Mahdi Elmandjra
Mahdi Elmandjra est un futurologue
très célèbre au Maroc. Il est également un économiste et un sociologue.
Né en 1933 à Rabat,
le Professeur Mahdi Elmandjra a fait ses études universitaires aux Etats-Unis à
l’Université de Cornell (Licence en Biologie et en Sciences Politiques) et les
continua en Angleterre où il obtint son doctorat (Ph.D. éco.) à la LONDON SCHOOL OF
ECONOMICS (Université de Londres). Il enseigne à l’Université Mohamed V à Rabat
depuis 1958.
Le Professeur
Elmandjra a reçu le Prix de la Vie Economique 1981 (France), la Grande Médaille de
l’Académie Française d’Architecture (1984), Ordre des Arts et Lettres (France,
1985), Ordre du Soleil Levant (Japon, 1986).il a également reçu la Médaille de la Paix de l’Académie Internationale
d’Albert Einstein et le Prix de la Fédération Mondiale
des Etudes sur le Futur en 1995.
« Valeur des
valeurs » :
Ce livre est
composé de trois parties. La première traite principalement des valeurs et
de la société ; la seconde insiste sur les rapports féconds entre les
valeurs et la créativité alors que la dernière souligne la place de la
mémoire en tant que valeur qui rejette l’amnésie... Pour Mahdi Elmandjra, «
La mémoire : une valeur qui donne au temps son harmonie entre un passé qui se
renouvelle, un présent éphémère et un avenir éternellement ouvert. On ne ‘
tourne pas les page’ on les relit régulièrement... » On peut détruire les
infrastructures matérielles mais on ne détruit pas la mémoire d’un peuple
comme le savent ceux qui aujourd’hui, en Israël, procèdent à des éliminations
ethniques... « Etre conscient de la valeur des valeurs c’est déjà une valeur en
soi». Mahdi Elmandjra pense que « Le commerce des idées et le monde de la
créativité ne se négocient pas à la manière des accords du libre échange et ne
se prêtent pas aux règles qui régissent les produits agricoles ou industriels.
On n’occupe pas le champ culturel comme on occupe un champ de bataille. Tout ce
que l’on réussit, c’est exacerber d’un côté l’ethnocentrisme et l’arrogance culturelle
caractérisant l’attitude d’un grand nombre de pays occidentaux, et accentuer
d’un autre côté la résistance de la majorité des peuples aux agressions
culturelles ».
Il livre une
comparaison entre les obsessions qui effrayaient le monde, il y a 20 ans, et
celles d’aujourd’hui : « Dans une émission consacrée à
la prospective, il y a déjà plus de vingt ans, j’avais insisté sur le fait que
l’Occident souffrait de trois obsessions : la démographie, l’Islam et le
Japon (Dossiers sur l’Ecran- TF1, 24- 06- 1980). Aujourd’hui, la peur de l’immigration
a remplacé celle de la démographie, la peur de la Chine s’est
substituée à celle du Japon alors que la peur de l’Islam s’est amplifiée sous
la forme d’une islamophobie à visage découvert où l’on associe ouvertement
Islam et terrorisme en ayant recours au terrorisme sémantique et au
matraquage médiatique. On oublie que dans le monde musulman, le mot paix
(essalam) est prononcé en moyenne un milliard de fois toutes les heures, soit
près de 17 millions toutes les minutes ».
Il estime que « La
paix passe par une meilleure communication culturelle, dénudée de mensonges et
de discrimination dans les rapports internationaux ». Il vise par là à dénoncer
ce qu’il appelle le mimétisme : « Le respect des valeurs des autres est la
condition essentielle pour parvenir à une relativisation du concept de «
valeurs universelles » afin de faciliter une véritable communication culturelle
entre les peuples au lieu d’insister sur leur « adaptation », par mimétisme, à
un « universalisme », préfabriqué et réductionniste aux niveaux de l’espace et
du temps de l’histoire de l’humanité. « Le jour où la vie d’un Américain ou
d’un Israélien vaudra la vie d’un ressortissant du Tiers monde en général ou
d’un ressortissant d’un pays musulman en particulier, on se rapprochera de cet
universalisme tant proclamé. Les dernières agressions barbares d’Israël
nous démontrent à quel point nous en sommes très très loin... », souligne-t-il.
L’auteur ne pouvait
pas parler d’un tel sujet sans évoquer le 11 septembre : « L’attaque aérienne
fort condamnable de New York en septembre 2001 a inauguré l’ère de la
« phobiecratie » où l’on gouverne par la peur. Une peur qui coûte cher en
matière de défense des libertés et en investissements contre le « terrorisme »
(plus de $ 400 milliards de dollars annuellement dans le monde en plus des
dépenses militaires) - un terrorisme qui n’a encore fait l’objet d’aucune
définition juridique internationalement acceptable. Un « terrorisme » qui
exclut le terrorisme qui fait le plus de dégâts en vies humaines et en
destructions matérielles- le terrorisme d’Etat. Derrière cette lutte contre le
terrorisme, se profile un combat contre d’autres systèmes de valeurs », estime
le futurologue, Mahdi Elmandjra.
La valeur de la connaissance :
L'"immatérialisation"
du matériel: les produits industriels requièrent de
moins en moins de matières premières et de plus en plus de valeur ajoutée sous
forme de matière grise. Un exemple de cette immatérialisation est le recours au
fibre optique qui a énormément réduit la quantité de matière utilisée en
comparaison avec le cuivre, miniaturisation, microprocesseurs et puces
électroniques. On parle ainsi de l'immatérialisation de l'économie.
Il faut que
l’anglais devienne la langue de l’enseignement au Maroc, nous n’avons pas le
choix. Il se peut que d’ici 30 ou 40 ans ce soit le chinois ou le japonais.
L’occident a atteint sa date de péremption !!
Macroscopie,
microscopie et relation entre les deux
«Humiliations. A l'ère du
méga-impérialisme» :
«Il est
difficile, même avec la meilleure volonté du monde, d'envisager une situation
politique et socio-économique dans le monde arabo-musulman pire que celle que
nous vivons. On baigne dans l'humiliation qui découle d'une flagrante lâcheté
sur le plan international vis-à-vis des grandes puissances et d'Israël (…)
L'humiliation est devenue un instrument de gouvernance – on pourrait même
parler d'humiliocratie».
Celui qui tient ce
discours n'est pas n'importe qui. Ce n'est pas non plus un admirateur béat de
Ben Laden et consort, ni un anti-américain indécrottable ou un ennemi
irréductible de l'Occident. Au contraire, c'est un homme qui sait de quoi il
parle et il le prouve et le démontre souvent avec la rigueur scientifique et la
pertinence d'analyse d'un chercheur de laboratoire.
Nous avons cité le
Pr. Mehdi El Mandjra dont, au demeurant, la renommée mondiale est depuis
longtemps établie et dont les avis, réflexions et projections
-précisément en
raison de leur rigueur et de leur pertinence, voire de leur précision
quasi-mathématique – sont souvent sollicités par plus d'une institution ou
médias internationaux. Les propos que nous rapportons en prologue résument, on
ne peut mieux, l'économie générale de son dernier ouvrage intitulé :
«Humiliation. A l'ère du méga-imperialisme» et dont la troisième édition revue
et actualisée vient de paraître sous les presses de l'imprimerie Najah El
Jadida.
La trame de ce
livre d'un peu plus de 220 pages de format moyen et qui consiste en un recueil
d'entretiens accordés à des médias nationaux et étrangers est tissée – on
l'aura compris – autour du comportement arrogant de l'Occident et
principalement de la manière, on ne peut plus, cavalière avec laquelle les
Etats-Unis entendent conduire les affaires du monde et leur propension à
mépriser et à traîner dans la boue tous ceux qui ne se réclament pas de la
culture judéo-chrétienne. Donc les Arabes et les Musulmans en premier
lieu mais aussi les Chinois, les Japonais, les Hindous et même ceux des
Latino-américains ou Européens qui ne se rangent pas aveuglément de leur côté
et n'épousent pas leurs thèses post-colonialistes. G.W. Bush, prenant
prétexte du drame du 11 septembre n'a cessé de marteler qui quiconque n'est pas
«avec» l'Amérique (et accessoirement avec l'Occident) est forcément «contre»
elle. Ce qui revient à dire que l'Allemagne et la France, situées au cœur même
de l'Occident sont cataloguées dans la seconde catégorie même si – pour des
raisons de politique politicienne et d'intérêts stratégiques et économiques - elles
ne sont pas ouvertement désignées comme des ennemis de Washington.
Pour l'auteur,
cette vision manichéenne et réductrice du monde trouve ses origines dans
l'absence de repères et de référentiels historiques et culturels chez
l'Américain à même de lui baliser la voie et de le mettre à l'abri des abus de
ceux qui le dirigent, parlent, décident et agissent en son nom. Cette absence
de repères et de «garde-jours» a déjà montré et démontré amplement sa nocivité,
en Amérique même, lors de la période du Mc- Cartysme, au lendemain de la seconde
guerre mondiale. Aujourd'hui, à la faveur de la «globalisation» et de la
désintégration de l'ancien bloc soviétique, ce déficit historico-culturel et
donc communicationnel, se manifeste sous ses pires formes, prend des dimensions
démoniaques et promet à terme, selon le fin analyste et prospectiviste avisé
qu'est El Mandjra de mener l'Amérique à sa perte. Faute d'avoir su se connaître
elle-même et connaître ses limites d'abord et pour n'avoir pu connaître et
comprendre le monde qui l'entoure et qu'elle veut régenter comme seul bon lui
semble.
Les diverses
expéditions permissives menées depuis la fin de la seconde guerre mondiale et
plus récemment, les guerres livrées unilatéralement par l'Amérique en
Afghanistan et en Irak au nom du sacro-saint et néanmoins, très peu évident
impératif de combattre le mal pour faire régner le bien participent toutes de
cette folle et stérile logique qui fait planer de lourdes et réelles menaces
sur le monde entier et, au premier chef, sur ceux qui la cultivent et s'en
nourrissent. Une logique et une vision qui n'ont pour seule et unique finalité
que celle d'écraser les autres civilisations, de museler toute autre culture
qui ne partage pas les valeurs occidentales et spécialement américaines,
d'imposer au reste de la planète un seul mode de pensée, un unique style de
vie, une manière typique et préalablement codifiée d'agir et de réagir. Bref,
l'humiliation dans son expression la plus cynique et la plus raffinée,
l'humiliation suprême étant celle que nous nous infligeons à nous-mêmes, nous
Arabes et Musulmans, en particulier en nous complaisant dans le rôle de
victimes impuissantes et sans défense, voire consentantes.
Car le degré
d'humiliation d'un pays ou d'une région, est, estime –t-il, directement
proportionnel à la compromission de ses dirigeants et au degré de léthargie et
de soumission de sa population». Le Pr. El Mandjra est toutefois convaincu que la
crise des «valeurs» qui secoue le monde du fait précisément du refus des uns de
reconnaître les autres est le signe avant-coureur du début de la fin de
l'empire post-colonial américain et optimiste – mais raisonnablement - il
croit en la victoire finale de toutes ces «intifidates» (par référence au
soulèvement populaire, spontané des Palestiniens contre l'occupation et
l'oppression israélienne) qui, de par le monde, font se dresser les humiliés
contre leurs humiliateurs.
Humiliation de
la colonisation : dirigeants =) gouvernements =)
petits responsables =) peuples
Mais la plus
grande humiliation est d’accepter l’humiliation …On doit faire preuve
d’amour propre et de dignité en refusant de se vendre
« Première guerre civilisationnelle »
Elmandjra était
effectivement le premier écrivain qui a parlé d'un choc des civilisations; dans
un entretien avec le magazine allemand « Der Spiegel » le 11 février 1991, il a
désigné la guerre du golfe en 1991 comme la « première guerre civilisationnelle
». Dans la même année, le professeur a publié un livre sous le même titre en
arabe, qui a paru plus tard aussi en français, anglais et japonais.
Dans ce livre,
Elmandjra distingue trois périodes fondamentales qui ont influencé le monde
pendant les derniers siècles : l'ère coloniale, qui a été caractérisé par des
enjeux d'ordre économique, le néocolonialisme, par des enjeux d'ordre politique
et depuis les années 1990, avec la fin de la guerre froide, la période
post-coloniale qui a été caractérisée par des conflits culturels. Ces derniers
sont surtout des oppositions d'intérêts entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Le début de cette période post-coloniale était, selon l'auteur, la crise et
ensuite la guerre contre l'Irak, dans laquelle s'opposaient deux cultures tout
à fait différentes : l'Occident et l'Orient.
Elmandjra voit
comme cause du conflit la diversité culturelle et il décrit trois grandes peurs
de l'Occident qui déclenche la mise à disposition à la guerre. Premièrement, il
y a la peur de la démographie. L'Occident qui représente moins de 20% de la
population mondiale s'empare plus de 80% des richesses matérielles de la
planète, mais dans 30 ans sa population ne dépassera pas 13% de celle du globe.
Deuxièmement, l'Occident craint la religion, c'est-à-dire l'Islam, car la
population musulmane est en pleine croissance et représentera bientôt plus de 40%
de la population mondiale. Finalement, l'Asie et surtout le Japon constituent
aussi un facteur faisant peur à l'Occident, à cause de son développement
technologique et économique, qui a eu lieu sans imitation des modèles
occidentaux et sans adaptation à ses valeurs.
L'écrivain décrit
ensuite que pendant la guerre du golfe en 1991, cinq mobiles des aspects
culturels du conflit se sont manifestés. Ci-joint une brève énumération :
1) Les États-Unis
comme puissance unipolaire du monde ne peuvent pas tolérer l'émergence de la
région du Golfe et surtout de l'Irak.
2) Le développement
technique de l'Irak représente une menace pour l'Occident.
3) La puissance
militaire de l'Irak représente une menace pour l'Israël et l'Occident.
4) La puissance
culturelle de l'Irak, symbole du monde arabe-musulman, représente une menace
pour l'Occident et ses valeurs judéo-chrétiennes.
5) Le rôle
déterminant de l'Occident dans les pays du Sud doit être maintenu après les
périodes du colonialisme.
Ces raisons
montrent qu'il s'agit selon l'auteur « de la première vraie guerre mondiale qui
met aux prises la quasi-totalité du monde occidental coalisé contre un peuple
solitaire pour des motifs culturels. » Les cinq mobiles mènent finalement à la
guerre et aux crimes de celle-ci, qui se manifestent dans l'agression contre le
peuple, la destruction du pays, de l'environnement et des biens culturels ainsi
que dans la violation du droit et de la légalité internationale.
Tout compte fait,
l'auteur en tire ses conséquences concernant le comportement futur de l'Irak et
des pays de l'Orient en général : il souligne, que les populations des pays du
Sud doivent, au lieu d'imiter le modèle occidental, développer leur propre
stratégie de modernité en s'attachant à leur identité culturelle et religieuse
et en critiquant leurs régimes non-démocratique ou même autoritaire. L'auteur
propose une coopération Sud/Sud pour devenir indépendant de l'Occident et pour
déclencher le début d'un nouvel ordre international.
Les thèses de Mahdi
Elmandjra se basent alors surtout sur des arguments culturels. Plus loin dans
son livre, il mentionne d'autres aspects dans ce sens, comme l'ignorance de
l'Occident envers l'histoire, les valeurs et les compétences techniques de
l'Orient ainsi que l'ethnocentrisme de l'Occident qui attend p.e. des peuples
arabes de parler les langues occidentales et qui ne respecte pas les trésors de
l'art et de l'architecture dans les pays les plus anciens du monde.
On voit ainsi
clairement les motives de l'auteur et comprend pourquoi il parle de la première
guerre civilisationnelle, voire la première vraie guerre mondiale. Son livre
est devenu très actuel dans notre contexte, car nous sommes maintenant encore
une fois en pleine guerre, la deuxième guerre contre l'Irak. Les thèses
d'Elmandjra se confirment ainsi de nos jours, en outre, il ne faut pas oublier
les attentats du 11 septembre et la guerre en Afghanistan, qui se sont passés
entre-temps. Le concept du professeur Mahdi Elmandjra était vraiment nouveau au
début des années 90, mais la notion de la « Guerre Civilisationnelle » est
seulement devenue populaire avec le livre de Samuel Huntington « The Clash of
Civilizations » en 1993. Cependant, Huntington lui-même reconnaît à la page 246
de son livre, qu'Elmandjra était le premier à utiliser l'expression et à
énoncer le concept de la guerre civilisationnelle.
Samuel Huntington
Samuel Huntington est né en 1927 à
New York, il a fait ses études aux Etats-Unis, où il a reçu son B.A. à
l'Université de Yale en 1946 et son M.A. à l'Université de Chicago en 1948.
Trois ans plus tard, il passe son doctorat à l'Université de Harvard et
commence à enseigner dans le même institut. À partir de 1959, l 'auteur occupe le
poste du directeur associé de « Institute of War and Peace Studies » avant de
devenir Chairman of the Harvard Departement of Governement. Dans les années
suivantes, Samuel Huntington fonde le magazine politique « Foreign Policy »,
travaille comme directeur du centre pour des affaires internationales et dans
la maison blanche comme Coordinator for Securité Planning; en plus, il continue
à enseigner à Harvard.
Le professeur est
membre de plusieurs associations, comme par exemple « Council of the American
Political Science Association », il a fait des recherches approfondies dans les
domaines de la politique militaire, comparative et culturelle et il a publié
plusieurs livres, dont « The Clash of Civilizations » en 1996. L 'auteur dispose
alors des grandes connaissances des relations internationales, surtout grâce à
son adhésion au Conseil national de sécurité au sein de l'administration
Carter.
Les thèses de son
livre se basent, comme celles d'Elmandjra, sur un nouvel ordre international
unipolaire, qui a commencé après la guerre froide et l'effondrement de l'USSR.
Huntington réagit avec son œuvre à l'ouvrage de Francis Fukuyama « Fin de
l'histoire », qui envisage un avenir optimiste du monde surtout dans les
domaines politiques et économiques. Samuel Huntington refuse cette vision et
formule sa thèse du choc des civilisations, laquelle je vais présenter
maintenant.
« The Clash of Civilizations
»
Le départ des
thèses de Samuel Huntington est une approche culturelle. Selon lui, « le monde
est passé successivement par plusieurs phases durant lesquelles il était divisé
de différentes manières. Dès la fin des années 1980, les distinctions majeures
entre les peuples deviennent culturelles : C'est le début de l'ère
civilisationnelle, les deux blocs de la Guerre froide disparaissent alors pour laisser
place aux civilisations. » De nos jours, notre planète se trouve dans une crise
identitaire et les distinctions essentielles entre les êtres humains ne se font
plus d'une manière idéologique, politique ou économique, mais culturelle.
Chaque peuple s'identifie surtout par une délimitation des autres, la religion
en joue un rôle principal. Dans ce monde, il y a désormais deux sortes de
politique : la politique locale de l'ethnicité, et la politique globale ou
internationale des différences civilisationnelles, ainsi, « la politique est à
la fois multipolaire et multicivilisationnelle. »
Les distinctions
entre les cultures se font selon la pensée, c'est-à-dire, la langue,
l'histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et non plus selon
l'apparence, comme la race, la couleur de peau, etc. En conséquence, Huntington
fragmente le monde du XXIème siècle en huit blocs civilisationnels, qui sont
hostiles les uns aux autres :
1) La civilisation
chinoise, reposant sur le confucianisme.
2) La civilisation
japonaise, reposant sur le shintoïsme.
3) La civilisation
hindoue, reposant sur l'hindouisme.
4) La civilisation
musulmane autour de l'islam.
5) La civilisation
occidentale reposant sur le judéo-christianisme.
6) La civilisation
orientale orthodoxe.
7) La civilisation
d'Amérique latine, reposant sur le christianisme.
8) La civilisation
africaine autour de la religion traditionnelle.
Selon l'auteur,
chaque civilisation est fondée sur une religion et ses valeurs.
Le choc entre ces
cultures mentionnées consiste dans la confrontation entre eux. Huntington donne
plusieurs raisons pour les conflits ; premièrement, l'augmentation
démographique réduit l'espace sur la terre, en même temps, la mondialisation
renforce les interactions entre les pays différents. Deuxièmement, la
modernisation provoque l'éloignement des hommes de leurs identités
traditionnelles (comme l'État-Nation) et favorise une identification commune
autour de la religion. Ainsi, l'Occident, à l'apogée de modernisation, n'arrive
pas à occidentaliser le reste du monde, car les différences culturelles restent
difficiles à changer et les Non-occidentaux cherchent un chemin de retour à
leurs racines. Finalement, la croissance de l'importance de la régionalisation
augmente le sentiment identique culturel chez les hommes.
La thèse de Samuel
Huntington est plutôt pessimiste. Pour lui, le déclin de l'Occident a déjà
commencé, avec la perte des valeurs morales et de l'éthique (le nombre des
divorces, des familles monoparentales, etc.), avec les problèmes sociaux
(l'abus de la drogue, la criminalité, etc.) ainsi qu'avec la baisse de
l'activité intellectuelle. Malgré sa puissance économique et technologique
l'Occident se sent essentiellement menacée du monde musulman à cause de sa
croissance démographique importante, et de la Chine , qui représente une nouvelle force
économique. Selon l'auteur, la
Chine sera la grande puissance du XXIème siècle, car elle se
développera sans adapter les valeurs de l'Occident.
Quant au monde
musulman, Huntington lui accorde une plus grande agressivité qu'aux autres
blocs civilisationnels, en raison de son histoire (humiliations subis pendant
la colonisation), son explosion démographique et l'absence d'un État phare de
l'Islam pour stabiliser le monde musulman.
Mais l'auteur
critique aussi son pays d'origine, les États-Unis, qui suivaient, dans les
années 90, la vision multi-culturaliste et qui l'ont transposée dans les
relations internationales. Selon Huntington, les États-Unis devenaient ainsi
une mosaïque de communautés au lieu d'une nation unies occidentale, ce qui est
nécessaire pour garder la suprématie mondiale. Cette dernière thèse est très
controversée, car le message central du livre décrit la planète comme monde
composé des civilisations variées coexistant et alors constituant un
multiculturalisme global.
Comparaison des œuvres d'Elmandjra et de
Huntington :
Premièrement, il est surprenant, que
deux auteurs d'une origine tout à fait différente, développent l'un après
l'autre une thèse semblable, qui provoque des réactions critiques multiples. Le
fait est d'autant plus étonnant, que l'objet d'étude sont les civilisations et
que les deux auteurs appartiennent à des civilisations contradictoires.
Pourtant, tandis que le livre de Mahdi Elmandjra est resté relativement
insignifiant, celui de Huntington s'est transformé en véritable affaire :
l'affaire Huntington. Son titre « Choc des civilisations » est en discussion
internationale dès l'apparition de l'article dans la revue Foreign Affairs en
1993, mais de nouveau depuis le début de la guerre contre l'Irak en mars 2003. Ce
succès extraordinaire s'explique des nombreuses réactions qui ont été
provoquées par l'article et le livre. Évidemment, une affaire n'existe qu'avec
des critiques qu'elle provoque, ainsi le livre de Huntington a réussi à
polariser des opinions exprimées et à déclencher un débat à l'échelle mondiale.
Bien que le professeur Elmandjra soit très connu et très expérimenté dans le
domaine des relations internationales, son livre n'a pas connu le même succès,
quoique son idée fut aussi publié dans une revue internationale connue (Der
Spiegel). En plus, son livre existe, à part de l'origine arabe, dans trois
versions traduites, anglais, français et japonais. Mais peut-être un auteur
occidental et surtout américain a moins de difficultés à répandre ses idées à
l'échelle mondiale qu'un écrivain oriental.
La comparaison des
deux livres montre, que les deux auteurs partent d'un point commun : la fin de
la guerre froide au début des années 90, qui introduit une nouvelle période
d'ordre politique, désormais caractérisée par des enjeux culturels plutôt que
par des enjeux idéologiques, politiques ou économiques. Ensuite, on constate
plusieurs aspects communs : le conflit de la diversité culturelle surtout avec
les oppositions d'intérêts entre les pays du Nord et ceux du Sud et les trois
grandes peurs de l'Occident : La peur démographique, la peur de l'Islam et la
peur de l'Asie (tandis qu'Elmandjra considère le Japon comme pays le plus
menaçant de l'Asie, Huntington donne ce rôle à la Chine ).
Plus loin dans son
livre, Elmandjra se concentre sur la guerre du golfe contre l'Irak en 1991. Il
considère ce conflit comme la première vraie guerre mondiale et il le prend
comme exemple pour développer sa thèse de confrontation culturelle. Tous les
propos suivants reposent sur cet exemple, l'auteur donne cinq mobiles, des
crimes et des conséquences de la guerre du Golfe pour montrer en quoi consiste
le choc des civilisations et comment celui va se reproduire dans l'avenir.
Par contre,
Huntington développe son approche autrement. Premièrement, il divise le monde
dans huit blocs civilisationnels et ensuite, il analyse les raisons pour
lesquelles ces cultures se trouvent dans un état de confrontation potentielle.
Puis, l'auteur traite surtout la problématique de l'Occident, il mentionne les
problèmes au sein de ce bloc civilisationnel et les conflits avec les autres
cultures. Par ailleurs, il se penche sur l'influence asiatique et la
civilisation musulmane.
La thèse de
Huntington est alors beaucoup plus générale, parce qu'elle décrit les conflits
des civilisations définies par l'auteur et avance une affirmation universelle.
Elle analyse le choc des civilisations dans l'angle mondial tandis que la thèse
d'Elmandjra se concentre plutôt sur l'exemple de la guerre contre l'Irak.
L'auteur marocain fixe son regard sur ce début de l'ère post-coloniale et le
conflit entre l'Occident et l'Orient. Il ne tient pas compte aux autres
conflits civilisationnels et n'adapte pas la fragmentation du monde dans huit
blocs. On a l'impression, que le choc des civilisations se manifeste seulement
entre l'Occident et l'Orient et que le premier camp est surtout représenté par
les États-Unis. En plus, on constate un point de vue d'Elmandjra sous l'angle
arabo-musulman, parce que l'auteur donne des conseils afin que le monde arabe
se libère de l'influence occidentale. Cet aspect est peut-être une autre raison
pour le faible succès du livre d'Elmandjra au niveau international.
Dans l'ensemble,
les deux livres donnent des perspectives pessimistes. Huntington aussi bien qu'Elmandjra
considère le développement dès le début des années 90 comme dangereux et très
conflictuel. Les thèses des deux auteurs contredisent l'affirmation optimiste
de Francis Fukuyama, philosophe américain, qui annonce dans son livre « La fin
de l'histoire et le dernier homme» (de 1992) un avenir positif avec la victoire
de libéralisme et la paix globale. Huntington et Elmandjra par contre, voient
le futur beaucoup plus négatif, car selon eux, les conflits culturels sont plus
difficiles à résoudre que les conflits du genre politique, économique ou
idéologique.
En dernière
analyse, on peut dire que les deux livres étudiés se ressemblent dans le point
essentiel, le choc des civilisations, mais différent dans l'analyse du
développement de cette concordance. Évidemment, l'origine et l'expérience des
auteurs jouent un rôle important concernant le traitement de la matière. C'est
intéressant d'observer comment deux auteurs des cultures contradictoires
discutent le sujet des conflits civilisationnels.
L'actualité du choc des civilisations
Dans les deux
livres analysés le point de départ est la fin de la guerre froide au début des
années 90. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans l'an 2003, alors en pleine
période post-coloniale et plus encore, dans une nouvelle guerre contre l'Irak.
Par conséquent, le sujet du choc des civilisations est très actuel, car les
prédictions des deux auteurs se sont avérées justes : la première guerre contre
l'Irak, selon Elmandjra la première vraie guerre mondiale, n'était pas la dernière.
La guerre de 2003 reflète une nouvelle confrontation entre l'Occident et
l'Orient, plus exactement entre les Etats-Unis et l'Irak, et ainsi un nouveau
choc des civilisations selon les auteurs.
Les discussions
autour de la guerre du golfe ont réanimé les débats sur l'affaire Huntington.
Dans l'hebdomadaire des étudiants en journalisme « L'Exemplaire » de
l'Université Laval du 26 mars 2003, le conflit des civilisations domine la Une. C'est à
l'invitation de l'association étudiante AELIÉS, que trois conférenciers
débattent la thèse de Samuel Huntington. Le premier, Ali Dahan, ancien
diplomate de la république de Djibouti en Irak, en Somalie et aux Etats-Unis,
affirme que « c'est l'intégrisme de Bush qui fait la guerre au monde ». Selon
cet énoncé, on devrait remettre en question la thèse de Huntington, parce que
le type du conflit ne serait pas civilisationnel. Par contre, le deuxième
invité, Guy Saint-Michel, coordonnateur du programme d'animation religieuse à
l'Université Laval, exprime que les propos de Huntington sont tout à fait
confirmés par les événements de la guerre contre l'Irak. Son opinion est
partagée par le troisième conférencier, Soheil Kash, professeur retraité de
L'Université Libanaise, qui dit : « Les propos de Huntington sont très réalistes.
Il y a toujours eu entre les empires des contacts liés à un phénomène de
pouvoir. Le conflit actuel oppose l'empire occidental à celui des Musulmans. On
ne peut pas dire que Bush est uniquement en Irak pour les 200 MM $ en gisements
pétroliers qui s'y trouvent. Ce serait réduire les conflits mondiaux à une
approche économiste marxiste. » Un autre invité, Louis Balthazar, professeur
retraité de science politique à l'Université Laval, confirme au moins une
partie de la thèse en constatant que : « Huntington a compris que les conflits
sont animés par la recherche d'identité culturelle. Ces identités sont
façonnées par les religions. » Puis, il discute le rôle des Etats-Unis, qui est
à son apogée et ainsi poursuit la tendance de présenter ses valeurs comme celles
de l'humanité. Pourtant, cet aspect remet en question la thèse de Huntington,
Balthazar ne croit pas vraiment au choc des civilisations comme cause de la
guerre contre l'Irak. Pour lui « la myopie interculturelle et la faillite
diplomatique des Etats-Unis leur font utiliser la religion pour alimenter des
conflits entre civilisations. » Finalement, le premier conférencier, Dahan
confirme cette proposition en rejetant le choc des civilisations. Selon lui «
ce sont les régimes totalitaires qui tuent et qui asservissent pour assouvir
leurs ambitions. » A l'aide de cette discussion, on voit que le phénomène du
choc des civilisations est encore très controversé, mais aussi actuel qu'après
la parution du livre de Huntington.
Depuis l'apparition
du phénomène du choc des civilisations, de nombreuses critiques remettent en
question les thèses abordées, mais l'analyse de ces critiques dépassera le
cadre de ce rapport. Néanmoins, je vais citer quelques exemples : Premièrement,
il y a les critiques internes de l'ouvrage de Huntington, qui remettent en
question les définitions des civilisations supposées par l'auteur.
Deuxièmement, il y a des critiques d'analyses, surtout des analyses de
relations internationales contemporaines dans le livre, qui répondent
directement à l'article paru dans la revue Foreign Affairs en 1993. Finalement,
on trouve souvent des critiques des résultats des analyses de Huntington, qui
sont avant tout ceux de l'école réaliste. L'argument principal se résume dans
la citation suivante de Fouad Ajami (professeur des études de Moyen Orient à
l'école des Études Avancées Internationales à l'Université de John Hopkins) : «
les civilisations ne contrôlent pas les États, les États contrôlent les
civilisations. »
Il est évident que
le débat sur le choc des civilisations occupe aujourd'hui de nouveau les
intellectuels du monde. Dix ans après la parution du livre de Huntington, ils
essayent de comparer les prédictions de l'auteur avec l'histoire qui s'est
déroulé pendant la dernière décennie. Les discussions sont alors très
actuelles.
Conclusion
En conclusion, on peut dire, que les
deux auteurs Mahdi Elmandjra et Samuel Huntington ont abordé une thèse
similaire qui occupe, dès son apparition, le monde intellectuel. Pour la
première fois, le phénomène du choc des civilisations s'est fait jour et reste
jusqu'à maintenant très controversé et très actuel. La comparaison des deux
approches, l'une d'un auteur occidental et l'autre d'un auteur oriental, montre
l'ampleur de la thèse du choc des civilisations et élargi l'horizon du penseur
critique. Bien qu'il n'existe pas une concordance absolue entre les deux
approches, le point essentiel est semblable et des réactions multiples
critiquent les deux propos en remettant en question le phénomène du choc des civilisations.
Actuellement, la
guerre du golfe donne une nouvelle poussée à la discussion autour des livres de
Huntington et Elmandjra. En plus, la thèse abordée est très utile et
intéressante pour le contexte international. Les journalistes, les chercheurs
en sciences politiques, sociales, et économiques et dans le domaine des medias
doivent toujours être au courant du développement à l'échelle mondiale et
prendre en considération les changements actuels. Les événements qui se sont
passés depuis la parution des livres des deux auteurs sont alors très
importants. Voyons maintenant si l'avenir nous donne la confirmation ou la
réfutation de la thèse du choc de civilisation.
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