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La science de
l’interprétation des songes.
L’interprétation des songes est une des sciences qui se rattachent à
la loi et qui prirent naissance dans l’islamisme. Elle parut à l’époque où l’on
avait ramené les diverses connaissances à une classification artificielle et
scientifique, et qu’on commençait à composer des livres sur ces matières. Il
est vrai que les songes et l’art de les interpréter existaient chez les hommes
des temps anciens, de même que chez ceux qui vécurent dans les siècles
postérieurs ; mais, bien que cet art se pratiquât avant (l’islamisme) dans
quelques sectes et chez quelques peuples ; il [1] ne nous est pas parvenu, parce que, depuis lors, on s’en p.115 est tenu uniquement aux doctrines émises
à ce sujet par les musulmans. Quoi qu’il en soit, les songes sont naturels à
l’espèce humaine et ont besoin d’être interprétés (pour être intelligibles).
Joseph, le patriarche et favori de Dieu, expliquait les songes, ainsi que nous
l’apprenons par le Coran ; le Prophète et Abou Bekr interprétaient les
songes, ainsi que nous le lisons dans le Sahîh.
Les songes sont une des voies (par
lesquelles l’homme arrive) aux *81 perceptions du monde invisible. Le Prophète a dit : « Les bons
songes forment une des quarante‑six parties du prophétisme. » Il a dit
aussi : « De toutes les annonces (qui viennent du ciel), il ne reste
que les bons songes ; l’homme saint les voit, ou bien ils se montrent à
lui. » La première révélation que (le Prophète) reçut lui vint sous la
forme d’un songe, et chaque songe qui lui arrivait était comme l’éclat de
l’aurore. Quand il sortait de la prière du matin, il avait l’habitude de
demander aux Compagnons si quelqu’un d’entre eux avait eu un songe cette nuit,
espérant trouver dans cette manifestation quelque bon présage poux le triomphe
de la religion.
Les songes
sont un des moyens par lesquels on obtient des *81 perceptions du monde invisible, et voici
comment : l’esprit cardiaque, c’est‑à‑dire la vapeur subtile qui est
renvoyée de la cavité du cœur, avec le sang, à travers les artères jusque dans
toutes les parties du corps, et qui complète l’action des facultés animales et
des sens ; quand cet esprit s’est fatigué à force d’agir sur la sensibilité
par le moyen des cinq sens, et de diriger l’opération des facultés externes, et
que la fraîcheur de la nuit enveloppe la surface du corps, il se retire de tous
les membres et rentre dans son point central, qui est le cœur, afin d’y réparer
ses forces et de se mettre en état de pouvoir recommencer son travail. Par
cette retraite, il suspend l’opération de tous les sens extérieurs, et voilà
en quoi consiste le sommeil, ainsi que nous l’avons déjà dit dans la première
partie de cet ouvrage [2].
Cet esprit cardiaque est le véhicule de
l’esprit (ou âme) intelligent p.116 de l’homme. Or l’esprit intelligent tient de son essence la faculté
d’apercevoir tout ce qui est dans ce monde‑ci [3], puisque, par sa nature et par son essence, il est la perceptivité
même. Si les perceptions du monde invisible se dérobent à la connaissance de
l’esprit *82 intelligent, ce sont ses occupations avec le corps, les facultés (du
corps) et les sens, qui en sont la cause. S’il pouvait écarter le voile des
sens et s’en débarrasser, il reprendrait alors sa véritable nature, la perceptivité
même, et saisirait toutes les perceptions.
Quand il (l’esprit intelligent) se dégage
d’une partie de ces obstacles, il a moins de préoccupations pour le distraire
et ne saurait manquer d’entrevoir quelque chose de son propre monde (du monde
spirituel). Plus il se dégage des préoccupations que lui donnaient, les sens
externes et qui formaient le principal obstacle à son progrès, plus il est
disposé à recueillir dans le monde spirituel les perceptions qui lui
conviennent le mieux, parce que ce monde‑là est le sien. Ayant alors ramassé
des notions dans les divers mondes dont se compose le monde spirituel, il les
rapporte avec lui dans le corps. Mais, tant qu’il reste dans le corps matériel
qui l’enveloppe, il ne peut agir qu’au moyen des instruments de perception
propres au corps. Or les instruments du corps qui servent à procurer des
connaissances ont leur siège dans le cerveau, et l’instrument qui agit sur ces
perceptions est l’imagination ; il enlève aux formes (ou images)
recueillies par les sens les formes qui lui sont spéciales et les renvoie à la
mémoire. Celle‑ci les garde jusqu’au moment où l’esprit en a besoin, soit pour
les examiner, soit pour en tirer des conclusions. L’esprit, de son côté, tire
de ces mêmes formes celles qui sont spirituelles et Intellectuelles, de sorte
qu’il remonte du sensible à l’intellectuel par la voie de l’abstraction et par
l’entremise de l’imagination.
Il en est de même de l’esprit quand il
recueille des perceptions dans le monde qui lui est propre (le monde
spirituel) : il les renvoie à l’imagination, qui leur donne des formes en
rapport avec sa propre p.117 nature et les passe au sens commun. Il en résulte que l’homme plongé
dans le sommeil voit ces formes de la manière dont il aperçoit celles qui se
recueillent par les organes des sens. Voilà comment les perceptions obtenues
par l’esprit intellectuel se trouvent abaissées au degré de celles qui
s’acquièrent par les sens (extérieurs) ; et, dans tout cela, l’imagination
joue le rôle d’intermédiaire. Voilà la vérité en ce qui regarde les songes.
Ces indications suffiront pour faire
distinguer entre les songes vrais et les songes confus et faux. Ces deux
classes de manifestations *83 se composent de formes (ou images) et se présentent à l’imagination
pendant le sommeil : si elles descendent de l’esprit intelligent et perceptif,
elles sont des songes vrais ; mais si elles proviennent de formes que
l’imagination avait transmises à la mémoire [4] dans l’état de veille, ce sont des songes confus (et indignes d’attention).
[Sachez maintenant que les songes vrais
portent en eux‑mêmes des marques [5] qui attestent leur vérité et leur réalité, et qui autorisent celui à
qui une de ces manifestations arrive à y reconnaître une annonce venue de la
part de Dieu. Une de ces marques, c’est la promptitude avec laquelle celui qui
a eu un songe [6] se réveille. On dirait qu’il a hâte de rentrer dans le domaine des
sens. Quelque profond que soit son sommeil, l’impression que la perception du
songe lui fait est tellement forte qu’il se dépêche de sortir de cet état pour
rentrer dans un autre, celui du monde sensible, où l’âme reste engagée dans le
corps et soumise à l’influence de tous les accidents qui affectent le corps.
Une autre de ces marques, c’est la persistance et la durée de (l’impression
laissée par) la perception du songe. Il s’imprime avec tous ses détails dans la
mémoire, et cela si profondément qu’il ne saurait être négligé ou oublié [7]. L’homme se le p.118 rappelle sans être obligé d’avoir recours à sa réflexion ou à sa mémoire.
Quand il s’éveille, son esprit en garde le souvenir jusque dans les moindres
particularités.]
[La raison en est que la perception
mentale (ou spirituelle) n’est pas de celles qui se font dans le temps et qui
consistent dans une suite d’idées [8] ; au contraire, elle se fait tout d’un coup et, dans un seul
instant de temps. Les songes confus ont besoin du temps (pour se déployer), car
ils se trouvent dans les facultés du cerveau ; c’est de la mémoire que l’imagination
les tire pour les renvoyer au sens commun, ainsi que nous venons de le dire.
Or, comme tous actes du corps se font dans le temps, la perception des songes
confus est celle d’une succession (d’idées dont les unes précèdent et les
autres suivent ; elle subit aussi l’accident de l’oubli, accident commun à
toutes les (perceptions obtenues par les) facultés du cerveau. Il en est
autrement des perceptions reçues par l’âme raisonnable : elles se font en
dehors du temps, n’offrent pas une suite *84 d’idées et laissent leur impression sur l’esprit en moins d’un clin
d’œil, en un seul instant de temps. Quand l’homme s’éveille, le songe lui reste
présent dans la mémoire pendant une partie de sa vie ; il ne se dérobe
jamais aux recherches de la faculté réflective, si, au premier moment de se
laisser apercevoir, il fait (sur l’âme) une impression très forte. Si l’homme,
en s’éveillant, occupe sa faculté réflective et son esprit dans le but de se
ressouvenir d’un songe qu’il a eu et dont il a oublié trop de détails pour
pouvoir se le rappeler en entier, il n’a eu qu’un songe confus. Les mêmes marques servent à faire reconnaître les
révélations qui sont vraies. Dieu luimême a dit en parlant au Prophète : « N’agite pas la langue avec trop
d’empressement (afin de répéter les
paroles divines) ; c’est à nous
de les rassembler et de les réciter. Quand nous (te)
les lirons, suis‑en la lecture, puis ce sera à nous de (te)
les expliquer. (Coran, sour. LXXV,
vers. 16, 17, 18.) Les songes ont donc un certain rapport avec le prophétisme p.119 et la révélation, comme le Sahîh le donne à entendre ; nous y
lisons : « Le Prophète a dit : Le songe est une des quarante‑six
parties du prophétisme [9] ». Il est même assez probable que cette proportion (une quarante‑sixième)
existe entre les caractères qui distinguent les songes et ceux qui
appartiennent au prophétisme.]
De l’interprétation des songes. — L’âme
intelligente, ayant obtenu (pendant le sommeil de l’homme) une perception (du
monde spirituel), la transmet à l’imagination afin que celle‑ci lui applique
une forme. La forme que l’imagination choisit a toujours quelque analogie avec
cette perception. Ainsi, si l’âme a eu l’idée d’un puissant souverain, l’imagination
donnera à cette idée la forme qui est propre à la mer ; si elle a aperçu
l’idée d’inimitié, l’imagination attribuera à cette idée la forme appartenant à
l’idée de serpent. Aussi, quand l’homme s’éveille, il sait seulement qu’il a vu
la mer ou un serpent. Celui qui interprète les songes se rappelle d’abord que
la forme de la mer est sensible, et que l’idée aperçue par l’âme se trouve
cachée derrière cette forme ; il examine ensuite (la question) au moyen de
sa faculté assimilante, et, se guidant par des circonstances accessoires, *85 il parvient à découvrir la véritable
perception. Il dira, par exemple, qu’il s’agit du souverain parce que la mer
est un être très grand auquel on est autorisé, par l’analogie, à assimiler le
souverain. On peut de même représenter un ennemi par un serpent, parce qu’un
ennemi et un serpent sont tous les deux très nuisibles, et assimiler les femmes
à des vases, parce que celles‑là sont aussi des réceptacles.
Parmi les choses qui se voient [10] en songe, les unes n’ont pas besoin d’interprétation parce qu’elles
sont parfaitement claires, ou parce qu’elles fournissent des perceptions ayant
une analogie frappante avec les formes (adoptées par l’imagination) pour les
représenter. Voilà pourquoi nous trouvons dans le Sahîh qu’il y a trois espèces de songes : ceux qui viennent de
Dieu, ceux qui viennent d’un ange et ceux qui p.120 viennent du démon. Le songe qui vient de
Dieu est celui qu’on nomme clair, parce
qu’il n’a point besoin d’interprétation ; celui qui vient d’un ange est le
songe vrai, mais qu’il faut
interpréter ; celui qui vient du démon est le songe confus.
Sachez maintenant que l’imagination, à
qui l’âme transmet la perception qu’elle reçoit, façonne cette perception dans
un des moules dont le sens (intérieur) a l’habitude de se servir ; si le
sens ne possédait pas de ces moules, il serait incapable de rien façonner.
L’aveugle‑né ne saurait se figurer le sultan, un ennemi ni les femmes, sous les
formes de la mer, du serpent et des vases, parce que les perceptions fournies
par ces choses lui sont tout à fait étrangères ; mais son imagination
travaille pour lui et donne à ces perceptions des formes qui s’accordent par
leur ressemblance ou par quelque analogie avec les formes provenant des espèces
de perceptions qu’il est capable de recevoir, c’est‑à‑dire de celles qui lui
arrivent par l’audition ou par l’odorat. Si la personne qui interprète le songe
ne fait pas attention à ces circonstances, elle s’embrouillera dans son
explication et gâtera les règles qu’elle doit employer.
La science de l’interprétation des songes
consiste en certaines règles générales auxquelles on doit se tenir quand on
entreprend d’expliquer ce que le songeur, raconte. Aussi (les maîtres dans cet
art) disent que la mer signifie,
tantôt le souverain, tantôt la colère, *86 tantôt le souci et tantôt une affaire grave. Le serpent, disent‑ils, désigne tantôt un ennemi, tantôt la vie et tantôt celui qui garde un secret. L’interprète des songes doit savoir par cœur
toutes ces règles, afin de pouvoir en appliquer, à chaque cas, celle que les
circonstances accessoires désignent comme la plus convenable. De ces circonstances,
les unes se présentent dans l’état de veille, d’autres dans celui de sommeil,
et d’autres encore dans les pensées qui passent par l’esprit de l’interprète et
qui lui arrivent grâce à une faculté innée. Un homme explique les songes avec
plus ou moins de facilité, selon ses dispositions naturelles.
L’interprétation des songes nous est
venue des anciens musulmans : p.121
Mohammed Ibn Sîrîn [11], un des grands maîtres dans cet art, en a enseigné les règles, et
ses disciples, qui les ont mises par écrit, nous les ont transmises. Après lui,
El‑Kermani [12] composa un livre sur cette matière, et des écrivains plus modernes
ont rédigé beaucoup d’ouvrages sur le même sujet. Parmi les traités
d’onéirocritique, celui qui, de nos jours, est le plus répandu dans le Maghreb,
porte le titre d’El‑Momettâ (l’usufruit)
et a pour auteur Abou Taleb, savant (ulémâ) de Cairouan. L’Ichara (l’indication)
d’Es‑Salemi [13] est un ouvrage très satisfaisant [et assez concis [14]. Le Kitab el‑Mercabat‑el‑Aliya (le
haut observatoire), composé par notre professeur le savant Ibn Rached, de
Tunis, est aussi un très bon ouvrage].
L’interprétation des songes forme une
science dont la lumière est un reflet du prophétisme, avec lequel elle a
beaucoup de rapport ; [en effet, l’un et l’autre ont pour objet les
perceptions provenant de la révélation, ] ainsi que nous le lisons dans le Sahîh. Et Dieu sait tout ce qui est caché.
[1]
C’est‑à‑dire l’ancien système.
[2]
Voy. la 1e partie, p. 215.
[3]
Littéral. « le monde de la chose ».
[4]
Le mot ﻪﻨﻣ est inutile et ne se trouve ni dans l’édition de Boulac ni dans les
manuscrits C et D.
[5]
Les deux paragraphes suivants ne se trouvent que dans le manuscrit A et dans la
traduction turque.
[6]
Lisez ici et dans la ligne précédente ﻰﺋﺍﺭﻟﺍ (le voyant) à la place de ﻯﺍﺭﻟﺍ.
Cette correction est justifiée par la traduction turque.
[7]
Littéral. « que la négligence et l’oubli ne sauraient l’effacer ».
[8]
Littéral. « et n’est pas soumise à un ordre ».
[9]
L’auteur a déjà cité cette tradition dans ce chapitre et dans la 1e
partie, p. 213.
[10]
Pour ﻯﺍﺭﻤﻠﺍ , lisez ّﻯﺀﺭﻤﻠﺍ .
[11]
Célèbre traditionniste et interprète de songes. Il mourut l’an 110 (729 de J.
C.). Le traité d’onéirocritique qui porte son nom ne me paraît pas authentique.
[12]
Haddji Khalifa nous apprend, dans son dictionnaire bibliographique, articles El‑Eïchara ila eïlm il‑eïbara, et Kitab et-Tabîr, que cet auteur portait
le surnom d’Abou Ishac. Il paraît avoir ignoré la date de sa mort. Selon M.
Wüstenfeld, dans son Histoire des
médecins arabes (en allemand), page 11, Abou Ishac el‑Kermani vivait vers
le commencement du IIIe siècle de l’hégire.
[13]
Selon Haddji Khalifa, ce personnage se nommait Abou Abd Allah Mohammed Ibn Omar es‑Salemi, mais il n’indique pas
l’année de sa mort. Es‑Salemi avait refondu l’ouvrage d’El‑Kermani dans un
volume renfermant cinquante chapitres.
[14]
Je lis ﺎﻫﺭﺼﺧﺍﻮ , avec le traducteur turc, qui a rendu ce mot par ﺭﺼﺗﺧﻤ . Le
passage manque dans l’édition de Boulac et dans les manuscrits C et D.
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