My Music, My PLAYLIST : https://www.youtube.com/watch?v=HQiYe_w78uA&list=PLRpA8pFcR6-gc-
# Du soufisme.
Le
soufisme est une science islamique. — Dérivation du mot soufi. — La
règle des Soufis. — Progrès de l’aspirant dans la voie spirituelle. — Principe
qui sert de base au système de pratiques adopté par les Soufis. — Premiers
traités du soufisme. — Le combat spirituel et le dégagement de l’âme. —
Dieu est‑il séparé de ses créatures ? — Examen de cette question et
des significations que le terme séparation peut prendre. — La doctrine
de l’unification ou panthéisme. — La théorie des apparences. — La
doctrine de l’identité absolue. — Opinion de certains Soufis, sur le dégagement.
— Leur doctrine, au sujet du cotb et des nakîbs. — La doctrine de
l’externe et de l’interne fut empruntée aux Ismaéliens par
quelques Soufis. — Justification d’El‑Heroui, qui avait énoncé une opinion
malsonnante au sujet de l’unité divine. — Examen des quatre points qui attirent
surtout l’attention des Soufis. — Justification des Soufis.
# La science de l’interprétation des songes.
La
nature et la cause des songes. — Les songes confus et les songes vrais.
— Principes de la science de l’interprétation des songes. — Auteurs qui ont
traité ce sujet.
# Des sciences intellectuelles (ou philosophiques) et de leurs
diverses classes.
Les
quatre sciences philosophiques. — Les sciences qui servent de base à la philosophie.
— Indication des peuples qui, avant l’islamisme, cultivaient les sciences. —
Omar ordonne la destruction des livres et recueils scientifiques que son
général, Ibn Abi Ouekkas, avait trouvés chez les Perses. — Les philosophes
grecs, piliers de la sagesse. — Le khalife El‑Mansour fait traduire les Éléments
d’Euclide et autres traités. — Les philosophes musulmans. — La philosophie en
Espagne, en Mauritanie et en Perse. — Les écrits de Teftazani. — « Je
viens d’apprendre », dit l’auteur, « que la culture des sciences
philosophiques est très prospère chez les Francs. »
# Les sciences relatives aux nombres.
L’arithmétique.
— Les nombres ordonnés suivant une progression arithmétique ou géométrique. —
Avicenne a traité ce sujet, l’ayant regardé comme formant une partie intégrante
de la science mathématique. — L’ouvrage d’Ibn el‑Benna.
# L’art du calcul (l’arithmétique pratique).
La
composition et la décomposition des nombres. — Les fractions. — Les nombres
sourds. — Cet art utile est d’une origine comparativement moderne. — On l’a
vulgarisé dans les grandes villes. — Ouvrages d’arithmétique dont on se sert
dans le Maghreb. — Les théorèmes du calcul peuvent se désigner au moyen de
signes.
# L’algèbre.
Les
équations du premier et du second degré. — El‑Kharizmi fut le premier qui
écrivit sur cette branche de science. — L’auteur dit avoir appris qu’un des
premiers mathématiciens de l’Orient venait de donner une grande extension à la
solution des équations.
# Les transactions (commerciales et autres).
Auteurs
espagnols qui ont écrit sur ce sujet.
# Le partage des successions (feraid).
Auteurs
qui ont écrit sur cette branche de science.
# Les sciences géométriques.
Objet de
la géométrie. — Les Éléments d’Euclide. — De quoi cet ouvrage se compose.
— L’étude de la géométrie donne l’habitude de penser avec justesse.
# La géométrie spéciale des figures sphériques et des figures
coniques.
Les
traités de Théodose et de Ménélaus. — La théorie des sections coniques. —
L’ouvrage des Beni Mouça.
# La géométrie pratique (mesaha).
# L’optique.
# L’astronomie.
But de
cette science. — La sphère armillaire. — L’Almageste.
# Les tables astronomiques
Utilité
de ces tables. — Auteurs qui ont travaillé sur les tables astronomiques.
# La logique.
Comment
on parvient à reconnaître les universaux. — Les connaissances consistent en concepts
et en affirmations. — Ce fut Aristote qui régularisa les procédés de la
logique et en forma un corps de doctrine. — Pourquoi on la nomma la science
première. — Le Kitab al‑Fass. — Le traité d’Aristote renferme huit
livres. — Titres de ces livres. — Les cinq universaux et le traité de Porphyre.
— Le traité sur les définitions et les descriptions. — Modifications que les
savants d’une époque plus moderne firent éprouver à l’Organon. — Plus
tard, les docteurs traitaient la logique comme une science sui generis.
— L’étude de la logique fut condamnée par les anciens musulmans. — Ce furent
El-Ghazzali et Er‑Razi qui, les premiers, se relâchèrent de cette rigueur. —
Système de raisonnement employé d’abord par les théologiens musulmans pour
défendre les dogmes de la religion. — Principes qu’ils adoptèrent. — Ce que les
Acharites entendaient par états. — Ces doctrines renversaient toutes les
colonnes de la logique. — El‑Ghazzali y renonça et suivit une nouvelle doctrine
qui s’est toujours maintenue depuis.
# La physique.
L’objet
de cette science. — Livres qu’on a composés sur cette matière.
# La médecine.
L’objet
et le but de la médecine. — Traités de médecine. — La médecine chez les peuples
nomades. — Les prescriptions médicales attribuées au Prophète ne font nullement
partie de la révélation divine.
# L’agriculture.
L’agriculture
chez les anciens. — L’agriculture nabatéenne. — On a composé beaucoup
d’ouvrages sur l’agriculture.
# La métaphysique (El‑ilahiya)
Les
personnes qui cultivent cette science disent qu’elle procure la connaissance de
l’être tel qu’il est, et qu’en cela consiste la félicité suprême. — Dérivation
du mot métaphysique. — Les théologiens des derniers siècles ont eu tort
de fondre ensemble la scolastique et la métaphysique. — On ne doit pas chercher
à démontrer par le raisonnement les dogmes de la loi révélée. — Il ne faut pas
confondre dans une même science la théologie et la métaphysique.
# La magie et la science des talismans.
Les Assyriens,
les Chaldéens et les Coptes possédaient des ouvrages sur ces matières. — L’agriculture
nabatéenne. — Les ouvrages de Tômtom, de Djaber et de Maslema. — La
véritable nature de la magie. — Comment les âmes peuvent se dégager de
l’influence des sens afin d’acquérir des notions du monde spirituel. — Il y a
trois espèces de magie, dont deux ont une existence réelle. — Pratiquer la
magie est un acte d’infidélité. — La réalité de la magie est prouvée par ce que
Dieu en a dit dans le Coran. — L’ensorcellement. — Singuliers effets de la
magie. — L’art talismanique a fait connaître les vertus merveilleuses des
nombres aimables ou sympathiques. — Le sceau du lion. —
L’amulette sextuple. — L’ouvrage de Maslema sur la magie. — Les
gens qui font crever les bestiaux. — Comment les philosophes (libres penseurs)
distinguent entre la magie et l’art des talismans. — Comment on peut distinguer
entre un magicien et un prophète. — Prodiges opérés par des Soufis. — Le Djirefch
kavian. — L’amulette centuple formée de nombres. — La loi condamne
la magie et l’art des talismans. — Selon les théologiens scolastiques, c’est
par le tahaddi qu’on peut distinguer entre l’acte d’un prophète et celui
d’un magicien. — Les effets du mauvais œil.
# Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet.
La simia.
— Ouvrages sur ce sujet. — Selon certains Soufis, il y a quatre éléments. —
Selon d’autres, c’est à leur valeur numérique que les lettres doivent leur
influence. — Influence des lettres et des mots. — En quoi la vertu secrète des
talismans diffère de celle des mots. — A l’influence des noms se mêle
quelquefois celle des astres. — Les invocations. — Ouvrage de Maslema sur la
magie. — La simia est réellement une branche de la magie. — Miracle
opéré en faveur d’Abou Yézid el‑Bestami. — Manière d’obtenir, au moyen de la
combinaison des lettres, la réponse à une question.
# Observations du traducteur
sur la zaïrdja d’Es‑Sibti.
# L’alchimie.
Théorie
de cet art. — L’élixir. — La science de Djaber (Geber). — Le Retbat
al-Hakim, traité d’alchimie composé par Maslema. — Traité d’alchimie
attribué à Khaled Ibn Yezîd. — Texte d’une épître composée sur l’alchimie par
Ibn Bechroun. — Théorie de l’œuvre ou pierre philosophale. —
Conversation d’Ibn Bechroun avec Maslenta au sujet de l’œuf. — Prétendue
démonstration de cette question au moyen de la géométrie. — Explication de
quelques termes. — Selon Ibn Khaldoun, l’alchimie doit être regardée comme une
espèce de magie.
§
Le soufisme est une des sciences qui sont nées
dans l’islamisme. Voici à quoi elle doit son origine. Le système de vie adopté
par ces gens (les mystiques ou Soufis) a toujours été en vigueur depuis le
temps des premiers musulmans. Les plus éminents parmi les Compagnons et (leurs
disciples) les Tabê, et parmi les successeurs de ceux-ci, le
considéraient comme la route de la vérité et de la bonne direction. *60 Il avait pour base l’obligation de s’adonner
constamment aux exercices de piété, de vivre uniquement pour Dieu, de renoncer
aux pompes et aux vanités du monde, de ne faire aucun cas de ce que recherche
le commun des hommes, les plaisirs, les richesses et les honneurs ; enfin
de fuir la société pour se livrer dans la retraite aux pratiques de la
dévotion. Rien n’était plus commun parmi les Compagnons et les autres fidèles
des premiers temps. Lorsque, dans le second siècle de l’islamisme et dans les
siècles suivants, le goût pour p.86 les biens
du monde se fut répandu et que la plupart des hommes se furent laissés
entraîner dans le tourbillon de la vie mondaine, on désigna les personnes qui
se consacrèrent à la piété par le nom de Soufis ou de Motesouwefis
(c’est‑à‑dire aspirants au soufisme) [2].
§
El-Cocheïri [3]
a dit qu’on ne saurait assigner à ce nom une étymologie qui soit tirée de la
langue arabe et conforme à l’analogie ; que c’est évidemment un sobriquet
et que l’opinion de ceux qui le font dériver de safa (pureté), ou de soffa
(banquette) [4],
ou de soff (rang, ordre) est trop difficile à concilier avec les formes
étymologiques de la langue pour être admissible. Il ajoute qu’on ne peut pas
non plus le faire dériver de souf (laine), vu que ces gens‑là n’avaient
pas l’habitude de se distinguer des autres en portant des vêtements de laine.
Je dis, moi, que, puisqu’il s’agit d’étymologie, soufi vient très
probablement de souf (laine), car la plupart de ces dévots portaient des
vêtements de cette étoffe pour se distinguer du commun des hommes, qui aimaient
à se montrer dans de beaux habits.
§
Les Soufis ayant adopté pour règle de renoncer
aux biens du monde, de se tenir séparés de la société et de s’adonner à la
dévotion, se distinguèrent aussi des autres hommes par des extases [5] qui leur survenaient. Expliquons cela.
L’homme, en tant qu’il est homme, se distingue des autres animaux par la perception [6],
et cette perception est de deux sortes : la première a pour objet les
sciences et les connaissances, non seulement tout ce qui est certain, mais
tout ce qui est supposition, ou doute ou opinion ; l’autre a pour objet
les états qu’il p.87 éprouve en lui-même, tels que la joie, la
tristesse, le resserrement (de cœur), l’épanouissement, la satisfaction, la
colère, la patience, la gratitude et antres dispositions semblables. L’être
réel et intelligent (l’âme) qui agit librement dans le corps se compose de
perceptions, (venues de l’extérieur), de volontés (intérieures) et d’états (ou
modifications qu’elle éprouve) ; et c’est là, comme nous l’avons
dit [7],
ce *61 qui distingue l’homme. Ces états
proviennent les uns des autres ; ainsi la science vient du raisonnement,
la joie et la tristesse proviennent de ce qui fait éprouver du plaisir ou de la
douleur ; l’activité est le produit du repos, et la paresse de la
lassitude.
§
Il en est de même de l’aspirant (ou disciple de
la vie spirituelle dans le combat qu’il se livre à lui-même et dans ses
exercices de piété : chaque combat qu’il livre à ses penchants produit en
lui un état qui est la conséquence
de ce combat. Cet état est, nécessairement, ou un acte [8]
de dévotion qui, s’enracinant (par la répétition), devient pour lui une station, ou, si ce n’est point [9]
un acte de dévotion, ce doit être nécessairement une qualité que son âme
acquiert [10],
comme joie, gaieté, activité, paresse, etc. Maintenant, quant aux stations,
l’aspirant ne cesse de s’élever d’une station à une autre jusqu’à ce qu’il
parvienne à la confession (ou la conviction) de l’unité divine [11]
et à la connaissance (parfaite de
Dieu), terme nécessaire pour obtenir la félicité, conformément à cette parole
du Prophète : Quiconque mourra
en confessant qu’il n’y a point d’autre dieu que Dieu entrera dans le paradis.
§
L’aspirant ne peut se dispenser de s’élever
successivement dans ces divers degrés, ils ont tous pour fondement l’obéissance
et la sincérité (d’intention) ; la foi les précède et les accompagne, et
d’eux p.88 naissent les états et les qualités [12]
qui en sont les produits et les bons résultats [13].
Ces états et ces qualités en produisent d’autres par une progression successive
qui se termine à la station de la confession de l’unité (tauhîd) et de la connaissance. S’il
se rencontre quelque défaut ou quelque imperfection dans le produit, on doit
reconnaître que cela provient d’un défaut dans ce qui a précédé. Il en est de
même des pensées qui passent par l’esprit de l’homme et des lumières surnaturelles
qui arrivent spontanément au cœur [14].
En conséquence de cela, l’aspirant a besoin de demander compte à son âme de ses
dispositions dans tout ce qu’elle fait, et d’examiner jusqu’aux replis les
plus cachés de son cœur ; car les actions doivent, de toute nécessité,
produire des résultats, et si ces résultats sont imparfaits, cela provient de
défauts dans les actions. L’aspirant s’aperçoit de cela par son *62 goût [15]
et entre en compte avec son âme pour en découvrir la cause.
§
Il y a bien peu d’hommes qui imitent dans cette
pratique les Soufis, car l’indifférence à cet égard est pour ainsi dire
universelle. Les hommes pieux qui ne se sont pas élevés jusqu’à cette classe
(de mystiques) ne se proposent rien de plus que de remplir les seuls devoirs
que la jurisprudence regarde comme suffisants pour celui qui veut satisfaire
(aux prescriptions de la loi) et s’y conformer. Mais les mystiques examinent
scrupuleusement les résultats (de leur conduite), faisant usage pour cet
examen des goûts et des extases [16],
dans le but de s’assurer si leurs actions sont exemptes ou non de quelque
défaut.
§
Il est donc évident que tout leur système est
fondé sur la pratique d’obliger l’âme à se rendre compte de ses actions et de
ses fautes d’omission, et sur les discours dans lesquels ils traitent des goûts et des extases qui, naissant des combats (livrés aux inclinations
naturelles), p.89 deviennent pour
l’aspirant des stations dans
lesquelles il s’élève progressivement en passant de l’une à l’autre. Mais,
outre cela, ils ont certaines règles de convenance qui leur sont particulières,
et ils emploient entre eux certains termes auxquels ils ont assigné des
significations techniques. Les mots, dans le langage ordinaire, ne servent qu’à
désigner des idées généralement connues ; mais, quand il se présente des
idées qui ne sont pas dans la circulation générale, nous sommes obligés
d’employer par convention, pour les exprimer, des mots au moyen desquels on
puisse aisément les concevoir. Par suite de cela, les Soufis se sont fait une science
particulière, sur laquelle on ne trouve aucune indication chez les personnes
qui cultivent les autres sciences religieuses. Celle de la loi se divise en
deux espèces : la première est propre aux légistes et aux jurisconsultes,
et a pour objet les règles communes à tous et se rapportant aux devoirs du
culte, aux usages et aux transactions sociales ; la seconde est particulière
à cette classe d’hommes dont nous parlons : elle embrasse tout ce qui
concerne l’exercice du combat spirituel et le compte qu’on doit en demander à
son âme, elle traite aussi des goûts et des extases qui surviennent dans la pratique de ces exercices, elle
parle du procédé par lequel on s’élève successivement dans l’échelle des goûts
et donne l’explication des termes techniques qui sont usités parmi ces gens
(les Soufis).
§
A l’époque où l’on commença à mettre par écrit
les connaissances scientifiques et à en former des recueils, les docteurs
rédigèrent des ouvrages sur le droit, sur les principes fondamentaux de la
jurisprudence, *63 sur la théologie
scolastique, sur l’exégèse coranique et autres sciences de ce genre. Quelques
hommes éminents dans l’ordre des Soufis [17]
écrivirent alors des ouvrages sur leur système. Les uns ont traité des règles
de la dévotion et du compte qu’on doit faire rendre à l’âme au sujet du soin
qu’elle a apporté à se conformer (à ces lois), soit dans ce qu’il convient de
faire, soit dans ce qu’il convient de ne p.90
pas faire. El‑Mohacebi [18]
a composé sur cette matière un traité intitulé Reâïa (l’observance). D’autres ont traité des bienséances qui
doivent s’observer dans la pratique du soufisme, des goûts que l’on y éprouve et des extases
qui surviennent aux Soufis dans leurs états (d’exaltation). C’est ce
qu’ont fait El‑Cocheïri dans son Riçala [19],
Es‑Sohrewerdi dans son Aouaref el‑Maaref [20]
et d’autres écrivains. El‑Ghazzali a réuni ces deux genres de sujets dans son
livre intitulé Ihya [21] :
il y a consigné non seulement les principes qui doivent régler les pratiques de
la dévotion et l’observance (des bons exemples), mais aussi l’étiquette des
usages observés par la confrérie et l’explication des termes qu’ils se sont
accordés à employer pour exprimer leurs idées.
§
Ce fut ainsi que le système des Soufis se
présenta, dans l’islamisme, sous la forme d’une science rédigée méthodiquement
par écrit, bien que d’abord elle n’eût été qu’une manière de pratiquer les
exercices de la dévotion, et que ses règles ne se trouvassent que dans le cœur
des hommes. C’est de la même manière que se rédigèrent les ouvrages où l’on
traite de l’exégèse coranique, des traditions, du droit, des principes
fondamentaux de la jurisprudence et d’autres sciences.
§
Ce combat spirituel, cette retraite et cette
méditation sont suivis ordinairement de l’écartement des voiles des sens [22],
et accompagnés de la vue de certains mondes
(ou catégories d’êtres) qui, étant du domaine de Dieu, ne sauraient
être aperçus, même dans la moindre partie, par celui qui n’a pour se servir que
les organes des sens. Un de ces mondes est celui de l’âme. Ce dégagement a lieu quand l’âme quitte p.91 les sens extérieurs pour rentrer dans le
sens interne ; alors les états (produits
par l’opération) des sens s’affaiblissent, ceux qui proviennent de l’âme se
fortifient, l’âme exerce un empire dominant et sa vigueur se renouvelle. Or la
méditation [23]
aide puissamment à cela, car elle est comme la nourriture qui donne la
croissance à l’âme, et celle‑ci ne cesse pas de croître et d’augmenter jusqu’à
ce que, de science (ou
être en puissance) qu’elle était, elle devienne présence (ou être en acte), et que, s’étant dégagée
des sens, elle [24]
acquière la plénitude *64 de cette
existence qu’elle tient de son essence et qui consiste en la perception même.
Dans cet état, elle est susceptible de recevoir les dons divins, les
connaissances déposées près de la divinité [25]
et les faveurs spontanées [26]
de Dieu ; enfin son essence (ou nature), en ce qui concerne la
connaissance exacte de ce qu’elle est, se rapproche de l’horizon le plus élevé, l’horizon des anges [27].
§
Ce dégagement
(par lequel on est délivré) des sens arrive le plus souvent aux hommes qui
pratiquent le combat spirituel ; et alors ils obtiennent une perception de
la véritable nature des êtres, perception telle que personne autre qu’eux ne
saurait l’avoir. De même, ils ont souvent la connaissance des événements avant
qu’ils arrivent, et, par l’influence de leurs désirs ardents [28]
et par les forces de leurs âmes, p.92 ils
disposent des êtres inférieurs, qui sont contraints d’obéir à leur volonté.
§
Les plus grands personnages d’entre les
mystiques ne font point de cas de ce dégagement
et de cet empire (sur les êtres) ; ils ne déclarent rien de qu’ils
savent sur la nature réelle (et secrète) d’aucune chose, quand ils n’ont point
reçu l’ordre d’en parler ; bien plus, ils regardent ce qui leur arrive de
ces effets (surnaturels) comme une tentation, et, quand ils les éprouvent, ils
demandent à Dieu de les en délivrer.
§
Les Compagnons pratiquèrent aussi ce combat
spirituel et se virent abondamment comblés de faveurs surnaturelles : Abou
Bekr, Omar et Ali se distinguèrent par un grand nombre de dons de ce genre,
mais aucun d’eux n’y attacha la moindre importance. Leur façon de voir à cet
égard a été suivie par les mystiques dont les noms sont mentionnés dans le
traité d’El‑Cocheïri, et par ceux qui, après eux, marchèrent dans la même voie.
§
Parmi les modernes il s’est trouvé des hommes
qui ont mis beaucoup d’intérêt à obtenir ce dégagement des voiles, et à pouvoir parler des perceptions que ces
voiles leur avaient cachées. Ils ont eu recours, pour y parvenir, à différents
exercices de mortification, suivant les divers enseignements qu’ils ont reçus
relativement à la manière d’éteindre les facultés des sens, et de nourrir, par
la méditation, l’âme intelligente. On continue ces exercices jusqu’à ce que
l’âme, ayant pris toute sa croissance et toute la nourriture dont elle est
susceptible, puisse jouir pleinement de la faculté de percevoir qui lui
appartient en vertu de son essence. Quand un homme, disent‑ils, est parvenu à
ce point, tout ce qui existe est compris dans ses perceptions ; ils *65 prétendent avoir vu à découvert l’essence
réelle de tous les êtres, et s’être fait des idées justes de la nature
véritable de toutes ces choses, depuis le trône (de Dieu) jusqu’à la plus
légère pluie [29].
C’est ce que dit El‑Ghazzali dans son ouvrage intitulé Ihya, après avoir p.93 décrit
les pratiques de mortification (dont on fait usage pour parvenir à cet état
surnaturel). D’après eux, ce dégagement n’est réel et complet que s’il provient
de la droiture (des intentions et des dispositions) ; car il peut avoir
lieu (mais d’une manière imparfaite) pour des gens qui s’attachent à vivre
dans la retraite et à supporter la faim, sans qu’il y ait chez eux de la
droiture ; tels sont les magiciens, les chrétiens et autres gens qui
pratiquent des exercices de mortification ; mais nous ne voulons parler à
présent que du dégagement provenant
de la droiture. On peut user ici d’une comparaison prise d’un miroir bien
poli : si l’on met un miroir convexe ou concave devant un objet dont il
doit réfléchir l’image, cet objet s’y montrera sous une figure contournée qui
ne sera pas la sienne ; si, au contraire, la surface du miroir est plane,
cet objet s’y montrera tel qu’il est. Ce que la surface plane est pour le miroir,
la droiture l’est pour l’âme, relativement aux états dont celle‑ci reçoit l’impression.
§
Les modernes, ayant donc attaché une grande
importance à ce dégagement, ont discouru sur la nature réelle des êtres
supérieurs et inférieurs, sur celle de l’espèce angélique, de l’âme
(universelle), du trône (de Dieu), du siège (qu’il occupe) et d’autres choses
semblables ; mais les personnes qui ne sont pas leurs confrères et qui ne
suivent pas leur système sont incapables de comprendre les goûts et les extases
qu’ils éprouvent. Parmi les casuistes, les uns repoussent (les prétentions de
ces mystiques), tandis que d’autres les admettent ; mais, en cette
matière, les raisonnements et les arguments ne sont d’aucune utilité, ni pour
réfuter ni pour prouver, attendu qu’il s’agit de choses dont on ne peut juger
que par les sens intérieurs [30].
§
[Examen
détaillé et appréciation (de ces
matières). — Les savants, p.94 parmi les traditionnistes et les
jurisconsultes qui se sont occupés des dogmes (de la foi), ont très souvent
énoncé l’opinion que Dieu *66 est séparé
(mobaïn) de ses créatures ; les scolastiques ont dit qu’il n’en est pas séparé
et qu’il n’y est pas joint (motassel) ; les philosophes ont
enseigné qu’il n’est ni dans le monde ni en dehors du monde, et les Soufis des derniers temps ont déclaré
qu’il est identique (mottahed) avec les êtres créés, soit
parce qu’il s’est établi (holoul) dans eux, soit que ces êtres soient
lui-même, et qu’ils ne renferment, ni en totalité ni en partie [31],
aucune autre chose que lui. Nous allons examiner ces propositions d’une manière
détaillée et les apprécier à leur juste valeur, afin qu’on comprenne clairement
ce qu’elles énoncent.]
§
[Le terme séparation s’emploie pour
exprimer deux idées (que nous aurons à discuter successivement). Il signifie
d’abord être séparé quant au lieu et la place, idée dont l’idée opposée
est être joint. Si l’on entend le mot séparation avec la
restriction (de lieu et de place) et si l’on admet cette corrélation, on est
obligé d’y reconnaître l’idée de localité, soit explicitement, ce qui
serait affirmer la corporéité (de Dieu), soit par une conséquence nécessaire,
ce qui serait assimiler (Dieu aux créatures), doctrine qui rentre encore dans
la catégorie de la doctrine qui assigne une place à Dieu.]
§
[On rapporte que certains docteurs parmi les
premiers musulmans professèrent ouvertement la séparation ; mais,
en ce cas, on ne saurait assigner à ce mot la signification dont nous parlons.
L’emploi de ce terme a été condamné par les théologiens scolastiques, parce
qu’il impliquait l’idée de lieu. Voici leurs paroles : « Qu’on ne dise pas que le Créateur est séparé
de ses créatures, ou qu’il leur est joint ; car de pareils
attributs ne conviennent qu’à des choses qui sont dans un lieu. Qu’on ne dise
pas qu’un sujet doive nécessairement avoir un attribut exprimant une certaine
idée ou bien l’opposé de cette idée, car cela dépend d’abord [32]
d’une condition, à savoir, que l’adjonction d’un attribut à un sujet soit de
rigueur ; si cette condition p.95 n’est pas
admise, la nécessité de l’adjonction n’existe pas. Il est même possible qu’un
sujet se passe d’attribut exprimant une idée particulière ou le contraire de
cette idée [33].
Aussi peut‑on très bien dire d’un corps inorganique qu’il n’est ni savant ni
ignorant, ni puissant ni faible, ni écrivant ni sans instruction. L’emploi du
mot séparé comme attribut (d’un sujet) n’est autorisé que sous la condition
qu’on veuille indiquer l’existence (du sujet) dans un lieu ; cela est
certain, à ne considérer que le sens de ce mot. Mais le Créateur, — Gloire soit
à lui ! — est bien au‑dessus de pareils attributs. » Ce passage est
cité par Ibn et‑Tilimçani [34]
dans son commentaire sur les Lomâ (les
éclairs) de l’imam el‑Haremeïn. Il dit ailleurs : « Qu’on ne dise pas
que le Créateur est séparé du monde ou qu’il y est joint ; qu’on ne dise pas qu’il est en dehors ou en dedans du
monde. » *67 Cela est
conforme à la doctrine des philosophes ; ils enseignaient que Dieu n’est
ni dans le monde ni en dehors du monde ; mais ils fondaient leur opinion
sur le principe qu’il existe des substances qui ne sont pas dans un lieu,
principe repoussé par les théologiens scolastiques, parce qu’il nous
obligerait à convenir que certaines substances possèdent un des attributs qui
sont particuliers au Créateur. La question que nous examinons ici est traitée
en détail dans les livres de théologie scolastique.
§
[Passons à la seconde idée exprimée par le terme
séparation, et qui est celle de différence et d’opposition. Quand on prend le mot séparé dans ce sens,
on peut fort bien dire que Dieu est séparé de ses créatures quant à son
essence, à son individualité [35],
à son existence et à ses attributs. L’idée opposée à celle‑ci s’exprime par les
termes unification, combinaison et
mélange. Cette signification du
mot séparé a p.96 été
systématiquement adoptée par ceux qui étaient dans le vrai [36],
c’est‑à‑dire, par la totalité des premiers musulmans, par les hommes savants
dans la loi, par les théologiens scolastiques, par les Soufis des temps
anciens, ceux, par exemple, dont les noms sont cités dans la Riçala (d’El‑Cocheïri) [37],
et par tous les docteurs qui ont marché dans la même voie. Mais une fraction
des Soufis modernes, celle qui a fait des perceptions recueillies par le sens
interne un objet de science et d’investigation, est allée jusqu’à déclarer que
le Créateur est identique (mottahed)
avec ses créatures, quant à son individualité, à son existence et à ses
attributs. Ils ont même dit que c’était là l’opinion des philosophes qui
précédèrent Aristote, savoir, de Platon et de Socrate. Telle est la doctrine
que les théologiens scolastiques ont en vue quand ils parlent, dans leurs
écrits, d’une certaine opinion des Soufis qu’ils prennent à tâche de
réfuter : « C’est, disent‑ils, un contre‑sens manifeste que de
supposer la réunion de deux essences dont l’une est totalement différente de
l’autre, ou dont l’une est renfermée dans l’autre, comme la partie (dans le
tout). » Aussi, repoussent‑ils cette doctrine. L’unification (ittihad)
dont nous parlons est identique avec l’établissement (de la divinité dans
l’homme, c’est-à‑dire l’incarnation), dogme professé par les chrétiens au sujet
du Messie, et dont la bizarrerie est manifeste, parce qu’il suppose l’établissement
d’un ancien dans un nouveau (c’est‑à‑dire
d’un être éternel dans un être créé), ou l’unification de ces deux êtres. Cela est
encore la même doctrine que celle des Chîïtes imamiens [38]
à l’égard de leurs imams.]
§
Quand ils (les Soufis) parlent de l’unification [39], ils l’entendent de p.97 deux manières. Selon la première, l’essence éternelle est
cachée dans *68 les êtres qui ont eu un
commencement, tant dans ceux qui se laissent apercevoir par les sens que dans
ceux qu’on aperçoit par l’entendement, et elle est identique avec ces deux
classes d’êtres. Tous (ces êtres, disent‑ils, ) sont des manifestations
externes de (l’être) éternel, et celui-ci en est le recteur, c’est‑à‑dire, il les maintient dans l’existence. Cela
signifie que, sans lui, ils n’existeraient pas. Telle est la doctrine de ceux
qui croient à l’établissement. La
seconde opinion est celle des partisans de l’unité absolue (el‑ouehda ’l‑motlaca).
Il semblerait que ceux‑ci s’étaient aperçus que la doctrine des partisans de
l’établissement renfermait l’idée de la non‑identité, idée tout à fait opposée à celle qui est indiquée par
le terme unification ; aussi ont‑ils
rejeté la non‑identité de (l’être)
éternel et des créatures, en ce qui concerne l’essence, l’existence et les
attributs ; et ils ont regardé comme erronée la doctrine qu’il y avait non‑identité
(entre l’être éternel) et les manifestations extérieures qui se laissent apercevoir
par les sens et par l’entendement. « Ces manifestations (disent‑ils) sont
des perceptions humaines, lesquelles sont des ouehm (c’est‑à‑dire des illusions). » Ils ne veulent pas
exprimer par ouehm l’idée que ce
terme comporte en tant qu’il entre dans la catégorie dont les mots eïlm (savoir), dhann (opinion) et chekk (doute)
font partie [40] ;
au contraire, ils veulent déclarer que toutes (les perceptions humaines) sont
réellement des non‑êtres qui ont seulement une existence (apparente) [41]
dans la faculté perceptive de l’homme. Il n’y a réellement point d’existence
(disent‑ils), soit externe, soit interne, excepté pour (l’être) éternel. Plus loin, nous tâcherons d’expliquer cela autant
que nous le pourrons ; car on essayerait en vain de s’en rendre raison à
l’aide de la spéculation et de la démonstration, comme cela se fait dans
l’examen des perceptions purement p.98 humaines.
En effet, la connaissance de ces matières (si obscures) provient des
impressions reçues dans le monde des anges, et il n’y a que les prophètes et
les saints venus après ceux‑ci qui tiennent — les premiers de leur naturel
primitif, et les seconds d’une direction qu’ils ont reçue, — la faculté de les
obtenir. Celui qui chercherait à en prendre connaissance en se servant des
sciences humaines se tromperait tout à fait [42].
§
Quelques auteurs ont entrepris de dévoiler la
nature des choses existantes [43]
et de fixer l’ordre véritable dans lequel elles ont paru, et dans cette tâche
ils ont adopté la théorie des partisans des apparences [44].
Les notions qu’ils fournissent à ce sujet sont plus obscures les unes que *69 les autres, surtout si on les compare avec
(les indications fournies par les docteurs orthodoxes), qui, dans leurs
recherches spéculatives, s’en tenaient à la terminologie reçue et aux sciences
déjà établies. El‑Ferghani [45]
nous est un exemple des premiers ; dans la préface qui accompagne son
commentaire du poème (mystique) d’Ibn el‑Fared [46],
il expose la manière dont ce qui existe a émané de l’agent (qui est p.99 Dieu, et indique l’ordre (dans lequel tout a
paru) : « Ce qui existe émane (dit‑il, ) de l’attribut de l’unitisme [47], lequel fait émaner [48]
l’unéité, et tous deux émanent ensemble de la noble essence (l’Être suprême), qui n’est ni plus ni moins que l’unité
même. Les mystiques désignent cette émanation (sodour) par le terme manifestation. La première des
manifestations, selon eux, est celle de l’essence (qui se montre) à elle-même ;
elle renferme la perfection, qui implique la faculté de faire exister et de
faire paraître ; ce qui est conforme à une parole qui a cours parmi eux et
qu’ils attribuent à Dieu, savoir : J’étais
un trésor caché, et, voulant être connu, j’ai créé les créatures afin qu’elles
me connussent. Cette perfection consiste dans la faculté de faire exister,
laquelle est descendue d’en haut (pour se manifester) dans ce qui existe et
jusque dans les détails de la nature réelle des choses existantes. Cela forme,
selon eux, le monde des réalités, la présence amaïenne [49] et la vérité mohammédienne. Là‑dedans se trouvent les vérités (ou caractères réels
des attributs du tableau (sur lequel sont inscrits les décrets divins, de la
plume (qui a servi pour les écrire), de tous les prophètes et envoyés (célestes
et de la perfection du peuple mohammédien [50]. Tout cela forme des parties distinctes de la
vérité mohammédienne. De ces
vérités il en émane d’autres qui concernent la présence hébaïenne [51],
qui (dans cette échelle) est le degré de la p.100
représentation. De là
procèdent le trône, puis le siège, puis les sphères, puis le
monde des éléments, puis le monde de la combinaison. Tout cela forme le monde de l’assemblage (retec), ce qui, étant manifesté, s’appelle
le monde de la séparation (fetec). »
— Fin de l’extrait. — Cela s’appelle le système des manifestations, ou des apparences,
ou des présences. Ceux *70 qui procèdent par la voie de la spéculation
(et du raisonnement) ne sont pas faits [52]
pour comprendre ce genre de langage, tant le sens en est obscur et
impénétrable ; combien le style des hommes aux extases et à la
contemplation mystique[53]
diffère de celui des personnes qui se guident par (le raisonnement et par) la
démonstration ! Il nous semble même que la loi divine condamne ce système,
puisqu’elle ne renferme aucune disposition qui puisse nous faire soupçonner
une telle suite de manifestations.
§
Quelques Soufis d’une autre classe sont allés
jusqu’au point d’affirmer l’identité (ouehda) absolue (de Dieu avec le monde), principe plus difficile à concevoir
que le précédent et plus étrange dans ses résultats. Ils prétendent que tout
ce qui existe renferme dans ses diverses parties certaines puissances (ou
facultés) dont la nature réelle des êtres dépend, ainsi que leur forme et leur
matière. Les éléments tiennent leur existence des puissances qu’ils renferment,
et la matière de chaque élément renferme en elle‑même une puissance qui la fait
exister. Dans les êtres composés se trouvent encore les mêmes puissances
jointes à celle qui a opéré la composition de ces êtres. Ainsi, pour en donner
des exemples, les minéraux renferment leur puissance p.101 constituante jointe à celle des éléments et de la matière
(hioulé, ύλη) des
éléments ; la puissance qui constitue les animaux est jointe à celle des
minéraux ; la puissance qui constitue le caractère de l’espèce humaine
est jointe à celle qui fait l’animalité ; ensuite vient la sphère (du
monde), qui renferme la puissance de l’humanité et (une autre puissance) de
plus. Il en est de même des essences spirituelles et de la puissance qui réunit
en elle‑même celle de tous les êtres sans exception, c’est-à‑dire la puissance
divine, celle qui s’est répandue dans la totalité et dans les parties de tous
les êtres et qui les réunit tous. Elle les entoure, non pas (seulement) dans
leurs états de manifestation et de recèlement, dans leurs formes et dans
leur matière, mais aussi de tous les côtés. Tout cela n’est cependant qu’un
seul être, la personnalité même de l’essence divine. Cette essence est un être
réel, unique et non composé ; c’est seulement en la considérant qu’on est
amené à y voir des parties. Que l’on examine la nature humaine mise en rapport
avec celle de l’animalité, n’y voit‑on pas que la première renferme en elle‑même
la seconde, et que son existence dépend de celle de l’autre ? *71 Aussi, a‑t‑on assimilé ce rapport, tantôt à
celui du genre à l’espèce et tantôt à celui du tout à la partie ; mais ce
n’est là qu’une simple assimilation. On voit que dans tout cela ces Soufis
évitent à dessein ce qui pourrait donner l’idée de combinaison et de pluralité ; « car, disent‑ils, ces deux
idées sont les produits de la supposition et de l’imagination. » Il
paraît, d’après un discours dans lequel Ibn Dehhac [54]
traite de ce système, que leur doctrine au sujet de l’unité (ouehda) est absolument semblable à celle des philosophes au sujet des
couleurs. « Leur existence, disent‑ils, dépend de la lumière ; si la
lumière n’existait pas, il n’y aurait pas de couleurs. » De même, chez ces
mystiques, l’existence de tous les êtres perceptibles dépend de celle de la
perceptivité des sens, et, ce qui est encore plus fort, l’existence des êtres
perçus par l’intellect et de ceux qu’on peut imaginer dépend de celle de la
perceptivité de l’intellect. De là résulterait que toute l’existence
séparable (c’est‑à‑dire les êtres qui se distinguent les uns des autres)
dépendrait de l’existence de la perceptivité humaine. Donc, si nous supposons
que cette perceptivité n’existe pas, il n’y aurait pas de distinction entre
les choses qui existent, et elles seraient, alors comme une seule chose simple
et unique ; le chaud et le froid, le dur et le mou, la terre même, et
l’eau et le feu, et le ciel et les étoiles, n’existeraient que par l’existence
des sens faits pour les apercevoir : car la perceptivité a la faculté de
reconnaître, dans les êtres, des différences qui n’y sont pas ; cette
faculté n’existe que dans les organes de la perception, et si ces organes,
doués de la faculté de distinguer, n’existaient pas, il n’y aurait qu’une
perception unique, celle du moi. Ils comparent cela à ce qui se passe pendant
le sommeil : quand l’homme dort, les sens extérieurs, et tout ce qu’ils
aperçoivent, n’existent plus, et l’homme, dans cet état, est incapable de
distinguer entre les êtres, excepté par le moyen de l’imagination (agissant
dans les songes). L’homme qui veille
est, disent‑ils, dans un état semblable : il ne reconnaît les différences
entre tous les êtres dont il s’aperçoit *72 qu’au
moyen de la perceptivité humaine, et, si elle lui manquait, la différence entre
eux n’existerait pas. C’est là ce qu’ils désignent par le terme ouehm (illusion), qu’il ne faut pas
confondre avec le même terme (qui signifie opinion,
δόξα) et qui fait partie de ceux qui désignent les modes perceptifs de
l’homme [55].
§
Tel est le sommaire de leur doctrine, autant
qu’on peut la comprendre, d’après les indications d’Ibn Dehhac [56].
C’est une doctrine bien chancelante ; car nous avons la conviction intime
que le pays vers lequel nous voyageons existe, bien qu’il soit hors de notre
vue ; nous sommes positivement certains de l’existence du ciel, déployé au‑dessus
de nos têtes, des étoiles et de bien d’autres choses qui sont cachées à nos
regards. Puisque l’homme a réellement cette conviction, personne ne doit faire
violence à ses propres sentiments et se roidir contre p.103 ce qui est certain. Ajoutons que les plus avancés [57]
parmi les Soufis modernes disent que l’aspirant, au moment où les voiles (des
sens s’écartent (devant son intelligence), obtient quelquefois une perception
vague de cette unité. Il est alors dans ce qu’ils appellent
la station de l’union. Ensuite il
monte plus haut, jusqu’à ce qu’il acquière la faculté de distinguer entre les
êtres, ce qu’ils nomment la station de la
séparation, celle à laquelle parvient l’initié très avancé [58].
« L’aspirant, disent‑ils, doit de toute nécessité franchir le seuil de (la station de) l’union, ce qui est
un pas très difficile, car il s’exposerait autrement à rester court et à perdre
sa peine. » Telles sont les indications que nous avons à donner au sujet
des diverses classes des Soufis [59].
§
Les mêmes Soufis, ceux qui, dans les temps
modernes, ont disserté sur le dégagement (de
l’âme du voile des sens) et sur ce qui est derrière le voile, se sont
tellement enfoncés dans cette matière, que plusieurs d’entre eux sont allés
jusqu’à professer la doctrine de l’établissement (de la divinité dans le
corps de l’homme) et de l’identité (de Dieu avec le monde),
ainsi que nous en avons déjà fait la remarque, et en ont rempli leurs livres.
C’est ce que tirent El-Herouï [60],
dans son Kitab el‑Macamat (livre
des stations), et d’autres écrivains. Plus tard, Ibn el-Arebi [61],
Ibn Sebaïn [62]
et leurs disciples marchèrent dans la même voie. Leur exemple fut suivi par Ibn
el‑Afîf, par Ibn el‑Fared [63]
et par En-Nedjm el‑Ismaïli, dans les poèmes qu’ils composèrent (sur la vie
spirituelle). Il est vrai que les aïeux de ces gens‑là avaient eu des relations
avec les derniers Ismaéliens rafedites (hérétiques), qui p.104 *73 croyaient aussi à l’établissement
et à la divinité de leurs imams, doctrines ignorées des premiers (Ismaéliens).
§
Chacune de ces sectes puisa des notions dans les
doctrines de l’autre, d’où résulta un mélange d’opinions et une assimilation de
croyances. Ce fut alors que commença dans les discours des Soufis l’emploi du
terme cotb (axe), servant à désigner le chef des connaissants
(initiés à la vie spirituelle). « Aussi longtemps, disent‑ils, que ce
personnage vit, il reste sans égal dans la connaissance (du monde
spirituel), et, quand il quitte le monde pour paraître devant Dieu, il laisse
en héritage à un autre individu des gens de la connaissance, la station
qu’il occupait. » Ibn Sîna (Avicenne) fait allusion à cette opinion
dans un des Chapitres de son Kitab el‑Icharat [64] qu’il a consacrés au soufisme :
« La majesté de la vérité (c’est‑à‑dire de Dieu) est trop exaltée pour
servir d’abreuvoir à tous les passants ; on ne doit y arriver que l’un
après l’autre. » En effet, cette opinion ne s’appuie sur aucune preuve
tirée de la raison ou de la loi divine ; elle n’est en réalité qu’une
simple figure de rhétorique. Au reste, c’est la même doctrine que professent
les Médites au sujet de leurs imams, dont l’un, selon eux, doit hériter de
l’autre. Voyez comment ces gens‑là (les Soufis) se sont laissés porter par leur
disposition naturelle à dérober des opinions aux Rafedites et à s’en faire des
articles de foi. Ils arment aussi l’existence des abdals [65],
placés à la suite du cotb. Cette
doctrine est identique avec celle des Chîïtes au sujet des nakîbs [66]. Ils sont allés si loin dans cette voie,
qu’après avoir posé comme règle fondamentale de leur ordre et de leur communion
(obligation de porter la guenille (ou froc qui distingue maintenant les
professeurs) du soufisme, ils ont fait remonter cet usage jusqu’à Ali. C’est
encore là une opinion du p.105 même genre (que
celle des Rafedites). Ali ne se distinguait pas des autres Compagnons par
une doctrine particulière, ou par une règle qui l’obligeât à porter un certain
genre d’habillement, ou par aucune autre chose. Je dirai de plus qu’après le
Prophète les hommes dont la vie fut la plus austère, et dont les actes de
dévotion furent les plus fréquents, étaient Abou Bekr et Omar. Aucune tradition
n’a conservé le moindre trait d’un Compagnon qui se soit distingué par des
pratiques religieuses d’un genre particulier ; je dirai même de plus que
tous les Compagnons étaient égaux en piété, en dévotion, en austérité de mœurs
et dans la pratique du combat spirituel. Leur
*74 conduite et l’histoire de leurs actes sont la preuve de ce que
j’avance [67].
Il est vrai que les Chîïtes se sont imaginé, d’après certaines traditions
qu’ils rapportent à ce sujet, qu’Ali se distinguait des autres Compagnons par
ses mérites transcendants ; mais, en cela, ils ne font que se conformer
aux croyances hérétiques qu’on leur connaît.
§ [A
l’époque où la secte chîïte des Ismaéliens [68]
publia ce que nous savons de sa doctrine au sujet de l’imamat et de ce qui s’y
rapporte, les Soufis de l’Irac lui empruntèrent probablement l’idée du parallélisme
entre l’externe (dhaber) et l’interne (baten) [69].
(A l’instar des Chîïtes), qui avaient posé en principe qu’il fallait un imam
pour maintenir les hommes dans la soumission à la loi divine et que cet imam
devait être unique, afin de prévenir les conflits signalés par cette loi [70],
les Soufis enseignèrent qu’il y avait un cotb
chargé, en sa qualité de chef des connaissants [71]
et à l’exclusion de tout autre individu, d’enseigner aux hommes la connaissance
de Dieu : comme l’imam p.106 était
institué pour les choses externes, ils lui donnèrent un égal, dans la personne du cotb, institué pour
les choses internes. Ils le nommèrent cotb (axe),
parce qu’il était le pivot sur lequel roulait la connaissance (de la vérité). Poussant ensuite cette espèce
d’assimilation jusqu’à ses dernières limites, ils imaginèrent des abdals pour répondre aux nakîbs.]
§
On peut reconnaître ces (emprunts) dans ce que
les Soufis de cette classe disent du Fatemide (attendu) et dans les
dissertations dont ils ont rempli leurs livres et qui ont rapport à ce
sujet ; opinions que les anciens Soufis n’avaient ni avancées ni
repoussées. Tout cela est certainement emprunté aux discours tenus par les
Chîïtes et les Rafédites, et aux doctrines qu’ils ont consignées dans leurs
écrits. C’est Dieu qui dirige vers
la vérité.
§
Appendice.
— Je crois devoir insérer ici un extrait d’un discours tenu par un de
mes professeurs, le connaissant (l’initié
aux plus hautes vérités), le plus grand des ouélis
(saints) de l’Espagne, Abou Mehdi Eïça Ibn ez‑Zeïyat [72]. Il lui arrivait très souvent de se
rappeler quelques vers qu’il avait lus [73]
dans le Kitab el‑Macamat (livre des
stations) d’El‑Herouï, qui semblaient énoncer, ou peu s’en faut, l’identité
absolue (de Dieu avec le
monde). Citons‑les d’abord [74] :
§
Personne
n’a (réellement) confessé l’unité de l’Être unique, attendu que tous ceux qui
l’ont confessée sont des mécréants.
§
La
confession de l’unité faite par quiconque essaye de décrire Dieu d’après ses attributs est un acte de dualisme dont l’Être unique a déclaré
lui-même la fausseté.
§ « La confession qu’il (l’homme) fait
lui-même de sa propre unité, c’est là véritablement la confession de l’unité de
Dieu ; l’acte de celui qui tâche de le désigner (Dieu) par des attributs
est un acte d’impiété.
§ Voici
ce qu’a dit Abou Mehdi pour justifier l’auteur de ces vers : p.107
§
« Le public fut tellement choqué de
l’application du terme mécréant à
tous ceux qui confessaient l’unité de l’Être unique, et du terme impie à ceux qui le désignaient par des
attributs, qu’il se déchaîna contre celui qui l’avait dit et le traita de fou.
Mais je dirai, moi, en me plaçant au point de vue de cette classe de Soufis,
que la confession de l’unité signifie la négation de la réalité des choses
créées, négation résultant de l’affirmation de l’existence de l’Être
éternel [75],
et que, (pour eux), tout ce qui existe n’est qu’un seul être réel, une seule chose dont on peut dire seulement
qu’elle est [76].
Abou Saïd el-Djezzar, un des principaux Soufis, avait déjà dit : « La vérité (ou Dieu), c’est la chose même
qui a paru et la chose même qui est cachée. » Ils croient aussi que la
pluralité qui survient dans cette vérité et
l’existence de la dualité (Dieu et le monde) sont, si on les compare avec les présences du sens [77], comme des ombres, des échos et des
images réfléchies dans un miroir [78]. Ils ajoutent qu’en faisant une
recherche suivie à ce sujet, on reconnaîtra que tout ce qui n’est pas l’Être
éternel lui-même est le néant. « Telle, disent‑ils, est l’idée exprimée
par cette parole : Dieu était,
et rien n’était avec lui ; et il est maintenant ce qu’il était auparavant. » Ils retrouvent aussi cette
même idée dans la parole de Lebîd [79],
dont le Prophète reconnut la vérité : « Certes, disait ce poète,
toute chose, à l’exception de Dieu, n’est que néant. » « D’ailleurs,
disent‑ils, celui qui confesse l’unité de Dieu et le désigne par des attributs
déclare, par ce fait même, qu’il y a un être unique ayant un
commencement et qu’il est lui-même cet être ; (il montre aussi) qu’il
y a une confession de l’unité ayant un commencement, c’est‑à‑dire son propre
acte (de la confesser), et qu’il y p.108 a un
être unique [80]
et éternel, c’est‑à-dire l’Être qu’il doit adorer [81]. »
Or nous venons de dire que la confession de l’unité est la négation de la
réalité des choses créées, et cependant nous trouvons ici cette réalité
positivement affirmée et même déclarée multiple ; nous y voyons la
confession de l’unité repoussée ; la déclaration est donc mensongère.
C’est comme le cas de deux individus qui se trouveraient *76 dans la même maison et dont l’un dirait à l’autre :
« Il n’y a personne dans la maison excepté toi. » A ceci l’autre
n’aurait besoin de répondre que par sa présence même, ce qui équivaudrait à ces
paroles : « Cela n’est pas vrai, à moins que tu n’y sois pas. »
§
« Quelques investigateurs minutieux ont dit
que la proposition Dieu créa le temps implique
une contradiction, parce que la création du temps a dû précéder le temps, et
cependant cette création est un acte et n’a pu se faire que dans le temps. (A
cela on a répondu qu’) il fallait s’énoncer ainsi [82],
à cause de la difficulté avec laquelle le langage se prête à l’expression des
vérités (abstraites), et de son impuissance de les énoncer et de les faire
comprendre. Donc, si l’on reconnaît que l’être déclaré unique est véritablement
unique et que tout ce qui n’est pas lui est néant, la confession de l’unité est
réelle. Cette idée se retrouve dans une maxime énoncée par les Soufis, à savoir
que Dieu seul connaît Dieu. Aucun
blâme ne peut donc s’attacher à celui qui confesse l’unité de la vérité (c’est‑à‑dire
de Dieu) pendant que les traces et les vestiges (du monde matériel) restent
encore imprimés (sur son esprit) ; mais son acte rentre dans la catégorie
des (actes qui ont donné lieu à cette maxime) : Les bonnes actions des hommes vertueux sont les
mauvaises actions des hommes qui se trouvent rapprochés (de Dieu). En effet, cet acte est une conséquence nécessaire de la
contrainte et de la servitude (que cet homme souffre dans p.109 le monde matériel) et de l’(idée d’) appariement [83] (dont il n’a pas encore pu se
délivrer). Mais, pour celui qui est monté jusqu’à la station de l’union et qui a la connaissance du grade auquel il est
parvenu, (une telle confession n’est pas permise, car elle) porterait atteinte
à son droit (de se trouver dans ce grade). En effet, (cette idée d’appariement)
est une illusion résultant nécessairement de la servitude (dans laquelle cet
homme se trouve encore, illusion) que la vue (du monde spirituel) fait
disparaître, et qui, étant une nouveauté (une
chose ayant un commencement), est une souillure dont l’âme n’est purifiée que
par (sa présence dans la station de) l’union. De ces diverses classes (de
Soufis), ceux chez lesquels cette doctrine est la plus enracinée, ce sont les
partisans de l’identité absolue. De
quelque façon qu’on envisage leurs opinions à ce sujet, on verra que tout roule
sur un point, savoir : que, pour obtenir la connaissance (de Dieu), il faut
parvenir jusqu’à l’Être unique. Le poète ne prononça ces vers (p. 106) que pour
encourager (les hommes), pour les avertir et pour leur faire sentir qu’il y
avait une station très élevée dans
laquelle l’appariement disparaissait et la confession de l’unité absolue se
faisait, non pas en discours et en paroles, mais en réalité. Qu’on admette
cela et l’on aura l’esprit tranquille (au sujet de ces vers) ; celui à qui
la vérité de ce principe inspire des doutes peut se rassurer en pensant à cette
parole (du Prophète) : J’étais son ouïe et sa vue [84]. Donc, quand on comprend les idées, on
ne doit pas chicaner sur les termes qui s’emploient pour les exprimer. Tout ce
(que renferment ces vers sert uniquement à constater qu’il y a au‑dessus de la
phase (d’existence *77 dans laquelle
nous sommes) une chose ineffable, inexprimable. Les indications que je viens de
donner suffiront ; chercher à pénétrer plus avant dans le sujet, ce serait
plonger dans les ténèbres ; et c’est ce qui a donné lieu à tant de
dissertations que l’on connaît. »
§
Ici finit p.110
le discours du cheïkh Abou Mehdi.
Je l’ai extrait du traité que le vizir Ibn el‑Khatîb [85]
composa sur l’amour (de Dieu ?) et qu’il intitula : Et-taarîf bit‑mohabb
es‑cherîf (moyen qui fait connaître le noble bien-aimé). Je l’avais
entendu plusieurs fois de la bouche du cheïkh
lui-même ; mais, ne l’ayant pas vu depuis longtemps, il m’a semblé que
ce livre devait conserver plus exactement que ma mémoire les paroles de ce
savant docteur.
§
Un grand nombre de légistes et de casuistes se
sont appliqués à réfuter les Soufis modernes, qui professent ces doctrines et
d’autres opinions du même genre. Ils comprennent dans une même condamnation
tout ce que les Soufis ont appris pendant qu’ils se livraient aux pratiques de
leur ordre. Il est cependant certain qu’une discussion avec les Soufis doit
porter sur plusieurs points. En effet, leurs dissertations roulent sur quatre
sujets : 1° le combat spirituel, les goûts
et les extases qui leur
surviennent, le compte qu’ils font rendre [86]
à leur âme au sujet de ses actes, afin de se procurer ces goûts, qui deviennent enfin une station de laquelle ils peuvent monter à une autre, ainsi que nous
l’avons dit ; 2° le dégagement (du
voile des sens), les vérités (ou
êtres) qui s’aperçoivent dans le monde invisible, telles que les attributs
divins, le trône, le siège, les anges, la révélation, le prophétisme, l’âme
(universelle), les natures réelles de chaque être visible ou invisible et
l’ordre dans lequel les choses émanent de celui qui leur donne l’existence et
l’être ; 3° les actes d’autorité (exercés par certains hommes) sur les
divers mondes et sur les êtres au
moyen de grâces que Dieu leur a accordées ; 4° les expressions qu’on est
porté à prendre dans leur sens littéral et qui ont été employées par plusieurs
de leurs grands docteurs, expressions qui, dans la terminologie de l’ordre,
sont désignées par le terme chatehat (paroles
en l’air), et qui, prises à la lettre, ne donneraient pas des idées vraies de
leurs *78 pensées. Il y en a qu’on a blâmées,
d’autres qu’on a acceptées et d’autres qu’on a expliquées par une
interprétation allégorique.
§
p.111 Quant, à
ce qu’ils disent de leurs combats spirituels, de leurs stations, des goûts et des extases qui en sont le fruit, de leur usage de faire rendre compte
à leur âme de la négligence qu’elle aurait montrée pour les actes qui sont les
causes (de ces goûts et extases), tout cela est d’une vérité
incontestable : les goûts qu’ils
y ressentent sont réels et c’est dans la réalisation de ces goûts que consiste la suprême félicité.
Leurs récits au sujet des faveurs (divines)
accordées à leurs confrères (et qui leur permettaient d’opérer des prodiges), les renseignements que ceux‑ci ont donnés relativement aux êtres
du monde invisible, les actes d’autorité qu’ils exercent sur les choses qui
existent, tout cela est parfaitement vrai et personne n’a le droit de le nier.
Si quelques légistes ont été portés à condamner ces récits, c’est un tort
qu’ils ont eu. Le célèbre docteur acharite Abou Ishac el‑Isferaïni [87]
avait objecté à la réalité (des prodiges opérés
par les hommes saints) que ces prodiges pouvaient être confondus avec des
miracles (et l’on sait que le don des miracles n’appartient qu’aux prophètes).
Mais quelques docteurs sonnites, investigateurs zélés de la vérité, ont fait
observer que le miracle peut toujours se distinguer du prodige par le tahaddi, c’est‑à‑dire la déclaration
qu’un miracle exactement conforme à ce qu’on annonce va avoir lieu [88].
Ils ajoutent : « Il n’est pas possible qu’un miracle ait lieu à la
suite d’une annonce faite par un imposteur ; car la raison nous dit qu’un
miracle démontre une vérité, vu qu’il possède en lui-même la qualité de
confirmer la vérité. Or, si un miracle avait lieu à la suite d’une annonce
faite par un imposteur, cette qualité essentielle serait changée dans son
opposé, ce qui est absurde [89].
D’ailleurs, la réalité des faits atteste que des prodiges en grand nombre ont
été opérés (par des saints) ; ce serait donc un acte de présomption que de
les nier. Tout le monde sait que p.112 les
Compagnons en ont fait beaucoup, ainsi que plusieurs autres musulmans des
premiers temps. Ce que les Soufis disent au sujet du dégagement, de la communication des vérités qui se trouvent dans
les mondes supérieurs, de l’ordre dans lequel a eu lieu l’émanation des êtres,
la plupart de ces renseignements rentrent, dans la catégorie des (choses
obscures qui se désignent par le terme) motechabeh [90] ;
car c’est, de leur propre aveu, une (chose spirituelle) dont on ne peut juger
que par le sens interne ; or, celui qui n’a pas l’usage de ce sens est
dans l’impossibilité de comprendre les goûts au moyen desquels ils aperçoivent
ces mystères. D’ailleurs, les locutions dont ils se servent ne suffisent pas
pour rendre ce qu’ils veulent exprimer, *79
parce qu’elles n’ont été instituées que pour représenter des idées
usuelles, dont la plus grande partie provenait des objets perçus par les sens
extérieurs.
§
Il ne faut donc pas se formaliser des
expressions dont ils se servent en parlant de ces matières ; il faut
passer là‑dessus sans s’y arrêter, ainsi que cela se fait pour les termes
obscurs (motechabeh) des textes sacrés. Celui qui a obtenu
de Dieu la faveur de comprendre une partie de ces termes en leur assignant un
sens qui soit conforme à la lettre de la loi (peut dire) : « Quelle
noble jouissance que celle‑là ! »
§
Quant à certaines expressions dont ils se sont
servis, et qui (prises à la lettre) donneraient des idées fausses, je veux
parler des termes qu’ils
désignent eux‑mêmes par le mot chatehat (paroles
en l’air), et dont l’emploi leur est vivement reproché par les docteurs de la
loi, je dirai que, pour être équitable à l’égard des Soufis, il faut se rappeler
qu’ils sont des gens dont l’esprit est souvent absent du monde sensible et se
laisse dominer par les sentiments surnaturels qui viennent se présenter à
leurs cœurs. Aussi parlent‑ils de ces communications dans des termes qu’ils
n’avaient pas l’intention d’employer. A celui qui a l’esprit absent on
n’adresse pas la parole, et celui qui subit une force majeure n’est pas
responsable. Le Soufi qui s’est p.113 fait
connaître par son mérite et par son zèle à suivre (les bons exemples peut
laisser échapper de ces expressions ; mais, ) en pareil cas, on doit dire
que ses intentions étaient bonnes. (Il faut aussi se rappeler) combien il est
difficile de parler d’extases, puisqu’il n’existe pas
de termes faits exprès pour les dépeindre. Voyez l’embarras d’Abou Yezîd el‑Bastami [91]
et de ses confrères (quand ils essayaient d’exprimer leurs sensations). Le
Soufi dont le mérite n’est pas généralement connu est digne de blâme s’il
laisse échapper des expressions de cette nature, car nous ne possédons pas
assez de renseignements sur son compte pour pouvoir donner à ses paroles une
interprétation favorable. Le Soufi qui se sert de telles expressions pendant
qu’il a l’esprit présent dans le monde des sens et qu’il n’est plus sous
l’influence d’un de ses états extatiques, mérite aussi d’être blâmé.
§
Ce fut probablement pour cette raison que les
légistes et les chefs de l’ordre des Soufis [92]
autorisèrent, par une décision juridique, l’application de la peine de mort à
El‑Halladj, (illuminé) qui s’était permis des expressions (insolites) [93]
pendant qu’il avait l’esprit présent et qu’il était parfaitement maître de
lui-même.
§
Les anciens Soufis, ceux dont les noms figurent
dans la Riçala (d’ElCocheïri), ces fanaux de la foi, dont nous avons
déjà parlé, ne recherchaient jamais le dégagement
des voiles (des sens) ni aucune autre perception de ce genre. Leur seule
pensée était de suivre les bons exemples et de s’y conformer autant que cela
leur était possible. Celui d’entre eux à qui (une de ces manifestations
surnaturelles) arrivait, s’en détournait aussitôt et n’y faisait plus
attention. A vrai dire, p.114 ils fuyaient
tous (cette espèce de faveurs) et les regardaient comme *80 des tentations et des obstacles (à leur progrès dans la vie
spirituelle). (Pour eux), de telles perceptions de l’âme n’étaient que des
choses créées, des choses non éternelles a priori ; ils croyaient que la perceptivité humaine
était incapable de les embrasser toutes, que la connaissance possédée par Dieu
était infinie, que ce qu’il a créé est immense et que sa loi (révélée) suffit
pour nous diriger. Aussi ne parlaient‑ils jamais des perceptions
(spirituelles) qu’ils avaient obtenues ; ils défendaient même de les
examiner, et ne permettaient à aucun de leurs confrères qui aurait vu écarter les voiles de s’y arrêter pour y
regarder. « Tenez‑vous‑en, disaient‑ils, aux règles de l’ordre, en imitant
et en suivant (les bons exemples), ainsi que vous le faisiez avant d’avoir
assisté à l’écartement et pendant que vous étiez
dans le monde des sens. » Voilà comment doit se conduire celui qui aspire
(à la sainteté). C’est par le concours de Dieu
qu’on réussit [94].
§
§
@
§ L’interprétation
des songes est une des sciences qui se rattachent à la loi et qui prirent
naissance dans l’islamisme. Elle parut à l’époque où l’on avait ramené les
diverses connaissances à une classification artificielle et scientifique, et
qu’on commençait à composer des livres sur ces matières. Il est vrai que les
songes et l’art de les interpréter existaient chez les hommes des temps
anciens, de même que chez ceux qui vécurent dans les siècles postérieurs ;
mais, bien que cet art se pratiquât avant (l’islamisme) dans quelques sectes et
chez quelques peuples ; il [95]
ne nous est pas parvenu, parce que, depuis lors, on s’en p.115 est tenu uniquement aux doctrines émises à
ce sujet par les musulmans. Quoi qu’il en soit, les songes sont naturels à
l’espèce humaine et ont besoin d’être interprétés (pour être intelligibles).
Joseph, le patriarche et favori de Dieu, expliquait les songes, ainsi que nous
l’apprenons par le Coran ; le Prophète et Abou Bekr interprétaient les
songes, ainsi que nous le lisons dans le Sahîh.
§
Les songes sont une des voies (par lesquelles
l’homme arrive) aux *81 perceptions du
monde invisible. Le Prophète a dit : « Les bons songes forment
une des quarante‑six parties du prophétisme. » Il a dit aussi :
« De toutes les annonces (qui viennent du ciel), il ne reste que les bons
songes ; l’homme saint les voit, ou bien ils se montrent à lui. » La
première révélation que (le Prophète) reçut lui vint sous la forme d’un songe,
et chaque songe qui lui arrivait était comme l’éclat de l’aurore. Quand il
sortait de la prière du matin, il avait l’habitude de demander aux Compagnons
si quelqu’un d’entre eux avait eu un songe cette nuit, espérant trouver dans cette
manifestation quelque bon présage poux le triomphe de la religion.
§
Les songes
sont un des moyens par lesquels on obtient des
*81 perceptions du monde invisible, et voici comment : l’esprit
cardiaque, c’est‑à‑dire la vapeur subtile qui est renvoyée de la cavité du
cœur, avec le sang, à travers les artères jusque dans toutes les parties du
corps, et qui complète l’action des facultés animales et des sens ; quand
cet esprit s’est fatigué à force d’agir sur la sensibilité par le moyen des
cinq sens, et de diriger l’opération des facultés externes, et que la fraîcheur
de la nuit enveloppe la surface du corps, il se retire de tous les membres et
rentre dans son point central, qui est le cœur, afin d’y réparer ses forces et
de se mettre en état de pouvoir recommencer son travail. Par cette retraite, il
suspend l’opération de tous les sens extérieurs, et voilà en quoi consiste le
sommeil, ainsi que nous l’avons déjà dit dans la première partie de cet
ouvrage [96].
§
Cet esprit cardiaque est le véhicule de l’esprit
(ou âme) intelligent p.116 de l’homme. Or
l’esprit intelligent tient de son essence la faculté d’apercevoir tout ce qui
est dans ce monde‑ci [97],
puisque, par sa nature et par son essence, il est la perceptivité même. Si les
perceptions du monde invisible se dérobent à la connaissance de l’esprit *82 intelligent, ce sont ses occupations avec le
corps, les facultés (du corps) et les sens, qui en sont la cause. S’il pouvait
écarter le voile des sens et s’en débarrasser, il reprendrait alors sa
véritable nature, la perceptivité même, et saisirait toutes les perceptions.
§
Quand il (l’esprit intelligent) se dégage d’une
partie de ces obstacles, il a moins de préoccupations pour le distraire et ne
saurait manquer d’entrevoir quelque chose de son propre monde (du monde
spirituel). Plus il se dégage des préoccupations que lui donnaient, les sens
externes et qui formaient le principal obstacle à son progrès, plus il est
disposé à recueillir dans le monde spirituel les perceptions qui lui
conviennent le mieux, parce que ce monde‑là est le sien. Ayant alors ramassé
des notions dans les divers mondes dont se compose le monde spirituel, il les
rapporte avec lui dans le corps. Mais, tant qu’il reste dans le corps matériel
qui l’enveloppe, il ne peut agir qu’au moyen des instruments de perception
propres au corps. Or les instruments du corps qui servent à procurer des
connaissances ont leur siège dans le cerveau, et l’instrument qui agit sur ces
perceptions est l’imagination ; il enlève aux formes (ou images)
recueillies par les sens les formes qui lui sont spéciales et les renvoie à la
mémoire. Celle‑ci les garde jusqu’au moment où l’esprit en a besoin, soit pour
les examiner, soit pour en tirer des conclusions. L’esprit, de son côté, tire
de ces mêmes formes celles qui sont spirituelles et Intellectuelles, de sorte
qu’il remonte du sensible à l’intellectuel par la voie de l’abstraction et par
l’entremise de l’imagination.
§
Il en est de même de l’esprit quand il recueille
des perceptions dans le monde qui lui est propre (le monde spirituel) : il
les renvoie à l’imagination, qui leur donne des formes en rapport avec sa
propre p.117 nature et les passe au sens
commun. Il en résulte que l’homme plongé dans le sommeil voit ces formes de la
manière dont il aperçoit celles qui se recueillent par les organes des sens.
Voilà comment les perceptions obtenues par l’esprit intellectuel se trouvent
abaissées au degré de celles qui s’acquièrent par les sens (extérieurs) ;
et, dans tout cela, l’imagination joue le rôle d’intermédiaire. Voilà la vérité
en ce qui regarde les songes.
§
Ces indications suffiront pour faire distinguer
entre les songes vrais et les songes confus et faux. Ces deux classes de
manifestations *83 se composent de
formes (ou images) et se présentent à l’imagination pendant le sommeil :
si elles descendent de l’esprit intelligent et perceptif, elles sont des
songes vrais ; mais si elles proviennent de formes que l’imagination avait
transmises à la mémoire [98]
dans l’état de veille, ce sont des songes
confus (et indignes d’attention).
§
[Sachez maintenant que les songes vrais portent
en eux‑mêmes des marques [99]
qui attestent leur vérité et leur réalité, et qui autorisent celui à qui une de
ces manifestations arrive à y reconnaître une annonce venue de la part de
Dieu. Une de ces marques, c’est la promptitude avec laquelle celui qui a eu un
songe [100]
se réveille. On dirait qu’il a hâte de rentrer dans le domaine des sens.
Quelque profond que soit son sommeil, l’impression que la perception du songe
lui fait est tellement forte qu’il se dépêche de sortir de cet état pour
rentrer dans un autre, celui du monde sensible, où l’âme reste engagée dans le
corps et soumise à l’influence de tous les accidents qui affectent le corps.
Une autre de ces marques, c’est la persistance et la durée de (l’impression
laissée par) la perception du songe. Il s’imprime avec tous ses détails dans la
mémoire, et cela si profondément qu’il ne saurait être négligé ou oublié [101].
L’homme se le p.118 rappelle sans
être obligé d’avoir recours à sa réflexion ou à sa mémoire. Quand il
s’éveille, son esprit en garde le souvenir jusque dans les moindres
particularités.]
§
[La raison en est que la perception mentale (ou
spirituelle) n’est pas de celles qui se font dans le temps et qui consistent
dans une suite d’idées [102] ;
au contraire, elle se fait tout d’un coup et, dans un seul instant de temps.
Les songes confus ont besoin du temps (pour se déployer), car ils se trouvent
dans les facultés du cerveau ; c’est de la mémoire que l’imagination les
tire pour les renvoyer au sens commun, ainsi que nous venons de le dire. Or,
comme tous actes du corps se font dans le temps, la perception des songes confus
est celle d’une succession (d’idées dont les unes précèdent et les autres
suivent ; elle subit aussi l’accident de l’oubli, accident commun à toutes
les (perceptions obtenues par les) facultés du cerveau. Il en est autrement
des perceptions reçues par l’âme raisonnable : elles se font en dehors du
temps, n’offrent pas une suite *84 d’idées
et laissent leur impression sur l’esprit en moins d’un clin d’œil, en un seul
instant de temps. Quand l’homme s’éveille, le songe lui reste présent dans la
mémoire pendant une partie de sa vie ; il ne se dérobe jamais aux
recherches de la faculté réflective, si, au premier moment de se laisser
apercevoir, il fait (sur l’âme) une impression très forte. Si l’homme, en
s’éveillant, occupe sa faculté réflective et son esprit dans le but de se
ressouvenir d’un songe qu’il a eu et dont il a oublié trop de détails pour
pouvoir se le rappeler en entier, il n’a eu qu’un songe confus. Les mêmes marques servent à faire reconnaître les
révélations qui sont vraies. Dieu luimême a dit en parlant au Prophète : « N’agite pas la langue avec trop
d’empressement (afin de répéter les
paroles divines) ; c’est à nous
de les rassembler et de les réciter. Quand nous (te)
les lirons, suis‑en la lecture, puis ce sera à nous de (te)
les expliquer. (Coran, sour.
LXXV, vers. 16, 17, 18.) Les songes ont donc un certain rapport avec le
prophétisme p.119 et la révélation, comme
le Sahîh le donne à entendre ;
nous y lisons : « Le Prophète a dit : Le songe est une des
quarante‑six parties du prophétisme [103] ».
Il est même assez probable que cette proportion (une quarante‑sixième) existe
entre les caractères qui distinguent les songes et ceux qui appartiennent au
prophétisme.]
§
De
l’interprétation des songes. — L’âme intelligente, ayant obtenu (pendant le
sommeil de l’homme) une perception (du monde spirituel), la transmet à
l’imagination afin que celle‑ci lui applique une forme. La forme que
l’imagination choisit a toujours quelque analogie avec cette perception.
Ainsi, si l’âme a eu l’idée d’un puissant souverain, l’imagination donnera à
cette idée la forme qui est propre à la mer ; si elle a aperçu l’idée
d’inimitié, l’imagination attribuera à cette idée la forme appartenant à l’idée
de serpent. Aussi, quand l’homme s’éveille, il sait seulement qu’il a vu la mer
ou un serpent. Celui qui interprète les songes se rappelle d’abord que la forme
de la mer est sensible, et que l’idée aperçue par l’âme se trouve cachée
derrière cette forme ; il examine ensuite (la question) au moyen de sa
faculté assimilante, et, se guidant par des circonstances accessoires, *85 il parvient à découvrir la véritable
perception. Il dira, par exemple, qu’il s’agit du souverain parce que la mer
est un être très grand auquel on est autorisé, par l’analogie, à assimiler le
souverain. On peut de même représenter un ennemi par un serpent, parce qu’un
ennemi et un serpent sont tous les deux très nuisibles, et assimiler les femmes
à des vases, parce que celles‑là sont aussi des réceptacles.
§
Parmi les choses qui se voient [104]
en songe, les unes n’ont pas besoin d’interprétation parce qu’elles sont
parfaitement claires, ou parce qu’elles fournissent des perceptions ayant une
analogie frappante avec les formes (adoptées par l’imagination) pour les
représenter. Voilà pourquoi nous trouvons dans le Sahîh qu’il y a trois espèces de songes : ceux qui viennent de
Dieu, ceux qui viennent d’un ange et ceux qui p.120
viennent du démon. Le songe qui vient de Dieu est celui qu’on nomme clair, parce qu’il n’a point besoin
d’interprétation ; celui qui vient d’un ange est le songe vrai, mais qu’il faut
interpréter ; celui qui vient du démon est le songe confus.
§
Sachez maintenant que l’imagination, à qui l’âme
transmet la perception qu’elle reçoit, façonne cette perception dans un des
moules dont le sens (intérieur) a l’habitude de se servir ; si le sens ne
possédait pas de ces moules, il serait incapable de rien façonner. L’aveugle‑né
ne saurait se figurer le sultan, un ennemi ni les femmes, sous les formes de la
mer, du serpent et des vases, parce que les perceptions fournies par ces
choses lui sont tout à fait étrangères ; mais son imagination travaille
pour lui et donne à ces perceptions des formes qui s’accordent par leur
ressemblance ou par quelque analogie avec les formes provenant des espèces de
perceptions qu’il est capable de recevoir, c’est‑à‑dire de celles qui lui
arrivent par l’audition ou par l’odorat. Si la personne qui interprète le songe
ne fait pas attention à ces circonstances, elle s’embrouillera dans son
explication et gâtera les règles qu’elle doit employer.
§
La science de l’interprétation des songes
consiste en certaines règles générales auxquelles on doit se tenir quand on
entreprend d’expliquer ce que le songeur, raconte. Aussi (les maîtres dans cet
art) disent que la mer signifie,
tantôt le souverain, tantôt la colère, *86 tantôt le souci et tantôt une affaire grave. Le serpent, disent‑ils, désigne tantôt un ennemi, tantôt la vie et tantôt celui qui garde un secret. L’interprète des songes doit savoir par cœur
toutes ces règles, afin de pouvoir en appliquer, à chaque cas, celle que les
circonstances accessoires désignent comme la plus convenable. De ces circonstances,
les unes se présentent dans l’état de veille, d’autres dans celui de sommeil,
et d’autres encore dans les pensées qui passent par l’esprit de l’interprète et
qui lui arrivent grâce à une faculté innée. Un homme explique les songes avec
plus ou moins de facilité, selon ses dispositions naturelles.
§
L’interprétation des songes nous est venue des
anciens musulmans : p.121 Mohammed Ibn
Sîrîn [105],
un des grands maîtres dans cet art, en a enseigné les règles, et ses
disciples, qui les ont mises par écrit, nous les ont transmises. Après lui, El‑Kermani [106]
composa un livre sur cette matière, et des écrivains plus modernes ont rédigé
beaucoup d’ouvrages sur le même sujet. Parmi les traités d’onéirocritique,
celui qui, de nos jours, est le plus répandu dans le Maghreb, porte le titre d’El‑Momettâ (l’usufruit) et a pour auteur Abou
Taleb, savant (ulémâ) de Cairouan. L’Ichara (l’indication)
d’Es‑Salemi [107]
est un ouvrage très satisfaisant [et assez concis [108].
Le Kitab el‑Mercabat‑el‑Aliya (le
haut observatoire), composé par notre professeur le savant Ibn Rached, de
Tunis, est aussi un très bon ouvrage].
§
L’interprétation des songes forme une science
dont la lumière est un reflet du prophétisme, avec lequel elle a beaucoup de
rapport ; [en effet, l’un et l’autre ont pour objet les perceptions
provenant de la révélation, ] ainsi que nous le lisons dans le Sahîh. Et Dieu sait tout ce qui est caché.
§
§
@
§
Les sciences intellectuelles, étant naturelles à
l’homme en tant *87 qu’il est un
être doué de réflexion, n’appartiennent pas spécialement à une seule
nation ; on voit que tous les peuples civilisés se sont adonnés à leur
étude et ont connu, aussi bien les uns que p.122
les autres, quels en étaient les principes et quelles étaient les questions
dont elles traitaient. Ces sciences ont existé pour l’espèce humaine depuis
qu’il y a eu de la civilisation dans le monde. Elles s’appellent aussi sciences philosophiques et philosophie (hikma [109]).
Il y en a quatre : 1° la logique, science qui garantit l’esprit contre les
faux jugements et enseigne comment on dégage l’inconnu que l’on cherche des
principes que l’on possède et que l’on connaît. Son utilité [110]
consiste à faire distinguer le vrai du faux dans les questions qui se
rattachent aux concepts et aux notions affirmées [111],
tant essentielles qu’accidentelles, pour que l’investigateur parvienne à
constater le vrai en toute chose par la puissance de sa faculté réflective [et
sous la forme d’une affirmation ou d’une négation [112]] ;
2° la science de l’investigation, qui, chez les philosophes, a pour objet,
soit les choses sensibles, telles que les éléments et les corps qui en sont
composés, savoir : les minéraux, les plantes, les animaux ; les corps
célestes et (leurs) mouvements naturels, ou bien l’âme, d’où procèdent les mouvements,
etc. cela s’appelle la science de la
nature (la physique) ; 3° la science, qui
sert pour l’examen des choses surnaturelles, telles que les êtres spirituels,
et qui s’appelle la métaphysique (ilahiya) ; 4°
la science qui examine les quantités. Celle‑ci se partage en quatre branches,
qui forment les mathématiques (tealîm).
La première est la géométrie (hendeça),
au moyen de laquelle on examine les quantités prises absolument, tant les
quantités nommées discrètes [113],
parce qu’elles peuvent se compter, que les quantités continues [114], savoir : celles d’une seule
dimension, *88 celles de deux dimensions
et celles de trois, c’est‑à‑dire, la ligne, la surface et le (solide ou) corps géométrique. La géométrie examine
ces quantités et les changements qu’elles éprouvent, soit dans leur essence (ou
nature), soit dans leurs rapports mutuels. La p.123
seconde branche est l’arithmétique (aritmatîki). Elle donne la
connaissance des changements que subit la quantité discrète, c’est‑à‑dire le
nombre, des propriétés qui s’y trouvent et des accidents qu’elle éprouve. La
troisième branche est la musique (moucîki) ;
elle nous fait connaître les rapports des sons entre eux et les rapports des
tons aux tons, ainsi que la manière de les apprécier numériquement. Son utilité
consiste à faire connaître les lois de la modulation dans le chant. La
quatrième branche est la science de la
forme (du ciel, c’est‑à‑dire l’astronomie). Elle
détermine la configuration des sphères et leurs positions, indique les
positions de chaque étoile [soit] errante [soit fixe], et s’occupe
d’obtenir la connaissance de ces choses en étudiant les mouvements réels et
évidents de chacun des corps célestes, leurs rétrogradations et leurs
mouvements directs.
§
Voilà les sciences qui servent de base à la
philosophie. Il y en a sept : la logique d’abord, puis l’arithmétique et la géométrie, branches des mathématiques ; puis l’astronomie ;
puis la musique, puis la physique, puis la métaphysique. Chacune
de ces sciences se partage en plusieurs branches : de la physique dérive
la médecine ; de l’arithmétique dérivent la science du calcul, celle du
partage des successions et celle dont les hommes ont besoin dans leurs
transactions commerciales ou autres ; l’astronomie comprend les tables, c’est‑à‑dire, des systèmes de
nombres au moyen desquels on calcule les mouvements des astres, et qui
fournissent des équations servant à faire reconnaître les positions des corps
célestes, toutes les fois qu’on le désire. Une autre branche de l’astronomie,
c’est l’astrologie judiciaire [115].
Nous parlerons successivement de toutes ces sciences jusqu’à la dernière
inclusivement.
§
Il paraît, d’après nos renseignements, qu’avant
l’établissement de *89 l’islamisme, les
peuples les plus dévoués à la culture de ces sciences furent ceux des deux
puissants empires, celui de la Perse et celui de Roum (la Grèce). Chez ces
peuples, m’a‑t‑on dit, les marchés de la p.124
science étaient bien achalandés, parce que la civilisation y avait fait
de grands progrès et qu’antérieurement à la promulgation de l’islamisme ils
exerçaient chacun une domination vaste et très étendue [116].
Aussi ces sciences débordèrent‑elles, comme des océans, sur leurs provinces et
dans leurs grandes villes.
§
Les Chaldéens, et les Assyriens (Seryaniyîn) avant eux, et les Coptes, leurs contemporains, s’appliquaient avec
ardeur à cultiver la magie, l’astrologie et ce qui en dépend, savoir la science
des influences (planétaires) et celle des talismans. Les Perses et les Grecs
apprirent d’eux ces sciences, et les Coptes se distinguèrent particulièrement
dans cette étude ; aussi (les sciences occultes) inondèrent‑elles, pour
ainsi dire, leur pays [117].
Cela s’accorde avec ce qui se lit (dans le Coran) au sujet de Harout et
Marout [118]
et des magiciens (de Pharaon), et avec ce que les hommes savants (dans cette
partie) racontent des berbi [119]
de la haute Égypte.
§
Plus tard, chaque religion imita celle qui
l’avait précédée en défendant l’étude de ces sciences, de sorte que celles‑ci
finirent par disparaître presque entièrement. Rien ne s’en est conservé, —
qu’elles soient vraies ou non ; Dieu le sait ! — excepté quelques
restes que les gens adonnés à cette étude se sont transmis les uns aux autres,
bien que la loi en ait défendu la pratique et qu’elle tienne son glaive suspendu
sur les têtes des contrevenants.
§
Les sciences intellectuelles acquirent une
grande importance chez les Perses, et leur culture y fut très répandue ;
ce qui tenait à la grandeur de leur empire et à sa vaste étendue [120].
On rapporte que les Grecs les apprirent des Perses à l’époque où Alexandre tua
Darius et se rendit maître du royaume des Caïaniens. Alexandre s’empara alors
de leurs livres et (s’appropria la connaissance) de leurs sciences. Nous p.125 savons cependant que les musulmans, lors de
la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays une quantité innombrable de
livres et de *90 recueils scientifiques,
et que (leur général) Saad Ibn Abi Oueccas demanda par écrit au khalife Omar
Ibn al‑Khattab s’il lui serait permis de les distribuer aux vrais croyants
avec le reste du butin. Omar lui répondit en ces termes : « Jette‑les
à l’eau ; s’ils renferment ce qui peut guider vers la vérité ; nous
tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s’ils renferment des
tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! » En
conséquence de cet ordre, on jeta les livres à l’eau ou dans le feu, et dès
lors les sciences des Perses disparurent au point qu’il ne nous en est rien
parvenu.
§
Passons aux Roum (les Grecs et les Latins). Chez
ces peuples l’empire appartint d’abord aux Grecs, race qui avait fait de grands
progrès dans les sciences intellectuelles. Leurs hommes les plus célèbres, et
surtout (ceux qu’on appelle) les piliers
de la sagesse [121], soutenaient tout le poids de ces
doctrines, et les péripatéticiens [122],
gens du portique [123],
s’y distinguaient par leur excellent système d’enseignement. On dit qu’ils
donnaient des lectures sur ces sciences à l’abri d’un portique qui les
garantissait contre le soleil et le froid. Ils prétendaient faire remonter
leur doctrine à Locman le sage, qui l’aurait communiquée à ses disciples, qui
l’auraient transmise à Socrate [124].
Celui-ci l’enseigna à son disciple Platon, qui la transmit à Aristote, qui la
passa à ses disciples Alexandre d’Aphrodisée [125],
Themistius, et autres. Aristote fut le précepteur d’Alexandre, roi des Grecs,
celui qui vainquit les Perses et leur enleva l’empire. De tous les p.126 philosophes, Aristote était le plus profond
et le plus célèbre. On l’appelle le
premier des instituteurs (el‑moallem el‑aouwel), et sa renommée s’est
répandue dans l’univers.
§
Après la ruine de la puissance des Grecs,
l’autorité souveraine passa aux Césars, qui, ayant embrassé la religion chrétienne,
défendirent l’étude de ces sciences, ainsi que cela se fait par les lois de
tous les peuples. Dès lors, les sciences intellectuelles restèrent enfermées
dans des livres et dans des recueils, comme pour demeurer éternellement dans
les bibliothèques. Quand les musulmans s’emparèrent de la Syrie, on trouva que
les livres de ces sciences y *91 étaient
encore restés.
§
Dieu donna ensuite l’islamisme (au monde). Ceux
qui professent cette religion obtinrent un triomphe sans égal et enlevèrent
l’empire aux Roum (de la Syrie), comme ils le firent à bien d’autres peuples.
Habitués à la simplicité (de la civilisation nomade), ils n’avaient jamais
tourné leur attention vers les arts ; mais, lorsque leur domination se fut
affermie [126]
ainsi, que leur empire, lorsque l’adoption de la vie sédentaire les eut
conduits à un degré de civilisation que jamais aucun peuple n’avait atteint,
lorsqu’ils se furent mis à cultiver les sciences et les arts dans toutes leurs
ramifications, ils conçurent le désir [127]
d’étudier les sciences philosophiques, parce qu’ils en avaient entendu parler
aux évêques et aux prêtres qui administraient les peuples tributaires, et
parce que l’esprit de l’homme aspire naturellement à la connaissance de ces
matières ; aussi (le khalife abbacide) Abou Djafer el‑Mansour fit‑il
demander au roi des Grecs de lui envoyer les ouvrages qui traitaient des
mathématiques, traduits (en arabe). Le roi lui expédia le livre d’Euclide et
quelques ouvrages sur la physique. Quand les musulmans en eurent pris connaissance,
ils souhaitèrent ardemment de posséder les autres écrits composés sur ces p.127 matières. El‑Mamoun arriva ensuite (au
pouvoir). Ce prince, était grand amateur des sciences, parce qu’il les avait
cultivées et, ressentant une vive passion pour les sciences (intellectuelles),
il envoya des ambassadeurs aux rois des Grecs, afin de faire mettre en arabe
les ouvrages scientifiques de ce peuple et de les introduire dans son pays. A
cet effet, il fit partir (avec eux) plusieurs interprètes, et parvint ainsi à
recueillir la totalité de ces traités. Dès lors les musulmans qui s’occupaient
des connaissances spéculatives s’appliquèrent à étudier ces sciences dans
toutes leurs branches et y devinrent très habiles. Ils portèrent leurs
investigations si loin qu’ils se
mirent en état de réfuter un grand nombre d’opinions émises par le premier instituteur (Aristote). Ce fut aux doctrines de celui-ci
qu’ils s’attachèrent particulièrement [128],
soit pour les réfuter, soit pour les soutenir, parce qu’il était le plus célèbre
(d’entre les philosophes) [129].
Ils composèrent de nombreux traités sur ces sciences et (par leur grand savoir
ils) surpassèrent tous leurs devanciers.
§
Ceux d’entre les musulmans qui arrivèrent au
premier rang dans *92 ces études
furent Abou Nasr el‑Farâbi [130]
et Ibn Sîna (Avicenne), tous les deux natifs de l’Orient, et le cadi
Abou ’l‑Ouelîd Ibn Rochd (Averroès), et le vizir Abou Bekr Ibn es‑Saïgh [131],
natifs d’Espagne. Je ne parle pas des autres. Ces hommes montèrent au degré le
plus élevé dans la connaissance des sciences intellectuelles et acquirent une
grande réputation.
§
Beaucoup de personnes se bornèrent aux
mathématiques et aux p.128 sciences qui en
dépendent, telles que l’astrologie, la magie et la confection des talismans.
Parmi ceux qui se distinguèrent le plus dans cette partie furent [Djaber
(Geber) Ibn Haïyan, natif de l’Orient [132]],
Maslema Ibn Ahmed el‑Madjrîti [133],
natif d’Espagne, et les disciples de celui-ci. Les sciences dont nous parlons
s’introduisirent, avec ceux qui les cultivaient, chez le peuple musulman et
fascinèrent tellement les esprits que beaucoup de monde s’y laissa attirer et
y ajouta foi. Ceux qui ont commis (ce péché) doivent subir les conséquences de
leur faute, et, si Dieu l’avait voulu,
ils ne l’auraient pas fait. (Coran, sour.
VI, vers. 112.)
§
Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de
souffler sur le Maghreb et l’Espagne, et que le dépérissement des connaissances
scientifiques eut suivi celui de la civilisation, les sciences (occultes)
disparurent de ces deux pays [134]
au point d’y laisser à peine une trace de leur existence. On, en trouve
seulement quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à
la surveillance des docteurs orthodoxes.
§
J’ai appris qu’une forte provision de ces
connaissances s’est trouvée, de tous les temps, dans les pays de l’Orient et
surtout dans l’Irac persan et la Transoxiane. On m’a dit qu’on y cultive avec
un grand empressement [135]
les sciences intellectuelles et les sciences traditionnelles (religieuses).
Cela provient du haut degré de civilisation auquel ces p.129 peuples sont parvenus et de leur longue habitude de la vie
sédentaire. J’ai trouvé en Égypte plusieurs ouvrages sur les sciences
intellectuelles composés par un personnage très connu sous les surnoms de Saad ed‑Dîn et‑Teftazani [136],
et qui est natif de Herat, une des villes du Khoraçan. Ses traités sur la
scolastique, sur les bases de la jurisprudence et sur la rhétorique, montrent
qu’il possède des connaissances *93 très
profondes dans ces branches de science et indiquent, par plusieurs passages,
qu’il est très versé dans les sciences philosophiques et intellectuelles. Et Dieu aide celui qu’il veut. (Coran, sour. III, vers. 11.)
§
Je viens d’apprendre que, dans le pays des
Francs, région composée du territoire de Rome et des contrées qui en dépendent,
c’est-à‑dire celles qui forment le bord septentrional (de la Méditerranée), la
culture des sciences philosophiques est très prospère. L’on me dit que les
sciences y ont refleuri de nouveau, que les cours institués pour les enseigner
sont très nombreux, que les recueils dont elles font le sujet sont très
complets, qu’il y a beaucoup d’hommes les connaissant à fond, et beaucoup
d’étudiants qui s’occupent à les apprendre. Mais Dieu sait ce qui se passe dans
ces contrées. Dieu crée ce qu’il veut et
agit librement. (Coran, sour.
XXVIII, vers. 68.)
§
§
La première de ces sciences est (la théorie de)
l’arithmétique, c’est‑à‑dire la connaissance des propriétés des nombres, en
tant qu’ils sont ordonnés suivant une progression arithmétique ou géométrique.
Par exemple, si des nombres forment une suite dont chaque terme surpasse le
terme précédent du même nombre, alors la somme des deux termes extrêmes est
égale à la somme de deux termes quelconques également distants des deux termes
extrêmes. Cette somme est égale, en même temps, au double du terme moyen,
lorsque le nombre des termes est impair ; cela a lieu pour les nombres
(naturels) pris suivant leur ordre, et pour les nombres pairs et les nombres
impairs, pris également suivant leur ordre. Il en est de même des nombres qui
se suivent en proportion continue, de manière que le premier soit la moitié du
second, le second la moitié du troisième et ainsi de suite jusqu’au dernier
terme, ou que le premier soit le tiers du second, le second le tiers du
troisième, et ainsi de suite jusqu’au dernier terme : dans ces cas, le
produit des deux termes extrêmes est égal au produit de deux nombres
quelconques (de la même suite), *94 qui soient
également distants des deux termes extrêmes, et ce produit est égal en même
temps au carré du terme moyen, si le nombre des termes est impair.
L’arithmétique traite aussi des nombres pairement pairs qui forment la série
deux, quatre, huit, seize, etc. et des propriétés qui se présentent dans la
formation des triangles numériques (nombres triangulaires) ainsi que (dans la
formation) des carrés, des pentagones, des hexagones, lorsqu’ils sont disposés
en lignes (selon leur caractère particulier) et qu’ils se suivent dans un ordre
régulier [138].
On additionne (d’abord les nombres naturels) depuis l’unité jusqu’au
dernier [139],
et l’on obtient ainsi un triangle, puis une suite d’autres triangles (qu’on
range) sur la même ligne et qu’on place (chacun) sous son côté. On ajoute
ensuite à chaque triangle le triangle correspondant au côté précédent et l’on
obtient un carré. En ajoutant de même à chaque carré le triangle du côté
précédent [140],
on obtient p.131 un pentagone, et ainsi
de suite. Ces polygones, ordonnés suivant leurs côtés, forment une table qui
s’étend en longueur et en largeur. Suivant sa largeur, elle présente (d’abord
la suite des nombres (naturels), puis la suite des nombres triangulaires, puis
celle des carrés, puis celle des pentagones, etc. Suivant sa longueur on y
trouve chaque nombre et les polygones qui y correspondent, à une étendue
quelconque. En additionnant ces nombres et en les divisant les uns par les
autres, dans le sens de la longueur et de la largeur (de la table), on découvre
des propriétés remarquables dont on a reconnu une partie en les examinant les
unes après les autres [141] ;
on a même consigné dans des recueils les problèmes qui s’y rapportent. Cela a
eu lieu également pour les nombres pairs, impairs, pairement pairs, pairement
impairs, et pairement pairs‑impairs [142] ;
chacune de ces différentes espèces de nombres possède des propriétés qui la
caractérisent et qui sont traitées exclusivement dans cette branche de science
qui (du reste) forme la première et la plus évidente des parties des
mathématiques et s’emploie pour démontrer les règles du calcul.
§
Quelques savants (parmi les musulmans) des temps
anciens et modernes ont composé des ouvrages sur ce sujet, bien que la plupart
des docteurs, l’ayant regardé comme une partie intégrante de la science mathématique,
aient cru qu’il ne devait pas être l’objet d’un traité spécial. Ainsi firent
Ibn Sîna (Avicenne) dans l’ouvrage intitulé Es‑Chefa
oua’n‑Nedjat (la guérison et le salut [143])
et d’autres parmi les anciens (musulmans). Les modernes ont négligé cette
branche de science parce qu’elle n’est pas d’un usage commun et qu’elle sert
uniquement pour démontrer les procédés du calcul. Ils la mirent de côté p.132 après en avoir pris ce qui était
essentiel [144]
pour la démonstration des procédés du calcul. C’est ce que firent Ibn
el-Benna [145],
dans son ouvrage intitulé Refâ ’l-Hidjab
(le soulèvement du rideau), et d’autres. Dieu, qu’il soit glorifié et exalté ! connaît parfaitement (la vérité).
§
§
@
§
C’est un art pratique ayant pour objet les
calculs au moyen desquels on opère la composition et la décomposition des nombres. La composition se fait
avec des nombres pris séparément et s’appelle l’addition, ou par
redoublement, c’est‑à‑dire, en répétant un nombre autant de fois qu’il y a des
unités dans un autre nombre, et cela s’appelle multiplication. La
décomposition des nombres s’opère avec des nombres pris séparément comme, par
exemple, quand on retranche un nombre d’un autre nombre afin d’en connaître le
reste, ce qui est la soustraction,
ou quand on divise un nombre dans un nombre déterminé de parties égales, ce qui
est la division. Cette composition et
cette décomposition ont lieu également pour les nombres entiers et pour les fractions.
Le terme fraction s’emploie pour
désigner le rapport d’un nombre à un autre. La composition et la décomposition
ont lieu également pour les racines. On se sert du mot racine pour désigner un nombre qui, multiplié par lui-même, produit
le nombre carré. [Le nombre [146]
qui peut s’énoncer (c’est‑à‑dire le nombre entier) s’appelle rationnel et son carré pareillement, et
(pour l’exprimer) on n’est pas obligé d’exécuter (de longs) calculs ; le
nombre qui ne peut pas s’énoncer *96 (avec une
exactitude absolue) s’appelle sourd. Le
carré de celui-ci est, soit rationnel, comme cela a lieu pour la racine de 3,
dont le carré est 3, soit sourd comme cela a lieu pour la racine de la
racine [147]
de 3, dont le carré est la racine de 3. Cette racine est un nombre sourd, et,
pour la trouver, on est obligé de faire de (longs) calculs.] Donc toutes ces
racines sont susceptibles de composition et de décomposition.
§
L’art du calcul.
§
Le calcul, art d’une origine (comparativement)
moderne, est d’une nécessité réelle dans les transactions (commerciales ou
autres) et forme le sujet d’un grand nombre d’ouvrages.
§
On l’a vulgarisé dans les grandes villes par
l’enseignement premier [148]
et on le regarde même comme le meilleur point de départ de cet enseignement,
parce qu’il fournit des connaissances parfaitement évidentes, qu’il offre un
système régulier de démonstrations et qu’il a presque toujours pour résultat de
rendre l’esprit clairvoyant et de l’habituer à raisonner juste. Voilà pourquoi
on a dit des personnes qui entreprennent de l’apprendre [149] :
« La première chose qui leur arrivera sera qu’elles se laisseront dominer
par la vérité. » En effet, le calcul, offrant un système bien établi [150]
et donnant à l’esprit une exactitude qui lui devient une seconde nature,
l’habitue à la vérité et le porte à s’y attacher méthodiquement.
§
Parmi les ouvrages qui traitent de cet art d’une
manière étendue et qui s’emploient dans le Maghreb, un des meilleurs est celui
qui a pour titre El‑Hisar es‑Saghîr [151]. Ibn el‑Benna le Marocain [152]
en a fait un abrégé [153],
qui renferme les règles des opérations, œuvre utile ; puis il a commenté
le même traité dans son ouvrage intitulé Refâ ’l-Hidjab.
Ce p.134 livre est très difficile pour les
commençants à cause de la rigueur et de l’enchaînement des démonstrations qu’il
renferme. C’est un ouvrage très estimé ; j’ai vu nos professeurs en faire
beaucoup de cas, et en effet il en est digne. L’auteur y a exposé simultanément
le contenu de deux traités dont l’un, composé par Ibn Monaëm [154],
s’appelle Fikh el‑Hisab (les lois du calcul) et dont l’autre, intitulé El‑Kamel (le complet) a pour auteur El‑Ahdeb. Il résuma les
démonstrations de ces *97 deux ouvrages,
et changea les lettres (ou signes) conventionnelles qui s’employaient dans ces
(démonstrations), en y substituant des indications significatives et
claires ; exposant ainsi le secret et l’essence du procédé par lequel on
désigne (les théorèmes du calcul) au moyen des signes [155].
Toute cette matière est fort obscure, mais la difficulté ne provient que des
démonstrations, particularité propre aux sciences mathématiques ; car,
bien que leurs problèmes et leurs opérations soient faciles à comprendre, il en
est autrement quand il s’agit de les expliquer, c’est‑à‑dire de donner les
raisons de ces opérations ; c’est là que l’entendement rencontre des
difficultés qu’il ne trouve pas dans la résolution des problèmes. Ce que nous
venons de dire mérite l’attention du lecteur. Dieu guide par sa lumière celui qu’il vent.
§
§
@
§
p.135 L’algèbre
est un art au moyen duquel on tire le nombre inconnu de celui qui est connu et
donné, lorsqu’il existe entre l’un et l’autre un rapport qui permet d’obtenir
ce résultat. Dans le langage technique de cet art on assigne aux quantités
inconnues différents degrés (puissances) suivant leur répétition par
multiplication. Le premier de ces degrés est le nombre, parce que c’est au moyen du nombre donné que l’on détermine
l’inconnue cherchée, en la déduisant du rapport qui existe entre elle et le
nombre. Le second de ces degrés est la chose,
parce que toute inconnue, en tant qu’elle est cachée, est une chose ;
on l’appelle aussi racine parce qu’on
obtient, en multipliant ce degré par lui-même, un résultat qui forme le second
(lisez le troisième) degré. Le
troisième de ces degrés est le capital (mâl), qui est le carré de l’inconnue [157].
Les degrés suivants sont déterminés d’après l’exposant (âss) des deux
degrés qu’on multiplie ensemble. Ensuite se fait l’opération qui est exigée par
le problème et qui conduit à une équation entre deux termes [158]
différents ou entre plusieurs termes : p.136
on oppose les uns aux autres, on restaure ce qui s’y trouve en fait de
terme fractionnaire, de manière à le rendre entier, et l’on abaisse, *98 s’il est possible, les degrés (de l’inconnue),
de manière à les réduire aux exposants les plus petits, afin qu’ils soient
ramenés à ces trois (termes) qui constituent, selon les algébristes, le domaine
de leur art, à savoir : le nombre, la
chose (la racine) et le capital (le
carré), Lorsque l’équation a lieu entre deux termes seulement, (la solution)
est déterminée ; lorsque le capital (le carré) où la racine est égal à un
nombre, ils cessent d’être inconnus et leur valeur est déterminée ; et
lorsque le capital est égal à sa racine prise un certain nombre de fois, il est
déterminé par le nombre (ou coefficient) de la racine [159].
Lorsque l’équation a lieu entre un terme et deux termes, la valeur (de
l’inconnue) est déterminée par le procédé géométrique qui consiste à retrancher
le produit par deux ; ce qui était inconnu se trouve déterminé par cette
soustraction du produit [160].
L’équation entre deux termes et deux termes est impossible à résoudre [161].
On ne parvient pas, selon les algébristes, à plus de six problèmes au moyen
d’équations (résolubles) ; car l’équation entre le nombre et la racine et
le capital (le carré) pouvant être ou
simple ou composée, il en résulte six espèces.
§
Le premier qui écrivit sur cette branche (de
science) fut Abou Abd Allah el-Kharezmi [162],
après lequel vint Abou Kamel Chodjaâ Ibn p.137
Aslem. On a généralement suivi la méthode (d’El‑Kharezmi) et son traité
sur les six problèmes de l’algèbre est un des meilleurs ouvrages composés sur
la matière. Plusieurs auteurs, parmi les musulmans espagnols, ont écrit sur ce
traité d’excellents commentaires, dont un des meilleurs est celui d’El‑Corechi [163].
§ Nous
avons appris qu’un des premiers mathématiciens de l’Orient a étendu le nombre
des équations au delà de ces six espèces, qu’il l’a porté à plus de vingt et
qu’il a découvert pour toutes ces espèces des procédés (de résolution) sûrs,
fondés sur des démonstrations géométriques [164].
Dieu ajoute à ce qui est créé tout ce
qu’il veut. *99
§
§
Cette branche de science consiste dans
l’application du calcul aux transactions qui ont lieu dans la vie
sédentaire [165],
telles que ventes et achats, mesurages de terrains, impôts et toutes les autres
opérations dans lesquelles il se présente des nombres. On y emploie les deux
branches du calcul, celle qui traite des inconnues et des connues (l’algèbre), et celle qui a pour objet les fractions, les nombres entiers,
les racines, etc. (l’arithmétique). Si l’on a posé un très grand nombre de
problèmes relatifs à cette matière, cela a été dans le but de créer chez
l’élève l’habitude de ces opérations et de le familiariser p.138 avec elles à force de les répéter, de sorte
qu’il parvienne à posséder d’une manière sûre la faculté de calculer.
§
Les (musulmans) espagnols qui se sont appliqués
à l’art du calcul ont composé sur les transactions (commerciales) de nombreux
traités. Parmi les plus célèbres nous pouvons citer les Moamelat (transactions) d’Ez‑Zehraouï [166],
celles d’Ibn es‑Semh [167],
celles d’Abou Moslem Ibn Khaldoun [168],
disciple de Maslema el‑Madjrîti, et d’autres encore.
§
§
Le partage des successions fait partie de l’art
du calcul et s’occupe de la détermination exacte des parts qui reviennent aux
héritiers dans une succession. Ainsi, par exemple, s’il y a plusieurs parts et
qu’un des héritiers meure (avant le partage), de sorte que sa part doive être
répartie entre ses propres héritiers, ou s’il arrive que la somme des parts
(déterminées par la loi) dépasse la masse de la succession, ou si un des
héritiers affirme (l’existence d’un héritier jusqu’alors inconnu) et que ses
cohéritiers (la) nient, dans tous ces cas on a besoin d’un procédé qui serve à
déterminer d’une manière exacte le montant des parts telles qu’elles sont fixées
par la loi et celui des parts qui doivent revenir aux héritiers appartenant aux
divers membres de la famille ; on peut alors faire en sorte que les parts
revenant aux héritiers soient à la masse entière de la succession, comme les
parts aliquotes représentant leurs droits à la succession sont à la somme de
toutes ces parts.
§
p.139 *100 Dans
ces déterminations on emploie une partie considérable de l’art du calcul,
notamment le calcul des nombres entiers et fractionnaires, ainsi que celui des
racines, des connues et des inconnues.
§
On a rangé [170]
les notions dont se compose cette science dans le même ordre que celui des
chapitres de la législation relative aux héritages et des questions auxquelles
cette législation donne lieu. Il résulte de là qu’elle comprend premièrement
une partie de la jurisprudence, à savoir, les maximes qui règlent les
héritages en ce qui concerne les portions dues, l’aoul (réduction
proportionnelle des parts héréditaires fixes [171]),
l’affirmation et négation (au sujet d’un héritier sur lequel on ne comptait
pas [172]),
les dispositions testamentaires, l’affranchissement testamentaire et autres
questions de cette nature. Elle comprend, en second lieu, une partie du calcul,
à savoir la détermination exacte des parts, en ayant égard aux prescriptions de
la loi. C’est donc une science très noble, et les personnes qui la cultivent
citent plusieurs paroles du Prophète dans lesquelles elle croient voir un
témoignage en faveur de l’excellence de leur art. Telles sont les traditions
suivantes : Les feraïd sont un tiers de la science entière,
et Les feraïd sont la première entre les sciences qui
seront exaltées. Je crois cependant que toutes ces sentences se rapportent
aux feraïd (ou obligations) imposées
par la loi sur tout individu, comme j’en ai déjà fait la remarque, et non pas
aux feraïd des héritages
seulement ; en effet, celles‑ci sont trop peu étendues pour former le
tiers de la science entière, tandis que les feraïd proprement dites sont
très nombreuses.
§
p.140 On a
écrit, dans les temps anciens et dans les temps modernes sur cette branche (des
mathématiques) et on l’a traitée à fond.
§
Parmi les ouvrages qui exposent cette science
sous le point de vue de l’école malékite les meilleurs sont celui d’Ibn Thabet,
l’abrégé du cadi Abou ’l-Cacem el‑Haoufi et les traités d’Ibn el‑Monemmer [173],
d’El‑Djâdi et d’Es‑Soudi [174].
El‑Haoufi mérite toutefois le premier rang, et son traité est préférable [175]
à tous les autres. Un de mes professeurs, le cheïkh Abou Abd Allah Mohammed Ibn Soleïman es‑Sitti [176],
qui était chef du corps des docteurs de la ville de Fez, a commenté d’une
manière claire et complète l’ouvrage d’El‑Haoufi. L’imam El-Haremeïn [177]
a composé, sur le partage des successions, plusieurs ouvrages dans lesquels il
envisage son sujet sous le point de vue de la jurisprudence chaféite ;
ces traités offrent un témoignage frappant des vastes *101 connaissances possédées par l’auteur et de la profondeur
de son érudition. Les Hanefites et les Hanbelites ont aussi composé des
ouvrages sur cette matière. Les hommes occupent dans les sciences des stations
diverses, et Dieu dirige celui qu’il
veut.
§
§
@
§
La géométrie a pour objet les quantités, soit
continues, telles que la ligne, la surface et le solide, soit discrètes, telles
que les nombres. Elle considère les propriétés essentielles de ces
quantités ; par exemple, que les angles de chaque triangle sont égaux à
deux angles droits ; que deux droites parallèles ne peuvent se rencontrer,
quand même elles seraient prolongées jusqu’à l’infini ; que lorsque deux
lignes (droites) se coupent, les angles opposés sont égaux ; que,
lorsqu’on a quatre quantités proportionnelles, le produit de la première par
la troisième est égal au produit de la
seconde par la quatrième [178].
§
p.141 Le
traité grec sur cette science qui a été traduit (en arabe), à savoir, le traité
d’Euclide, intitulé le Livre des éléments
et des fondements [179], est l’ouvrage le plus étendu qui ait
été écrit sur cette matière à l’usage des élèves, et en même temps le premier
livre grec qui ait été traduit chez les musulmans. Cela eut lieu sous le règne
d’Abou Djafer el-Mansour.
§
Il existe plusieurs éditions de ce traité,
provenant chacune d’un traducteur différent. On en a une traduction par Honeïn
Ibn Ishac [180],
une autre par Thabet Ibn Corra [181]
et encore une par Youçof Ibn el‑Haddjadj [182].
L’ouvrage d’Euclide se compose de quinze livres, dont quatre sur les figures
planes, un sur les quantités proportionnelles, un autre sur la proportionnalité
des figures planes, trois sur les (propriétés des)
*102 nombres, le dixième sur les quantités rationnelles et sur les
quantités qui peuvent [183]
les quantités rationnelles, c’est‑à‑dire, leurs racines, enfin cinq livres sur
les solides. On a fait beaucoup d’abrégés de ce traité : Ibn Sîna
(Avicenne) en a inséré un dans la partie de son ouvrage, le Chefa, qui est consacré aux
mathématiques. Ibn es‑Salt [184]
en a donné un résumé dans son livre intitulé Kitab el‑Ictisar (l’abrégé). Beaucoup d’autres savants ont fait des
commentaires sur le traité d’Euclide. Il forme la base indispensable des
sciences géométriques.
§
p.142 L’utilité
de la géométrie consiste à éclairer l’intelligence de celui qui cultive cette
science et à lui donner l’habitude de penser avec justesse. En effet, toutes les
démonstrations de la géométrie se distinguent par la clarté de leur
arrangement et par l’évidence de leur ordre systématique. Cet ordre et cet
arrangement empêchent toute erreur de se glisser dans les raisonnements ;
aussi l’esprit des personnes qui s’occupent de cette science est‑il peu exposé
à se tromper, et leur intelligence se développe en suivant cette voie. On
prétend même que les paroles suivantes se trouvaient écrites sur la porte de
Platon : « Que nul n’entre dans notre demeure s’il n’est géomètre ».
De même, nos professeurs disaient : « L’étude de la géométrie est
pour l’esprit ce que l’emploi du savon est pour les vêtements ; elle en
enlève les souillures et fait disparaître les taches ». Cela tient à
l’arrangement et à l’ordre systématique de cette science, ainsi que nous venons
de le faire observer.
§
§
Deux ouvrages grecs, l’un composé par Théodose
et l’autre par Ménélaus [185],
traitent des surfaces et des intersections des figures sphériques. *103 Dans l’enseignement, on fait précéder
l’ouvrage de Ménélaus de celui de Théodose parce qu’un grand nombre des
démonstrations du premier sont fondées sur le second. Ces deux livres sont
indispensables à quiconque veut faire une étude approfondie de l’astronomie,
parce que les démonstrations de cette science reposent sur celles de la
géométrie des figures sphériques. En effet, la théorie de l’astronomie tout
entière n’est autre chose que la théorie des sphères célestes et de ce qui y
arrive en fait d’intersections et de cercles qui résultent des mouvements (des
corps célestes), ainsi que nous l’exposerons ci-après ; elle est donc
fondée sur la connaissance des propriétés des figures sphériques, en ce qui regarde
leurs surfaces et leurs intersections.
§
p.143 La
théorie des sections coniques forme également une partie de la géométrie :
c’est une science qui examine les figures et les sections produites dans les
solides coniques et détermine leurs propriétés par des démonstrations
géométriques, fondées sur les éléments des mathématiques (exposés dans le
livre d’Euclide). Son utilité se montre dans les arts pratiques qui ont pour
objet des corps, tels que la charpenterie et l’architecture ; elle se
montre aussi lorsqu’il s’agit de fabriquer des statues qui excitent
l’étonnement et des temples merveilleux [186],
de traîner des corps pesants au moyen d’artifices mécaniques, et de
transporter des masses volumineuses à l’aide d’engins et de machines [187],
et autres choses semblables.
§
Un certain auteur a traité cette branche des
mathématiques à part dans un ouvrage sur la mécanique pratique, contenant tout
ce qu’il y a de merveilleux en fait de procédés curieux et d’artifices
ingénieux. Ce traité est très répandu, bien qu’il ne soit pas facile à
comprendre, à cause des démonstrations géométriques qu’il renferme. On
l’attribue aux Beni Chaker [188].
§
§
On a besoin de cette science pour mesurer le
sol. Son nom signifie *104 déterminer la quantité d’un terrain donné. Cette
quantité est exprimée en empans ou coudées ou en autres (unités de mesure, ou
bien par le rapport qui existe entre deux terrains, lorsqu’on les compare l’un
avec l’autre. (Ces déterminations) sont nécessaires quand il s’agit de
répartir les impôts sur les champs ensemencés, sur les terres labourables et
sur les plantations, ou de partager des enclos et des terres entre des associés
ou des héritiers, ou d’arriver à quelque autre résultat de ce genre. On a écrit
sur cette science de bons et nombreux ouvrages.
§
§
Cette science explique les causes des illusions
optiques en faisant connaître la manière dont elles ont lieu. L’explication
qu’elle donne est fondée sur ce principe que la vision se fait au moyen d’un
cône de rayons ayant pour sommet la pupille de l’œil de l’observateur et pour
base l’objet vu [189].
Une grande partie des illusions optiques consiste en ce que les objets
rapprochés paraissent grands et les objets éloignés petits, que des objets
petits vus sous l’eau ou derrière des corps transparents paraissent grands,
qu’une goutte de pluie qui tombe fait l’effet d’une ligne droite, et un tison
(tourné avec une certaine vitesse) celui d’un cercle, et autres choses semblables.
Or on explique dans cette science les causes et la nature de ces phénomènes
par des démonstrations géométriques. Elle rend raison des différentes phases de
la lune par ses changements de longitude [190],
changements qui servent de bases (aux calculs) qui font connaître (d’avance)
l’apparition des nouvelles lunes, l’arrivée des éclipses et autres phénomènes
semblables.
§
Beaucoup de Grecs ont traité de cette branche
des mathématiques. Le plus célèbre parmi les musulmans qui aient écrit sur
cette science est Ibn el‑Heïthem [191],
mais il y a aussi d’autres auteurs qui ont composé des traités d’optique.
L’optique fait partie des mathématiques, dont elle est une ramification.
§
§
@
§
p.145 *105 Cette
science considère les mouvements (apparents) des étoiles fixes et des planètes,
et déduit de la nature de ces mouvements, par des méthodes géométriques, les
configurations et les positions des sphères, dont les mouvements observés
doivent être la conséquence nécessaire. Elle démontre ainsi, par l’existence du
mouvement en avant et en arrière (relativement au mouvement moyen), que le
centre de la terre ne coïncide pas avec le centre de la sphère du soleil ;
elle prouve, par les mouvements directs et rétrogrades des planètes, l’existence
de petites sphères déférentes qui se meuvent dans l’intérieur de la grande
sphère de la planète ; elle démontre pareillement l’existence de la
huitième sphère par le mouvement des étoiles fixes ; elle déduit enfin le
nombre des sphères, pour chaque planète séparément, du nombre de ses déflexions
(inégalités), et autres choses semblables. C’est au moyen de l’observation
qu’on est parvenu à connaître les mouvements existants, leur nature et leurs
espèces ; c’est ainsi que nous connaissons les mouvements d’en avant et
d’en arrière [192],
l’arrangement des sphères suivant leur ordre, les mouvements rétrogrades et
directs, et autres choses de ce genre.
§
Les Grecs s’appliquèrent à l’observation avec
beaucoup de zèle, et construisirent, dans ce but, des instruments devant servir
à observer le mouvement d’un astre quelconque et appelés chez eux p.146 instruments aux cercles (sphères armillaires, dhat el-halac). L’art de les construire et les démonstrations relatives à la
correspondance de leurs mouvements avec ceux de la sphère étaient bien connus
chez eux. Les musulmans ne montrèrent pas beaucoup de zèle pour les observations
astronomiques [193].
On s’en occupait quelque peu dans le temps d’El‑Mamoun, alors qu’on construisit
l’instrument connu sous le nom de sphère armillaire (dhat el‑halac) ;
mais ce commencement n’eut *106 aucune suite.
Après la mort d’El-Mamoun, la pratique de l’observation cessa, sans laisser de
traces de son existence ; on la négligea pour se fier aux observations
anciennes. Mais celles‑ci furent insuffisantes, parce
que les mouvements célestes se modifient dans le cours des années. Au reste, la
correspondance du mouvement de l’instrument, pendant l’observation, avec le
mouvement des sphères et des astres, n’est qu’approximative et n’offre pas une
exactitude parfaite. Or, lorsque l’intervalle de temps écoulé est
considérable, l’erreur de cette approximation devient sensible et manifeste.
§
Bien que l’astronomie soit un noble art, elle ne
fait pas connaître, comme on le croit ordinairement, la forme des cieux ni
l’ordre des sphères tels qu’ils sont en réalité ; elle montre seulement
que ces formes et ces configurations des sphères peuvent résulter de ces mouvements.
Nous savons tous qu’une seule et même chose peut être le résultat nécessaire,
soit d’une (cause), soit d’une autre tout à fait différente, et, lorsque nous
disons que les mouvements (observés) sont une conséquence nécessaire (des
configurations et des positions des sphères), nous concluons de l’effet
l’existence de la cause [194],
manière de raisonner qui ne saurait, en aucune façon, fournir une conséquence p.147 exacte et vraie. L’astronomie est cependant
une science très importante et forme une des principales branches des
mathématiques.
§
Un des meilleurs ouvrages qui aient été composés
sur cette science est l’Almageste (El‑Medjisti), que l’on attribue à Ptolémée [195].
Cet auteur n’est pas un des rois grecs du même nom ; cela a été établi par
les commentateurs de son ouvrage. Les savants les plus distingués de
l’islamisme en ont fait des abrégés. C’est ainsi qu’Ibn Sîna (Avicenne) en
inséra un dans la partie mathématique de son Chefa. Ibn Rochd (Averroès), un des grands savants de l’Espagne, en
a donné un résumé, et pareillement Ibn es‑Semh [196].
Ibn es‑Salt [197]
en a fait un compendium qu’il a intitulé El‑Ictisar
(l’abrégé). Ibn el‑Ferghani [198]
est l’auteur d’un résumé d’astronomie dans lequel il a rendu la science facile
et accessible, en supprimant les démonstrations géométriques. Dieu enseigna aux hommes ce qu’ils ne
savaient pas. (Coran, sour. XCVI, vers. 5.)
§
§
p.148 *107 L’art
de construire des tables astronomiques forme une branche du calcul et se base
sur des règles numériques. (Au moyen de ces tables) on détermine, pour chaque
astre en particulier, la route dans laquelle il se meut, ainsi que ses
accélérations, retardations, mouvements directs et rétrogrades, etc. tels
qu’ils résultent, pour le lieu que l’astre occupe, des démonstrations de
l’astronomie. Ces indications font connaître les positions des astres dans
leurs sphères, pour un temps quelconque donné ; elles s’obtiennent par le
calcul des mouvements des astres d’après les règles susdites, règles tirées des
traités astronomiques. Cet art possède, en guise de préliminaires et
d’éléments, des règles sur la connaissance des mois, des jours et des époques
passées ; il possède, en outre, des éléments sûrs pour déterminer le
périgée, l’apogée, les inégalités, les espèces des mouvements et les manières
de les déduire les uns des autres. On dispose toutes ces quantités en colonnes
arrangées de façon à en rendre l’usage facile aux élèves et appelées tables astronomiques (azïadj, pluriel de zîdj). Quant à
la détermination même des positions des astres, pour un temps donné, au moyen de
cet art, on l’appelle équation (tâdil)
et rectification (tacouîm).
§
Les anciens, ainsi que les modernes, ont
beaucoup écrit sur cet art, par exemple, El‑Bettani [199],
Ibn el‑Kemmad [200]
et autres. Les p.149 modernes, dans
l’Occident, s’en rapportent, jusqu’à ce jour, aux tables attribuées à Ibn
Ishac [201].
On prétend que celui-ci se fonda, pour la composition de ses tables, sur
l’observation, et qu’il y avait en Sicile un juif très versé dans l’astronomie
et les mathématiques qui s’occupait à faire des observations et qui
communiquait à Ibn Ishac les résultats exacts qu’il obtenait, relativement aux
mouvements des *108 astres et à
tout ce qui les concernait. Les savants de l’Occident ont fait beaucoup de cas
de ces tables, à cause de la solidité des bases sur lesquelles elles sont
fondées ; à ce qu’on prétend, Ibn el-Benna [202]
en fit un résumé dans un livre qu’il appela El‑Minhadj
(le grand chemin). Cet ouvrage fut très recherché à cause de la facilité
qu’il donna aux opérations.
§
On a besoin des positions des astres pour fonder
sur ces positions les prédictions de l’astrologie judiciaire. Cette science
consiste dans la connaissance des influences que les astres, suivant leurs
positions, exercent sur ce qui arrive dans le monde des hommes relativement aux
religions et aux dynasties, sur les nativités humaines et sur les événements
qui s’y produisent, ainsi que nous l’expliquerons dans la suite, en faisant
connaître la nature des indications d’après lesquelles les astrologues se
guident.
§
§
La logique est un système de règles au moyen
desquelles on discerne ce qui est bon d’avec ce qui est défectueux, tant dans
les p.150 définitions employées pour faire
connaître [203]
ce que sont les choses [204],
que dans les arguments qui conduisent à des propositions affirmatives (ou
jugements). Expliquons cela : la faculté perceptive a pour objet les
perceptions obtenues par les cinq sens ; elle est commune à tous les
animaux tant irrationnels que doués de raison, et, ce qui fait la différence
entre les hommes et les autres animaux, c’est la faculté d’apercevoir les
universaux, idées qui s’obtiennent par le dépouillement (ou abstraction) de
celles qui proviennent des sens. Voici (comment cela se fait) :
l’imagination tire, des individus d’une même classe [205],
une forme (ou idée) qui s’applique également à eux tous, c’est‑à‑dire un
universel ; ensuite l’entendement compare cette catégorie d’individus avec
une autre qui lui ressemble en quelques points et qui est composée aussi
d’individus d’une même classe, et aperçoit ainsi une forme *109 qui s’adapte à ces deux catégories, en ce
qu’elles ont de commun. Il continue cette opération de dépouillement jusqu’à ce
qu’il remonte à l’universel, qui ne s’accorde avec aucun autre universel, et
qui est, par conséquent, unique.
§
Ainsi, par exemple, si l’on dépouille l’espèce
humaine de la forme qui l’embrasse en entier, afin de pouvoir envisager l’homme
comme un animal ; puis, si on enlève à ces deux classes d’êtres leur forme
commune afin de pouvoir les [206]
comparer avec les plantes [207],
et que l’on poursuive ce dépouillement, on arrivera au genre le plus élevé (de
la série), c’est‑à‑dire à la matière qui n’a rien de conforme avec aucun autre
universel. L’intelligence, ayant poussé jusqu’à ce point, suspend l’opération de
dépouillement.
§
Disons ensuite que Dieu a créé la réflexion dans
l’homme afin que celui-ci ait la faculté d’acquérir des connaissances et
d’apprendre les arts. Or les connaissances consistent, soit en concepts (ou simples p.151 idées), soit en affirmations (ou
propositions). Le concept, c’est la perception des formes des choses
(littéralement : des formes des
quiddités), perception simple qui
n’est accompagnée d’aucun jugement. L’affirmation, c’est, l’acte par lequel
on affirme une chose d’une autre. Aussi, quand la réflexion essaye d’obtenir
les connaissances qu’elle recherche, ses efforts se bornent à joindre un
universel à un autre par la voie de la combinaison, afin d’en tirer une forme
universelle qui soit commune à tous les individus qui sont du dehors, forme
recueillie par l’entendement et faisant connaître la quiddité (ou nature) de ces individus, ou bien elle (la réflexion)
juge d’une chose en la comparant avec une autre. Cette dernière opération
s’appelle affirmation et revient en réalité à la première ; car,
lorsqu’elle a lieu, elle procure la connaissance de la nature réelle des
choses, ainsi que cela est exigé par la science qui s’occupe des jugements. Ce
travail de l’entendement peut être bien ou mal dirigé ; aussi a‑t‑on
besoin d’un moyen qui fasse distinguer la bonne voie de la mauvaise, de sorte
que la réflexion *110 prenne la bonne
quand elle cherche à obtenir [208]
des connaissances. Ce moyen se trouve dans le système de (règles qui se nomme)
la logique.
§
Les anciens traitèrent d’abord ce sujet par
pièces [209]
et par morceaux, sans chercher à en régulariser les procédés et sans essayer de
réunir ni les questions qu’il traite ni les parties dont il se compose. Ce
travail ne se fit qu’à l’époque où Aristote parut chez les Grecs. Ce philosophe
l’accomplit et plaça la logique en tête des sciences philosophiques, afin
qu’elle leur servît d’introduction. Elle s’appela, pour cette raison, la science première. L’ouvrage
qu’Aristote lui consacra s’intitule Kitab el‑Fass (le joyau) [210] ;
il se compose de huit livres, p.152 dont
quatre ont pour sujet la forme (ou théorie) et cinq [211]
la matière (ou application) du
syllogisme.
§
Pour comprendre cela, il faut savoir que les
jugements qu’on cherche à se former sont de plusieurs espèces [212] :
les uns sont certains, par leur nature, et les autres sont des opinions plus ou
moins probables. On peut donc envisager le syllogisme (sous deux points de
vue : d’abord) dans ses rapports avec le problème dont il doit donner la
solution, et alors on examine quelles sont les prémisses qu’il doit avoir dans
ce cas, et voir si la réponse qu’on cherche appartient à la catégorie de la
science ou à celle de la spéculation ; ou bien on le considère, non pas
dans les rapports qu’il peut avoir avec [213]
un certain problème, mais dans le mode de formation qui lui est particulier.
Dans le premier cas, on dit du syllogisme qu’il s’envisage sous le point de vue
de la matière, c’est‑à‑dire de la
matière qui donne naissance au résultat qu’on cherche, résultat qui peut être,
soit une certitude, soit une opinion. Dans le second cas, on dit que le
syllogisme s’envisage sous le point de vue de la forme et sous celui de la manière de sa construction en général.
§
Voilà pourquoi les livres de la logique (l’Organon) sont huit en nombre. Le premier traite des genres supérieurs,
genres au‑dessus desquels il n’y en a point d’autre, et que l’on parvient à
connaître en écartant les (formes des) choses sensibles qui se trouvent dans
l’entendement. Ce livre a pour titre Kitab
el‑Macoulat (le livre des prédicaments ou catégories). Le second a pour sujet les jugements affirmés et leurs espèces.
Il se nomme Kitab el‑Eïbara (livre de
l’expression, hermeneia). Le troisième traite du syllogisme (kïas)
en général *111 et du mode de
sa formation. Il s’appelle Kitab el‑Kïas (livre
de p.153 l’analogie ou premiers analytiques). Il
est le dernier de ceux dans
lesquels la logique s’envisage quant à sa forme. Le quatrième est le Kitab el‑Borhan (livre de la
démonstration, les derniers analytiques).
Il traite du syllogisme qui produit la certitude, montre pourquoi les prémisses
du syllogisme doivent être des vérités certaines, et fait connaître d’une
manière spéciale les autres conditions dont l’observance est de rigueur quand
on veut arriver à la certitude. Ces conditions y sont nettement
indiquées : ainsi, par exemple, les prémisses doivent être (des vérités)
essentielles et premières. Dans ce même livre, il est question des
connaissances et des définitions. Selon les anciens (philosophes), ces
matières y ont été traitées spécialement parce qu’elles (les prémisses)
s’emploient pour obtenir la certitude, et cela dépend de la conformité de la
définition avec la chose définie, conformité qu’aucune autre condition ne
saurait remplacer. Le cinquième livre s’intitule Kitab el‑Djedl (livre de la controverse, les topiques). Il indique le
genre de raisonnement qui sert à détruire les propositions captieuses, à
réduire au silence l’adversaire et à faire connaître les arguments probables
dont on peut faire usage. Pour mener à ce but, le même livre spécifie quelques
autres conditions indispensables. Il indique aussi les lieux d’où celui qui s’engage dans une discussion doit tirer ses
arguments, en désignant le lien qui réunit les deux extrêmes du problème qu’il
s’agit de résoudre, lien qui s’appelle le terme
moyen. On trouve dans ce même traité ce qui regarde la conversion des
propositions. Le sixième livre est intitulé Kitab
es‑Sofista (livre du sophisme, réfutation
des sophistes). Le sophisme est
l’argument dont on se sert pour démontrer ce qui est contraire à la vérité et
pour tromper son adversaire ; il est mauvais quant à son but et à son
objet, et, si on l’a pris pour le sujet d’un traité, cela a été uniquement
pour faire voir ce que c’est que le raisonnement sophistique et pour empêcher
l’auditeur de donner dans ce piège. Le septième livre est le Kitab el‑Khatâba (livre de l’allocution,
la rhétorique). Il indique le (genre de) raisonnement que l’on doit employer
dans le but de passionner son auditoire et de l’entraîner à faire ce qu’on veut
p.154 obtenir de lui. Il fait aussi
connaître les formes du discours qu’il faut lui tenir pour cet objet. Le
huitième livre est le Kitab es‑Chïar (livre
de la poésie, la poétique). Il montre le procédé analogique qui
fait trouver des comparaisons et des similitudes servant, d’une manière *112 spéciale, à porter les hommes vers une
chose ou à les en éloigner ; il indique aussi les raisonnements qui s’y
emploient et qui se tirent de l’imagination. Voilà les huit livres de logique
reconnus par les anciens.
§
Plus tard, quand on eut ramené cet art à un
système régulier et bien ordonné, les philosophes [214]
d’entre les Grecs sentirent la nécessité d’un ouvrage traitant des universaux,
au moyen desquels on acquiert la connaissance des formes qui correspondent aux
choses (littéral. « aux quiddités ») du dehors, ou bien aux parties de ces choses, ou bien à leurs
accidents. Il y a cinq universaux : le genre, l’espèce, la
différence [215],
la propriété et l’accident général. Pour réparer cette omission, ils
composèrent (c’est‑à‑dire Porphyre composa) un traité spécial qui devait
servir d’introduction à cette branche de science. Ce fut ainsi que le nombre
des livres (qui forment l’Organon) se trouva porté à neuf. On les traduisit (en arabe) quand
l’islamisme était déjà établi, et les philosophes musulmans entreprirent d’en
faire des commentaires et des abrégés. C’est ce que firent El-Farâbi, Ibn Sîna
(Avicenne) et, plus tard, Ibn Rochd (Averroès), philosophe espagnol [216].
Le Kitab es‑Chefa d’Ibn Sîna renferme
l’exposition complète des sept sciences philosophiques [217].
§
Les savants d’une époque plus moderne changèrent
le système conventionnel de la logique, en ajoutant à la partie qui renferme
l’exposition des cinq universaux les fruits qui en dérivent, c’est‑à-dire le
traité sur les définitions et les descriptions [218],
traité qu’ils p.155 détachèrent du Livre de la Démonstration. Ils
supprimèrent le Livre des Prédicaments pour
la raison que ce traité n’est pas spécialement consacré aux problèmes de la
logique et qu’il ne les aborde que par hasard. Ils insérèrent dans le Livre de l’Expression le traité de la
conversion des propositions, bien que, chez les anciens, il fît partie du Livre de la Controverse. Cela eut lieu
pour la raison que ce traité est, à quelques égards, une suite du livre qui a
pour sujet les jugements. Ensuite ils envisagèrent le syllogisme sous un point
de vue général, comme moyen (pratique) d’obtenir la solution des problèmes, et
abandonnèrent l’usage de le considérer quant à sa matière (c’est‑à‑dire comme
une simple théorie). Aussi laissèrent‑ils de côté cinq livres : ceux de la
Démonstration, de la Controverse, de l’Allocution, *113 de la Poétique et du Sophisme. Quelques‑uns
d’entre eux ont pris connaissance de ces livres, mais d’une manière très
superficielle ; (et nous pouvons dire qu’en général) ils les ont négligés
au point qu’ils semblent en avoir ignoré l’existence. Ces traités forment
cependant une partie importante et fondamentale de la logique.
§
Plus tard, (les docteurs) commencèrent à
discourir très longuement sur les ouvrages de cette classe, et, dans leurs
dissertations prolixes et diffuses, ils envisagèrent cet art, non pas comme
l’instrument au moyen duquel on obtient des connaissances, mais comme une
science sui generis. Le premier
qui entra dans cette voie fut Fakhr ed‑Dîn Ibn el‑Khatîb ; le docteur
Afdal ed‑Dîn el‑Khouendji [219]
suivit son exemple dans plusieurs écrits qui font aujourd’hui autorité chez les
Orientaux. Son Kechf el‑Asrar (secrets
dévoilés) est un ouvrage p.156 très étendu, et
son abrégé du Moudjez (ou
compendium de la logique d’Avicenne) est bon comme livre d’enseignement.
Son abrégé du Djomel [220], remplissant quatre feuillets et
embrassant le système entier de la logique et les principes de cet art,
continue jusqu’à nos jours à servir de manuel aux étudiants et à leur être
d’un grand secours. L’étude des livres des anciens et de leurs méthodes fut
alors abandonnée ; ce fut comme si ces ouvrages n’avaient jamais existé,
et cependant ils renfermaient tous les fruits et toutes les connaissances
utiles que la logique peut fournir. C’est là une remarque que nous avons faite
plus haut. Au reste, Dieu dirige vers la
vérité.
§ Les
anciens musulmans [221]
et les premiers docteurs scolastiques désapprouvèrent hautement l’étude de la
logique et la condamnèrent avec une sévérité extrême ; ils la prohibèrent
comme dangereuse et défendirent à qui que ce fût d’apprendre cet art ou de
l’enseigner. Mais leurs successeurs, à partir d’El‑Ghazzali et de l’imam Ibn el-Khatîb,
se relâchèrent un peu de cette rigueur, et dès lors on s’y appliqua avec
ardeur. Un petit nombre de docteurs continue toutefois à pencher vers l’opinion
des anciens, à montrer de la répugnance pour la logique et à la repousser de la
manière la plus formelle. Nous allons exposer les motifs qui portaient les uns
à favoriser cette étude, et les autres à la désapprouver, et nous ferons ainsi
connaître les résultats auxquels ont abouti les doctrines professées par les savants
(des deux classes).
§
*114 Les
théologiens qui inventèrent la scolastique, ayant eu pour but de défendre les
dogmes de la foi par l’emploi de preuves intellectuelles, adoptèrent pour
bases de leur méthode un certain nombre d’arguments d’un caractère tout
particulier, et les consignèrent dans p.157 leurs
livres. Ainsi, pour démontrer la nouveauté
(ou non‑éternité, a parte
ante) du monde, ils alarmèrent
l’existence des accidents et leur nouveauté ; ils déclarèrent qu’aucun corps n’en était dépourvu, et en tirèrent
cette conséquence, savoir, que ce qui n’est pas dépourvu de nouveautés (ou d’accidents non‑éternels)
est lui-même nouveau (non-éternel).
Ils mirent en avant l’argument de l’empêchement
mutuel pour démontrer l’unité de Dieu [222] ;
ils se servirent des quatre liens qui
attachent l’absent au présent [223] pour démontrer l’éternité des
attributs.
§
Leurs livres renferment plusieurs autres
arguments de cette nature. Voulant ensuite appuyer leurs raisonnements sur une
base solide, ils dressèrent un système de principes qui devait leur servir de
fondement et d’introduction. Ils affirmèrent, par exemple, la réalité de la
substance simple (des atomes), l’instantanéité du temps (c’est-à‑dire que les temps se composent d’une série
d’instants), et l’existence du vide [224].
Ils rejetèrent (l’opinion que) la nature (formait une loi immuable) et (celle
de) la liaison intelligible des quiddités
entre elles (niant ainsi la causalité). Ils déclarèrent que l’accident ne
dure pas deux instants de temps (mais qu’il est créé de nouveau à chaque
instant par la puissance toujours active de Dieu), et enseignaient que l’état, envisagé comme une qualité propre à
tout ce qui existe, n’est ni existant p.158 ni non existant [225]. C’était sur ces principes et sur
quelques autres qu’ils fondaient les arguments spéciaux dont ils se servaient.
§
Cette doctrine était déjà établie quand le
cheïkh Abou ’l-Hacen (el-Achari) et le cadi Abou Bekr (el‑Bakillani) et
l’ostad (ou maître) Abou Ishac (el‑Isferaïni) enseignèrent que les arguments
servant à prouver les dogmes étaient inverses
(rétroactifs), c’est‑à‑dire que, si on les déclarait nuls, on admettait la
nullité de ce qu’ils devaient démontrer. Aussi le cadi Abou Bekr regarda‑t‑il
ces arguments comme tout aussi sacrés que les dogmes mêmes, et déclara‑t‑il
qu’en les attaquant on attaquait les dogmes dont ils formaient la base.
§
Si nous examinons, toutefois, la logique, nous
voyons que cet art roule entièrement sur le principe de la liaison intelligible (c’est-à‑dire
que l’intelligence aperçoit d’une manière évidente qu’il y a liaison réelle entre
la cause et l’effet) et sur celui de la réalité de l’universel naturel du
dehors (les universaux objectifs), auquel doit correspondre l’universel
(subjectif) qui est dans l’entendement et qui se partage en cinq parties bien
connues, savoir : le genre, l’espèce, *115
la différence, la propriété et l’accident général. Mais les théologiens
scolastiques regardaient cela comme faux et enseignaient que p.159 l’universel et l’essentiel étaient de
simples concepts [226],
n’ayant rien qui leur correspondît en dehors de l’entendement ; ou bien,
disaient‑ils, ce sont des états [227]. La dernière opinion était, celle des
scolastiques qui admettaient la doctrine des états. De cette manière se trouvaient anéantis les cinq universaux,
les définitions dont ils sont les bases, les dix catégories et l’accident
essentiel. Cela entraînait la nullité des propositions nécessaires et
essentielles (les axiomes ou premiers principes), celles dont les caractères
sont spécifiés, selon les logiciens, dans le Livre de la Démonstration (les derniers analytiques). La cause intelligible [228] disparaissait aussi, ce qui ôtait toute
valeur au Livre de la Démonstration et
amenait la disparition des lieux qui forment le sujet principal du Livre
de la Controverse (les topiques), et dans lesquels on cherche le moyen qui sert à réunir les deux
extrêmes du syllogisme. Ainsi rien ne restait (de la logique), excepté le
syllogisme formel (l’enthymème). D’entre les définitions (disparut) celle qui
est également vraie pour tous les individus de la (catégorie) définie ;
définition qui, n’étant ni trop générale ni trop restreinte, n’admet pas des
individus étrangers à cette catégorie et n’en exclut aucune qui y appartienne.
C’est la définition que les grammairiens appellent réunion et empêchement, et que les scolastiques désignent par le
terme généralisation et conversion [229]. De cette façon on renversait toutes
les colonnes de la logique.
§
p.160 Si (au
contraire) nous admettons ces principes avec les logiciens, nous anéantissons
une grande partie des principes que les scolastiques adoptèrent pour servir
d’introduction à leurs doctrines, et cela amènerait nécessairement la ruine des
preuves [230]
au moyen desquelles ils cherchèrent à démontrer la vérité des dogmes, ainsi
que nous l’avons déjà dit. Aussi, les anciens scolastiques condamnèrent-ils
absolument l’étude de la logique et déclarèrent que l’emploi de cet art était,
soit une hérésie, soit un acte d’infidélité, selon le genre de preuve que l’on
détruisait par son moyen.
§
Les scolastiques plus modernes, à partir d’El‑Ghazzali,
(changèrent d’opinion) ; ayant consenti à reconnaître que les preuves des
dogmes n’étaient pas inverses, et que
la nullité de la preuve n’entraînait pas celle de la chose prouvée, s’étant
aussi convaincus que *116 les logiciens
avaient raison en ce qui regarde la liaison
intelligible, l’existence des catégories [231]
naturelles et l’existence des universaux en dehors de l’entendement, ils
déclarèrent que la logique n’était pas contraire aux dogmes de l’islamisme,
bien qu’elle n’admît pas certaines preuves qui avaient servi à démontrer ces
dogmes. Ils allèrent même plus loin, et trouvèrent des arguments pour détruire
un grand nombre des principes, qui formaient la base de la scolastique
(ancienne). Aussi finirent‑ils par nier l’existence de la substance simple (les
atomes) et du vide, et par admettre la durée de l’accident, etc. Pour
remplacer les principes qu’on avait employés (jusqu’alors) dans le but de
prouver la vérité des dogmes, ils en adoptèrent d’autres dont ils avaient
reconnu l’exactitude par la spéculation et par le raisonnement. Ils déclarèrent
même qu’en faisant ainsi ils ne portaient aucune atteinte aux dogmes
orthodoxes. El-Ghazzali professait la nouvelle doctrine, et ses disciples,
jusqu’à nos jours, ne l’ont pas abandonnée.
§
Quand le lecteur aura considéré ce que nous
venons d’exposer, il pourra distinguer à quelles sources les hommes savants
(dans cette p.161 partie) ont puisé leurs
doctrines et de quels lieux ils les ont tirées. Dieu est le guide dont le concours mène à la vérité.
§
§
@
§
La physique est une science qui a pour objet le
corps en tant qu’il éprouve du mouvement et du repos. Elle examine les corps
célestes, les corps élémentaires et leurs produits, tels que l’homme, l’animal
(irrationnel), le végétal, le minéral, ce qui se produit dans le sol en fait de
sources et de tremblements de terre, ce qui a lieu dans le ciel en fait de
nuages, de vapeurs, de tonnerre, d’éclairs et d’ouragans, etc. Elle s’emploie
aussi pour faire reconnaître l’agent qui donne le mouvement aux corps, agent
identique avec l’âme dans ses diverses espèces, savoir : l’âme humaine,
l’âme animale et l’âme végétale.
§
Les livres composés sur cette matière par
Aristote se trouvent entre les mains du public, ayant été traduits (en arabe)
sous le règne d’El‑Mamoun et à la même époque que les autres traités sur les
sciences philosophiques (des Grecs). (Les musulmans) composèrent *117 ensuite des livres sur le même plan, [à
l’aide d’éclaircissements et d’explications (qu’ils avaient recueillis)] [232],
et celui d’entre eux qui traita ce sujet de la manière la plus complète fut Ibn
Sîna (Avicenne). Nous avons dit qu’il avait réuni, dans son Kitab es‑Chefa, les sept sciences
philosophiques. Il dressa ensuite (deux) sommaires du même ouvrage, l’un
intitulé Kitab en‑Nedja, et l’autre Kitab el‑Icharat (livre des
indications). Il paraît y avoir eu pour but de combattre la plupart des
doctrines émises par Aristote et de faire valoir ses propres opinions. Ibn
Rochd (Averroès, suivit une autre marche ; il) abrégea les traités
d’Aristote et les commenta sans se mettre en opposition avec lui. On composa
ensuite beaucoup d’ouvrages sur ce sujet ; mais ceux dont nous venons de
parler sont jusqu’à présent p.162 les
mieux connus et les plus estimés. En Orient, on étudie surtout le Kitab el‑Icharat d’Ibn Sîna, traité sur
lequel l’imam Ibn el‑Khatîb a composé un bon commentaire. Nous avons
d’autres commentaires sur le même ouvrage, dont l’un a pour auteur El‑Amedi, et
l’autre Nasîr ed‑Dîn et‑Tousi surnommé El‑Khodja
et natif d’Irac. Cet auteur eut des discussions avec l’imam
sur plusieurs questions qui se présentaient (dans l’Icharat) et l’emporta sur son adversaire par
l’ampleur de ses vues et la profondeur de ses investigations.
§
§
Cette science a pour objet le corps humain, sous
le point de vue de la maladie et de la santé. Ceux qui la cultivent ont pour
but de préserver la santé et de guérir les maladies au moyen de remèdes et
d’aliments ; mais ils doivent connaître auparavant les maladies particulières
à chaque membre du corps, les causes de ces maladies et les remèdes qu’il
convient d’employer pour chacune d’elles. Pour juger d’un remède, il faut en
connaître le tempérament et les vertus ; pour connaître une maladie, il
faut en juger d’après les indices offerts par la couleur de la peau, par la
surabondance des humeurs et par le battement du pouls, symptômes qui font
reconnaître que la maladie est arrivée à sa maturité et qu’elle est susceptible
ou non susceptible d’un traitement thérapeutique. Dans le traitement qu’on
emploie *118 alors [233],
on tâche de seconder les forces de la nature ; car la nature préside aux
deux états, celui de la santé et celui de la maladie ; aussi le médecin
doit‑il l’imiter et la seconder autant qu’il le faut [234],
en ayant égard à la nature de la maladie qu’il doit traiter, à la saison (de
l’année) et à l’âge (du malade).
§
La science qui embrasse tout cela s’appelle la
médecine. On a cependant composé des traités
concernant les (maladies spéciales à certains) organes du corps, et fait ainsi,
pour chaque organe, une p.163 science à part.
Cela est arrivé pour l’œil, pour ses maladies et pour les collyres. On a ajouté
à cette science la connaissance des fonctions des membres, c’est‑à‑dire du but pour lequel chaque membre du corps
a été formé [235].
Bien que ces connaissances soient en dehors de l’objet de la médecine, on les a
regardées comme formant un complément et une suite de cette science.
§
[Galien a composé sur cette matière un ouvrage
très important et très instructif [236]] ;
ce grand maître de l’art laissa des livres sur la médecine qui ont été traduits
(en arabe). Il fut contemporain, dit-on, de Jésus, sur lequel soit le
salut [237] !
et mourut en Sicile, pendant qu’il parcourait le monde, après avoir quitté
volontairement son pays natal. Ses écrits sur la médecine ont servi de manuel à
tous les médecins venus après lui. Il y eut, parmi les musulmans, des médecins
d’un talent hors ligne, tels qu’Er‑Razi [238],
El‑Madjouci [239],
Ibn Sîna (Avicenne) et autres. L’Espagne a produit un grand nombre de médecins,
dont le plus illustre fut Ibn Zohr [240].
De nos jours, la médecine a beaucoup décliné dans les villes musulmanes, ce qui
paraît avoir eu pour cause le déclin de la civilisation ; car c’est un art
produit par les exigences du luxe et de la vie sédentaire.
§
Section. Les
peuples nomades pratiquent une espèce de médecine
*119 fondée ordinairement sur une expérience très limitée et sur
(l’observation d’) un petit nombre de cas particuliers. Ces connaissances, qui
leur sont venues comme un héritage de la part des anciens de la tribu et des
vieilles femmes, peuvent être vraies jusqu’à un certain point, mais elles ne
forment pas un système (régulier et) naturel, puisqu’elles ne dérivent pas de
principes conformes au tempérament p.164 de
l’homme. Les anciens Arabes possédaient beaucoup de ces notions médicales et
avaient parmi eux plusieurs médecins célèbres, tels qu’El‑Hareth Ibn
Kileda [241]
et autres.
§
Les prescriptions médicales qui se rencontrent dans
les recueils de traditions relatives au Prophète rentrent dans cette catégorie
(incomplète) et ne font nullement partie de la révélation divine ; elles
appartiennent à cette classe de connaissances ordinaires qui ont toujours eu
cours chez les Arabes. On trouve dans les traditions plusieurs traits
concernant le Prophète et qui correspondent à ses habitudes et à sa
constitution naturelle ; mais on ne nous les offre pas comme des règles
auxquelles nous soyons tenus de nous conformer. Le Prophète eut pour mission de
nous faire connaître les prescriptions de la loi divine et non pas de nous
enseigner la médecine et les pratiques de la vie usuelle. On sait ce qui lui
arriva quand il s’agissait de féconder des dattiers [242],
et qu’il dit (à cette occasion) : « Vous savez mieux que moi ce qui
se rattache à vos intérêts mondains. » On n’est donc pas obligé de croire
que les prescriptions médicales rapportées dans les traditions authentiques
nous aient été transmises comme des règles qu’il fallait observer ; rien
dans ces traditions n’indique que cela soit ainsi. Il est vrai que si l’on veut
employer ces remèdes dans le but de mériter la bénédiction divine, et qu’on les
prenne avec une foi sincère [243],
on pourra en retirer un grand bénéfice ; mais ils ne font pas partie de
la médecine proprement dite [244] ;
ils sont tout au plus des indications qui attestent la vérité de la parole (du
Prophète). Considérez, par exemple, l’emploi du miel pour guérir le mal de
ventre [245].
Dieu dirige vers la vérité.
§
§
p.165 *120 L’agriculture,
branche de la physique, est un art qui a pour objet les plantes, en tant qu’on
peut employer des moyens pour les faire pousser et croître ; moyens qui
consistent en arrosages, en soins assidus, en améliorations des terrains, [dans
le choix des saisons convenables [246]]
et dans l’application régulière des moyens qui les fassent prospérer et arriver
à la perfection.
§
Les anciens s’appliquaient beaucoup à
l’agriculture et étudiaient les plantes sous le point de vue le plus
général ; ils s’occupaient de leur mise en terre, de leur multiplication,
de leurs vertus, de leurs esprits (c’est‑à‑dire des esprits qui présidaient à
leur croissance) et de la correspondance de ces (esprits) avec ceux des astres
et de certains temples ; connaissances qui s’employaient dans l’art de la
magie. Ce fut pour ce motif que les anciens attachaient une si grande importance
à l’agriculture.
§
Le livre dont on attribue la composition aux
savants du peuple nabatéen, celui qui a pour titre l’Agriculture nabatéenne et qui fut un des
ouvrages des Grecs que l’on traduisit (en arabe), renferme une foule de
renseignements (touchant ces matières) ; mais les musulmans en ayant pris
connaissance, et sachant que la porte de la magie était fermée pour eux et que
l’étude de cet art leur était défendue, se bornèrent à en accepter la partie
qui traitait des plantes sous le point de vue de leur mise en terre, des soins
qu’on doit leur donner et de ce qui se présente dans de pareils cas ;
aussi rejetèrent‑ils les p.166 passages qui
traitaient de l’autre art (la magie). Ibn el‑Aouwam [247]
fit un abrégé de ce livre, en se conformant au plan (que les musulmans avaient
adopté), et dès lors l’autre branche de cet art [248],
(c’est‑à‑dire la magie) tomba dans l’oubli. Maslema [249]
en a cependant reproduit, dans ses écrits, les principaux problèmes, ainsi que
nous l’indiquerons dans le chapitre où nous parlerons de la magie.
§
Les modernes ont composé beaucoup d’ouvrages sur
l’agriculture, mais ils se sont bornés à parler de la mise en terre, du
traitement *121 des plantes, des moyens qu’il
faut employer pour les garantir contre les maladies et les accidents qui
nuisent à leur croissance, etc.
§
On trouve de ces livres partout.
§
§
@
§
Les personnes qui cultivent cette science disent
qu’elle a pour objet l’existence (ou l’être) absolue. Elle traite d’abord de
ce qui est commun aux êtres tant corporels que spirituels, c’est‑à‑dire des quiddités, de l’unité, de la pluralité,
de la nécessité, de la possibilité, etc. puis elle examine les principes d’où
dérivent les êtres, principes qui sont spirituels ; ensuite elle cherche
comment les êtres émanent de ces principes et dans quel ordre ils se
présentent. Après cela, elle s’occupe des circonstances dans lesquelles l’âme
se trouve lorsqu’elle a quitté le corps et est retournée à son origine. A les
entendre, c’est une noble science qui procure la connaissance de l’être tel
qu’il est, ce qui, selon leur opinion, est la source de la félicité suprême.
Plus loin, nous réfuterons ces opinions.
§
La métaphysique tient, dans l’ordre que ces
personnes ont assigné aux sciences, une place qui suit immédiatement celle de
la physique, p.167 et c’est pour cette
raison qu’elles l’ont nommée (la science) qui
vient après la physique. Les traités composés sur ce sujet par le premier instituteur (Aristote) se
trouvent entre les mains du public. Ibn Sîna (Avicenne) en a donné un précis
dans son ouvrage intitulé Kitab es-Chefa
oua’n‑Nedja [250] et Ibn Rochd (Averroès), un des grands
philosophes espagnols, en a fait aussi un résumé [251].
§
Quelques auteurs plus modernes avaient composé
des traités sur les sciences enseignées par ces (philosophes) quand El‑Ghazzali
réfuta leurs opinions, en même temps qu’il attaqua d’autres doctrines philosophiques.
§
Les scolastiques des derniers siècles mêlèrent
les problèmes de la théologie scolastique avec ceux de la philosophie, parce
que les mêmes questions se présentaient dans les deux sciences, que l’objet de
la scolastique leur paraissait identique avec celui de la philosophie *122 et que les problèmes de l’une ressemblaient
à ceux de l’autre [252].
De cette manière, les deux sciences en formèrent pour ainsi dire une seule.
Après avoir changé l’ordre adopté par les philosophes pour la disposition des
problèmes de la physique et de la métaphysique, ils les mêlèrent ensemble de
manière à en former un système unique. Ils y ajoutèrent une introduction
traitant, en premier lieu, des choses générales (des universaux), puis des
êtres corporels et des choses qui en dérivent ; puis, des êtres spirituels
et de ce qui s’y rattache, et continuèrent ainsi jusqu’à ce qu’ils eussent
épuisé la matière. C’est ainsi que firent l’imam Ibn el‑Khatîb dans ses Mebaheth el‑Mochrikiya (investigations
illuminatives [253]),
et tous les grands docteurs de la p.168 scolastique
venus après lui. Il en est résulté que les problèmes de la scolastique se
trouvent confondus avec ceux de la philosophie et que les livres scolastiques
sont tellement remplis de questions philosophiques qu’on serait porté à
regarder les deux sciences comme identiques dans leurs objets et dans leurs
problèmes.
§
Cette ressemblance n’est toutefois
qu’apparente ; mais elle suffit pour tromper le public. En effet, les
questions agitées par la scolastique consistent en dogmes puisés dans la loi
révélée et (parvenus jusqu’à nous) tels que les anciens musulmans les avaient
transmis. Les premiers croyants ne s’adressèrent pas à la raison pour acquérir
la certitude de ces dogmes ; ils ne pensèrent pas que l’emploi du raisonnement
fût nécessaire pour en prouver la vérité et qu’ils devaient s’y fier comme à un
appui indispensable. A leur avis, la raison n’avait rien à faire des dogmes ni
des prévisions de la loi.
§
L’établissement des preuves (fondées sur la
raison) fut adopté par les (premiers) scolastiques pour le sujet de leurs
traités, mais il ne p.169 fut pas, comme
chez les philosophes, une tentative pour arriver à la découverte de la vérité
et pour obtenir, au moyen de la démonstration, la connaissance de ce qui était
ignoré jusqu’alors. Les scolastiques recherchaient des preuves intellectuelles
dans le but de confirmer la vérité des dogmes, de justifier les opinions des
premiers musulmans et de repousser les doctrines trompeuses, que les novateurs
avaient émises. Ceux‑ci prétendaient [254]
que, pour constater la vérité des dogmes, on n’avait besoin que de preuves
fournies par la raison, et cela après avoir reconnu que la vérité de ces dogmes
était déjà établie par des preuves tirées de la foi, preuves qui avaient porté
les anciens musulmans à les accueillir et à y croire.
§
Il y a donc une grande différence entre les deux
systèmes. En effet, les perceptions recueillies par le législateur inspiré
appartiennent à une sphère si vaste qu’elles l’emportent de beaucoup sur celles
que les spéculations de la raison peuvent nous fournir ; elles leur sont
bien supérieures et les embrassent toutes, parce qu’elles se puisent *123 dans les lumières de la divinité. Donc
elles ne se laissent pas soumettre à une règle aussi étroite que celle de la
spéculation, ni classer parmi les perceptions que tous les hommes peuvent
obtenir. Aussi, quand le législateur nous a dirigés vers une perception (ou
croyance), nous devons la préférer aux perceptions que nous avons recueillies
nous‑mêmes, et nous y fier à leur exclusion ; nous ne devons pas chercher
à en démontrer la vérité au moyen de la raison ni (à la concilier avec la
raison) quand celle‑ci la repousse. Au contraire, nous devons croire avec une
foi sincère à ce que le législateur nous a prescrit, admettre ses doctrines
comme des connaissances certaines, nous abstenir de parler au sujet de dogmes
que nous ne comprenons pas, nous en rapporter (pour leur vérité) au sentiment
du législateur et mettre la raison de côté.
§
Ce qui porta les scolastiques à faire autrement,
ce furent les nouveautés spéculatives, émises par des gens impies dans les
discours p.170 qu’ils dirigeaient contre les
croyances que nous tenons des premiers musulmans. Cela décida les scolastiques
à les réfuter par des arguments de la même espèce que ceux qu’ils avaient
employés ; aussi se trouvèrent‑ils obligés de se servir de raisonnements
tirés de la spéculation pour appuyer les croyances que les anciens nous ont
transmises. Mais la scolastique n’a pas pour objet de rechercher la vérité ou
la fausseté des problèmes qui appartiennent à la physique ou à la métaphysique ;
de telles recherches ne sont pas de sa compétence. Quand on est bien convaincu
de cela, on reconnaît clairement la différence qui existe entre la scolastique
et la philosophie, bien que les modernes les aient confondues en une seule
science, tant dans la théorie que dans leurs écrits. La vérité est que chacune
d’elles diffère de l’autre par son objet et par les problèmes dont elle
s’occupe. La confusion que nous venons de signaler provient de ce que (dans les
deux sciences) les problèmes capables de démonstration sont les mêmes. L’esprit
d’argumentation fut porté chez les scolastiques à un tel point qu’il semblait
être un stimulant qui les poussait à chercher dans la raison les preuves de nos
croyances. Mais ce n’est pas là le but de la scolastique ; elle ne doit
servir qu’à réfuter les impies, car les doctrines dont elle s’occupe nous sont
imposées par la loi comme vraies, et nous devons les reconnaître comme telles.
§
Il y avait dans les derniers siècles quelques
Soufis à l’esprit exalté qui ne parlaient que de leurs extases et qui mêlaient
les problèmes de la philosophie et de la scolastique à leurs propres doctrines
de manière à en faire un seul système [255].
Voyez, par exemple, leurs discours *124 sur le
prophétisme, sur l’unification (de l’homme avec Dieu), sur l’établissement (de
la divinité dans le corps de l’homme), sur l’identité (du monde avec Dieu),
etc. Mais le fait est que chacune de ces sciences a son domaine spécial et
distinct, Les notions fournies par le soufisme se prêtent encore plus
difficilement que les autres à une classification scientifique. Cela tient à ce
que les Soufis prétendent p.171 résoudre tous
les problèmes au moyen de perceptions obtenues par eux dans le monde spirituel,
et qu’ils évitent l’emploi de la démonstration. Mais on sait combien les
inspirations de ce genre diffèrent des notions fournies par les
sciences ; elles ne s’accordent avec celles‑ci ni dans leurs tendances ni
dans leurs résultats. Nous avons déjà exposé ce fait et nous y reviendrons plus
loin. Dieu dirige vers la vérité.
§
§
Ces sciences consistent en la connaissance de la
manière dont on fait certains préparatifs au moyen desquels l’âme humaine
acquiert le pouvoir d’exercer des influences sur le monde des éléments, soit
directement, soit à l’aide de choses célestes. Cela s’appelle, dans le premier
cas, magie ; et dans le second, science talismanique. Comme ces genres
de connaissances ont été condamnés par les lois des divers peuples à cause du
mal qu’ils produisent et de la condition imposée à ceux qui les cultivent de
diriger leur esprit vers un astre ou quelque autre objet plutôt que vers Dieu,
les ouvrages qui en traitent sont extrêmement rares. Ce qui reste de ces
sciences ne se trouve que dans les livres composés par les Nabatéens, les
Chaldéens et autres peuples qui existaient avant la mission du prophète
Moïse ; car les prophètes qui parurent avant lui ne promulguèrent pas de
lois et n’apportèrent pas aux hommes des maximes de droit ; ils se
bornèrent, dans leurs écrits, à faire des exhortations, à enseigner l’unité de
Dieu et à parler du paradis et de l’enfer.
§
La magie et la talismanique existèrent chez les
Assyriens et les Chaldéens qui habitèrent Babel, et chez les Coptes de
l’Égypte. Ces peuples et d’autres encore possédaient des ouvrages qui en
traitaient et laissèrent des monuments (qui s’y rapportent), mais un très petit
nombre seulement de leurs écrits a été traduit (en arabe). Nous n’en possédons
que le livre de l’Agriculture nabatéenne, rédigé par Ibn
Ouahchiya d’après des traités composés par les gens de Babel [256].
Ce fut p.172 *125 à cette source qu’on puisa
la connaissance de ces arts, et ce fut là qu’on les suivit dans leurs diverses
ramifications. Plus tard on composa des ouvrages, sur cette matière, tels que
les Volumes des sept astres, les
livres de Tomtom l’Indien sur les Figures
des degrés et des astres, etc. Ensuite parut en Orient Djaber Ibn Haïyan,
le plus savant musulman qui ait étudié la magie. Il feuilleta les écrits composés
par les gens du métier, obtint la connaissance de leur art, et, l’ayant bien
approfondi, en tira la partie essentielle. On a de lui plusieurs ouvrages,
dans lesquels il s’étend longuement sur la magie et même sur l’alchimie, parce
que cet art est une branche de la magie. En effet, les corps dont se composent
les espèces ne se laissent transmuer d’une forme en une autre que par des puissances
psychiques ; l’art pratique n’y
sert de rien. L’alchimie est donc une branche de la magie, ainsi que nous le
ferons voir encore dans un chapitre spécial.
§
Après Djaber Ibn Haïyan parut Maslema Ibn Ahmed
el‑Madjrîti (de Madrid), le plus grand maître, en fait de mathématiques et
d’opérations magiques, qui ait existé chez les musulmans espagnols. Il résuma
le contenu de tous ces livres, en rédigea les principes dans un ordre
systématique et réunit ensemble les divers procédés qu’ils renferment. De cette
manière il forma le volume qu’il intitula Ghaïat el-Hakîm [257]. Personne après lui n’a écrit sur ces
matières.
§
p.173 Je dois
maintenant soumettre au lecteur quelques observations préliminaires, afin qu’il
comprenne la véritable nature de la magie. p.174
Les âmes humaines, bien qu’elles forment une unité quant à l’espèce, se
distinguent les unes des autres par leurs qualités individuelles. On peut donc
les classer par catégories ayant chacune son caractère spécial et devant à une
organisation naturelle et primitive les qualités qui la distinguent. Dans la
classe des prophètes, les âmes ont la faculté de pouvoir [se dégager de la
spiritualité humaine [258],
afin d’entrer dans la spiritualité angélique et de devenir ange pendant
l’instant passager que dure cet état de dégagement. Voilà en quoi consiste la
révélation, ainsi que nous l’avons indiqué en son lieu [259].
L’âme qui se *126 trouve dans cet état
possède la faculté de] participer aux connaissances propres à Dieu [260],
de converser avec les anges, et d’obtenir, par une conséquence nécessaire, le
pouvoir d’exercer une certaine influence sur les êtres créés. Chez les
magiciens, l’âme a pour caractère distinctif la faculté d’influer sur ces êtres
et d’attirer en bas la spiritualité des astres afin de s’en servir pour
l’accomplissement de ses desseins. Cette influence s’exerce soit par une
puissance appartenant à l’âme [261],
soit par une puissance satanique : tandis que, chez les prophètes, elle
dérive du Seigneur et se distingue par son caractère divin. Quant aux gens qui
pratiquent la divination, leurs âmes ont, de même, un caractère spécial, celui
de connaître les choses du monde invisible au moyen d’une puissance satanique.
Ainsi chacune de ces classes a sa marque distinctive.
§
Les âmes de ceux qui pratiquent la magie peuvent
se ranger en trois classes : la première comprend celles qui exercent une p.175 influence par la seule application de la
pensée, sans avoir recours à aucun instrument ni à aucun secours (extérieur).
C’est là ce que les philosophes désignent par le terme magie. Les âmes de la
seconde classe agissent au moyen des secours qu’elles tirent du tempérament des
sphères célestes et des éléments, ou bien au moyen des propriétés des
nombres ; cela s’appelle l’art
talismanique ; il occupe un degré inférieur à celui de la magie. Les
âmes de la troisième classe exercent une influence sur les facultés de
l’imagination : l’homme qui possède ce talent s’adresse à l’imagination du
spectateur, et, agissant sur elle jusqu’à un certain point, lui fournit des
idées fantastiques, des images et des formes ayant toutes quelque rapport avec
le projet qu’il a en vue. Ensuite il fait descendre ces notions de
l’imagination aux organes des sens, et cela au moyen de l’influence que son âme
exerce sur ces (organes). Le résultat en est que les spectateurs voient ces
formes paraître en dehors d’eux, bien qu’elles n’y soient pas. On raconte qu’un
magicien faisait paraître des jardins, des ruisseaux et des kiosques dans un
endroit où il n’en existait pas. Les philosophes désignent cette branche de
l’art par les noms de prestige et de fantasmagorie.
§
Les qualités distinctives que nous venons
d’énumérer existent virtuellement chez les magiciens, de même que toute
faculté humaine existe virtuellement dans chaque homme ; mais, pour les
mettre *127 en activité, il faut avoir
recours à des exercices préparatoires. Dans la magie, ces exercices [262]
se bornent à diriger la pensée vers les sphères, les astres, les mondes
supérieurs et les démons, en leur donnant diverses marques de vénération, d’adoration,
de soumission et d’humiliation. Cette direction de l’esprit vers un objet qui
n’est pas Dieu, ces marques d’adoration qu’on donne à cet objet, sont des actes
d’infidélité. Pratiquer la magie est donc un acte d’infidélité, car
l’infidélité est une des matières, un des moyens que cet art met en œuvre.
§
p.176 D’après
ce que nous venons d’exposer on comprendra une question que les casuistes ont
souvent agitée : « La peine de mort infligée à un magicien est‑elle
la conséquence de l’infidélité qui précède l’acte de magie, ou bien de la
conduite perverse qu’il a tenue et du mal qui en est résulté pour les
êtres ? » Car le magicien commet également ces deux crimes. Une
autre question a suscité une diversité d’opinions chez les casuistes, savoir,
la réalité de la magie. On sait que cet art, tel que les personnes des deux
premières classes l’exercent, a une existence réelle et extrinsèque, tandis que
celle de la troisième classe est sans réalité. Or quelques docteurs, ayant
regardé aux deux premières classes seulement, ont admis la réalité de la
magie ; d’autres, n’ayant observé que la troisième classe, ont été d’avis
que cet art n’était qu’une illusion. Dans le fond, ils avaient tous raison,
puisque la différence de leurs opinions provenait d’un [263]
malentendu ; ils n’avaient pas bien reconnu les caractères distinctifs de
chaque classe.
§
Nous assurons le lecteur que les hommes les plus
intelligents n’ont jamais eu le moindre doute relativement à l’existence de la
magie. Ils ont remarqué les effets qu’elle produit et que nous avons indiqués.
D’ailleurs, il en est question dans le Coran (sour. II, vers. 96), où Dieu
parle en ces termes : Mais les
démons furent infidèles : ils enseignèrent aux hommes la magie et ce qui
avait été révélé aux deux anges de Babel, Harout et Marout. Ceux‑ci
n’instruisent personne sans dire : « Certes, nous sommes ici pour te
tenter ; ne sois donc pas infidèle. » On apprend d’eux les moyens de mettre la désunion entre *128 la femme et son mari, mais ils sont
incapables de nuire à personne sans la permission de Dieu. Nous lisons aussi dans le Sahîh que le Prophète avait été
ensorcelé au point de s’imaginer qu’il faisait ce qu’en réalité il ne faisait
pas. Pour le fasciner ainsi on avait mis un charme dans un peigne, dans un
flocon de laine et dans une spathe de dattier, et on l’avait caché dans le
puits de Derouan (à Médine). Dieu envoya alors au Prophète les deux sourates préservatrices (la CXIIIe et la CXIVe), p.177 avec le
verset : Et contre la méchanceté des
(sorcières) qui soufflent sur des nœuds.
— « Il prononça cette
formule, dit Aïcha, sur chacun des nœuds qui avaient servi à l’ensorceler, et
chaque nœud se défit aussitôt de lui-même. »
§
La pratique de la magie était très répandue chez
les Chaldéens de la race nabatéenne et chez les Assyriens, peuples qui
formaient la population de Babel. Le Coran en parle souvent, ainsi que
l’histoire. Lors de la mission de Moïse, la magie jouissait d’un grand crédit à
Babel et en Égypte ; aussi les miracles opérés par ce prophète étaient-ils
du même genre que ceux dont les magiciens s’attribuaient la faculté et dont
ils s’occupaient à l’envi. Les Berbi (anciens
temples) de la haute Égypte offrent encore des traces de cet art et fournissent
de nombreux témoignages de son existence. Nous avons vu, de nos propres yeux,
un de ces individus fabriquer l’image d’une personne qu’il voulait ensorceler.
(Ces images se composent) de choses dont les qualités ont un certain rapport
avec les intentions et les projets de l’opérateur et qui représentent symboliquement,
et dans le but d’unir et de désunir, les noms et les qualités de celui qui
doit être sa victime. Le magicien prononce ensuite quelques paroles sur l’image
qu’il vient de poser (devant lui), et qui offre la représentation réelle ou
symbolique de la personne qu’il veut ensorceler ; puis il souffle et lance
hors de sa bouche une portion de salive qui s’y était ramassée et fait vibrer
en même temps les organes qui servent à énoncer les lettres de cette formule
malfaisante ; alors il tend au‑dessus de cette image symbolique [264]
une corde qu’il a apprêtée pour cet objet, et y met un nœud, pour
signifier [265]
(qu’il agit avec) résolution et persistance, qu’il fait un pacte avec le démon
qui était son associé dans *129 l’opération, au
moment où il crachait, et pour montrer qu’il agit avec l’intention bien arrêtée
de consolider le charme. A ces procédés [266]
p.178 et à ces paroles malfaisantes est
attaché un mauvais esprit qui, enveloppé de salive, sort de la bouche de
l’opérateur. Plusieurs mauvais esprits en descendent alors, et le résultat en
est que le magicien fait tomber sur sa victime le mal qu’il lui souhaite [267].
§
Nous avons vu une personne qui pratiquait la
magie, et qui n’avait qu’à diriger son doigt vers un habit ou une peau et
marmotter quelques paroles, pour que cet objet se déchirât en morceaux. S’il
faisait le même signe à des moutons dans un champ, leurs ventres crevaient à
l’instant et les intestins tombaient par terre. On m’a raconté qu’il y a
maintenant dans l’Inde des gens qui n’ont qu’à désigner un homme avec le doigt
pour lui enlever le cœur ; cet homme tombe mort, on ouvre le corps pour y
chercher le cœur ; mais il a disparu. Ils font le même geste en regardant
une grenade ; on ouvre ensuite le fruit et l’on n’y trouve pas un seul
grain. Nous avons entendu dire aussi que, dans le pays des Noirs et dans celui
des Turcs, il y a des enchanteurs qui obligent les nuages à verser leurs pluies
sur tel endroit qu’on veut.
§
Disons encore que la pratique de l’art
talismanique nous a fait reconnaître les vertus merveilleuses des nombres amiables [268] (ou sympathiques). Ces nombres sont ﻚﺭ et ﺪﻓﺮ , dont le premier est deux cent vingt et le second deux cent quatre‑vingt‑quatre [269]. On les nomme amiables parce que les parties aliquotes de l’un, c’est‑à‑dire la
moitié, le quart, le sixième, le cinquième, etc. étant additionnées, donnent
une somme égale à l’autre nombre [270].
Les personnes qui s’occupent des talismans p.179
assurent que ces nombres ont une influence (particulière, celle) d’établir
une union et une amitié étroite entre deux individus. Pour cela, on dresse un
thème pour chaque individu, l’un sous l’ascendant de *130 Vénus, pendant que cette planète est dans sa maison [271]
ou dans son exaltation [272] et qu’elle présente à la lune un aspect
d’amour et de bienveillance. Dans le second thème, l’ascendant doit être dans
le septième (de l’ascendant) du
premier individu [273].
Sur chacun de ces thèmes on inscrit un des nombres déjà indiqués, mais en
attribuant le nombre le plus fort [274]
à la personne dont on cherche à gagner l’amitié, c’est-à‑dire à l’objet aimé.
Je ne sais si, par le nombre le plus fort
on veut désigner celui qui énonce la plus grande quantité ou celui qui renferme
le plus de parties (aliquotes). Il en résultera une liaison si étroite entre
les deux personnes qu’on ne saurait les détacher l’une de l’autre. L’auteur du
Ghaïa et autres grands maîtres en cet art déclarent que cela [275]
s’est vu confirmer par l’expérience.
§
Le sceau du lion,
autrement appelé le sceau du caillou,
produit le même effet. Pour le fabriquer, on dessine sur un moule (ou coin
fait avec) du hind asbâ [276] la figure d’un lion qui dresse la queue et
qui mord sur un caillou de manière à le casser en deux morceaux ; un
serpent glisse d’entre ses jambes de devant et se retourne, la gueule béante,
vers la bouche du lion ; sur le dos du quadrupède on met la p.180 figure d’un scorpion qui rampe. Pour
fabriquer ce talisman, on attend que le soleil soit entré dans la première ou
dans la troisième face [277] du (signe du) Lion, et que les deux
grands luminaires se trouvent en bonne disposition et soient dépourvus de toute
influence sinistre. Quand le moment favorable se présente, on frappe (avec ce
coin) un (flan d’)or gros comme un mithcal [278]
ou même d’une moindre dimension ; on plonge (ensuite cette pièce) dans de
l’eau de rose saturée avec du safran, (puis) on (la) retire (après l’avoir
enveloppée) dans un chiffon de soie jaune. Selon les gens du métier, celui qui
tient [279]
ce talisman (dans la main) acquiert sur l’esprit du prince qu’il sert une
influence sans bornes, s’empare de son affection et l’assujettit à sa
volonté ; les princes acquièrent, par le même moyen, une influence énorme
sur leurs sujets. Il est fait mention de ce talisman dans le *131 Ghaïa et dans d’autres ouvrages qui traitent de ces matières. L’exactitude
du fait est, du reste, constatée par l’expérience.
§
Il en est de même de l’amulette [280] sextuple qui se rapporte spécialement
au soleil. Voici ce qu’en disent les maîtres de l’art talismanique :
« On le dresse au moment où le soleil, arrivé dans son exaltation [281], est dépourvu de toute influence
nuisible, et que la lune, dépourvue aussi de toute mauvaise influence, est dans
un ascendant royal, où l’on remarque
que le seigneur du dixième [282] regarde le seigneur de l’ascendant avec
un aspect d’amour et de bienveillance. (C’est le moment) où les p.181 nobles
indications, celles qui concernent les nativités royales, sont exactes.
Qu’il (l’amulette) soit plongé dans de l’eau parfumée et enlevé dans un
chiffon de soie jaune. » — « Cet amulette, disent‑ils, influe sur
les courtisans d’un souverain, sur ses serviteurs et sur ceux qui ont des
rapports avec lui. »
§
Il y a beaucoup d’autres charmes de ce genre. Le
Kitab el‑Ghaïa de Maslema Ibn Ahmed
el‑Madjrîti en offre le recueil le plus complet : il indique les amulettes
de toutes les espèces et discute les divers problèmes qui s’y rattachent. Nous
avons entendu dire que l’imam Fakhr ed‑Dîn Ibn el‑Khatîb composa, sur ce sujet,
un ouvrage qu’il intitula Es‑Sirr el‑Mektoum
(le secret caché). Ce volume, que nous n’avons jamais pu rencontrer, est,
dit‑on, d’un emploi général en Orient, chez les gens qui s’occupent de
talismans. On croit que l’imam n’était pas très habile dans cet art, mais il
est possible qu’on se trompe.
§
On trouve dans le Maghreb une classe de gens qui
se livrent aux pratiques de la magie et que l’on désigne par le nom de baadjîn (creveurs). Nous avons déjà
mentionné que, pour déchirer un habit ou une peau, ils n’ont qu’à les désigner
avec le doigt. Ils crèvent de la même manière le ventre des moutons. Il y a, de
nos jours, un de ces hommes ; on l’appelle El‑Baadj, parce qu’il emploie ordinairement la magie dans le but de
tuer le bétail. Il cherche ainsi à se faire craindre, afin d’obtenir des
propriétaires une part du produit de leurs troupeaux. Ceux qui lui font des
cadeaux se gardent bien d’en parler pour ne pas encourir la sévérité du
magistrat. J’ai rencontré plusieurs de *132 ces
sorciers ; j’ai été témoin de leurs méfaits et je tiens d’eux‑mêmes qu’ils
donnent à leur pensée une direction particulière et se livrent à des exercices
d’un genre spécial [283],
tels que des invocations impies et des tentatives pour associera leur œuvre la
spiritualité des génies et des astres. Ils étudient un livre qui traite de leur
métier et qui porte le titre d’El‑Khanzeriya (porcinarium) [284]. Au moyen de ces exercices p.182 et de la direction qu’ils donnent à leur
pensée, ils parviennent à faire les actes dont nous venons de parler. Leur
pouvoir ne s’étend pas sur l’homme libre, mais il atteint les effets mobiliers,
les bestiaux et les esclaves. Ils désignent ces objets par l’expression les choses pour lesquelles l’argent a
cours, c’est‑à‑dire les diverses espèces de propriétés qui peuvent se
vendre et s’acheter. Je tiens ces renseignements de quelques‑uns de ceux que
j’ai interrogés. Leurs actes sont manifestes et réels ; en ayant vu un
grand nombre, je ne conserve pas le moindre doute à cet égard. Voilà pour ce
qui regarde la magie, les talismans et leur influence sur les choses de ce
monde.
§
Les philosophes distinguent la magie de l’art
talismanique, tout en affirmant que (les effets de l’un et de l’autre) sont
également des impressions produites par l’âme humaine. Pour démontrer que la
faculté de faire ces impressions existe dans les âmes, ils font observer que
l’âme agit d’une manière surnaturelle, et sans l’emploi d’aucun moyen matériel,
sur le corps qui la renferme. « Et de plus, disent-ils, la nature de ces
impressions dépend de l’état de l’âme ; tantôt, c’est la chaleur qui se
produit dans le corps par suite d’un accès de joie et de gaieté ; tantôt,
c’est la formation de certaines pensées dans l’esprit, ainsi que cela arrive
par l’opération de la faculté qui forme des opinions. Ainsi l’homme qui se
promène sur le haut d’un mur ou d’une montagne escarpée tombera bien
certainement si l’opinion que ce malheur va lui arriver prend chez lui une
certaine force. Aussi voyons‑nous beaucoup de gens se livrer à des exercices
périlleux, *133 afin de s’habituer au
danger et de se garantir contre l’influence de l’imagination. On les voit
marcher sur le haut d’un mur ou sur le bord d’un précipice sans crainte de
tomber. Il y a donc là une impression faite par l’âme qui, en subissant
l’influence de la faculté qui forme les opinions, s’est figuré l’idée de
tomber. Or, puisque l’âme peut agir de cette manière sur le corps auquel elle
est jointe, et cela sans employer des moyens matériels et naturels, il est
permis de croire p.183 qu’elle exerce
une influence semblable sur d’autres corps que le sien. En effet, le rapport de
l’âme à tous les corps, en ce qui regarde ce genre d’impression, est un et le
même [285],
car elle n’est pas fixée et scellée dans son propre corps (de manière à ne pas
s’en détacher). Donc elle peut agir sur les autres corps. »
§
Voici, selon les philosophes, comment la magie
se distingue de l’art talismanique : le magicien n’a pas besoin, dans ses
opérations, d’un secours (extérieur), tandis que le talismaniste est obligé de
se faire aider par les spiritualités des astres, les vertus occultes des nombres,
les qualités essentielles des êtres et les positions de la sphère céleste, qui,
selon les astrologues, exercent des influences sur le monde des éléments.
« Dans la magie, disent‑ils encore, c’est un esprit qui s’unit à un
autre, et dans l’art talismanique, c’est un esprit qui s’unit à un
corps. » Par ces mots, ils donnent à entendre que les natures supérieures
et célestes se lient avec les natures inférieures. Les natures supérieures, ce
sont les spiritualités des astres ; aussi, les personnes qui composent des
talismans ont‑elles ordinairement recours aux pratiques de l’astrologie.
§
Les mêmes philosophes enseignent que l’art de la
magie ne s’acquiert pas ; au contraire, disent‑ils, le magicien est créé
avec une disposition spéciale pour l’exercice de ce genre d’influence.
« Voici, ajoutent‑ils, comment un miracle opéré par un prophète peut se
distinguer d’un effet de magie : chez le prophète, la puissance divine
excite dans *134 l’âme la faculté de
faire (sur les êtres) une impression miraculeuse ; il est donc aidé, dans
cette opération, par l’esprit de Dieu. Le magicien, au contraire, agit de
lui-même, par la puissance de sa propre âme, et, dans certains cas, avec le
secours des démons. Il y a donc entre ces deux (classes d’hommes) une
différence intelligible, réelle et essentielle.
§
De notre côté, nous indiquerons comment on peut
distinguer entre un prophète et un magicien au moyen de signes extérieurs. Un
miracle ne peut s’opérer que par un homme de bien et dans une bonne p.184 intention ; il ne peut procéder que
d’une âme prédisposée à la vertu et doit être annoncé d’avance par le prophète
comme preuve de sa mission. Quant à la magie, elle ne s’exerce que, par des
hommes méchants, des âmes portées naturellement vers le mal [286],
et elle produit ordinairement des effets nuisibles, comme, par exemple, la
désunion mise entre deux époux ou le préjudice porté à ceux dont on est
l’ennemi. Voilà, selon les philosophes théologiens, comment le miracle se
distingue de l’acte de magie [287].
§
On trouve quelquefois chez les Soufis qui
opèrent des prodiges par la faveur de Dieu, la faculté d’exercer une influence
sur les choses de ce monde, influence qu’il ne faut pas confondre avec la
magie. Elle se manifeste avec le concours de la divinité, vu que la profession
et la voie (ou pratique) du soufisme est un reste et une suite du prophétisme.
Dieu accorde aux Soufis un abondant secours ; il les aide selon la hauteur
qu’ils ont atteinte dans la vie mystique, selon l’intensité de leur foi et leur
attachement à la parole divine [288].
Si quelqu’un d’entre eux avait le pouvoir de mal faire, il ne l’exercerait
pas : soit qu’il agisse, soit qu’il s’abstienne, il est lié par l’ordre de
Dieu. Le Soufi ne fait jamais rien sans en avoir reçu l’autorisation ;
s’il agissait autrement, il s’écarterait du sentier de la vérité et, décherrait
très probablement du degré de spiritualisme auquel il était parvenu.
§
Puisque tout miracle s’opère avec le secours de
l’esprit de Dieu et au moyen des influences divines, aucun effet de magie ne
peut *135 lui résister. Voyez, par exemple,
ce qui arriva aux magiciens de Pharaon dans leur lutte avec Moïse : Son
bâton avala ce qu’ils avaient contrefait.
(Coran, sour. VII, vers. 114).
Leur magie disparut, anéantie comme si elle n’avait jamais existé. Pensez aussi
au [289]
verset que le Prophète reçut de Dieu avec les deux sourates
préservatrices [290] :
Et p.185 (délivre‑nous) de la
méchanceté des (sorcières) qui soufflent sur des nœuds. — « Il récita cette formule,
dit Aïcha, sur chacun des nœuds qui avaient servi à l’ensorceler, et chaque
nœud se défit de lui-même. » La magie ne tient pas devant le nom de Dieu,
pourvu qu’on l’invoque avec une foi sincère.
§
Les historiens racontent que, sur le Direfch Kavian [291], ou oriflamme de Chosroès (roi de
Perse), on voyait l’amulette centuple
formé de nombres [292]. On y avait brodé ce symbole sous
certains ascendants de la sphère céleste, ascendants dont on avait attendu
l’apparition avant de commencer le travail. Lors de la déroute totale de
l’armée persane à Cadéciya et la mort de Rostem sur le champ de bataille, on
trouva l’étendard, qui était tombé par terre. Selon les personnes qui s’occupent
de talismans et d’amulettes, cette figure avait pour but d’assurer la victoire
à l’étendard qui la porterait ou qui serait auprès d’elle ; jamais cet
étendard ne devait reculer. Cette fois‑ci, il rencontra un obstacle dans la
puissance divine, dans la foi qui animait les anciens Compagnons du Prophète et
dans leur attachement à la parole de Dieu. Par cette parole, chaque nœud de la
magie fut brisé et ce qu’on avait opéré
demeura anéanti. (Coran, sour.
VII, vers. 115.)
§
La loi divine ne fait aucune distinction entre
la magie, l’art talismanique et celui des prestiges ; elle les range tous
dans la catégorie des choses défendues. Le législateur autorise tout ce qui
dirige nos pensées vers la religion, parce qu’elle nous assure le bonheur dans
l’autre vie ; il permet les actes qui, en nous procurant la nourriture, p.186 assurent notre bien‑être en ce monde. Quant
aux actes qui ne nous regardent pas sous ces deux rapports, ils peuvent se
classer ainsi *136 ceux qui sont plus ou
moins nuisibles, la magie, par exemple, qui produit réellement le mal ;
l’art des talismans, dont les effets sont identiques avec ceux de la
magie ; et l’astrologie, art dangereux par son caractère parce qu’il
enseigne à croire aux influences (des astres) et porte atteinte aux dogmes de
la foi en attribuant les événements (de ce monde) à un autre que Dieu. Toutes
ces pratiques sont condamnées par la loi à cause de leur affinité avec le mal.
Quant aux actes qui ne nous intéressent pas et qui ne renferment rien de mal,
l’homme qui s’en abstient ne s’éloigne pas de la faveur divine : le
meilleur témoignage qu’on puisse donner de sa soumission à la volonté de Dieu,
c’est de s’abstenir des actes qu’on n’a aucun intérêt à accomplir. La loi a
donc rangé la magie, les talismans et les prestiges dans une seule catégorie, à
cause du mal qui leur est inhérent ; elle les a spécialement défendus et
condamnés.
§
A la manière dont les philosophes prétendent
distinguer entre un miracle et un effet de magie, on peut opposer celle des
théologiens scolastiques : « Voyez, disent‑ils, s’il y a un tahaddi », c’est‑à‑dire une déclaration préalable de l’arrivée
d’un miracle conforme à ce qu’on annonce [293].
Ils enseignent aussi l’impossibilité d’un miracle qui viendrait confirmer un
mensonge : « La simple raison, disent‑ils, nous indique que la
qualité essentielle d’un miracle, c’est de confirmer une vérité ; si un
miracle avait lieu pour appuyer un mensonge, le (prophète) véridique serait
changé en menteur ; ce qui est absurde. Il faut donc admettre, comme un
principe absolu, qu’un miracle ne peut jamais s’opérer pour accréditer un
mensonge. »
§
Nous avons déjà mentionné que les philosophes
(musulmans) mettent entre les miracles et les effets de la magie la même
distance qui sépare les deux extrêmes du bien et du mal. Le magicien est donc
incapable de produire le bien ou d’employer son art dans une bonne p.187 intention ; celui, au contraire, qui
fait des miracles n’a pas le pouvoir d’opérer le mal, ni de faire usage des
moyens qui puissent le causer. Donc les prophètes et les magiciens se trouvent
placés, par leur caractère inné, à deux extrémités opposées, dont l’une est le
bien et l’autre le mal.
§
(Section.)
*137 Les effets produits par le mauvais œil se rangent parmi les
impressions qui résultent de l’influence de l’âme. Ils procèdent de l’âme de
l’individu doué de la faculté du mauvais œil et ont lieu quand il voit une
qualité ou un objet dont l’aspect lui fait plaisir. Son admiration devient si
forte qu’elle fait naître chez lui un sentiment d’envie joint au désir
d’enlever cette qualité ou cet objet à celui qui le possède. Alors paraissent
les effets pernicieux de cette faculté, c’est‑à‑dire du mauvais œil, faculté
innée, qui tient à l’organisation de l’individu. Ces effets diffèrent de tous
les autres qui se produisent par l’influence de l’âme : ils dérivent d’une
faculté innée qui ne reste pas inerte, qui n’obéit pas à la volonté de celui
qui la possède, et qui ne s’acquiert pas. Les autres impressions produites par
l’âme dépendent de la volonté de celui qui les opère, bien qu’elles procèdent
d’une faculté non acquise (c’est‑à‑dire innée). La disposition innée (de
l’individu) est (donc) capable de produire certaines impressions, mais elle
n’est pas (toujours) la puissance qui les effectue. Voilà pourquoi l’homme dont
le mauvais œil a causé la mort de quelqu’un n’encourt pas la peine capitale,
tandis que celui qui ôte la vie à son semblable par l’emploi de la magie ou des
talismans [294]
est condamné au dernier supplice. En effet, un malheur causé par le mauvais œil
ne provient pas de l’intention de l’individu, ni de sa volonté, ni même de sa
négligence ; cet homme est formé par la nature [295]
de manière que ces impressions procèdent de lui (sans le concours de sa
volonté). Au reste, Dieu le Très Haut en sait plus que nous.
[1]
Le commencement de ce chapitre a été traduit par M. de Sacy et inséré dans la
notice des Vies des soufis, par
Djamê. (Voy. Notices et Extraits, t. XII, p. 298.) Je reproduis ici
cette traduction avec quelques modifications.
[2]
Les deux termes s’emploient indifféremment pour désigner les mystiques. M. de
Sacy en a déjà fait la remarque.
[3]
J’ai déjà parlé de ce célèbre hagiographe ; voyez la 1e
partie, p. 456.
[4]
Certains pauvres musulmans, contemporains de Mohammed, dormaient dans la
mosquée de Médine pendant la nuit, et se tenaient assis sur une banquette, à
l’extérieur de la mosquée, pendant le jour. Abou Horeïra l’aveugle, ce
Compagnon et protégé de Mohammed, qui nous a transmis tant de traditions dont
plusieurs sont évidemment mensongères, était un des gens de la banquette ou sofa (en
arabe soffa).
[5]
Selon M. de Sacy, le mot ﺪﺠﺍﻮﻣ est le pluriel de ﺪﺠﻮ .
[6]
L’auteur aurait dû écrire ﻩﺭﻛﻓﻭ ﺭﻛﻔﻠﺎﺒ
« par la réflexion, et cette réflexion », etc. (Voy. ce qu’il
a dit à ce sujet dans la 2e partie, p. 425)
[7]
Voyez la 2e partie, p. 426.
[8]
Littéral. « une espèce ».
[9]
Il faut insérer ﻻ entre ﻥﺍ et ﻥﻭﻜﺗ .
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac offrent la benne leçon. Le traducteur
turc l’a adoptée.
[10]
C’est‑à‑dire une modification qu’elle éprouve.
[11]
Le terme employé ici est tauhîd. Plus loin on le verra prendre une autre
signification, celle de l’unification ou identité de l’homme avec
Dieu.
[12]
C’est‑à‑dire, les modifications durables et passagères de l’âme. (S. de S.) —
Voy. ci-dessus, p. 87.
[13]
Littéral. « les fruits ».
[14]
Selon l’auteur du Tarîfât, le terme ﺓﺪﺭﺍﻭ désigne toutes les idées des choses
du monde invisible qui surviennent dans le cœur de l’homme sans aucun effort de
sa part.
[15]
C’est‑à‑dire, par une lumière intérieure qui est une sorte d’inspiration
divine. (S. de S.)
[16]
Dans les extases, l’âme reçoit des révélations ; telle est l’opinion des
Soufis.
[17]
Dans le style des Soufis, le mot ﻞﺎﺟﺭ (hommes) est souvent employé pour
dire : les hommes distingués par leur avancement dans la vie
spirituelle. (S. de S.)
[18]
Abou Abd Allah el‑Hareth Ibn Aced el‑Mohacebi, auteur d’un traité renfermant la
biographie des Soufis et l’exposition de leur doctrine, mourut l’an 243 (857‑858
de J. C.).
[19]
Voyez la 1e partie, p. 456, note 1.
[20]
Abou Hafs Omar es‑Sohrewerdi, grand maître des Soufis de Baghdad et auteur du
célèbre traité intitulé Aouaref el-Maaref
(les dons de connaissances
spirituelles), mourut dans cette ville, l’an 632 de l’hégire (1234 de J.
C.).
[21]
L’Ihya oloum ed‑dîn (réanimation
des sciences religieuses) remplit deux gros volumes. M. Gosche a donné la liste
des chapitres de cet ouvrage dans sa notice sur El‑Ghazzali. (Voy. Mémoires de l’Académie de Berlin pour
l’an 1858.)
[23]
Le terme arabe est dikr (souvenir).
Il consiste maintenant chez les Soufis et derviches en la récitation du
chapelet et des litanies, accompagnée de mouvements de corps très désordonnés.
On trouvera dans l’ouvrage de M. Lane, intitulé, Modern Égyptians, une description détaillée de ces pratiques.
[24]
J’ai déjà fait remarquer que l’auteur emploie les termes ﺡﻭﺭ et ﺲﻔﻨ pour désigner
l’âme de l’homme.
[25]
La signification du mot ﻰﻨﺪﻠ est expliquée dans la 1e partie, p.
202, note 1.
[26]
Le mot ﺡﺗﻓ (ouverture) est employé dans ce langage pour
désigner toutes sortes de faveurs extraordinaires que Dieu accorde aux
mystiques fort avancés dans la vie spirituelle. Cette expression vient de ce
que pour dire Dieu lui accorde des
bienfaits, on dit : Dieu lui
ouvre la porte des bienfaits. (S. de S.) Il signifie aussi des émanations
subites et inattendues de la part du premier agent, c’est‑à‑dire de Dieu.
[27]
Cet horizon est la station la plus élevée à laquelle l’âme puisse
atteindre.
[28]
Le mot ﺔّﻣﻫ est souvent employé dans les
écrits des mystiques, pour signifier les vœux, les prières ou les
bénédictions qu’un personnage réputé
saint fait pour le succès d’une entreprise quelconque, et qui doivent en
faciliter ou en assurer la réussite. (S. de S.)
[29]
Ce mot est mis ici pour la rime ; dans le langage des Soufis il ne paraît
pas avoir une acception particulière.
[30]
Selon l’auteur du Tarîfat, le mot ﺔﻳﻨﺍﺪﺟﻮ signifie ce qui s’aperçoit
au moyen des sens intérieurs ﺔﻨﻂﺎﺑﻠﺍ ﺲﺍﻭﺣﻠﺎﺒ
ﻪﻜﺮﺪﻣ ﻥﻭﻛﻳ ﺎﻣ — Ici finit l’extrait publié par M.
S. de Sacy. Tout ce qui suit dans l’édition de Paris, à partir du mot
ﺖﺎﻳﻨﺍﺪﺠﻭﻠﺍ , jusqu’au mot ﺎﻣﺒﺭﻮ , dans l’avant‑dernière ligne de la page 68, ne
se trouve que dans le manuscrit A. Le traducteur turc a reproduit cette
addition sans aucune observation ; j’ai mis entre des crochets les paragraphes
dont elle se compose.
[31]
Lisez ﻼﻴﺼﻔﺗ .
[32]
Je lis ًﻻّﻭﺍ à la place de ﻻﻭﺍ , comme l’a fait le traducteur turc, qui a rendu
ce mot par le terme équivalent, ﺍﺪﺗﺒﺍ .
[33]
Lisez ici ﻩّﺪﺿﻮﺍ , ainsi que dans la ligne qui précède.
[34]
Hadji Khalifa ignorait la date de la mort de ce docteur, qu’il appelle Abd Allah Ibn Mohammed el‑Fihri et‑Tilimçani (natif de Tlemcen) ; mais il
nous apprend qu’outre le commentaire sur le Lomâ il en composa un autre
sur le Maalem de Fakhr ed‑Dîn er‑Razi.
[35]
Le terme arabe est ﺔﻴﻮﻫ ; pour le rendre en français, il faudrait inventer
un mot comme ipséité.
[36]
Littéral. « les gens de la vérité ».
[37]
Voy. 1e partie, p. 456, note 1.
[39]
L’idée d’unification s’exprime en arabe par le mot taouhîd, qui
signifie aussi confesser l’unité de
Dieu. Les Soufis adoptèrent ce terme précisement à cause de sa double
signification et parce que, pour les profanes, il n’impliquait aucune autre
idée que celle de la conviction de l’unité de Dieu. Ce fut là une supercherie
qui déjà se laisse entrevoir dans les observations d’Ibn Khaldoun et qui est
maintenant bien constatée. Djamé, le célèbre poète mystique, a évidemment
compris la signification que les Soufis des hauts grades assignaient au mot taouhîd, mais il s’est efforcé de la déguiser. (Voy. Notices et Extraits, t.
XII, p. 345 et suiv.) Cette équivoque ne saurait se rendre
dans une traduction.
[40]
Voy. la 1e partie, p. 199.
[41]
Pour rendre le texte arabe intelligible il faut insérer le mot ﺎﻬﻠ avant ﺪﻮﺠﻮ
).
[42]
Fin de l’addition fournie par le manuscrit A, et adoptée par le traducteur
turc.
[43]
Pour ﺖﺍﺪﻮﺠﻮﻣﻠﺍ ﻒﺷﻜ ﻰﻓ ﻚﻠﺬ , lisez ﺪﻮﺠﻮﻣﻠﺍ ﻒﺷﻜ ﻚﻠﺬ ﻰﻓ .
[44]
Quelques Soufis regardaient comme des apparences
ﺭﻫﺎﻅﻣ ( φαινόμενα) tout ce qui compose le monde sensible. — Dans l’édition de Paris
la même phrase se trouve répétée sous une autre forme plus simple ; mais
cela provient du copiste, qui a reproduit, sans y faire attention, le texte de
la rédaction primitive que l’auteur avait supprimée ; aussi faut‑il
biffer les dernières lignes de la page, à commencer par le mot ﺎﻣﺒﺭﻮ , dans
l’avant‑dernière ligne, et à finir par ﻪﻗﻳﺎﻗﺣ , dans la dernière ligne. Le
traducteur turc n’a reconnu que la nouvelle rédaction.
[45]
Selon Hadji Khalifa, Mohammed Ibn Ahmed el‑Ferghani mourut postérieurement à
l’année 700 (1300). Ce fut lui qui, le premier, composa un commentaire sur le Taïya d’Ibn el‑Fared.
[46]
Le grand poète mystique Omar Ibn el‑Fared mourut au Caire, l’an 632 (1235 de J.
C.). Sa célèbre cacîda ou poème sur le soufisme, intitulée Taïya, a été publiée par M. de Hammer en
1854. M. Grangeret de Lagrange a publié d’autres poèmes du même auteur dans son
Anthologie arabe, et M. de Sacy eu a
donné d’autres dans le troisième volume de sa Chrestomathie arabe. La collection complète des poèmes d’Ibn Fared,
avec un double commentaire, a été imprimée à Marseille en 1855, par les soins
de Rochaïd Dahdah ; 1 vol, in‑8° de 608 pages.
[47]
J’ai dû inventer les mots unitisme et
unéité pour représenter les termes
ﺔﻳﻨﺍﺪﺣﻮ (ouahdaniya) et ﺔﻳﺪﺣﺍ (ahdïya) ; le mot
ﺓﺩﺤﻮ (ouehda) signifie unité.
[48]
Je lis ﺭﻅﻬﻣ avec les manuscrits C et D, l’édition de Boulac et la traduction
turque.
[49]
Selon El‑Djordjani, la hadra, ou
présente amaïenne, est le degré
de l’unité (ouehdiya), c’est‑à‑dire, probablement, le plus
haut degré de l’échelle des manifestations divines. Selon un auteur cité dans
le Dictionary of technical terms, cette
présence est la vérité des vérités,
qui n’a pour attribut ni la nature de l’Être divin (hakkiya) ni celle des
êtres créés (khalkiya). C’est une essence simple, etc..… et,
sous un certain rapport, elle est la contre‑partie de l’unité. Le terme amaïenne (ﺔﻳﺋﺎﻣﻋ) dérive de amâ (ﺀﺎﻣﻋ)
« nuage élevé ».
[50]
Pour ﺔﻴﺪﺣﻣﻠﺍ , lisez ﺔﻴﺪﻣﺣﻣﻠﺍ .
[51]
Par le mot présence (hodour) doit
s’entendre une manifestation de la
divinité. Il y a plusieurs degrés de présence,
selon la doctrine des Soufis exaltés. Le terme hébaïenne (ﺔﻴﺋﺎﺒﻫ)
est dérivé de hebâ, mot servant à
désigner les atomes ou grains de poussière qui flottent dans l’atmosphère d’une
chambre éclairée par un rayon de soleil. Il est employé par les mystiques pour
désigner la manifestation par laquelle Dieu crée les choses avec la matière
abstraite (ύλη), qu’il convertit en
substance par l’adjonction de la forme. « Le hebâ, dit l’auteur du Tarîfat,
est cela dans lequel Dieu a ouvert (a
produit à l’improviste) les corps de l’univers, bien qu’il (ce hebâ)
n’ait aucune existence propre, excepté par les formes que Dieu a ouvertes en lui. On le désigne par le
mot anca (phénix), parce qu’on en parle, bien qu’il n’ait pas une
existence réelle. »
[52]
Pour ﺭﺩﻗﻴ , lisez ﺭﺪﺘﻗﻳ .
[53]
Selon les Soufis, le terme ﺓﺩﻫﺎﺷﻣﻠﺍ , car c’est ainsi qu’il faut lire dans le
texte arabe, désigne l’acte de contempler les choses en suivant les indications
de la confession de l’unité ; ce qui paraît signifier : « voir
les choses en Dieu, de même qu’on voit Dieu dans les choses. »
[54]
L’édition de Boulac et la traduction turque portent Dihcan ﻥﺎﻗﻫﺪ . J’ai
cherché inutilement les deux noms dans les listes de Hadji Khalife et de Djamê.
[55]
Voy. la 1e partie, p. 100.
[56]
Variante : « Dihcan ».
[57]
En arabe ﻥﻳﻘﻘﺣﻣﻠﺍ (vérificateurs), terme qui paraît désigner, dans le langage des Soufis, les
personnes qui sont arrivées à la connaissance des grandes vérités.
[58]
Littéral. « le connaissant vérificateur ».
[59]
Littéral. « les degrés des gens de cette voie ». Dans le texte arabe
il faut lire ﺔﻗﻳﺭﻃﻠﺍ à la place de ﻕﻳﺭﻃﻠﺍ .
[60]
Abd Allah Ibn Mohammed Ibn Ismaïl el‑Ansari, surnommé El‑Herouï (natif ou
originaire de Herat), soufi célèbre et docteur de l’école hanbelite, mourut
l’an 481 (1088-1089 de J. C.). Son ouvrage intitulé Menazil es‑Saïrîn (lieux de
halte pour ceux qui marchent (dans la
voie de la dévotion) jouit d’une grande réputation et a eu
plusieurs commentateurs.
[61]
Voy. la 2e partie, p. 191.
[63]
Voy. ci-devant, p. 98.
[64]
Le Kitab el‑Icharat oua’t‑tenbîhat (livre d’indications et d’avertissements),
petit manuel de logique et de métaphysique composé par le célèbre Avicenne, a
eu un grand nombre de commentaires. L’auteur mourut l’an 438 (1037 de J. C.).
La vie d’Avicenne se trouve dans Ibn Khallikan, tome I de ma traduction, page
440.
[65]
Voy. la 2e partie, p. 168.
[66]
Ibid. p. 191.
[67]
La conduite de la plupart des Compagnons, et surtout celle de leurs chefs,
prouvent directement le contraire. Par leur ambition et leur cupidité ils
plongèrent les musulmans dans une guerre civile, qui fut le salut du
christianisme.
[68]
Ce passage manque dans les manuscrits C et D, et dans l’édition de Boulac. Il
se trouve dans le manuscrit A et dans la traduction turque.
[69]
C’est‑à‑dire entre le sens littéral et le sens allégorique des
textes sacrés.
[70]
Voyez la 1e partie, p. 89, et Coran, sour. II, vers. 252.
[71]
C’est‑à‑dire de ceux qui connaissaient la vérité, des initiés dans l’ordre.
[72]
Ce personnage m’est inconnu ; El-Maccari, l’historien de l’Espagne, n’en
parle pas.
[73]
Le mot ﻰﻠﻋ est de trop.
[74]
Djamê a donné ces vers, avec une seule variante de peu
d’importance, dans son Nefehat el‑Ins. M. de Sacy les a reproduits dans sa
notice sur ce traité. (Voy. Notices et
Extraits, t. XII, p. 352, 391).
[75]
Littéral. « la négation de la réalité (aïn) de la nouveauté par
l’affirmation de la réalité de l’Éternel. »
[77]
Le terme présence du sens sert à désigner ces manifestations de la
divinité, dont l’homme ne s’aperçoit qu’au moyen de son sens intérieur. (Voy.
ci-devant, p. 99.)
[78]
Il faut lire, dans ce passage, ﺪﻮﺟﻮﻮ à la place de ﺪﻮﺟﻮ , ﻢﻫ à la place de ﻢﻫﻭ
, et ﻝﻼﻅﻠﺍ à la place de ﻝﻼﻀﻠﺍ.
[79]
Poète célèbre et auteur d’une des sept Moallacas.
[80]
Pour ﺪﺠﻮﻣ , lisez ﺪﺣﻮﻣﻮ , correction autorisée par les manuscrits C et D.
[81]
Pour ﺪﻭﺑﻌﻣ , lisez ﻩﺪﻭﺑﻌﻣ . Toutes ces corrections sont autorisées par le manuscrit
C et par la traduction turque. Le paragraphe entier est omis dans l’édition de
Boulac.
[82]
Pour ﻚﻟﺬ ﻞﻣﺤ , lisez ﻚﻟﺬ ﻰﻠﻋ ﻞﻣﺤ avec les manuscrits C et D, et la traduction
turque.
[83]
En arabe ﺔﻳﻌﻔﺷ . Ce terme signifie, dans le langage des Soufis, que Dieu et le
monde font la paire. Il désigne donc une espèce de dualisme.
[84]
C’est‑à‑dire « Dieu entendait par mes oreilles et voyait par mes
yeux. » A la place de ﺕﻨﻜ ﻪﻠﻭﻗﺒ , on lit dans les
manuscrits ﺕﻨﻜﺒ , ce qui signifie la même chose.
[85]
Celui-ci est le personnage dont notre auteur parle si souvent dans son
autobiographie.
[86]
Pour ﺔﺒﺴﺎﺣﻣ , lisez ﺔﺒﺴﺎﺣﻣ ﻮ .
[87]
Voy. la 1e partie, p. 191.
[88]
L’explication du mot ﻯّﺪﺣﺗ se trouve
dans la 1e partie, p. 190 et suiv.
[89]
Ceci fait voir que, dans la première partie, les mots ﺲﻓﻨﻠﺍ ﺖﺎﻔﺼ ont été mal
rendus par les attributs de l’âme. (Voy. p. 192, l. 11 de la
traduction. J’aurais dû écrire : « les qualités essentielles du miracle seraient changées en leurs contraires. » Le mot ﺲﻓﻨﻠﺍ
est employé là pour ﺓﺯﺠﻌﻤﻟﺍ ﺎﺳﻔﻨ, c’est‑à‑dire l’individualité du miracle, le
miracle même.
[90]
Voy. ci-devant, p. 64 et suiv.
[91]
Soufi célèbre qui mourut en 261 (874‑875 de J. C.). Ibn Khallikan lui a
consacré un article dans son dictionnaire biographique. (Voy. ma traduction de
cet ouvrage, vol. I, p. 662.)
[92]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﺔﻔﻮﺼﺗﻣﻠﺍ , à la place de
ﺔﻳﻔﻮﺼﻠﺍ.
[93]
El‑Halladj fut mis à mort l’an 309 (922 de J. C.). Une de ses paroles
était : Je suis la vérité, c’est‑à‑dire, je suis Dieu. Il disait aussi : Quand tu me vois, tu le vois, et quand tu le vois, tu nous vois. On
trouvera l’histoire de son procès dans la traduction d’Ibn Khallikan,
volume I. p. 423.
[94]
Je lis ﻕﻓﻮﻣﻠﺍ ﻪﻟﻟﺍﻮ avec les manuscrits C et D, l’édition de Boulac et la
traduction turque. L’édition de Paris donne la leçon du manuscrit A, laquelle
signifie : Dieu connaît la vérité de la chose. Mais cette
expression ne s’emploie qu’en parlant des choses au sujet desquelles on
entretient des doutes ; et Ibn Khaldoun, qui avait des idées bien arrêtées
au sujet du soufisme et qui croyait aux perceptions recueillies dans le monde
invisible, ne pouvait terminer son chapitre sur ce sujet par une phrase de ce
caractère
[95]
C’est‑à‑dire l’ancien système.
[96]
Voy. la 1e partie, p. 215.
[97]
Littéral. « le monde de la chose ».
[98]
Le mot ﻪﻨﻣ est inutile et ne se trouve ni dans l’édition de Boulac ni dans les
manuscrits C et D.
[99]
Les deux paragraphes suivants ne se trouvent que dans le manuscrit A et dans la
traduction turque.
[100]
Lisez ici et dans la ligne précédente ﻰﺋﺍﺭﻟﺍ (le voyant) à la place de
ﻯﺍﺭﻟﺍ. Cette correction est justifiée par la traduction turque.
[101]
Littéral. « que la négligence et l’oubli ne sauraient l’effacer ».
[102]
Littéral. « et n’est pas soumise à un ordre ».
[103]
L’auteur a déjà cité cette tradition dans ce chapitre et dans la 1e
partie, p. 213.
[104]
Pour ﻯﺍﺭﻤﻠﺍ , lisez ّﻯﺀﺭﻤﻠﺍ .
[105]
Célèbre traditionniste et interprète de songes. Il mourut l’an 110 (729 de J.
C.). Le traité d’onéirocritique qui porte son nom ne me paraît pas authentique.
[106]
Haddji Khalifa nous apprend, dans son dictionnaire bibliographique, articles El‑Eïchara ila eïlm il‑eïbara, et Kitab et-Tabîr, que cet auteur portait
le surnom d’Abou Ishac. Il paraît avoir ignoré la date de sa mort. Selon M.
Wüstenfeld, dans son Histoire des
médecins arabes (en allemand), page 11, Abou Ishac el‑Kermani vivait vers
le commencement du IIIe siècle de l’hégire.
[107]
Selon Haddji Khalifa, ce personnage se nommait Abou Abd Allah Mohammed Ibn Omar es‑Salemi, mais il n’indique pas
l’année de sa mort. Es‑Salemi avait refondu l’ouvrage d’El‑Kermani dans un
volume renfermant cinquante chapitres.
[108]
Je lis ﺎﻫﺭﺼﺧﺍﻮ , avec le traducteur turc, qui a rendu ce mot par ﺭﺼﺗﺧﻤ . Le
passage manque dans l’édition de Boulac et dans les manuscrits C et D.
[109]
Le terme arabe hikma est l’équivalent
exact du terme exotique filsefya (philosophique).
L’auteur les emploie ici tous les deux.
[110]
Il faut lire ﻪﺗ ﺪﻳﺎﻔ , à la place de ﺎﻬﺗ ﺪﻳﺎﻔ , Les manuscrits C et D et
l’édition de Boulac offrent la bonne leçon.
[111]
Voy. la 1e partie, p. 201, note 3.
[112]
Le passage mis entre parenthèses ne se trouve que dans le manuscrit A.
[113]
Littéral. « séparées ﺔﻟﺻﻓﻨﻣ ».
[114]
Littéral. « conjointes ﺔﻠﺻّﺘﻣ ».
[115]
Littéral. « une autre branche de l’observation des étoiles, c’est la
science des jugements stellaires. »
[116]
Littéral. « l’empire et le sultanat étaient à eux ».
[117]
Pour ﻡﻬﻨﻣ , lisez ﻡﻬﻴﻔ .
[118]
Pour l’histoire de ces deux anges déchus, qui enseignèrent la magie aux hommes,
on peut voir le Coran, sour. II, vers. 96, et la note de Sale dans sa traduction
de ce livre.
[119]
Les temples de l’ancienne Égypte. (Voy. la 2e partie, p. 331.)
[120]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻞﺎﺼﺗﺍﻭ (connexité).
[121]
Selon le traducteur turc, ces sages étaient Pythagore, Empédocle, Socrate,
Platon et Aristote.
[122]
Lisez, dans le texte arabe, ﻥﻮﺀﺎّﺷﻤﻠﺍ .
[123]
L’auteur a confondu les péripatéticiens avec les stoïciens, le Lycée avec le
Portique.
[124]
Le texte porte : « à Socrate du tonneau ». Ibn Khaldoun, à
l’exemple de Djemal ed‑Dîn el‑Kifti, auteur du dictionnaire biographique des
philosophes, attribue à Socrate ce qu’on raconte de Diogène. Le traducteur turc
a passé par‑dessus le mot ﻥﺪﻠﺍ (le tonneau). Il a connu trop bien l’histoire de
la philosophie grecque pour se laisser tromper.
[125]
Ibn Khaldoun ne paraît pas s’être douté qu’Alexandre d’Aphrodisée était venu au
monde plus de cinq siècles après Aristote.
[126]
La traduction turque porte ﺭﻮﺎﻛ ﻪﻟﺎﻤﻛ
ﻪﺠﺭﺩ (arriva au degré de la perfection.)
[127]
Je lis ﺍﻮﻗﻮﺸﺗ , avec le manuscrit D et l’édition de Boulac. Le traducteur
turc a suivi cette leçon puisqu’il l’a rendue par le mot ﻖﺎﻴﺗﺸﺃ .
[128]
Les manuscrits, l’édition de Boulac et la traduction turque fournissent la
leçon ﻩﻮﺼﺘﺧﺍﻮ , celle qu’il faut substituer à ﺍﻮﺼﺗﺧﺍ , leçon de l’édition de
Paris.
[129]
Littéral. « auprès de qui la rénommée s’était arrêtée ».
[130]
Voy. la 2e partie, p. 418.
[131]
Ibn Khallikan a donné une notice d’Ibn es‑Saïgh (Ibn Baddja, connu en Europe
sous le nom d’Avenpacé) dans son dictionnaire biographique, vol. III de
ma traduction. M. de Gayangos a publié dans sa traduction de l’histoire
d’Espagne d’El‑Maccari, vol. I, appendice, p. 12, la vie de ce philosophe,
traduite de l’arabe d’Ibn Abi Osaïbiya. M. Munk a donné des notices sur les
philosophes nommés ici par Ibn Khaldoun. (Voyez son savant ouvrage intitulé Mélanges de philosophie
juive et arabe.)
[132]
Djaber Ibn Haïyan, natif de Tarsus, s’établit dans la ville de Koufa et compila
dans un grand ouvrage les doctrines de l’imam Djafer es‑Sadec, dont il fut le
disciple. Cette indication montre qu’il était encore vivant au milieu du VIIIe siècle de
notre ère. Il composa plusieurs traités sur l’alchimie. En Europe, les adeptes
du moyen âge faisaient le plus grand cas de ses écrits : Geber, c’est‑à‑dire
Djaber, était pour eux le premier des alchimistes. — Le passage mis entre des
parenthèses manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[133]
Voyez plus loin, p. 172, une note sur Maslema.
[134]
Je suis l’édition de Boulac, qui porte ﺎﻣﻫﺒ à la place de ﻪﺑ , et ﺎﻣﻫﻨﻣ à la place de ﻪﻨﻣ .
[135]
La leçon du texte imprimé n’est justifiée ni par l’édition de Boulac ni par
les manuscrits C et D. Je crois qu’il faut lire ﺡﻴﺛ , nom d’action d’un verbe
qui signifie s’accroupir, se
tenir prêt pour sauter sur sa proie ou pour éviter un
danger, guetter, se tenir sur ses gardes, et qui se construit avec la
préposition ﻥﻣ . Notre auteur a déja employé ce mot dans la 1e
partie des Prolégomènes, p. 24, l.
17 du texte arabe. Je le regarde comme l’équivalent de ﺯﻔﻭﺗﺴﺍ .
[136]
Saad ed‑Dîn Messaoud Ibn Omar et-Teftazani, auteur de plusieurs traités sur
les sciences religieuses et philosophiques, mourut l’an 792 (1390 de J. C.).
Les ouvrages de Teftazani sont très estimés et ont fait le sujet de
plusieurs commentaires.
[137]
Feu M. Wœpcke inséra dans un ouvrage publié à Rome en 1856, et intitulé Recherches sur plusieurs ouvrages de Léonard de Pise, la traduction de ce chapitre et des
sept chapitres suivants. Il me permit d’adopter son travail et donna son
approbation aux modifications que j’avais cru devoir y apporter.
[138]
Pour les questions dont il s’agit ici, voyez l’Algèbre d’Euler,
édition de Paris, 107, t. I, p. 201 et suiv. Les Arabes les ont prises dans le
second livre de l’arithmétique de Nicomaque.
[139]
« Il faut sous‑entendre qu’on prendra pour dernier numéro, successivement,
chacun des nombres de la suite des nombres naturels. » (Wœpcke.)
[140]
A la place de ﻯﺬﻠﺍ ﺙﻠﺜﻣ ﻊﺒﺮﻣ , il faut lire ﻯﺬﻠﺍ ﻊﻠﻀﻠﺍ ﺙﻠﺜﻣ ﻊﺒﺮﻣ . Cette leçon
nous est donnée par l’édition de Boulac.
[141]
Voy. pour la signification du terme technique ﺀﺍﺭﻗﺗﺴﺍ l’Anthologie grammaticale de M. de Sacy, p. 42.
[142]
Ces trois dernières classes de nombres sont : 1° les nombres qui
s’expriment par les puissances de 2 ; 2° les nombres qui sont les doubles
d’un nombre impair ; 3° les nombres qui sont les produits d’un nombre
impair multiplié par un nombre pairement pair.
[143]
Le Chefa et le Nedja forment
deux ouvrages distincts, dont le second est l’abrégé de l’autre. — Dans le
texte arabe il faut lire ﺓﺎﺠﻨﻠﺍ à la place de ﺀﺎﺠﻨﻠﺍ . Le Nedjat se trouve à la suite de l’édition du texte
arabe du Canoun imprimé à Rome.
[144]
Littéral « la crème ».
[145]
Abou ’l-Abbas Ahmed Ibn Mohammed el‑Azdi, surnommé Ibn el‑Benna, était originaire de la ville
de Grenade. Selon M. Woepcke, il publia un de ses traités de mathématiques à
Maroc, l’an 1222 de J. C.
[146]
Ce passage manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac. Le
traducteur turc en a reproduit le commencement et a supprimé le reste.
[147]
Il faut certainement lire ﺔﺛﻼﺛ ﺭﺪﺟ ﺭﺪﺟ ﻝﺜﻣ , et remplacer le mot ﻪﺛﻠﺛ , qui est
au commencement de la ligne suivante, par ﺔﺛﻼﺛ .
[148]
Littéral. « en l’enseignant aux enfants ».
[149]
Je lis ﻢﻠﻌﺗﻠﺎﺒ . Au reste, notre auteur emploie quelquefois le mot ﻢﻳﻠﻌﺗ dans le sens d’apprendre.
[150]
Littéral. « à cause de ce qui est dans le calcul en fait de sûreté des
constructions. »
[151]
Ce titre signifie, soit la petite
selle, soit le petit château. Peut‑être
faut‑il le prononcer Hassâr « calculateur. » Le nom de
l’auteur est inconnu.
[152]
Voy. ci-devant, p. 132.
[153]
M. A. Marre vient de publier à Rome une traduction de cet abrégé (talkhîs).
[154]
El‑Kifti a donné un court article sur Mohammed Ibn Eîça Ibn el‑Monaëm dans son
dictionnaire biographique, mais il n’y indique pas l’époque où il vivait.
[155]
M. Wœpcke nous apprend (Journal asiatique d’oct.-nov. 1854,
p. 365, note 1) que le terme ﻒﻮﺭﺤ s’emploie par les algébristes arabes pour
signifier signes de notation. Dans sa
traduction du passage d’Ibn Khaldoun (ibid.
p. 372), il a suivi le
texte des deux manuscrits de Leyde, texte qui diffère en deux points de celui
des manuscrits de Paris et des deux édifions imprimées. Ainsi, les manuscrits
de Leyde portent ﻥﻤ ﺎﻫﺮﻳﻏﻮ , à la place de ﻥﻋ ﺎﻫﺮﻳﻏﻮ , et ﺭﺴ ﻰﻫﻮ , à la place
de ﺭﺴ ﻰﻫ . Cette dernière variante est peu importante, mais la première
change complètement le sens de la phrase, sans toutefois le rendre plus clair.
J’ai traduit comme si Ibn Khaldoun avait écrit ﻥﻋ ﺎﻫﺮّﻳﻏﻮ , et je crois avoir
exprimé la pensée de l’auteur. En ce cas, il faut admettre qu’Ibn Monaëm et
el‑Ahdeb avaient employé des signes de notation algébrique dans leurs ouvrages,
et qu’Ibn el‑Benna remplaça ces signes par les termes et expressions qu’ils
servaient à représenter, et rendit ainsi son ouvrage plus intelligible. M.
Flügel a lu et entendu ce passage comme moi. (Voy. son édition du Dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa, t. V, p. 74.)
[156]
En arabe, El‑Djebr oua’l‑mocabela (restauration
et opposition). On trouvera l’explication de ces termes au commencement de la
page suivante.
[157]
Je suis ici le texte imprimé des éditions de Paris et de Boulac ; celui
des manuscrits C et D et d’un des manuscrits de Leyde y correspond exactement.
Le passage offre cependant un double contre‑sens 1° que le nombre donné est le
premier degré ou puissance de l’inconnue ; 2° que la multiplication du terme
du second degré par lui-même donne un terme du second degré. On voit que
l’auteur n’entendait pas bien son sujet. Ce passage en remplace un autre que
je vais citer et qui ne laisse rien à désirer, si ce n’est l’indication du
nombre donné. Le voici, d’après un manuscrit de Leyde et la traduction
turque :
Le premier de ces degrés
est la chose, parce que, toute
inconnue, en tant qu’elle est cachée, est une chose ; on l’appelle aussi racine, à cause du
résultat donné par la multiplication de ce degré en lui-même et qui forme le
second degré. Le second de ces degrés est le capital (mâl), qui est le carré d’une inconnue, et le troisième
degré est le cube (kaab). »
[158]
Littéral. « espèces ».
[159]
Voici les trois équations dont l’auteur parle ici : x2 = a, x = a et x2 = ax. Ce sont celles que les algébristes arabes
appelaient les équations simples. Leurs équations composées
étaient x2 + ax = b, x2 +b = ax et x2 = ax + b. (Woepcke.)
[160]
M. Woepcke offre une explication conjecturale de ce passage, qu’il regarde
comme fort obscur.
[161]
C’est‑à dire une équation renfermant trois degrés différents de l’inconnue et
un terme constant. (Woepcke.)
[162]
Abou Abd Allah Mohammed Ibn Mouça el‑Kharezmi fut attaché à la bibliothèque des
sciences fondée à Baghdad par El‑Mamoun, et jouissait d’une haute faveur
auprès de ce khalife, qui régna depuis 813 de J. C. jusqu’à 833. On le
regardait comme un astronome habile et comme un bon observateur. Les tables
astronomiques qu’il publia sous le titre de Hindmend,
et qui reproduisent les données du célèbre ouvrage indien le Siddanta, firent autorité chez les
Arabes. Il composa aussi un traité sur l’astrolabe et un autre sur la chronologie.
Son Abrégé d’algèbre a été traduit en anglais et publié à Londres en 1831, par
les soins de M. Rosen. Il ne faut pas confondre ce Mohammed Ibn Mouça avec un
autre astronome qui mourut en 259 (873 de J. C.), et qui s’appelait Abou
Djafer Mohammed Ibn Mouça Ibn Chaker. (Voyez le Dictionnaire biographique d’Ibn Khallikan,
vol. III, de ma traduction. Voy. aussi ci-après, p. 144.)
[163]
El‑Corechi signifie le Coraïchite.
Le célèbre mathématicien El‑Calasadi a porté ce titre, mais il était à peine
venu au monde quand Ibn Khaldoun écrivait.
[164] « Nous connaissons maintenant l’ouvrage
arabe qui contient cette extension de l’algèbre à laquelle Ibn Khaldoun fait
ici allusion. C’est l’algèbre d’Omar Alkhayyâmi (El-Kheïyami), qui ajoute aux
six problèmes de Mohammed Ben Mouça, c’est-à‑dire aux équations du premier et
du deuxième degré, les équations du troisième degré, dont il construit les
racines géométriquement par les intersections de deux coniques. »
(Wœpcke.) (Comparez l’ Algèbre d’Omar Alkhayyâmî, traduit et accompagné d’extraits de
manuscrits inédits, par F. Wœpcke, Paris, 1851.)
[165]
Littéral. « les transactions des villes ».
[166]
Le célèbre médecin Albucasis ou Bou Cacis, c’est‑à‑dire Abou ’l‑Cacem, portait
le surnom de Zehraouï. Il exerça son art à Cordoue et mourut l’an 500 (1106 de
J. C.). Peut‑être s’était‑il occupé des sciences mathématiques, à l’instar de
plusieurs de ses confrères et compatriotes.
[167]
Abou ’l‑Cacem Asbagh Ibn es‑Semh, natif de Grenade, se distingua comme médecin
et comme mathématicien. Il mourut l’an 426 (1034‑1035 de J. C.).
[168]
Voy. la 1e partie, introduction, p. IX, note 1.
[169]
L’auteur a déjà (p. 2 de ce volume) traité cette matière sous le point de vue
des prescriptions imposées par la loi divine. Il l’examine ici comme formant un
branche de la science mathématique.
[170]
Pour ﺐﺗﺭﺘﻴ , lisez ﺐﺗﺭﺘ .
[171]
« Lorsque, par exemple, un légitimaire a droit aux deux tiers et un autre
à la moitié de la succession, on doit faire le partage au prorata de ce qui
revient à chacun, de la même manière que pour les dettes et les legs. »
(Voyez le tome VI, p. 371, du Précis de
jurisprudence musulmane traduit du texte de Sidi Khalîl par le docteur
Perron.) Dans le cas indiqué ici, le montant des parts serait égal
à 2/3 + 1/2 = 4/6 + 3/6 = au
montant de la succession et à un sixième de plus. Il faut donc diminuer proportionnellement
le montant de chaque part, afin de donner au premier quatre septièmes de la
succession et au second trois septièmes.
[172]
Voyez ci-devant, p. 22.
[173]
Voyez ci-devant, p. 23, note 3.
[174]
Variantes : Es-Souri, Es-Sordi.
[175]
Lisez ﻢﺪﻗﻣ .
[176]
Voy. la 1e partie, introd. p. XXIII.
[177]
Voy. la 1e partie, p. 391.
[178]
Cette étrange bévue se retrouve dans nos manuscrits et dans les deux éditions
imprimées. Le traducteur turc lui-même ne l’a pas relevée. L’auteur a voulu
dire que le produit du premier terme multiplié par le quatrième est égal à
celui du deuxième terme multiplié par le troisième.
[180]
Honeïn Ibn Ishac, médecin chrétien à la cour de Baghdad, traduisit en arabe les
ouvrages d’Aristote, d’Euclide, d’Hippocrate, de Dioscoride et de Ptolémée. Il
mourut l’an 260 (873 de J. C.).
[181]
Thabet Ibn Corra, médecin et mathématicien, traduisit en arabe les ouvrages de
plusieurs médecins et mathématiciens grecs. Il mourut en 288 (901 de J. C.).
[182]
Il faut lire El‑Haddjadj Ibn Youçof. Il
traduisit les Eléments d’Euclide et
l’Almageste de Plolémée, et
vécut sous le règne de Haroun er‑Rechîd et d’El‑Mamoun.
[183]
Les expressions : une droite qui peut
une rationnelle, une droite qui peut deux
médiales, une droite qui peut une
surface, etc. Η ρητον δυναμένη, η δύο μέσα δυναμένη, η χωρίον δυναμένη, κ. τ.
λ. , s’emploient fréquemment dans le dixième livre des Eléments. (Voyez l’édition et la traduction des œuvres d’Euclide
par Peyrard, t. II, p. 223, 225, 250, 254, etc. Le mot fournir est sous entendu.)
[184]
Il y avait un mathématicien et traducteur appelé Ibrahîm Ibn es‑Salt, qui vivait sous le règne d’El ‑Mamoun.
[186]
M. Wœpcke a entendu ce passage d’une autre manière et l’a rendu ainsi :
« Fabriquer des figures merveilleuses et des temples
extraordinaires. » Il ajoute en note : « L’auteur veut parler
ici de la construction d’automates et d’artifices semblables, dans le genre
des Pneumatiques d’Héron et des horloges du moyen âge. J’ai examiné un traité
arabe sur cette matière, contenu dans le manuscrit n° 168 de la bibliothèque
de Leyde. » — Je crois qu’il s’agit ici des statues colossales et des
temples énormes qui se voient encore en Égypte.
[187]
Voy. la 2e partie, p. 242.
[188]
Mouça, fils de Chaker, eut trois fils qui se distinguèrent comme mathématiciens,
astronomes et ingénieurs. L’un nommé Abou Djafer Mohammed Ibn Mouça, mourut
l’an 259 (873 de J. C.). Les autres se nommaient, l’un Ahmed et l’autre
El-Hacen.
[189]
Pour ﺀﻯﺭﻣﻠﺍ
, lisez ﻯﺀﺭﻣﻠﺍ . Les mots dérivés des verbes hamzés sont, en général,
mal orthographiés dans l’édition de Paris.
[190]
L’auteur a écrit ﺾﻮﺮﻌﻟﺍ « latitudes » à la place de ﻞﺍﻭﻁﻻﺍ
« longitudes ».
[191]
Voyez la 1e partie, p. 111, fin de la note.
[192]
Le terme ﺭﺎﺑﺪﺍﻮ ﻞﺎﺑﻗﺍ , que je rends ici par mouvement en avant et en arrière, a une autre signification plus
précise : il était employé par les astronomes arabes pour désigner ce que
nous appelons le mouvement de la
trépidation, et, en ce cas, il doit se rendre par les mots : mouvement
d’accès et de recès. Quelques
astronomes, cités par Théon, ont pensé que le zodiaque avait un mouvement par
lequel il s’avançait d’abord de dix degrés et rétrogradait ensuite de la même
quantité, à raison d’un degré en quatre‑vingts ans. « Ce système,
introduit dans l’astronomie arabe par Thabet Ibn Corra, infecta les tables
astronomiques jusqu’à Tycho, qui le premier sut les en débarrasser. » —
(Delambre, Hist. de l’astronomie
du moyen âge, p. 73, 81 et 82. Voy. aussi une lettre de Thabet, rapportée
par Ibn Younos et insérée dans le t. III, p. 116 et suiv des Notices et Extraits.)
[193]
Cela est vrai jusqu’à un certain point ; les musulmans orthodoxes règlent
le commencement du jeûne d’après l’apparition de la lune du mois de Ramadan ;
aussi n’ont‑ils pas besoin de calculs astronomiques pour fixer le moment
précis de la nouvelle lune ; mais, chez les Fatemides, qui se servaient du
calcul pour déterminer le commencement de ce mois, l’astronomie théorique et
pratique était très cultivée.
[194]
Littéral. « Nous concluons du (résultat) nécessaire à (la cause)
nécessitante. » Le terme ﻡﺭﻻ indique le résultat nécessaire, et le
terme ﻢﻮﺯﻠﻣ signifie la cause nécessitante, ou ce à quoi un résultat est nécessairement dû. El‑Djordjani
dit dans son Tarîfat : Le terme conjonction nécessaire et absolue ﺔﻗﻠﻁﻣﻠﺍ
ﺔﻣﺯﻼﻤﻠﺍ se dit de deux choses quand l’existence de l’une implique nécessairement
l’existence de l’autre. La première de ces choses s’appelle la nécessitante
ﻢﻮﺯﻠﻤ et la seconde la nécessitée ﻢﺯﻻ . Ainsi l’existence du jour est conjointe
nécessairement au lever du soleil ; car le lever du soleil implique
nécessairement l’existence du jour. Le lever du soleil est la nécessitante (la
cause) et l’existence du jour la nécessitée (l’effet). » Nous lisons dans
le Dictionary of technical terms : « ﻢﻮﺯﻠﻠﺍ et ﺔﻣﺯﻼﻤﻠﺍ et ﻢﺯﻼﺗﻠﺍ et ﻡﺍﺯﻠﺘﺴﻻﺍ signifient
qu’un certain jugement (ou proposition) entraîne nécessairement un autre jugement ;
c’est‑à‑dire, qu’au moment où l’exigeant
ِﺾﺘﻗﻣ a lieu, l’exigéَﺾﺘﻗﻣ doit avoir lieu aussi. Tels sont, par exemple, le soleil est levé et il fait jour.
En effet, l’énoncé du premier jugement implique nécessairement le second. La
première proposition, qui est l’exigeante, s’appelle ﻢﻮﺯﻠﻤﻠﺍ (nécessitante) ;
et la seconde, ou exigée, se nomme ﻢﺯﻻ (nécessitée). Dans
certains cas, chacune des deux propositions peut être en même temps nécessitante
et nécessitée. »
[196]
Voy. ci-devant, p. 138.
[197]
Voy. ci-devant, p. 141.
[198]
Ahmed Ibn Kethîr el‑Ferghani, natif de Ferghana, ville de la Sogdiane, et auteur
d’un abrégé d’astronomie dont le texte et la traduction ont été publiés par
Golius en 1669, vivait sous le règne d’El‑Mamoun. Il mourut l’an 215 (830). Dans
une ancienne traduction du même traité, le nom de l’auteur est écrit Alfragani.
[199]
Mohammed Ibn Djaber Ibn Sinan el-Bettani (natif de Bettan, lieu dans le voisinage
de Harran, en Mésopotamie) et auteur d’un traité d’astronomie, mourut en 317
(929 de J. C.). Une traduction latine de ce traité parut en 1537. Les écrivains
européens du moyen âge appelaient cet astronome Albategnius.
[200]
Variantes fournies par le Dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa et par
le Dictionnaire biographique de Djemal ed-Dîn el‑Kifti : El‑Hammad, El‑Djerwad. — Ce personnage, que l’on désignait
aussi par le titre d’observateur ou astronome tunisien, se
nommait Abou ’l‑Abbas Ahmed Ibn Ali
et‑Temîmi et appartenait à la classe des jurisconsultes. Il dressa un corps
de tables astronomiques d’après les observations d’Abou Ishac Ibn ez‑Zercala (Arzachel). Dans cet ouvrage il cite, parmi d’autres dates, celle de 679 de
l’hégire (1280‑1281 de J. C.) ; d’où il faut conclure qu’il mourut
postérieurement à cette époque.
[201]
« Il paraît qu’Ibn Khaldoun veut parler du célèbre astronome
Arzachel. » (W.). Selon Haddji Khalifa, Arzachel se nommait Abou Ishac Ibrahîm Ibn Yahya ibn ez-Zercala ﺔﻠﺎﻗﺮﺯﻟﺍ en‑Naccach. Il observait à Tolède, l’an 453
(1061 de J. C.) — (Traité des
instruments astronomiques des Arabes par Abou ’l-Hacen Ali de Maroc,
traduit par J. J. Sedillot père ; vol. I, p. 127, et le manuscrit arabe de
la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 1147, fol. 232.) Dans le
Dictionnaire biographique d’El-Kifti, le nom de cet astronome est écrit
ﻝﺎﻳﻗﺮﺯﻟﺍ (Ez‑Zerkîal). Telle est
aussi la leçon que donne l’exemplaire de ce dictionnaire biographique dont
Casiri s’était servi. (Voy. Bibliotheca arabico‑hispana, t. I, p.
393.) Abou ’l-Hacen l’écrit ﺔﻠﺎﻗﺮﺯﻟﺍ , ainsi que l’a fait Haddji
Khalifa.
[202]
Voy. ci-devant, p. 132.
[203]
Pour ﺔﻔﻮﺭﻌﻣﻠﺍ , lisez ﺔﻔﺭﻌﻣﻠﺍ avec les
manuscrits C et D, l’édition de Boulac et la traduction turque.
[204]
Littéral. « pour faire connaître les quiddités ».
[205]
Littéral. « conformes ».
[206]
Je lis ﺎﻣﻬﻨﻳﺒ avec l’édition de Boulac.
[207]
Pour ﺎﺒﻨﻠﺍ , lisez ﺕﺎﺒﻨﻠﺍ avec les manuscrits, l’édition de Boulac et la
traduction turque.
[208]
Les manuscrits C et D, l’édition de Boulac et la traduction turque nous
autorisent à remplacer ﺢﻴﺤﺼﺘ par ﻞﻴﺼﺣﺘ .
[209]
Je suis de l’avis du traducteur turc ; il a rendu les mots ﻼﻣﺟ ﻼﻣﺟ
par ﺔﭼﺭﺎﭙ ﺔﭼﺭﺎﭙ « pièce par pièce ».
[210]
Ce titre n’est pas indiqué dans le Dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa.
On verra plus loin qu’il servait à désigner une collection de traités
d’Aristote dans laquelle on avait fait entrer tout l’Organon et l’Isagoge de Porphyre.
[211]
L’auteur aurait dû écrire quatre, mais
il a tenu compte de l’Isagoge. C’est probablement par mégarde
qu’il a compté huit livres seulement dans le kitab el‑Fass ; d’après ses propres indications, il y en avait
neuf.
[212]
Il me semble que l’auteur aurait dû écrire de
deux espèces.
[213]
Il faut insérer, entre les mots ﺭﺎﺒﺗﻋﻻﺍ et ﺐﻮﻠﻁﻤ , le passage suivant :
[214]
Pour ﺀﺎﻣﻜﺤﻠﺍ , lisez ﺀﺎﻣﻜﺤ .
[215]
Je lis ﻞﺻﻔﻠﺍﻮ ﻉﻮﻨﻟﺍﻭ avec le manuscrit C
et la traduction turque et tous les traités de logique.
[217]
Notre auteur a déjà indiqué quelles étaient les sept sciences philosophiques.
(Voy. ci-devant, page 123.)
[218]
Selon les logiciens arabes, on désigne une chose par le genre et la différence
les plus proches, ou par la différence la plus proche, soit seule, soit jointe
au genre le plus éloigné, ou par le genre le plus proche joint à une propriété,
ou par une propriété, soit seule, soit jointe à un genre éloigné. La
définition ﻒﻳﺮﻌﺗ de la première classe s’appelle définition parfaite ﻢﺎﺗﻠﺍ ﺪﺣﻠﺍ ; celle de la deuxième classe, définition
imparfaite ﺹﻗﺎﻨﻠﺍ ﺪﺣﻠﺍ ;
celle de la troisième classe, description
parfaite ﻢﺎﺗﻠﺍ ﻢﺴﺮﻠﺍ , et celle de la quatrième classe, ﺹﻗﺎﻨﻠﺍ ﻢﺴﺮﻠﺍ description imparfaite.
[219]
Abou Abd Allah Mohammed Ibn Namaouar el‑Khouendji, docteur chaféite et grand
cadi d’Égypte, remplit les fonctions de professeur au collège Salehiya, et composa
plusieurs ouvrages sur la logique. Il mourut en 642 (1245 de J. C.) ou en 649,
selon Haddji Khalifa.
[220]
Je suis porté, à croire qu’il faut lire dans le texte arabe ﻩﺭﺻﺗﺧﻣ à la place
de ﺭﺻﺗﺧﻣ et traduire : « Son abrégé, le Djomel. » (Voy. le Dictionnaire bibliographique de Haddji
Khalifa, tome II, p. 623 et tome VI, p. 399).
[221]
Ce paragraphe et les paragraphes suivants portent en tête le mot ﻞﺻﻔ section, tant dans le manuscrit A que
dans la traduction turque, et sont précédés par le mot ﺓﺪﻳﺎﻔ renseignement utile, dans le manuscrit
C. Ils ne sont pas dans l’édition de Boulac.
[222]
Voyez ci-devant, page 52.
[223]
Les Acharites enseignaient que Dieu était savant au moyen d’un savoir, puissant
au moyen d’une puissance et voulant au moyen d’une volonté qui lui étaient propres.
Les anciens docteurs de cette école employaient, pour démontrer ce principe,
plusieurs arguments dont l’un était de juger de ce qui était absent ou invisible, par ce qui était présent, ou visible. Ils disaient, selon
l’auteur du Mewakef, édition de
Leipsick, p. ۳۱, que la cause, la définition et la condition du présent s’appliquent sans différence
aucune à l’absent ; car il est certain que la cause qui rend savant un
être présent, c’est le savoir, et
qu’il en est de même pour l’être absent ;
que la définition qui constate qu’un être est savant s’applique également à
l’être présent et à l’être absent, et que la condition qui assure
la certitude de l’origine d’un homme présent,
c’est la certitude de la racine d’où il sort, et cela est également vrai
pour l’homme qui est absent. — Nous avons ici, il me semble, trois des liens dont parle Ibn Khaldoun ;
quant au quatrième, je ne l’ai pas trouvé.
[225]
Le terme états s’employait par
certains Motazelites et par quelques docteurs de l’école acharite pour désigner
les universaux. « Ces docteurs admettaient, sinon comme êtres réels, du
moins comme êtres possibles ou en puissance, certains types universels
des choses créées. Ces types offrent quelque analogie avec les idées de
Platon ; mais les docteurs musulmans, ne pouvant admettre l’existence
d’êtres réels entre le Créateur et les individus créés, leur attribuent une
condition intermédiaire entre la réalité et la non‑réalité. Cet état possible, mais qu’il faut bien se garder
de confondre avec la hylé d’Aristote,
est désigné par le mot hal, qui signifie condition, état ou
circonstance. Ils appliquaient
aussi leur théorie aux attributs divins en général, en disant que ces
attributs ne sont ni l’essence de Dieu, ni quelque chose en dehors de son
essence : ce sont des conditions ou
des états qu’on ne reconnaît
qu’avec l’essence qu’ils servent à qualifier, mais qui, considérés en eux‑mêmes,
ne sont ni existants ni non existants et dont on ne peut dire qu’on les connaît
ni qu’on les ignore. » — (Mélanges de philosophie juive et arabe par M. Munk, p. 327. Voy. aussi le Guide des Égarés, vol.
I, p. 375 et suiv.) La définition qu’ils donnent des universaux et
qu’Ibn Khaldoun reproduit ici est longuement expliquée dans le Dictionary of technical terms, p. ۹۵۳.
[226]
Littéral. « des considérations de l’entendement ».
[227]
Voy. la note de la page précédente.
[228]
La cause intelligible est celle dont une chose a besoin pour exister.
[229]
Notre auteur n’a pas rapporté exactement ces termes techniques qui, du reste,
sont employés également par les logiciens et par les grammairiens. Le terme généralisation et empêchement indique
que ce qui est affirmé par la définition doit être identique avec ce que la
chose définie donne à entendre, et le terme réunion et conversion
signifie que ce qui est vrai de la chose définie doit être également vrai de la
définition de cette chose. Dans le premier cas, c’est l’accord de la
définition avec la chose définie, et dans le second, c’est l’accord de la chose
définie avec sa définition. — En attribuant au verbe ﺪﺮﻂ le sens de généraliser, je suis l’autorité du commentateur
des Séances de Hariri, p. ۵۴۳ l.
8 et 10 de l’édition de M. de Sacy. Ibn Khaldoun l’emploie aussi dans ce
sens ; voy. Prolégomènes, texte arabe, t. I, p. 354, l. 3.
[230]
Pour ﻢﺘﻟﺪﺍ , lisez ﻢﻬﺘﻟﺪﺍ .
[231]
Littéral. « des quiddités ».
[232]
Ce passage manque dans les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[233]
Pour ﻚﻠﺬﺒ , lisez ﻚﻠﺬﻠ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[234]
Littéral. « à un certain degré ».
[235]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻖﻠﺨ ﻪﻠﺟﻻ ﻰﺗﻠﺍ ; cette leçon me paraît
plus correcte, mais elle ne change rien au sens de la phrase
[236]
Ce passage est omis dans l’édition de Boulac et les manuscrits C et D.
[237]
On sait que Galien naquit vers l’an 131 de
l’ère chrétienne.
[238]
Fakhr ed‑Dîn er‑Razi est le Rasis ou
Rhases des anciens traducteurs européens.
[239]
Ce nom m’est inconnu.
[240]
Abou Merouan Abd el‑Melek Ibn Zohr (Aven‑Zohar mourut à Séville) en 557 (1161‑1162
de J. C.). Il y avait six autres médecins de la même famille et portant tous le
surnom d’Ibn Zohr.
[241]
Ibn Kileda, de la tribu de Thakîf, étudia la médecine en Perse et mourut à
Médine, A. H. 13 (634 de J. C.).
[242]
Mohammed, ayant vu des Arabes poser des fleurs du dattier mâle sur les fleurs
du dattier femelle afin de les féconder, défendit cette pratique et ordonna de
laisser faire à Dieu. Cette année‑là les arbres ne produisirent point de
fruits, et Mohammed révoqua son ordre.
[243]
Je lis ﻕﺪﺻﺒﻮ avec le manuscrit D.
[244]
Littéral. « tempéramentale », c’est‑à-dire fondée sur les
tempéraments du corps.
[245]
Un Arabe vint dire à Mohammed que son frère souffrait d’un violent mal de ventre.
« Qu’il avale du miel », lui répondit le Prophète. Quelques jours
après le même Arabe vint lui annoncer que son frère allait plus mal.
« Qu’il avale du miel », fut encore la réponse. L’Arabe revint le
trouver une troisième fois, en déclarant que le ventre du malade était toujours
dérangé et que le miel n’y faisait rien. « Son ventre en a menti, répliqua
Mohammed, Dieu lui-même a dit (Coran, sour. XVI, vers. 71) : Il
y a dans lui (le miel) un remède
pour les hommes. Le miel fut encore
administré, et le malade finit par guérir.
[246]
Littéral. « dans la bonté de la saison ». Ces mots sont omis dans
les manuscrits C et D et dans l’édition de Boulac.
[247]
Ibn el‑Aouwam vivait dans le VIe siècle de l’hégire. Son traité d’agriculture
(texte arabe et traduction espagnole), formant deux volumes in‑folio, parut à
Madrid, en 1802, par les soins de J. A. Banquieri. M. Clément Mullet vient de
publier le premier volume d’une traduction française de cet ouvrage.
[248]
Le mot ﻰﻔ est de trop.
[249]
Voy. ci-après, p. 172.
[250]
J’ai déjà fait remarquer que notre auteur regarde le Chefa d’Avicenne et le Nedjâ comme
un seul ouvrage. Je soupçonne qu’il ne les avait jamais vus ni l’un ni
l’autre.
[251]
Bien plus, il a développé et commenté l’Organon d’Aristote.
[252]
Pour ﻪﻠﻳﺎﺴﻣ , lisez ﻪﻠﻳﺎﺴﻣﻮ , avec le manuscrit C et l’édition de Boulac.
[253]
Le mot rendu ici par illuminative est
ﺔﻳﻘﺮﺷﻣ . Je le regarde comme le participe actir du verbe ﻕﺮﺷﺍ (illuminer),
dont le nom d’action ﻕﺍﺮﺷﺍ (ichrac) a donné naissance au terme ichrakiyoun, lequel s’emploie pour
désigner une certaine classe de philosophes. Le traducteur turc de ces Prolégomènes
a une note sur ce sujet, dans laquelle il dit qu’il y a deux voies pour
arriver à la connaissance du monde spirituel et de Dieu ; dans la
première, on se sert de la spéculation et du raisonnement, et, dans la seconde,
on a recours aux exercices spirituels et à la contemplation. « Il y a,
dit‑il, deux sectes qui suivent la seconde voie, celle des personnes qui
tiennent compte de la loi révélée, c’est‑à‑dire, les Soufis, et celle des
personnes qui ne s’attachent à aucune loi révélée, se bornant à suivre leurs
propres inspirations dans le but d’obtenir les révélations et l’illumination,
qui sont les fruits des exercices spirituels. On appelle ceux‑ci philosophes illuminés et Platon en
faisait partie. » Haddji Khalifa (t. III, p. 87 de son Dictionnaire bibliographique)
parle aussi des deux voies qui mènent à la connaissance de la vérité et
dit : « Ceux qui suivent la première voie sont sectateurs d’une loi
révélée ou ne le sont pas ; les premiers sont ses scolastiques, et les
seconds, les philosophes péripatéticiens. Ceux qui suivent la seconde voie se
livrent à des exercices spirituels, fondés, soit sur les prescriptions de la
loi divine, soit sur aucune loi. Les premiers sont les Soufis et les seconds
les illuminés. » Nous lisons
dans le Dictionary of terms, à l’article ﺔﻣﻜﺤ , que les illuminés
(ichrakiyoun) reçurent ce nom parce que la pureté de leur intérieur fut illuminée par l’effet de leurs exercices
spirituels. Feu le docteur Cureton a examiné cette question dans les notes et
corrections du Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Bodleyenne (t. II,
p. 532) et il conclut que l’expression ﺔﻳﻗﺭﺸﻣﻠﺍ ﺔﻤﻜﺣﻠﺍ signifie la philosophie des illuminés et ne doit pas se rendre par philosophie orientale.
[254]
Pour ﻥﻮﻣﻋﺯﻴ , lisez ﺍﻮﻣﻋﺯ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[255]
Littéral. « un seul
discours ».
[256]
Voy. ci-devant, p. 165.
[257]
Ibn Khaldoun attribue encore à Maslema Ibn Ahmed le traité
d’alchimie qui a pour titre Retbat
el-Hakîm. J’avais cru cependant reconnaître d’une manière positive que l’auteur
du Retba n’était pas celui du Ghaïa, et, dans la première partie de
cette traduction, page 217, note 4, je les avais signalés comme deux
personnages différents. En rédigeant la note que je viens d’indiquer, je
m’étais appuyé sur un renseignement fourni par le texte même du Retba, manuscrit arabe de la Bibliothèque
impériale, supplément n° 1078. Dans la préface de ce traité, fol. 7 v°, j’avais
lu ces paroles :
« et je m’étais mis à
rassembler les matériaux de cet ouvrage au commencement de l’année quatre cent trente‑neuf de l’ère des
Arabes. » Ces nombres y sont écrits en toutes lettres. Or, comme Djemal ed‑Dîn
el‑Kifti, l’auteur du Tabekat el‑Hokema, appelle
l’auteur du Ghaïa Maslema, fils de Mohammed, et place sa mort en l’an 398,
et comme Haddji Khalifa nous dit qu’il mourut en 395, il m’avait semblé impossible
de reconnaître l’auteur du Ghaïa et
celui du Retba pour le même individu.
J’avais donc admis l’existence de deux personnes portant le même nom,
originaires toutes les deux de Madrid, natives de Cordoue, et s’occupant des
mêmes études. Je me trouvais obligé à regarder comme vraie une circonstance
aussi peu probable, parce que, d’après les sources que j’avais consultées,
l’un de ces savants mourut vers la fin du IVe siècle de l’hégire, et que l’autre florissait
vers le milieu du siècle suivant. La déclaration si nette d’Ibn Khaldoun
m’ayant ensuite amené à examiner cette question de nouveau, je trouvai, dans la
Bibliotheca ar. hist. de Casiri, que
l’exemplaire du Retba conservé dans
la bibliothèque de l’Escurial offrait la date 339. Un second manuscrit du Retba, appartenant à la Bibliothèque
impériale, ancien fonds arabe n° 973, confirme cette leçon : le passage
déjà cité se trouve au fol. 4 v° de ce volume ; la date y est écrite en toutes
lettres, mais, à la place du mot ﺔﻳﺎﻣﻌﺒﺮﺍ quatre cents, on lit ﺔﻴﺎﻣﺜﻠﺜ trois
cents. Ce chiffre fait disparaître toutes les difficultés que j’ai
signalées ; il est évidemment la bonne leçon, et montre qu’Ibn Khaldoun
ne s’est pas trompé en déclarant que l’auteur du Retba est le même que celui du Ghaïa.
Maslema fut un savant d’un grand mérite, si nous devons en croire les
renseignements fournis par Ibn Abi Osaïbiya, l’auteur de l’Histoire
des médecins. Nous lisons dans cet ouvrage :
« Abou ’l-Cacem
Maslema, fils d’Ahmed, surnommé El‑Madjrîti
(originaire de Madrid) et natif de Cordoue, vivait sous le règne d’El‑Hakem
(el‑Mostancer, neuvième souverain omeïade d’Espagne, mort l’an 366 (976 de J.
C.) Le cadi Saêd (ﺪﻋﺎﺻ , mort l’an 417 de l’hégire, 1026‑7 de J. C.) parle de
lui dans son ouvrage intitulé : ﻢﻣﻻﺍ ﺕﺎﻘﺒﻂ ﻰﻓ ﻒﻳﺮﻌﺘﻠﺍ ﺐﺎﺗﻜ (Notices des divers peuples). « A cette époque, dit‑il, Maslema
fut le premier mathématicien de l’Espagne. Il surpassa tous ses prédécesseurs
en la connaissance des sphères célestes et des mouvements des astres. Il
s’occupa avec soin à observer les étoiles et mit beaucoup de zèle à expliquer
le livre de Ptolémée intitulé El-Medjesti
(l’Almageste). Il a laissé un bon ouvrage sur cette partie de l’arithmétique
que l’on désigne chez nous par le terme ﺕﻼﻤﺎﻌﻣ (moâmelat, c’est‑à dire transactions
commerciales et autres). On lui
doit aussi un abrégé du traité intitulé ﺐﻜﺍﻭﻜﻠﺍ ﻝﻳﺪﻌﺗ (rectification des étoiles) et
faisant partie du Zidj (collection de tables astronomiques) composé par
El‑Bettani (Albategnius). Il s’occupa
aussi du Zîdj de Mohammed Ibn Mouça el‑Kharizmi, et réduisit à l’ère des
Arabes les dates de l’ère persane, employée dans cet ouvrage. Il (y) indiqua
les positions moyennes des astres, à partir du commencement de l’ère de
l’hégire, et y ajouta de bonnes tables ; mais il adopta les erreurs de cet
astronome et ne songea pas à les signaler. C’est là une tâche que j’ai remplie dans
mon traité intitulé ﺐﻜﺍﻭﻜﻠﺍ ﺕﺎﻜﺮﺣ ﺡﻼﺻﺍ (Correction des mouvements des étoiles) en
faisant connaître les erreurs qui ont été commises par les observateurs. »
Maslema mourut l’an 398 (1007‑8 de J. C.), avant le commencement des troubles
(qui amenèrent la chute des Omeïades espagnols.). Il forma un grand nombre
d’élèves ; jusqu’alors l’Espagne n’avait pas produit de savants aussi
distingués. Parmi les plus marquants, nous pouvons indiquer Ibn es‑Semh (mort à
Grenade l’an 420, 1029 de J. C.), Ibn es‑Saffar, Ez‑Zehraouï
(Abou ’l-Hakem), El-Kermani et Ibn Khaldoun Abou Moslem
Omar. » (Ms. arabe de la Bibliothèque impériale, suppl. n° 673, fol.
183 v°.) El‑Kifti n’a fait que copier Ibn Abi Osaïbiâ, et, chose remarquable,
ni l’un ni l’autre ne parle des ouvrages composés par Maslema sur la magie et
sur l’alchimie.
[258]
Le passage mis entre parenthèses manque dans l’édition de Boulac et dans les
manuscrits C et D.
[259]
Voy. la 1e partie, p. 202.
[260]
Littéral. « aux connaissances seigneuriales (rabbâniya) » ; ce qui paraît signifier : aux
connaissances du degré le plus élevé.
[261]
Littéral. « psychique ».
[262]
Pour ﻪﺗﺿﺎﻴﺮﻮ , lisez ﺔﺿﺎﻴﺮﻮ avec les
manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[263]
Je lis ﻝَﺑِﻗ ﻥﻣ avec les manuscrits C et D et l’édition de Boulac.
[264]
Les manuscrits C et D et l’édition de Boulac portent ﻰﻨﻌﻤﻠﺍ , à la place de
ﻥﻴﻌﻤﻠﺍ . Cette dernière leçon me paraît inadmissible.
[265]
Littéral. « présageant ».
[266]
Littéral. « à cet édifice ». Peut‑être devons‑nous lire ﺔﻳﻨﻠﺍ
« l’intention ».
[267]
La description que notre auteur donne de ce procédé magique est faite d’une
manière très confuse et paraît renfermer plusieurs termes techniques, propres à
l’art. J’ai tâché de la rendre aussi littéralement que possible.
[268]
Littéral. « qui s’entr’aiment ».
[269]
On sait que les Arabes représentent quelquefois les nombres par des lettres de
l’alphabet. Dans un de leurs systèmes, celui qu’on a suivi ici, la lettre ﺮ
vaut 200, ﻚ vaut 20, ﻒ 80 et ﺪ 4.
[270]
Les parties aliquotes de 220 sont
110, 55, 44, 22, 20, 11, 10, 5, 4, 2 et 1. La somme de ces nombres est 284. Les parties aliquotes de 284 sont : 142, 71, 4, 2 et 1.
Ces nombres additionnés donnent 220.
Thabet Ibn Corra fut le premier qui signala cette propriété de certains
nombres ; Descartes en a parlé et Euler y a consacré un traité spécial
dans son recueil intitulé Opuscula varii argamenti, t. II. M.
Wœpcke a abordé le même sujet dans le Journal asiatique d’octobre‑novembre 1852.
[271]
Vénus a deux maisons, l’une située dans le signe du Taureau, et l’autre dans
celui de la Balance.
[272]
Vénus est dans son exaltation et jouit de toute son influence quand elle est
dans le vingt‑septième degré du Poisson.
[273]
L’ascendant est le premier signe à
partir de l’horizon oriental ; son septième
est le signe qui est alors à l’horizon occidental, son dixième est celui qui est au zénith et
son quatrième celui qui est au nadir.
[274]
Il faut remplacerﺭﺛﻜﺎﺑ par ﺭﺛﻜﻻﺎﺒ . Cette correction est justifiée par la concordance
grammaticale, par les manuscrits C et D, et par l’édition de Boulac.
[275]
Pour ﻝﺎﻗ , lisez ﻪﻠﺎﻗ .
[276]
Le mot hind s’emploie dans le dialecte
arabe marocain pour désigner l’acier. Le mot asbâ signifie doigt. Je ne sais à quelle substance les
alchimistes ont donné le nom de hind asbâ. Il désigne peut‑être l’espèce d’acier indien qui, dans le commerce,
s’appelle wootz.
[277]
Les astrologues partagent chaque signe du zodiaque en trois faces, de dix degrés chacune. Les trente‑six
faces sont assignées, chacune, à une des planètes, ou au soleil, ou à la lune.
[278]
Le mithcal d’or peut valoir de huit à douze francs.
[279]
Je lis ﻪﻛﺴﻣﻣﻠﺍ à la place de ﺔﻛﺴﻣﻣﻠﺍ . Les manuscrits C et D et l’édition de
Boulac donnent la bonne leçon.
[280]
Le mot ﻖﻓﻮ « ouifk », que je rends ici par amulette, désigne
plus particulièrement ces tableaux numériques qui s’appellent carrés magiques. Chacune des sept
planètes avait son ouifk particulier.
Le Chems el‑Maaref d’El‑Bouni fournit
un grand nombre d’indications sur cette matière et sur les procédés de la
magie.
[281]
Le soleil est dans son exaltation quand
il entre dans le dix‑neuvième degré du Bélier. Les équivalents français des
termes astrologiques employés dans ce chapitre m’ont été fournis par l’ouvrage
intitulé l’Usage des Ephémérides par Villon, 2 vol.
petit in‑8°, Paris, 1624.
[282]
Voyez page 179, note 3.
[283]
La leçon ﺔﻴﻀﺎﻴﺭ ne vaut rien ; il faut lire ﺔﻀﺎﻴﺮﻭ avec les manuscrits C
et D, l’édition de Boulac et la traduction turque.
[284]
Je ne relève pas les nombreuses variantes offertes par ce titre dans les
divers manuscrits ; et je me borne à suivre la leçon de l’édition de
Paris, et de la traduction turque. Haddji Khalifa n’a pas indiqué ce traité
dans son dictionnaire bibliographique.
[285]
Pour ﻩﺪﺤﺍﻮ , lisez ﺓﺪﺤﺍﻮ .
[286]
Les mots que je traduis ici se trouvent à la fin de la phrase arabe.
[287]
On voit par ce paragraphe qu’Ibn Khaldoun se comptait lui-même au nombre des
philosophes théologiens.
[288]
Pour ﺪﻴﺤﻮﺗﻟﺍ , lisez ﻪﻠﻠﺍ avec l’édition
de Boulac et les manuscrits C et D.
[289]
Pour ﺎّﻣﻠ , lisez ﺎّﻣِﻠ
[290]
Voy. ci-devant, p. 176, à la dernière ligne.
[291]
Ces mots sont persans et signifient l’étendard de Gavé, forgeron qui délivra
la Perse de la tyrannie de Zohâk. (Voy. les mots Dirfech et Gao dans la Bibliothèque orientale de
d’Herbelot.)
[292]
La leçon ﻰﻨﻳﺋﻣ se trouve dans le manuscrit D, dans l’édition de Boulac et dans
la traduction turque. Je suppose que c’est un adjectif relatif formé de ﻥﻳﺋﻣ ou
de ﻥﻮﺌﻣ pluriel de ﺔﻴﺎﻣ (cent). Cet amulette, ou carré magique (ouifk), se composait probablement des mille premiers nombres. Je dois
faire observer, pour justifier la signification assignée au mot ﻰﻨﻳﺋﻣ , que le
carré magique à base de trois s’appelle, dans le Chems el‑Maaref, ﻯﺪﺪﻌﻠﺍ
ﺙﻠﺛﻤﻠﺍ ﻕﻓﻭﻠﺍ « le ouifk ternaire numérique », et celui qui est
de quatre ﻯﺪﺪﻌﻠﺍ ﻊﺒﺮﻤﻠﺍ ﻕﻓﻭﻠﺍ « le
ouifk quaternaire numérique », etc.
[293]
Voy. la 1e partie, p. 190.
[294]
Je lis ﺖﺎﻤﺴﻟﺗﻠﺎﺒ avec le manuscrit D.
[295]
La bonne leçon est ﻞﻮﺒﺠﻤ .
§ Les propriétés occultes des lettres de l’alphabet.
§
@
§
p.188 Cette
science s’appelle de nos jours sîmîa [1],
terme qui, employé d’abord dans l’art talismanique, fut détourné de son
acception primitive pour être introduit dans la technologie employée par cette
classe de Soufis qu’on appelle les gens qui ont le pouvoir (d’agir sur les
êtres créés). On l’a employé de cette manière, ainsi qu’on emploie l’universel
pour désigner le particulier. Cette science prit son origine, après la
promulgation de l’islamisme, quand les Soufs exaltés commencèrent à paraître
dans le monde et à montrer leur inclination
*132 pour les pratiques qui servent à dégager l’âme des voiles des sens.
Ils firent alors des choses surnaturelles et exercèrent un pouvoir discrétionnaire
sur le monde des éléments ; ils composèrent des livres, inventèrent une
technologie et prétendirent reconnaître comment et dans quel ordre les êtres
qui existent procédèrent de (l’Être) unique. Ils enseignèrent que la perfection
(de la vertu) des noms provient du concours des esprits qui président aux
sphères et aux astres, que la nature des lettres et leurs propriétés secrètes
se communiquent aux noms (qui en sont formés) ; que les noms font sentir
de la même manière leurs vertus (secrètes) aux êtres créés, et que ceux‑ci parcourent,
depuis leur création, les diverses phases de l’existence [2] et peuvent en indiquer les mystères. De là
est sortie une science, celle qui traite des vertus secrètes des lettres et qui
forme une subdivision de la magie naturelle (sîmîa). Il est impossible
de désigner exactement son objet ou d’énumérer tous les problèmes dont elle
s’occupe.
§
p.189 Nous
devons à El-Bouni [3],
à Ibn el‑Arebi [4]
et à d’autres écrivains qui ont marché sur leurs traces, un grand nombre
d’ouvrages traitant de cette science, et, d’après ce qu’ils y exposent, nous
voyons qu’elle a pour fin et pour résultat de donner, aux âmes parfaites en
science et en religion [5],
le pouvoir d’agir sur le monde [6]
de la nature, et qu’elles y parviennent à l’aide des noms excellents (ceux de
Dieu) et de certains mots à vertus divines, (mots) qui se composent de lettres
renfermant des qualités occultes lesquelles se communiquent aux êtres (créés).
§
Ils (les Soufis) ne s’accordent pas entre eux
quand il s’agit d’expliquer comment il se fait que les vertus secrètes des
lettres puissent donner à l’âme le pouvoir d’agir (sur les êtres). Les uns,
supposant que cette qualité dépend du tempérament même des lettres, les rangent
en quatre classes, correspondant aux (quatre) éléments. A chacun des
tempéraments naturels, ils assignent une partie de ces lettres, lesquelles
donnent (à l’âme) la faculté de s’immiscer, soit comme agent, soit comme
patient, dans la nature de l’élément qui leur correspond. D’après ce système
artificiel, qu’ils nomment teksîr (fractionnement) et qui correspond
aux (quatre) espèces d’éléments, ils divisent les lettres en quatre
classes [7] :
les ignées, les aériennes, les aqueuses et les terrestres. Ainsi ils attribuent
l’élif (ﺍ) au feu, le ba (ﺐ) à l’air, le djîm (ﺝ) à l’eau, et le dal (ﺪ)
à la terre. Prenant alors
les *139 autres lettres, ils continuent
l’opération jusqu’à la fin de l’alphabet. De cette manière, l’élément du feu
obtient sept lettres : l’élif (ﺍ), le hé p.190 (ﻩ), le tha (ﻁ), le mêm (ﻢ), le fa (ﻒ), le sin (ﺲ) et le dhal (ﺬ).
L’air en reçoit autant ; ce sont : le ba (ﺐ), le ouaou (ﻮ), le ya (ﻯ), le noun (ﻥ), le dhad (ﺾ), le ta
(ﺖ) et le dha (ﻅ). L’élément de l’eau en obtient sept : le djîm (ﺝ), le
za (ﺯ), le kaf (ﻚ), le
sad (ﺺ), le caf (ﻖ), le tha
(ﺚ) et le ghaïn (ﻍ). A la terre en appartiennent sept :
le dal (ﺪ), le ha (ﺡ), le lam (ﻞ), l’aïn
(ﻉ), le ra (ﺮ), le kha (ﺥ) et le chîn (ﺶ) [8].
§
Les lettres ignées éloignent les maladies
froides et doublent, au besoin, la force de la chaleur, soit
effectivement [9],
soit virtuellement ; de même qu’elles donnent à (l’influence de la
planète) Mars une double force pour guerroyer, pour tuer et pour attaquer. Les
lettres aqueuses chassent les maladies chaudes, telles que fièvres, etc. et
doublent, au besoin, soit effectivement, soit virtuellement, les forces
froides, comme celles de la lune.
§
Selon d’autres, la puissance mystérieuse au
moyen de laquelle les lettres font agir l’âme (sur les êtres créés) dérive d’un
rapport numérique : les lettres de l’alphabet désignent certains nombres
qui leur correspondent et dont la valeur a été déterminée conventionnellement,
ou par leur propre nature [10].
Or, puisque les nombres ont un rapport les uns avec les autres, les lettres
doivent en avoir aussi entre elles. Il y a un rapport entre le ba, le kaf et le ra, vu qu’ils indiquent
les deuxièmes des trois premiers ordres ; car ba exprime deux dans l’ordre des unités ; kaf indique deux dans celui des dizaines, et ra représente le deux de l’ordre des centaines. Ces
lettres ont encore un rapport avec le dal,
le min et le ta, puisque
celles‑ci désignent p.191 les quatrièmes
(des trois premiers ordres), et entre les deuxièmes et les quatrièmes il y a un
rapport du double.
§
Les noms ainsi que les nombres ont servi à
former des amulettes ; *140 chaque
classe de lettres en fournit un qui lui correspond en ce qui regarde le nombre,
soit des chiffres [11],
soit des lettres. Le rapport qui existe entre les vertus secrètes des lettres
et celles des nombres donne à la faculté d’agir sur les êtres un tempérament
particulier. On saisit difficilement les rapports cachés qui existent entre les
lettres et les tempéraments des êtres, ou entre les lettres et les
nombres ; de tels problèmes ne sont pas du domaine des sciences
(positives) et ne se laissent pas résoudre au moyen de raisonnements
syllogistiques. Selon les Soufis, il faut s’en rapporter au goût [12]
et au sentiment éprouvé par l’âme quand elle se dégage du voile des sens (pour
avoir la solution de ces questions). « Il ne faut pas s’imaginer, dit El‑Bouni,
qu’on puisse connaître les vertus des lettres en se servant du
raisonnement ; on n’y arrive que par la contemplation et par la faveur
divine. »
§
Les mots, ainsi que les lettres dont ils se
composent [13],
procurent à l’âme la faculté d’agir sur le monde de la nature et, par
conséquent, de faire des impressions sur les êtres créés. C’est là une
influence qu’on ne saurait nier, puisque son existence est constatée par des récits
authentiques qui nous sont parvenus relativement à (des prodiges opérés par)
beaucoup de Soufis. On s’est imaginé, mais à tort, que l’action exercée (sur
les êtres de ce monde) par l’âme est identiquement la même chez les Soufis et
chez les gens qui opèrent avec des talismans. S’il faut s’en rapporter aux
vérifications que ceux‑ci ont faites, l’influence des talismans dépend en
réalité de certaines puissances spirituelles (provenant) de la substance de la
force [14].
Elle fait sentir sa domination et sa puissance à tout ce qui consiste en une p.192 combinaison d’éléments [15],
et cela au moyen des vertus occultes qui se trouvent dans les sphères célestes,
des rapports qui existent entre les nombres et des fumigations qui attirent (en
bas) la spiritualité à laquelle le talisman est consacré. On lie (cette
spiritualité) au talisman par la puissance de la pensée, et l’on attache ainsi
les natures du monde supérieur à celles du monde inférieur. « Le talisman,
disent-ils, est comme un levain composé des (mêmes) éléments terrestres,
aériens, aqueux et ignés qui se trouvent dans la totalité des (êtres *141 composés, levain) capable de changer toutes
(les substances) dans lesquelles il entre, et d’agir sur elles de manière à
les convertir en sa propre essence et leur donner sa propre forme. On peut
l’assimiler à la pierre philosophale [16],
levain qui transmue en sa propre essence les corps minéraux dans lesquels on le
fait entrer [17]. »
§
Partant de ce principe, ils enseignent que
l’objet de l’alchimie est (de faire agir) un corps sur un autre, puisque toutes
les parties élémentaires de l’élixir sont corporelles, et que l’objet de l’art
talismanique est (de faire agir) un esprit sur un corps, puisque, par cet art,
on lie les natures du monde supérieur à celles du monde inférieur ; or les
premières sont spirituelles et les dernières corporelles.
§
Il y a, entre les gens qui pratiquent l’art
talismanique et ceux qui mettent en œuvre les vertus secrètes des noms, une
différence réelle en ce qui regarde la manière de faire agir l’âme (sur les
êtres). Pour l’apprécier, il faut d’abord se rappeler, que la faculté d’agir
dans toute l’étendue du monde de la nature appartient à l’âme humaine et à la
pensée de l’homme. Cette âme tient de son essence le pouvoir d’embrasser la
nature et de la dominer, mais son action, chez ceux qui opèrent au moyen des
talismans, se borne à tirer d’en haut la p.193
spiritualité des sphères et de la lier à certaines figures ou à certains
rapports numériques. De là résulte une espèce de mélange qui, par sa nature,
change et transmue (ce qu’il touche), ainsi qu’opère le levain sur les matières
dans lesquelles on l’introduit. (Nous disons ensuite qu’) il en est autrement
de ceux qui, pour donner à leur âme cette faculté d’agir, se servent des
propriétés secrètes des noms ; ils n’y parviennent qu’à la suite d’une
grande contention d’esprit ; ils doivent être éclairés par la lumière
céleste et soutenus par le secours divin. La nature (externe) se laisse alors
dominer, sans offrir de la résistance et sans qu’on ait recours aux influences
des sphères ou à d’autres moyens, vu que le secours divin est plus puissant
qu’une influence quelconque. Ceux qui opèrent avec des talismans n’ont besoin
que d’un très léger exercice préparatoire quand ils veulent procurer à leur âme
le pouvoir de faire descendre la spiritualité des sphères. Combien il leur est
facile de donner à leur esprit la direction convenable ! Combien leurs
exercices sont peu fatigants, si on les compare avec les *142 exercices transcendants des hommes (les Soufis) qui
emploient les vertus mystérieuses des noms ! (Les talismanistes) ne
cherchent pas à agir sur les êtres au moyen de leur âme, parce qu’un voile s’y
interpose (celui des impressions des sens) ; et, si cette faculté leur arrive,
ce n’est que par accident et comme une marque de la faveur divine. S’ils (les
Soufis) ignorent les secrets de Dieu et les vérités du royaume céleste, — ce
qui ne s’apprend que par la contemplation et après l’écartement (des voiles des sens) ; — s’ils se bornent à étudier
les rapports qui existent entre les noms, les qualités [18]
des lettres et celles des mots ; si, dans le but qu’ils se proposent, ils
emploient (uniquement) ces rapports, c’est‑à‑dire s’ils font comme les
personnes que l’on désigne ordinairement par le nom de gens de la sîmîa (ou de la magie naturelle), — alors, rien ne les
distinguera de ceux qui opèrent au moyen de talismans ; et, en ce cas,
nous devrions accorder plus de confiance à ceux‑ci, parce qu’ils s’appuient
sur des p.194 principes justifiés par la nature
(des choses) et par la science, et qu’ils suivent un système de doctrine bien
ordonné.
§
Quant à ceux qui opèrent au moyen des vertus
secrètes des noms, s’ils n’ont pas pour les seconder la faculté d’écarter (les
voiles des sens), afin d’obtenir la connaissance des vertus réelles qui
existent dans les mots et des effets résultant des rapports (qui existent entre
les noms, etc.), — ce qui leur arrive quand ils n’y donnent pas toute leur
attention [19],
— s’ils n’ont pas étudié les sciences d’après un système de règles qui soit
digne de confiance, — ces hommes occuperont toujours une place très inférieure.
§
Celui qui opère au moyen de noms mêle
quelquefois les influences des mots et des noms à celles des astres ; il
assigne aux noms excellents (ceux de Dieu), ou aux amulettes qu’il a dressés
avec ces noms, ou même à tous les noms (indistinctement), des heures [20]
(favorables à leur emploi, heures qui participent aux) qualités bienfaisantes de
l’astre qui est en rapport avec le nom (dont il s’occupe). El‑Bouni a suivi
cette pratique dans son ouvrage intitulé El‑Anmat [21].
Selon (les Soufis), ces rapports émanent de la présence amaïenne [22], laquelle est la même que celle du berzekh de la perfection nominale [23],
et ces *143 (vertus) ne descendent (des
sphères) que pour être distribuées aux êtres [24],
selon les rapports qu’elles peuvent avoir avec eux. Ils disent aussi que, pour
apprécier (les vertus des mots), on doit avoir recours à la
contemplation ; donc toute tentative faite dans ce but par une personne
qui, étant dépourvue de la faculté contemplative, accepterait p.195 les opinions d’autrui à l’égard de ces
rapports, doit se mettre sur la même ligne que les opérations d’un
talismaniste. On peut même dire que celles‑ci méritent plus de confiance, ainsi
que nous l’avons déjà fait observer.
§
Les personnes qui dressent des talismans
combinent quelquefois dans leurs procédés les vertus des astres avec celles des
invocations, composées de paroles qui ont avec les astres un rapport spécial.
Mais, à leur avis, les rapports de ces paroles (aux astres) ne sont pas du même
genre que ceux dont les individus qui étudient les (vertus secrètes des) noms
prennent connaissance lorsqu’ils sont absorbés dans la contemplation.
« Ils dépendent (disent‑ils) des principes fondamentaux du système des
procédés magiques que nous employons dans le but de déterminer la manière dont
les (influences des) astres se répartissent parmi les diverses catégories des
êtres créés, c’est‑à‑dire les substances, les accidents, les essences et les
minéraux [25] ;
à ces catégories il faut ajouter les lettres et les mots. A chaque astre
appartient spécialement une partie de ces êtres.
§
On a fondé sur cette base un édifice aussi
singulier que répréhensible : les chapitres et les versets du Coran s’y
trouvent distribués (et placés) comme tout le reste (sous l’influence des
astres). C’est ainsi qu’a fait Maslema el‑Madjrîti dans son Ghaïa. El‑Bouni a évidemment suivi le
même système dans son Anmat ; parcourez
ce livre, examinez les invocations qu’il renferme ; observez que l’auteur
les a distribuées entre les heures des sept astres [26] ;
prenez ensuite le Ghaïa et voyez‑y
les kîama des astres, c’est‑à‑dire
les invocations qui leur sont particulières, et qui sont nommées ainsi parce
qu’on les prononce en se *144 tenant
debout [27]
: quand vous aurez examiné ces ouvrages, vous serez convaincu que le fait est
ainsi. (Cet accord entre les deux ouvrages) a dû résulter, soit de l’identité
des matières dont ils traitaient, soit p.196 du
rapport qui existait entre la formation primitive et le berzekh de la connaissance [28].
§
Il ne faut pas s’imaginer que toute
science [29]
réprouvée par la loi doive être regardée comme non existante ; la magie
est défendue, mais sa réalité n’en est pas moins certaine. Quoi qu’il en soit,
les connaissances que Dieu nous a enseignées suffisent à tout, et vous n’avez reçu, en fait de science,
qu’une bien faible portion. (Coran, sour. XVII, vers. 87.)
§
Établissement
d’une vérité et discussion d’un point subtil [30]. — La sîmîa (ou magie naturelle)
est réellement une branche de la magie, ainsi que nous l’avons montré, et la
faculté de s’en servir s’acquiert par l’emploi d’exercices que la loi ne
condamne pas. Nous avons déjà fait observer que, chez deux classes d’hommes,
l’âme peut agir sur le monde des êtres créés. Les prophètes, qui formaient une
de ces classes, y agissaient au moyen d’une faculté divine que Dieu avait
implantée dans leur nature ; les magiciens (qui composent l’autre classe)
opèrent au moyen d’une faculté psychique qui
leur est innée. Les hommes saints peuvent acquérir cette faculté par la vertu
de la profession [31]
de foi ; c’est, chez eux, un des résultats amenés par le dépouillement
(des sentiments mondains qui préoccupent l’âme) ; elle leur naît sans
qu’ils aient cherché à l’obtenir et leur arrive comme un don inattendu. Ceux
qui sont bien affermis (dans les habitudes de la vie ascétique) tâchent
d’éviter cette faveur quand elle se présente à eux ; ils prient Dieu de
les délivrer d’une faculté qu’ils regardent comme une tentation. On raconte
qu’Abou Yezîd el‑Bestami [32],
étant p.197 dans un état très misérable,
arriva un soir au bord du Tigre. (Ayant voulu traverser le fleuve, ) il vit les
deux rivages se rapprocher jusqu’à se toucher devant lui. (Au lieu de profiter de cette faveur, ) il pria Dieu de le
délivrer de la tentation : « Non ! s’écria‑t‑il, je ne veux pas
abuser de mon crédit auprès du Seigneur dans le but d’économiser un
liard. » S’étant alors embarqué dans le bateau de passage, il traversa le
Tigre avec les bateliers.
§
La faculté innée d’exercer la magie ne passe
jamais de la puissance à l’acte, tant qu’on ne l’excite pas au moyen
d’exercices préparatoires. Celle qui n’est pas innée, mais acquise, est
inférieure à l’autre, et l’emploi d’exercices préparatoires est encore
nécessaire pour l’activer. *145 La nature
des exercices magiques est bien connue ; Maslema el‑Madjrîti en a indiqué,
dans son Ghaïa, les diverses espèces
et la manière de les (accomplir). Djaber Ibn Haïyan les a mentionnés aussi
dans ses traités, et quelques autres écrivains ont laissé des ouvrages sur le
même sujet. L’étude de ces livres occupe une foule de gens qui espèrent
acquérir une connaissance de la magie en apprenant les règles et les conditions [33]
(qui doivent s’observer dans la pratique) de cet art. Nous ferons observer
qu’autrefois les exercices magiques étaient un tissu d’impiétés : on
tournait son esprit vers les astres et on leur adressait des prières appelées Hama, avec l’intention d’attirer en bas
les spiritualités des corps célestes. On croyait à des impressions provenant
d’un autre que Dieu et servant à établir une liaison entre l’acte (de la magie)
et les ascendants stellaires ; on observait les positions des planètes
dans les signes du zodiaque, afin d’obtenir l’influence dont on avait besoin.
§
Bien des personnes, ayant voulu procurer à leur
âme la faculté d’agir sur le monde des êtres créés, entreprirent d’acquérir cet
art en suivant une voie qui devait les éloigner des pratiques entachées
d’impiété ; et, dans ce but, elles donnèrent à leurs exercices un p.198 caractère légal, en y remplaçant (tout ce
qui blessait la religion) par des litanies et des cantiques à la louange de
Dieu, et par des invocations tirées du Coran et des traditions sacrées. Ces
individus, voulant connaître les prières qui convenaient à leur but, se
guidaient d’après une considération que nous avons déjà indiquée, savoir, que
le monde, avec tout ce qu’il renferme d’essences (êtres), de qualités et
d’actes, est partagé entre les sept planètes et soumis à leurs influences. Avec
cela, ils recherchaient scrupuleusement les jours et les heures qui correspondaient
aux influences ainsi réparties, et, par l’emploi d’exercices autorisés par la
loi, ils s’abritaient contre les imputations auxquelles les pratiques de la
magie ordinaire les auraient exposés, pratiques qui, si elles ne sont pas des
actes d’infidélité, doivent nécessairement y porter. Ils s’attachaient à suivre
la voie légale, parce qu’elle était assez large et n’offrait rien de
répréhensible. C’est ainsi que fit El-Bouni dans plusieurs de ses ouvrages,
tels que l’Anmat, et d’autres écrivains adoptèrent le même plan. Évitant avec
un soin extrême de donner le *146 nom de magie à l’art qu’ils cultivent, ces gens
l’appellent sîmîa (magie
naturelle) ; mais, bien qu’ils le pratiquent en suivant la voie légale,
ils ne peuvent s’empêcher de tomber dans l’emploi de la magie véritable.
Malgré la direction licite qu’ils donnent à leurs pensées, ils ne s’éloignent
pas tout à fait de la croyance en certaines influences qui ne procèdent pas de
Dieu ; ils cherchent aussi à se procurer la faculté d’agir sur le monde
des êtres, ce qui est défendu par le législateur divin.
§
Quant à l’influence qu’il arrivait aux prophètes
d’exercer et qui se manifestait dans leurs miracles, ils ne la faisaient valoir
que par l’ordre de Dieu et par suite de sa décision. Chez les saints, cette
influence s’emploie aussi avec la permission de Dieu, et leur vient, soit par
inspiration et par l’opération de Dieu, qui crée (alors) en eux la science qui
leur est nécessaire, soit de quelque autre manière. Au reste, ils ne s’en
servent jamais sans y être autorisés.
§
Il ne faut pas se laisser tromper par le terme sîmîa que les magiciens emploient pour
dérouter le public. La sîmîa (chez
eux) est réellement une branche, une conséquence nécessaire de la magie, ainsi
que nous l’avons déjà déclaré. Dieu, dans
sa bonté, (nous) dirige vers la vérité [34].
§
Section. Selon
les gens du métier, il y a une branche de la sîmîa qui consiste à poser des questions, puis à en tirer des
réponses au moyen de liaisons qui existent entre des mots composés de
lettres [35].
Ils veulent (nous) faire accroire que c’est là une des bases fondamentales (de
l’art qui procure) la connaissance des événements futurs ; mais leur
procédé ne ressemble qu’à une suite de casse‑têtes et d’énigmes. Ils ont
beaucoup discouru sur cette matière, et ce qu’ils ont avancé de plus détaillé
et de plus curieux se rapporte à la zaïrdja
(ou tableau circulaire) de l’univers, qui a pour inventeur Es‑Sibti,
et dont nous avons déjà parlé [36].
Nous allons exposer ici ce qu’ils ont dit sur la manière d’opérer avec la zaïrdja, et nous reproduirons en entier
la cacîda (ou poème) qui se
rapporte à ce sujet, et dont l’auteur, à ce qu’ils prétendent, fut Es‑Sibti
lui-même [37].
Nous donnerons ensuite la description de la zaïrdja,
avec ses cercles, son tableau et tout ce qui s’y trouve inscrit [38] ;
nous indiquerons ensuite le caractère de cette opération [39],
laquelle n’a aucun rapport réel avec le monde invisible et consiste uniquement
à trouver une réponse qui soit d’accord avec une question, et qui, étant
prononcée, offre un sens raisonnable. *147 C’est un
procédé très curieux : la réponse se tire de la question au moyen d’une
opération qui se pratique comme un art et qu’on appelle tekcîr (décomposition) ; nous avons déjà donné des indications
au sujet de tout cela. Quant à la cacîda (qui accompagne la zaïrdja), p.200
nous n’en possédons pas une copie dont l’authenticité nous semble bien
assurée ; le texte que nous en donnons ici est celui que nous avons choisi
entre plusieurs autres, parce que, d’après toutes les apparences, il est le
plus correct.
§
§
Avant d’exposer les motifs qui m’empêchent de
donner une traduction de ce poème, je dois présenter au lecteur quelques
observations touchant quarante‑trois pages de texte qui forment la suite de ce
chapitre. L’auteur y traite surtout du procédé au moyen duquel on obtient une
réponse à une question quelconque, en se servant d’un système de tables (zaïrdja)
dont on attribue l’invention à un personnage nommé Es‑Sibti [40]. Dans la première partie de cet
ouvrage, p. 245 et suivantes de la traduction, Ibn Khaldoun a donné une
description de ces tables et nous a fait connaître la manière de s’en servir.
Dans ce chapitre‑ci, il nous offre d’abord un poème qui renferme, à ce qu’on
prétend, tout ce qu’il est nécessaire de savoir, relativement à l’emploi de la zaïrdja. Cette pièce se compose de cent
huit vers, entrecoupés de passages en prose, de formules mystérieuses et de
plusieurs suites de sigles, de lettres et de chiffres. Après ce poème vient une
section de chapitre que l’auteur a intitulée Manière d’opérer sur la zaïrdja quand
on veut en tirer des réponses à des questions. Nous y lisons d’abord qu’à
chaque question il peut y avoir trois cent soixante p.201 réponses, puis une note touchant la valeur des lettres,
chiffres et sigles qui se voient inscrits dans les tables, et ensuite une longue
description du procédé par lequel on obtient une de ces réponses.
§
Pour montrer la manière de procéder, l’auteur se
propose une question dont il entreprend de trouver la réponse. Cette question
est celle‑ci :
§
ﻢﻴﺪﻗ ﻡﺍ ﺚﺪﺣ ﻢﻟﻋ ﻰﻫ ﻞﻫ ﺔﺠﺭﻳﺍﺯﻠﺍ
§
c’est‑à‑dire : « La zaïrdja est‑elle
une connaissance (ou découverte) moderne ou ancienne ? » D’après la
théorie, chaque question peut recevoir trois cent soixante réponses ; car
un des éléments qu’on fait entrer dans ce calcul est le degré de l’écliptique
qui s’élève sur l’horizon au moment de l’opération, et que les astrologues
nomment l’ascendant. L’auteur prend pour ascendant le premier degré du
Sagittaire. Voici maintenant de quelle manière il procède ; je traduis à la
lettre :
§
« Nous avons posé (ou mis par écrit) les
lettres de la corde (c’est‑à‑dire du rayon qui part) de la tête (c’est‑à‑dire
du commencement) du Sagittaire, (celles du rayon) opposé (lequel part) de la
tête (commencement) des Jumeaux ; et (celles) de son tiers, qui est la
corde de la tête du Verseau [41].
(On prend ces lettres en allant de la circonférence) jusqu’à la limite qui est
le centre (de tous les cercles de la zaïrdja). Nous y avons joint les
lettres de la question et nous en avons examiné le nombre (total), qui ne doit
pas être moins de 88 ni plus de 96, (chiffre qui) est la somme d’un dour
sain [42].
Il y avait dans notre question quatre‑vingt‑treize (lettres, en tenant compte
des lettres prises dans la zaïrdja). On raccourcit la question si (le nombre
des lettres) dépasse 96, et, de même, on y supprime p.202 tous les dours duodécimains, pour ne garder que ce
qui en résulte et qui reste. Dans notre question, il y avait sept dours,
et le restant était 9. Posez‑le (c’est‑à‑dire ce chiffre) parmi les lettres, si
l’ascendant n’atteint pas douze degrés ; s’il les atteint, ne posez pour
lui (?) ni nombre ni dour [43]. Ensuite posez (prenez note de) leurs
nombres, dans le cas où l’ascendant, ayant dépassé vingt‑quatre degrés, (se
trouvera) dans la troisième face (ou dernier tiers du signe). Posez ensuite
l’ascendant, qui est 1, le sultan de l’ascendant, qui est 4, et le grand dour, qui est 1. Ajoutez l’ascendant au
dour ; vous obtiendrez 2, dans la question qui nous occupe. Multipliez ce
qui sort d’eux (leur somme) par le sultan du signe, vous obtiendrez 8 ;
ajoutez le sultan à l’ascendant, et vous aurez 5. Voilà sept bases. Si le
produit de l’ascendant et du grand dour, multiplié par le sultan du
Sagittaire, n’atteint pas 12, on entre dans le côté de huit, (à compter) du bas
du tableau en montant ; et s’il dépasse douze, on en rejette (un ou)
plusieurs dours. Vous entrez avec le restant dans le côté de huit et
marquez le point où le numéro s’arrête. Avec le 5, tiré du sultan et de
l’ascendant, vous entrez dans le côté de la surface plane, en haut du tableau.
Vous compterez successivement cinq dours, que vous retiendrez jusqu’à ce
que le numéro s’arrête vis‑à‑vis des cases du tableau qui portent des nombres.
S’il s’arrête vis‑à‑vis d’une des cases vides du tableau, sur l’une des deux
(a), n’en tenez pas compte, mais continuez (à opérer) avec vos dours sur l’une des quatre lettres,
savoir, ﺍ (a), ﺐ (b), ﺝ (dj) et ﺯ (z). Nous avons trouvé que le nombre est
tombé sur la lettre ﺍ , et que trois dours
sont restés. Nous avons multiplié 3 par 3, ce qui donnait 9, le nombre du
premier dour. p.203 Posez‑le et
prenez la somme des deux côtés, du perpendiculaire et du plan, pour que cela
entre dans la case de huit. »
§
L’opération continue encore très longuement et
donne enfin une lettre qui se met à part ; elle recommence ensuite pour
chacune des autres lettres qui forment la question, et finit par produire une
suite de lettres isolées, qui, étant combinée avec celle dont se compose un
vers technique [44]
très usité chez une certaine classe de devins, fournit une autre suite de
lettres isolées.
§ On
réunit celles‑ci de manière à en former des mots arabes, mais en ayant soin de
n’apporter aucun changement à l’ordre dans lequel elles se sont présentées. Ces
mots forment la réponse, et, comme on a employé dans l’opération toutes les
lettres du vers technique, sans en omettre celle qui forme la rime, la réponse
se termine par cette même rime. Voici la réponse qu’Ibn Khaldoun prétend avoir
obtenue à la question qu’il s’était proposée ; il en donne les lettres
seulement, ayant négligé de les combiner ensemble afin d’en former des mots.
J’ai formé ces mots et je les place ici, suivant en cela l’exemple du
traducteur turc :
§
§
Ce que je traduis ainsi : « Va
donc ! l’Esprit de la sainteté en a manifesté le mystère à Idrîs ; de
sorte que, par elle, il est monté au faîte de la gloire. » Nous apprenons
ainsi que la zaïrdja est d’une origine très ancienne et qu’elle eut pour inventeur Idrîs,
saint personnage que plusieurs docteurs musulmans ont identifié avec Énoch.
§
Le reste du chapitre est consacré à d’autres
opérations divinatoires qui peuvent se faire avec la zaïrdja, ou avec
des p.204 lettres de l’alphabet, et se
termine par un paragraphe dans lequel l’auteur nous enseigne la manière de découvrir
les rapports mystérieux qui existent entre les lettres et les quatre éléments.
§
Bien que tout ce chapitre, à commencer par le
poème d’Es‑Sibti, soit rempli de termes techniques, d’expressions énigmatiques,
de procédés très compliqués et de spéculations tout à fait chimériques, j’avais
cru à la possibilité de le traduire. Je désirais surtout vérifier la marche de
la longue opération par laquelle notre auteur était parvenu à obtenir cette
réponse, et, dans ce but, je commençai par collationner le texte de l’édition
de Paris avec les manuscrits C et D et avec l’édition de Boulac. Je reconnus
alors que nous ne possédions pas une copie correcte du poème, ce dont M.
Quatremère s’était déjà aperçu, puisqu’il nous en a donné un si grand nombre de
variantes. Les manuscrits de la Bibliothèque impériale et l’édition de Boulac
m’en fournirent encore beaucoup, et le texte du même poème, reproduit d’après
les manuscrits de Constantinople par le traducteur turc, m’offrit encore de
nouvelles leçons et, de plus, une foule de variantes recueillies par ce savant.
Les manuscrits 1166 et 1188 de la Bibliothèque impériale renferment plusieurs
petits traités sur la zaïrdja et fournissent encore une copie du
poème ; mais j’y remarquai des vers interpolés, des suppressions et
beaucoup de nouvelles leçons [45].
Muni de cette masse de variantes, j’essayai de rétablir ce texte, altéré de p.205 tant de manières par l’incurie et par
l’ignorance des copistes ; mais je m’aperçus que, même avec ces secours,
je ne pouvais arriver à un résultat satisfaisant : les tournures insolites
et les termes obscurs dont l’auteur, Es‑Sibti, s’était servi dans le but
d’éblouir les profanes et de leur cacher le sens de son poème, ont été si
incorrectement reproduits, qu’il est impossible de les rectifier, quelles que
soient les leçons qu’on adopte. Il me fallut donc renoncer à en entreprendre la
traduction. Je pensai alors qu’en étudiant la description qu’Ibn Khaldoun
donne du procédé, et en opérant d’après ses indications, je parviendrais à comprendre
la marche de ce jeu cabalistique ; mais, avant de m’y engager, je sentis
qu’il me fallait avoir une copie de la zaïrdja
sous les yeux, et, chose bien extraordinaire, aucun de nos manuscrits,
aucune de nos éditions ne la donne. Un manuscrit de la bibliothèque d’Alger renferme,
il est vrai, plusieurs petits tableaux circulaires portant l’inscription de zaïrdja d’Es‑Sibti, mais ils ne
répondent pas à la description qu’Ibn Khaldoun nous en a fournie. Ayant eu plus
tard entre les mains la traduction turque des Prolégomènes par Djevdet
Efendi, j’y trouvai une grande feuille sur laquelle étaient lithographiés deux
tableaux, l’un circulaire et l’autre, carré, avec l’inscription zaïrdjat el‑Aalem (tableau circulaire de
l’univers). Le premier tableau, composé de cercles concentriques, traversés par
des rayons, est placé entre quatre cercles plus petits. On voit sur les
circonférences et les rayons des cercles concentriques et dans l’intérieur des
cercles extérieurs un grand nombre de chiffres numériques, de lettres et de
sigles, appartenant, les uns à l’alphabet secret appelé ﻢﺎﻣﺯﻠﺍ ﻡﺷﺮ (rechm ez‑zemam, c’est‑à‑dire écriture d’enregistrement), et p.206
les autres à l’alphabet nommé ﺮﺎﺑﻐﻟﺍ ﻡﺷﺮ (rechm el‑ghobar). Le
second tableau a la forme d’un parallélogramme partagé en plusieurs milliers de
cases, dont environ la moitié contient des chiffres, des lettres ou des sigles.
§
Croyant enfin posséder l’instrument que j’avais
souhaité, je repris le texte d’Ibn Khaldoun et je commençai à l’étudier et à
faire l’opération qu’il décrit. Je reconnus bientôt que ces tableaux ne
fournissaient pas les résultats indiqués par notre auteur. Ayant alors conçu
des doutes sur l’exactitude de la zaïrdja
el‑Aalem, et ayant confronté le parallélogramme avec la description déjà
insérée dans ces Prolégomènes, je m’aperçus
qu’au lieu de contenir 55 x 131 = 7205 cases, il n’en
renfermait que 55 x 128 = 7040 ; trois colonnes, de
cinquante‑cinq cases chacune, y manquaient.
§
Cette découverte m’ôta l’espoir de pouvoir
accomplir ma tâche, car, évidemment, je n’avais pas le même tableau auquel Ibn
Khaldoun avait appliqué son procédé ; d’ailleurs, les manuscrits et les
éditions imprimées ne s’accordent pas toujours dans la reproduction des
nombreux chiffres et sigles cabalistiques qui se rencontrent dans ce traité.
Toutes les incorrections que je viens de signaler, la complication des
procédés, l’obscurité. répandue à dessein sur les passages les plus importants
du texte, et surtout l’absence d’un bon exemplaire des tables, me décidèrent enfin
à discontinuer un travail qui ne pouvait offrir un résultat satisfaisant. Je le
fis avec d’autant moins de regret que le sujet lui-même n’a aucune importance
réelle ou scientifique, et qu’Es‑Sibti, en imaginant son procédé, n’a
probablement eu pour but que d’abuser de la crédulité de ses lecteurs.
§
§
@
§
p.207 *191 Cette
science a pour objet la substance qui s’emploie dans un procédé artificiel pour
amener à la perfection l’or et l’argent [46].
Elle expose aussi l’opération qui conduit à ce résultat. (Les alchimistes)
font des expériences sur toute espèce de choses, après en avoir constaté les
tempéraments et les vertus ; et cela dans l’espoir que le hasard leur fera
rencontrer la substance douée de la propriété qu’ils recherchent. Ne se
bornant pas uniquement aux minéraux, ils examinent jusqu’aux matières
provenant des corps animés, et travaillent sur les os, les plumes, les poils,
les œufs et les excréments. La même science indique les procédés qui ont pour
but de faire passer cette substance de la puissance à l’acte ; comme, par
exemple, la *192 résolution des corps en
leurs parties constituantes [47]
par l’emploi de la sublimation, de la distillation, de la solidification des
liquides en les saturant avec de la chaux (calcination), de la lévigation des
corps durs faite par le moyen du pilon et de la molette, etc.
§
Ils prétendent retirer de toutes ces opérations
un corps naturel auquel ils donnent le nom d’élixir (el‑ikcîr), et qui,
étant projeté sur un corps minéral, le plomb, par exemple, ou l’étain, ou le
cuivre, le convertit en or pur, quand on aura disposé ce corps ou ce métal par
une opération, assez facile, du reste, à recevoir la forme de l’or ou de l’argent, après l’avoir chauffé dans le feu.
Dans la terminologie obscure et énigmatique de cet art, l’élixir s’appelle l’âme, et la masse inorganique [48]
sur laquelle on le projette est désignée par le mot corps. p.208 Cette science a aussi pour but
d’expliquer [49]
ces termes techniques et le procédé par lequel on donne la forme de l’or ou de
l’argent à des corps préparés d’avance pour subir cette transmutation.
§
Depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, on
n’a cessé d’écrire sur l’alchimie, et quelquefois même on en a publié des
ouvrages sous les noms de personnes qui ne s’étaient jamais occupées de cette
partie. De tous ces auteurs, celui que les alchimistes regardent comme le
grand maître de l’art est Djaber Ibn Haïyan [50] ;
ils vont même jusqu’à nommer l’alchimie la science
de Djaber. Cet auteur écrivit sur l’alchimie et laissa soixante et dix
épîtres qui ressemblent toutes à des recueils d’énigmes. Il prétendait même
que, pour avoir la clef du sens de ces traités, on devait connaître d’avance
toute la science qu’ils renfermaient. Toghraï [51],
philosophe qui parut en Orient dans un des derniers siècles, nous a laissé
plusieurs recueils renfermant des traités d’alchimie et le récit de ses
discussions avec les gens du métier et autres philosophes. Maslema el‑Madjrîti,
philosophe espagnol, a écrit sur l’alchimie un livre intitulé Retba tel‑Hakim et devant servir de
pendant à un autre ouvrage qu’il avait composé sur la magie et les talismans,
et auquel il avait donné le titre de Ghaïat
el-Hakîm. *193 Ces deux volumes, selon lui, sont le produit
de la philosophie et le fruit de toute la science. « Celui, disait‑il,
qui ne les comprend pas est étranger également à la philosophie et à la
science. » Le Retba et tous les autres traités composés
par les alchimistes sont remplis d’expressions énigmatiques qu’on aurait bien
de la peine à comprendre, à moins d’avoir étudié la terminologie de l’art. Nous
indiquerons (ci-après) le motif qui porta les alchimistes à employer ces termes
obscurs et énigmatiques.
§
Ibn el‑Mogheïrebi [52],
un des grands maîtres dans cet art, a mis en p.209
vers plusieurs maximes qui s’y rapportent. Ces morceaux sont rangés par
ordre alphabétique, selon les lettres qui les terminent, et forment un poème
d’un caractère très original [53].
Le style en est tellement énigmatique, tellement obscur, qu’à peine peut‑on y
comprendre la moindre chose. Quelques traités sur l’alchimie portent le nom
d’El‑Ghazzali, mais on les lui attribue à tort ; la haute intelligence de
cet homme [54]
aurait été incapable d’adopter les doctrines erronées des alchimistes, et
encore moins de les professer. On attribue aussi certains procédés de l’art et
certains dictons qui s’y rapportent à Khaled Ibn Yezîd Ibn Moaouîa, beau‑fils
de Merouan Ibn el‑Hakem [55] ;
mais, comme nous savons parfaitement bien que Khaled était de la race arabe‑bédouine
et que la civilisation (imparfaite) de la vie nomade lui était bien plus
sympathique (que celle de la vie sédentaire), il a dû ignorer complètement les
sciences et les arts. Comment donc admettre qu’il se serait occupé d’un art
aussi singulier dans ses procédés que l’alchimie, d’un art basé sur la connaissance
des caractères naturels offerts par les divers (corps) composés et des
tempéraments [56]
qui les distinguent ? Ajoutons qu’on n’avait pas encore publié ni même
traduit les écrits laissés par les savants qui s’étaient adonnés à la culture
des sciences, telles que la physique et la médecine. On peut supposer, à la
rigueur, que, parmi les amateurs des études scientifiques, il y avait un autre
Khaled Ibn Yezîd, et qu’on a confondu celui-ci avec son homonyme.
§ Je
vais reproduire ici une épître traitant de l’alchimie, qu’Abou *194 Bekr Ibn Bechroun [57],
un des élèves de Maslema, avait adressée à son p.210
condisciple Ibn es‑Semh [58].
Le lecteur qui aura examiné cette pièce avec l’attention qu’elle mérite y
reconnaîtra la tendance de la doctrine professée par l’auteur. Après une
introduction qui n’a aucun rapport avec le sujet, on lit ce qui suit [59] :
§
« Toutes les (notions) préliminaires sur
lesquelles ce noble art est fondé, savoir, la connaissance de la formation des minéraux,
des pierres et des pierreries, et de la nature des pays et des lieux, ayant été
exposées par les anciens et rapportées par les philosophes, nous sont
maintenant tellement familières qu’il est inutile d’en parler. Mais, en
revanche, je vais vous expliquer ce que vous avez besoin de savoir au sujet de
cet art. Je commencerai par dire en quoi il consiste. « Celui, disent les
adeptes, qui veut apprendre notre art, doit savoir d’abord trois choses :
1° s’il est possible de la [60]
faire ; 2° de quoi elle se fait ; 3° comment elle se fait. Quand on
les sait d’une manière parfaite, on possède tout ce qu’on peut désirer
relativement à cette science, et l’on est parvenu au but qu’il fallait
atteindre. » Ayant voulu vous épargner la peine d’examiner si elle [61]
existe et de chercher à constater l’existence de la chose au moyen de laquelle
on puisse la faire, je vous avais déjà envoyé une portion d’élixir [62].
Passons à la seconde question : De quoi se fait-elle ? Par ces mots,
les alchimistes désignent la recherche de la pierre dont on peut tirer l’œuvre [63],
et (ils nous donnent à entendre) que p.211 l’œuvre réside virtuellement dans toutes
les choses, vu que, depuis le commencement, elles consistent en des
combinaisons des quatre natures [64]
et qu’elles s’y résolvent à la fin. Parmi les choses, il y en a dans lesquelles
l’œuvre existe [65]
en puissance, mais non pas en acte, car il faut savoir que les unes peuvent se
décomposer et les autres ne le peuvent pas. Les choses capables d’être
décomposées se laissent traiter et manipuler, et passent de la puissance à
l’acte ; les choses *195 indécomposables
ne peuvent subir ni traitement ni manipulation, parce qu’il (l’œuvre) n’y
existe qu’en puissance. Il est impossible de les décomposer, parce que leurs
éléments constituants sont intimement mêlés ensemble [66],
et que l’élément (littéral. la nature) qui y prédomine l’emporte sur ceux qui
s’y trouvent en moindre quantité [67].
Ce qu’il vous faut donc absolument, puisse Dieu vous favoriser ! c’est de
savoir reconnaître la pierre la plus convenable d’entre celles qui se laissent
décomposer et desquelles l’œuvre puisse s’obtenir. Vous aurez à en
connaître l’espèce, la vertu et l’effet ; vous devez aussi connaître les
manipulations (diverses), telles que la résolution ; l’amalgamation, la
purification, la calcination, la macération et la transmutation. Celui qui
ignore [68]
ces principes, lesquels sont en réalité le fondement de notre art, n’y réussira
jamais et n’arrivera à rien qui vaille. Vous aurez aussi à savoir s’il est
possible d’employer cette (pierre) seule, ou s’il faut en aider l’action au
moyen d’une autre (substance). Il faut aussi savoir si elle est homogène dès
son origine, p.212 ou si, étant associée à
une autre (substance), elle devient homogène pendant qu’elle subit ce traitement,
en sorte qu’on la désigne alors par le nom de pierre. Vous aurez aussi à connaître le mode de son
action, le poids (de la quantité qu’on doit employer), les heures (où il
convient de s’en servir), la manière dont l’esprit est combiné avec elle et
comment l’âme s’y laisse
introduire. Vous devrez savoir de plus si le feu a le pouvoir d’en détacher
(l’esprit) qui se trouve déjà combiné avec la (pierre), et, s’il y est
impuissant, d’en reconnaître la raison et la cause efficiente. Voilà le desideratum.
§
« Comprenez donc bien et sachez que tous
les philosophes ont fait l’éloge de l’âme et déclaré qu’elle est la directrice
du corps, qu’elle le soutient, le protège [69]
et agit conjointement avec lui. Cette opinion est fondée sur le fait que le
corps, lorsque l’âme l’a quitté, reste mort, froid, incapable de se remuer ou
de se défendre ; et cela parce qu’il ne renferme ni la vie ni la lumière.
Je cite l’exemple du corps et de l’âme, parce que (le produit de) notre art
ressemble au corps humain, dont l’organisation se maintient au moyen des repas
pris le matin [70]
et le soir ; et alors la persistance et la perfection dépendent de l’âme *196 vivante et lumineuse, au moyen de laquelle
et de la force vitale qu’elle renferme il fait des choses prodigieuses et contraires
les unes aux autres, (effets) dont l’âme seule est capable. L’homme est
passif [71]
à cause du désaccord des natures (ou éléments) dont il est composé ; si
ces natures avaient été en unisson, à l’abri d’accidents et de contrariétés,
l’âme n’aurait pas eu le pouvoir de quitter le corps et y serait restée
éternellement. Gloire au modérateur de toutes les choses, à l’Être
suprême ! Sachez que les éléments d’où procède l’œuvre forment une quiddité répulsive, fournie
originairement par une émanation et devant, de toute nécessité, avoir une
fin ; et, de même que, nous l’avons dit à l’égard de l’homme, il (l’œuvre)
ne peut pas se p.213 résoudre en ses
éléments constituants tant qu’il est dans un corps. En effet, les natures (ou
éléments) dont cette substance est composée ont été tellement attachées les
unes aux autres, qu’elles forment une chose homogène, ayant de la ressemblance
avec l’âme par sa force et par son action, de même qu’elle ressemble au corps
en ce qu’elle est composée et palpable ; ce qui a eu lieu après qu’elle
(cette chose) eut été (dans l’état) de simples natures (éléments) séparées les
unes des autres. Admirons les opérations extraordinaires des natures !
(Voyez) comment la force est (donnée) au faible, (de sorte) qu’il peut décomposer
les choses, les combiner et les perfectionner. Voilà pourquoi j’ai employé les
termes fort et faible (pour
désigner l’âme et le corps) [72].
§
« Le changement et le dépérissement subis
par la première combinaison proviennent. du désaccord (des éléments constituants) ;
l’immutabilité et la persistance appartiennent à la seconde (combinaison), par
suite de l’accord (des éléments). Un des anciens a dit : « La
séparation (décomposition) et la désunion sont, pour cet œuvre, la vie et la durée, de même que la combinaison (est pour
lui) la mort et le dépérissement. » Cette parole renferme une pensée très
profonde ; en effet, le philosophe voulait indiquer, par les mots vie
et durée, que l’(œuvre) est
sorti [73]
du néant pour entrer dans l’existence, vu que, dans sa première composition, il
ne pouvait pas durer et devait nécessairement dépérir, tandis que, dans la
seconde, il n’était pas exposé à périr ; mais cette (dernière) combinaison
ne peut avoir lieu qu’après la séparation et la désunion. Il faut donc regarder
l’acte de *197 séparer et de désunir comme
spécial à l’œuvre [74].
Aussi, quand le corps qu’il s’agit de dissoudre se rencontre avec (l’œuvre), il
s’y délaye, parce qu’il y a absence de forme. En effet, il est alors [75]
à l’égard de p.214 ce corps comme une âme
privée de forme. Cela résulte du fait qu’étant entré dans le corps, il est
tout à fait sans pesanteur, ainsi que je vous le montrerai, s’il plaît à Dieu.
Vous devez savoir aussi qu’il est plus facile de mêler le délié avec le délié
que l’épais avec l’épais. Je désire vous indiquer par ces mots l’accord qui
existe entre les esprits et les corps ; car les choses s’unissent à
raison de leur accord mutuel. Je vous [76]
dis cela pour vous apprendre que (l’emploi de) l’œuvre à l’égard des natures
déliées et spirituelles est plus convenable et plus facile que son emploi à
l’égard des (choses) grossières et corporelles. Notre intelligence conçoit très
bien que les pierres offrent plus de résistance au feu que les esprits. Vous
n’avez qu’à observer l’or, le fer et le cuivre ; ils résistent mieux au
feu que le soufre, le mercure et les autres esprits. Je dis maintenant que les
corps ont commencé par être des esprits, et qu’ils ne furent convertis en corps
doués de cohérence et de densité qu’après avoir éprouvé la chaleur de la nature
plastique (kiân). Le feu ne peut pas alors les consumer, à cause de leur
extrême densité et de leur cohésion. Quand le feu est très intense, il les
convertit en esprits, ainsi qu’ils l’avaient été lors de leur première
formation ; mais les esprits déliés, étant exposés au feu, ne peuvent pas
y résister et se volatilisent. Il vous faut maintenant connaître ce que font
les corps et ce que font les esprits dans leurs états respectifs [77] ;
c’est là la chose la plus importante que vous puissiez apprendre. Aussi je vous
dirai que les esprits se volatilisent et se consument à cause de leur
inflammabilité et de leur ténuité. Ils s’enflamment à cause de leur grande
humidité et parce que le feu s’attache *198 à
l’humidité aussitôt qu’il la sent, et cela pour la raison qu’elle lui ressemble
par sa nature aérienne. Le feu continue à s’en nourrir jusqu’à qu’il n’en
laisse plus rien. Cela a lieu aussi pour les corps lorsqu’ils sont assez peu
compactes pour se volatiliser par l’application du feu. Ils ne s’enflamment
pas, par la raison qu’ils sont composés de terre et d’eau, (matières) qui
résistent au feu parce que leur p.215 portion
déliée [78]
s’est unie à la portion épaisse par l’effet d’une coction lente et prolongée,
celle qui opère le mélange des choses [79].
Expliquons cela. Toute chose qui peut se réduire à rien éprouve ce sort quand
on y applique le feu, parce que le délié qu’elle renferme se sépare alors de
l’épais, et que les diverses parties de cette chose étaient enchevêtrées les
unes dans les autres sans qu’il y eût ni dissolution ni affinité. Cette espèce
de jonction, cette intromission des parties les unes dans les autres, n’est pas
un mélange, mais une simple agrégation. Il est donc facile de séparer les
diverses parties (d’une chose), ainsi que cela peut se faire pour l’eau et
l’huile et pour d’autres mélanges. Je vous présente cette théorie [80]
afin qu’elle vous mène à la connaissance de la manière dont les natures se
combinent et de leur correspondance mutuelle. Quand vous aurez appris cela
d’une manière satisfaisante, vous aurez obtenu votre portion (de la
connaissance) de cet (art). Sachez aussi que les humeurs [81],
lesquelles sont les natures dont il est question dans cet art, ont de
l’affinité les unes avec les autres et sont chacune une partie séparée d’une
même substance. Elles s’y trouvent réunies toutes dans un ordre uniforme et
d’après une règle unique. Rien d’étranger n’entre ni dans la totalité (de cette
substance), ni dans aucune de ses parties, comme l’a très bien dit un
philosophe. Si vous savez employer ces natures et les faire concorder, sans
que rien d’étranger y entre, le résultat est à l’abri de toute erreur [82].
Sachez que, si un corps ayant de la parenté avec cette nature se dissout [83]
dans elle d’une manière convenable, et surtout s’il p.216 lui ressemble par la ténuité et la subtilité, elle s’étend
dans ce corps et l’accompagne partout ; car les corps, tant qu’ils
conservent leur densité et leur grossièreté, ne s’étendent pas (dans autre
chose) et ne *199 s’y allient pas. La
dissolution des corps ne peut se faire sans (le concours d’) âmes. Comprenez
bien ces paroles et que Dieu vous dirige ! Sachez aussi que cette
dissolution (ayant eu lieu) dans le corps de l’animal [84]
est (comme) la vérité, qui ne se laisse pas anéantir ni affaiblir. C’est elle
qui transmue les natures, qui les fixe et qui leur fait montrer des couleurs et
des fleurs (reflets) admirables. La dissolution de toute chose qui se ferait
contrairement à ce (procédé) n’est pas une véritable dissolution, parce qu’elle
est contraire à la vie. Pour dissoudre (réellement) une chose, il faut employer
ce qui a de l’affinité avec elle et ce qui peut en écarter l’ardeur brûlante du
feu ; alors cette chose perd sa qualité grossière, et (ses) natures
échangent leur état actuel contre celui de la subtilité et de la
grossièreté [85]
qu’il leur est permis de prendre. Lorsque les corps sont parvenus au terme de
leur dissolution et de leur atténuation, il se manifeste en eux la faculté de
se fixer, de se changer, de se convertir et de se pénétrer ; et chaque
opération dont l’exactitude n’est pas certaine dès le commencement ne vaut
rien. Sachez aussi que, d’entre ces natures, celle qui est froide sert à
dessécher les choses et à en coaguler l’humidité, et que la nature chaude fait
paraître l’humidité des choses et en coagule les parties sèches. J’indique ici
le chaud et le froid, parce qu’ils sont actifs, tandis que l’humidité et la
sécheresse sont passives, et que la soumission de chaque élément à l’élément
qui lui correspond produit les corps et leur donne l’existence. Si le chaud
agit plus fortement que le froid, c’est parce que celui-ci n’a pas le pouvoir
de déplacer les choses et de les remuer ; le chaud (seul) est la cause du
mouvement. La cause de l’existence, c’est la chaleur ; si elle est trop
faible, il n’en résulte jamais rien ; de même que, si elle agit p.217 trop fortement sur un objet et qu’il n’y
ait pas là du froid, elle le brûle et le détruit. L’élément froid est donc
absolument nécessaire dans ces opérations ; c’est lui qui donne à un des
contraires la force *200 de résister à
l’autre et qui éloigne de lui la chaleur du feu. Il n’y a rien que les
philosophes redoutassent tant que les feux trop ardents. Ils ordonnaient aussi
de purifier les natures et les esprits, d’en expulser les ordures et
l’humidité, d’en faire disparaître les causes de dépérissement et les
impuretés.
§
« Telle est leur opinion bien arrêtée et
leur pratique constante ; en effet, leurs opérations commencent et se
terminent par le feu. Aussi disent‑ils : « Gare aux feux très
ardents. » Par cette recommandation, ils donnent à entendre que vous
devriez écarter les causes de dépérissement qui pourraient accompagner (le
sujet sur lequel on opère), car, autrement, vous auriez réuni deux choses
préjudiciables au corps, et la destruction (de ce corps) n’en serait alors que
plus rapide. Il en est ainsi de chaque chose ; rien ne se corrompt, rien
ne se détériore que par l’opposition mutuelle de ses natures et par la
diversité (de ses éléments constituants) ; qu’une chose soit placée entre
deux (opposés), sans avoir rien pour la fortifier et pour l’aider, elle doit
nécessairement succomber à son infirmité et périr. Sachez que les philosophes
ont souvent parlé des esprits qui rentrent à plusieurs reprises dans les corps,
afin de s’y attacher davantage et de leur donner plus de force pour combattre
le feu, lorsqu’il [86]
s’applique immédiatement à eux au moment de l’intimité. C’est du feu
élémentaire que je veux parler ici. Passons maintenant [87]
à la pierre dont il est possible de tirer l’œuvre, et suivons ce que les
philosophes en ont dit : Ils ont émis à ce sujet des avis contradictoires :
les uns prétendent qu’elle existe dans le (règne) animal ; d’autres
assurent qu’elle se trouve dans la plante [88],
et d’autres qu’elle p.218 est dans le
minéral. Enfin, selon d’autres, elle existe dans les trois (règnes).
§
« Je n’exposerai pas ici les détails de ces
assertions [89]
ni les controverses qui ont eu lieu à ce sujet parmi les adeptes, car cela me
mènerait trop loin. J’ai dit plus haut que l’œuvre (existe) virtuellement dans
toute chose, par la raison que les natures existent de cette manière (c’est‑à‑dire
virtuellement) dans toute chose. Voulant maintenant vous faire savoir de quelle
chose l’œuvre peut procéder, soit en puissance, soit,
en acte, j’emprunterai la parole d’El‑Harrani [90] : *201 « Les teintures, dit‑il, sont de deux espèces : l’une est celle du
corps, comme, par exemple, le safran, (qui pénètre) dans un vêtement blanc au
point de le parcourir en tous sens [91] ;
cette teinture s’efface et se décompose ; l’autre, c’est la conversion
d’une substance dans une autre, dont elle prend aussi la couleur. Voyez
l’arbre : il convertit la terre en sa propre substance ; voyez aussi
l’animal : il s’assimile la plante ; de cette manière la terre
devient plante et la plante devient animal. Cette teinture ne peut exister
qu’au moyen de l’âme vivante et de la nature agissante, à laquelle appartient
d’enfanter les masses (corps organisés) et de changer les individualités. Cela
étant ainsi, je dis que l’œuvre doit être soit dans l’animal, soit dans la
plante ; et la preuve en est que ces deux (classes d’êtres) sont
constituées par la nature pour recevoir de la nourriture, (chose) qui sert à
les maintenir (dans l’existence) et à compléter leur (développement). La
plante ne possède pas la nature subtile ni la force qui existent dans l’animal,
et, pour cette raison, les sages [92]
l’emploient très rarement. L’animal marque le troisième et dernier degré de la
conversion : le p.219 minéral peut
devenir plante, la plante peut se convertir en animal [93],
mais l’animal ne peut se changer en rien qui soit plus subtil que lui. (S’il se
change, ) c’est pour s’en retourner à un état plus grossier. D’ailleurs, rien
n’existe dans l’univers à quoi l’esprit vivant puisse s’attacher, à moins que
ce ne soit l’être animé. Or l’esprit (l’âme) est ce qu’il y a de plus subtil
dans l’univers, et ne s’attache à l’animal qu’à cause de sa conformité avec
lui. L’âme des plantes est petite, renferme un certain degré de grossièreté et
de densité ; elle reste enfermée et cachée dans la plante, ce qui tient à
sa nature grossière et à celle du corps de la plante. La plante ne saurait se
remuer à cause de sa propre grossièreté et de celle de son âme. L’âme qui se
meut est beaucoup plus déliée que l’âme cachée (dans la plante) ; et cela
parce que la faculté de se remuer est celle de prendre *202 de la nourriture, de changer de place et de respirer.
L’âme cachée ne possède que la faculté de se nourrir. Cette âme, comparée avec
l’âme vivante, est comme la terre comparée avec l’eau ; il en est de même
de la plante comparée avec l’animal. L’œuvre qui est dans l’animal est
donc la plus élevée, la plus exaltée, la plus facile et la plus traitable de
toutes. L’homme intelligent qui sait cela expérimente sur ce qui est facile à
traiter, et laisse de côté ce qu’il soupçonne d’être réfractaire. »
Sachez que les philosophes regardent le (règne) animal comme formant (deux)
divisions, dont l’une renferme les mères, c’est‑à‑dire les natures, et dont l’autre
se compose des enfants, c’est‑à‑dire
les nouveautés (choses produites). Cela est, du reste, compréhensible, même à
une faible intelligence. Ayant partagé de même les éléments et les enfants en
(deux) divisions, dont l’une renferme les vivants et l’autre les morts, ils
regardent comme actif et vivant tout ce qui peut se remuer, et comme passif et
mort [94]
tout p.220 ce qui ne se remue pas. Pour eux,
cette division s’étend à toutes les choses : aux corps, aux individualités
et aux substances minérales [95].
Ils ont appelé vivante toute chose
qui se fond au feu, s’envole et s’enflamme ; aux choses qui ne possèdent
pas ces propriétés, ils ont donné le nom de mortes :
Pour ce qui regarde (le règne) animal et (le règne) végétal, ils ont nommé vivant ce qui peut se résoudre en quatre
natures, et mort ce qui ne se résout
pas. Ayant ensuite examiné toutes les divisions (des choses) vivantes, afin d’y
découvrir ce qui conviendrait le mieux à cet art et qui se résoudrait en
quatre éléments [96]
visibles à l’œil, ils trouvèrent que c’était la pierre (philosophale) du
(règne) animal. Ils essayèrent alors d’en déterminer l’espèce, et parvinrent à
bien connaître cette pierre et à l’employer de manière à en tirer la chose
qu’ils cherchaient. Quelquefois aussi ils tiraient cette chose des minéraux et
des plantes, après avoir réuni et mêlé les substances pour *203 en effectuer la résolution. Parmi les
plantes, il y en a qui se résolvent en une partie seulement de ces
produits [97],
(et qui), par exemple, (ne fournissent que) la soude [98].
Quant aux minéraux, ils renferment des corps, des âmes et des esprits qui,
étant mêlés et traités (convenablement), fournissent une (chose) qui a de
l’influence. Nous avons opéré sur tout cela, et nous avons trouvé que le
(règne) animal était le plus exalté, le plus élevé, le plus facile et le plus
commode à manier. Vous avez encore à connaître quelle est la pierre qui existe
dans l’animal et la manière dont elle existe. Nous avons déjà indiqué que, de
tous les enfants [99],
l’animal tient le rang le plus élevé, et que le composé (tiré) de l’animal est
le plus délié de tous. Il en est de même de la plante comparée avec la
terre ; elle est plus déliée, parce qu’elle est formée de la substance la
plus pure de la terre et de sa p.221 partie [100]
la plus subtile. Aussi doit‑elle nécessairement posséder les qualités de
subtilité et de ténuité. La pierre animale tient aussi, à l’égard de la plante,
le rang que celle‑ci occupe à l’égard de la terre. En somme, il n’y a rien
(provenant) de l’animal, excepté la pierre, qui puisse se résoudre en quatre
natures. Vous comprendrez bien ce que je viens de dire ; il n’y a que les
hommes d’une ignorance manifeste qui n’y entendront rien. Je vous ai exposé en
quoi cette pierre consiste, je vous en ai indiqué l’espèce, et maintenant je
vous expliquerai les diverses manières de la traiter, afin de m’acquitter,
s’il plaît à Dieu, de l’engagement que j’ai pris à cet égard. Voici comment
cela se fait, avec la bénédiction de Dieu : Prends la noble pierre, mets‑la
dans la cornue et l’alambic [101] ;
sépares‑en les quatre natures, qui sont l’eau, l’air, la terre et le feu, c’est‑à‑dire
le corps, l’âme, l’esprit et la teinture. Ayant séparé l’eau de la
terre et l’air du feu, enlève à part chacun de ces (éléments) dans le vase qui
le renferme, et prends *204 le précipité
(qui se trouve) au fond de la vase et qui est la salive. Lave cela dans
un feu ardent jusqu’à ce qu’il perde sa noirceur, sa solidité et sa
grossièreté ; donne‑lui, en le blanchissant, une blancheur
solide ; fais envoler hors de lui l’excès de l’humidité qui y est emprisonnée ;
il deviendra alors une eau blanche, dans laquelle il n’y aura ni nuage, ni
ordure, ni opposition mutuelle (des matières ayant des qualités contraires).
Prends ensuite la première partie des natures qui s’est élevée ; purifie‑la
aussi en lui ôtant la noirceur et l’opposition mutuelle ; soumets‑la à des
lavages répétés et à des sublimations, jusqu’à ce qu’elle devienne subtile,
déliée et pure. Quand tu auras fait cela, Dieu t’aura ouvert la porte, et alors
tu commenceras par la combinaison, qui est le pivot de l’opération. La
combinaison ne s’effectue que par mariage [102]
et par trituration : marier, c’est mêler le délié avec le grossier ;
triturer, c’est remuer et frotter. (Travaille) jusqu’à ce que les parties en
soient bien mêlées et forment une chose unique, p.222
homogène [103]
et incorruptible, qui soit analogue au mélange (fait avec) de l’eau. Le
grossier aura alors la force de saisir le délié ; l’âme sera assez forte
pour affronter le feu et pour y résister, et l’esprit pourra plonger dans le
corps et le pénétrer partout. Cela n’a lieu qu’après la combinaison, car, une
fois que le corps soluble a été marié avec l’âme, toutes ses parties se mêlent
avec elle, et les unes pénétrant dans les autres à cause de leur conformité
mutuelle forment une seule et même chose. Il résulte du fait de ce mélange que
l’âme doit nécessairement éprouver les mêmes accidents que le corps, c’est‑à-dire
la santé, la corruption, la durée et la fixité. Il en est de même de l’esprit
lorsqu’il se mêle aux deux : quand il les pénètre, par l’effet de la
manipulation, ses parties [104]
se mêlent avec *205 celles des deux
autres, c’est‑à‑dire de l’âme et du corps, et ferment avec elles une seule
chose ; cette chose est unique, homogène et analogue à
la partie générale [105] dont les natures sont parfaitement
saines et dont les parties sont d’accord. Si l’on fait rencontrer ce composé
avec le corps soluble, et qu’on le soumette à l’action du feu jusqu’à ce qu’on voie paraître sur sa surface
l’humidité qu’il renferme, il (ce composé) se fondra dans le corps soluble. Or
l’humidité est inflammable de sa nature et permet au feu de s’attacher à elle.
En ce cas, le mélange d’eau empêche le feu de s’unir avec l’esprit. En effet,
le feu ne s’unit avec l’huile qu’autant qu’elle est pure. L’eau a pareillement
pour caractère de s’enfuir du feu ; mais, quand le feu s’y attache avec
l’intention de la volatiliser, le corps sec qu’elle renferme dans son p.223 intérieur, et qui est mêlé avec elle,
empêche la volatilisation. C’est donc le corps qui sert à fixer l’eau ;
c’est l’eau qui donne de la persistance à l’huile, et l’huile qui rend solide
la teinture ; celle‑ci est la cause qui fait paraître la couleur et qui
rend manifeste la qualité huileuse qui se trouve dans les choses obscures,
dépourvues de lumière et ne renfermant point de vie. Tel est le corps dans son
état parfait, et voilà l’œuvre. — Quant à la chose appelée œuf
par les philosophes et au sujet de laquelle vous m’interrogez, je réponds que,
pour eux, ce terme ne désigne pas l’œuf de la poule. Sachez aussi qu’ils ne
l’ont pas nommé ainsi sans motif, mais parce qu’ils lui ont trouvé de la
ressemblance (avec l’œuf ordinaire). Me trouvant, un jour, seul avec Maslema,
je lui adressai cette même question : « Digne philosophe ! lui
dis‑je, pourquoi les philosophes donnent‑ils au composé (tiré) de l’animal le
nom d’œuf ? Est‑ce par fantaisie ou pour quelque
bonne raison ? » Il me répondit : « Pour une raison très
profonde. » Je lui dis *206 alors : « Docte philosophe !
quelle indication utile pour notre art, quel avantage y ont‑ils cru trouver
pour les décider à comparer ce composé à un œuf et à lui en donner le
nom ? Il me répondit : « A cause de la ressemblance qui existe
entre ces deux choses et de leur parenté en composition. Réfléchissez là‑dessus
et vous en découvrirez la raison. » Je restai devant lui à chercher
dans mon esprit la solution de la difficulté, mais je ne la trouvai pas. Voyant
que j’étais absorbé dans mes pensées et que j’avais l’esprit tout préoccupé, il
me tira doucement par le bras et dit : « Mon cher Abou Bekr !
c’est à cause de la relation qui existe entre ces deux choses, en ce qui
regarde le degré de couleur [106]
(qu’elles acquièrent) lorsque leurs natures constituantes se sont mêlées et
combinées. » Ces paroles suffirent pour écarter les ténèbres de mon
esprit, pour éclaircir mon cœur, et pour donner à mon intelligence la force de
tout comprendre. M’étant levé de ma place en remerciant Dieu, je rentrai chez
moi et dressai une figure géométrique qui devait servir à démontrer
l’exactitude de ce que Maslema p.224 avait
dit. Cette figure, je l’insère dans ma lettre et vous l’envoie [107].
Quand un composé de cette espèce est parfait et complet, le rapport de la
nature aérienne qu’il renferme est à la nature aérienne de l’œuf comme celui de
la nature ignée du même composé l’est à la nature ignée de l’œuf. Il en est de
même de la nature terreuse et de la nature aqueuse. Donc je dis : deux
choses qui ont ensemble de tels rapports doivent être semblables. Ainsi, par
exemple, représentons la surface de l’œuf par les lettres h, r, o et h’, et
admettons, par supposition, que la nature [108]
la plus faible du composé soit celle de l’humidité ; ajoutez‑y la même
quantité de la nature de l’humidité, et traitez‑les de telle sorte que la
nature de la sécheresse fasse disparaître celle de l’humidité et s’empare de la
force que celle‑ci possédait. Ce *207 que je
dis ici peut vous sembler énigmatique, mais le sens ne saurait vous échapper.
Ajoutez à [109]
ces deux, pris ensemble, deux fois autant d’âme, c’est‑à‑dire d’eau, il y en
aura alors six (portions) égales : Après avoir travaillé (convenablement)
tout cela, ajoutez‑y assez d’air, c’est‑à‑dire d’esprit, pour former trois
portions, vous aurez alors en tout neuf (portions) égales, qui se composent
d’humidité en puissance. Sous chacun des deux côtés de ce composé, dont la
nature entoure la surface du composé [110],
placez deux natures : vous poserez d’abord les deux côtés qui entourent
cette surface, et qui sont la nature de l’eau et la nature de l’air [111] ;
ces côtés sont a, h’, j ; la surface est (marquée) a, b, j, d ;
puis (vous ferez) de même pour les deux côtés qui entourent la surface de l’œuf
et qui sont [112]
l’eau et l’air, côtés (que nous désignerons par les lettres) h, z, o, h’.
Alors je dis que (la surface) a, b, j, d est
semblable à la surface h, z, o, h’ (qui
est le représentant) de la nature aérienne, laquelle est nommée esprit. La même
(proportion p.225 existe) à l’égard du
(côté) b, j de la surface du composé.
Les philosophes ne donnent jamais à une chose le nom d’une autre chose, à
moins qu’il n’y ait de la ressemblance entre elles. Quant aux termes
(techniques) dont vous me demandez l’explication, la terre sainte (par exemple, je réponds que) c’est un coagulum des natures supérieures et
inférieures. Le cuivre, c’est (la substance) de laquelle on a expulsé la
noirceur et qui a été morcelée au point de former une poudre. Rougissez(‑la)
avec du vitriol, et elle deviendra cuivre. La maghnesiya (magnésie) est la pierre des adeptes dans laquelle les
âmes se consolident et qui provient de la nature supérieure dans laquelle les
âmes ont été emprisonnées afin de les soumettre au feu [113].
La forfora (porphyre ?) est une
couleur rouge foncée [114],
produite par (l’opération de) la nature plastique. Le plomb est une pierre douée de trois puissances (ou vertus) qui
diffèrent quant à leur individualité, mais qui se ressemblent et sont de la
même espèce. L’une est une puissance psychique, ignée et pure ; c’est (la
puissance) active : *208 la seconde est
spirituelle, mobile et sensitive, mais (d’une nature) plus grossière que la
première, et son centre est au‑dessous du centre de celle‑ci. La troisième
puissance est terrestre, âpre et resserrée, et se laisse réfléchir vers le centre
de la terre, à cause de sa pesanteur ; c’est la puissance qui saisit à la
fois les puissances psychiques et spirituelles et qui les entoure. Quant au
reste (de ces termes), on les a inventés et formés dans le but de dérouter les
ignorants ; mais celui qui connaît les prolégomènes (de l’art) peut se
passer d’autres (renseignements). Voici l’explication de tout ce que vous
m’avez demandé, et j’espère qu’avec la grâce de Dieu vous verrez accomplir
tous vos souhaits. Salut. »
§
Ici finit le discours d’Ibn Bechroun, un des
élèves les plus distingués de Maslema el‑Madjrîti, savant qui florissait dans
le IIIe siècle et dans le siècle suivant[115].
Maslema était le maître par excellence dans p.226
les sciences de l’alchimie, de la sîmîa
(magie naturelle) et de la magie (surnaturelle). Nos lecteurs viennent de
voir jusqu’à quel point les adeptes détournent les mots de leur signification
primitive quand ils parlent de leur art ; ils en font des logogryphes et
des énigmes qu’il est presque impossible d’expliquer ou de comprendre. Cela
suffit pour démontrer que l’alchimie n’est pas un de ces arts qui se pratiquent
au moyen de procédés naturels [116].
Voici l’opinion que l’on doit adopter à son égard, opinion fondée sur la vérité
et confirmée par les faits : c’est un de ces genres d’influence que les
esprits psychiques exercent sur le monde naturel, soit par une espèce de faveur
divine, si les esprits sont vertueux, soit par une espèce de magie, si les esprits
sont pervers et méchants. Quant à la faveur divine, elle se reconnaît
facilement ; quant à la magie, (nous avons dit, ) à l’endroit où nous en
avons démontré la réalité [117],
que le magicien transforme les êtres matériels par le moyen d’une puissance
magique dont il est le possesseur, et que, selon les adeptes, il ne saurait se
passer d’un sujet [118]
sur lequel son action magique doive s’exercer. Ainsi, par exemple, il peut
créer certains animaux avec la matière de la terre, ou avec des cheveux, ou
avec des plantes ; en un mot, il peut les créer d’une autre matière que
celle dont Dieu s’était spécialement servi pour les
*209 former. C’est ce que firent les magiciens de Pharaon avec leurs
cordes et leurs bâtons [119],
et c’est ce que font encore, dit‑on, les nègres et les Indiens, habitants des
régions lointaines du Sud, ainsi que les Turcs qui demeurent au fond des terres
septentrionales. On rapporte que ces gens font descendre la pluie du ciel par
l’emploi de la magie, et opèrent encore d’autres prodiges. Or, puisque
l’alchimie est l’art de créer de l’or avec une matière qui n’était pas
spécialement destinée à la formation de ce métal, nous devons la regarder
comme une espèce de magie. Les philosophes les plus distingués qui en ont
traité, Djaber, par exemple, et Maslema, ainsi que leurs prédécesseurs parmi
les savants d’autres nations, l’ont envisagée sous ce point de vue ; et
voilà p.227 pourquoi ils s’expriment en
énigmes. La vérité est qu’ils craignaient la réprobation dont les diverses
religions ont frappé la magie dans toutes ses branches. Ce ne fut pas [120]
dans le but de s’en réserver exclusivement la connaissance qu’ils adoptèrent
cet usage, quoi qu’en disent certaines personnes qui ne se sont pas donné la
peine d’approfondir la question. Voyez ce qu’a fait Maslema : il intitula
son traité d’alchimie Retbat el‑Hakîm (le
gradin du sage), et donna à son ouvrage sur la magie et les talismans le titre
de Ghaïat el‑Hakîm (le terme du
sage), indiquant ainsi que le Ghaïa était
d’une portée plus générale, et que le Retba
avait une portée plus restreinte. En effet, le mot ghaïâ (terme, extrême) indique une idée d’élévation que le terme retba (gradin, échelon) ne comporte pas.
D’ailleurs, les problèmes discutés dans le Retba
sont identiques, par leur sujet, avec une partie de ceux qui se trouvent
dans le Ghaïa, ou bien ils ont une
grande analogie avec eux. La manière dont l’auteur s’y exprime, en traitant ces
deux branches de sciences, fournit encore une preuve évidente de ce que je
viens de dire. J’exposerai plus loin l’erreur de ceux qui prétendent que les
moyens dont on se sert dans l’alchimie sont tout à fait naturels [121].
Dieu sait tout et est au courant de tout.
(Coran, sour. LXXI, vers. 3.)
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