portugal, se
porta au secours de la place et mit les musulmans en pleine déroute.
Algeciras tomba bientôt après au pouvoir des chrétiens.
[157]
Abou ’l-Berekat Mohammed Ibn Mohammed el‑Befîki, grand cadi de Grenade et
un des professeurs du célèbre vizir espagnol Lisan ed‑Dîn, se distingua comme
littérateur et comme poète. Il mourut l’an 771 (1369‑1370 de J. C.).
[158]
Le hafedh Abou ’l-Hacen Ali Ibn Khalef Ibn Battal, natif de Badajoz
et docteur du rite chafeïte, est l’auteur d’un traité sur les traditions,
auquel il donna le titre d’El‑Eïtisam (le préservatif). On
lui doit aussi un commentaire très étendu sur le Sahîh d’El‑Bokhari.
Selon Haddji Khalifa, il mourut l’an 449 de l’hégire (1057‑1058 de J. C.).
[159]
Dans l’index de l’édition de Maccari imprimée à Leyde, le nom de ce docteur
est écrit Ibn el‑Beïn Abou Abd Allah Mohammed. Il était originaire de Badajoz.
[160]
Pour ﺐﺠﻮ , lisez ﺐﺠﻴ .
[161]
Voyez la 1e partie, p. 39.
[162]
Abou ’l‑Fadl Eïyad Ibn Mouça Ibn Eïyad, natif de Ceuta et premier traditionniste
de son époque, fut nommé cadi de Grenade en l’an 532 (1137‑1138 de J. C.) et
mourut dans la ville de Maroc l’an 544 (1149 de J. C.). Il laissa plusieurs
ouvrages d’un grand mérite ; son traité dans lequel il parle du caractère
de Mohammed et de ses faits et dits, jouit encore d’une haute réputation. Cet
ouvrage est intitulé : Es-Chefa
bi-tarîf hocouc el‑Mostafa.
[163]
Voyez la 1e partie, p. 302.
[164]
Variantes : quarante, cinquante.
[165]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac
portent ﻥﺍ ﻰﻟﺍ à la place de ﻥﺍ . Si nous adoptons cette leçon, il faut
remplacer ﻝﻮﻗﻴ par ﻝﻮﻌﻴ .
[166]
Pour ﺾﻣﻐﺘ , je lis ﺽﺭﻌﺗ avec l’édition de Boulac.
[167]
Je remplace le second ﺐﻌﺻﺗﺴﺎﻓ par ﻪﺗﻳﺍﻮﺭ
ﺎﻬﻠﺠﺍ ﻥﻣ ﺖﻟﻗ , leçon offerte par les manuscrits C et D.
[168]
Abou Djafer Ahmed et‑Tahaoui, docteur du rite chaféite, remplit à Baghdad les
fonctions de professeur et mourut dans cette ville, l’an 406 (1016 de J. C.).
[169]
Pour ﺍﺪﻟﻔ , lisez ﺍﺫﻬﻠﻔ .
[170]
Ce paragraphe manque dans l’édition de Boulac et dans les manuscrits C et D.
[171]
Voyez la 1e partie, p. 37.
[172]
Voyez la 1e partie, Introduction, p. VIII.
[173]
Voyez la 1e partie, Introduction, p. VII.
[174]Cheref ed‑Dîn Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn Mohammed, surnommé Ibn el‑Attar(le fils du parfumeur), mourut l’an 794 (1391-1392 de J. C.).
Ces mots doivent être placés entre ﻥﻳﺒ ﺓﺭﺎﺗﻭ et ﻰﻌﻓﺎﺷﻠﺍ .
De la jurisprudence et de la science du partage des
successions,
§
p.1 *1 La
jurisprudence est la connaissance des jugements portés par Dieu à l’égard des
diverses actions des êtres responsables. Ces jugements comportent l’idée
d’obligation ou de prohibition, ou bien celle d’encouragement, ou de
désapprobation, ou de permission. On les trouve dans le Livre (le Coran), dans
la Sonna, et dans les indications
fournies par le législateur (divin), pour les faire comprendre. On désigne par
le terme jurisprudence les jugements
(ou décisions) tirés de ces sources [2].
Les premiers musulmans y puisèrent leurs maximes de droit, sans toutefois
s’accorder dans leurs déductions. Cela fut, du reste, inévitable : la
plupart des indications (d’après lesquelles p.2
ils se guidaient) avaient été énoncées verbalement et dans le langage
des Arabes ; or les nombreuses significations offertes par chaque mot de
cette langue [et surtout dans les textes sacrés], amenèrent, entre les premiers
docteurs, la diversité d’opinions que tout le monde a remarquée. D’ailleurs,
comme les traditions provenant du Prophète
*2 leur étaient arrivées par des voies plus ou moins sûres, et que les
indications qu’elles renfermaient étaient souvent contradictoires, ils se
virent obligés de constater la prépondérance (de celles qu’ils devaient
adopter) ; ce fut encore là une source de dissentiments. Les indications
données par le Prophète sans être énoncées oralement [3]
causèrent encore des divergences d’opinion. Ajoutons que les textes (sacrés) ne
suffisaient pas toujours à la solution des nouveaux cas qui continuèrent à
surgir ; aussi, quand il fallait résoudre une question à laquelle aucun
texte de la loi ne pouvait s’appliquer, on se voyait obligé à la décider
d’après un autre texte n’ayant qu’un semblant de rapport avec le cas dont il
s’agissait.
§
Toutes ces circonstances contribuèrent à
produire une grande diversité d’opinions et durent nécessairement se
présenter. De là résultèrent les contradictions qui existent entre les
doctrines des premiers musulmans et celles des imams (grands docteurs) qui vinrent après eux. D’ailleurs les
Compagnons n’étaient pas tous capables de résoudre une question de droit, et ne
se chargeaient pas tous d’enseigner les principes de la loi religieuse. Ces
devoirs appartenaient spécialement à ceux qui savaient par cœur le texte du
Coran, qui en connaissaient les (versets) abrogeants,
les (versets) abrogés, les passages dont le sens était obscur (motechabeh), ceux dont la signification était certaine (mohkam), et toutes les
diverses indications fournies par ce livre, et qui, de plus, possédaient des
renseignements qu’ils tenaient directement du Prophète ou de ceux d’entre
leurs chefs qui les avaient recueillis de sa bouche. On désigna ces personnes
par le nom de lecteurs, c’est‑à‑dire lecteurs
du livre (saint), parce qu’à cette époque p.3 on voyait rarement chez les Arabes, peuple
très ignorant, un homme capable de lire.
§
Cet état de choses dura pendant les premiers
temps de l’islamisme ; mais lorsque les villes fondées par les musulmans
furent devenues très grandes et que l’ignorance des Arabes eut disparu par
suite de leur application à l’étude du livre (saint), la pratique de la
déduction analogique s’y établit d’une manière solide, et la jurisprudence, devenue
maintenant plus complète, prit la forme d’un art (qu’on pratiquait), d’une science
(qu’on enseignait). Dès lors on remplaça le titre de lecteur par celui de jurisconsulte
(fakîh) ou par celui de savant (ulemâ).
§
A partir de cette époque, la jurisprudence se
partagea en deux voies (ou systèmes), dont l’une était celle des docteurs qui
décidaient d’après leur propre jugement et au moyen de la déduction analogique [4].
Ceux‑ci habitaient l’Irac. La seconde voie était celle des traditionnistes,
habitants du Hidjaz. Les docteurs de l’Irac, ne possédant *3 que peu de traditions, ainsi que nous l’avons
indiqué ailleurs, firent un grand usage de la déduction analogique et y
devinrent très habiles ; aussi les nomma‑t‑on les gens de l’opinion.
Le chef de cette école, l’imam qui l’avait fondée grâce à son influence
personnelle et aux efforts de ses disciples, fut Abou Hanîfa. Les docteurs du
Hidjaz eurent d’abord pour chef l’imam Malek Ibn Anès et ensuite l’imam Es‑Chafêi.
§
Plus tard, un certain nombre de docteurs
condamnèrent l’emploi de la déduction analogique et en abandonnèrent l’usage. Ce
furent ceux qu’on désigna par le nom de Dhaherites [5].
A leur avis, les sources où l’on devait puiser les articles de droit se
bornaient aux textes (du p.4 Coran et de la Sonna) et au consentement général (des anciens musulmans). Ils
rattachaient directement à un texte (sacré) les résultats les plus évidents de
la déduction analytique, ainsi que les motifs (des décisions) fondés sur des
textes [6] ;
« car, disaient‑ils, énoncer le motif, c’est énoncer le jugement (ou
conclusion) dans tous les cas [7]. »
Les chefs de cette école furent Dawoud Ibn Ali [8],
son fils et ses disciples. Tels furent les trois systèmes de jurisprudence qui
prévalaient alors chez les musulmans.
§
Les gens de la maison (les descendants de
Mohammed et leurs partisans, les Chîïtes) eurent un système à eux, une école
de jurisprudence qui leur fut particulière. Leurs doctrines se fondaient sur
les principes suivants, savoir, que plusieurs d’entre les Compagnons étaient
des réprouvés et que les imams (de la secte chîïte) étaient non seulement incapables
de pécher, mais de dire une parole dont on pourrait contester l’exactitude. Ces
bases (comme on le voit) sont très faibles.
§
Les Kharedjites eurent aussi leur système ;
mais la grande majorité du peuple musulman ne s’en occupa que pour le repousser
et le condamner. On ne sait plus rien de leurs doctrines particulières [9],
on n’étudie plus leurs livres, on ne trouve plus aucune trace de leurs p.5 opinions, excepté dans quelques lieux où ces
sectaires se tiennent encore [10].
§
Quant aux livres des Chîïtes, ils n’existent que
dans les contrées habitées par ces sectaires et dans certains pays de
l’Occident, de l’Orient et du Yémen, où ils avaient autrefois fondé des
royaumes [11].
Il en est de même des livres composés par les Kharedjites. Les partisans de ces
deux sectes avaient cependant écrit, sur la jurisprudence, de nombreux traités
renfermant des opinions bien singulières.
§
A l’époque où nous vivons, la doctrine des
Dhaherites a disparu du monde avec ceux qui l’enseignaient ; elle a
succombé sous la réprobation de la grande communauté orthodoxe, et l’on n’en
trouve *4 plus rien, excepté dans quelques
livres reliés [12].
§
Il arrive assez souvent que des gens désœuvrés
s’attachent au système des Dhaherites et s’appliquent à lire leurs ouvrages,
dans le but d’apprendre la jurisprudence adoptée par cette secte et le système
de doctrine qu’on y professait ; mais ils font là un travail sans
profit [13],
travail qui les conduit à heurter les opinions généralement reçues et à
s’attirer l’animadversion publique. Quelquefois même les amateurs de cette
doctrine se voient traités comme des innovateurs dangereux, parce ils ont
essayé de puiser la science dans des livres sans en avoir la clef, c’est‑à‑dire
le secours de précepteurs (autorisés). C’est ce qui arriva pour Ibn Hazm [14]
en Espagne, bien qu’il tînt le premier rang parmi les traditionnistes : il
embrassa le système des Dhaherites et, en ayant acquis une connaissance
profonde p.6 par un travail, selon lui,
parfaitement consciencieux, et par l’étude des doctrines professées par les
chefs de cette secte, il s’écarta des opinions enseignées par Dawoud, celui qui
en fut le fondateur, et se mit (de plus) en opposition avec la grande majorité
des docteurs musulmans. Le public en fut si mécontent qu’il déversa le mépris et
la désapprobation sur le système qu’Ibn Hazm avait préconisé, et laissa tomber
ses écrits dans un oubli complet. On alla jusqu’au point d’en prohiber la vente
dans les bazars, et quelquefois même on les déchira.
§
Aussi les seules écoles qui restèrent furent
celle des docteurs de l’Irac, gens de l’opinion, et celle des docteurs
du Hidjaz, gens de la tradition. L’imam des docteurs
de l’Irac, le fondateur de leur école, fut Abou Hanîfa en‑Noman Ibn
Thabet [15].
Il tient comme légiste une place hors ligne, s’il faut s’en rapporter aux
déclarations de ses disciples [16],
et surtout de Malek et de Chafêï.
§
Les gens
du Hidjaz eurent pour chef Malek Ibn Anès el‑Asbehi [17],
grand imam de Médine. Pendant que les autres docteurs cherchaient leurs maximes
de droit dans les sources universellement approuvées, Malek puisait de plus
dans une autre dont personne que lui ne s’était servi ; je veux dire dans
la coutume de Médine. (Il y puisa),
parce qu’il croyait que les docteurs de cette ville avaient dû suivre de toute
nécessité la pratique et les usages de leurs prédécesseurs, *5 toutes les fois qu’ils énonçaient des opinions
au sujet de ce que l’on doit faire ou ne pas faire, et que ceux‑ci avaient
appris ces usages des musulmans qui, ayant été témoins oculaires des actes du
Prophète, en avaient pris connaissance et gardé le souvenir. Cette source d’indications
touchant des points de droit fut pour Malek une des bases de son système, bien
que plusieurs docteurs prétendissent qu’on pouvait la ramener à une autre,
celle du consentement général des p.7 musulmans.
Il n’admit pas cette opinion et fit observer à ses contradicteurs que, par le
terme consentement général, on n’indique pas
l’accord des Médinois seulement, mais celui de tous les musulmans.
§
(A cette occasion) nous ferons observer que ce consentement général est l’unanimité
d’opinion au sujet des matières religieuses, unanimité résultant d’un examen
consciencieux. Or Malek ne considéra pas la pratique des Médinois comme
rentrant dans cette catégorie ; pour lui, c’était l’acte nécessaire et
inévitable d’une génération qui imitait d’une manière invariable [18]
la conduite de celle qui l’avait précédée, et ainsi de suite jusqu’au temps de
notre saint législateur. Il est vrai que Malek a traité de la pratique des
Médinois dans le chapitre consacré au consentement général, pensant que
c’était le lieu le plus convenable d’en parler, puisqu’il y avait une idée
commune à ces deux choses, savoir, l’accord d’opinion. Observons toutefois que,
dans le consentement général des musulmans, l’accord d’opinion provenait d’un
examen consciencieux des preuves, tandis que, chez les Médinois, il résultait
de leur conduite à l’égard de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire, conduite
fondée sur l’observance des exemples offerts par la génération précédente.
Malek aurait cependant mieux fait d’insérer ses observations sur la pratique
des Médinois dans le chapitre intitulé : De la manière d’agir et de décider particulière au Prophète, et de
son silence (tacrîr), ou parmi les preuves sur la force desquelles les
docteurs ne sont pas tous d’accord, telles, par exemple, que les lois des
peuples qui nous ont précédés, la pratique d’un seul d’entre les Compagnons [19]
et l’istishab [20].
§
p.8 Après
Malek Ibn Anès parut Mohammed Ibn Idrîs el‑Mottelebi esChafêi [21].
Cet imam passa dans l’Irac après (la mort de) Malek, et, s’y *6 étant rencontré avec les disciples d’Abou‑Hanîfa,
il s’instruisit auprès d’eux, combina le système des docteurs du Hidjaz avec
celui des docteurs de l’Irac, et fonda une école particulière qui repoussa un
grand nombre des opinions professées dans l’école de Malek.
§
Ahmed Ibn Hanbel [22],
traditionniste de la plus haute autorité, vint après eux. Ses disciples, bien
qu’ils eussent acquis des connaissances très étendues dans la science des
traditions, allèrent étudier sous les élèves d’Abou Hanîfa, puis ils formèrent
une école à part.
§
On s’attacha alors, dans les grandes villes, à
l’une ou à l’autre de ces quatre écoles, et les partisans des autres systèmes
de jurisprudence finirent par disparaître du monde. Depuis cette époque, la
porte de la controverse et les nombreuses voies de la discussion sont restées
fermées ; ce qui tient à la réduction en système de toutes les diverses
connaissances, aux obstacles qui empêchent de parvenir, au rang de modjtehed [23],
et à la crainte de puiser des p.9 renseignements
auprès d’hommes incapables ou de personnes dont la piété et le jugement ne sont
pas assez grands pour inspirer de la confiance. Reconnaissant l’impossibilité
d’aller plus loin, on se borna à conseiller au peuple
d’embrasser les doctrines qui avaient été enseignées par l’un ou par l’autre
(des fondateurs de ces quatre écoles), et professées par leurs partisans. On
défendit de passer d’une de ces écoles à une autre, vu qu’en tenant une
pareille conduite on se jouait de choses très graves. Il ne resta donc plus
(aux professeurs) qu’à transmettre à leurs disciples les doctrines de ces
imams. Les étudiants s’attachèrent aux opinions d’un imam, après avoir vérifié
les principes (de sa doctrine) et s’être assurés que ces principes lui étaient
parvenus oralement et par une tradition non interrompue. Il n’y a donc plus
d’autres sources à consulter maintenant, si l’on s’applique à l’étude de la
loi ; il n’est plus permis de travailler (comme autrefois) avec un zèle
consciencieux à débrouiller de sa propre autorité des questions de droit. Cette
pratique (idjtihad) est maintenant condamnée et tombée en
désuétude ; aussi les musulmans (orthodoxes) de nos jours se sont‑ils tous
attachés à l’une ou à l’autre de ces quatre écoles.
§
Les sectateurs d’Ahmed Ibn Hanbel étaient peu
nombreux et se trouvaient, pour la plupart, en Syrie et dans ce coin de l’Irac
qui renferme Baghdad et les lieux environnants. Les élèves de cette école se
distinguèrent de ceux des autres écoles par le soin qu’ils mettaient à garder
les prescriptions de la Sonna, à
rapporter exactement les traditions [ [24]
et par leur habitude de chercher, autant que possible, dans *7 ces deux sources la solution des questions
légales, plutôt que d’avoir recours à l’analogie. Comme ils étaient très
nombreux à Baghdad, ils se firent remarquer par la violence de leur zèle et par
leurs fréquents démêlés avec les Chîïtes qui habitaient les environs de cette
ville [25].
Ces rixes continuèrent à entretenir le désordre dans Baghdad jusqu’à p.10 ce que les Tartars s’en fussent emparés.
Depuis cette époque, elles ne se reproduisent plus, et la plupart des
Hanbelites se trouvent maintenant en Syrie.]
§
La doctrine d’Abou Hanîfa a, de nos jours, pour
partisans les habitants de l’Irac, les musulmans de l’Inde, ceux de la Chine,
de la Transoxiane et des contrées qui composent la Perse [26].
Cela tient à ce que cette doctrine avait été généralement adoptée dans l’Irac
et à Baghdad, siège de l’islamisme, et qu’elle comptait parmi ses sectateurs
tous les partisans des khalifes abbassides. Les docteurs de cette école
composèrent un grand nombre d’ouvrages, eurent de fréquentes discussions avec
les Chaféites et employèrent, dans leurs controverses, des modes
d’argumentation très efficaces. Leurs écrits, maintenant fort répandus,
renferment de belles connaissances et des vues d’une grande originalité. La
doctrine d’Abou Hanîfa n’a pas beaucoup de partisans dans le Maghreb, où elle
avait été introduite par le cadi Ibn el‑Arebi [27]
et par Abou ’l-Ouelîd el‑Badji [28],
lors de leurs voyages dans ce pays.
§
La doctrine de Chafêi eut beaucoup plus de
partisans en Égypte que dans les autres pays, bien qu’elle se fût répandue dans
l’Irac, le Khoraçan et la Transoxiane. On voyait dans toutes les grandes villes
les docteurs de cette école partager avec ceux du rite hanéfite le privilège
d’enseigner et de donner des opinions sur des questions de droit. Il y eut
entre les deux partis de fréquentes réunions, dans lesquelles ils soutenaient
leurs doctrines respectives, ce qui donna naissance à plusieurs volumes de
controverse remplis d’arguments de toute espèce. La chute (du khalifat) de
l’Orient et la ruine de ses provinces mit fin p.11
à ces débats. Quand l’imam Mohammed Ibn Idrîs es‑Chafêi alla s’établir
dans Misr (le Vieux‑Caire), chez les fils d’Abd el‑Hakem [29],
il y donna des leçons à plusieurs élèves. Parmi ses disciples dans cette ville
on remarqua El‑Bouîti [30]
et El‑Mozeni [31] ;
mais il y avait aussi un nombre considérable de Malekites dont les uns
appartenaient à la *8 famille d’Abd el‑Hakem.
Les autres étaient Ach’heb [32],
Ibn el‑Cacem [33]
et Ibn el‑Maouwaz [34],
auxquels se joignirent ensuite El‑Hareth Ibn p.12
Meskîn [35]
avec ses fils [, puis le cadi Abou Ishac Ibn Chabân [36]
et ses disciples].
§
Plus tard, le système de jurisprudence suivi par
les gens de la Sonna [et du
consentement général] disparut de l’Égypte devant l’établissement de la
dynastie des Rafedites (Fatemides), et fut remplacé par celui qui était spécial
aux gens de la maison (les Alides).
[Les sectateurs des autres systèmes s’y trouvèrent réduits à un si petit
nombre, qu’à peine en resta‑t‑il un seul. Vers la fin du IVe siècle, le
cadi Abd el‑Ouehhab [37],
se trouvant obligé, comme on le sait [38],
de quitter Baghdad afin de gagner sa vie, passa en Égypte, où il fut accueilli
avec une grande distinction par le khalife fatemide. Le gouvernement égyptien,
en lui témoignant tous les égards dus à son talent et en l’accueillant avec
tant d’empressement, voulut faire ressortir la conduite méprisable du
gouvernement abbasside, qui n’avait pas su apprécier le mérite d’un si grand
docteur. La jurisprudence de Malek ne se maintint que très faiblement dans le
pays jusqu’à ce que la dynastie des Obeïdites‑Râfedites fût renversée par
Salâh ed‑Dîn (Saladin), fils d’Aiyoub, et que la jurisprudence des gens de la maison fût abolie. Celle qui
eut pour base le consentement général y reparut de nouveau ; les doctrines
enseignées par Chafêi et ses disciples, les gens
de l’Irac, refleurirent encore mieux qu’auparavant [et l’ouvrage d’Er‑Rafêi [39]
se répandit dans ce pays et dans la Syrie]. La phalange de p.13 docteurs chafêites qui se forma alors en
Syrie sous le patronage du gouvernement aiyoubite renfermait deux hommes
hautement distingués, Mohi ed‑Dîn en‑Newaouï [40]
et Eïzz ed‑Dîn Ibn Abd es‑Selam [41].
Ensuite parurent en Égypte Ibn er‑Refâa [42]
et Teki ed-Dîn Dakîk el-Aïd [43],
puis Teki ed‑Dîn es‑Sobki [44]
et une suite de docteurs, dont le dernier, Ciradj ed‑Dîn el‑Bolkîni [45],
est maintenant [46]
cheïkh el‑islam (chef docteur de
l’islamisme) de l’Égypte. Il est non seulement le chef des Chaféites dans ce
pays, mais le premier savant (ulemâ) de l’époque.
§
Le système de Malek est suivi spécialement par
les habitants de p.14 *9 la Mauritanie et de l’Espagne ;
il y en a bien peu qui se soient attachés à l’un des autres systèmes, bien
qu’il se trouve des sectateurs de Malek dans d’autres pays. (Le système
malékite règne dans ces deux contrées) parce que les étudiants maghrébins et
espagnols, qui voyageaient pour s’instruire, se rendaient ordinairement dans le
Hidjaz, sans aller plus loin. A cette époque, la science (du droit) avait pour
siège la ville de Médine (capitale du Hidjaz), et de là elle s’était propagée
dans l’Irac, province qui ne se trouvait pas sur le chemin de ces voyageurs.
Ils se bornèrent donc à étudier sous les docteurs et professeurs de Médine,
ville où Malek était alors l’imam de la science, où ses maîtres avaient tenu ce
haut rang avant lui et où ses disciples devaient le remplacer après sa mort.
Aussi les Mauritaniens et les Espagnols se rallièrent‑ils au système de Malek à
l’exclusion des autres, dont ils n’avaient jamais eu connaissance. Habitués,
d’ailleurs, à la rudesse de la vie nomade, ils ne pensèrent nullement à
s’approprier la civilisation plus avancée que la vie sédentaire avait
développée chez les habitants de l’Irac. Ils eurent bien moins de penchant pour
ceux‑ci que pour les habitants [47]
du Hidjaz, avec lesquels ils avaient plus de ressemblance sous le point de vue
de la civilisation, qui était celle de la vie nomade. C’est pour cette raison
que la jurisprudence malékite est toujours restée florissante chez eux et n’a
jamais subi les corrections et modifications que l’influence de la civilisation
sédentaire a fait éprouver aux autres systèmes.
§
Comme la doctrine de chaque imam forma, pour
ceux qui la suivaient, l’objet d’une science spéciale et qu’il ne leur fut
plus permis de résoudre des questions nouvelles par l’emploi consciencieux de
leur propre jugement (idjtihad) ou par le raisonnement, ils se virent obligés
à chercher, dans chaque cas douteux, des points de similitude ou de différence
qui leur permissent de le rattacher (à une question déjà résolue) ou de l’en
distinguer tout à fait. Dans ce travail on devait commencer par s’appuyer sur
les principes que le fondateur du p.15 système
avait établis [48],
et, pour l’effectuer, il fallait avoir acquis d’une manière solide, la faculté
de bien opérer cette espèce d’assimilation et de distinction, en suivant,
autant que possible, les doctrines de son imam. Jusqu’à nos jours, on désigne
cette faculté par le terme science de
jurisprudence.
§ Toute
la population de l’Occident suivit le système de Malek, et les disciples de cet
imam se répandirent dans l’Égypte et dans l’Irac. Ce dernier pays posséda le
cadi malékite Ismaïl [49],
ses contemporains *10 Ibn
Khauwaz [50]
Mendad, Ibn el‑Montab [51],
le cadi Abou Bekr el‑Abheri, le cadi Abou ’l-Hacen [52],
Ibn el‑Cassar [53]
et le cadi Abd el‑Ouehhab [54],
à qui succédèrent encore d’autres docteurs de la même école. L’Égypte posséda
Ibn el‑Cacem, Ach’heb, Ibn Abd el‑Hakem, El‑Hareth Ibn Meskîn et autres
docteurs [55].
Un étudiant, parti d’Espagne et nommé [Yahya Ibn Yahya el‑Leîthi [56], fit la rencontre de Malek (à Médine),
apprit par cœur le Mouwatta, sous la dictée de cet imam et
devint un de ses disciples. Après lui partit du même pays] Abd el‑Melek Ibn p.16 Habîb [57].
Celui-ci, ayant étudié sous Ibn el‑Cacem et d’autres docteurs de la même
classe, répandit le système de Malek en Espagne et y rédigea l’ouvrage intitulé
El‑Ouadeha (l’exposition claire).
Plus tard, un de ses disciples nommé El‑Otbi [58] rédigea le traité intitulé, après lui, Otbiya. Aced Ibn el‑Forat [59],
quitta l’Ifrîkiya pour aller écrire sous la dictée des disciples d’Abou
Hanîfa ; mais, étant ensuite passé à l’école malékite, il écrivit, sous la
dictée d’Ibn el-Cacem, une quantité de sentences appartenant à toutes les
sections de la jurisprudence. Il rapporta à Cairouan ce livre, nommé, après
lui, Acediya, et l’enseigna à
Sohnoun [60].
Celui-ci, étant ensuite passé en Orient, fit de nouvelles études sous Ibn el‑Cacem,
lui soumit les questions traitées dans cet ouvrage, et rejeta un grand nombre
des décisions qu’Aced y avait insérées. Il avait écrit sous la dictée d’Aced et
fait un recueil de toutes ses décisions, sans omettre celles qu’il devait répudier
dans la suite. Il se joignit alors à Ibn el‑Cacem pour inviter Aced par écrit à
supprimer dans l’Acediya les décisions contestées et à
s’en tenir à un ouvrage qu’il (Sohnoun) venait de composer ; mais cette
démarche n’eut aucun succès. Alors le public rejeta l’Acediya pour adopter
le digeste de Sohnoun, bien qu’une grande confusion régnât p.17 dans la classification des matières
contenues dans ce livre [61].
On donna alors à l’ouvrage de Sohnoun le titre de El‑Modauwena oua ’l-Mokhteleta (le digeste et le mélange).
Les gens de Cairouan s’appliquèrent à *11 l’étude
de ce Modauwena, mais ceux d’Espagne
adoptèrent l’Otbiya et le Ouadeha. Ibn Abi Zeïd résuma ensuite le contenu du Modauwena oua ’l-Mokhteleta dans un
traité qu’il intitula le Mokhtecer (abrégé) [62],
et Abou Saîd el‑Beradaï [63],
légiste de Cairouan, en fit aussi un précis, qu’il nomma le Tehdîb (refonte). Les docteurs de
l’Ifrîkiya firent de ce livre la base de leur enseignement et laissèrent de
côté tous les autres. En Espagne, les professeurs adoptèrent l’Otbiya
et rejetèrent le Ouadeha ainsi
que les autres traités sur le même sujet. Les ulemâ de l’école de
Malek ont continué à composer des commentaires, des gloses et des recueils pour
éclaircir le texte de ces livres, devenus classiques. En Ifrîkiya, Ibn Younos,
El‑Lakhmi, Ibn Mohrez, Et‑Tounici, Ibn Bechîr et autres docteurs de la même école
ont composé beaucoup d’ouvrages sur le Modauwena,
de même qu’en Espagne, Ibn Rochd [64]
et ses confrères ont écrit un grand nombre de traités sur l’Otbiya.
Ibn p.18 Abi Zeïd réunit en un seul volume
intitulé Kitab en‑Newader (livre de
choses singulières) les questions, les points de controverse et les opinions
qui se trouvent répandues dans les livres de jurisprudence classiques. Ce
traité renferme toutes les opinions émises par les docteurs de l’école malekite
et le développement des principes qui se trouvent énoncés dans les traités
fondamentaux. Ibn Younos inséra la majeure partie du Newader dans le livre qu’il composa sur le Modauwena. Aussi vit‑on les doctrines malekites déborder
sur les deux pays (de l’Espagne et de la Mauritanie), et cet état de choses se
maintint jusqu’à la chute des royaumes de Cordoue et de Cairouan. Ce fut
postérieurement à ces événements que les Maghrébins adoptèrent (définitivement)
le rite de Malek.
§
*12 [On
remarque dans le système de Malek trois écoles différentes [65] :
l’une, celle de Cairouan, eut pour chef Sohnoun, disciple d’Ibn el-Cacem ;
la seconde, celle de Cordoue, eut pour fondateur Ibn Habîb [66],
disciple de Malek, de Motarref, d’Ibn el‑Madjichoun [67]
et p.19 d’Asbagh [68] ;
la troisième fut établie en Irac par le cadi Ismaïl [69]
et par ses disciples. Les Malekites d’Égypte suivirent l’école d’Irac, dont
ils avaient appris les doctrines sous la direction du cadi Abd el‑Ouehhab [70],
qui avait quitté Baghdad vers la fin du IVe siècle, pour se rendre dans leur pays. Il est
vrai que, depuis les temps d’El‑Hareth Ibn Meskîn, d’Ibn Moïyesser, d’Ibn el‑Lehîb
et d’Ibn Rechîk, le système de droit malekite avait existé en Égypte, mais la
domination des Rafedites et de la jurisprudence des gens de la maison l’avait
empêché de se montrer. Les légistes de Cairouan et ceux de l’Espagne eurent
une forte aversion pour les doctrines de l’école d’Irac, parce que ce pays
était très éloigné, que les sources où l’on avait puisé ces doctrines leur
étaient restées inconnues et qu’ils savaient à peine par quels moyens les
docteurs de l’Irac avaient acquis leurs connaissances. D’ailleurs ceux‑ci
avaient pour principe de résoudre certaines questions [71]
en employant d’une manière parfaitement consciencieuse les efforts de leur
propre jugement (idjtihad), et niaient l’obligation d’adopter aveuglément
le système ou les opinions de quelque docteur que ce fût. Voilà pourquoi les
Maghrébins et les Espagnols évitèrent d’embrasser aucune opinion émise par
l’école d’Irac, à moins d’avoir bien reconnu qu’on pouvait la faire remonter à
l’imam (Malek) ou à ses disciples. Plus tard les trois écoles se confondirent
en une seule. Dans le courant du VIe siècle, Abou Bekr et‑Tortouchi [72]
quitta l’Espagne et alla se fixer à Jérusalem, où il donna des leçons (du droit
malékite) à des étudiants venus du Caire et d’Alexandrie. Ses élèves mêlèrent
les doctrines de l’école espagnole avec celles de l’école d’Égypte, *13 leur propre pays. Un des leurs, le légiste
Send Saheb et‑Tiraz, eut ensuite plusieurs disciples, sous lesquels on alla
étudier plus tard. Parmi eux se trouvèrent les fils d’Aouf [73],
qui formèrent aussi des disciples. p.20 Abou Amr
Ibn el‑Hadjeb [74]
étudia sous ceux‑ci, puis, après lui, Chihah, ed‑Dîn el‑Iraki Cet enseignement
s’est maintenu dans les villes que nous venons de nommer.]
§
[Le système de jurisprudence suivi en Égypte par
les Chaféites avait aussi disparu à la suite de l’établissement des Fatemides, gens de la maison. Après la chute de cette dynastie parurent plusieurs
docteurs qui relevèrent cette école, et dans le nombre se trouva Er‑Rafêi [75],
chef jurisconsulte de Khoraçan. Après lui, Mohi ed‑Dîn en‑Newaouï, un autre
membre de cette bande illustre, se distingua en Syrie. Plus tard, l’école
malékite de Maghreb mêla ses doctrines à celles de l’école d’Irac. Ce
changement commença à partir du temps où Es‑Chirmesahi brilla à Alexandrie
comme docteur de l’école maghrébine‑égyptienne. Le khalife abbasside El‑Mostancer,
père du khalife El‑Mostacem [76]
et fils du khalife Ed‑Dhaher, ayant fondé à Baghdad l’université qu’on appelle
d’après lui El‑Mostanceriya, fit
demander au khalife fatemide qui régnait alors en Égypte de lui envoyer le
docteur dont nous venons de mentionner le nom. Es‑Chirmesahi, ayant obtenu
l’autorisation de partir, se rendit à Baghdad, où il fut installé comme
professeur dans la Mostanceriya. Il occupait encore cette place l’an
656 (1258 de J. C.), quand Houlagou s’empara de Baghdad ; mais il put
sauver sa vie dans ce grand désastre et obtenir sa liberté. Il continua à
résider dans cette ville jusqu’à sa mort, événement qui eut lieu sous le règne
d’Ahmed Abagha, fils de Houlagou. Les doctrines des Malekites égyptiens se
sont mêlées avec celles des Malekites maghrébins, ainsi que nous l’avons dit,
et le résumé s’en trouve dans le Mokhtecer
(ou abrégé) d’Abou Amr Ibn el‑Hadjeb. On voit, en effet, à l’examen de cet
ouvrage, que l’auteur, en exposant les diverses parties de la jurisprudence
sous leurs propres titres, a non seulement inséré dans p.21 chaque chapitre toutes les questions qui se rapportent à la
matière dont il traite, mais il y a placé, malgré leur grand nombre, toutes les
opinions que les docteurs ont émises sur chaque question ; aussi ce volume
forme‑t‑il, pour ainsi dire, un répertoire de jurisprudence *14 malékite. Vers la fin du VIIe siècle,
l’ouvrage d’Ibn el‑Hadjeb fut apporté dans la Mauritanie et dès lors] il devint
le manuel favori de la majorité des étudiants maghrébins. Ce fut surtout à
Bougie qu’ils se distinguèrent par leur empressement à l’accueillir, ce qui
tenait à la circonstance qu’Abou Ali Nacer
ed-Dîn ez‑Zouaoui, le grand
docteur de cette ville, fut la personne qui l’y avait apporté. Il venait de le
lire en Égypte sous la direction des anciens élèves de l’auteur et en avait
tiré une copie. Les exemplaires se répandirent dans les environs de Bougie, et
ses disciples les firent passer dans les autres villes du Maghreb. De nos jours
ces volumes se transmettent de main en main, tant est grand l’empressement des
étudiants à lire un ouvrage qui, selon une tradition généralement reçue, avait
été spécialement recommandé par ce professeur. Plusieurs docteurs maghrébins
appartenant à la ville de Tunis, tels qu’Ibn Abd es‑Selam, Ibn Rached et Ibn
Haroun, ont composé des commentaires sur cet ouvrage. Dans cette bande illustre,
celui qui remporta la palme fut Ibn Abd es‑Selam. Les étudiants du Maghreb
lisent aussi le Tehdîb [77] (d’El‑Beradaï) pendant qu’ils font
leur cours de droit. Et Dieu dirige celui
qu’il veut.
§
§ @
§
Cette science fait connaître les portions
légales (dans lesquelles il faut diviser le montant) d’un héritage, et permet
de déterminer au juste les quotes‑parts d’une succession. Cela se fait en ayant
égard aux portions primitives (fixées par la loi) et en tenant compte de la monasekha (ou transmission de
l’hérédité). Une des espèces de la monasekha
c’est le décès d’un des héritiers (avant le partage) et la p.22 (nécessité de procéder à la) répartition de
sa légitime entre ses propres héritiers. Cela exige des calculs au moyen
desquels on rectifie [78]
(la valeur des parts dont la succession se composait) en premier lieu ;
puis, en second lieu, on assigne aux héritiers les légitimes exactes *15 qui leur sont dues. Deux, ou même plusieurs
cas de monasekha peuvent se
présenter simultanément (lors du partage d’une même succession), et, plus ils
sont nombreux, plus il y a de calculs à faire. Une autre espèce de monasekha est celle d’une succession à deux faces, comme, par exemple, une
succession dont un des héritiers déclare l’existence d’un autre héritier (sur
lequel on ne comptait pas), tandis que son cohéritier nie le fait. Dans des cas
de cette nature on détermine les parts sous les deux points de vue ;
ensuite on examine le montant des parts, puis on partage les biens du défunt
proportionnellement aux quotes‑parts qui devaient revenir aux héritiers qui
s’étaient présentés d’abord [79].
Tout cela nécessite l’emploi de calculs [80].
§
Dans les traités de droit, le chapitre sur les
successions occupe une place à part,
vu qu’il renferme non seulement des choses qui se rapportent à la
jurisprudence, mais aussi des calculs, et que ceux‑ci en forment la matière
principale. On a fait de la répartition des héritages une branche de science
distincte des autres, et l’on a composé beaucoup d’ouvrages sur ce sujet. Ceux
qui, dans les derniers siècles, ont eu le plus de réputation chez les Malekites
d’Espagne, sont : le Kitab p.23 (ou
traité) d’Ibn Thabet [81]
et le Mokhtecer (ou abrégé) composé
par le cadi Abou ’l-Cacem el‑Haoufi [82],
puis le traité d’El‑Djâdi. En Ifrîkiya, les musulmans des derniers temps se
servent de divers ouvrages dont l’un a eu pour auteur Ibn el‑Monemmer de
Tripoli [83].
Les Chaféites, les Hanefites et les Hanbelites ont composé un grand nombre de
livres sur cette matière et laissé des travaux qui, par leur masse et par la
difficulté des questions dont ils donnent la solution, offrent un témoignage
frappant des vastes connaissances que ces auteurs possédaient tant en jurisprudence
que dans l’art du calcul. On distingue surtout parmi ces écrivains
Abou ’l-Maali, que Dieu lui fasse miséricorde [84] !
§
Le partage des successions est un noble art,
parce qu’il exige une réunion de connaissances dont les unes dérivent de la raison
et les autres de la tradition, et parce qu’il conduit, par des voies sûres et
certaines, à reconnaître ce qui est dû aux héritiers quand on ignore la valeur
des portions qui doivent leur revenir, et que les personnes chargées du partage
de la succession ne savent comment s’y prendre. Les ulemâ des grandes
villes l’ont cultivé avec un soin extrême.
§
Quelques‑uns des docteurs qui ont abordé ce
sujet se sont laissé porter à un excès dans le développement de leurs
calculs ; s’étant proposé des problèmes dont la solution ne peut s’obtenir
que par *16 l’emploi de l’algèbre, de
l’extraction des racines et d’autres branches p.24
de science [85],
ils en ont farci leurs ouvrages. Des spéculations de ce genre ne sont guère à
la portée de tous les hommes et demeurent inutiles pour ceux qui ont à faire le
partage des successions, parce que les cas dont elles donnent la solution sont
tout à fait exceptionnels et se présentent très rarement. Elles contribuent
cependant à former l’esprit à l’application et à développer la faculté de
traiter convenablement les affaires de partage.
§
La plupart des personnes qui cultivent cette
partie de la science la considèrent comme une des premières et citent, à
l’appui de leur opinion, une tradition provenant d’Abou Horeïra. Selon lui, le
Prophète déclara que les faraïd composent le tiers de la science et en sont
la partie qu’on oublie le plus vite, ou, selon une autre leçon, composent
la moitié de la science. Cette tradition, publiée pour la première fois par
Abou Naîm [86],
leur a semblé une preuve qui justifiait leur prétention, parce qu’ils ont cru
que le terme faraïd désignait les parts d’un héritage. Cette supposition
est évidemment loin (d’être probable) ; les faraïd dont il s’agit
dans la tradition sont les prescriptions légales que les hommes sont tenus à
observer et qui se rapportent non seulement aux héritages, mais aux pratiques
de la dévotion et aux usages qu’on doit adopter dans la vie. Le mot, étant pris
dans cette acception, désigne fort bien des notions qui composent la moitié ou
le tiers (de la science), tandis que les prescriptions touchant les successions
ne forment qu’une faible partie de nos connaissances, si on les compare avec
toutes les autres sciences qui dérivent de la loi. Pour fortifier ce
raisonnement, nous ajouterons que l’emploi du mot faraïd avec une
signification restreinte, et son application spéciale au p.25 partage des successions, datent de l’époque
où les légistes commençaient à systématiser les connaissances scientifiques et
à se servir de termes techniques pour cet objet. Aux premiers temps de
l’islamisme, faraïd ne s’employait que dans son acception la plus
générale, celle qu’il devait à sa racine fard, mot qui signifie
prescrire ou décider. Les anciens musulmans lui attribuèrent la signification
la plus étendue, afin de s’en servir pour désigner les prescriptions de toute
nature, ainsi que nous l’avons dit, prescriptions qui forment l’essence de la
loi. Il ne *17 faut donc pas attribuer à ce mot
un sens différent de celui que les anciens lui avaient assigné, sens qui était
bien celui qu’ils avaient voulu exprimer [87].
§
§ Des bases de la jurisprudence et de ce qui s’y rattache,
c’est‑à‑dire la science des matières controversées et la dialectique [88].
§
Une des plus grandes d’entre les sciences
religieuses, une des plus importantes et des plus utiles, a pour objet les
bases de la jurisprudence. Elle consiste à examiner les indications qui se
trouvent dans les textes sacrés, afin d’y reconnaître les maximes (de
droit) [89]
et les prescriptions imposées (par la religion). Les indications fournies par
la loi s’appuient sur le Livre, c’est‑à‑dire le Coran, et ensuite sur la Sonna,
servant à expliquer ce livre. Tant que le Prophète vivait, on tenait
directement de lui les jugements (ou maximes de droit) ; il donnait des
éclaircissements en paroles et en actes au sujet du Coran, que Dieu lui avait
révélé, et fournissait des renseignements oraux à ses disciples ; aussi
n’eurent‑ils aucun besoin d’avoir recours à la p.26
tradition, à la spéculation, ni aux déductions fondées sur des
analogies. Cette instruction de vive voix cessa avec la vie du Prophète, et,
dès lors, la connaissance des prescriptions coraniques ne se conserva que par
la tradition.
§ Passons
à la Sonna. Les Compagnons
s’accordèrent tous à reconnaître que c’était pour le peuple musulman un devoir
de se conformer aux prescriptions renfermées dans la Sonna et fondées sur les paroles ou les actes du Prophète, pourvu
que ces indications fussent parvenues par une tradition assez sûre pour donner
la conviction de leur authenticité. Voilà pourquoi on regarde le Coran et la Sonna comme les sources où il faut
puiser les indications qui conduisent à la solution des questions de
droit [90].
Plus tard, l’accord général (des premiers musulmans sur certains points de
droit) prit place (comme autorité) à côté de ces deux (sources de
doctrine ; cet accord existait) parce que les Compagnons se montraient
unanimes à repousser les opinions de tout individu qui n’était pas de leur
avis. Cette unanimité a dû s’appuyer sur une base solide, car l’accord d’hommes
tels qu’eux était certainement fondé sur de bonnes raisons ; d’ailleurs
nous avons assez de preuves pour constater que le sentiment de la communauté
(musulmane) ne saurait s’égarer. L’accord général fut donc reconnu comme preuve
authentique dans les questions qui se rattachent à la loi.
§
*18 Si nous
examinons les procédés par lesquels les Compagnons et les anciens musulmans
opéraient sur le Coran et la Sonna
pour en déduire (des maximes de droit), nous verrons que, tout en établissant
des rapprochements entre les cas analogues et en comparant chaque cas douteux
avec d’autres qui lui ressemblaient, ils sacrifiaient leurs opinions
personnelles à la nécessité d’être unanimes. Expliquons‑nous. Après la mort du
Prophète, beaucoup de cas se présentèrent dont la solution ne se trouvait pas
dans les textes authentiques (le Coran et la Sonna) ; les Compagnons se mirent alors à juger p.27 ces cas en les rapprochant de cas analogues
dont la solution était déjà fournie, et en les rapportant aux textes qui
avaient servi à décider ceux‑ci. En faisant cette confrontation, ils eurent
soin d’observer certaines règles au moyen desquelles on pouvait bien constater
l’analogie des deux cas qui se ressemblaient ou qui avaient entre eux quelque
similitude. Ils arrivaient de cette manière à la conviction que la décision
émanée de Dieu à l’égard d’un des cas s’appliquait également à l’autre. Cette
opération, qu’ils s’accordaient tous à regarder comme fournissant une preuve
légale, s’appelle kias (déduction analogique) et forme la quatrième
source d’indications.
§
Voilà, selon la grande majorité des docteurs,
les sources où l’on doit chercher les moyens de résoudre les questions de
droit ; mais quelques légistes, en très petit nombre il est vrai, ne sont
pas de leur avis en ce qui concerne l’accord général et la déduction
analogique. Il y avait aussi des docteurs qui, à ces quatre sources, en
ajoutaient une cinquième, dont il n’est pas nécessaire de parler, tant elle est
faible dans son application et tant ses partisans sont rares [91].
§
La première question à examiner dans cette
branche de science est de savoir si les quatre sources déjà mentionnées
fournissent réellement des indications certaines [92].
En ce qui regarde le Coran, nous dirons que le style inimitable de ce livre et
l’extrême exactitude avec laquelle la tradition nous en a fait parvenir le
texte forment une preuve de ce fait tellement décisive, qu’elle ferme
absolument la carrière aux doutes et aux suppositions. Passons à la Sonna et à ce que la tradition nous en
a conservé. (A son égard, la question est tranchée par) l’accord général des
docteurs sur la nécessité de se conformer aux indications authentiquement
reconnues qu’elle nous fournit. Nous avons déjà cité cet argument qui, du
reste, trouve sa confirmation dans la conduite du Prophète lui-même : il
expédiait en divers lieux des lettres et des épîtres renfermant des décisions
sur p.28 des points de droit et des
prescriptions ayant force de loi, soit comme injonctions, soit comme
prohibitions. Quant à l’accord général, on démontre qu’il est une preuve
décisive en citant l’unanimité des *19 Compagnons
à repousser les opinions qui étaient contraires aux leurs, et en faisant
observer que la grande communauté musulmane est incapable d’errer. La validité
de la déduction analogique est confirmée par la pratique générale des
Compagnons, ainsi que nous l’avons déjà dit. Voilà les (quatre) sources
d’indications (ou preuves).
§
Nous ferons maintenant observer que la Sonna, telle que nous l’avons reçue
par la voie de la tradition, a besoin d’être vérifiée en ce qui regarde sa
transmission orale : il faut examiner les voies par lesquelles
ces renseignements nous sont parvenus et s’assurer de la probité des personnes
qui les ont rapportés, si l’on veut parvenir à y reconnaître ce caractère
(d’authenticité) qui entraîne la conviction et qui est le point d’où dépend
l’obligation d’agir conformément à ces renseignements. Voilà une des bases sur
lesquelles se fonde la science dont nous traitons. Une branche de la même
science consiste à déterminer la plus ancienne des deux traditions qui se
contredisent, afin d’y reconnaître [93]
l’abrogeant et l’abrogé. Il y a ensuite l’obligation d’examiner la
signification des mots (qui se trouvent dans les textes sacrés). Cela exige des
explications : on ne peut exprimer d’une manière bien intelligible toutes
ses pensées au moyen de mots combinés de diverses façons, à moins de s’appuyer
sur la connaissance de la signification conventionnelle des mots (isolés) et
des combinaisons de mots. Or les règles linguistiques à l’aide desquelles on se
dirige dans cette étude sont celles qui forment les sciences de la syntaxe, des
inflexions grammaticales et de l’expression des idées (la rhétorique). Tant
que la connaissance de la langue avait été une faculté innée, ces sciences et
ces règles n’existaient pas ; pendant cette période, le légiste n’en
avait aucun besoin, parce que la connaissance de la langue lui était une
faculté naturellement acquise. Cette faculté, en ce qui p.29 regarde la langue arabe, s’altéra (avec le temps), et il
fallut alors que les critiques les plus expérimentés s’appliquassent à fixer
définitivement le langage au moyen de renseignements fournis par une tradition
authentique et de déductions tirées de saines analogies. Ces travaux servirent
ensuite à la formation de plusieurs sciences dont le légiste qui cherche à bien
connaître les décisions de Dieu ne saurait se passer.
§
Les combinaisons de mots (dans les textes
sacrés) fournissent à l’entendement certaines notions d’un caractère
particulier, c’est‑à‑dire des maximes de droit, lesquelles se trouvent parmi le
nombre des idées spéciales exprimées au moyen de ces combinaisons et qui contribuent
à former la science de la jurisprudence. Il ne suffit pas (pour reconnaître ces
maximes) de savoir les diverses significations qu’on a *20 assignées aux combinaisons de mots, il faut encore
connaître certains principes qui servent d’indices aux significations [94]
qui sont spéciales (à notre sujet), principes qui, ayant été posés comme fondamentaux
par les légistes et les critiques les plus habiles dans la science de la loi,
font reconnaître (parmi ces diverses significations) celles qui sont des
maximes de droit [95].
Parmi les principes établis par ces docteurs comme règles à observer dans la
recherche de ce genre de connaissances, nous trouvons les suivants : une
déduction tirée de l’étymologie n’est pas valide [96] ;
dans un mot ayant deux acceptions différentes, les deux significations ne
peuvent pas être admises à la fois ; la conjonction et (ﻮ)
n’indique pas l’ordre [97].
(Parmi les principes p.30 moins certains,
nous citerons ceux‑ci) : quand on supprime quelques cas particuliers dans
(une proposition) générale, peut‑on se servir des cas qui restent pour en tirer
une conclusion ? Le commandement implique‑t‑il l’obligation de faire, ou
bien est‑il une simple incitation ? Exige‑t‑il qu’on agisse sur‑le‑champ
ou bien sans trop se presser ? La prohibition implique‑t‑elle, ou non, que
la chose défendue est mauvaise (de sa nature) ? Est‑il permis, dans une
prescription générale, de prendre pour règle un des cas particuliers que cette
prescription renferme [98] ?
L’énonciation d’un motif (ou cause) implique‑t‑elle ou non l’énumération (des
résultats ou effets) [99] ?
Tous ces principes servent de base à cette branche de science et, puisqu’on
les emploie dans la recherche des significations des mots, ils rentrent dans la
catégorie de la philologie (arabe) [100].
§
Ajoutons que l’investigation faite au moyen de
déductions analogiques forme une des parties fondamentales de cette science,
parce qu’elle sert, 1° à fixer le véritable caractère des jugements qu’on a
formés en employant l’assimilation et la comparaison, de sorte que nous
puissions distinguer s’ils sont des principes généraux ou bien des
ramifications de principe [101] ;
2° à examiner les traits caractéristiques [102]
d’un texte et à en dégager celui duquel on a la conviction que le jugement
(qu’on va former) doit dépendre ; 3° à s’assurer, que ce trait caractéristique
se trouve déjà dans la ramification, sans offrir quelque point faible qui
empêcherait de fonder sur elle un jugement. A tout cela nous pourrions ajouter
les corollaires qui résultent de ces p.31 principes
et qui contribuent aussi à former les bases de la jurisprudence.
§
Cette branche des connaissances (humaines) prit
son origine postérieurement à l’établissement de l’islamisme. Les premiers
musulmans purent s’en passer, car la connaissance de la langue, faculté qu’ils
possédaient en perfection, leur suffisait pour reconnaître les *21 divers sens exprimés par les mots. Ce fut
d’eux qu’on tient la plupart des règles qu’il fallait observer exactement quand
on s’appliquait à (l’examen des textes afin d’en) tirer des décisions. Rien ne
les obligeait à étudier des isnads ; ils étaient contemporains des personnes qui (les premières) avaient
rapporté des traditions, ils les (voyaient fréquemment et les) connaissaient
très bien. Lorsque la première génération des musulmans eut disparu du monde,
on se vit obligé d’acquérir toutes ces connaissances par des moyens
artificiels (l’étude et la pratique), ainsi que nous l’avons dit ailleurs, et,
dès ce moment, les légistes et les modjteheds [103]
se virent obligés d’apprendre les règles et les principes dont nous venons de
parler, avant de pouvoir (se livrer à l’étude des textes afin d’en) tirer des
jugements. Ils mirent donc ces règles par écrit et en formèrent une branche de science sui generis, à laquelle ils donnèrent le
nom de racines (ou bases) de la jurisprudence.
§
Ce fut Chafêi qui, le premier, composa un
ouvrage sur ce sujet, ayant dicté (à ses élèves) le texte de l’opuscule célèbre
dans lequel il traite des injonctions et des prohibitions, de l’expression des
idées, des renseignements traditionnels, de l’abrogation (d’un texte par un
autre) et de cette partie de la déduction analogique qui se rapporte aux décisions
motivées par des textes. Les jurisconsultes hanefites écrivirent ensuite sur
ces matières, et entrèrent dans de longs détails afin de déterminer exactement
les principes fondamentaux de la science. Les théologiens scolastiques
écrivirent aussi sur ce sujet ; mais les œuvres des légistes s’appliquent
d’une manière plus spéciale à la jurisprudence p.32
et aux ramifications (ou principes secondaires) du droit. En effet, les
écrits des légistes renferment beaucoup d’exemples et d’éclaircissements, et
l’on voit que les questions dont ils s’occupent roulent sur des points de loi.
Les scolastiques changèrent la forme de ces questions en les dépouillant de
leur caractère de problèmes de jurisprudence, parce qu’ils préféraient les
discuter, autant que possible, au moyen de preuves fournies par la raison. Pour
eux, la raison était le moule qui devait donner la forme aux sciences qu’ils
traitaient et régler toute la marche de leur système.
§
Les (anciens) docteurs hanefites se montrèrent
très habiles dans cette science ; ils surent en découvrir toutes les
subtilités et en établir les règles par l’examen de toutes les diverses
questions de droit. Abou Zeïd ed‑Debouci [104],
un des imams de cette école, vint ensuite et aborda la partie de la déduction
analogique, qu’il traita par écrit et avec beaucoup plus de détails que ses
devanciers. Il compléta leurs recherches, ainsi que le système de règles qu’il
faut suivre dans ce genre d’investigations. La science des bases de la
jurisprudence *22 s’acheva complètement,
grâce au talent parfait de ce docteur, qui, ayant mis en ordre tous les
problèmes qui s’y rattachent, en établit définitivement les principes fondamentaux.
§
Le système suivi par les scolastiques en
traitant cette branche de connaissances eut beaucoup de partisans. Les
meilleurs de leurs ouvrages sur cette matière ont pour titre le Kitab el‑Borhan (livre de la preuve) et
le Mostasfi (recueil d’observations
choisies). Le premier eut pour auteur l’imam el‑Haremeïn [105]
et le second fut composé par El-Ghazzali [106].
Ces deux docteurs appartenaient à l’école des p.33
Acharites. Citons ensuite le Kitab
el‑Omod (livre d’appuis), dont l’auteur se nommait Abd el‑Djebbar [107], et le Kitab el‑Motamed (le livre bien appuyé), commentaire
qu’Abou ’l-Hoceïn [108]
el‑Basri composa sur cet ouvrage. Ces deux auteurs appartenaient à l’école des
Motazelites. Les quatre traités que nous venons de nommer servirent de base et
de fondements à cette branche de science. Plus tard, deux docteurs, qui
tenaient le premier rang parmi les scolastiques des derniers siècles,
résumèrent le contenu de ces quatre ouvrages : l’un, Fakhr ed‑Dîn Ibn el‑Khatîb [109],
donna à son abrégé le titre d’El‑Mahsoul (la récolte), et l’autre,
Seïf ed‑Dîn el‑Amedi [110],
appela le sien le Kitab el‑Ahkam (livre
des décisions). Il y avait une différence marquée entra les méthodes de
vérification et de démonstration suivies par ces deux auteurs : Ibn el‑Khatîb
aimait à multiplier les exemples et les preuves, tandis qu’El‑Amedi
s’appliquait à bien assurer ses procédés et à fixer avec précision la
ramification des problèmes. Le Mahsoul de
l’imam Ibn el‑Khatîb fut abrégé par plusieurs de ses disciples, tels que Ciradj
ed‑Dîn el‑Ormeoui [111],
qui donna à son travail le titre d’Et-Tahcîl (l’acquisition), et Tadj ed‑Dîn el‑Ormeoui [112],
qui intitula le sien p.34 Kitab el‑Hacel (livre du résultat).
Chihab ed‑Dîn el‑Carafi [113]
y puisa assez de matériaux pour former plusieurs chapitres de prolégomènes et
de principes fondamentaux, et composa ainsi un petit volume qu’il intitula le Tenkîhat (dépouillement), et El‑Beïdaoui [114]
en fit de même dans son Minhadj (grande
route). Ces deux livres servent de manuels aux élèves qui commencent leurs
études et ont eu plusieurs commentaires. L’Ahkam d’El‑Amedi,
ouvrage beaucoup plus détaillé que l’autre, en ce qui regarde la démonstration
des problèmes, fut abrégé par Abou Amr Ibn [115]
el‑Hadjeb, et reçut le titre El‑Mokhtecer
el‑Kebîr (le grand compendium). Ce traité fut ensuite remanié et abrégé par
l’auteur et passa entre les mains de toutes les personnes qui s’appliquaient *23 à cette branche d’études. Les docteurs de
l’Orient et ceux de l’Occident s’occupèrent à le lire et à le commenter. Les
précis que nous venons de nommer renferment la crème de toute la doctrine des
scolastiques au sujet des bases de la jurisprudence.
§
Le système suivi par les Hanefites a fait naître
beaucoup d’ouvrages, dont les meilleurs, dans les temps anciens, furent ceux
d’Abou Zeïd ed‑Debouci [116],
et, dans les temps modernes, ceux de l’imam hanefite Seïf el‑Islam el‑Pezdevi [117].
Ce dernier traite son sujet avec p.35 de grands
détails. Ibn es‑Saati [118],
un autre légiste de la même école, combina ensemble les deux systèmes, celui du
Kitab el‑Ahkam et celui du livre d’El‑Pezdevi,
et en forma un traité qu’il nomma El‑Bedia
(la nouveauté). C’est ce qu’on a composé de mieux et de plus original sur
la matière, et son étude, de nos jours, forme l’occupation de nos principaux ulemâ. Plusieurs savants de la Perse se
sont appliqués à le commenter, et l’on y travaille encore aujourd’hui.
§
Voilà la véritable nature de cette branche de
science, et l’indication des sujets qu’elle traite et des ouvrages les plus
remarquables qu’on a composés pour l’éclaircir.
§
§
Faisons d’abord observer que la jurisprudence,
science fondée sur des indications tirées des textes de la loi, offre de
nombreuses questions sur la solution desquelles les docteurs ne sont pas d’accord.
Cette diversité d’opinions provient de la manière dont on avait choisi et
envisagé (ces textes) et devait nécessairement avoir lieu pour les raisons
indiquées précédemment. Ce défaut d’accord prit, avec le progrès de
l’islamisme, une extension énorme, et les étudiants adoptèrent les opinions de
tel légiste qu’il leur plaisait. Cet état de choses se prolongea jusqu’au temps
des quatre imams [119]
appartenant aux corps des ulemâ établis
dans les grandes villes. Comme on avait p.36
pour eux beaucoup de considération, on finit par suivre leur autorité *24 et par refuser son assentiment aux opinions
émises par les autres légistes. Ce changement s’opéra d’autant plus vite que
les docteurs modjteheds avaient cessé
leurs travaux [120],
ce qui eut pour causes la difficulté même de ce genre d’études et la variété
de connaissances exigées [121]
dans ces recherches et se multipliant de jour en jour. D’ailleurs, on ne
voyait plus de ces docteurs qui entreprenaient d’établir un nouveau système,
différent des systèmes qu’on avait adoptés dans ces quatre écoles. Aussi
devinrent‑elles les colonnes de l’édifice religieux. Leurs adhérents
respectifs se livrèrent dès lors à des controverses semblables à celles qui
avaient eu lieu dans le temps où l’on discutait les textes canoniques et les
bases de la jurisprudence. Chacun essayait de défendre le système de son imam
et les doctrines de l’école dont il faisait partie ; et, dans cette tâche,
il s’appuyait sur les principes qui lui paraissaient les mieux établis et
suivait les voies qui lui semblaient les plus directes.
§
Toutes les questions de droit donnèrent lieu à
des controverses (parmi les quatre écoles), et chaque partie de la
jurisprudence amena des discussions : tantôt c’est Abou Hanîfa, qui, dans
une question agitée entre Chafêi et Malek, s’accorde, soit avec l’un, soit avec
l’autre ; [tantôt c’est Chafêi qui est de l’avis, soit de Malek soit
d’Abou Hanîfa] [122],
et tantôt c’est Malek qui, dans des cas semblables, se rallie à l’opinion, soit
d’Abou Hanîfa, soit de Chafêi. Ces discussions ont servi à montrer où chaque
imam avait puisé ses doctrines, les causes de leurs dissidences et les points
vers lesquels chacun d’eux avait dirigé ses recherches zélées et
consciencieuses [123].
§
La connaissance de ces matières forme une
branche de science qui p.37 s’appelle la
controverse. Celui qui en fait son
étude doit savoir d’avance les règles au moyen desquelles on opère l’examen
des textes sacrés quand on veut en tirer des jugements ; il en a autant
besoin que le docteur modjtehed en
avait, mais à cette différence près que celui-ci s’en servait pour former des
jugements, tandis que le controversiste ne les emploie que pour défendre des
questions déjà résolues et pour empêcher son adversaire de les réfuter par
d’autres indications. C’est, à mon avis, une science extrêmement utile parce
qu’elle nous fait connaître les sources où les imams ont puisé et les preuves
qu’ils ont employées, et parce que [124]
les personnes qui l’ont étudiée *25 se
trouvent en mesure de produire de bons arguments pour la défense des doctrines
qu’ils veulent faire prévaloir.
§
Les ouvrages composés sur cette matière par les
Hanefites et les Chaféites sont beaucoup plus nombreux que ceux des Malekites.
Cela tient à ce que la déduction analogique était, comme on le sait, très
fréquemment employée par les Hanefites dans le développement des principes
secondaires de leur système de doctrine, ce qui les avait même fait désigner
par le terme de partisans de la
spéculation et de l’investigation, tandis que les Malekites s’appuyaient
presque toujours sur les indications fournies par la tradition et n’avaient
guère d’inclination pour les recherches spéculatives. La plupart des docteurs
malékites étaient, d’ailleurs, natifs de la Mauritanie, des gens habitués aux
usages de la vie nomade et ignorant presque tous les arts (d’une civilisation
plus avancée). Parmi ces ouvrages, nous pouvons citer le Kitab el‑Maakhed (livre des sources) d’El‑Ghazzali ; le Talkhîs
(sommaire) d’Abou Bekr Ibn el‑Arebi le Malekite, traité dont l’auteur emprunta
les matériaux aux docteurs de l’Orient ; le Tâlîcat (notes marginales) d’Abou Zeïd ed‑Debouci, et l’Oïoun
el‑Adilla (sources d’indications) d’Ibn el‑Cassar, docteur malékite. Le Mokhtecer (ou compendium) des
principes de la jurisprudence, ouvrage composé par Ibn es‑Saati, fournit tous
les problèmes servant de base à cette p.38 partie de
la jurisprudence qui s’est formée à la suite des controverses [125]
et offre le résumé de toutes les discussions auxquelles chaque question a donné
lieu.
§
§
@
§
La dialectique est la connaissance des
convenances que les partisans des divers systèmes de jurisprudence et les
autres docteurs observent dans la discussion. L’argumentation, ayant pour but
de réfuter (une opinion) ou de la faire accepter, ouvre la porte à des
discussions très étendues, et, comme chacune des parties adverses a toute
liberté d’imaginer des réponses et des arguments en faveur de son opinion, arguments
parmi lesquels il s’en trouve de bons et de mauvais, les grands maîtres dans
cet art se virent dans la nécessité de poser certaines règles de convenance et
certaines lois, dans les limites desquelles on doit se renfermer quand on veut
réfuter ou soutenir *26 une opinion. Ils
ont prescrit la conduite à suivre par celui qui propose un argument et par
celui qui y répond ; ils ont marqué les cas dans lesquels il est permis au
premier de faire valoir ses arguments ou de céder la parole à son
adversaire ; les circonstances dans lesquelles on a le droit de
l’interrompre ou de le contredire ; celles où l’on doit garder le silence
et laisser la parole à son adversaire pour qu’il produise ses arguments. C’est
pourquoi l’on a dit de cet art que c’était la connaissance des principes qui
déterminent les limites et les p.39 règles à
observer dans la production d’arguments destinés à défendre une thèse ou à la
combattre, que cette thèse appartienne à la jurisprudence ou à toute autre
science.
§
Il y a, à cet égard, deux méthodes : 1°
celle d’El‑Pezdevi, qui a pour objet spécial les arguments tirés des textes
sacrés, ou de l’accord unanime des docteurs ou (d’autres) arguments ; 2°
celle d’El-Amîdi [127],
qui est générale et embrasse toute sorte d’arguments, à quelque science qu’ils
appartiennent, et qui, par‑dessus tout, emploie des arguments tirés par
induction.
§
Cette dernière méthode est ingénieuse ;
mais, par sa nature même, elle est sujette à un grand nombre d’erreurs ;
et, si l’on considère la chose de l’œil du logicien, on reconnaîtra que le plus
souvent cela ressemble beaucoup à ce qu’on nomme paralogismes ou arguments sophistiques ; à la
seule différence qu’on y observe la forme extérieure des arguments et des
syllogismes, et qu’on s’y conforme dans l’argumentation.
§
El‑Amîdi est le premier qui ait écrit sur cette
matière ; c’est pour cela que la méthode (imaginée par lui) est désignée
par son nom. Il l’a exposée d’une manière abrégée dans son livre
intitulé : El‑Irchad (la
direction). Plusieurs écrivains plus récents, tels qu’En‑Necefi [128]
et autres, ont marché sur les traces d’El‑Amîdi et font pris pour guide. On a
composé, sur la dialectique, un grand nombre d’écrits ; mais aujourd’hui
elle est négligée à cause du discrédit où sont tombés la science et l’enseignement
dans les villes musulmanes. Au surplus cet art, étant un simple
perfectionnement, n’est pas absolument nécessaire. Dieu fait tout ce qu’il veut.
[1]
C’est dans le chapitre suivant que l’auteur parle du partage des successions.
[2]
Littéral. « de ces indications ».
[3]
C’est‑à‑dire, les indications fournies par ses gestes et par son silence.
[4]
Littéral. « celle des gens de l’opinion et de l’analogie ».
[5]
Les Dhaherites (extérieuristes) s’en tenaient à la signification
littérale des textes sacrés, tandis que les Batenites (intérieuristes) donnaient
à ces textes un sens allégorique. Ces derniers, appelés aussi Ismaïliens, formaient une des branches les plus
avancées de la secte chîïte et finirent par rejeter toutes les prescriptions
positives de l’islamisme, dont ils avaient commencé par affaiblir les dogmes.
[6]
Littéral. « ils rapportaient au texte l’analogie évidente et le motif
textuel ».
[7]
Ce passage, bien que très obscur, doit signifier, il me semble, que les
docteurs de cette école avaient pour principe de toujours rattacher directement
à un texte du Coran ou de la Sonna tous
leurs jugements ou décisions, quand même ils s’étaient laissé guider par un
raisonnement analogique, raisonnement dont ils supprimaient toute mention dans
l’énoncé. (Voyez, du reste, l’ouvrage de Chehrestani, p. ١٦٠ du texte arabe,
et vol. I, p. 242 de la traduction allemande de Haarbrücker.)
[8]
Abou Soleïman Dawoud Ibn Ali, natif de Koufa et fondateur de l’école des Dhaherites,
professa ses doctrines à Bagdad, où plus de quatre cents personnes suivaient
assidûment ses leçons. Il mourut dans cette ville l’an 270 (884 de J. C.).
[9]
Les doctrines professées par les Kharedjites (dissidents, non‑conformistes)
sont maintenant assez bien connues. L’ouvrage de Chehrestani sur les sectes
religieuses et les écoles philosophiques renferme un exposé de leurs
dogmes ; l’Histoire des musulmans d’Espagne, par
M. Dozy, nous fait bien connaître le caractère de la secte. (Voy. t. I, p. 142
et suiv. de cet ouvrage.)
[10]
L’auteur savait que de son temps il y avait des Kharedjites dans la Mauritanie.
Ils se tenaient dans le pays des Beni-Mozab, au midi de la province d’Alger,
sur la frontière du désert, et dans le Djerîd tunisien (Biledulgerid), ainsi que
dans l’île de Djerba. Encore de nos jours, les habitants de ces lieux
professent les doctrines du kharedjisme.
[11]
Ces royaumes étaient celui des Fatemides en Ifrîkiya et en Égypte, celui des
Alides dans le Taberistan, et celui des Zeïdites dans le Yémen.
[12]
Je lis ﺔﺪّﻠﺠﻣﻠﺍ, avec le manuscrit D, l’édition de Boulac et la traduction
turque. Les livres qu’on étudiait dans les écoles étaient toujours en cahiers
détachés ; quand on ne s’en servait plus, on les faisait relier.
[13]
Je lis ﻮﻠﺣﻳ avec l’édition de Boulac.
[14]
Voyez la 1e partie, introduction, p. VII.
[15]
Abou Hanîfa en Noman Ibn Thabet, grand jurisconsulte de Koufa et fondateur
d’une des quatre écoles de jurisprudence orthodoxes, mourut l’an 150 de
l’hégire (767‑768 de J. C.), et fut enterré à Baghdad.
[16]
Littéral. « aux gens de son pelage ».
[17]
Voy. la 1e partie, p. 32, note 4.
[18]
L’édition de Boulac porte ﻥﻳﻌﺑ . Je lis ِﻥْﻴَﻌِﺒ .
[19]
Quelques docteurs pensaient que, dans le silence de la loi, on pourrait décider
certaines questions de droit civil d’après les indications de la loi juive ou
de la loi chrétienne. D’autres croyaient que la pratique d’un seul Compagnon
avait force de loi.
[20]
Le terme istishab s’emploie, en droit
musulman, pour désigner un jugement fondé sur l’opinion que l’état actuel d’une
chose est semblable à son état passé. Ainsi, pour en citer un exemple : Un
homme, dans le désert, veut faire sa prière et, ne trouvant pas d’eau pour se
purifier, il se sert de sable, ainsi que la loi l’y autorise. Il commence sa
prière et, avant de l’achever, il s’aperçoit qu’il y a de l’eau dans son
voisinage. Doit‑il recommencer sa prière en se servant d’eau pour
l’ablution ? Les uns disent oui et les autres non. Selon ceux‑ci, la
partie de la prière déjà faite étant valide, ce qui restait à faire le serait
de même. Citons un autre exemple : Il y a deux copropriétaires d’un
immeuble ; l’un vend sa partie de l’immeuble à un tiers et l’autre réclame
le droit de se substituer à l’acheteur, en sa qualité de copropriétaire.
L’autre propriétaire lui répond, « Vous n’en êtes pas propriétaire, mais
locataire », et il le somme de produire ses titres de propriété. Si le
réclamant ne les trouve pas, sa déclaration doit‑elle être admise ? Selon
certains docteurs, il faut supposer que le droit de propriété existait pour cet
homme, et assimiler son état actuel, comme détenteur, à son état passé comme
copropriétaire. — Le mot istishab signifie,
à la lettre, associer le présent au
passé. Un jugement basé sur l’istishab laisse les choses comme elles
étaient.
[21]
Voy. la 2e partie, p. 189.
[22]
Voy. la 1e partie, p. 36.
[23]
Dans les premiers temps de l’islamisme, plusieurs docteurs se distinguèrent
par les résultats importants auxquels ils étaient parvenus par l’emploi de leur
propre jugement et par les efforts consciencieux qu’ils avaient faits pour
résoudre des questions de droit. On leur donna le titre d’imams modjtehed (qui s’efforcent), et l’on
désigna cette pratique par le terme idjtihad.
Il n’est maintenant plus permis de se poser comme modjtehed : « La porte de l’idjtihad, disent les
légistes, est fermée à jamais. » En Perse, le chef de la doctrine chîïte
porte le titre de Modjtehed.
[24]
Ce passage, mis entre deux parenthèses, ne se trouve pas dans l’édition de
Boulac ni dans les manuscrits C et D.
[25]
On voit, par les Annales d’Ibn el‑Athîr, qu’il y eut, presque tous les ans, des
combats entre les Hanbelites de Baghdad et les Chîïtes, qui habitaient le
faubourg de Karkh.
[26]
Le texte porte : « et toutes les contrées des Adjem ». Le
mot Adjem indique ordinairement les
Perses, mais je crois qu’à l’époque de notre auteur les doctrines chîïtes
avaient déjà remplacé, en Perse, celles de l’islamisme orthodoxe. C’est peut-être
des contrées situées entre l’Oxus et la Perse qu’Ibn Khaldoun a voulu parler.
[27]
Voy. la 1e partie, p. 442.
[28]
Abou ’l-Ouelîd Soleïman Ibn Khalef el-Badji (originaire de Béja, en
Espagne) fut un des grands docteurs de l’Espagne musulmane. Il naquit à
Badajoz, l’an 403 de l’hégire (1013 de J. C.), et mourut à Alméria, l’an
474 (1081 de J. C.).
[29]
Abou Mohammed Abd Allah Ibn Abd el‑Hakem, natif d’Égypte, fut un des disciples
les plus distingués de l’imam Malek. Il mourut au vieux Caire, l’an 214 de
l’Hégire (829 de J. C.). Il eut deux fils, Abou Abd Allah Mohammed et Abd er-Rahman.
Le premier fut un disciple de Chafêi. Le second étudia les traditions et
l’histoire, et composa un ouvrage sur les conquêtes faites par les premiers
musulmans. Ce traité n’a pas une grande valeur.
[30]
Abou Yacoub Youçof Ibn Yahya el-Bouîti fut un des disciples les plus éminents
de l’imam Es‑Chafêi et lui succéda dans la direction de l’école. A l’époque où
le khalife abbasside El‑Mamoun voulait faire adopter comme dogme la création du
Coran (c’est‑à‑dire que le Coran n’était pas la parole incréée de Dieu), El‑Bouîti
fut arraché de sa chaire, chargé de fers et conduit à Baghdad, où l’on essaya
de lui faire accepter cette nouvelle doctrine. Sur son refus, il fut maltraité
et enfermé dans une prison, où il resta jusqu’à sa mort. On assure que les fers
qu’on lui avait mis aux pieds, et dont on ne le débarrassa plus, pesaient
quarante livres, et qu’il portait des menottes attachées par des chaînes à un
bandeau de fer qui lui ceignait le cou. Il mourut l’an 231 de l’hégire (845‑846
de J. C.). Bouîti signifie originaire de Bouît, ville de la haute
Égypte.
[31]
Abou Ibrahîm Ismaîl el‑Mozeni, disciple de l’imam es‑Chafêi et natif d’Égypte,
se distingua par son érudition et par l’austérité de sa vie. Devenu chef des
chaféites d’Égypte, il travailla avec ardeur à répandre les doctrines de son
maître et composa un grand nombre d’ouvrages. Son abrégé (mokhtacer) de la doctrine
chaféite a toujours joui d’une haute réputation. Il mourut au Vieux‑Caire l’an
264 (878 de J. C.), à l’âge de quatre‑vingt‑neuf ans.
[32]
Abou Amr Ach’heb Ibn Abd el‑Aziz el‑Caïci, natif d’Égypte et l’un des disciples
de l’imam Malek, mourut au Vieux‑Caire, l’an 204 (820 de J. C.).
[33]
Abou Abd Allah Abd er‑Rahman Ibn el‑Cacem el‑Otaki, docteur de l’école fondée
par Malek, sous qui il avait étudié la jurisprudence, est l’auteur du célèbre
digeste de la doctrine malekite intitulé : El‑Modaouwena. Il mourut
au Vieux‑Caire l’an 191 (806 de J. C.). Le Modaouwena
fut ensuite remanié par Sohnoun. (Voy. ci-après, p. 16, note 4.)
[34]
Abou Abd Allah Mohammed Ibn Ibrahîm, surnommé Ibn el‑Maouwaz, fut un des plus savants imams de l’école malekite
et en devint le président. Il laissa plusieurs ouvrages qui traitaient de la
jurisprudence et dont un a été nommé après lui El-Maouwaziya. Il mourut en l’année 281 (894‑895 de J. C.).
[35]
Abou Amr el‑Hareth Ibn Meskîn, cadi du Vieux‑Caire et docteur de l’école de
Malek, fut au nombre des légistes que le khalife El‑Mamoun fit emprisonner sur
leur refus de reconnaître la création du Coran. Sa mort eut lieu l’an 250 de
l’hégire (864 de J. C.).
[36]
Abou Ishac Mohammed Ibn el‑Cacem Ibn Chabân, savant traditionniste et mufti,
devint chef de l’école malekite en Égypte. Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages. Sa mort eut lieu dans le mois de djomada premier 355 (avril‑mai 966
de J. C.).
[37]
Le cadi Abou Mohammed Abd el-Ouehhab Ibn Ali, natif de Baghdad, était très
versé dans la jurisprudence malekite, et composa plusieurs ouvrages sur les doctrines
de cette école. Forcé par la misère de quitter sa ville natale, il alla se
fixer en Égypte, où il fut accueilli avec un grand empressement par le
gouvernement et par le peuple. Il mourut au Vieux‑Caire, l’an 422 (1031 de J.
C.).
[38] Voy. le Biographical Dictionary d’Ibn Khallikan, t. II, p. 166.
[39]
Abou ’l-Cacem Abd el‑Kerîm Ibn el‑Fadl el‑Cazouîni er‑Raféi, imam de
l’école chaféite, fut le plus savant jurisconsulte du Khoraçan. Il composa un
grand nombre d’ouvrages, dont la plupart avaient pour sujet les doctrines
chaféites. Je suppose que le traité dont il est question dans le passage d’Ibn
Khaldoun est celui qui a pour titre :
Er-Rauda fi’l-forouë ’s‑Chafêiya « la prairie où l’on traite des articles de droit qu’on a
déduits des principes fondamentaux de la doctrine chaféite. » Il mourut
vers la fin de l’an 623 (1226 de J. C.).
[40]
Voy. la 1e partie, p. 392, note 2.
[41]
Eïzz ed‑Dîn Abou Mohammed Abd el-Azîz Ibn Abd es‑Selam es‑Selemi, natif de
Damas, alla s’établir en Égypte. On le regarda comme le jurisconsulte le plus
savant de l’époque. Il composa plusieurs ouvrages et mourut au Vieux‑Caire,
l’an 660 (1262 de J. C.). — Dans le texte arabe, il faut insérer ﺎﻀﻳﺍ après
ﻢﻼﺳﻠﺍ .
[42]
L’imam Nedjm ed‑Dîn Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn Mohammed Ibn er‑Refâa, le plus
savant légiste de son temps, composa plusieurs ouvrages sur la science qu’il
cultivait ; l’un formait vingt volumes et s’intitula El‑Kifaîa « la suffisance » ;
l’autre, en soixante volumes, portait le titre d’El-Matleb « le répertoire ». Il laissa aussi un
traité sur les poids et mesures. Sa mort eut lieu au Vieux‑Caire, l’an 710
(1310 de J. C.).
[43]
Teki ed‑Dîn Abou ’l‑Feth Mohammed Ibn Ali Ibn Ouelib el‑Cocheïri, surnommé
Ibn Dakîk el‑Aïd, étudia le droit
sous Ibn Abd es‑Selam. Il remplit les fonctions de grand cadi chaféite en
Égypte, et mourut l’an 702 (1302 de J. C.). — Dakîk el‑Aïd « la farine de la fête » était le sobriquet de son grand‑père, mais les biographes ne
disent pas pourquoi il fut ainsi nommé.
[44]
Tekied‑Dîn Abou ’l-Hacen Ali Ibn Abd el‑Kali es‑Sobki, natif de Sobk,
village dans la province égyptienne nommée El-Menoufiya, étudia le droit sous Ibn er‑Refâa et composa plusieurs
ouvrages. Cet illustre jurisconsulte mourut en Égypte l’an 756 (1355 de J.
C.).
[45]
Ciradj ed‑Dîn Abou‑Hafs Omar el-Bolkîni, cheïkh
el‑islam et chef des Chaféites de l’Égypte, fut regardé comme le plus
savant jurisconsulte de son temps. Il était profondément versé dans toutes les
sciences philosophiques. Né dans un village d’Égypte appelé Bolkîn, il mourut au Caire vers l’an 805 de l’hégire (1403 de J. C).
[46]
Insérez le mot ﻢﻮﻴﻠﺍ après ﻮﻬﻔ .
[47]
Pour ﻞﻫ , lisez ﻞﻫﺍ .
[48]
Var. ﺓﺭﺭﻗﻣﻠﺍ D et Boulac.
[49]
Abou Ishac Ismaïl Ibn Ishac, jurisconsulte de l’école de Malek, remplit les
fonctions de cadi à Baghdad. Il mourut dans cette ville l’an 202 de l’hégire
(817-818 de J. C.). Il composa plusieurs ouvrages sur les traditions, la
jurisprudence et les sept leçons coraniques.
— Les dictionnaires biographiques en langue arabe et les divers ouvrages qui
renferment les annales de l’islamisme, et qui se trouvent à la Bibliothèque
impériale, fournissent peu de notions sur les docteurs malekites de l’Irac.
Aussi me vois-je dans l’impossibilité de donner des renseignements sur les
quatre personnages dont les noms vont suivre.
[50]
Variantes : ﺯﻨﻮﺧ (khounoz), ﺯﻳﻮﺨ
(khoueïz).
[51] Variante : ﺐﺎﻨﺛﻣﻠﺍ (El‑Methnab).
[52] Variante : El‑Hoceïn.
[53]
L’article sur la science de la controverse ﻒﻼﺧﻠﺍ ﻢﻟﻋ, que Haddji Khalifa a
donné dans son Dictionnaire bibliographique, nous apprend qu’Ibn el‑Cassar, le
Malekite, composa un ouvrage intitulé Oïoun
el‑Adilla « les sources
des preuves ». La date de la mort de ce docteur n’y est pas indiquée,
probablement parce que Haddji Khalifa l’ignorait.
[54]
Voy. ci-devant, p. 12.
[55]
J’ai déjà parlé de ces docteurs.
[56]
Yahya Ibn Yahya appartenait à la tribu berbère des Masmouda et était client de
la tribu arabe des Beni-Leïth. Il étudia le droit sous Malek et contribua
beaucoup à répandre en Espagne les opinions de cet imam. Sa mort eut lieu à
Cordoue, dans le mois de redjeb 234 (février 849 de J. C.). Pour l’histoire de
ce docteur, on peut consulter l’Histoire des Musulmans d’Espagne, de M.
Dozy.
[57]
Abou Merouan Abd el‑Melek Ibn Habîb es‑Solemi, célèbre docteur de l’école de
Malek et natif d’Espagne, mourut dans ce pays, l’an 238 (853 de J. C.).
[58]
Mohammed Ibn Ahmed el‑Otbi étudia à Cordoue sous Yahya Ibn Yahya, et ensuite à
Cairouan sous Sohnoun (voyez ci-après, note 4), puis en Égypte sous Asbagh.
Rentré à Cordoue, il y acquit une grande réputation comme jurisconsulte, et
mourut l’an 254 de l’hégire (868 de J. C.).
[59]
Aced Ibn el‑Forat, natif du Khoraçan, se rendit en Afrique avec Ibn el‑Achath,
qui fut nommé gouverneur de ce pays en l’an 144 (761‑762 de J. C.). Il passa ensuite
en Orient, où il étudia la jurisprudence. Rentré à Cairouan, il en fut nommé
cadi par Zîadet Allah Ibn Ibrahîm, l’Aghlebite, qui, en l’an 201 (817 de J.
C.), avait succédé à son frère, Abou ’l-Abbas, dans le gouvernement de
l’Ifrîkiya. En l’an 212, il reçut de ce prince le commandement d’une expédition
contre la Sicile et, en l’an 215 (830 de J. C.), il mourut sous les murs de
Syracuse, ville dont il faisait le siège.
[60]
Abou Saîd Abd es‑Selam Ibn Saîd, surnommé Sohnoun, étudia sous les disciples
de Malek et fut ensuite nommé cadi de Cairouan. Il retoucha ou compila, dit-on,
le célèbre traité de droit malekite intitulé El‑Modauwena (le digeste) ;
sa mort eut lieu en l’année 240 (854 de J. C.).
[61]
Littéral. « malgré le mélange des questions dans les chapitres ».
Selon le traducteur turc, ces mots signifient que les questions du recueil
d’Aced s’y trouvent mêlées avec celle du digeste de Sohnoun.
[62]
Voyez la 1e partie, p. 227.
[63]
Abou Saîd Khalaf Ibn Abi ’l-Cacem el‑Azdi el‑Beradaï, natif de Saragosse
et docteur de l’école malekite, est l’auteur d’une édition corrigée du célèbre
traité le Modauwena ; son ouvrage, qu’il intitula le Tehdîb
(refonte), jouit d’une haute réputation. Il vivait au IVe siècle de
l’hégire et avait probablement fait ses études à Cairouan.
[64]
Abou ’l-Ouelîd Mohammed Ibn Ahmed Ibn Ahmed Ibn Rochd, grand‑père du
célèbre philosophe Averroès et cadi de Cordoue, se distingua par son zèle pour
la religion et par les grandes connaissances qu’il déploya comme jurisconsulte
et professeur de droit malekite. En l’année 520 (1126 de J. C.), il passa en
Mauritanie afin d’exposer au sultan almoravide Ali Ibn Youçof le malheureux
état de l’Espagne, et de le pousser à prendre des mesures afin de garantir les
musulmans espagnols contre les attaques du roi d’Aragon, Alfonse le
Batailleur. Rentré à Cordoue, il reprit ses leçons et mourut dans cette ville,
le 11 du mois de dou ‘l‑kaada 520 (28 nov. 1126 de J. C.). La Bibliothèque
impériale possède un exemplaire de l’ouvrage qui renferme les opinions juridiques d’Ibn Rochd,
le grand‑père. L’ordre suivi dans ce recueil est celui de tous les traités de
droit musulman. Ce manuscrit, écrit l’an 722 de l’hégire (1322 de J. C.), fait
partie du Supplément arabe et porte le n° 398. Il forme un gros volume
grand in‑4°, et offre un type parfait du caractère maghrébin-espagnol. Le
dernier chapitre est du compilateur Ibn el‑Ouezzan, et renferme une notice
biographique de l’auteur.
[65]
Ce long paragraphe ni la première moitié du paragraphe suivant ne se trouvent
ni dans l’édition de Boulac, ni dans les manuscrits C et D ; on les lit
dans le manuscrit A et dans la traduction turque. Ils remplacent un autre
passage beaucoup plus court dont M. Quatremère a donné le texte en note, et
dont j’offre ici la traduction :
« Ensuite
parut le livre dans lequel Abou Amr Ibn el‑Hadjeb résuma les diverses voies
suivies par les sectateurs de l’école (malekite), dans le but d’éclaircir le
sujet de chaque chapitre (du traité dont ils se servaient) ; il y fit
aussi connaître les diverses opinions énoncées par les docteurs malekites sur
chaque question a résoudre. Ce traité forma donc un répertoire de toutes les
matières qui avaient attiré l’attention de cette école. Le système malekite se
conserva en Égypte depuis le temps d’El‑Hareth Ibn Meskîn, d’Ibn Moïyesser,
d’Ibn el‑Lehîb, d’Ibn Rechîk et d’Ibn Ata ’llah. J’ignore à qui Ibn el‑Hadjeb
devait ses renseignements ; mais je sais qu’il parut après la chute de
l’empire fatemide, à la suite de la suppression du système de jurisprudence
particulier aux gens de la maison, et de l’apparition des docteurs chaféites et
malekites (dans la vie active). Vers la fin du VIIe siècle, son livre fut introduit dans la
Mauritanie, où. . . etc.
[66]
Voy. ci-devant p. 16.
[67]
Abou Merouan Abd el-Melek Ibn Abd el‑Azîz, surnommé Ibn el‑Madjichoun, était natif de Médine. Il étudia la jurisprudence
sous Malek. Sa mort eut lieu l’an 213 de l’hégire (828‑829 de J. C.). —— Dans
le texte imprimé, il faut lire ﻥﻭﺸﺠﺎﻣﻠﺍ à la place d’ﻥﻭﺸﺣﺎﻣﻠﺍ .
[68]
Abou Abd Allah Asbagh Ibn el‑Feredj, natif d’Égypte et docteur malekite,
étudia sous les disciples de l’imam Malek et mourut l’an 225 (840 de J. C.).
[69]
Voy. ci-devant, p. 15.
[70]
Voy. ci-devant, p. 12.
[71]
Je ne sais si j’ai bien rendu le sens des mots ﺎﺼﺎﺧ ﻥﺎﻛ ﻥﺍﻮ . Le traducteur
turc n’en a pas tenu compte.
[72]
Voy. la 1e partie, p. 82, note 2.
[73]
Nous connaissons un de ces frères : il se nommait Ibn Mekki Ibn Aouf ez‑Zohri. La réputation de ce traditionniste et docteur fut si
grande que le sultan Salah ed‑Dîn (Saladin) se fit expliquer par lui le texte
du Muowatta de Malek. Ibn Aouf se distingua par sa piété et par la
sainteté de sa vie. Il mourut l’an 581 (1185 de J. C.).
[74]
Voyez la 1e partie, introd. p. XX.
[75]
Voy. ci-devant, p. 13.
[76]
Pour ﻡﺼﺘﻌﻣﻠﺍ , lisez ﻢﺻﻌﺗﺴﻣﻠﺍ .
[77]
Pour ﺏﻴﻫﺫﺘﻟﺍ , lisez ﺏﻳﺬﻬﺗﻠﺍ .
[78]
Comme le mot ﻥﺎﺑﺴﺤ est au pluriel, il
faut lire ﺢﺤﺻﺗ à la place de ﺢﺤﺻﻳ . Le manuscrit C offre la bonne leçon. Dans
l’édition de Boulac, nous lisons ﺢﺤﺻﻳ , mais ﻥﺎﺑﺴﺤ est remplacé par son singulier ﺐﺎﺴﺤ .
[79]
Voici comment j’entends ce passage : Les cohéritiers, Zeïd et Omar, se
présentent pour recueillir leur légitime, mais, au moment du partage, Omar
déclare l’existence d’un autre héritier, lequel se nomme Ali ; mais Zeïd
nie le fait. En ce cas, on commence par calculer les parts qui devraient
revenir aux deux premiers héritiers seulement ; Zeïd touche sa part ;
puis on fait un nouveau calcul, afin de savoir combien aurait dû revenir à Ali
dans le cas on il se serait présenté tout d’abord. La somme qui lui revient est
prélevée sur la part d’Omar.
[80]
On trouvera des exemples de ces calculs dans le tome VI, p. 416 et suiv. du Précis de jurisprudence musulmane de Khalîl
Ibn Ishac, traduit de l’arabe par M. Perron, et publié dans le recueil
intitulé Exploration scientifique
de l’Algérie.
[81]
Abou Nasr Ahmed Ibn Abd Allah Ibn Thabet, docteur chaféite, natif de Bokhara et
auteur d’un traité des partages intitulé El‑Mohaddeb
(le refondu), mourut l’an 447 (1055‑1056
de J. C.).
[82]
Abou ’l-Cacem Ahmed Ibn Mohammed Ibn Khalef el‑Haoufi, natif de Séville et
auteur d’un traité sur les feraïd (portions légales), mourut l’an
588 (1192 de J. C.).
[83]
Notre auteur nous apprend, dans son Histoire
des Berbers, t. III, p. 266, 267,
qu’en l’an 429 (1037‑1038 de J. C.) Abou ’l‑Hacen Ibn el‑Monemmer,
légiste qui s’était distingué par sa connaissance des règles à suivre dans le
partage des successions, et qui était président du conseil municipal qui
gouvernait alors la ville de Tripoli, remit cette ville entre les mains d’un
membre de la famille Khazroun, qui y fit aussitôt reconnaître la souveraineté
des Fatemides de l’Égypte.
[84]
Il s’agit de l’imam El‑Haremeïn. (Voy. la 1e partie, p. 391,
note 4, et ci-après, p. 140, dans le deuxième chapitre sur le partage des
successions.)
[85]
L’auteur aurait mieux fait d’écrire ﻰﻠﺍ ﻥﻮﻨﻔ à la place de ﻥﻮﻨﻔ ﻥﻤ . L’éditeur de l’édition de Boulac s’est
aperçu de l’erreur, mais, par un défaut d’attention, il a porté la correction
sur la particule ﻰﻔ , qui precède le mot ﺝﺍﺮﺧﺗﺴﺍ .
[86]
Le hafedh Abou Naîm Ahmed el‑Ispahani es‑Soufi naquit
en 336 (947‑948 de J. C.). Il composa des annotations sur les Sahîhs d’El‑Bokhari et de Moslem ;
et, de plus, deux ouvrages sur les Compagnons de Mohammed, une biographie
d’Ispahanides, etc. Il mourut en moharrem 403 (juillet‑août 1012 de J. C.). On
le considère comme le plus grand traditionniste de cette époque.
[87]
On trouvera plus loin un autre chapitre sur le partage des successions.
[88]
Dans les manuscrits C et D, dans l’édition de Boulac et dans la traduction
turque, ce chapitre et les deux chapitres suivants n’en forment qu’un seul.
[89]
Littéral. « les jugements, ou décisions ». Je trouve, dans la
préface de l’ouvrage arabe imprimé à Calcutta et portant le titre de Dictionary of the technical terms used in the
sciences of the musulmans, que
ces jugements aboutissaient à déclarer que telle chose était d’obligation ﺐﻭﺠﻮ
, ou recommandée ﺐﺪﻨ , ou licite ﻞﺣ , ou défendue ﺔﻣﺮﺤ , ou bonne ﺔﺣﺼ , ou
mauvaise ﺪﺎﺴﻔ .
[90]
Littéral. « l’indication de la loi (c’est‑à-dire ce qui est indiqué par la
loi) se trouve dans le livre de la Sonna,
sous ce point de vue. »
[91]
Je soupçonne que l’auteur fait ici allusion aux rêveries et visions des
Soufis.
[92]
Littéral. « d’examiner si ceux‑ci sont des indications ». — Pour
ﺔﻠﺪﻻﺍ , il faut lire ﺔﻠﺪﺍ , avec les manuscrits C, D, l’édition de Boulac et
la traduction turque.
[93]
Il faut supprimer le ﻮ qui précède ﺔﻔﺭﻌﻣ ; l’analyse grammaticale, le
texte de l’édition de Boulac et celui des manuscrits C et D autorisent la
correction.
[94]
Je lis ﺖﻻﻻﺪﻠﺍ à la place de ﺔﻠ ﻻﺪﻠﺍ . La leçon que je préfère se trouve dans le
manuscrit D et dans l’édition de Boulac.
[95]
Dans ce paragraphe et le suivant, l’auteur se sert de la langue technique de
l’école ; aussi me suis‑je vu dans la nécessité de m’écarter de la lettre
du texte, afin d’en rendre les idées d’une manière intelligible.
[96]
Telle, par exemple, que celle‑ci : Le vin s’appelle khamr parce qu’il trouble (khumar) la raison ; or le nebid (voy. la 1e
partie, p. 35) trouble la raison ; il est donc khamr et, en ce cas, il est défendu par la loi ; ici la
conclusion est fausse.
[97]
C’est‑à-dire l’ordre du temps dans lequel se succèdent les choses désignées
par les mots que cette conjonction unit ensemble. Pour ﻰﺿﺗﻗﻳ , lisez ﻰّﺿﺗﻗﺘ avec le manuscrit D
et l’édition de Boulac.
[98]
Exemple : Un
texte de la loi a dit : « Celui qui tue un vrai croyant
involontairement doit affranchir un esclave » ; un autre texte
porte : « Celui qui tue un vrai croyant involontairement doit
affranchir un esclave vrai croyant. » Doit‑on appliquer comme loi la
seconde prescription plutôt que la première ?
[99]
Il faut lire ﻻﻮﺍ ﺪﺪﻌﺗﻠﺍ . L’édition de Boulac porte ﻻﻢﺍ ﺪﺪﻌﺗﻠﺍ , ce qui revient
au même, et le traducteur turc a eu la bonne leçon sous les yeux, puisqu’il a
rendu le passage ainsi : ﺭﺪﻴﻣﻴﻔﺎﻜ ﻩﺪﻳﺪﻌﺗ ﻰﺴﻣﻨﻠﻮﺍ ﺢﻳﺭﺻﺗ ﻚﺘﻠﻋﻮ , c’est‑à‑dire
« l’énonciation de la cause suffit‑elle pour l’énumération ».
[100]
Pour ﺎﻬﻨﻮﻜﻮ il faut lire ﺎﻬﻨﻮﻜﻠﻮ, avec les manuscrits C et D et l’édit. de Boulac.
Le traducteur turc n’a pas rendu ce passage.
[101]
Littéral. « en troncs ou en branches ».
[102]
Littéral. « les qualités ».
[103]
Voyez ci-devant, p. 8.
[104]
Abou Zeïd Abd Allah Ibn Amr, originaire de Debouciyâ, ville située entre
Bokhara et Samarcand, fut le premier qui donna à la controverse (ﻒﻼﺧ) la forme
d’une science ; et il composa plusieurs ouvrages sur le droit et la
théologie scolastique. Il mourut à Bokhara l’an 430 (1038-1039 de J. C.)
[105]
Voyez la 1e partie, p. 391.
[106]
Le célèbre théologien Abou Hamed Mohammed Ibn Mohammed el‑Ghazzali mourut en
505 (1111 de J. C.). Sa vie se trouve dans le dictionnaire biographique d’Ibn
Khallikan, vol. II, p. 621 de la traduction anglaise. (Voy. pour ses doctrines
philosophiques l’ouvrage de M. Munk intitulé Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 366 ; l’Essai
sur les écoles philosophiques chez les Arabes, de M. Schmoelders, et les
Mémoires de l’Académie de Berlin, pour l’an 1858, p. 240 ; article de M.
Kosche.)
[107]
Le cadi Abd el‑Djebbar Ibn Ahmed Ibn Abd el‑Djebbar el-Hemdani, natif
d’Acedabad en Perse, composa plusieurs ouvrages sur la jurisprudence. On lui
attribue aussi un dictionnaire biographique des docteurs motazelites. Il mourut
l’an 415 (1024‑1025 de J. C.)
[108]
Il faut lire ﻥﻴﺴﺣﻠﺍ à la place d’ ﻥﺴﺣﻠﺍ . Le manuscrit C, l’édition de Boulac,
la traduction turque et le dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa
offrent la bonne leçon. — Ce docteur, dont les noms étaient Abou ’l-Hoceïn
Mohammed Ibn Ali el‑Basri (originaire de
Basra), mourut l’an 463 (1070‑1071
de J. C.).
[109]
Voyez la 1e partie, p. 399.
[110]
Abou ’l-Hacen Ali Ibn Abi Ali, surnommé Seïf ed‑Dîn el‑Amedi, docteur de l’école chaféite, composa plusieurs ouvrages
dont on trouvera les titres dans le dictionnaire biographique de Haddji Khalifa.
Il mourut à Damas, l’an 631 (1233-1234 de J. C.).
[111]
Le cadi Ciradj ed‑Dîn Abou ’l‑Thena Mahmoud Ibn Abi Bekr el‑Ormeoui (originaire
d’Ormîa, ville de l’Aderbeïdjan) mourut en 682 (1283‑1284 de J. C.). Il est
auteur de plusieurs ouvrages.
[112]
Selon Haddji Khalifa, le cadi Tadj ed‑Dîn Mohammed Ibn Hoceïn el‑Ormeoui mourut
l’an 656 (1258 de J. C.).
[113]
Le docteur malekite Chihab ed‑Dîn Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn Idrîs el‑Carafi
mourut l’an 684 (1285‑1286 de J. C.).
[114]
Naçîr-ed‑Dîn Abd Allah Ibn Omar el-Beïdaoui, l’auteur de l’ouvrage cité par
Ibn Khaldouni est le même qui composa le célèbre commentaire coranique dont
nous devons une excellente édition aux soins de M. Fleischer. Beïdaoui mourut
l’an 685 (1286 de J. C.).
[115]
Pour ﻥﺑﺍﻮ , lisez ﻥﺑﺍ. — Abou Amr Othman Ibn Omar Ibn el‑Hadjeb, surnommé Djemal ed‑Dîn, naquit dans la haute
Égypte vers l’année 570 de l’hégire (1175 de J. C.). Il fit ses études au
Caire, enseigna la doctrine du rite malekite à Damas et rentra ensuite dans
son pays natal. Il mourut à Alexandrie l’an 646 (1249). — J’ai déjà parlé de ce
littérateur dans l’introduction de la première partie, p. XX, note 6, mais,
par une erreur bien regrettable, j’ai dit qu’il était natif de Jaën en
Espagne. Sa vie se trouve dans ma traduction anglaise du dictionnaire
biographique d’Ibn Khallikan, vol. II, p. 193.
[116]
Voyez ci-devant, p. 32.
[117]
Abou ’l‑Yosr Ali Ibn Mohammed el-Pezdevi (en arabe, Bezdoui), auteur de
plusieurs traités sur la jurisprudence et docteur de l’école hanefite, mourut
l’an 482 (1089‑1090 de J. C.). Son ouvrage, l’Osoul, ou « principes
de droit », eut un grand nombre de commentateurs. Ce savant portait les
surnoms de Fakhr el‑Islam et de Seïf el‑Islam.
Il est rare de trouver deux surnoms du même genre portés par le même individu.
[118]
Modaffer ed‑Dîn Ahmed Ibn Ali es-Saati, docteur de l’école hanefite et originaire
de Baghdad, mourut l’an 694 (1294-1295 de J. C.). Son ouvrage, intitulé Bediâ ’n‑Nidham, c’est‑à‑dire
« original par son arrangement », eut un très grand nombre de
commentateurs parmi les Hanefites et les Chaféites.
[119]
Ici et plus loin l’auteur semble croire que les quatre grands jurisconsultes
fondateurs des quatre écoles de droit orthodoxes vivaient à la même époque,
ce qui n’est pas exact. Abou Hanîfa mourut l’an 150 de l’hégire ; Malek,
l’an 179 ; Chafêi, l’an 204, et Ibn Hanbel, l’an 241.
[120]
Il faut corriger le texte et lire ﺐﺎﻫﺬﻠ ﺪﺎﻬﺗﺟﻻﺍ .
[121]
Littéral. « qui étaient la matière ».
[122]
Nous voyons, par le manuscrit D, par l’édition de Boulac et par la traduction
turque, que le passage suivant a été omis dans l’édition de Paris.
[123]
Littéral. « les points sur lesquels était tombé leur idjtihad. »
[124]
Le manuscrit D et l’édition de Boulac offrent la leçon ﻥﺍﺭﻣ . Je lis ﻥﺍ ﻥﻣ . Le
traducteur turc a omis le passage.
[125]
Littéral. « De la jurisprudence controversible ».
[126]
M. de Sacy a publié le texte et la traduction de ce chapitre dans son Anthologie grammaticale arabe, p. 473 et suiv. En reproduisant ici sa
traduction avec quelques modifications, je dois faire observer que le terme djedl est employé par les scolastiques
arabes pour désigner cette branche de science qu’Aristote appela la topique ;
et, en effet, c’est à la topique que se rapportent les indications offertes
par les trois derniers paragraphes de ce chapitre. Il en est autrement du
premier paragraphe, dans lequel il s’agit évidemment de la science que les
musulmans nomment Adab el‑Bahth (convenances
à observer dans la discussion). L’auteur me paraît s’être trompé en confondant
deux sciences qu’on regarde comme tout à fait distinctes.
[127]
Rokn ed‑Dîn el‑Amîdi Abou Hatned Mohammed Ibn Mohammed, docteur de l’école hanefite,
natif de Samarcand et auteur d’un célèbre traité sur la dialectique, mourut
l’an 615 (1218 de J. C.).
[128]
Hafedh ed‑Dîn Abou ’l‑Berekat Abd Allah Ibn Ahmed en‑Necefi, célèbre docteur
de l’école hanefite et auteur d’un grand nombre d’ouvrages, mourut l’an 710 (1310‑1311 de J. C.).
§ La théologie scolastique.
§
p.40 *27 La théologie scolastique (Eïlm el‑Kelam) est une science qui fournit les moyens de prouver les dogmes de la
foi par des arguments rationnels, et de réfuter les innovateurs qui, en ce qui
concerne [1]
les croyances, s’écartent de la doctrine suivie par les premiers musulmans et
par les observateurs de la Sonna. Le
fond [2]
de ces dogmes est la profession de l’unité de Dieu.
§
Nous commencerons ce chapitre par donner, sous
une forme digne d’attention [3],
une preuve rationnelle de l’unité divine, preuve qui nous en fera voir la
réalité de la manière la plus courte et la plus simple. Nous expliquerons
ensuite le véritable caractère de la théologie scolastique, et, en parlant des
matières dont elle s’occupe, nous indiquerons les causes qui firent naître
cette science, et cela dans un temps où l’islamisme était déjà établi.
§
Toute chose qui, dans le monde sublunaire a eu
un commencement [4],
tant les essences (ou individus) que les actions des hommes et celles des
animaux, doit nécessairement avoir eu des causes antécédentes ; causes au
moyen desquelles cette chose arrive conformément à l’usage établi [5]
et auxquelles elle doit l’achèvement de son être (ε̉ντελέχεια) [6].
Chacune de ces causes, ayant eu aussi un commencement, doit dériver d’une
autre cause, et ainsi de suite, en p.41 remontant
jusqu’à la cause des causes, celle qui leur donne l’existence et qui les a
créées. Cette cause, c’est le Dieu unique, gloire soit à lui !
§
Les causes deviennent plus nombreuses à mesure
qu’elles remontent ; elles s’étendent en ligne directe et en lignes
collatérales [7],
de sorte que l’intelligence (de l’homme) est incapable de les suivre et de les
énumérer. Nulle intelligence ne peut les comprendre en totalité, excepté celle
qui embrasse tout. Cela est surtout évident pour ce qui regarde les actions des
hommes et des animaux, lesquelles ont manifestement parmi leurs causes des
intentions et des volontés. En effet, la production d’un acte ne peut
s’effectuer qu’au moyen de la *28 volonté
et de l’intention. Or les intentions [8]
et les volontés dépendent de l’âme et naissent ordinairement de concepts (ou
simples idées) préexistants et se suivant les uns les autres. Ces concepts sont
les causes qui produisent l’intention de faire l’acte et ont ordinairement pour
causes d’autres concepts. On ne peut connaître la cause (primitive) d’aucun
concept qui a lieu dans l’âme, car personne n’est capable de comprendre les
origines des choses qui se rattachent à l’âme ni l’ordre dans lequel elles se
présentent. C’est Dieu qui jette les concepts dans la faculté réflective, les
uns à la suite des autres ; aussi l’homme ne peut connaître ni leur
origine ni leur fin. Si nous savons, comme cela arrive ordinairement, que
certaines causes naturelles et extérieures s’offrent à nos facultés perceptives
dans un ordre et un arrangement invariable, cela tient à ce que la nature
(externe) est du domaine de l’âme et peut en être comprise. Les concepts, au
contraire, se présentent dans un ordre que l’âme ne saurait comprendre ;
ils sont du domaine de l’intelligence, lequel est plus vaste que celui de l’âme.
Aussi l’âme ne peut pas embrasser la plupart de ces concepts et encore moins
leur totalité. Voyez, à ce sujet, une marque de la sagesse du législateur
inspiré : il nous a défendu l’investigation des causes et prescrit de ne
pas nous y arrêter. En effet, une telle p.42
occupation est, pour l’esprit, une vallée dans laquelle il s’égare au
hasard, sans rien y trouver d’utile [9]
et sans en découvrir le véritable caractère. Dis(‑leur, ô Mohammed !) c’est Dieu (qui fait tout), et puis,
laisse‑les se débattre à plaisir dans leur bourbier [10].
L’homme s’arrête souvent à une cause sans pouvoir remonter plus haut ; le
pied lui glisse alors, et il se trouve, un beau matin, au nombre de ceux qui se
sont égarés et perdus. Que Dieu nous garde de ce qui peut tromper notre espoir
et nous mener à une perte certaine !
§
Il ne faut pas s’imaginer qu’en s’arrêtant à une
cause ou en renonçant à la reconnaître pour telle, on agit de son plein
pouvoir et de sa libre volonté. Il n’en est pas ainsi : (ce qu’on fait
alors) est le résultat d’une couleur (ou habitude) que l’âme a prise, d’une
teinture qu’elle a reçue à force de plonger dans l’abîme des causes, en suivant
un *29 système dont elle ne se rend pas
compte ; car, si elle le comprenait, elle se garderait bien de l’adopter.
Il faut donc l’éviter et tâcher de le perdre de vue.
§
Ajoutons que, le plus souvent, on ignore le mode
par lequel les causes agissent sur les effets. Cela ne se connaît que par
l’expérience [11]
et par l’association de ce qu’on observe à ce qui est probable. Mais la vraie
nature de cette influence et la manière dont elle agit nous sont
inconnues : Et Dieu ne vous a
départi qu’une faible portion de la science. (Coran, sour. XVII, vers. 87.) Nous avons reçu l’ordre de renoncer à
toute investigation au sujet des causes, afin de pouvoir diriger nos regards
vers la cause des causes, l’Être qui en est l’auteur et qui leur donne
l’existence. (Cet ordre nous est venu) afin que la croyance à l’unité de Dieu,
telle que nous l’avons reçue du législateur inspiré, laissât dans l’âme une
teinture durable. Le législateur, connaissant ce qui était au delà des
perceptions recueillies par les sens, savait mieux que tout autre les choses
qui pouvaient contribuer à notre bien spirituel et les voies qui devaient nous
mener p.43 au bonheur éternel. Il a
dit : « Celui qui, en mourant, déclare qu’il n’y a point d’autre dieu
que Dieu, entrera dans le Paradis. »
§
L’homme qui s’arrête aux [12]
causes (secondaires, sans remonter plus haut) reste court (dans son progrès) et
mérite, à juste titre, l’appellation d’infidèle. Qu’il nage dans l’océan de la
spéculation et de l’investigation, en étudiant ces matières ; qu’il en
recherche une à une les causes et les influences de ces causes, cet homme, je
le déclare positivement [13],
court à sa perte. Voilà pourquoi le législateur nous a défendu l’investigation
des causes et ordonné de ne croire qu’à l’unité absolue de Dieu. « Dis [14]
: Dieu est un ; Dieu est
l’Éternel ; il n’a point enfanté et n’a point été enfanté ; il n’a
pas d’égal [15]. » (Coran, sour. CXII.) Ne te fie pas à ce que ta faculté réflective te
dira : qu’elle prétende avoir le pouvoir d’embrasser la nature de tous les
êtres créés et leurs causes, qu’elle se déclare capable de comprendre ce qui
existe, jusque dans les moindres détails, réponds‑lui : « Ce que tu
dis à ce sujet n’est que sottise ».
§
Celui qui est doué de la faculté de percevoir
croit, du premier abord, qu’au moyen des sens qui recueillent les perceptions
il a embrassé par son esprit tout ce qui existe, sans en laisser échapper la
moindre partie : c’est là une opinion bien éloignée de la vérité, car
c’est positivement le contraire qui a lieu. Voyez l’homme *30 qui est sourd : pour lui, tout ce qui
existe se borne à ce qu’il aperçoit par les quatre sens (qui lui restent) et
par l’entendement ; pour lui, toute la catégorie d’idées qui se
recueillent par l’audition est comme chose non avenue. Il en est de même de
l’aveugle‑né : pour lui, la classe des perceptions recueillies par la vue
n’existe pas, et, si la foi qu’il ajoute aux paroles de ses parents, de ses
précepteurs et de tous ses contemporains ne le ramenait pas à une opinion plus
juste, il ne p.44 conviendrait jamais de
l’existence des choses dont, on ne s’aperçoit que par la vue. Si de tels
individus admettent l’existence de ce qu’ils n’aperçoivent pas, ils n’y ont pas
été conduits par leur organisation ni par la nature de leurs facultés
perceptives, mais par la voix publique. Si un animal d’un ordre inférieur
possédait la parole et si on l’entretenait de cette classe de notions qui sont
purement intellectuelles, il répondrait qu’il n’y en a pas, car, pour lui,
elles n’ont aucune existence [16].
§
Cela étant bien reconnu, je hasarderai ici mon
opinion. Il y a un genre de perceptions différent de celles que nous
recueillons (par les sens). Nos perceptions, ayant eu un commencement, sont
créées. La nature de Dieu est supérieure à celle de l’homme et ne saurait être
comprise ; l’étendue de la catégorie des choses existantes est trop vaste
pour que l’homme soit capable de l’embrasser en entier. Dieu est au delà de la
portée de l’esprit humain, et lui seul embrasse tout par sa compréhension.
Donc, quand il s’agit de comprendre tout ce qui existe, il faut se méfier de
ses facultés perceptives [17]
et des notions qu’elles recueillent ; il faut obéir au législateur
inspiré, qui, ayant plus de sollicitude pour le bonheur des hommes qu’ils n’en
ont eux‑mêmes, et sachant mieux qu’eux ce qui leur serait vraiment utile, leur
a prescrit ce qu’ils auraient à croire et à faire.
§
(Cela devait être ainsi, ) car le Prophète
appartenait à une classe d’êtres [18]
dont la perceptivité dépassait celle des autres hommes et qui agissaient dans
une sphère dont l’étendue ne se laisse pas embrasser par la raison. Cela n’est
pas toutefois un motif pour déprécier notre intelligence et nos facultés
perceptives : l’intelligence est une balance parfaitement juste ;
elle nous fournit des résultats certains, p.45
sans nous tromper. Mais on ne doit pas employer cette balance pour peser
les choses qui se rattachent à l’unité de Dieu, à la vie future, à la nature du
prophétisme, au véritable caractère des attributs divins et à tout ce qui est
au delà de sa portée. Vouloir le faire, ce serait une absurdité. Que dire d’un
homme qui, voyant une de ces balances qu’on emploie pour peser de l’or,
voudrait s’en servir pour peser des montagnes ? Cela ne prouverait pas que
la balance donne *31 de faux
résultats. La vérité est que la raison est limitée par certaines bornes et
qu’elle ne doit pas essayer de les dépasser dans l’espoir de comprendre la
nature de Dieu et de ses attributs. Elle n’est qu’un atome parmi ceux qui
composent les choses qui existent et qui proviennent de Dieu.
§
Ces considérations feront comprendre l’erreur de
ceux qui, dans ces matières abstruses, se fient à leur raison plutôt qu’à ce
qu’ils ont entendu ; elles feront aussi reconnaître la faiblesse de
l’intelligence humaine et la vanité de ses jugements. Quand on a bien compris
ces vérités, on doit convenir que les causes, lorsqu’elles remontent au delà de
notre compréhension et de notre sphère d’existence, ne sont plus de cette
catégorie qui se laisse apercevoir (par la simple raison). On admettra aussi
que, si la raison tâchait de les saisir, elle irait à l’abandon dans le champ
des conjectures. La confession de l’unité de Dieu est donc l’aveu implicite de
notre impuissance de saisir les causes des
choses et le mode de leur opération ; elle indique que nous en
laissons la compréhension à celui, qui les a créées et dont l’intelligence les
embrasse toutes. Comme il n’y a point d’autre agent que Dieu, toutes les causes
remontent jusqu’à lui et dépendent de sa puissance. Ce que nous savons au sujet
(des causes), nous le devons au fait que nous sommes sortis de lui. Ces
observations feront comprendre la pensée d’un profond investigateur, de la
vérité, qui disait : « L’impuissance de percevoir est un mode de
perception [19]. »
§
p.46 Dans le
dogme de l’unité de Dieu, ce n’est pas la foi, envisagée seulement comme une
simple déclaration affirmative, qu’il faut considérer, car elle n’est alors
qu’un accident de l’âme : ce dogme n’y est pas parfaitement établi tant
qu’il ne lui a pas communiqué une dualité, celle de la foi, et que l’âme ne se
l’est pas assimilée [20].
C’est ainsi que les bonnes œuvres et les pratiques de religion nous ont été
prescrites dans le but de nous former à l’obéissance et à la soumission, et
d’éloigner de nos cœurs toute préoccupation, excepté, (le service de) l’Être
adorable ; de sorte que nous, simples aspirants qui essayons de marcher
(dans le sentier de la vérité), nous puissions devenir parfaits en science et
en religion [21].
§
Il y a autant de différence entre la connaissance
des dogmes de la foi et la réalité (c’est‑à‑dire la croyance intime à
ces doctrines) qu’entre la profession et l’appropriation [22].
Expliquons‑nous : beaucoup de personnes savent que montrer de la
compassion envers les orphelins et *32 les
malheureux rapproche l’homme de Dieu. Comme la compassion est une vertu
fortement recommandée, on prétend la pratiquer ; on en reconnaît
l’importance et l’on se rappelle les passages de la loi qui l’ordonnent ;
et cependant [23],
si l’on voyait un orphelin ou un pauvre malheureux, on serait plus porté à le
fuir et à éviter sa rencontre qu’à essuyer ses larmes. (On ne ressent alors ni)
la compassion, ni les sentiments, encore plus élevés, de la miséricorde, de la
pitié et de la charité. Un tel homme, avec une telle manière d’entendre la
compassion envers les orphelins, ne parvient qu’à la station de la connaissance
seulement ; il n’a pas atteint la station de la réalité [24]
ni celle p.47 de l’appropriation [25].
Parmi les hommes il s’en trouve qui, après avoir occupé la station de la
connaissance et reconnu que la compassion pour les malheureux rapproche de
la faveur de Dieu, parviennent à une station plus élevée, celle de l’appropriation ;
ils se sont approprié la charité, de sorte qu’elle est devenue pour eux une
faculté acquise. Quand ceux‑là voient un orphelin ou un malheureux, ils se
hâtent d’essuyer ses larmes et de mériter la récompense de la compassion qu’ils
ont montrée. On essayerait vainement de les en empêcher ; ils ne se
laisseraient pas arrêter [26]
avant de lui avoir donné une portion de ce qui se trouve sous leur main. Il en
est de même de la connaissance de la doctrine de l’unité et de l’appropriation
de cette doctrine comme qualité de l’âme. L’appropriation en donne nécessairement
la connaissance, et celle‑ci est bien plus solide que la connaissance
acquise avant l’appropriation. Pour arriver à l’appropriation,
la simple connaissance ne sert de rien ; il faut qu’auparavant des
actes aient lieu et qu’ils se répètent assez fréquemment, pour que l’habitude
de les pratiquer devienne pour l’âme une faculté acquise et bien établie.
Alors s’est effectuée l’appropriation et l’action de cette faculté est
assurée ; alors l’âme obtient la connaissance du second degré,
celle qui (est la plus élevée et qui) est la seule qui soit réellement utile à
l’homme, en lui assurant le bonheur dans l’autre vie. La connaissance du
premier degré, celle qui s’acquiert avant l’appropriation, a peu
d’utilité et ne sert presque à rien. C’est cependant celle qui se trouve chez
la plupart des théoriciens qui s’occupent de ces matières. La connaissance
réellement utile est celle qui, née de la piété, a des effets positifs.
§
Voilà comment on se perfectionne dans la
pratique des devoirs que le législateur inspiré a imposés aux hommes. Nous ne
possédons *33 d’une manière parfaite les dogmes
auxquels nous sommes tenus à croire qu’après en avoir obtenu cette connaissance
du second degré [27],
p.48 celle qui résulte de l’appropriation [28] ; et, quant aux actes de piété qui
nous sont prescrits, nous ne pouvons les accomplir parfaitement jusqu’à ce que
l’âme s’y soit formée et se trouve en mesure de bien les exécuter. C’est en
s’appliquant aux actes de dévotion et en les pratiquant avec constance qu’on
parvient à recueillir le fruit précieux (pour lequel où travaille. Le
Prophète a dit, en parlant de ce qui est la partie fondamentale de la
dévotion : « Ma plus grande jouissance est dans la prière [29]. »
En effet, l’habitude de prier était devenue pour son âme une qualité et un état
réel [30],
au moyen desquels il parvenait à goûter un plaisir extrême et une vive
jouissance. Quelle différence entre une prière de cette nature et les prières
que font les autres hommes ! Qui pourrait les aider à en faire une
semblable ? Malheur à ceux qui sont distraits en faisant la prière !
Seigneur Dieu ! aide‑nous de ta grâce et dirige‑nous dans la voie droite, dans la voie de ceux que tu as favorisés, de ceux qui n’ont pas
encouru ta colère et qui ne se sont pas égarés. Amen. (Coran, sour.
I.)
§
Ce que nous venons d’exposer montre qu’à l’égard
des prescriptions du législateur l’essentiel pour l’âme est d’acquérir une
faculté qui s’y tienne solidement et qui y produise une connaissance indispensable,
celle de l’unité divine, dogme dont la croyance suffit pour nous procurer le
bonheur éternel. Cette (assimilation) est vraie pour toutes les prescriptions,
tant celles qui concernent l’âme que celles qui concernent le corps. On
comprend alors [31]
que la foi, principe et base de tous les devoirs imposés par le législateur,
représente cette faculté acquise.
§
p.49 La foi
est de plusieurs degrés, dont le premier est celui où la croyance du cœur (la
conviction interne) s’accorde avec la profession faite par la langue. Le degré
le plus élevé, c’est l’acquisition d’une certaine manière d’être qui, provenant
de la croyance dont le cœur est pénétré et de l’influence des œuvres qui sont
les conséquences de cette croyance, finit par régner sur le cœur, par agir en
maître sur tous les membres du corps, par réduire sous sa domination les
diverses actions de l’homme, et par l’empêcher de rien faire sans sa
permission. Voilà le degré le plus élevé de la foi ; c’est la foi parfaite, celle qui, se *34 trouvant chez le croyant, l’empêche de
commettre non seulement les grands péchés, mais les petits. En effet, cette
faculté acquise est alors si fortement établie dans l’âme, qu’elle ne permet
pas à l’homme de s’écarter, même pour un seul instant, des sentiers qu’elle lui
a tracés. Le Prophète a dit : « Le fornicateur ne commet plus l’acte
de fornication quand il est devenu vrai croyant [32]. »
Une tradition nous apprend qu’Héraclius (l’empereur grec), ayant interrogé Abou
Sofyan Ibn Harb au sujet du Prophète, lui demanda si jamais un des Compagnons
avait renoncé à l’islamisme par dégoût, après l’avoir embrassé [33],
et quand Abou Sofyan lui eut répondu que non, il fit cette observation :
« Tel est l’effet de la foi lorsque son influence excitante [34]
a pénétré dans les cœurs. » Il donnait ainsi à entendre que, si la foi est
fermement établie dans le cœur, l’âme ne peut guère lui désobéir ;
principe qui est vrai de toutes les facultés acquises, pourvu qu’elles soient
bien raffermies dans l’âme. Elles lui tiennent lieu de naturel primitif et de
disposition innée.
§
Le degré le plus élevé de la foi
correspond [35]
au degré inférieur de p.50 l’impeccabilité
(eïsma), état particulier aux prophètes, et dans lequel ils se trouvent
placés par suite d’une nécessité absolue et prédéterminée. Il en est autrement
dit (plus haut) degré de la foi auquel les hommes peuvent atteindre : ils
y parviennent par suite de leurs actions et de leur croyance. Cette qualité se
laisse parfaitement acquérir par l’âme, bien que, dans la foi elle‑même, il y ait
plusieurs caractères distincts. On en reconnaît quelques‑uns [36]
quand on se fait lire les paroles des premiers musulmans et quand on examine
les titres des diverses sections dont se compose le chapitre (du Sahîh)
dans lequel El‑Bokhari traite de la foi. On y voit, par exemple, que la foi
consiste en paroles et en actes, qu’elle peut augmenter et diminuer, que la
prière et le jeûne en font partie, ainsi que la modestie et l’observation
volontaire (du jeûne pendant le mois) de ramadan. En parlant de la foi
parfaite, qui devient une faculté de l’âme et un agent effectif, nous avons
entendu la réunion de tous ces caractères.
§
Quant à la croyance,
premier degré de la foi, elle n’offre aucune diversité de caractère. Si
l’on tient compte de la signification primitive des mots et que l’on prenne le
mot foi (iman) dans le sens de croyance, on nie l’existence
d’une diversité de caractères dans la foi, et telle est la doctrine des grands
théologiens scolastiques ; si, au contraire, on prend les mots dans le
dernier sens qu’on leur a assigné et qu’on se serve du mot foi pour
désigner cette faculté qui s’appelle la foi parfaite, on verra
clairement qu’il implique une diversité de
*35 caractère [37].
Cela n’infirme pas le fait que la croyance, premier degré véritable de la foi,
se distingue par son homogénéité : la croyance existe dans tous les degrés
de la foi, et ce fut elle qu’on désigna d’abord par le nom de foi. C’est
elle qui nous dégage de p.51 l’infidélité,
c’est elle qui forme la distinction [38]
entre le vrai croyant et l’infidèle ; moins que la croyance ne sert de
rien. La croyance est en elle‑même une réalité simple, qui ne se compose pas de
parties. C’est dans l’état où l’âme s’est mise à la suite d’actes (fréquemment
répétés) que se trouve la diversité, ainsi que nous l’avons déjà dit et que le
lecteur doit le comprendre.
§
Le législateur a fait la description de ce genre
de foi, celle qui est du degré le moins élevé et qui s’appelle croyance, car il désigna particulièrement
certaines choses auxquelles il fallait croire de tout son cœur et du fond de
son âme, et qu’on était obligé d’affirmer au moyen de la langue. Ces choses
sont les dogmes établis de la religion. On l’avait interrogé au sujet de la
foi, et il répondit : « Elle consiste à croire en Dieu, en ses anges,
en ses livres révélés, en ses apôtres, au dernier jour et à la prédestination
tant pour le mal que pour le bien. » Tels sont les dogmes que les
théologiens scolastiques établissent par des preuves. Nous les indiquerons ici
d’une manière sommaire afin de faire connaître le véritable caractère de la
science scolastique et la manière dont elle a pris son origine.
§
Sachez que le législateur, en nous ordonnant de
croire à ce créateur auquel, ainsi que nous l’avons dit, il rapporte toutes
les actions (des êtres créés) et qu’il regarde comme en étant la cause unique,
et en nous apprenant que la foi serait notre salut à l’heure de la mort, ne
nous a pas fait connaître la vraie nature du Créateur adorable, parce que de
telles notions sont au‑dessus de notre intelligence et dépassent notre
compréhension. Il se borna à nous prescrire d’abord la croyance que Dieu est
trop élevé, par son essence [39],
pour être assimilé aux êtres créés ; car, en supposant cette ressemblance p.52 dans le mode d’existence, on admettrait
qu’il n’y a pas entre Dieu et les êtres créés cette différence (d’espèce) qui
seule pouvait lui donner le pouvoir de les créer. Il nous apprit ensuite que
Dieu était trop élevé (tenzîh) pour posséder aucun attribut imparfait,
car autrement il aurait *36 de la
ressemblance avec ses créatures ; puis il nous dit que Dieu est unique par
sa nature divine [40],
car (s’il y avait plusieurs dieux) la création n’aurait pas pu s’effectuer à
cause du conflit de leurs volontés [41].
Il nous prescrivit ensuite de croire que Dieu sait tout et qu’il est tout‑puissant ;
car, sans cela, les actions (des créatures) n’auraient pas pu s’accomplir (vu
que c’est par lui qu’elles se font) ; — que Dieu, ayant tout pouvoir de
créer et de produire, est témoin (de l’exécution), de ses jugements [42] ;
— qu’il possède la volonté ; car, sans elle, il n’aurait tiré du néant
aucun être préférablement à un autre [43] ;
— qu’il a prédestiné tous les événements, car autrement sa volonté ne serait
pas éternelle [44] ;
— qu’il nous ramènera à la vie après notre mort, afin de compléter la grâce
qu’il nous avait faite en nous donnant l’existence pour la première fois, car,
s’il nous avait créés pour subir l’anéantissement absolu, cela aurait été (de
sa part) un acte de dérision ; donc il nous a créés afin de nous accorder
l’existence éternelle après la mort ; — que la mission des prophètes a eu
lieu pour nous sauver d’un sort misérable au jour où nous comparaîtrons devant
Dieu, car il y aura alors du malheur pour les uns, du bonheur pour les
autres ; et, comme c’était là une chose que nous ne savions pas, il nous
l’a p.53 fait annoncer (par des prophètes),
afin de mettre le sceau à sa bonté et de nous rendre capables de distinguer la
bonne voie de la mauvaise [45] ;
— enfin que le paradis a été fait pour être un lieu de bonheur, et l’enfer
pour être un lieu de tourment.
§
La vérité de ces dogmes de la foi musulmane a
ses preuves particulières fondées sur la raison et beaucoup d’autres tirées du
Coran et de la Sonna. Celles‑ci sont
les bases sur lesquelles les premiers musulmans avaient établi leur
croyance ; les savants (uléma) ont signalé ces preuves à notre
attention (comme étant les meilleures) et celles dont la certitude a été admise
par les grands docteurs de la religion.
§
Plus tard, cependant, il survint des différences
d’opinion, au sujet des doctrines secondaires qui se rattachent à ces dogmes,
différences qui, presque toutes, eurent pour causes ces versets du Coran dont
le sens est obscur [46] :
Cela conduisit à des disputes, à des discussions et à l’emploi de preuves
tirées de la raison pour renforcer celles qui étaient basées sur la tradition,
et voilà comment la théologie scolastique prit son origine.
§
Nous exposerons ici en détail ce que nous venons
d’indiquer d’une manière sommaire. Le Coran attribue à l’(Être) adorable la
qualité de l’exemption (tenzîh) absolue, et cela dans un grand
nombre de versets dont la signification est si évidente qu’on ne saurait leur
donner un autre sens, et qui expriment toujours l’idée de privation [47].
Chacun de ces versets est tellement clair dans ce qu’il énonce que nous devons
l’accepter et y croire. Les discours du Prophète, des Compagnons et de leurs
disciples montrent qu’ils ont entendu ces versets dans leur sens littéral. Il
se présente ensuite dans le Coran d’autres [48]
versets, p.54 *37
mais en petit nombre, dont les uns paraissent donner à entendre
qu’il y a (entre Dieu et les hommes) une ressemblance dans l’essence (la
nature), et dont les autres semblent indiquer une ressemblance dans les qualités
(ou attributs). Aux yeux des anciens musulmans, les versets de la privation
l’emportaient sur les autres, parce qu’ils étaient plus nombreux et plus
clairs. Ils sentaient l’absurdité de l’assimilation et, tout en
reconnaissant que les versets (obscurs) faisaient réellement partie de la
parole de Dieu, et en y croyant, ils n’essayaient pas d’en éclaircir la
signification par l’emploi de la disquisition et de l’interprétation
allégorique. Cela nous fait comprendre le sens d’une parole énoncée par
plusieurs d’entre eux : « Laissez-les (ces versets) passer [49]
comme ils viennent, y disaient‑ils ; nous donnant ainsi à entendre que
nous devions croire à leur origine divine et nous abstenir de leur trouver une
interprétation, ou même de vouloir les expliquer [50].
Il se peut (disaient‑ils) que ces versets [51]
aient été révélés dans le but de mettre à l’épreuve (la foi des
croyants) ; aussi vaut‑il mieux s’abstenir de les examiner [52]
et nous humilier devant Dieu. Dans les premiers temps il y avait un petit
nombre d’individus, amateurs de nouveautés, qui, prenant ces versets dans leur
sens apparent, se jetaient dans l’assimilation : les uns appliquaient cette assimilation à la personne même de Dieu,
en lui supposant des mains, des pieds et un visage, et cela parce qu’ils se
tenaient au sens littéral de certains versets, qui semblaient exprimer cette
idée. Ils tombaient, de cette façon, dans l’anthropomorphisme pur, et
adoptaient des opinions contraires à ce que les versets d’exemption leur imposaient ;
car l’idée que le mot corps éveille dans l’intellect est celle
d’imperfection et d’insuffisance. Il est donc préférable de reconnaître
l’autorité supérieure des versets de privation
qui énoncent l’exemption p.55 absolue,
versets consultés plus souvent que les autres, et offrant une signification
plus claire, que de s’attacher au sens apparent de certains versets dont on
peut fort bien se passer, et de chercher à concilier ces deux classes
d’indications par des interprétations forcées [53].
§
Ces gens‑là, voulant éviter le reproche
d’adopter une doctrine aussi abominable (que l’anthropomorphisme), disent (que
le corps de Dieu est) un corps qui n’est pas comme les corps
(ordinaires) ; mais ce subterfuge ne peut leur servir de rien ;
l’expression Dieu est un corps qui
n’est pas comme les corps renferme une contradiction, puisqu’elle énonce
simultanément une négation et une affirmation, dans le cas où on lui attribue
une des idées que le mot corps éveille dans l’intellect ; si, au
contraire, ils disent que la négation et l’affirmation s’appliquent l’une à un
(corps spirituel) et l’autre à un (corps matériel) et servent à nier (qu’on
attache au corps de Dieu) les idées usuelles que le mot corps éveille
dans l’esprit, ils sont alors de notre avis au sujet de l’exemption, et ils
n’ont qu’à déclarer que le mot corps est un de ces termes (qui
s’emploient d’une manière particulière en parlant) de Dieu. Alors leur doctrine
peut être admise.
§
Il y avait d’autres innovateurs qui allaient
jusqu’à l’assimilation des *38 attributs (en attribuant à Dieu ce qui ne convient qu’aux
hommes) : ils affirmaient la réalité du lieu (qu’il occupe), de son action
de s’asseoir et de descendre, de sa voix, de la lettre [54]
et autres choses semblables. Cette opinion conduit aussi à
l’anthropomorphisme, bien qu’ils eussent déclaré, à l’instar de ceux dont nous
venons de parler, que c’est une voix différente des autres voix, un lieu qui
n’est pas comme les autres lieux, une descente qui n’est pas comme les autres,
c’est-à‑dire comme les voix, les lieux et les descentes des corps (matériels) ;
mais cette opinion se réfute par l’argument que nous avons opposé aux premiers.
Il ne nous reste donc rien à faire, en ce qui p.56
concerne le sens apparent (de certains versets), que de nous en tenir à
la croyance des premiers musulmans et à leur pratique, et d’accepter pour vrais
ces versets tels qu’ils sont ; de cette manière, nous empêcherons que la
négation de leur sens amène la négation de leur autorité, bien qu’ils soient
parfaitement authentiques et qu’ils fassent partie du Coran. C’est vers cette
opinion que tend [55]
ce que nous lisons dans la Riçala (ou
épître) d’Ibn Abi Zeïd [56],
dans le Mokhtecer (ou abrégé) du
même auteur, dans le livre d’Ibn Abd el‑Berr [57]
et dans d’autres traités. Les auteurs de ces écrits ont tourné autour de l’idée
que nous venons d’énoncer (et l’ont entrevue), et, si le lecteur ne se laisse
pas égarer par leurs discours embrouillés [58],
il y reconnaîtra les notions accessoires qui conduisent à ce que nous venons
d’énoncer.
§
Les connaissances scientifiques et les arts
s’étant ensuite multipliés, on se mit à former des recueils (de notions
utiles) ; on dirigea ses investigations vers tous les sujets [59],
et les théologiens scolastiques composèrent des ouvrages sur l’exemption.
Alors se produisit une nouvelle doctrine, celle des Motazelites qui,
entendant de la manière la plus compréhensive l’exemption qui est indiquée dans les versets de privation, déclarèrent qu’il
fallait nier non seulement les conclusions tirées (de l’existence) des attributs essentiels [60], lesquels sont la science, la puissance, la volonté et la vie, mais l’existence
même de ces attributs. « Car, disaient‑ils, cela (c’est‑à‑dire admettre
qu’ils existent) p.57 conduirait
nécessairement à [61]
(reconnaître) la multiplicité de l’(Être) éternel. » Cette opinion se réfute par la déclaration
que les attributs ne sont ni l’essence même (du sujet), ni une autre chose (que
l’essence) [62].
Comme ils niaient l’attribut de la volonté, ils étaient obligés de nier aussi
la prédestination, vu que la prédestination est l’antériorité de la volonté à
l’égard des êtres créés [63].
Ils rejetaient aussi les attributs de l’ouïe et de la vue, pour la raison que
ces facultés sont des accidents propres aux corps. On réfute cette opinion en
faisant observer *39 que la
signification du mot (ouïe et du mot vue) n’implique pas nécessairement l’idée
d’une organisation (corporelle servant à recueillir des perceptions) ; ces
mots ne désignent que la perception même de ce qui peut s’entendre et de ce qui
peut être vu. Ils rejetaient l’attribut de la parole pour la même raison et
parce qu’ils étaient incapables de comprendre le caractère [64]
de cette parole qui existe in mente (Dei).
Ils déclaraient que le Coran était une chose créée, (énonçant ainsi)
une nouveauté absolument contraire à l’opinion hautement professée par les
anciens musulmans.
§
La promulgation de cette doctrine pernicieuse
fit énormément de mal ; quelques khalifes [65]
l’apprirent de certains imams de la secte motazelite et obligèrent le peuple à
y croire. La résistance opposée par les imams de la vraie religion à cet ordre
tyrannique leur attira, p.58 aux uns des
châtiments corporels, et aux autres la mort. Ce fut alors que les partisans de
la Sonna s’appliquèrent à démontrer
la vérité des dogmes orthodoxes par des preuves tirées de la raison, afin de
réfuter ces nouveautés. Le cheïkh (ou docteur) Abou ’l‑Hacen el‑Achari [66],
le grand chef des théologiens scolastiques, se chargea aussi de cette tâche et
suivit un plan qui tenait le milieu entre les autres systèmes. Il répudia l’assimilation,
reconnut l’existence des attributs essentiels et restreignit l’exemption
aux mêmes choses que les anciens musulmans avaient précisées, toutes les fois
que des preuves spéciales faisaient voir qu’on devait y appliquer, d’une manière
générale, le principe de l’exemption. Il démontra, à l’aide de la raison
et de la tradition, la réalité des quatre attributs essentiels et celle de
l’ouïe, de la vue et de la parole, qui existe in mente (Dei). Sur
tous ces points il répondit victorieusement aux novateurs et discuta avec eux
au sujet du bien, du mieux, de la connaissance du bon et du mauvais [67],
principes dont ils s’étaient servis afin de frayer le chemin à leur hérésie. Il
démontra complètement les dogmes qui se rapportent à la résurrection, aux
circonstances du jour du jugement, au paradis, à l’enfer, aux peines et aux
récompenses (de l’autre vie). Il composa, de plus, un discours sur l’imamat,
parce que les imamiens venaient de répandre leur doctrine et d’enseigner,
comme un dogme de la foi, la nécessité de croire à l’imamat [68],
et parce qu’ils déclaraient que le Prophète était obligé, par devoir, à
préciser le caractère de cet office et à dégager sa responsabilité en la
confiant à p.59 celui qui y avait droit.
« Le même devoir, disaient‑ils, était imposé à tout le peuple
musulman. »
§
Bien que l’imamat ne soit qu’une institution
établie en vue de *40 l’utilité
publique et reconnue par le consentement général, et qu’y croire ne soit pas un
article de foi, on l’a cependant classé parmi les matières auxquelles se
rapportent les problèmes dont la discussion appartient à la science qui nous
occupe. La réunion de ces discussions forme ce qu’on appelle la science de
la parole (la théologie scolastique).
On la nommait ainsi, soit à cause des controverses qui eurent lieu au sujet des
nouvelles doctrines, controverses qui n’étaient que de pures paroles demeurées
sans effet [69],
soit parce que son invention et son étude eurent pour cause les disputes des
docteurs sur la réalité de la parole in mente (Dei).
§
El‑Achari laissa un grand nombre de disciples
qui marchèrent sur ses traces et entre lesquels nous pouvons signaler Ibn‑Modjahed.
Le cadi Abou Bekr el‑Bakillani étudia sous eux et finit par devenir le chef de
cette école. Il réduisit en système les doctrines qu’on y professait et fixa
les principes qui servent d’introduction à cette science, principes fournis par
le raisonnement et formant la base [70]
de toutes les preuves employées par les scolastiques et de toutes leurs
spéculations. Ainsi il enseigna l’existence des atomes et du vide ; il
déclara qu’un accident ne saurait exister dans un autre accident, et qu’un même
accident ne saurait durer deux instants de temps [71].
Croyant que la nullité d’une preuve impliquait la nullité de ce qu’on prétend
prouver, il enseigna qu’immédiatement après l’obligation de croire aux dogmes
de la foi venait l’obligation de reconnaître ces principes comme vrais. Ce fut
ainsi que se compléta un système de doctrine qui forme une des plus belles p.60 branches de la science spéculative et
théologique. Il faut toutefois avouer que les démonstrations dont l’auteur se
sert ne sont pas toujours conformes aux règles de l’art. Cela eut pour causes
l’extrême simplicité des connaissances qui existaient chez les (scolastiques)
de cette époque, et la circonstance que la logique, art au moyen duquel on
contrôle l’exactitude des démonstrations et qui prescrit l’observation des
règles syllogistiques, n’avait pas encore paru chez le peuple musulman. Quand
même on y aurait introduit quelques principes de cet art, les scolastiques se
seraient bien gardés de les adopter : la logique tenait de près aux
sciences philosophiques, sciences tellement différentes des doctrines
enseignées par la loi révélée, que cela seul aurait suffi pour la faire
repousser.
§
Après le cadi Abou Bekr [72],
qui fut un des grands docteurs de cette école, parut l’imam El‑Haremeïn Abou ’l‑Maali [73].
Celui-ci dicta *41 à ses élèves le
contenu d’un ouvrage qu’il avait composé sur la matière et qu’il intitula Chamel (le compréhensif). Ce livre, dans
lequel l’auteur s’étendait très longuement, fut ensuite abrégé par lui et
obtint, sous le titre Kitab el‑Irchad (livre
de la direction), la plus haute autorité chez les Acharites, comme résumé de
leurs doctrines.
§
L’art de la logique, s’étant ensuite introduit
chez les musulmans, devint pour eux un objet d’étude. On l’avait excepté de la
réprobation qui s’attachait aux sciences philosophiques, parce qu’on le
regardait comme une simple règle, ou pierre de touche, au moyen de laquelle on
pouvait éprouver l’exactitude, non seulement des arguments philosophiques,
mais aussi de ceux qui s’emploient dans les autres sciences. L’on se mit alors
à examiner les principes que les anciens maîtres avaient posés comme bases de
la scolastique, et l’on fut conduit, par des arguments tirés en grande partie
des traités rédigés par les anciens philosophes sur la physique et la métaphysique,
à repousser plusieurs de ces maximes. Tel fut le résultat auquel on arriva en
appliquant la logique à la scolastique. On rejeta même le principe p.61 admis par le cadi El‑Bakillani,
savoir : que la nullité de la preuve impliquait celle de la chose qu’on
croyait avoir prouvée. Le système qu’on venait d’introduire, et que tous les
scolastiques s’accordaient à accepter, différait beaucoup de l’ancien et était
désigné par le nom de système des
modernes. On y introduisit la réfutation de certaines doctrines enseignées
par les anciens philosophes et contraires aux dogmes de la foi ; on rangea
même ces philosophes parmi les adversaires de la religion, parce qu’il y avait
beaucoup d’analogie entre leurs opinions et celles dont les sectes hétérodoxes
de l’islamisme faisaient profession.
§
El‑Ghazzali [74]
fut le premier qui adopta ce plan dans ses écrits sur la scolastique. L’imam
(Fakhr ed‑Dîn) Ibn el‑Khatîb suivit son exemple, et une foule d’étudiants les
prirent pour autorités et pour guides. Les théologiens de l’époque suivante se
plongèrent dans l’étude des livres composés par les anciens philosophes et
finirent par confondre l’objet de la scolastique avec celui de la philosophie.
Ils regardèrent même ces deux sciences comme identiques, à cause de la ressemblance
qui existe entre les problèmes de l’une et ceux de l’autre.
§
Sachez maintenant que les théologiens
scolastiques, lorsqu’ils voulaient *42 démontrer
l’existence et les attributs du Créateur, citaient comme argument l’existence
des êtres créés et tout ce qui les concerne ; ce qui, du reste, était
leur manière ordinaire de procéder. Or le corps naturel, considéré sous le même
point de vue que les philosophes l’ont regardé dans leurs traités de physique,
fait partie de ces êtres. Mais leur manière de l’envisager est directement opposée
à celle des théologiens scolastiques ; ils ne voient dans le corps qu’un
être capable de mouvement et de repos, tandis que les autres y voient une chose
qui indique l’existence d’un agent. C’est de la même manière que les
philosophes procèdent dans leurs traités de métaphysique : ils ne
regardent qu’à l’existence absolue (des êtres) et à ces (qualités) que
l’existence exige par son essence même ; les scolastiques, au contraire,
ne voient dans l’existence (des êtres) qu’une preuve de l’existence d’un
créateur.
§
p.62 En somme,
les scolastiques posent d’abord comme principe que la vérité des dogmes est
constatée par la loi révélée ; puis ils les considèrent comme formant
l’objet de la science qu’ils cultivent, et cela en tant qu’on peut défendre ces
dogmes au moyen d’arguments tirés de la raison. « De cette manière on
parvient (disent‑ils) à repousser les nouveautés hétérodoxes et à lever les
doutes et les incertitudes qu’on peut avoir au sujet des dogmes. »
§
Si l’on considère les commencements de cette
science et le progrès régulier de sa marche à travers les générations
successives de docteurs, qui, après avoir admis comme principe que les dogmes
étaient vrais, mettaient en avant des arguments et des preuves, pour appuyer leur
opinion, on reconnaîtra l’exactitude de ce que nous avons déjà énoncé
relativement à l’objet de cette science, objet au delà duquel elle ne doit pas
passer.
§
Les scolastiques des derniers siècles ont fait
un mélange des deux systèmes et confondu les problèmes de la scolastique avec
ceux de la philosophie, de sorte qu’on ne saurait distinguer l’une de ces
sciences de l’autre, et l’on chercherait en vain dans leurs livres quelques
indications sur ce sujet. Le Taoualê [75]
d’El‑Beïdaoui et tous les ouvrages composés par les savants étrangers (non
arabes, persans) qui florissaient après lui sont la preuve de ce que nous
avançons.
§
Un certain nombre d’étudiants se sont occupés de
ce système (hybride), dans le but de se mettre au courant des doctrines qui *43 s’y trouvent, et d’acquérir une connaissance
approfondie des arguments (dont on s’était servi pour défendre les dogmes de
la foi), arguments qui, en effet, s’y trouvent en grande abondance ; mais,
si l’on veut appliquer les principes de la scolastique au système des anciens
musulmans, il faut suivre le procédé des premiers scolastiques, procédé basé
sur les indications du Kitab el‑Irchad
(de l’imam el-Haremeïn) et d’autres livres rédigés sur le même plan. Je
recommande à celui qui veut défendre ses croyances en réfutant les p.63 philosophes d’étudier les traités d’El‑Ghazzali
et de l’imam Ibn el‑Khatîb ; car, bien que leurs écrits s’écartent du
plan [76]
que les anciens s’étaient accordés à suivre, ils n’offrent ni ce mélange de
problèmes (dont nous avons parlé), ni cette confusion d’idées qui se remarque
dans les ouvrages des scolastiques modernes relativement à l’objet de la
science qu’ils enseignent.
§
En somme, nous dirons que la connaissance de
cette branche de science qui s’appelle la scolastique
n’est pas maintenant nécessaire pour l’étudiant, puisqu’il n’existe plus
d’hérétiques ni d’impies, et que les livres et compilations laissés par les
grands docteurs orthodoxes sont parfaitement suffisants pour nous guider.
L’emploi de preuves tirées de la raison était bon quand il fallait défendre la
religion et en confondre les adversaires ; mais aujourd’hui (il n’en est
pas ainsi, car) il ne reste (de ces opinions dangereuses) qu’une ombre de
doctrine [77],
dont nous devons repousser [78]
les suppositions et les assertions par respect pour la majesté de Dieu [79].
§
El‑Djoneïd [80]
passa un jour auprès d’un groupe de docteurs scolastiques qui exposaient leurs
opinions à grand flux de paroles, et il demanda qui étaient ces gens‑là ?
On lui répondit : « Ce sont des gens qui se servent de la
démonstration afin d’écarter de Dieu les attributs propres aux êtres créés et
les indices de l’imperfection. » Il dit alors : « Nier le défaut
quand ce défaut ne saurait possiblement exister est un défaut (de jugement).
Cette science est pourtant d’une certaine utilité pour quelques esprits d’élite
et pour ceux qui cherchent à s’instruire ; car il serait honteux pour une
personne qui sait par cœur toute la Sonna
d’ignorer les preuves spéculatives qui peuvent s’employer dans p.64 la défense des dogmes dont elle est la
base ; et Dieu est l’ami des vrais
croyants. (Coran, sour. III,
vers. 61.) *44
§
§ Éclaircissements au sujet des motechabeh (passages et termes de signification obscure) qui se
trouvent dans le Coran et la Sonna,
et indication de l’influence qu’ils ont eue sur les croyances des diverses
sectes tant sonnites qu’hétérodoxes [81].
§
Dieu envoya son Prophète pour nous appeler au
salut et à la possession du bonheur (éternel). Il lui transmit du ciel le
noble Livre (le Coran, écrit) en cette langue arabe qui exprime si clairement
les idées [82].
Dans ce volume, Dieu nous entretient des devoirs dont l’accomplissement doit
nous conduire à la félicité. Ces discours, devant nous fournir les moyens de
connaître Dieu, renferment nécessairement la mention de ses dualités (ou
attributs) et de ses noms. Dieu nous y parle aussi de l’âme, qui est attachée à
notre (corps), de la révélation, des anges, par l’intermédiaire desquels il
communiqua aux prophètes les messages que ceux‑ci devaient nous apporter. Il y
fait mention du jour de la résurrection et des avertissements qui doivent
précéder cet événement, mais sans nous donner la moindre indication au sujet de
l’époque où cela aura lieu. Dans ce noble Coran on trouve, au commencement de
certaines sourates, quelques lettres de l’alphabet, isolées les unes des
autres, et dont nous n’avons aucun moyen de connaître la signification.
§ Tous
les versets du Coran qui ont rapport à ces diverses matières sont désignés par
le terme motechabeh (équivoque,
allégorique, obscur), et la recherche de leur signification a été formellement
interdite. Dieu lui-même a dit : C’est Lui qui t’a envoyé le Livre ; parmi les versets qu’il renferme
les uns sont mohkam (solidement
établis, d’une signification précise, clairs) et forment la base du Livre, les autres sont motechabeh (obscurs). Ceux dont les cœurs dévient (vers
l’erreur) s’attachent p.65 aux
motechabeh, par le désir de faire du
scandale ou de les expliquer ; mais personne n’en connaît l’explication
excepté Dieu, et les hommes consommés dans la science diront : Nous
croyons aux motechabeh ; ils viennent tous de la part de notre Seigneur, et il n’y a que les hommes sensés
qui soient capables de réfléchir. (Coran,
sour. III, vers. 5.)
§
Les savants d’entre les premiers musulmans,
c’est‑à‑dire d’entre les Compagnons du Prophète et leurs disciples, ont entendu
par *45 le mot mohkam les versets dont le sens est clair et dont les indications
sont positives, et c’est pour cette raison que, dans le style technique des
légistes, on définit comme mohkam, « ce qui est évident quant au
sens ». Ils s’expriment de diverses manières au sujet des passages motechabeh : selon quelques‑uns,
ce sont les versets dont le sens ne peut être rendu clair que par un examen
attentif et une interprétation (allégorique), puisqu’ils se trouvent en
contradiction avec d’autres versets ou avec la raison ; aussi leur
signification est‑elle cachée et obscure.
Ce fut en partant de ce principe qu’Ibn Abbas disait : « On doit
croire aux versets motechabeh , mais
ne pas les prendre pour règle de conduite. » Selon Modjahed [83]
et Eïkrima [84],
tous les versets du Coran, excepté ceux qui sont mohkam et ceux qui forment des narrations, sont motechabeh, et telle fut aussi l’opinion
d’Abou Bekr (el‑Bakillani) et de l’imam El‑Haremeïn. Thauri [85],
Es‑Chabi [86],
et un certain nombre des premiers docteurs, disaient que le motechabeh était ce dont il n’y avait
aucun moyen d’obtenir la connaissance, comme, par exemple, les signes qui
annoncent l’approche de la fin du monde [87],
les époques où les avertissements (à ce sujet) p.66
auront lieu, et les lettres de l’alphabet placées au commencement de
quelques sourates.
§
Le verset dans lequel Dieu dit que les mohkam
sont la base du livre signifie qu’ils en forment la majeure partie, tandis que
les motechabeh n’en sont
qu’une faible portion. On classe ce verset parmi les mohkam. Dieu blâme ensuite ceux qui s’attachent aux versets obscurs afin de les expliquer ou de leur donner
un sens qu’ils ne pouvaient pas avoir en arabe, langue dans laquelle ces
communications nous sont parvenues. Il désigne ces personnes comme des gens
de la déviation, c’est‑à‑dire, qui
se détournent de la vérité, tels que les infidèles, les zendics
(matérialistes) et les novateurs ignorants, et déclare qu’elles ont pour but,
en agissant ainsi, de faire du scandale, c’està‑dire, de justifier le
polythéisme, ou de tromper les vrais croyants, ou bien, qu’elles y cherchent un
sens qui réponde à leurs désirs et qui serve d’appui aux nouvelles doctrines
qu’elles veulent enseigner. Il dit ensuite : — Gloire soit à lui ! —
qu’il se réserve à lui-même l’interprétation de ces versets et que lui seul en
connaît la signification. Ses paroles sont : Mais personne n’en connaît l’explication
excepté Dieu. Ensuite, pour louer les savants qui croient à ces versets, il
dit : Et les hommes consommés dans
la science diront : Nous y croyons.
§
Les premiers musulmans (entendaient ce dernier
passage de la même manière que nous : ils) regardaient les mots et les hommes consommés dans la science
comme le commencement d’une nouvelle proposition, dont l’influence devait
l’emporter sur celle de la conjonction copulative (et) [88]. « Croire, disaient‑ils, à ce qui
est absent (c’est‑à‑dire caché, inconnu) est ici ce qu’il y a de plus digne
d’éloge ; si la conjonction gardait sa valeur, ces hommes croiraient à ce
qui est présent *46 (patent, connu), vu que le sens de ces versets
leur serait déjà connu ; donc ils ne croiraient pas à ce qui leur était
caché. » Les mots, ils viennent
tous de la part de notre Seigneur, corroborent cette opinion.
§
p.67 Ce qui
montre que la manière d’expliquer ces versets est inconnue aux mortels, c’est
que les mots de la langue (arabe) comportent seulement les significations que
les Arabes leur ont assignées et que, si nous nous trouvons dans
l’impossibilité de rattacher à une expression l’idée qu’elle sert à énoncer,
nous ignorons ce que cette expression veut indiquer. Donc, si elle nous vient
de la part de Dieu, nous devons laisser à Dieu d’en connaître le sens, sans
vouloir engager notre esprit dans la recherche d’une signification que nous ne
possédons aucun moyen de trouver. Aïcha (la femme de Mohammed) a dit :
« Quand vous verrez des gens qui se disputent au sujet (du sens) du Coran,
évitez‑les ; car ce sont eux que Dieu a désignés (par ces paroles : ceux
dont les cœurs dévient vers l’erreur). »
Telle fut la règle suivie par les anciens musulmans à l’égard des versets obscurs [89] ; ils l’appliquaient
aussi aux expressions du même genre qui se présentent dans la Sonna, parce qu’elles proviennent de la
même source que celles du Coran.
§
Ayant signalé les diverses espèces de versets obscurs, nous reviendrons aux
différentes opinions qui ont cours à ce sujet. Parmi les versets qu’on a
spécifiés comme ayant ce caractère, sont ceux qui ont rapport à la (dernière)
heure (du monde), aux conditions sous lesquelles elle doit arriver, aux temps
où les signes précurseurs de cet événement auront lieu, au nombre des suppôts
(de l’enfer ; Coran, sour. XCVI, vers. 18), etc. Mais il
me semble que ces versets‑là ne sont pas du nombre des obscurs, car ils n’offrent aucun mot, aucune expression, dont le
sens puisse donner lieu à des conjectures. (Ce qu’ils renferment de vague et
d’indéterminé ce ne sont pas les mots, ) mais les temps de certains
événements qui doivent arriver, temps dont Dieu s’est réservé la connaissance,
ainsi qu’il l’a déclaré lui-même dans le texte du Coran et par la bouche de son
Prophète. Il a dit : « La
connaissance de ces choses n’existe que chez
Dieu. (Coran, sour. VII, vers.
187.) On a donc lieu de s’étonner que quelques personnes aient regardé ces
versets comme obscurs. Quant aux lettres isolées qui se trouvent p.68 en tête de certaines sourates, elles y sont
comme lettres de l’alphabet (et ne désignent pas autre chose). Il est possible
(que Dieu les y ait mises à dessein (afin de marquer l’impossibilité d’imiter
le style *47 du Coran) [90].
Zamakhcheri a dit [91]
: « Elles indiquent que le style du Coran est porté à un si haut degré
d’excellence qu’il défie toute tentative faite pour l’imiter ; car ce
livre, qui nous a été envoyé du ciel, est composé de lettres ; et tous les
hommes peuvent les connaître également bien ; mais cette égalité disparaît
quand il s’agit, pour eux, d’exprimer leurs idées au moyen de lettres combinées
ensemble [92]. »
Si l’on n’adopte pas l’explication qui donne à entendre que ces signes
désignent réellement des lettres (on est obligé de convenir qu’ils désignent
quelque autre chose) ; ce qui n’a pu arriver qu’à la suite d’un transport
régulièrement fait [93].
(Ceux qui admettent le transport) disent, par exemple, que ta (ﻃ) et ha (ﻩ) (lettres placées en tête de la vingtième
sourate) sont des particules compellatives dérivées des (verbes) taher (purifier) et hada (donner) ; mais le transport régulier se fait très
difficilement et, dans les exemples dont il s’agit, ces lettres appartiendraient
à la classe des termes obscurs (ce que nous n’admettons pas) [94].
§
Les versets dans lesquels il est question de la
révélation, des anges, p.69 de l’esprit
(saint) et des génies rentrent dans la classe des versets obscurs, à
cause de l’incertitude dont leur signification réelle est entourée,
signification qui n’est pas de celles qui sont généralement connues. Quelques
personnes rangent dans la même catégorie certains versets d’un caractère
semblable à celui des précédents et traitant, soit de ce qui se passera au jour
de la résurrection, soit du paradis, de l’enfer, du Djeddjal (l’Antechrist),
des troubles (qui auront lieu avant la fin du monde), des signes
précurseurs [95]
(de la dernière heure) et de toutes les autres matières qui diffèrent des
choses auxquelles les hommes sont habitués. Cette opinion a une certaine probabilité,
mais la grande majorité des docteurs, et surtout les théologiens scolastiques,
ne l’admettent pas. Ceux‑ci ont même indiqué la manière dont il faut entendre
chacun de ces versets, comme cela se voit dans leurs livres.
§
Il nous reste à indiquer, comme faisant partie
des motechabeh, les qualités que Dieu
s’attribue à lui-même dans son Livre, et qu’il nous a fait connaître par la
bouche de son Prophète ; qualités qui, entendues de la manière ordinaire,
nous porteraient à mésestimer la perfection et la puissance divines. Nous avons
dit comment, à l’égard de ces versets, les premiers musulmans s’y prenaient.
Après leur mort, il s’éleva des disputes à ce sujet, et l’esprit d’innovation
alla jusqu’au point de porter atteinte au dogme. J’exposerai ici les diverses
doctrines qu’on énonçait, et j’aurai soin de faire la distinction des bonnes
d’avec les mauvaises. Mettant d’abord toute ma confiance en Dieu, je dis que
le Seigneur — Gloire soit à lui ! — s’est qualifié dans son Livre comme
savant, puissant, doué de volonté et de vie, ayant la faculté d’entendre, celle
de voir et celle de parler ; qu’il se dit magnifique, généreux, libéral,
bienfaisant ; grand et glorieux. *48 Il s’est
même donné des mains, des yeux, un visage, des pieds, une langue et autres
organes (propres au corps des êtres créés). Parmi ces attributs il y en a qui
exigent nécessairement que le sujet p.70 dans
lequel ils se trouvent soit réellement de nature divine [96]
: tels sont, le savoir, la puissance, la volonté, puis la vie, attribut sans
lequel les autres n’existeraient pas. Il s’y trouve aussi d’autres attributs
qui servent à renforcer l’idée de sa perfection, comme ceux de l’ouïe, de la
vue et de la parole ; puis d’autres qui donnent l’idée de l’imperfection
(qui se rattache au corps : tels sont les actes de s’asseoir, de descendre et
de venir, la possession d’un visage, de deux mains, et de deux yeux, organes
particuliers aux êtres crées. Le législateur nous a dit qu’au jour de la
résurrection nous verrons Dieu aussi clairement que nous voyons la lune quand
elle est dans son plein, et que nous ne serons pas frustrés (de cette
jouissance) [97].
Je rapporte ici la tradition telle qu’elle se trouve enregistrée dans le Sahîh (d’El‑Bokhari). Les premiers
musulmans, tant les Compagnons que leurs disciples, reconnaissaient à Dieu les
attributs de la divinité et de la perfection, et s’en remettaient à lui pour
l’intelligence des versets qui faisaient croire à l’imperfection de son
être ; ils n’essayaient pas d’en expliquer le sens.
§Il y eut,
après eux, des différences d’opinion parmi les docteurs au sujet des
attributs ; les Motazelites les regardaient comme des jugements abstraits
de l’esprit et niaient l’existence des attributs dans l’essence divine. A
cette doctrine ils donnaient le nom de tauhîd
(profession de l’unité). Ils enseignaient aussi que l’homme est le créateur de ses actions et que la
puissance divine n’y est pour rien, surtout quand ces actes amènent le mal ou
se font contre les ordres de Dieu. « Il n’est pas permis, disaient‑ils, au
hakîm (à l’être sage par excellence) de causer de telles actions. Ils
enseignaient aussi que Dieu était dans l’obligation de viser [98]
toujours à faire pour le mieux dans
sa conduite envers ses serviteurs, et ils désignaient cette doctrine par le
terme adl (justice). Avant cela, ils
avaient commencé par nier la prédestination et par déclarer que chaque chose
doit son origine à un p.71 savoir, à une
puissance et à une volonté créés [99]
(exprès pour cet objet). Le Sahîh fait
mention de cela et rapporte qu’Abd Allah, fils (du khalife) Omar, maudit
publiquement [100]
Mabed el‑Djoheni et ses disciples parce qu’ils professaient cette doctrine.
Ouacel Ibn Atâ el‑Ghazzal [101],
un de ses sectateurs et disciple d’El‑Hacen el‑Basri, accueillit l’opinion de
la non‑existence de la prédestination. Cela eut lieu du temps d’Abd el‑Melek
Ibn Merouan (le cinquième khalife omeïade). *49
Mâmer es‑Solemi adopta ensuite la même opinion, mais ceux qui
l’avaient déjà admise y renoncèrent (pendant quelque temps) [102].
Un autre membre de cette secte fut Abou ’l-Hodeïl el‑Allaf. Il devint le
chef de l’école motazelite après en avoir étudié les doctrines sous Othman Ibn
Khaled et‑Taouîl, ancien disciple de Ouacel. (Othman) fut un de ceux qui
niaient la prédestination et rejetaient les attributs de l’existence (les
attributs essentiels), suivant, en cela, l’opinion des philosophes (grecs),
dont les doctrines avaient commencé à s’introduire parmi les musulmans.
Ensuite vint Ibrahîm en‑Naddham. Celui-ci admit la prédestination, et entraîna
les (Motazelites) dans la même voie ; mais, ayant ensuite étudié les
livres des philosophes, il se prononça de la façon la plus énergique contre
l’existence des attributs et rétablit la doctrine motazelite sur ses anciens
fondements. Il eut pour successeurs El‑Djahed [103],
El‑Kaabi [104]
et El‑Djobbaï [105].
§
Ce système fut appelé la science de la parole (la scolastique), soit à cause des
argumentations et des controverses auxquelles il donna lieu, soit, parce que la
négation de la parole comme attribut divin en p.72
formait la base. Ce fut à cause de cela que l’imam Es‑Chafêi disait, en
parlant des Motazelites, qu’ils méritaient d’être fustigés avec des branches
de palmier et promenés avec ignominie à travers les rues.
§
Les personnes que nous venons de mentionner
consolidèrent le système. Leurs opinions furent admises par les uns et
repoussées par les autres, jusqu’à ce qu’Abou ’l‑Hacen el‑Achari se mît en
avant. Ce docteur eut de fréquentes controverses avec les principaux Motazelites
au sujet du bien et du mieux [106], et rejeta leur théorie. Il suivit les
opinions d’Abd Allah Ibn Saîd Ibn Kilab, d’Abou ’l-Abbas el-Calaneci et
d’El‑Hareth Ibn Aced el‑Mohacebi, tous partisans des doctrines professées par
les premiers musulmans et sincèrement attachés au système fondé sur la Sonna. Il fortifia [107]
ces doctrines par des preuves tirées de la scolastique et montra, que, dans
l’essence de Dieu, il existe certains attributs, tels que la science, la
puissance et la volonté, attributs au moyen desquels on complète la
démonstration tirée de l’empêchement mutuel (pour prouver l’unité
de Dieu) [108]
et celle qui montre la réalité de la puissance possédée par les prophètes
d’opérer des miracles. Les Acharites reconnaissaient pour attributs la parole,
l’ouïe et la vue, et voici pour quelle raison : bien que ces mots, pris
dans leur sens littéral, pussent faire croire à l’imperfection (de Dieu), en
donnant à entendre que sa parole consiste en un son et en des lettres énoncés
par des organes corporels, il n’en est pas moins vrai que, chez les Arabes, le
mot parole a une autre signification,
dans laquelle l’idée de son et celle de lettres n’entrent pas, savoir, ce qu’on
*50 roule dans l’esprit. Tel
est (selon les Acharites) la véritable signification [109]
du mot parole (employé pour désigner l’attribut de Dieu ; pour eux),
la première signification ne vaut rien. Ayant ainsi écarté ce qui pouvait faire
supposer qu’il y avait de l’imperfection (dans Dieu), ils reconnaissaient cet
attribut (la parole divine) comme éternel p.73
a parte ante [110] et comme rentrant tout à fait dans la
catégorie des autres attributs. D’après cette doctrine, le mot Coran désigne
également (la parole) ancienne qui existe dans
l’essence de Dieu et qui, s’appelle la
parole mentale, et la parole nouvelle [111], qui consiste en des combinaisons de lettres
s’énonçant au moyen de sons. Quand on emploie le terme ancienne, on attribue au mot parole
la première de ces deux significations, et quand on dit que cette parole
peut se lire et s’entendre, on veut dire (qu’elle porte la seconde de ces
significations et) que la lecture et l’écriture peuvent servir à la
représenter.
§
L’imam Ahmed Ibn Hanbel évitait, par un scrupule
de conscience, d’employer le terme nouvelle
(pour désigner la parole qui se lit et qui s’entend), et cela pour la
raison qu’on n’avait jamais ouï dire que les anciens musulmans s’en fussent
servis dans ce sens. Sa répugnance, à cet égard, n’impliquait point qu’il
regardât comme éternels les exemplaires du Coran écrits à la main et les textes
coraniques qui s’énoncent au moyen de la langue ; car il voyait
parfaitement bien que ces exemplaires étaient nouveaux ; elle provenait uniquement d’un excès de piété. Dans
toute autre supposition, cela aurait été, de sa part, la négation d’un état de
choses dont tout le monde devait nécessairement reconnaître la réalité ;
et à Dieu ne plaise que cet imam fût capable (de montrer une telle faiblesse
d’esprit).
§
Quant aux attributs de l’ouïe et de la vue, bien
que leurs noms fassent penser à la faculté perceptive exercée par certains
organes du corps, ces mêmes noms s’emploient dans la langue (arabe) pour
indiquer l’acte d’apercevoir ce qui peut être entendu ou vu. Cela suffit pour
écarter l’idée d’imperfection que ces mots pourraient suggérer ;
d’ailleurs, les significations que nous venons indiquer appartiennent
réellement à ces deux termes. Quant aux mots se poser, venir, descendre, visage, deux mains, deux yeux, etc. on
évite p.74 de les entendre dans leur
signification ordinaire ; car elle pourrait faire croire à de
l’imperfection (dans la nature de Dieu), en établissant une similitude (entre
lui et les êtres créés), et on les regarde comme des expressions métaphoriques.
C’est ainsi que les Arabes donnent un sens allégorique à des phrases dont le
sens littéral serait inadmissible. Ils ont expliqué de cette manière le passage
du Coran (où il s’agit d’un mur) qui pensait
s’écrouler (sour. XVIII, vers. 76). C’est chez eux une pratique admise qui
n’a jamais été repoussée ni regardée comme une innovation.
§
Ce qui porta les (scolastiques) à interpréter
ces mots d’une manière allégorique, bien que cela fût contraire au système des
premiers *51 musulmans, qui remettaient à Dieu
la compréhension des versets obscurs, ce
fut la hardiesse de quelques musulmans des temps postérieurs, — nous voulons
parler des Hanbelites anciens et modernes. — qui entendaient ces expressions
d’une manière tout à fait étrange : ils les regardaient comme désignant
des attributs établis dans Dieu, mais
d’une manière inconnue. Ainsi, pour expliquer l’idée de Dieu qui se pose sur son trône, ils disent que
l’acte de se poser est établi
en lui. Nous conservons (disaient‑ils) au terme se poser sa signification
littérale pour ne pas être obligés à le déclarer nul (tatîl). Nous
n’indiquons pas la manière dont l’acte de se
poser est établi en Dieu, pour ne pas nous laisser
entraîner dans l’assimilation (de Dieu aux créatures), choses que les versets privatifs n’autorisent pas. Tels sont les passages : Il
n’y a rien qui lui soit semblable (Coran,
sour. XLII, vers. 9), — loin de sa gloire ce qu’on lui attribue (sour. XXIII, vers. 93), — loin de lui ce que disent les gens pervers [112], — il n’a pas engendré et n’a pas été engendré (sour. CXII, vers. 3). » Les
Hanbelites ne se doutaient cependant pas qu’ils entraient en pleine assimilation quand ils reconnaissaient
pour réel l’acte de se poser. Chez
les philologues, se poser veut dire se tenir dans un lieu, s’y fixer ;
donc, il implique l’idée de la corporéité. p.75
L’emploi de l’annulation leur
répugnait [113],
mais il s’agissait ici d’annuler la signification d’un mot, ce qui n’est pas
défendu ; c’est l’annulation (des attributs) de la divinité qui est
défendue. Il leur répugnait aussi d’admettre que certaines obligations fussent
inexécutables (dans le cas où l’on s’écarterait de la signification littérale
des mots) [114] ;
mais cela est une illusion de leur part, car aucune obscurité ne se présente
dans les versets qui prescrivent des devoirs. Ils prétendaient que leur système
était celui des premiers musulmans ; mais à Dieu ne plaise (que nous admettions
leur opinion) ! Le système des anciens fut celui que nous avons indiqué,
savoir, de s’en rapporter à Dieu pour le sens de ces versets et de ne pas
essayer de les comprendre. Pour justifier leur opinion que Dieu se pose réellement sur le trône, ils
citent cette parole de l’imam Malek : « L’acte de se poser est connu,
mais la manière en est inconnue. » Malek ne voulait cependant pas dire que
l’acte de se poser attribué à Dieu était une chose connue ; à Dieu ne
plaise ! il connaissait trop bien la signification du verbe se poser pour énoncer une telle
opinion ; il voulait seulement dire que la signification étymologique de
ce verbe était connue et qu’il ne se dit que des êtres ayant un corps ;
mais la manière de se poser (en
parlant de Dieu), c’est‑à‑dire, la réalité de la prise de position, était inconnue [115].
En effet, *52 tous les attributs sont des
manières d’être réelles, et l’on ignore comment les manières d’être sont
établies en Dieu. Pour démontrer que Dieu occupe un lieu [116]
ils citaient la tradition de Saouda [117] :
Le Prophète lui demanda où était Dieu, et elle répondit : « Dans le
ciel ». « Rends‑lui la liberté, s’écria‑t‑il, car elle est vraie
croyante ». Mais il ne la reconnaissait pas pour telle parce qu’elle avait
dit que Dieu existait dans un lieu, mais parce qu’elle avait cru au sens
apparent des p.76 versets qui donnaient à
entendre que Dieu était dans le ciel. Ce fut ainsi qu’elle se trouva comprise
dans la classe des musulmans sincères qui croyaient aux versets obscurs
sans avoir essayé d’en trouver le véritable sens. Un argument décisif contre la
proposition que Dieu est dans un lieu est fournie par la raison même :
elle nie que Dieu ait besoin (de l’extrinsèque pour exister). D’autres preuves
nous sont offertes par les versets privatifs qui impliquent l’exemption ;
tels, par exemple, que : Il n y a rien qui lui ressemble ; Il est
Dieu dans les cieux et sur la terre, etc. Or aucun être ne peut
occuper deux lieux à la fois ; aussi (ce dernier verset) ne signifie pas que
Dieu occupe un lieu quelconque, mais désigne autre chose.
§
Plus tard, (les Hanbelites) généralisèrent leur
manière d’entendre les passages (du Coran) qui donnaient à Dieu un visage, deux
yeux et deux mains, ou qui lui attribuaient l’acte de descendre et de parler en
énonçant des mots composés de lettres et de sons. (Dans leur nouveau système)
ils donnaient à ces versets des significations plus compréhensibles que celle
de la corporéité, et exemptaient Dieu de la qualité corporelle
que ces versets paraissaient indiquer. Bien qu’un tel procédé ne soit pas
autorisé par la langue (arabe) ils ont continué, depuis les premiers jusqu’aux
derniers, à le mettre en pratique. Ils eurent pour adversaires les
scolastiques, les Acharites et les Hanefites ; en un mot, tous les
partisans de la doctrine sonnite se réunirent pour les réfuter. On sait que les
scolastiques hanefites de la ville de Bokhara eurent des controverses à ce
sujet avec Mohammed Ibn Ismaël el‑Bokhari.
§
Les corporalistes (ceux qui donnent un
corps à Dieu, les anthropomorphistes) procédèrent de la même manière quand ils
affirmèrent la corporéité. Ils disaient que le corps de Dieu n’était pas comme
les *53 (autres) corps. Bien que le mot corps
ne soit pas employé [118]
dans les traditions sacrées quand il y est question de Dieu, ces hommes p.77 osèrent attribuer à Dieu un corps, en
prenant à la lettre (quelques textes d’une signification obscure). Ils allèrent même plus loin et affirmèrent la corporéité (de l’Être
suprême), mais en y mettant les mêmes réserves qu’eux (les Hanbelites).
Voulant aussi sauver la doctrine de l’exemption, ils se servirent d’une
expression renfermant une contradiction et une absurdité : « Dieu,
disaient‑ils, est un corps, mais non pas comme les (autres) corps. »
(Cette distinction ne vaut rien, car) le mot corps (djism), en langue
arabe, désigne ce qui a de l’épaisseur et des limites. On en donne (il est
vrai) d’autres définitions : tantôt c’est ce qui subsiste par soi-même et
tantôt c’est ce qui est composé d’atomes, etc. Mais ces formules appartiennent
aux théologiens scolastiques, qui les avaient adoptées en laissant de côté le
sens attribué au mot corps dans la langue arabe. Aussi les corporalistes
se jetèrent‑ils non seulement dans l’innovation, mais dans l’infidélité :
ils assignèrent à Dieu un attribut imaginaire qui ferait croire à son imperfection
et dont aucune mention ne se trouve ni dans le Coran ni dans les paroles du
Prophète.
§
Le lecteur voit maintenant les différences qui
existent entre le système des premiers musulmans et des scolastiques
orthodoxes, et celui des sectaires plus modernes et des innovateurs, tant
motazelites que corporalistes.
§
Parmi les théologiens des temps
postérieurs [119],
se trouvèrent des extravagants qu’on nommait assimilateurs et qui affirmaient
la réalité de la ressemblance (entre Dieu et ses créatures). Cette doctrine fut
portée si loin qu’un de leurs adeptes disait, à ce qu’on rapporte :
« Ne me demandez de vous parler ni de la barbe de Dieu, ni de ses parties
génitales ; quant au reste, je saurai répondre à toutes les questions
qu’il vous plaira de m’adresser. » — Aucune interprétation donnée à cette
doctrine ne peut la pallier, à moins qu’on ne dise en leur faveur qu’ils
avaient seulement l’intention de renfermer (dans les limites d’une seule
proposition [120])
toutes les idées (absurdes) que certains versets du Coran, pris à la lettre,
pourraient inspirer, et que p.78 (du
reste, ) ils entendaient ces versets de la même manière que les grands docteurs
(du peuple musulman). Sans cela, ce serait de la franche infidélité. Que Dieu
nous en préserve !
§
Les livres composés par les partisans de la Sonna renferment beaucoup d’arguments
destinés à réfuter ces nouveautés et fournissent en abondance les meilleurs
arguments qui puissent s’y employer. Les indications que nous venons de donner
font connaître en gros ces diverses doctrines, ainsi que leurs ramifications. Louange à Dieu qui *54 nous a dirigés vers ce but ! nous nous
serions égarés si Dieu ne nous avait pas dirigés. (Coran, sour. VII,
vers. 41.)
§
Quant aux versets qui, pris à la lettre, offrent
un sens dont la signification et la portée réelle nous sont cachées, ceux, par
exemple, qui regardent la révélation, les anges, l’âme, les génies, le berzekh [121], les circonstances de la résurrection,
l’Antechrist, les troubles (qui auront lieu dans le monde avant le dernier
jour) et les conditions (ou signes précurseurs de cette catastrophe), — tous
ceux enfin qui sont difficiles à comprendre ou qui énoncent des choses
insolites, — on doit les regarder comme non obscurs si on les entend de la manière que les
Acharites, partisans de la Sonna, les
ont expliqués dans tous leurs détails. Aussi, si nous déclarons qu’ils sont
obscurs, nous sommes obligés d’exposer nos preuves et de rendre évidente la
vérité de notre assertion. Nous disons donc que le monde (ou catégorie) de l’humanité est le plus noble et le plus
élevé de tous les mondes d’êtres créés. Bien qu’en lui la
nature humaine soit toujours identiquement la même, elle passe par des phases
qui diffèrent les unes des autres par leurs caractères particuliers, et il en
résulte que les vérités observées dans chacun de ces états ne sont pas comme
celles qui s’aperçoivent dans les autres.
§
La première phase est celle du monde corporel, avec ses sens externes,
avec cette préoccupation d’esprit qui a pour cause la nécessité de se procurer
la subsistance et avec toutes les démarches auxquelles p.79 les besoins de chaque jour donnent naissance. La seconde
phase est celle du monde de la
vision. La vision c’est le travail de l’imagination qui forme des images en
tirant parti [122]
de celles qui parcourent [123]
son intérieur, et fait en sorte que l’homme les aperçoive par le moyen de ses
sens externes. Elles lui arrivent alors dégagées de temps, de lieu et de toutes
les autres circonstances qui sont particulières au monde corporel. Le
lieu [124]
d’où l’homme les voit n’est pas alors celui où il se trouve. Les saints
obtiennent par la voie des visions l’annonce du bonheur temporel ou spirituel
auquel ils s’attendent, ainsi que cela leur fut promis par notre Prophète
véridique. Ces deux phases sont communes à tous les individus de l’espèce
humaine, mais elles diffèrent, comme on le voit, en ce qui regarde les
perceptions de l’esprit. La troisième phase, celle du monde du prophétisme, est d’un caractère tout
spécial : elle n’existe que pour les êtres les plus nobles de l’espèce
humaine, pour ceux que Dieu a particulièrement favorisés en se faisant
connaître à eux, en leur enseignant son unité, en leur envoyant du ciel des
révélations par l’entremise de ses anges et en les chargeant de veiller au
bonheur des autres hommes, bonheur tout différent de celui dont on jouit dans
la vie extérieure de ce monde. La quatrième phase est celle de la mort. Dans
cette phase, les individus quittent la vie extérieure, pour entrer dans un état
d’existence qui précède le jour de la résurrection. Cet état est ce qu’on
appelle le berzekh. Les hommes y
jouissent du bonheur ou subissent des peines, selon la nature de leurs actes
passés, et ils y attendent le jour de la résurrection générale, l’époque [125]
de la grande rétribution, quand ils iront goûter le bonheur dans le paradis ou
souffrir des tourments dans l’enfer. La réalité des deux premières phases est
prouvée par le témoignage de nos sens, et celle de la troisième par les
miracles et p.80 autres signes
particuliers aux prophètes. La quatrième a pour preuves les révélations que
Dieu envoya à ses prophètes touchant l’autre vie, le berzekh et le jour de la résurrection. La simple raison nous montre
que cet état existe, ainsi que Dieu lui-même nous l’a dit, dans plusieurs
versets qui se rapportent à ce jour. Une des preuves les plus claires en faveur
de la réalité de cette phase c’est que, s’il n’y avait pour les hommes, après
la mort, un état d’existence tout autre que celui d’ici-bas et dans lequel
ils [126]
trouveraient ce qu’ils ont mérité, leur première création aurait été une
dérision. En effet, si la mort était la privation absolue de l’existence,
l’homme finirait par aboutir à la non‑existence, et sa première création
n’aurait pas eu sa raison d’être. Or il est absurde de supposer que le hakîm (l’être sage par excellence) soit
capable d’un acte dérisoire.
§
Ayant établi la réalité de ces quatre phases,
nous allons indiquer les divers genres de perceptions que l’homme ressent dans
chacune d’elles et montrer combien ils diffèrent les uns des autres, Cela
mettra le lecteur à même d’approfondir le problème des versets obscurs.
§
Dans la première phase, les perceptions sont
claires et évidentes : Dieu lui-même a dit : Dieu vous a tirés du sein de vos mères, alors que vous étiez privés de
toute connaissance, et il vous a donné l’ouïe, la vue et
l’intelligence. (Coran, sour.
XVI, vers. 80.) Les perceptions obtenues ainsi produisent la faculté
d’acquérir des connaissances ; elles
*56 complètent aussi la nature humaine de l’homme et le mettent en état
de remplir le devoir de la dévotion qui doit le conduire au salut éternel.
§
Dans la seconde phase ; celle de la vision
(ou songes), les perceptions sont identiques avec celles qui entrent par les
sens extérieurs mais elles ne s’obtiennent pas au moyen des organes du
corps [127],
comme cela arrive dans l’état de veille. Le voyant [128]
accepte comme p.81 certain tout ce
qu’il aperçoit en songe ; il n’a aucun doute sur la réalité de ce qu’il
voit, aucune incertitude à ce sujet, bien que l’emploi ordinaire des organes
du corps pour procurer des perceptions ait discontinué. Il y a deux opinions
touchant la nature réelle de cet état. Selon les philosophes (musulmans), les
images qui se trouvent dans l’imagination sont renvoyées par elle, au moyen du
mouvement de la réflexion, jusqu’au sens commun, lequel est le point où le
sens extérieur se rattache au sens intérieur ; et alors l’image que
celui-ci vient d’apercevoir se reproduit extérieurement dans les autres sens.
Pour cette classe (de métaphysiciens) il y a une question embarrassante :
la perception des choses présentées à l’imagination par Dieu ou par un ange
est‑elle plus sûre et plus certaine que celle des choses montrées à
l’imagination par le démon ? car cette faculté, comme ils le déclarent eux‑mêmes,
est unique (et admet également ces deux genres de perceptions [129]).
La seconde théorie est celle des scolastiques, qui s’expriment, à ce sujet,
dans des termes généraux. « (La vision, ) disent‑ils, est une perception
que Dieu crée dans les organes des sens et qui s’y présente de la même manière
que (les perceptions obtenues) dans l’état de veille. » Cette théorie est
plus satisfaisante que l’autre, bien que nous ne sachions pas comment
l’opération se fait. Les perceptions qu’on ressent pendant les songes forment
un des témoignages les plus clairs en faveur de la réalité des perceptions
obtenues par les sens dans les phases suivantes.
§
Les perceptions sensibles qui arrivent pendant
la troisième phase, celle du prophétisme, viennent on ne sait de quelle
manière, mais leur réalité est (pour les prophètes) encore plus certaine que la
certitude même. Ils voient Dieu et les anges ; ils entendent la parole de
Dieu, soit qu’elle leur vienne de lui directement ou par l’entremise de ses
anges, ils voient le paradis, le feu, le trône et le siège p.82 *57 (c’est‑à‑dire
le ciel qui soutient le trône) ; montés sur le Borac [130],
ils traversent les sept cieux et rencontrent les prophètes qui s’y trouvent,
ils font la prière avec eux et ressentent divers genres de perceptions tout aussi
sensibles que celles dont l’arrivée a lieu pendant les phases de la corporéité
et de la vision. (Ils les perçoivent) par une science nécessaire que Dieu crée
en eux et non pas au moyen de cette faculté perceptive et usuelle qui opère,
chez les (autres) hommes, au moyen des organes du corps.
§
Il ne faut attacher aucune importance aux
paroles d’Ibn Sîna (Avicène), quand il abaisse la phase du prophétisme au même
niveau que celle de la vision, et qu’il dit : « C’est l’acte de
l’imagination qui renvoie une image au sens commun. » (Cette définition
est inexacte) car la perception de la parole (de Dieu), dans la phase du prophétisme,
est bien plus pénible pour les prophètes que dans celle de la phase de la
vision, ainsi que nous l’avons indiqué [131] ;
d’ailleurs, s’il en était ainsi, il en résulterait que la révélation (orale) et
la vision seraient positivement et réellement identiques. Cela n’est pas vrai,
car nous savons que le Prophète avait eu des visions six mois avant d’obtenir
des révélations (orales). Ces visions étaient le commencement et les
préliminaires de la révélation. On voit par là que la vision est réellement
inférieure en degré [132]
à la révélation (orale). Le caractère particulier de la révélation elle‑même
sert à confirmer ce que nous venons de dire. On sait par le Sahîh (d’El‑Bokhari),
combien étaient grandes les souffrances du Prophète quand il recevait des
révélations (orales). Ce fut au point qu’il fallait d’abord lui communiquer le
Coran par versets isolés. La sourate du désaveu [133] fut la première qui lui arriva toute à la
fois ; mais il la reçut à une époque postérieure, p.83 pendant qu’il accompagnait, à dos de chameau, l’expédition
de Tebouk. Si la révélation se faisait par la descente de la réflexion à
l’imagination et de celle‑ci au sens commun [134],
il n’y aurait point de différence entre ces deux états [135].
§
La quatrième phase, celle des morts dans le berzekh, commence par le tombeau quand
les hommes restent dépouillés de leurs corps, et finira par [136] la résurrection, quand les corps leur seront
rendus. Dans *58 cet état, les perceptions
des sens sont réelles : le mort, dans son tombeau, voit de ses propres
yeux les deux anges qui l’interrogent, la place qu’il doit occuper dans le
paradis ou dans l’enfer et les personnes qui assistent à son enterrement ;
il entend leurs discours, le bruit de leurs pas [137]
pendant qu’ils s’éloignent, le témoignage qu’ils portent en sa faveur comme
croyant à l’unité de Dieu, et leur déclaration, faste en son nom, qu’il n’y a
qu’un seul dieu et que Mohammed est l’apôtre de Dieu, etc. Nous lisons dans le
Sahîh que le Prophète s’arrêta au
bord du puits de Bedr, dans lequel on avait jeté les corps des Coreïchites
infidèles qui venaient d’être tués, et les appela par leurs noms [138].
Omar lui dit : « Prophète de Dieu ! pourquoi parlez‑vous à des
cadavres ? », Le Prophète répondit : « Par celui qui tient
mon âme entre ses mains ! ils entendent ce que je dis aussi bien que
vous. » Ensuite, au jour de la résurrection, quand ils seront ressuscités,
ils entendront et ils verront aussi clairement que s’ils vivaient ; ils
verront les divers étages de bonheur qui existent dans le paradis et de
tourments qui se trouvent dans l’enfer. Ils verront les anges et celui qui en
est le seigneur, ainsi que nous l’apprend ce texte du Sahîh : « Au jour de la résurrection, vous verrez votre
Seigneur comme vous voyez la lune dans son plein et vous ne serez pas privés de
cette p.84 vue. Rien de semblable à ces
perceptions ne leur était jamais arrivé pendant la vie de ce monde ; elles
leur viendront alors à la manière des perceptions mondaines, par les organes du
sens, et se présenteront dans ces organes par l’effet d’une connaissance
nécessaire que Dieu aura créée (pour cet objet), ainsi que nous l’avons dit.
§
Tout cela, au fond, revient à ceci que
l’âme [139]
de l’homme croît avec le corps et avec les perceptions du corps, et qu’en
quittant le corps par l’effet d’une vision, ou de la mort, ou d’une extase
amenée par une révélation, — ce qui arrive aux prophètes, — elle sort du domaine
des perceptions humaines pour entrer dans celui des perceptions accordées aux
anges, et emporte avec elle les facultés perceptives de l’état d’humanité,
facultés qui sont alors tout à fait indépendantes des organes (du corps).
L’homme, étant entré dans cette phase, reçoit, au moyen de ces facultés, une
quantité de perceptions d’une *59 nature
bien plus élevée que celles dont l’âme avait pris connaissance pendant qu’elle
était dans le corps. Telles sont les paroles d’El-Ghazzali, — que la
miséricorde de Dieu soit sur lui ! — Il ajoute que l’âme humaine est une
forme qui, après avoir quitté le corps, conserve les deux yeux, les deux
oreilles et tous les autres organes servant à recevoir des perceptions ;
ces organes, dit‑il, sont semblables à ceux du corps et ont la même forme. Je
ferai observer que ce docteur veut indiquer par les termes (forme et semblables) les facultés
qui ont été acquises par l’opération de ces organes dans le corps et qui sont
venues s’ajouter à celles qui dérivent des perceptions (ordinaires) [140].
§
Le lecteur qui aura compris toutes ces
observations saura parfaitement que les perceptions dont nous parlons comme
ayant lieu dans ces quatre phases sont réelles, bien qu’elles n’existent pas de
la même manière que dans la vie de ce monde : elles varient aussi
d’intensité p.85 selon les circonstances.
Les théologiens scolastiques ont indiqué ce fait d’une manière générale en
disant que Dieu crée dans elle (l’âme) une connaissance nécessaire qui lui
permet de recevoir ces [141]
perceptions, de quelque genre qu’elles soient. Par cette définition, ils
veulent désigner précisément ce que nous venons d’exposer.
§
Ceci n’est qu’un résumé des indications que nous
avons signalées comme pouvant servir à éclaircir la question des passages
obscurs (du Coran) ; si nous avions traité le sujet avec plus d’étendue,
le lecteur ne l’aurait pas mieux compris. Nous prions Dieu de nous diriger et
de nous faire bien comprendre ce que ses prophètes et son Livre ont dit, afin
que nous puissions obtenir une connaissance réelle de l’unité divine et
arriver à la félicité éternelle. Dieu
dirige qui il veut.
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