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LA CIVILISATION EN GÉNÉRAL. PLUSIEURS DISCOURS PRÉLIMINAIRES. LES PROLÉGOMÈNES d'IBN Khaldoun


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P R E M I È R E
S E C T I O N.
SUR LA CIVILISATION EN GÉNÉRAL.
PLUSIEURS DISCOURS PRÉLIMINAIRES.

La réunion des hommes en société est une chose nécessaire, parce qu’ils ne peuvent subsister à moins de s’entr’aider. — Nécessité d’un modérateur qui puisse maintenir les hommes dans l’ordre, et les empêcher de s’attaquer les uns les autres. — Opinion des philosophes à ce sujet.
SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Traitant de la partie habitée de la terre, des prin­cipales mers, des grands fleuves et des climats.
Forme de la terre. — L’Océan. — Le zodiaque. — La ligne équinoxiale. — Les climats. — La mer Romaine (la Méditerranée). — La mer de Venise (l’Adriatique). — La mer de Chine, appelée aussi mer de l’Inde et mer Abyssinienne. — La mer d’Es‑Souîs (la mer Rouge). — Le canal vert ou mer de Fars (golfe Persique). — La mer de Djordjan ou de Taberistan (la mer Caspienne). — Le Nil. — L’Euphrate. — Le Tigre. — Le Djeïhoun (Oxus).
SUPPLÉMENT DU SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Pourquoi le quart septentrional de la terre a‑t‑il une population plus nombreuse que le quart méridional ?
Notions préliminaires. — L’équateur. — Mouvement du soleil dans l’écliptique. — ­La latitude d’un endroit. — Selon Averroès, la région équatoriale est habitée, ainsi que les contrées au delà.
Quelle est la portion habitée de la terre ? — Les sept climats et leurs dimensions. — On divise chaque climat en dix sections égales.
Le premier climat. — Le second climat. — Le troisième climat. — Le quatrième climat. — Le cinquième climat. — Le sixième climat. — Le septième climat.

PREMIER DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
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p.86 Ce discours préliminaire servira à démontrer que la réunion des hommes en société est une chose nécessaire. C’est ce que les philo­sophes ont exprimé par cette maxime : « L’homme, de sa nature, est citadin. » Ils veulent dire, par ces mots, que l’homme ne saurait se p.69 passer de société, terme que, dans leur langage, ils remplacent par celui de cité. Le mot civilisation [1] exprime la même idée. Voici la preuve de leur maxime : Dieu le tout‑puissant a créé l’homme et lui a donné une forme qui ne peut exister sans nourriture. Il a voulu que l’homme fût conduit à chercher cette nourriture par une impulsion innée et par le pouvoir qu’il lui a donné de se la procurer. Mais la force d’un individu isolé serait insuffisante pour obtenir la quantité d’aliments dont il a besoin, et ne saurait lui procurer ce qu’il faut pour soutenir sa vie. Admettons, par la supposition la plus modérée, que l’homme obtienne assez de blé pour se nourrir pendant un jour ; il ne pourrait s’en servir qu’à la suite de plusieurs manipu­lations, le grain devant subir la mouture, le pétrissage et la cuisson Chacune de ces opérations exige des ustensiles, des instruments, qui ne sauraient être confectionnés sans le concours de divers arts, tels que ceux du forgeron, du menuisier et du potier. Supposons même que l’homme mange le grain en nature, sans lui faire subir aucune préparation ; eh bien ! pour s’en procurer il doit se livrer à des travaux encore plus nombreux, tels que l’ensemencement, la moisson et le foulage, qui fait sortir le blé de l’épi qui le renferme. Chacune de ces p.87 opérations exige encore des instruments et des procédés d’art beau­coup plus nombreux que ceux qui, dans le premier cas, doivent être mis en usage. Or il est impossible qu’un seul individu puisse exécuter cela en totalité, ou même en partie. Il lui faut absolument les forces d’un grand nombre de ses semblables afin de se procurer la nourri­ture qui est nécessaire pour lui et pour eux, et cette aide mutuelle as­sure ainsi la subsistance d’un nombre d’individus beaucoup plus con­sidérable. Il en est de même pour la défense de la vie : chaque homme a besoin d’être soutenu par des individus de son espèce. En effet, Dieu le très haut, lorsqu’il organisa les animaux et leur distribua des *70 forces, assigna à un grand nombre d’entre eux une part supérieure à celle de l’homme. Le cheval, par exemple, est beaucoup plus fort que l’homme ; il en est de même de l’âne et du taureau. Quant au lion et à l’éléphant, leur force surpasse prodigieusement celle de l’homme.
Comme il est dans la nature des animaux d’être toujours en guerre les uns avec les autres, Dieu a fourni à chacun un membre destiné spécialement à repousser ses ennemis. Quant à l’homme, il lui a donné, au lieu de cela, l’intelligence et la main. La main, soumise à l’intelligence, est toujours prête à travailler aux arts, et les arts four­nissent à l’homme les instruments qui remplacent, pour lui, les membres départis aux autres animaux pour leur défense. Ainsi les lances suppléent aux cornes, destinées à frapper ; les épées remplacent les griffes, qui servent à faire des blessures ; les boucliers tiennent lieu de peaux dures et épaisses, sans parler d’autres objets dont on peut voir l’énumération dans le traité de Galien sur l’usage des membres [2]. Un homme isolé ne saurait résister à la force d’un seul animal, surtout de la classe des carnassiers, et il serait absolument incapable de le repousser. D’un autre côté, il n’a pas assez de moyens pour fabriquer les diverses armes offensives, tant elles sont nom­breuses, et tant il faut d’art et d’ustensiles pour les confectionner Dans toutes ces circonstances, l’homme doit nécessairement recourir p.88 à l’aide de ses semblables, et tant que leur concours lui manque, il ne saurait se procurer la nourriture ni soutenir sa vie. Dieu l’a ainsi décidé, ayant imposé à l’homme la nécessité de manger afin de vivre. Les hommes ne sauraient non plus se défendre s’ils étaient dépourvus d’armes ; ils deviendraient la proie des bêtes féroces ; une *71 mort prématurée mettrait un terme à leur existence, et l’espèce hu­maine serait anéantie. Tant qu’existera chez les hommes la dispo­sition de s’entr’aider, la nourriture et les armes ne leur manqueront pas : c’est le moyen par lequel Dieu accomplit sa volonté en ce qui regarde la conservation et la durée de la race humaine. Les hommes sont donc obligés de vivre en société ; sans elle, ils ne pourraient pas assurer leur existence ni accomplir la volonté de Dieu, qui les a placés dans le monde pour le peupler et pour être ses lieutenants [3]. Voilà ce qui constitue la civilisation, objet de la science qui nous occupe.
Dans ce qui précède nous avons établi, pour ainsi dire, que la civilisation est réellement l’objet de la branche de science que nous allons traiter. Cela n’est cependant pas une obligation pour celui qui traite d’une branche des connaissances quelconque, attendu que, d’après les règles de la logique, celui qui traite d’une science n’est pas tenu d’établir que ce qu’il pose comme étant l’objet de cette science l’est en effet [4]. La chose n’est cependant pas défendue, et elle p.89 entre dans la classe des actes purement facultatifs. Dieu est celui qui seconde les hommes par sa grâce.
La réunion des hommes en société étant accomplie, ainsi que nous l’avons indiqué, et l’espèce humaine ayant peuplé le monde, un nouveau besoin se fait sentir, celui d’un contrôle puissant qui les protège les uns contre les autres ; car l’homme, en tant qu’animal, est porté par sa nature à l’hostilité et à la violence. Les armes dont il se sert pour repousser les attaques des animaux brutes ne suffisent pas à le défendre contre ses semblables, attendu qu’ils ont tous ces armes à leur disposition. Il faut donc absolument un autre moyen qui puisse empêcher ces agressions mutuelles. On ne saurait trou­ver ce modérateur parmi les autres espèces d’animaux, parce que ceux‑ci sont loin d’avoir autant de perceptions et d’inspirations que l’homme ; aussi faut‑il que le modérateur appartienne à l’espèce humaine et qu’il ait une main assez ferme, une puissance et une autorité assez fortes pour empêcher les uns d’attaquer les autres. *72 Voilà ce qui constitue la souveraineté. On voit, d’après ces observa­tions, que la souveraineté est une institution particulière à l’homme, conforme à sa nature, et dont il ne saurait se passer. On la retrouve, s’il faut en croire les philosophes, chez certaines espèces d’animaux tels que les abeilles et les sauterelles, parmi lesquelles on a re­connu l’existence d’une autorité supérieure, de l’obéissance et de l’attachement à un chef appartenant à leur espèce, mais qui se dis­tingue par la forme et la grandeur du corps. Mais, chez les êtres qui diffèrent de l’homme, la chose existe par suite de leur organisation primitive et de la direction divine, et ne provient pas d’un effet de la réflexion ni par l’intention de se procurer une administration ré­gulière. Dieu a donné à tous les êtres une nature spéciale, puis il les a dirigés. (Coran, sour. XX, vers. 52.)
Les philosophes enchérissent sur cet argument, lorsqu’ils veulent établir, au moyen de preuves fournies uniquement par la raison, l’existence de la faculté prophétique, et démontrer qu’elle appar­tient à l’homme, comme inhérent à sa nature. Ils poussent cet p.90 argument jusqu’à sa dernière limite, en démontrant qu’il faut aux hommes une autorité capable de les contrôler, que cette autorité ne saurait exister qu’en vertu d’une loi émanant de Dieu, et conférée à un indi­vidu de l’espèce humaine favorisé spécialement de la direction divine, et que l’homme ainsi distingué a le droit d’exiger de tous les autres la soumission et la foi à sa parole, jusqu’à ce que l’autorité qu’il doit exercer parmi eux et sur eux ne trouve plus d’opposition.
Cette conclusion n’est pas régulièrement déduite, ainsi qu’il est facile de le voir ; car, avant le prophétisme, l’existence de l’espèce humaine était déjà assurée. Elle se maintenait par l’influence d’une autorité supérieure, qui, tenant sa puissance d’elle‑même ou d’un parti qui la soutenait, avait les moyens de contraindre les hommes à lui obéir et à marcher dans la voie qu’elle leur avait tracée.
Les hommes qui possèdent des livres révélés, et ceux qui suivent les enseignements des prophètes sont peu nombreux, en comparaison des païens. Ceux‑ci n’ont pas de révélation écrite ; ils forment la plus grande partie de la population du monde, et cependant ils ont eu *73 leurs dynasties, ils ont laissé des monuments de leur puissance et, à plus forte raison, ont existé. Encore de nos jours ils possèdent des empires dans les régions reculées du nord et du midi ; leur état n’est donc pas celui des hommes laissés à eux‑mêmes et n’ayant aucun chef pour les contenir, état qui, du reste, ne saurait exister. On voit par là combien on a tort de vouloir prouver la nécessité de la fa­culté prophétique par des preuves fournies par la raison. Les fonc­tions d’un prophète se bornent à prescrire des lois, ainsi que les an­ciens (docteurs de l’islamisme) l’ont reconnu. Un concours efficace, une bonne direction ne se trouvent qu’auprès de Dieu.

SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE,

Traitant de la partie habitée de la terre, des principales mers,
des grands fleuves et des climats.
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Dans les livres des philosophes qui ont pris l’univers pour le sujet de leurs études, on lit que la terre a une forme sphérique, qu’elle p.91 est plongée dans l’Océan, sur lequel elle semble flotter comme un grain de raisin sur l’eau, et que la mer s’est retirée de quelques côtés de la terre, parce que Dieu voulait former des animaux qui devaient vivre sur le sol laissé à découvert, et y mettre comme population la race humaine, pour lui servir de lieutenant à l’égard des autres ani­maux. D’après cela, quelques personnes ont pensé, mais à tort, que l’eau était placée sous la terre. Le véritable dessous de la terre c’est le point central de sa sphère, vers lequel tout se dirige par suite de sa pesanteur. Les autres côtés de la terre, avec la mer qui les en­toure, forment le dessus. Donc si l’on dit, en parlant d’une portion de la (terre), qu’elle est placée en dessous, cela veut dire que cette portion l’est ainsi par rapport à une autre (partie du monde) [5].
La partie de la terre que l’eau a laissée à découvert occupe la *74 moitié de la surface du globe. Cette partie, qui est d’une forme circu­laire, est entourée de tous les côtés par l’élément humide, c’est‑à‑dire par une mer que l’on nomme l’Environnante. On la désigne aussi par le mot Leblaïa [6], dont le second l se prononce d’une manière empha­tique. On l’appelle aussi Okîanos (Ωκεανός), qui est un mot étranger, ainsi que le précédent. Enfin on la nomme mer Verte, ou mer Noire. La terre, laissée à découvert pour servir d’habitation, renferme des lieux déserts, et la portion inhabitée est plus grande que celle où se trouvent des populations. Ces déserts sont plus nombreux au midi qu’au nord. La région habitée s’étend davantage vers le nord et offre la forme d’une surface convexe. Du côté du midi, elle touche à l’équa­teur, et du côté du nord à un cercle de la sphère, au delà duquel se trouvent les montagnes qui la séparent de l’élément humide et au p.92 milieu desquelles s’élève la barrière de Gog et Magog [7]. Ces montagnes s’étendent obliquement vers l’orient ; de ce côté, ainsi que du côté de l’occident, elles ont pour limites l’élément humide et elles coupent deux segments le cercle qui entoure la terre habitable [8].
La partie découverte de la terre occupe, dit‑on, à peu près la moitié du globe ; la partie habitée n’en occupe que le quart et se divise en sept climats. L’équateur s’étend de l’occident à l’orient et partage la terre en deux moitiés. Il traverse la partie la plus allon­gée de la terre et forme le plus grand des cercles qui entourent le globe, de même que le zodiaque et la ligne équinoxiale sont les plus grands cercles de la sphère céleste.
Le zodiaque se partage en trois cent soixante degrés ; un degré de la surface terrestre a une longueur de vingt‑cinq parasanges ; la *75 pa­rasange se compose de douze mille coudées, formant trois milles, car le mille a quatre mille coudées de longueur ; la coudée se par­tage en vingt‑quatre doigts ; le doigt a pour mesure six grains d’orge alignés les uns à côté des autres, dos contre ventre.
La ligne équinoxiale est dans le même plan que l’équateur ; entre elle et chacun des deux pôles il y a quatre‑vingt‑dix degrés. La partie habitée du monde s’étend depuis l’équateur jusqu’au soixante‑qua­trième degré de latitude septentrionale. Au delà tout est désert et sans habitants, à cause de l’extrême froid et de la glace. La partie de la terre située au sud de l’équateur est aussi entièrement déserte [9] ; mais c’est par l’effet de la chaleur. Plus loin nous expliquerons toutes ces matières.
Les auteurs qui ont décrit la partie habitée du monde, ses limites, ce qu’il renferme de villes, de centres de population, de montagnes, de fleuves, de déserts et de sables, Ptolémée, par exemple, dans son p.93 Traité de géographie, et, après lui (Idrîci), l’auteur du livre de Roger, ont partagé cet espace en sept portions, qu’ils nomment les sept cli­mats. A chaque climat ils assignent des limites imaginaires qui s’étendent de l’est à l’ouest. Tous les climats ont la même largeur, mais ils diffèrent sous le rapport de la longueur : le premier est plus long que le second ; celui-ci est plus long que le troisième, et ainsi­ de suite. Le septième est le plus court de tous, en conséquence de la forme circulaire de cette portion du globe que les eaux ont laissée à découvert. Les géographes divisent chaque climat en dix parties, qui se suivent d’occident en orient, et qui forment cha­cune le sujet d’un chapitre dans lequel se trouvent exposés ce qui les distingue et le caractère des peuples qui les habitent. Les mêmes auteurs font mention d’une branche de l’océan Environnant, la­quelle se trouve dans le quatrième climat et part du côté de l’oc­cident ; on la connaît sous le nom de la mer Romaine (la Méditerra­née). *76 Elle commence par un détroit qui, entre Tanger et Tarifa, n’a qu’une largeur d’environ douze milles, et qui s’appelle Ez‑Zocac (le Passage étroit). De là elle s’étend vers l’orient et acquiert graduelle­ment. une largeur de six cents milles. Elle se termine à l’extrémité orientale de la quatrième partie du quatrième climat, à onze mille cent soixante parasanges du lieu où elle commence [10]. Là, sur ses bords, est le littoral de la Syrie ; au midi, elle baigne les côtes du Maghreb, à partir de Tanger ; ensuite elle longe successivement l’Ifrîkiya et le territoire de Barca (la Cyrénaïque), jusqu’à Alexandrie. Au nord, elle a pour limites les côtes de l’Empire byzantin, puis celles de Venise, puis le pays de Rome, ensuite les côtes de la France et celles de l’Espagne jusqu’à Tarifa, lieu situé sur le détroit, vis‑à‑vis de Tanger. Cette mer porte le nom de mer Romaine et de mer Syrienne ; elle renferme un grand nombre d’îles, dont les plus grandes, telles que la Crète, Chypre, la Sicile, Majorque, la p.94 Sardaigne et Dénia [11], sont habitées. Suivant les mêmes géographes, deux autres mers sortent de celle‑ci, en traversant chacune un détroit, et se dirigent vers le nord. Le premier détroit est auprès de Constantinople ; à l’endroit où il communique avec la mer (Médi­terranée), on pourrait lancer une flèche d’un bord à l’autre. Après s’être avancé l’espace de trois journées de navigation (dans la mer de Marmara), ce détroit arrive à Constantinople ; ensuite il prend une largeur de quatre milles, se prolonge l’espace de soixante (sic) milles et reçoit le nom de canal de Constantinople. Sortant par une ouver­ture qui a six milles de largeur, cette mer forme la mer de Nîtoch [12], qui, à partir de cet endroit, s’étend vers l’orient, baigne la province d’Héraclée et s’arrête au pays des Khazars [13], à treize cents milles de son origine. Des deux côtés, sur les bords de cette mer, habitent des peuples grecs, des Turcs, des Bordjan (Bulgares) et des Russes.
*77 La seconde mer qui sort de la mer Romaine à travers un détroit s’appelle la mer de Venise. Elle commence à la hauteur du pays de la Grèce, en se dirigeant vers le nord. Arrivée à Sant‑Andjel (monte San Angelo), elle se détourne vers l’occident pour atteindre le terri­toire de Venise et se termine, près d’Ankaliya (le pays d’Aquilée), à onze cents milles [14] de son point de départ. Sur ses deux rives habitent des Vénitiens, des Grecs et d’autres peuples. Cette mer porte le nom de canal de Venise.
Selon les mêmes auteurs, une vaste mer (l’océan Indien) se dé­tache de l’océan Environnant, du côté de l’orient, à treize degrés au nord de l’équateur, et s’incline un peu vers le sud, jusqu’à ce qu’elle atteigne le premier climat. Elle y pénètre en se dirigeant vers l’occident, jusqu’à la cinquième partie de ce climat ; elle baigne p.95 l’Abyssinie, le pays des Zendj (Zanguebar), et s’arrête à Bab‑el­-Mandeb, localité de cette dernière contrée, et située à quatre mille cinq cents parasanges de l’endroit où cette mer commence. On la désigne par les noms de mer de Chine, mer de l’Inde, mer Abyssinienne. Sur ses bords, du côté du midi, sont les contrées des Zendj et des Berbera [15], dont Amro’lcaïs fait mention dans ses poésies [16]. Il ne faut pas confondre ce dernier peuple avec les Berbers, race organisée en tribus, qui habite le Maghreb. Ensuite cette mer passe successive­ment auprès de la ville de Macdachou (Magadoxo), du pays de So­fala, de la contrée des Ouac‑Ouac [17] et d’autres peuples, au delà des­quels il n’existe que des déserts et de vastes solitudes. Sur cette mer, près de son origine, du côté du nord, est la Chine, puis l’Inde, puis le Sind, puis le littoral du Yémen, où se trouvent les Ahkaf [18], Zebîd et autres lieux ; ensuite vient le pays des Zendj, placé à l’extrémité de cette mer, puis la contrée des Bedja [19].
Selon les mêmes écrivains, deux autres mers sortent de la mer Abyssinienne. L’une commence à l’extrémité de cet océan, près du Bab‑el‑Mandeb ; elle est d’abord fort étroite, puis elle va en s’élargis­sant, *78 et se dirige vers le nord, avec une légère inclinaison vers l’ouest. Elle s’arrête à la ville de Colzom (Clysma ou Suez), située dans la cinquième partie du second climat, et se termine ainsi à quatorze cents milles de son lieu de départ. On la nomme la mer de Colzom et la mer d’Es‑Souis (Suez). De son extrémité jusqu’à la ville de Fostat p.96 (le Vieux‑Caire), en Égypte, on compte trois journées de marche. Sur ses bords, du côté de l’orient, se voient les côtes du Yémen, puis le Hidjaz, Djidda, Median, Aïla, et Faran, qui se trouve à son extré­mité. Du côté de l’occident sont les rivages du Saïd (la Haute‑Égypte), Aïdab, Souaken, Zeilâ, puis le pays des Bedja, qui touche à l’endroit où cette mer commence. Son extrémité, près de Colzom, se trouve vis‑à‑vis d’El‑Arîch, située sur la mer Romaine. La distance qui sé­pare ces deux points est d’environ six journées de marche. Plusieurs souverains, avant et depuis l’islamisme, ont essayé de percer cet isthme, sans pouvoir y parvenir.
La seconde mer qui se détache de la mer Abyssinienne porte le nom d’El-Khalîdj‑el‑Akhdar (le Canal vert [20]), et commence entre la contrée du Sind et les Ahkaf du Yémen. Elle se dirige vers le nord, en tournant un peu vers l’ouest, jusqu’à ce qu’elle se termine à Obolla, l’une des villes maritimes du canton de Basra, située dans la sixième partie du second climat. Là cette mer se trouve à quatre cent quarante parasanges de son point de départ. On lui donne le nom de mer de Fars (la Perse). Du côté de l’orient, elle parcourt le littoral du Sind, du Mekran, du Kerman, de Fars et d’Obolla, où elle s’arrête. Du côté de l’occident elle longe les côtes de Bahrein, du Yemama, d’Oman, d’Es‑Chiher [21] et des Ahkaf, pays situé près du point où elle commence. La presqu’île des Arabes, située entre la mer de Fars et celle de Colzom, est comme une pé­ninsule qui s’avance dans la mer. Elle est limitée, au midi, par la *79 mer des Abyssins ; à l’occident, par celle de Colzom, et, à l’orient, par la mer de Fars. Elle confine à cette partie de l’Irac qui sépare Basra de la Syrie et qui s’étend l’espace de quinze cents milles. Là se trouvent les villes de Koufa, de Cadeciya, de Baghdad, d’Ei­wan‑Kisra (Ctésiphon) et d’El‑Hîra. Au delà habitent les Turcs, les Khazars et autres peuples étrangers. La presqu’île Arabique ren­ferme, du côté de l’occident, la contrée de Hidjaz ; du côté de p.97 l’orient, les provinces de Yemama, d’El‑Bahreïn et d’Oman ; du côté du midi, le pays du Yémen et les rivages baignés par la mer des Abyssins.
Dans le nord de cette partie du monde habitable, c’est‑à‑dire, dans le pays de Deïlem, se trouve une mer tout à fait isolée des autres. On l’appelle la mer de Djordjan et la mer de Taberistan [22]. Sa longueur est de mille milles, et sa largeur de six cents. Elle a, du côté de l’occident, les provinces d’Aderbeïdjan et de Deïlem ; à l’o­rient, la contrée dès Turcs et celle de Kharezm ; au midi, le Taberis­tan ; au nord, les pays des Khazars et des Alains. Voilà les plus remarquables des mers dont les géographes ont fait mention.
Ils nous disent aussi que la partie habitable du monde est arro­sée par un grand nombre de fleuves, dont les plus considérables sont : le Nil, l’Euphrate, le Tigre et le fleuve de Balkh, autrement nommé le Djeïhoun. Le Nil prend naissance dans une grande mon­tagne, située à seize degrés au delà de l’équateur, et sous la méri­dienne qui traverse la quatrième partie du premier climat. Elle porte le nom de montagne d’El‑Comr, et l’on n’en connaît pas au monde de plus élevée. De cette montagne sortent de nombreuses sources, dont quelques‑unes vont décharger leurs eaux dans un lac situé de ce côté‑là, pendant que le reste se jette dans un autre. De ces deux bassins s’échappent plusieurs rivières qui se jettent toutes dans un *80 seul lac situé auprès de l’équateur, à dix journées de marche de la montagne [23]. De ce lac sortent deux fleuves, dont l’un coule directe­ment vers le nord et traverse la Nubie et l’Égypte. Après avoir dé­passé le Caire, il se divise en plusieurs branches ayant toutes la même grandeur, et dont chacune porte le nom de khalîdj (canal) ; elles se déchargent toutes dans la mer Romaine, du côté d’Alexandrie. Ce fleuve se nomme le Nil d’Égypte. Sur la rive orientale s’étend le Saïd ; à l’occident se trouvent les Oasis. L’autre fleuve se détourne vers p.98 l’ouest, et coule dans cette direction jusqu’à ce qu’il se jette dans la mer Environnante ; celui-ci est le Nil des noirs, et c’est sur ses deux rives que demeurent tous les peuples nègres.
L’Euphrate prend sa source en Arménie, dans la sixième partie du cinquième climat. Il coule au sud à travers le territoire grec, et passe auprès de Malatiya, de Manbedj, de Siffîn, de Racca et de Koufa ; puis il atteint les marais (bat’ha) qui séparent Basra de Ouacit, et va se jeter dans la mer des Abyssins [24]. Pendant son cours, il reçoit un grand nombre de rivières et donne naissance à quelques autres qui vont se décharger dans le Tigre.
Le Tigre sort de plusieurs sources situées dans la province de Khalat, qui fait également partie de l’Arménie : Il coule vers le sud et passe auprès de Mosul, de l’Aderbeïdjan, de Baghdad et de Ouacit ; là il se partage en plusieurs branches, qui toutes s’écoulent dans le lac de Basra, d’où elles vont atteindre la mer de Fars. Ce fleuve est situé à l’orient de l’Euphrate. Dans son cours, il reçoit, de chaque côté, un grand nombre de fortes rivières. Entre l’Euphrate et le *81 Tigre, vers la partie supérieure de ce dernier fleuve, est la presqu’île de Mosul [25], qui est séparée de la Syrie par les deux rives de l’Eu­phrate, et de l’Aderbeïdjan par les deux rives du Tigre.
Quant au Djeïhoun (l’Oxus), il prend naissance près de Balkh, dans la huitième [26] partie du troisième climat. Sorti d’un grand nombre de sources, il reçoit dans son cours plusieurs grandes rivières, et, se dirigeant du midi au nord, il traverse la province de Khoraçan, entre dans le Kharezm, situé dans la huitième partie du cinquième cli­mat, et va se décharger dans le lac d’El‑Djordjaniya (l’Aral), sur lequel est située une ville du même nom [27]. La longueur de ce bassin est p.99 d’un mois de marche ; sa largeur est d’autant. Il reçoit aussi les eaux de la rivière qui porte le nom de rivière de Ferghana et de Chach (le Sîhoun ou Iaxartes), et qui vient du pays des Turcs. Sur la rive occidentale du Djeïhoun, s’étendent le Khoraçan et le Kha­rezm ; à l’orient se trouvent les provinces de Bokhara, de Termid et de Samarcand. Au delà de ce pays sont la contrée des Turcs, celle de Ferghana, celle des Kharlodjiya [28] et d’autres nations barbares. Tous ces renseignements sont fournis par Ptolémée dans son livre, et par le cherîf (Idrîci) dans l’ouvrage intitulé le Livre de Roger. Ces traités géographiques offrent des cartes qui représentent tout ce que le monde habitable renferme de montagnes, de mers et de ri­vières. Ils fournissent, sur ces matières, des notions trop nombreuses pour être reproduites ici ; car, en composant cet ouvrage, nous avons eu surtout en vue l’Occident (Maghreb), qui est le pays des Berbers, et les territoires de l’Orient habités par les Arabes. C’est Dieu qui donne du secours. *82

SUPPLÉMENT DU SECOND DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Pourquoi le quart septentrional de la terre a‑t‑il une population
plus nombreuse que le quart méridional ?

On sait, par le témoignage de ses yeux et par une suite non inter­rompue de renseignements, que le premier et le second climat du monde habitable sont moins peuplés que les suivants ; que leurs par­ties habitées sont séparées les unes des autres par des solitudes, des déserts et des sables, et que du côté de l’orient se trouve la mer In­dienne (qui en rétrécit beaucoup l’étendue). Les nations et les peuples qui occupent ces deux climats ne sont pas en nombre considérable ; il en est de même de leurs cités et de leurs villes. Le troisième climat, le quatrième et les suivants présentent un caractère tout à fait différent ; les déserts n’y sont pas nombreux ; les sables s’y p.100 montrent rarement, ou ne s’y présentent pas du tout ; les nations et les peuples qui les habitent rappellent, par leur multitude, l’image d’un océan prêt à déborder ; leurs cités et leurs villes sont en nombre infini. La population est agglomérée entre le troisième climat et le sixième [29]. Quant au midi, il est complètement désert. Suivant plu­sieurs philosophes, ce fait doit être attribué à l’excès de la chaleur et à ce que le soleil, dans cette région, s’écarte très peu du zénith.
Nous allons éclaircir cette doctrine par un raisonnement démons­tratif, qui servira, en même temps, à expliquer pourquoi, dans la partie septentrionale de l’hémisphère, la population est très nom­breuse depuis le troisième et le quatrième climat jusqu’au cinquième et au septième [30]. Dans les pays où les deux pôles de la terre, c’est-­à‑dire le pôle arctique et le pôle antarctique, se trouvent simul­tanément à l’horizon, il y a un grand cercle qui coupe le globe en deux moitiés. Ce cercle, le plus grand de ceux qui s’étendent de l’ouest à l’est, est nommé l’équateur. Suivant le principe énoncé *83 dans notre chapitre sur l’astronomie, la sphère supérieure fait jour­nellement une révolution d’orient en occident, et entraîne avec elle toutes les autres sphères qu’elle renferme. Ce mouvement est prouvé par le témoignage de nos yeux. Nous avons mentionné aussi que cha­que astre [31], dans sa sphère, a un mouvement opposé au précédent, puisqu’il se fait d’occident en orient. Le temps de ces révolutions diffère, pour les astres, suivant la rapidité ou la lenteur de leur marche. Tous les espaces que ces astres parcourent dans leurs sphères sont situés dans un grand cercle qui coupe la sphère supérieure en deux moitiés. C’est là l’écliptique, qui est divisé en douze signes. On trouvera indiqué, en son lieu, que l’équateur coupe l’écliptique en deux points opposés, savoir : le commencement du Bélier et celui de la Balance. Ainsi le cercle équinoxial partage les signes en deux p.101 classes, dont la première se compose de ceux qui s’écartent de ce cercle vers le nord ; la seconde renferme les signes dont la décli­naison est australe. La première classe renferme les signes depuis le commencement du Bélier jusqu’à la fin de l’Épi (la Vierge) ; la seconde comprend les autres signes depuis le commencement de la Balance jusqu’à la fin du Poisson.
Lorsque les deux pôles se trouvent dans l’horizon, ce qui a lieu pour une certaine région de la terre [32], il y a sur la surface du globe une ligne unique, située dans le plan de l’équateur céleste, et qui s’é­tend d’orient en occident. Elle se nomme l’équateur. Selon le rapport des hommes du métier, on a constaté, par des observations astrono­miques, que cette ligne marque le commencement du premier des sept climats [33], et qu’elle a au nord les parties du monde habitable. Dans ces parties, le pôle septentrional s’élève graduellement au­-dessus de l’horizon, et lorsqu’il atteint une élévation de soixante­-quatre degrés, il indique la limite où s’arrête la partie habitable *84 de la terre, c’est‑à‑dire la fin du septième climat. Lorsque ce pôle a une hauteur de quatre‑vingt‑dix degrés, distance qui le sépare de l’équateur, il est au zénith ; l’équateur se confond alors avec l’horizon ; six des signes du zodiaque, savoir, ceux du nord, restent au‑dessus de l’horizon, et les six autres, ceux du midi, se trouvent au‑dessous. Du soixante‑quatrième degré au quatre‑vingt‑dixième, la terre est inhabitée, attendu que le chaud et le froid ne s’y ren­contrent jamais à des époques assez rapprochées pour pouvoir se combiner ; ce qui empêche la production d’avoir lieu. Sous l’équa­teur, le soleil est au zénith quand il entre dans le signe du Bélier ou dans celui de la Balance ; ensuite il s’en éloigne jusqu’à ce qu’il arrive au commencement du Cancer, ou à celui du Capricorne, et p.102 son plus grand écart (déclinaison) de l’équateur ne dépasse pas vingt­-quatre degrés. Pendant que le pôle septentrional s’élève au‑dessus de l’horizon, l’équateur s’éloigne du zénith dans la même proportion, et le pôle austral s’abaisse (au‑dessous de l’horizon) d’une quantité égale. Aussi, dans ces changements de position, les espaces (angulaires) parcourus par les trois points sont égaux. Cet espace est nommé par les astronomes [34] la latitude d’un endroit. Lorsque l’équateur s’éloigne du zénith (vers le sud), les signes septentrionaux du zodiaque s’é­lèvent graduellement au‑dessus (de l’équateur), jusqu’à ce que le maximum de cette élévation soit atteint par le commencement du Cancer ; pendant ce temps, les signes méridionaux s’abaissent gra­duellement au‑dessous [35] de l’horizon, et le maximum de cet abais­sement a lieu pour le commencement du Capricorne. Ce phénomène tient à la manière dont les signes s’écartent à droite et à gauche de l’équateur céleste, ainsi que nous l’avons dit.
A mesure que le pôle [36] du nord s’élève, le signe septentrional qui est le plus éloigné de l’équateur céleste, c’est-à‑dire le commence­ment du Cancer, se rapproche du zénith jusqu’à ce qu’il l’atteigne ; ce qui a lieu pour les contrées dont la latitude est de vingt‑quatre degrés, *85 telles que le Hidjaz et les régions qui l’avoisinent. Cette (distance angulaire) est égale à la déclinaison du commencement du Cancer, au moment où l’équateur est perpendiculaire à l’horizon [37]. Par suite de l’élévation du pôle septentrional, le Cancer se trouve porté au zénith.
Lorsque l’élévation du pôle dépasse vingt‑quatre degrés, le soleil (étant dans le signe du Capricorne) s’éloigne encore plus du zénith ; p.103 il s’abaisse jusqu’à l’horizon quand le pôle a atteint une élévation du soixante‑quatre degrés. La quantité de cet abaissement est aussi de soixante‑quatre degrés ; il en est de même de la dépression du pôle méridional au‑dessous de l’horizon. (Dans les pays où le pôle septen­trional s’élève à cette hauteur, ) toute production cesse, attendu que le froid et la gelée y sont extrêmement forts et qu’ils restent très long­temps sans éprouver l’influence de la chaleur. De plus, quand le soleil se trouve au zénith, ou à peu de distance de ce point, les rayons qu’il envoie sur la terre y tombent perpendiculairement, tandis que, dans les lieux qui n’ont pas le soleil au zénith, ils arrivent sous un angle obtus ou aigu. Lorsque les rayons tombent perpendiculaire­ment, la lumière a une grande intensité et se répand au loin ; le con­traire a lieu lorsqu’ils forment un angle aigu ou obtus ; aussi, dans les localités qui ont le soleil au zénith, ou à peu près, la chaleur est plus forte que dans les régions plus éloignées, car la lumière est la cause de la chaleur et de l’échauffement. Pour (les pays situés sous) l’équa­teur, le soleil passe au zénith deux fois chaque année, ce qui a lieu quand il est dans le Bélier ou dans la Balance. Quand il s’écarte du zénith de ces lieux, la distance n’est pas considérable, et quand il arrive au terme de sa déclinaison, ce qui est marqué par le commencement du Cancer, d’un côté, et du Capricorne, de l’autre, il s’en retourne avec tant de promptitude qu’il ne permet pas à la chaleur de se modérer. Ses rayons tombent d’aplomb sur cette zone torride pendant un temps assez long, sinon continuellement. L’air est embrasé par une chaleur devenue excessive. Il en est de même dans les régions qui s’étendent au delà de l’équateur, jusqu’à la lati­tude de vingt‑quatre degrés (sud) ; elles ont le soleil au zénith deux *86 fois chaque année, et subissent ainsi l’ardeur de ses rayons [38] presque autant que les contrées situées sous l’équateur même. Cette chaleur excessive dessèche et raréfie l’atmosphère au point d’empêcher la p.104 reproduction des êtres, car la disparition des eaux et des vapeurs humides nuit à la formation des minéraux, des plantes et des animaux, vu que la production ne peut avoir lieu sans l’humidité. Lorsque le commencement du Cancer s’écarte (au sud) du zénith, ce qui a lieu dans les latitudes qui dépassent vingt‑cinq degrés nord, le soleil se trouve éloigné du zénith, et la chaleur acquiert une température moyenne, ou peu s’en faut ; la production des êtres prend alors de l’activité et s’accroît graduellement, jusqu’à ce que le froid devienne sensible, par suite de la diminution de la lumière, et parce que les rayons du soleil frappent la terre sous un angle oblique. La puis­sance reproductive diminue alors, et s’altère ; mais le changement qu’elle subit par suite de la chaleur surpasse de beaucoup celui qui est produit par l’intensité du froid, parce que l’action de la chaleur, dans le desséchement, est plus prompte que celle du froid dans la con­gélation ; aussi le premier et le second climat ont une population peu nombreuse, tandis que le troisième, le quatrième et le cinquième ont une population moyenne, grâce à la chaleur modérée qui ré­sulte de la diminution de la lumière. Dans le sixième et le septième climat, la population est très grande, ce qu’il faut attribuer au dé­croissement de la chaleur et à la qualité possédée par le froid de ne pas nuire tout d’abord à la puissance reproductive, en quoi il diffère de la chaleur. En effet, le desséchement ne peut avoir lieu en ces derniers climats que lorsque le froid est extrême, par suite de la sécheresse qui s’y déclare alors ; ce qui arrive au delà du septième climat ; ainsi, dans le quart septentrional du monde, la population est plus nombreuse et plus compacte. Mais Dieu en sait plus que nous !
D’après ces raisonnements, les philosophes ont supposé que les lieux placés sous l’équateur et les contrées qui s’étendent au delà sont complètement déserts ; mais on leur a répondu que, d’après *87 le témoignage des voyageurs et une suite non interrompue de ren­seignements, il est certain que ces régions sont habitées. Comment répondre à cette objection ? Évidemment ces philosophes n’ont pas voulu nier, d’une manière absolue, que ces contrées fussent habitées, p.105 mais ils se sont laissé conduire, par leur argumentation, à admettre que la faculté productrice s’y perd par l’excès de la chaleur, et que l’existence d’une population y serait impossible, ou peu s’en faut : ce qui est vrai. En effet, le pays situé sous l’équateur et les contrées qui sont au delà renferment, dit‑on, une population ; mais elle est très peu nombreuse. Suivant l’opinion d’Ibn‑Rochd (Averroës), la région équatoriale est tempérée, et les contrées situées au delà, du côté du sud, sont placées sous les mêmes conditions que les pays qui s’étendent au nord de l’équateur ; donc on doit trouver des habi­tants dans les parties de la région australe qui correspondent aux parties habitées de la région boréale. Son assertion ne saurait être réfutée par l’objection que la faculté productrice s’y perdrait, mais on peut la repousser par la raison que l’élément humide (l’océan) couvre la terre de ce côté‑là, et s’avance jusqu’à une limite dont la limite correspondante, du côté du nord, renferme une région qui pos­sède la faculté productrice. Or l’existence d’une atmosphère tem­pérée (dans les régions australes) est impossible, puisqu’elles sont couvertes par l’océan ; aussi doit‑on nier toutes les conséquences qu’on voudrait en tirer. En effet, la population tend à s’accroître ré­gulièrement ; mais, pour cela, elle doit se trouver dans les conditions du possible, et non pas dans celles de l’impossible. Quant à l’opi­nion de ceux qui déclarent la région équatoriale inhabitable, elle est contredite par les renseignements qui nous sont parvenus ; mais Dieu sait ce qui en est.
Nous allons tracer ici un planisphère [39] semblable à celui qu’Idrîci a inséré dans le Livre de Roger [40]ensuite nous en donnerons une des­cription détaillée.

DESCRIPTION DÉTAILLÉE
DU PLANISPHÈRE TERRESTRE [41].

[p.106 *88 Notre exposition se composera d’observations détaillées et d’une notice sommaire [42]. Les détails se rapporteront aux contrées du monde habitable, à ses montagnes, ses mers et ses rivières, que nous décri­rons une à une. Cette partie de notre traité viendra après la notice sommaire, dans laquelle nous indiquerons de quelle manière la partie habitable de la terre se trouve divisée en sept climats ; nous y ferons connaître les latitudes de ces climats, et la plus grande longueur p.107 du jour que l’on remarque dans chacun d’eux. Comme c’est là le sujet de ce chapitre, nous allons l’aborder.
D’après une indication que nous avons déjà donnée, on sait que la terre flotte sur l’élément humide, ainsi qu’un grain de raisin surnage sur l’eau. De cette manière, une partie de sa masse reste à découvert, et cela par un effet de la sagesse divine, qui a voulu disposer un local pour l’habitation de l’homme, et préparer un lieu où la puis­sance élémentaire de la production pût agir. On assure que cette partie découverte forme la moitié de la superficie du globe ; que la partie habitable en forme le quart, et que l’autre quart est tout à fait désert. Selon d’autres, la portion habitée n’en est que le sixième. La partie déserte de la terre laissée à découvert est située du côté du nord et du côté du midi. Entre ces deux régions se trouve la partie ha­bitée, qui s’étend, sans interruption, d’occident en orient, et qui, de chaque extrémité, — ne rencontre aucun désert qui puisse la séparer de la mer. Une ligne imaginaire, disent‑ils, se dirige de l’ouest à l’est, dans le plan de l’équateur céleste, et passe par les pays qui ont les deux pôles du monde à l’horizon ; cette ligne indique le commencement de la terre habitée, en allant vers le nord. Ptolémée dit, de son côté, que la terre au midi de l’équateur est habitée aussi loin qu’elle s’étend. On verra ses observations plus loin. Ishac Ibn el‑Hacen el­-Khazeni [43] déclare qu’il existe des contrées habitées au delà du sep­tième climat, et il nous en fait connaître l’étendue, puisqu’il indique la largeur du pays qui les renferme. Nous reviendrons là‑dessus, parce que cet auteur était un des grands maîtres dans cette science.]
*89 Les philosophes de l’antiquité ont partagé le monde habitable, au nord de l’équateur, en sept climats, qu’ils indiquent par des lignes imaginaires, tirées d’occident en orient, et ils assignent à chaque climat une largeur différente, ainsi que nous l’exposerons en détail. Le premier climat est immédiatement au nord de l’équateur, et il en p.108 suit la direction. La région au sud de l’équateur ne renferme d’autres populations que celles dont Ptolémée a fourni l’indication ; au delà sont des déserts et des sables qui se prolongent jusqu’au cercle d’eau nommé la mer Environnante. Au nord du premier climat vient le second, qui suit la même direction, puis le troisième, puis le qua­trième, le cinquième, le sixième et le septième. Ce dernier forme, du côté du nord, la limite du monde habitable ; au delà, et jusqu’à la mer Environnante, il n’y a que des solitudes et des déserts ; mais [44], au midi de l’équateur, l’étendue de la région déserte est beaucoup plus considérable qu’au nord.
[Passons à ce qui regarde les latitudes de ces climats et le nombre d’heures dont se compose le jour (le plus long) de chacun. Il faut d’abord savoir que, pour (toutes les parties de) l’équateur, depuis l’occident jusqu’à l’orient, les deux pôles du monde sont dans l’horizon, et qu’on a le soleil au‑dessus de sa tête. A mesure qu’on s’avance vers le nord dans la partie habitée du globe, le pôle septentrional s’élève graduellement au‑dessus de l’horizon, le pôle méridional s’abaisse d’autant, et l’équateur s’éloigne du zénith [45] de la même quantité. Ces trois déviations sont parfaitement égales, et chacune d’elles se nomme la latitude du pays. Le mot latitude est un terme de convention très usité chez les astronomes calculateurs. On n’est pas d’accord sur la valeur des latitudes [46] qu’il faut assigner aux sept climats. Suivant Ptolémée, la largeur du monde habitable est de soixante et dix‑sept *90 degrés et demi, dont onze pour la partie habitée qui s’étend au sud de l’équateur : donc la largeur des sept climats septentrionaux est de soixante‑six degrés et demi : Selon le même auteur, la latitude du premier climat est de seize [47] degrés ; celle du second est de vingt p.109 degrés ; celle du troisième, de vingt‑sept degrés ; celle du quatrième, de trente‑trois ; celle du cinquième, de trente‑huit ; celle du sixième, de quarante‑trois, et celle du septième, de quarante‑huit [48]. Ensuite cet astronome établit qu’un degré de la sphère céleste correspond à soixante‑six milles et deux tiers de mille, mesurés sur la surface du globe : donc la largeur du premier climat, du nord au sud, est de mille soixante‑sept milles [49] ; celle du second, ajoutée à celle du pre­mier, est de mille trois cent trente‑trois milles [50] ; celle du troisième, ajoutée à la somme précédente, est de mille [51] sept cent quatre‑vingt­-dix ; celle du quatrième, avec l’addition de ce qui précède, est de deux mille cent quatre‑vingt‑cinq ; celle du cinquième est de deux mille cinq cent vingt ; celle du sixième, de deux mille huit cent quarante, et celle du septième, de trois mille cent cinquante [52].]
Dans ces divers climats, la durée du jour diffère de celle de la nuit ; ce qui a pour cause la déclinaison du soleil quand il s’éloigne du cercle équinoxial, joint à l’élévation du pôle septentrional au‑dessus de l’horizon ; cela produit une variation dans l’arc diurne et dans l’arc nocturne. A l’extrémité du premier climat, la nuit la plus longue a lieu quand le soleil entre dans le signe du Capricorne, et le jour le plus long arrive quand cet astre se trouve dans le commencement du Cancer. Suivant Ptolémée, cette longueur du jour ou de la nuit est de douze heures et demie. A l’extrémité du second climat, elle est de treize heures pour le jour et pour la nuit les plus longs. A la fin du troisième climat, elle est de treize heures et demie ; à la fin du quatrième, de quatorze heures ; à la fin du cinquième, il y a une aug­mentation *91 d’une demi-heure ; à la fin du sixième, elle est de quinze heures ; à la fin du septième, elle est de quinze heures et demie. Pour avoir le jour le plus court ou la nuit la plus courte, on prend ce qui reste, après la défalcation de ces nombres, sur la somme de p.110 vingt‑quatre heures, qui représentent la durée d’un jour et de la nuit qui l’accompagne. Cet espace de temps est égal au temps d’une révolution complète du ciel. La différence qui existe entre les cli­mats, relativement à la plus longue durée du jour et de la nuit, est, pour chacun, d’une demi-heure. Cette différence va en augmentant depuis le commencement de chaque climat, du côté du midi, jus­qu’à son extrémité, du côté du nord, et elle est répartie sur les di­verses fractions de cette distance.
Suivant Ishac Ibn el-Hacen el-Khazeni, la partie habitable du globe située au delà de l’équateur se termine à la latitude de seize [53] degrés vingt‑cinq minutes. La plus longue durée du jour et de la nuit y est de treize [54] heures. La latitude qui limite le premier climat (septentrional) et la longueur des jours et des nuits sont les mêmes que celles du climat situé de l’autre côté de l’équateur. La latitude extrême du second climat est de vingt‑quatre degrés, et la durée du jour le plus long ou de la nuit la plus longue est de treize heures et demie. Le troisième climat s’arrête à trente degrés de latitude ; son jour le plus long est de quatorze heures. Le quatrième se termine au trente‑sixième [55] degré, et son jour le plus long est de quatorze heures et demie. Le cinquième ne dépasse pas le quarante et unième degré, et son jour le plus long est de quinze heures ; le sixième s’ar­rête au quarante‑cinquième degré ; son jour le plus long est de quinze [56] heures et demie ; enfin le septième s’étend jusqu’à la latitude de quarante‑huit degrés et demi, et son jour le plus long est de seize heures. Au delà du septième climat, l’extrémité du pays habitable se *92 trouve dans la latitude de soixante‑trois degrés, et les heures de son jour le plus long sont au nombre de vingt.
Un autre maître dans cette science dit que la région (habitable) au delà de l’équateur se termine à seize degrés vingt‑sept minutes de lati­tude. Le premier climat (septentrional) s’arrête à vingt degrés quinze p.111 minutes ; le second, à vingt‑sept degrés treize minutes ; le troisième, à trente‑trois degrés vingt minutes ; le quatrième, à trente‑huit de­grés et demi ; le cinquième, à quarante‑trois degrés ; le sixième, à quarante‑sept degrés cinquante‑trois minutes ou, suivant d’autres, à quarante‑six degrés cinquante minutes ; le septième, à cinquante et un degrés cinquante‑trois minutes. Au delà du septième climat, la région habitée s’étend jusqu’au soixante et dix‑septième degré.
Selon Abou Djâfer el‑Khazeni [57], un des plus grands maîtres dans cette science, le premier climat s’étend en largeur depuis le premier degré jusqu’à la latitude de vingt degrés treize minutes ; le second va jusqu’à vingt‑sept degrés treize minutes ; le troisième à trente‑trois degrés trente‑neuf minutes ; le quatrième, à trente‑huit degrés vingt-­trois minutes ; le cinquième, à quarante‑deux degrés cinquante‑huit minutes ; le sixième, à quarante‑sept degrés deux minutes ; le sep­tième, à cinquante degrés quarante‑cinq minutes.
Voilà ce que j’ai pu recueillir touchant les opinions diverses p.112 énoncées par les savants au sujet des latitudes, des heures et des milles que l’on doit attribuer à chaque climat. Dieu a créé toutes choses, et leur a assigné leur destination. (Coran, sour. XXV, vers. 2.)
Les géographes de profession divisent chacun des sept climats, *93 dans sa longueur, en dix parties égales, qui se suivent de l’ouest à l’est. Ils énumèrent tout ce que renferme chacune de ces sections, les pays, les villes, les montagnes, les fleuves et les distances qui les séparent. Nous exposerons ici d’une manière abrégée les matières qu’ils ont traitées, et nous ferons mention des pays, des fleuves et des mers les plus remarquables qui se trouvent dans chaque section de climat. Nous prendrons en cela pour modèle l’ouvrage intitulé Nozhet el‑Mochtac, qu’Idrîci, le Hammoudien et descendant d’Ali (le gendre de Mohammed [58]), composa pour Roger, fils de Roger, et roi des Francs de la Sicile. Il résidait alors en Sicile, à la cour de ce prince, s’y étant rendu après que ses aïeux eurent perdu le gouverne­ment de Malaga. Son livre fut écrit vers le milieu du VIe siècle [59]. Cet écrivain avait réuni pour le roi un grand nombre d’ouvrages, tels que ceux de Masoudi, d’Ibn Khordadbeh [60], d’El‑Haucali [61], d’El‑Adheri [62], d’Ishac l’astronome [63], de Ptolémée et autres. Nous allons commencer par le premier climat et nous irons de suite jusqu’au dernier.

LE PREMIER CLIMAT.
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Ce climat a, du côté de l’occident, les îles Éternelles (Fortunées) [64]p.113 adoptées par Ptolémée comme point de départ d’où il compte les longitudes. Elles sont placées dans la mer Environnante, en de­hors de la terre ferme qui fait partie de ce climat, et forment un groupe d’îles très nombreuses, dont les plus grandes et les mieux connues sont au nombre de trois. On dit qu’elles sont habitées. Sui­vant ce que nous avons appris, quelques vaisseaux des Francs, ayant abordé ces îles vers le milieu de ce siècle [65], attaquèrent les habitants ; les Francs enlevèrent du butin et emmenèrent des prisonniers, qu’ils vendirent en partie sur les côtes du Maghreb el‑Acsa (le Maroc). *94 Les captifs passèrent au service du sultan, et, lorsqu’ils eurent appris la langue arabe, ils donnèrent des renseignements sur leur île. Les ha­bitants, disaient‑ils, labourent la terre avec des cornes pour l’ensemencer, le fer étant inconnu chez eux ; ils se nourrissent d’orge ; leurs troupeaux se composent de chèvres ; ils combattent avec des pierres, qu’ils lancent derrière eux ; leur seule pratique de dévotion consiste à se prosterner devant le soleil au moment de son lever. Ils ne con­naissent aucune religion, et jamais des missionnaires ne leur ont apporté une doctrine quelconque.
C’est par hasard seulement qu’on arrive aux îles Éternelles, car on ne s’y rend jamais exprès. En effet, les vaisseaux qui naviguent sur la mer ne  peuvent marcher qu’à l’aide des vents, et les marins ont besoin de connaître les points d’où chaque vent souffle et de savoir en quel pays on peut arriver lorsqu’on suit directement le cours de ce vent. Si le vent est variable, et si l’on sait où l’on doit arriver en suivant la ligne droite, on oriente les voiles selon chaque courant d’air, leur donnant l’inclinaison nécessaire pour faire marcher p.114 le navire. Tout cela se fait d’après des règles bien connues des ma­rins et des navigateurs, versés dans l’art de voyager sur mer. Toutes les localités situées sur les deux bords de la mer Romaine (la Médi­terranée) se trouvent dessinées sur une feuille (de carton ou de par­chemin) d’après leurs formes véritables et la suite régulière des posi­tions qu’elles occupent sur le bord de la mer. Les points d’où soufflent les vents et les différentes directions qu’ils suivent sont indiqués de même sur cette feuille ; on nomme cela El‑konbas [66]C’est là le guide auquel les navigateurs se fient dans leurs voyages. Or un pareil se­cours n’existe pas en ce qui concerne la mer Environnante ; aussi les marins n’osent pas s’engager dans cet océan, attendu que, s’ils per­daient de vue les rivages, ils ne sauraient guère comment se diri­ger *95 vers le point qu’ils viennent de quitter. D’ailleurs l’atmosphère de cette mer, jusqu’à la surface des eaux, est remplie de vapeurs épaisses qui empêchent les navires de continuer leur route, et qui, par suite de l’éloignement, ne peuvent être atteintes ni dissipées par les rayons solaires que réfléchit la surface terrestre. Par conséquent, il est difficile de se diriger vers ces îles, ou d’obtenir des renseigne­ments sur ce qui les concerne.
La première section de ce climat renferme l’embouchure du Nil des nègres qui, ainsi que l’avons indiqué, prend sa source dans la montagne d’El‑Comr, et se dirige vers la mer Environnante, où il verse ses eaux auprès de l’île d’Aoulîl [67]. Sur les bords de ce fleuve sont les villes de Silla [68], de Tekrour et de Ghana, qui toutes, aujour­d’hui, sont réunies sous la domination des gens de Melli [69], peuple de race nègre. Les marchands du Maghreb el-Aksa font régulière­ment le voyage de ce pays. Immédiatement au nord de cette région p.115 est la contrée des Lemtouna et de tous les autres peuples qui ont la figure voilée [70] ; c’est là une vaste étendue de déserts, où ces tribus se livrent à la vie nomade. Au sud de ce Nil existe un peuple noir que l’on désigne par le nom de Lemlem [71]Ce sont des païens qui portent des stigmates sur leurs visages et sur leurs tempes. Les habitants de Ghana et de Tekrour font des incursions dans le territoire de ce peuple pour faire des prisonniers. Les marchands auxquels ils ven­dent leurs captifs les conduisent dans le Maghreb, pays dont la plu­part des esclaves appartiennent à cette race nègre. Au delà du pays des Lemlem, dans la direction du sud, on rencontre une population peu considérable ; les hommes qui la composent ressemblent plutôt à des animaux sauvages qu’à des êtres raisonnables. Ils habitent les ma­récages boisés et les cavernes ; leur nourriture consiste en herbes et en graines qui n’ont subi aucune préparation ; quelquefois même ils se dévorent les uns les autres : aussi ne méritent‑ils pas d’être comptés parmi les hommes. Les fruits secs que l’on consomme dans le pays des noirs viennent tous des bourgades [72] qui se trouvent dans *96 le désert du Maghreb ; celles, par exemple, du Touat, de Tîgou­rarîn [73], et de Ouergla [74].
On dit qu’il y avait à Ghana un empire dont les souverains ap­partenaient à la famille d’Ali (gendre de Mohammed) et formaient la dynastie des enfants de Saleh. Selon Idrîci [75], Saleh était fils p.116 d’Abd Allah, fils de Hacen, fils d’El‑Hacen (fils d’Ali) ; mais on ne connaît au­cun prince de ce nom dans la lignée d’Abd Allah, fils de Hacen. Au reste, cette dynastie n’existe plus aujourd’hui, et Ghana appartient au sultan de Melli [76].
A l’orient de cette contrée, et dans la troisième section du premier climat, est la ville de Gogo [77], située sur un fleuve qui prend sa source dans une des montagnes de ce pays, et qui coule vers l’occident, où il se perd dans les sables de la seconde section de ce climat [78]. Le roi de Gogo était d’abord un souverain indépendant ; ensuite ses États tombèrent au pouvoir du sultan de Melli, qui les incorpora dans son royaume ; maintenant ils sont dépeuplés par suite des guerres qui affligèrent ce pays, et dont nous parlerons dans la partie de l’histoire des Berbers qui renferme la notice du royaume de Melli [79]. Au sud de la contrée de Gogo se trouve celle des Kanem [80], peuple appartenant à la race nègre. Ensuite vient le pays de Ouangara [81], situé sur la rive septentrionale du Nil. A l’orient de Ouangera et de Kanem sont le pays des Zagaoua [82] et celui de Tadjoua [83], qui touche à la Nubie, dans la quatrième section de ce climat. La Nubie est traversée par le Nil d’Égypte, qui prend sa source près de l’équateur, et coule vers le nord [84] jusqu’à la mer Romaine. Ce fleuve sort de la montagne d’El‑Comr, située à seize degrés au delà de l’équateur. On n’est pas d’accord sur la *97 vraie prononciation de ce nom. Les uns disent El‑Camar et sup­posent que la montagne a reçu ce nom, qui signifie la lune, parce p.117 qu’elle était d’une blancheur éclatante. Dans le Mochterek (homonymes géographiques) de Yacout [85], ce nom est écrit El‑Comr ; ce qui rappelle un peuple de l’Inde [86]. Ibn Saîd [87] a employé cette dernière orthogra­phe. Le Comr donne naissance à dix sources, dont cinq se déchar­gent dans un lac et cinq dans un autre. Une distance de six milles sépare les deux bassins [88]. Trois rivières sortent de chaque lac, et vont se réunir toutes dans un seul marais, qui, vers sa partie inférieure et septentrionale, est coupé par une montagne transversale ; aussi les eaux se divisent‑elles en deux branches, dont l’occidentale coule vers l’ouest, jusqu’au pays des Nègres, et va se décharger dans la mer Environnante. La branche orientale se dirige vers le nord, et tra­verse l’Abyssinie, la Nubie et les pays intermédiaires. Arrivée à la basse Égypte, elle se divise en plusieurs branches, dont trois se jet­tent dans la mer Romaine, l’une près d’Alexandrie, l’autre à Rechîd (Rosette) et l’autre à Dimyat (Damiette). Une quatrième branche se décharge dans un lac salé avant d’atteindre la mer.
Au milieu de ce premier climat, sur les bords du Nil, sont les contrées de Nubie, d’Abyssinie et la portion du pays des Oasis qui s’étend jusqu’à Asouan. Dongola, la capitale de la Nubie, est située sur la rive gauche de ce fleuve. Plus bas se trouve Aloua [89], puis Bi­lac, puis la montagne des Djenadel (les Cataractes), située à la dis­tance de six journées au nord de Bilac [90]. C’est une montagne dont le côté qui regarde l’Égypte se dresse abruptement, tandis que celui p.118 qui est tourné vers la Nubie est en pente douce. Le Nil pénètre au travers de cette montagne et se précipite dans un profond ravin par une *98 chute effrayante. Les barques des noirs ne pouvant pas le tra­verser, on les décharge et l’on transporte les marchandises par terre, à dos (de chameaux), jusqu’à Asouan, capitale du Saîd. On transporte de même, jusqu’au‑dessus des Cataractes, les chargements des bateaux appartenant au Saîd. Entre les Cataractes et Asouan, la distance est de douze journées de marche. Les Oasis sont placées à l’occident de cette région, sur l’autre rive du Nil : elles sont aujourd’hui désertes, mais elles renferment les traces d’une ancienne civilisation. Au milieu de ce climat, dans la cinquième section, est située l’Abyssinie. Elle est traversée par une rivière [91] qui vient de l’autre côté de l’équateur et qui, après avoir passé derrière Macdachou, ville située au sud de la mer Indienne, se rend dans la Nubie, où elle se décharge dans le Nil, qui descend vers le Caire. Bien des gens se sont trompés au sujet de cette rivière, et ont cru qu’elle était la partie (supérieure) du Nil d’El-Comr. Ptolémée, qui en a fait mention dans son Traité de géographie, déclare qu’elle n’a rien de commun avec le Nil.
La mer de l’Inde, qui commence du côté de la Chine, se termine au milieu de la cinquième section de ce climat, dont elle couvre ainsi une grande partie. Le peu de population qui s’y rencontre habite, soit les îles de cette mer, qui sont, dit‑on, au nombre de mille, soit sur les côtes méridionales, qui forment, du côté du sud, la limite du monde habitable [92], soit enfin sur ses côtes septentrionales. De celles‑ci, le premier climat ne renferme que l’extrémité de la Chine, vers l’o­rient, et le pays du Yémen, placé dans la sixième section du climat, entre les deux mers qui, se détachant de la mer Indienne, se diri­gent vers le nord ; nous vouions dire la mer de Colzom et celle de Fars. *99 Entre ces deux golfes s’étend la péninsule des Arabes, qui comprend le p.119 Yémen, le canton de Chiher, situé vers le côté oriental et baigné par la mer Indienne, la province de Hidjaz, celle de Yemama et les contrées voisines. Nous parlerons encore de ces lieux en traitant du second climat et des climats suivants.
Sur le rivage occidental de cette mer, on rencontre le pays de Zalâ [93], qui fait partie des frontières de l’Abyssinie, et les déserts on les Bedja mènent une vie errante. Ces déserts sont au nord de l’Abys­sinie, entre la montagne d’El‑Alaki [94], dans le Saîd supérieur, et la mer de Colzom, qui dérive de la mer Indienne et se dirige vers l’Égypte. Dans cette mer, au‑dessous de Zalâ, du côté du nord, on rencontre le détroit de Bab el‑Mandeb. Auprès de ces parages, la mer se rétrécit par suite de l’obstacle que lui oppose la montagne d’El‑Mandeb, la­quelle s’élève au milieu de la mer de l’Inde, et s’étend sur la côte occidentale du Yémen, du midi au nord, sur une longueur de douze milles. La mer se rétrécit ainsi au point de n’avoir qu’une largeur d’en­viron trois milles. Ce détroit porte le nom de Bab el‑Mandeb. C’est par là que passent les vaisseaux qui se rendent du Yémen à Suez, port voisin du Caire. Au-dessous (au nord) de Bab el-Mandeb, on trouve l’île de Souaken et celle de Dehlak. Vis‑à‑vis, du côté de l’ouest, sont les déserts que parcourent les Bedja, peuple de race noire. Sur le ri­vage oriental s’étend le Tehama du Yémen, où se trouve aussi la ville de Hali Ibn Yacoub [95]. Au sud du territoire de Zalâ, sur le ri­vage occidental de cette mer, s’étendent les villages de Berbera, qui se succèdent l’un à l’autre et qui, en suivant la côte méridionale de la mer, forment une courbe qui se prolonge jusqu’à la fin de la sixième section du climat. Dans leur voisinage, du côté de l’orient, *100 se trouve le pays des Zendj ; ensuite vient la ville de Macdachou, située sur la mer Indienne, du côté du midi. Cette ville regorge d’habitants ; son état de civilisation est celui de la vie nomade, et l’on y voit beau­coup de marchands. Plus à l’est, se trouve le pays de Sofala, qui borde p.120 la rive méridionale de cette mer, dans la septième section du même climat. Ensuite, à l’orient de Sofala, sur le même rivage méridional, on rencontre le pays de Ouac‑Ouac, qui s’étend, sans interruption, jusqu’à la fin de la dixième section du climat, à l’endroit où la mer Indienne sort de la mer Environnante.
Les îles de la mer Indienne sont très nombreuses. La plus grande est celle de Serendib (Ceylan), qui a une forme arrondie et renferme une montagne célèbre, la plus haute, dit‑on, qui soit au monde. Cette île est placée vis‑à‑vis de Sofala [96]. Ensuite vient l’île de Comar [97], qui a une formé allongée et qui commence vis‑à‑vis de Sofala, en se diri­geant vers l’est, avec une forte inclinaison vers le nord. Elle s’appro­che, de cette manière, jusqu’aux côtes supérieures [98] de la Chine. Au sud, elle a les îles de Ouac‑Ouac ; à l’est, celles de Sîla [99]. D’autres îles, en très grand nombre, se trouvent dans cette mer et produisent des parfums, des aromates [100], et même, dit‑on, de l’or et des éme­raudes. Ses habitants sont, presque tous, des idolâtres ; ils obéissent à des rois dont le nombre est très grand dans cette région. Sous le rapport de la civilisation, ces îles offrent des singularités que les géo­graphes nous ont fait connaître. Sur le bord septentrional de cette mer, dans la sixième section du premier climat, s’étend la contrée du Yémen. Du côté de la mer de Colzom on trouve la ville de Zebîd, *101 celle d’El‑Mehdjem, le Tehama du Yémen, puis la ville de Sâda, résidence des imams zeïdiens [101]. Ce dernier endroit est assez loin p.121 de la mer Occidentale et de la mer Orientale ; ensuite se trouve la ville d’Aden, au nord de laquelle est la ville de Sanâ. Plus loin, vers l’orient, est la région des Ahcaf et de Dhafar, puis la contrée de Ha­dramaout et le canton d’Es‑Chiher, placé entre la mer Méridionale et la mer de Fars. Cette partie de la sixième section renferme ce que la mer a laissé à découvert dans la région centrale de ce climat. Dans la neuvième section se trouve encore une petite portion de terre res­tée à découvert, et, dans la dixième, une portion bien plus considé­rable. C’est là que sont les rivages supérieurs (méridionaux) de la Chine. On y voit, entre autres villes célèbres, celle de Khankou [102], vis‑à‑vis de laquelle, vers l’orient, sont les îles Es‑Sîla, dont il a été fait mention. Ici se termine la description du premier climat.

LE SECOND CLIMAT.
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Ce climat confine au côté septentrional du premier climat. Vis‑à­-vis son extrémité occidentale, dans la mer Environnante, sont deux îles qui font partie des îles Fortunées, dont il a été parlé plus haut. Dans [103] la partie supérieure (méridionale) de la première et de la deuxième section de ce climat se trouve le pays de Camnouriya [104]. Plus p.122 loin, du côté de l’orient, sont les parties supérieures (méridionales) du territoire de Ghana, puis le pays où les Zaghaoua, peuples nègres, vivent en nomades. Dans la partie inférieure (septentrionale) des mêmes sections [105] règne le désert de Nîcer [106], qui s’étend, sans interrup­tion, d’occident en orient, et qui renferme de vastes solitudes, traversées *102 par les marchands qui font le commerce entre le Maghreb et le pays des Noirs. C’est dans cette région que les peuples voilés, ap­partenant à la grande famille des Sanhadja, se livrent à la vie nomade. Ils forment un grand nombre de tribus, dont les principales sont les Guédala, les Lemtouna, les Messoufa, les Lamta et les Outrîga [107]. Sur la même ligne que ces déserts, du côté de l’orient, est le Fezzan, puis les pays que parcourent les Azgar [108], tribus berbères, et qui s’é­tendent jusqu’à la limite orientale de la partie supérieure (méridio­nale) de la troisième section du climat.
Plus loin, dans la troisième section, est la contrée des Koouar [109], peuple appartenant à la race nègre ; ensuite vient une portion du pays habité par les Tadjoua. Dans la partie inférieure, c’est‑à‑dire sep­tentrionale [110], de cette troisième section, se trouve comprise une lisière de la région occupée par les Oueddan. Directement à l’orient de cette localité est le territoire de Senteriya [111], autrement nommé les Oasis intérieures [112].
p.123 La partie méridionale de la quatrième section embrasse le reste du pays des Tadjoua. Le milieu de cette même section est occupé par le Saîd, contrée située sur les deux rives du Nil. Ce fleuve, sorti du premier climat, on il prend sa source, se dirige vers la mer, et, entré dans cette section, il coule entre deux chaînes de montagnes, savoir : sur le bord occidental, la montagne des Oasis, et sur le bord orien­tal, le mont Mocattam. Dans sa partie supérieure ; il passe auprès d’Esné et d’Erment, en traversant les territoires de ces villes, et il poursuit sa course jusqu’à Osîout et à Cous [113], puis à Soui [114]. Dans cet endroit, il forme deux bras : celui de droite se termine dans cette section de climat, auprès d’El‑Lahoun, et celui de gauche auprès de Delas [115]. Entre ces deux bras sont comprises les parties supérieures de l’Égypte.
A l’orient du mont Mocattam on trouve les déserts d’Aîdab, qui *103 s’étendent dans la cinquième section de ce climat jusqu’à ce qu’ils se terminent au rivage de la mer de Souîs (Suez). Cette mer, nommée aussi la mer de Colzom, sort de la mer Indienne et se dirige du midi au nord. Son rivage oriental, dans cette section, est formé par le Hi­djaz, depuis le mont Yelemlem jusqu’au territoire qui dépend de Ya­threb (Médine). La ville de la Mecque, que Dieu l’exalte ! est située au centre du Hidjaz. Son port est la ville de Djedda, située vis‑à‑vis d’Aîdab, qui est placée sur la rive occidentale de cette mer.
Dans la sixième section de ce climat, du côté de l’occident, est la contrée du Nedjd, dont la partie supérieure, du côté du midi, ren­ferme Djorech et Tebala jusqu’à Okadh, qui se trouve plus au nord. Au‑dessous de la contrée du Nedjd, règne le reste du pays de Hidjaz. Dans la même direction, vers l’orient, s’étendent les cantons de Nedj­ran et de Djened. Au‑dessous est le pays de Yemama. Plus à l’est, et sur la même ligne que Nedjran, sont la province de Saba et Mareb, p.124 puis le territoire d’Es‑Chiher, où cette section atteint la mer de Fars. Celle‑ci est la seconde mer qui dérive de la mer Indienne ; elle coule vers le nord, ainsi que nous l’avons dit, et passe dans cette section de climat en se détournant vers l’ouest. Dans le nord‑est de la section, elle couvre un espace triangulaire, sur le côté méridional duquel est située la ville de Calhat, qui sert de port à Es‑Chiher. Au‑dessous (vers le nord), sur le rivage, s’étendent les provinces d’Oman et de Bahreïn.
Hedjer de Bahreïn se trouve à l’extrémité de cette section. Dans le haut [116] de la septième section et dans sa partie occidentale on voit une portion de la mer de Fars ; l’autre portion se trouve dans la sixième section. La mer Indienne en couvre toute la partie su­périeure (méridionale), et baigne les côtes du Sind jusqu’au Mekran inclusivement. Vis‑à‑vis du Mekran est le territoire de Touberan, qui appartient aussi au Sind. Cette contrée tout entière se trouve dans la partie occidentale de la (septième) section. De vastes déserts *104 s’interposent entre l’Inde et le Sind. Ce dernier pays est traversé par un fleuve du même nom qui vient des contrées de l’Inde et va se dé­charger, au midi, dans la mer Indienne. La première des provinces indiennes qui se trouvent ensuite sur la mer de ce nom, et directe­ment à l’est du Sind, est celle de Belhera [117]. Au‑dessous (au nord) est la ville de Moltan, qui renferme l’idole pour laquelle les Indiens ont tant de vénération [118] ; ensuite, au‑dessous (au nord) de l’Inde, vient la partie supérieure (méridionale) du pays de Sidjistan.
Dans la huitième section, du côté de l’occident, on trouve le reste de la province de Belhera qui fait partie de l’Inde. Immédiatement à l’est s’étend le territoire de Candahar, puis le pays de Manîbar [119]p.125 qui se trouve dans la partie supérieure (méridionale) de cette section et qui borde la mer Indienne. Plus bas, du côté du nord, est la con­trée de Kaboul. A l’est de Manîbar et de Kaboul est le pays de Ka­noudj, qui se prolonge jusqu’à la mer Environnante. La région qui se compose du Cachmîr intérieur et du Cachmîr extérieur est située à l’extrémité du climat.
Dans la partie occidentale de la neuvième section commencent les contrées de l’Inde ultérieure, elles se prolongent jusqu’au côté orien­tal de la même section, dont elles suivent la limite supérieure (mé­ridionale). pour s’avancer dans la dixième section du climat. La partie inférieure (septentrionale) de la section embrasse une portion de la Chine renfermant la ville de Khîfoun [120]. Le pays de la Chine se prolonge de là, à travers toute la dixième section, jusqu’à la mer Environnante.

LE TROISIÈME CLIMAT.
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*105 Ce climat confine au côté septentrional du second. Dans la première section et à un tiers de sa largeur, mesurée du côté méridional, se trouve le Deren [121] (l’Atlas), montagne qui la traverse de l’ouest à l’est et qui commence auprès de la mer Environnante. Cette montagne est habitée par des peuples berbères, dont le Créateur seul sait le nom­bre, ainsi qu’on le verra plus loin [122]. Sur le bord de la mer Environ­nante, dans l’intervalle qui sépare le Deren du second climat, est situé le ribat [123] de Massa [124], qui a, du côté de l’orient, les pays de Sous p.126 et de Noul [125]. Directement à l’est de ces contrées se trouve le pays de Derâ et le canton de Sidjilmessa, puis une partie du désert de Nîcer, région dont nous avons déjà parlé en traitant du second climat. Dans cette section du climat, le Deren domine toutes ces contrées.
La partie occidentale de cette chaîne offre peu de cols et de pas­sages ; mais ses gorges deviennent plus fréquentes à mesure que la montagne s’approche du Molouîa, on elle se termine. Dans cette partie [126] sont les tribus de Masmouda et de Sekcîoua, qui habitent auprès de la mer Environnante ; après elles, se trouvent les Hintata, puis les Tînmelel, puis les Guedmîoua, puis les Heskoura ; avec ceux-­ci s’arrête la population masmoudienne de la montagne. Ensuite vien­nent les tribus de Zanaga, qui forment un peuple sanhadjien [127]. Vers l’extrémité de cette partie de la montagne habitent quelques tribus zenatiennes [128], et, immédiatement au nord, s’élève le mont Auras, ap­pelé aussi la montagne des Kétama [129] ; ensuite on trouve plusieurs au­tres peuples berbères, qui seront mentionnés à leurs places [130].
*106 Dans la partie occidentale de cette section, la montagne de Deren domine les pays du Maghreb el‑Acsa, qui la touchent du côté du nord. Dans le sud de cette contrée sont les villes du Maroc, d’Agh­mat et de Tedla. Le Ribat d’Asfi et la ville de Sla (Salé) sont situés sur la mer Environnante et appartiennent aussi au Maghreb el‑Acsa. A l’est [131] de la province de Maroc, on trouve les villes de Fez, de Miknaça (Mequinez), de Taza (Tèza) et de Casr‑Kotama [132]. Tout cela p.127 forme le pays que les habitants appellent le Maghreb el‑Acsa (l’ex­trême occident). Sur le bord de la mer Environnante, ce pays possède encore les villes d’Asîla [133] et d’El‑Araïch. Directement à l’orient est situé le Maghreb el‑Aousat (l’occident central), dont la capitale est Tilimcen (Tlemcen). Sur ses côtes, qui sont baignées par la mer Ro­maine, s’élèvent les villes de Honeïn [134], d’Ouhran (Oran) et d’El‑Dje­zaïr (Alger). En effet, la mer Romaine sort de la mer Environnante, à travers le détroit de Tanger, passage situé à l’extrémité occiden­tale de la quatrième section de ce climat. Elle se dirige vers l’orient et se termine aux côtes de la Syrie. Après avoir quitté ce détroit resserré, elle ne tarde pas à s’élargir vers le midi et vers le nord, au point de pénétrer, d’un côté, dans le troisième climat et, de l’autre, dans le cinquième ; aussi beaucoup de villes du troisième climat sont situées sur le rivage de cette mer. La première est Tanger, puis El‑Casr es‑Saghîr [135], puis Ceuta, puis Badis, puis Ghassaça [136]. La mer s’étend de là jusqu’à la ville d’Alger. Bedjaïa (Bougie), située à l’est de celle‑ci, est aussi sur le bord de la mer. Cosantîna [137] (Constantine) est à l’orient de Bougie, et à une journée de marche de la mer ; elle se trouve vers l’extrémité de la première section du troisième climat. Au midi de cette contrée, en se dirigeant vers le sud du Maghreb central, on trouve la ville d’Achîr [138], située sur la montagne de Tîteri [139] ; puis la ville d’El‑Mecîla ; puis le Zab, province dont la capitale, Biskera, est p.128 située au pied de l’Auras, montagne qui se rattache au Deren (la *107 chaîne de l’Atlas), comme nous l’avons dit. Cela a lieu vers l’extrémité orientale de cette section.
La seconde section du climat dont nous traitons ici ressemble à la première ; en ce que, vers le tiers de sa largeur, mesurée du sud, le Deren la traverse de l’ouest à l’est, et la partage en deux portions. Une partie considérable de cette section, du côté du nord, est occupée par la mer Romaine. Toute la partie occidentale de la portion qui se trouve au sud du Deren consiste en déserts ; la partie orientale renferme la ville de Ghadamès. A l’orient, sur la même ligne, est le pays de Oueddan, dont une lisière appartient au second climat, ainsi qu’on l’a vu plus haut. La portion de cette section qui se trouve au nord du Deren, entre cette chaîne de montagnes et la mer Romaine, renferme, du côté de l’occident, le mont Auras, Tébessa (Teveste) et Lorbos (Laribus). Sur le rivage de cette mer est située la ville de Bouna (Bône). Du côté de l’orient, et sur la même ligne que ces con­trées, se trouvent la province d’Ifrîkiya, la ville de Tounis (Tunis), située auprès de la mer, puis Souça, puis El-Mehdiya. Au midi, et au pied du mont Deren s’élèvent les villes du Djerîd, telles que Touzer, Cafsa et Nefzaoua [140]. Entre cette région et le littoral sont si­tuées la ville de Cairouan, la montagne d’Ouchelat [141] et Sobeitla. Im­médiatement à l’orient de ce pays, la province de Tripoli s’étend sur le bord de la mer Romaine. Vis‑à‑vis, dans la direction du midi, on voit les montagnes des Demmer (Ghorian). Les Maggara, branche de la tribu des Houara, demeurent auprès du Deren [142]. Vis‑à‑vis de cette montagne, et à l’extrémité de la portion méridionale de la section, se trouve la ville de Ghadamès. A l’extrémité orientale [143] de la section est la Soueïca d’Ibn Metkoud, située sur le bord de la mer ; au midi p.129 de cet endroit s’étendent les plaines de Oueddan, fréquentées par les Arabes nomades.
La troisième section du troisième climat est traversée, ainsi que les précédentes sections, par la chaîne de Deren ; mais, à son extré­mité, *108 cette montagne fait un coude vers le nord, et se prolonge ainsi jusqu’à la mer Romaine. Dans cet endroit, elle porte le nom de cap Aouthan [144]Une partie considérable de cette section, du côté du nord, est occupée par la mer Romaine, qui s’avance jusqu’à un endroit où elle n’est séparée du Deren que par une très faible distance. Au delà de cette montagne, vers le sud et l’ouest, s’étend le reste du pays de Oueddan et de la contrée parcourue par les Arabes. Ensuite vient la Zouîla d’Ibn Khattab, puis des sables et des déserts, qui se prolongent jusqu’à l’extrémité orientale de la section. Entre la montagne et la mer, du côté de l’ouest, est la ville maritime de Sort ; plus loin sont des solitudes et des déserts, parcourus par les Arabes nomades ; puis viennent Adjdabiya, Barca, ville située à l’endroit où la montagne fait le coude, et Tolomeitha, placée sur le rivage. A l’est de l’endroit où la montagne change de direction sont les pâturages que parcourent les Heïb et les Rouaha, et qui s’étendent jusqu’à la fin de cette sec­tion du troisième climat.
Dans la quatrième section du troisième climat, vers l’extrémité occidentale de son côté méridional [145], se trouvent les déserts de Ber­nîc [146] et, plus bas (vers le nord), la contrée que parcourent les Heïb et les Rouaha ; ensuite la mer Romaine occupe une partie de cette section et s’avance vers le sud, jusqu’auprès de la limite méridionale de la section. Le territoire qui s’étend de là jusqu’à l’extrémité de la sec­tion consiste en déserts, fréquentés par des Arabes nomades. Sur la prolongation de cette ligne, vers l’orient, est le pays de Faïyoum, situé à l’embouchure d’une des deux branches qui dérivent du Nil. Cette branche passe auprès d’El‑Lahoun, lieu de la province de Saîd, p.130 et situé dans la quatrième section du troisième climat, et de là elle va se jeter dans le lac du Faïyoum. Directement à l’est, se trouvent le ter­ritoire de l’Égypte et sa fameuse capitale, laquelle s’élève sur le second bras du Nil, celui qui passe devant Delas, localité située auprès du Saîd, à l’extrémité de la seconde section. Ce bras se partage une se­conde *109 fois au‑dessous de Misr (le vieux Caire), et forme deux branches qui partent de Chetnouf [147] et de Zefta. Celle de droite se divise, devant Terout [148], en deux autres bras. Ils se déchargent tous [149] dans la mer Romaine. A l’embouchure du plus occidental de ces bras est située la ville [150] d’Alexandrie ; sur celle du bras du milieu s’élève la ville de Rechîd (Rosette), et sur celle du bras oriental, la ville de Dimyat (Damiette). L’espace compris entre Misr et le Caire, d’une part, et, de l’autre, les rivages de la mer qui limitent les parties basses du pays de l’Égypte, est rempli tout entier par des lieux habités et des terres cultivées.
La cinquième section de ce climat renferme la Syrie, ou, au moins [151], la plus grande partie de ce pays, ainsi que je l’exposerai.
En effet, la mer de Colzom se termine au sud‑ouest de la Syrie, auprès de Suez. Après s’être détachée de la mer Indienne pour se diriger vers le nord, elle se détourne ensuite [152] vers l’occident. Il en résulte qu’une partie très allongée de cette mer tombe dans la sec­tion qui nous occupe, et que son extrémité occidentale se trouve au­près de Suez. Après cette ville on rencontre, sur cette partie de la mer, la montagne de Faran, puis celle de Tor (le Sinaï), puis Aïla, qui est la ville de Madian, et enfin El‑Haura, placée à l’extrémité de la section. A partir de là le rivage de cette mer prend une direc­tion méridionale, et longe le pays du Hidjaz, ainsi que nous l’avons dit plus haut en traitant de la cinquième section du second climat. Dans la partie septentrionale de la section dont nous parlons ici, la p.131 mer Romaine occupe un espace considérable du côté de l’occident, et touche aux villes d’El-Ferma et d’El-Arîch. Son extrémité est très rapprochée de Colzom. Entre les deux mers il ne reste, pour ainsi dire, qu’une espèce de porte par laquelle on doit passer pour se rendre en Syrie. A l’occident de ce passage s’étend la plaine de l’Éga­rement, *110 où l’herbe ne pousse pas, et dans laquelle, suivant le Coran, les Israélites menèrent une vie errante pendant quarante ans, après leur sortie de l’Égypte et avant leur entrée en Syrie. La portion de la mer Romaine comprise dans cette section du climat embrasse une partie de l’île de Chypre ; le reste de cette île appartient au qua­trième climat, ainsi que nous le dirons plus bas. Sur le rivage de cette portion de mer, près de l’endroit où elle se rapproche de la mer de Suez, s’élèvent El-Arîch, à l’extrême frontière de l’Égypte, et Ascalan (Ascalon). Dans l’intervalle qui sépare ces deux villes se trouve l’extré­mité de la mer Romaine, qui se détourne alors pour entrer dans le quatrième climat auprès de Tarablos (Tripoli) et Arca. Parvenue jus­qu’à cette localité, la partie de la mer Romaine comprise dans cette section cesse de se diriger vers l’est, et c’est là que sont placées pres­que toutes les villes maritimes de la Syrie : ainsi, à l’orient d’Ascalon, en se détournant un peu vers le nord, on trouve la ville de Caiseriya (Césarée) ; puis, dans la même direction, la ville d’Akka (Saint‑Jean­ d’Acre) ; puis Sour (Tyr), puis Saîda (Sidon), puis Arca. Plus loin, la côte de cette mer se tourne vers le nord, et entre dans le qua­trième climat.
Derrière les villes situées sur la portion de la mer qui appartient à cette section s’étend une vaste montagne qui part de la ville d’Aïla, près de la mer de Colzom, et se dirige vers le nord, en s’écartant un peu vers l’est, jusqu’à ce qu’elle dépasse cette partie du climat. On la nomme la montagne de Lokam (Djebel el‑Lokam) ; elle forme comme une barrière entre l’Égypte et la Syrie. A son extrémité, près d’Aïla, est l’acaba (défilé) par lequel passent les pèlerins qui se rendent de l’Égypte à la Mecque. Plus loin, dans la direction du nord, est (Hé­bron), la sépulture d’(Abraham) El-Khalîl (c’est‑à‑dire l’ami de Dieu). p.132 Elle est située près de la montagne de Charat, qui, partant de la mon­tagne *111 de Lokam, au nord de l’acaba, se dirige vers l’orient, et fait ensuite un petit détour. Là, à l’est de cette montagne, est le pays d’El­-Hidjr, la contrée des Thamoud, Teima, et Doumet el‑Djendel, qui forment la partie septentrionale du Hidjaz. Plus au sud se trouvent la montagne de Radoua et les forteresses de Khaibar. Entre la mon­tagne de Charat et la mer de Colzom s’étend le désert de Tebouk. Au nord du Charat, près de la montagne de Lokam, est située la ville d’El‑Cods (Jérusalem), puis El‑Ordonn (le Jourdain), puis Taberiya (Tibériade). A l’orient est la province d’El‑Ghour, qui s’étend jus­qu’à Adraat, et le Hauran. Sur la même ligne, du côté de l’est, il y a Doumet el‑Djendel, qui marque la limite de cette section du climat et celle du Hidjaz. Près du détour que le mont Lokam fait vers le nord, à l’extrémité de cette section, on trouve la ville de Damas, située vis-­à‑vis de Sidon et de Beirout, villes qui touchent à la mer. Le mont Lokam passe entre ces villes et Damas. Sur la même ligne que Damas, du côté de l’orient (du nord), est la ville de Baalbek, puis celle d’Emessa (Hems), située vers l’extrémité septentrionale de cette section, à l’endroit où elle coupe la montagne de Lokam. A l’orient de Baalbek et d’Emessa on rencontre la ville de Tadmor (Palmyre), et un désert qui s’étend jusqu’à la fin de la section et qui est habité par des tribus nomades.
La partie méridionale de la sixième section est occupée par des déserts, où les Arabes s’adonnent à la vie nomade. Ces déserts, placés au‑dessous (au nord) des provinces du Nedjd et de Yemama, entre la montagne de El‑Aredj et (le pays) de Dimar [153], se prolongent jusqu’à El‑Bahreïn et Hedjer, sur le rivage de la mer de Fars. Dans la partie septentrionale de cette section, au‑dessous des déserts fréquentés par les nomades, on trouve la ville d’El‑Hîra, celle de Cadeciya, et les marais dans lesquels l’Euphrate verse ses eaux. Plus loin, vers l’orient, est la ville d’El‑Basra (Bassora). C’est dans cette section que se p.133 termine la mer de Fars. Dans sa partie septentrionale se trouvent [154] Ab­badan et El‑Obolla. Non loin d’Abbadan, le Tigre se décharge dans cette mer, après s’être divisé en plusieurs branches, et en avoir reçu *112 d’autres provenant de l’Euphrate. Toutes ces eaux se réunissent près d’Abbadan, et vont tomber dans la mer de Fars. Ce bassin est très­ large dans la partie méridionale de cette section, dont il serre de très­ près la limite orientale, et à l’endroit où son extrémité touche à la limite septentrionale de la section, il devient étroit. Sur son bord occidental sont les cantons inférieurs d’El‑Bahreïn, de Hedjer et d’El­-Ahsa. A l’ouest de ces contrées on trouve El‑Khatt, Ed‑Dimar et le reste de la province de Yemama. Sur son rivage oriental sont les con­trées maritimes de la province de Fars. Les montagnes d’El‑Cofs, qui font partie du Kerman, se trouvent au delà et au nord de cette mer, vers l’extrémité orientale de la même section ; elles dominent la partie de cette mer qui s’étend vers l’est, et passent derrière elle du côté du sud, sans quitter la section. Au‑dessous (au nord) de Hormuz, sur le bord de cette mer, sont les villes de Sîraf et de Nedjeïrem. A l’orient, vers l’extrémité de la section et au‑dessous, de Hormuz, on trouve plusieurs villes de la province de Fars, telles que Sabour, Da­rabguird, Fesa, Istakher, Chahdjan et Chîraz, capitale de tout le pays. Au‑dessous de la province de Fars, en allant vers le nord et à l’extré­mité de cette mer, est situé le Khouzistan [155], qui renferme El-Ahouaz, Toster, Djondi-Sabour, Es‑Sous, Ram‑Hormuz et autres villes. Ar­radjan est sur la limite qui sépare le Fars du Khouzistan. A l’orient de cette dernière province s’élèvent les montagnes des Kurdes, qui se prolongent sans interruption jusqu’aux environs d’Ispahan. C’est là qu’habitent les Kurdes ; mais les lieux qu’ils parcourent avec leurs troupeaux sont situés au delà, dans la province de Fars. Cette ré­gion est désignée par le nom d’Ez‑Zomoum [156].
p.134 La septième section de ce climat renferme, dans la partie du  sud‑ouest, le reste des montagnes d’El‑Cofs. Tout auprès, au midi *113 et au nord, s’étendent les provinces de Kerman et de Mekran. Parmi les villes de ces contrées on distingue celles d’Er‑Roudan, Es‑Sîrdjan [157], Djîreft, Biredcîr [158] et El-Fehredj. Au nord de la province de Ker­man on trouve le reste de la contrée de Fars, qui se prolonge jus­qu’aux environs d’Ispahan, ville située dans le nord‑ouest de cette section. Le Sidjistan, qui est à l’orient du Kerman et du Fars, s’é­tend vers le midi, pendant que le pays de Kouhistan se prolonge vers le nord. Entre le Kerman, le Fars, le Sidjistan et le Kouhis­tan, au milieu de cette section, règne un grand désert, qui, étant presque impraticable, n’offre qu’un petit nombre de routes. Le Si­djistan renferme Bost, Tac et autres villes. Le Kouhistan fait partie du Khoraçan. La mieux connue de ses villes, celle qui porte le nom de Serakhs, occupe l’extrémité de cette section.
La huitième section renferme, à l’occident et au sud, les terri­toires fréquentés par les Khildj, peuple nomade appartenant à la race turque. Cette région confine, du côté de l’ouest, avec la pro­vince de Sidjistan, et, du côté du midi, avec Kaboul, contrée de l’Inde. Au nord de ces déserts est le Ghaur, pays de montagnes dont la capitale, Ghazna (Guizné), est l’entrepôt du commerce avec l’Inde. A l’extrémité septentrionale du Ghaur est le canton d’Asterabad. Plus au nord, et jusqu’à l’extrémité de cette section s’étend le terri­toire de Hérat, situé au centre du Khoraçan et renfermant les villes d’Isferaïn, de Cachan, de Bouchendj, de Merv er-Roud, de Talecan et de Djouzdjan. Le Khoraçan se termine là, aux bords du fleuve Djeïhoun. Dans le Khoraçan, sur la rive occidentale du Djeïhoun se trouve la ville de Balkh, et, sur la rive orientale, la ville de Termid. *114 Balkh était autrefois la capitale de l’empire des Turcs. Le Djeïhoun p.135 prend sa source à Oukhan [159], dans le Badakhchan, province qui confine à l’Inde. Il prend naissance vers l’extrémité orientale de la partie méridionale de cette section ; bientôt après il fait un détour vers l’ouest, et, arrivé dans le milieu de la section, il reçoit le nom de Kharbat [160] ; ensuite il se dirige vers le nord, traverse le Khoraçan, et continue à suivre la même direction jusqu’à ce qu’il se jette dans le lac de Kharizm, situé, comme nous le dirons, dans le cinquième climat. En cet endroit, où il change de cours au milieu de cette section, il reçoit, tant du côté du nord que du côté du midi, les eaux de cinq grandes rivières qui lui arrivent des contrées d’El‑Khot­tel [161] et d’El‑Ouakhch ; d’autres descendent des montagnes d’El‑Bottam, situées également à l’est du fleuve et au nord d’El-Khottel ; aussi le Djeïhoun s’élargit à un degré extraordinaire. Parmi les cinq rivières qui viennent ainsi le grossir, on distingue le Ouakhch‑ab, qui, sorti du Tibet, pays situé au sud‑est de cette section, se dirige vers l’ouest, en s’inclinant vers le nord. Là, en travers de son cours, se trouve une chaîne de montagnes qui, passant au milieu de la par­tie méridionale de cette section, se dirige ensuite vers l’est en s’inclinant vers le nord, et entre dans la neuvième section du cli­mat, non loin de la limite septentrionale de celle‑ci. Elle longe le Tibet et, parvenue au sud‑est de la section, elle forme la sépara­tion entre le pays des Turcs et celui de Khottel [162]. Elle ne présente qu’un seul passage, au milieu de la partie orientale de la section. Dans cet endroit Fadl, fils de Yahya (le Barmekide), fit construire un *115 rempart muni d’une porte, comme le rempart de Yadjoudj (Gog). Lorsque le fleuve de Ouakhch‑ab sort du Tibet et rencontre cette montagne, il coule au‑dessous d’elle dans un souterrain d’une lon­gueur immense, puis il traverse le pays d’El‑Ouakhch et va se décharger dans le Djeïhoun, auprès de Balkh. Ce dernier fleuve se p.136 dirige ensuite vers le nord, passe auprès de Termid et entre dans le pays d’El‑Djouzdjan. A l’orient de la contrée de Ghour, entre elle et le fleuve Djeïhoun, s’étend le canton de Bamian, qui fait partie du Khoraçan. Là, sur le bord oriental du fleuve, on trouve le pays d’El‑Khottel [163], formé en grande partie de montagnes, et la province d’El‑Ouakhch. Celle‑ci a pour limite, du côté du nord, les mon­tagnes d’El‑Bottam, qui s’étendent depuis la frontière du Khoraçan vers l’est en passant à l’occident du Djeïhoun ; elles atteignent alors la grande montagne derrière laquelle est situé le Tibet, et sous la­quelle coulent les eaux du Ouakhch‑ab. Les deux chaînes se réu­nissent auprès de l’endroit où El‑Fadl, fils de Yahya, construisit la porte. Le Djeïhoun passe entre ces montagnes et reçoit plusieurs autres rivières, telles que la rivière du pays d’El‑Ouakhch, qui se décharge dans ce fleuve, sur la rive orientale, et au nord d’Et­-Termid. La rivière Balkha sort des montagnes d’El‑Bottam, auprès de Djouzdjan et verse ses eaux dans le Djeïhoun, sur la rive occi­dentale. A l’ouest de ce fleuve est située la ville d’Amol, qui fait partie du Khoraçan. A partir de là, la rive orientale est formée par les pays de Soghd et d’Osrouchna [164], qui appartiennent à la contrée des Turcs. A l’est se trouve aussi le pays de Ferghana, qui se pro­longe vers l’orient, jusqu’à l’extrémité de la section. Toute la con­trée des Turcs est bornée, au nord, par les montagnes d’El‑Bottam.
Dans la partie occidentale de la neuvième section du climat, s’é­tend le Tibet, qui se prolonge jusqu’au milieu de la section. Au midi se trouve l’Inde, et, à l’orient, la Chine, qui s’étend jusqu’à l’extrémité *116 de la section. Dans la partie inférieure (septentrionale) de cette sec­tion, au nord du Tibet, est située la contrée des Kharlokh, peuple de race turque. Leur pays s’étend vers le nord jusqu’à l’extrémité de la section. A l’occident il confine à la province de Ferghana ; à l’o­rient, il a pour limite le pays des Taghazghaz, autre peuple turc, dont le territoire s’étend jusqu’à l’extrémité orientale et septentrionale de cette section.
p.137 Toute la partie méridionale de la dixième section est occupée par la région septentrionale de la Chine. Dans le nord de cette sec­tion est situé le reste du territoire des Taghazghaz, à l’orient du­quel est le pays des Khirkhîz [165], autre peuple de race turque. Cette dernière région s’étend jusqu’à la limite orientale de la section. Au nord du pays des Khirkhîz est celui des Keïmak, autre peuple turc. Vis‑à‑vis de ces deux contrées, dans la mer Environnante, se trouve la presqu’île des Rubis (Yacout), qui est entourée d’un cercle de montagnes ; on ne peut pas y arriver parce que la montagne n’offre aucun passage, et qu’il serait extrêmement difficile d’en gravir les flancs extérieurs. Cette île renferme des serpents dont la morsure est mortelle et une grande quantité de graviers composés de rubis. Les habitants des contrées voisines ont été assez bien inspirés pour trouver le moyen d’en retirer une partie de ces pierreries [166]. Ces contrées sont situées dans la neuvième et la dixième section du climat, au delà du Khoraçan et du pays de Khottel ; elles offrent un vaste champ de parcours aux Turcs, nation composée d’une multitude de peuples nomades, qui élèvent des chameaux, des moutons, des bœufs et des chevaux ; ces troupeaux leur fournissent des montures et ser­vent à leur nourriture. Dieu seul, qui a créé ces peuplades, peut en connaître le nombre. On y trouve des musulmans qui habitent aux environs du Djeïhoun. Ils font la guerre aux peuples de la même race qui s’adonnent à l’idolâtrie, et enlèvent chez eux des prison­niers, qu’ils vendent aux nations du voisinage. Ils sortent quelquefois de leur pays pour se rendre dans le Khoraçan, l’Inde et l’Irac.

LE QUATRIÈME CLIMAT.
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*117 Ce climat confine au troisième du côté du nord. La partie occi­dentale de la première section est occupée par une portion de la mer Environnante qui s’étend depuis la limite méridionale de cette section jusqu’à sa limite septentrionale. Au nord de la ville de Tanger, p.138 qui s’élève sur le bord méridional de cette portion de mer, est l’en­droit où la mer Romaine se détache de la mer Environnante et traverse un canal étroit, dont la largeur, prise entre Tarifa du Algésiras, du côté septentrional, et Casr el-Medjaz ou Ceuta, du côté méridional, est d’environ douze milles. Cette mer se dirige vers l’orient jusqu’à ce qu’elle arrive au milieu de la cinquième section du qua­trième climat. Dans sa marche, elle s’élargit graduellement, de ma­nière à occuper les quatre premières sections du climat et une partie de la cinquième. Des deux côtés elle envahit également une partie du troisième climat et du cinquième. Cette mer, qui porte aussi le nom de mer Syrienne, renferme plusieurs îles, dont les plus considé­rables, du côté de l’occident, sont Yabiça (Iviça), Maïorca, Minorca ; puis viennent la Sardaigne, et la Sicile, qui est la plus grande de toutes ; ensuite Belobounès (le Péloponnèse), Crète et Chypre. Nous parlerons de ces îles en traitant des sections du climat dans lesquelles elles sont situées. A l’extrémité de la troisième section de ce climat, le golfe de Venise se détache de cette mer et se dirige vers le nord, jusqu’au milieu de la section ; alors elle se tourne vers l’ouest et va se terminer dans la seconde section du cinquième climat. A l’extré­mité orientale de la quatrième section du même climat, la mer Romaine donne naissance au canal de Constantinople, qui se dirige vers le nord en se rétrécissant de manière à n’avoir en largeur qu’une *118 portée de flèche. Parvenu ensuite aux limites de ce climat, ce canal entre dans la quatrième section du sixième ; ensuite il se détourne vers la mer de Nîtoch (la mer Noire) et, se prolongeant vers l’orient, il remplit toute la cinquième section du sixième climat et la moitié de la sixième. Plus loin nous reviendrons là‑dessus.
Quand la mer Romaine sort de la mer Environnante en suivant le détroit de Tanger, et qu’elle s’élargit au point d’entrer dans le troi­sième climat, il reste au midi de ce canal une petite portion de cette première section. Là se trouve la ville de Tanger, située à l’en­droit où les deux mers se réunissent ; ensuite vient Sibta (Ceuta), placée sur la mer Romaine, puis Tîtaouîn (Tetouan), puis Badis ; p.139 ensuite on retrouve la mer, qui occupe le reste de cette section du côté de l’orient, et qui s’étend au delà dans la troisième section. La partie de la première section qui renferme la population la plus nom­breuse est celle qui est au nord du détroit. Elle se compose tout entière de provinces de l’Andalos (l’Espagne). Du côté de l’occident, entre la mer Environnante et la mer Romaine, se trouve d’abord la ville de Tarîf (Tarifa), située à l’endroit de la Jonction des deux mers. Plus à l’est, sur le rivage de la mer Romaine est El‑Djezîret el‑Khadra (l’île Verte, Algésiras) ; ensuite vient Malaga, puis El­-Monekkeb (Almuñecar), puis El‑Meriya (Alméria). Au delà, vers l’occident et dans le voisinage de la mer Environnante, on rencontre Cherîch (Xérès) et Lebla (Niebia), vis‑à‑vis desquelles, dans cet océan, est l’île de Cadis (Cadix). A l’orient de Xérès et de Niebla sont Ichbîliya (Séville), Ecidja (Ecija), Cortoba (Cordoue), Mortella (Montilla), Gharnata (Grenade), Djïan (Jaën) ; Obeda (Ubeda), Ouadi Ach (Guadix) et Basta (Baza). Au‑dessous, du côté de l’occident et auprès de la mer Environnante, on trouve les villes de Chent‑Meriya (Sainte‑Marie des Algarves) et Chelb (Silves). A l’orient de ces deux places, sont Batalious (Badajoz), Merida, Iabora (Evora), Ghafec, Tordjêla (Truxillo) et Calât‑Rebah (Calatrava). Au‑dessous, vers l’ouest et dans la proximité de la mer Environnante, s’élève la ville d’Ochbouna (Lisbonne), située sur le fleuve du Tadja (Tage). A l’est de *119 celle‑ci sont les villes de Chenterîn (Santarem) et de Coria, placées sur la même rivière, puis Cantaret es‑Seif (le pont de l’É­pée ; Alcantara [167]). Directement à l’est de Lisbonne s’élève le Charat (Sierra), chaîne de montagnes qui se dirige vers l’orient en suivant la limite septentrionale de la section, et se termine à Medina Salem (Medina‑Celi), située au delà du milieu de cette section. Au pied de ces  montagnes se trouve la ville de Talabeira (Talavera), placée à l’orient de Coria, puis Toleïtela (Tolède), puis Ouadi ’l-Hidjara (la rivière de pierres, Guadalaxara), puis Medîna Salem. Entre le commencement de cette chaîne et Lisbonne est la ville de p.140 Colom­riya (Coïmbre). Voilà pour l’Espagne occidentale. Passons à l’Espagne orientale : sur le rivage de la mer Romaine, au delà d’Alméria, se trouve Carthagena, ensuite Licant (Alicante), puis Dénia, puis Balen­ciya (Valence), et enfin Taragouna (Tarragone), ville située à l’extré­mité orientale de la section. Au‑dessous de cette ville, vers le nord, sont Lorca et Chegoura (Segura), situées dans le voisinage de Basta (Baza) et de Calatrava, villes de l’Espagne occidentale [168]. Du côté de l’orient se trouve Morciya (Murcie), puis Chateba (San‑Phelipe de Xativa), située au‑dessous de Valence, à l’est [169]. Ensuite vient Choucar (Xucar), puis Tortoucha (Tortose), placée au‑dessous (au nord) [170] de Taragouna (Tarragone), à l’extrémité de cette section. Au‑dessous de celle‑ci, vers le nord (vers le sud) sont les villes de Djindjela (Chin­chilla) et d’Ubeda, qui confinent, du côté de l’ouest, à Segoura et à Tolède [171]. Au‑dessous de Tortosa, vers le nord‑est se trouve la ville d’Afragha (Fraga). Le château d’Aiyoub (Calât‑Aiyoub, Calatayud) est situé à l’est de Medina Salem ; plus loin est Saracosta (Saragosse), puis Lerida, placée sur la limite de cette section, vers le nord‑est.
La seconde section de ce climat est occupée par les eaux de la mer, excepté l’angle du nord‑ouest, où une partie de la terre reste à découvert. Là se trouve la montagne d’El‑Bortat (les Ports, les Pyrénées), dont le nom signifie montagne de cols et de passages. Cette chaîne commence à la fin de la première section du cinquième climat, *120 où la mer Environnante s’arrête, à l’extrémité sud‑est de la section, et elle se dirige vers le midi [172] avec une inclinaison vers l’orient. Sortie de la première section du quatrième climat, elle entre dans la p.141 seconde et offre des passages qui conduisent sur le continent, c’est‑à-dire dans la Ghachkouniya (Gascogne), pays qui renferme les villes de Djironda (Gironne), et de Carcachouna (Carcassonne). Sur le rivage de la mer, dans cette section de climat, est située la ville de Barche­louna (Barcelone), puis celle d’Arbouna (Narbonne). La partie de la mer qui occupe cette section renferme un grand nombre d’îles, dont plusieurs sont inhabitées, à raison de leur peu d’étendue. A l’oc­cident est l’île de Sardaniya (Sardaigne), et, à l’orient, l’île de Si­kiliya (Sicile [173]), qui occupe un espace considérable : on dit que son circuit est de sept cents milles. On y trouve un grand nombre de villes, dont les mieux connues sont Siracousa (Syracuse), Belerm (Palerme), Tarabna (Trapani), Mazer (Mazara), et Messîni (Messine). Cette île est située vis‑à‑vis de la province d’Ifrîkiya. Dans l’intervalle qui les sépare, sont les îles de Ghodoch (Gozzo) et de Maleta (la Malte).
La troisième section de ce climat est également occupée par la mer, à l’exception de trois [174] points, du côté du nord. Celui de l’occident fait partie du territoire de Killauriya (la Calabre) ; celui du milieu (la Terre d’Otrante) appartient à l’Ankabordiya (Lombardie), et celui de l’orient (l’Albanie), à la contrée des Vénitiens.
La quatrième section du climat est occupée par la mer, ainsi que la précédente, et renferme un grand nombre d’îles qui, pour la plu­part, sont inhabitées, comme dans la troisième section. Celles qui ont des habitants sont Belobounès (le Péloponnèse), situé dans la partie nord‑ouest, et l’île d’Ikrîtich (Crète), qui s’étend depuis le milieu de la section en se dirigeant vers l’angle du sud‑est.
*121 Dans la cinquième section, au sud et à l’ouest, la mer occupe un grand espace triangulaire, dont le côté occidental se prolonge jusqu’à l’extrémité septentrionale de la section, et dont le côté méri­dional occupe environ deux tiers de la longueur de la section. Le troi­sième tiers, situé du côté de l’orient, offre une étendue de pays dont la portion septentrionale se dirige vers l’occident, en suivant les mêmes p.142 détours que la mer : sa portion méridionale se compose des contrées inférieures (septentrionales) de la Syrie. Elle est traversée par le mont Lokam (le Liban et l’Anti-Liban), qui s’avance vers le nord jusqu’à l’extrémité de la Syrie, et se dirige alors vers le nord‑est. Après ce coude, il prend le nom de Djebel es‑Silcela (montagne de la Chaîne, le Taurus). De là, cette montagne pénètre dans le cinquième climat, et, se dirigeant vers l’orient, elle passe auprès d’une portion d’El­-Djezîra (la Mésopotamie). Du côté occidental de ce coude, une chaîne de montagnes s’étend jusqu’à un golfe (l’Archipel) qui sort de la mer Romaine et qui touche à la limite septentrionale de la section. Entre ces montagnes se trouvent plusieurs cols, appelés Ed‑Doroub (les Défilés), qui conduisent dans l’Arménie. Cette section renferme les parties de l’Arménie qui séparent ces montagnes de celle de la Chaîne. La portion méridionale, avons‑nous dit, renferme les contrées inférieures de la Syrie ; elle est traversée par le Lokam, mon­tagne qui règne entre la mer Romaine et la limite (orientale) de cette section, et qui se dirige du sud au nord. Sur le rivage de la mer qui baigne ce territoire, est la ville d’Antarsous, située au commen­cement de cette section, du côté du sud ; elle confine aux villes d’Arca et de Trablos (Tripoli), placées sur la côte, dans le troisième climat. *122 Au nord d’Antarsous, on trouve Djebela, puis El‑Ladekiya, puis Iscanderiya (Skanderoun), puis Seloukiya (Séleucie) ; plus loin, vers le nord, s’étend le pays de Roum (l’Asie Mineure).
Quant au mont Lokam, qui s’étend entre la mer et la limite (orien­tale) de cette section, et qui traverse les contrées de la Syrie, on y trouve, dans la partie méridionale de la section, et à l’ouest de la montagne, une forteresse nommée El‑Khouabi. Elle appartient aux Ismaéliens‑Assassins [175], connus de nos jours sous la dénomination de Fedaoui [176]. Cette place forte, nommée aussi Masiat, est située en face d’Antarsous, du côté de l’est ; vis‑à‑vis d’elle, et à l’orient de la mon­tagne, se trouve Selemiya, ville qui est au nord de Hems (Emesse). Au nord de Masiat, entre la montagne et la mer, est la ville p.143 d’Antakiya (Antioche) ; vis‑à‑vis de celle‑ci, et à l’orient de la montagne, se trouve El‑Maarra ; à l’est de cette place, est El‑Meragha. Au nord d’Antakiya il y a El‑Mesîsa (Mopsueste), puis Adena, puis Tarsous, qui est à l’extrémité de la Syrie. Vis‑à‑vis, à l’occident de la mon­tagne, sont Kinnisrîn et Aïn‑Zerba (Anazarbe) ; vis‑à‑vis de Kinnisrîn, à l’orient de la montagne, est située Haleb (Alep) ; vis‑à‑vis Aïn-­Zerba, sur les confins de la Syrie, on rencontre Manbedj (Bambyce, Hierapolis). Quant aux Défilés (Ed‑Doroub), ils ont à leur droite, entre eux et la mer Romaine, le pays de Roum (l’Anatolie, l’Asie Mineure), qui, de nos jours, appartient aux Turcomans, ayant pour souverain (Orkhan), fils d’Othman. Dans cette contrée, sur le rivage de la mer, sont les villes d’Antaliya (Satalie) et d’El‑Alaya. Quant à la partie de l’Arménie qui est située entre la montagne des Défilés et celle de la Chaîne, elle renferme les villes de Merâch, de Malatiya, d’Angora, et se prolonge au nord jusqu’à ce qu’elle sorte de cette sec­tion de climat.
Le fleuve Djîhan sort de la partie de l’Arménie qui se trouve dans la cinquième section (du cinquième climat et entre dans celui-ci) ; il coule à l’ouest du Sîhan, qui vient du même pays, et se dirige d’abord vers le sud, puis il traverse les Doroub, passe devant Tarsous et Mesîsa, tourne ensuite vers le sud‑ouest, et tombe dans la mer Romaine, au midi de Seloukiya [177]. Le Sîhan coule parallèlement au Djîhan ; il passe auprès d’Angora et de Merâch, traverse les Doroub jusqu’à la Syrie, passe devant Aïn‑Zerba, puis, s’éloignant du Djî­han, il se tourne vers le nord‑ouest ; arrivé ensuite à l’occident de Mesîsa et auprès de cette ville, il mêle ses eaux à celles du Djîhan [178].
Quant à la portion de la Mésopotamie que le mont Lokam envi­ronne lorsqu’il se détourne pour atteindre la montagne de la Chaîne, elle a, au midi, les villes de Rafeca et de Racca, puis Harran, puis Seroudj et Roha (Edessa), puis Nîsîbîn (Nisibe), puis So­maïsat (Samosate) et Amid, situées au pied de la montagne de la p.144 Chaîne, dans l’angle nord‑est de la section. Cette partie de la section est traversée par l’Euphrate et par le Tigre, qui sortent du cinquième climat, coulent vers le midi en traversant le territoire arménien, et coupent la montagne de la Chaîne.
L’Euphrate coule à l’occident de Somaïsat et de Seroudj ; puis il se dirige vers l’orient, passe à l’ouest d’Er-Rafeca et d’Er‑Racca, et pénètre dans la sixième section de ce climat. Le Tigre coule à l’est d’Amid, fait, à peu de distance, un détour vers l’est, et, bientôt après, il passe dans la sixième section. Dans la partie occidentale de cette section, se trouve la contrée d’El‑Djezîra (la Mésopotamie), à l’orient de laquelle est le pays de l’Irac, qui lui confine et se prolonge vers l’orient jusqu’à ce qu’il approche de la limite de la section. Dans cet endroit, l’extrémité de l’Irac est traversée par la montagne d’Ispahan, qui, partant du midi de la section, se dirige oblique­ment vers l’ouest. Arrivée au milieu de la limite qui borne la section *124 du côté du nord, elle continue à se diriger vers l’occident, jusqu’à ce qu’elle sorte de la section. Suivant toujours la même direction, elle finit par se joindre à la montagne de la Chaîne, dans la cinquième section. Dans la sixième, elle se partage [179] en deux branches, l’une occidentale, l’autre orientale. Au sud de la branche occidentale l’Eu­phrate quitte la cinquième section de ce climat ; au nord se trouve [180] le lieu on le Tigre sort de la même section. Dès que l’Euphrate entre dans la sixième section, il passe auprès de Carkîciya, et renvoie vers le nord un canal qui répand ses eaux dans la Mésopotamie, où la terre les absorbe. A peu de distance de Carkîciya, il se tourne vers le sud, passe à l’ouest d’El‑Khabour et de Raheba, envoie un canal vers le sud, et laisse à l’ouest la ville de Siffîn. Se dirigeant ensuite vers l’est, il se partage en plusieurs branches, dont une passe à El-­Koufa, et les autres à Casr Ibn‑Hobeïra et à El‑Djamêaïn. Arrivées au midi de la section, ces branches entrent toutes dans le troisième climat et vont se perdre dans les terrains situés à l’orient d’El‑Hîra et d’El­-Cadeciya. L’Euphrate, en quittant Er‑Raheba, se dirige vers l’est, p.145 comme auparavant, passe au nord de Hît, coule ensuite au sud d’Ez-­Zab [181] et d’El-Anbar, puis il se jette dans le Tigre, près de Baghdad.
Quant au Tigre, lorsqu’il sort de la cinquième section pour entrer dans celle‑ci, il continue à se diriger vers l’orient et à couler parallè­lement à la montagne de la Chaîne, qui va, en suivant la même di­rection, rejoindre la montagne de l’Irac. Le fleuve passe au nord de Djezîret‑Ibn‑Omar, puis d’El‑Maucel (Mosul) et de Tekrît. Arrivé à El-Hadîtha, il se tourne vers le sud et laisse cette ville à l’orient, ainsi *125 que le grand et le petit Zab. Continuant son cours, vers le midi, il coule à l’occident d’El‑Cadeciya, et, parvenu à Baghdad, il mêle ses eaux à celles de l’Euphrate. Suivant toujours la même direction, il passe à l’ouest de Djerdjeraya, entre dans le troisième climat et se partage en un grand nombre de branches et de canaux, qui, après s’être réunis, vont tomber dans la mer de Fars, auprès d’Abbadan.
L’espace compris entre le Tigre et l’Euphrate, avant qu’ils se réu­nissent près de Baghdad, s’appelle le pays d’El‑Djezira (Mésopotamie). Après avoir dépassé Baghdad, ces deux fleuves reçoivent les eaux d’un autre fleuve, qui vient du nord‑est, et qui, étant arrivé à Nehrouan, province située vis‑à‑vis de Baghdad, du côté de l’orient, se détourne vers le midi pour décharger ses eaux dans le Tigre, avant que celui-ci pénètre dans le troisième climat. Entre ce fleuve et les mon­tagnes de l’Irac et de la Perse (El-Aâdjem), est situé le canton de Djeloula. A l’orient, près de la montagne, sont les villes de Holouan et de Saïmera.
La partie occidentale de cette section est coupée par une montagne qui commence aux montagnes de la Perse, se dirige vers l’orient, et se prolonge jusqu’à la fin de la section. Elle se nomme la montagne de Chehrezour. La plus petite des deux portions de la section est au midi et renferme la ville de Khoundjan, placée au nord‑ouest d’Ispahan. Cette portion est appelée la province de Behlous [182]Au p.146 milieu se trouve la ville de Nehaouend, et vers le nord‑ouest celle de Chehrezour, située près de l’endroit où les deux montagnes se réunissent. Vers l’est, à la limite de la section, on trouve la ville de Dînaour. L’autre portion de la section renferme une partie de l’Arménie, ayant pour chef‑lieu El-Meragha. La partie de la *126 montagne de l’Irac qui s’étend vis‑à‑vis est nommée mont Barma, et a des Kurdes pour habitants. Derrière la contrée du grand et du petit Zab, située auprès du Tigre, se trouve le pays d’Aderbeïdjan, qui occupe l’extrémité orientale de cette section et qui renferme les villes de Tebrîz et d’El‑Bîlecan. A l’angle nord‑est de cette section on trouve une portion de la mer de Nîtoch (la mer Noire), autrement dite la mer des Khazer [183].
Dans la septième section de ce climat, à l’ouest et au midi, s’étend la partie la plus grande de la province de Behlous, qui renferme les villes de Hamadan et de Cazouîn. Le reste de cette province est situé dans le troisième climat. C’est là que se trouve la ville d’Ispahan. (Dans la sixième section) le Behlous a pour limite méridionale une montagne qui sort (de cette section) à l’occident de la province, passe dans la sixième section du troisième climat et se détourne ensuite pour entrer dans la (septième) section du quatrième climat. Là elle se réunit à la partie orientale de la montagne de l’Irac, qui, comme nous l’avons dit, sert aussi de limite à la partie du Behlous qui se trouve dans la subdivision orientale de la section. Cette montagne, qui entoure Ispahan, sort du troisième climat en se dirigeant vers le nord, pénètre dans la septième section du climat qui nous occupe, et sert de limite à la province de Behlous, du côté de l’est. Là, au pied de cette chaîne, sont situées les villes de Cachan et de Comm. Arrivée à environ la moitié de son étendue, cette montagne se dé­tourne un peu vers l’occident, puis elle revient en formant une courbe, et se dirige vers l’est avec une inclinaison vers le nord, de p.147 manière à entrer dans le cinquième climat. Dans la partie orientale de la courbe qu’elle décrit, elle entoure la ville d’Er‑Reï. Auprès du point où elle change de direction, commence une autre montagne [184], qui se dirige vers l’ouest, jusqu’à l’extrémité de la section. Là, au sud de la montagne, se trouve Cazouîn. Au nord de cette montagne et à côté de la montagne de Reï, qui se réunit à elle pour se diriger, d’abord vers le nord‑est et atteindre le milieu de la section, d’où *127 elle passe dans le cinquième climat, est située la province de Tabe­ristan. Ce pays occupe l’espace qui sépare ces montagnes de la mer de Taberistan, dont une partie sort du [185] cinquième climat, pour occuper environ la moitié (septentrionale) de cette section, depuis l’occident jusqu’à l’orient. A l’endroit où la montagne de Reï fait le détour vers le sud, s’en élève une autre qui se prolonge, en ligne droite vers l’orient, en s’inclinant tant soit peu vers le sud, et entre dans la huitième section de ce climat, du côté de l’occident. Entre la montagne de Reï et celle‑ci, près de l’endroit où elles prennent nais­sance, se trouvent le pays de Djordjan et la ville de Bistam. Au delà (au sud) de cette dernière montagne est une portion de cette section, renfermant le reste du désert qui sépare le Fars du Khoraçan. Ce désert est à l’orient de Cachan ; à son extrémité, près de cette montagne, s’élève la ville d’Asterabad. Aux deux côtés de la même chaîne, dans la partie orientale (de la section) et jusqu’à sa limite, s’étend le pays de Neïsabour, qui fait partie du Khoraçan. Au sud de la montagne et à l’orient du désert est située la ville de Neïsabour, puis celle de Merv‑Chahdjan, placée sur la limite de la section. Au nord de la montagne, et à l’orient de Djordjan, se trouvent les villes de Mihredjan, de Khazroun et de Tous, celle‑ci près de la limite orientale de la section. Tous ces endroits sont au‑dessous (au nord) de la montagne. Bien au nord de cette chaîne est la province de Neça, qui est séparée de l’angle nord‑est de la section par des dé­serts tout à fait inhabités.
Dans la huitième section de ce climat, du côté de l’occident, passe p.148 le fleuve Djeïhoun, se dirigeant du sud au nord. Sur sa rive occi­dentale se trouvent les villes de Zemm et d’Amol, situées dans le Khoraçan, ainsi que les cantons d’Et‑Thaheriya [186] et d’El‑Djordjaniya, qui font partie du Kharizm. L’angle sud‑ouest de cette section est entouré par la montagne d’Asterabad, qui, après avoir traverse la sec­tion précédente, entre dans [187] celle‑ci par le côté occidental. Là se *128 trouve aussi une partie du territoire de Hérat. La montagne traverse le troisième climat, entre Hérat et El-Djouzdjan, et va se joindre à la montagne d’El‑Bottam, ainsi que nous l’avons dit. A l’orient du Djeï­houn, et dans le sud de cette section, est situé le pays de Bokhara, puis celui de Soghd, qui a pour capitale Samarcand. Ensuite se trouve le pays d’Osrouchna, qui renferme la ville de Khodjenda, située vers la limite orientale de la section. Au nord de Samarcand et d’Osrouchna s’étend le territoire de Yalac, et, au nord de celui-ci, le pays d’Es‑Chach, qui se prolonge [188] vers l’orient jusqu’à l’extrémité de la section, et occupe une portion de la neuvième. Au [189] midi de cette section se trouve une partie de la province de Fer­ghana [190]. De cette portion de la neuvième section sort la rivière de Chach ; elle traverse la huitième section et se décharge dans le Djeï­houn, à l’endroit où ce fleuve sort de la section, du côté du nord, pour entrer dans le cinquième climat. Avant de quitter le territoire de Yalac la rivière de Chach en reçoit une autre venant du côté du Tibet, dans la neuvième section du troisième climat. Au moment de passer en dehors de la neuvième section, elle est jointe [191] par la rivière de Ferghana. La montagne de Djebraghoun [192], qui commence dans le cinquième climat, se dirige vers le sud‑est parallèlement à la p.149 rivière de Chach, passe dans la neuvième section de ce climat et suit le contour du territoire de Chach. Ensuite elle décrit une courbe dans la même section, se dirige vers le sud en suivant encore les contours de Chach et de Ferghana, et pénètre dans le troisième cli­mat. Au milieu de la (huitième) section, entre la rivière de Chach et le flanc de la montagne se trouve le pays de Farab, qui est séparé des *129 contrées de Bokhara et de Kharizm par des déserts inhabités. A l’angle nord‑est de la même section est situé le pays de Khodjenda, qui renferme les territoires d’Isfîdjab et de Taraz.
Après Ferghana et Chach on trouve, dans la neuvième section de ce climat, au sud de sa partie occidentale, la contrée des Khar­lokh. Dans la partie septentrionale est la contrée des Kholkhiya. La partie orientale de cette section, jusqu’à son extrémité, est occupée par le territoire des Keïmak, qui s’étend à travers toute la dixième section jusqu’à la montagne de Coucaïa [193]. Cette chaîne forme la li­mite orientale de la (dixième) section et domine une partie de la mer Environnante : c’est la montagne de Yadjoudj et Madjoudj (Gog et Magog). Les peuples que nous venons de nommer forment au­tant de branches de la race turque.

LE CINQUIÈME CLIMAT.
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La première section de ce climat est occupée par les eaux de la mer, à l’exception d’une petite partie, du côté du sud et du côté de l’est. En effet la mer Environnante a, du côté de l’occident, péné­tré dans les climats cinquième, sixième et septième en s’écartant du cercle qu’elle décrit autour de la terre [194]. La portion de la terre qui reste à découvert dans cette section est dans la partie sud, et forme un triangle uni (par sa base) à l’Espagne. Ce coin de terre, p.150 étant entouré par la mer, représente les deux côtés d’un triangle et l’angle intermédiaire. Vers la limite sud‑ouest de la section, cette partie de l’Espagne occidentale [195] renferme Monte‑Mayor [196], située sur le bord de la mer, puis Chalamanka (Salamanque), qui est plus à l’orient, et, au nord (de cette ville), Semmoura (Zamora). A l’orient de Salamanque, et sur la limite méridionale de la section, s’élève *130 Abla [197], et plus à l’est s’étend le pays de Cachtala (Castille). Cette con­trée renferme la ville de Chegoubiya (Ségovie) ; au nord sont le ter­ritoire de Léon et la ville de Borgocht (Burgos). Derrière ces pays, du côté du nord, la contrée des Djillikiya (la Galice) s’étend jusqu’à l’angle formé par cette partie du pays. Sur la mer Environnante, à l’extrémité du côté occidental du triangle, on trouve la ville de Chant­-Yacoub (Santiago). Ce nom est le même que notre Yâcoub (Jacques) [198]. La section qui nous occupe renferme aussi plusieurs localités de l’Es­pagne orientale, telles que Totîla (Tudèle), située sur sa limite méri­dionale et à l’orient de la Castille. Au nord‑est de ce pays se trouve Ouechca (Huesca), puis Banbelouna (Pampelune), située dans la partie nord‑est (de cette section). A l’occident de Pampelune on trouve Castîla (Estella), puis Nadjera [199] (Najera, Naxera), située entre cette ville et Burgos. Une grande chaîne de montagnes traverse cette région, parallèlement à la mer, dont elle s’éloigne très peu, et en suivant le côté nord‑est du triangle. A l’extrémité orientale (de la mer), dans le voisinage de Pampelune, cette montagne se relie à une autre [200], qui, ainsi que nous l’avons dit plus haut, touche par son extrémité méridionale à la mer Romaine, dans le quatrième climat, et qui, p.151 du côté de l’orient [201], sert de limite à l’Espagne. Ses défilés forment autant de portes par lesquelles on peut entrer dans le pays des Gascons, peuple compris dans la nation des Francs. De cette partie (de l’Espagne), la portion contenue dans le quatrième climat ren­ferme Barcelone et Narbonne, situées sur le rivage de la mer Ro­maine ; puis Djeronda (Gironne) et Carcassonne, placées plus loin, vers le nord. La partie qui tombe dans le cinquième climat renferme Toulocha (Toulouse), qui est au nord de Djeronda.
La portion orientale de (la première) section comprend un segment de terrain que les eaux ont laissé à découvert et qui a la forme d’un triangle allongé, dont l’angle aigu est situé derrière les Ports (les Pyrénées). A l’extrémité de ce segment, auprès des Ports et sur *131 le bord de la mer Environnante, on trouve la ville de Baïouna (Bayonne). A l’autre extrémité, au nord‑est de la section, est le pays des Bîthôu (Poitou), peuple franc. Cette contrée s’étend jusqu’à la fin de la section.
Dans la partie occidentale de la seconde section est situé le pays de la Ghachkouniya (Gascogne), au nord duquel se trouvent le Poitou et Burgos (Bourges), contrées dont nous avons fait mention [202]. A l’orient de la Gascogne est un golfe de la mer Romaine qui pénètre dans cette section sous la forme d’une dent [203] (le golfe de Lyon) en incli­nant un peu vers l’est. Aussi la Gascogne, située à l’ouest de ce golfe, forme‑t‑elle un isthme qui s’avance dans la mer. A l’extrémité sep­tentrionale de cette portion de mer est le territoire de Djenoua (Genova, Gênes), et sur la même ligne, vers le nord, la montagne de Mont‑Djoun [204]. Encore plus au nord, et dans la même direction, est le pays de Borghouna (la Bourgogne). A l’orient du golfe de Gênes, celui qui sort de la mer Romaine, s’en trouve un autre qui sort aussi de cette mer [205], et entre les deux est un p.152 promontoire qui s’avance dans la mer [206]. Sur la partie occidentale de ce promontoire s’élève Bîcha (Pise) ; plus à l’orient est Roumat el‑Ad­hîma (Rome la grande), siège de l’empire des Francs et résidence du Pape, patriarche suprême de ces peuples. Elle renferme, ainsi que tout le monde le sait, des édifices immenses, des monuments imposants et des églises antiques. Parmi ses merveilles, on compte la rivière qui la traverse d’orient en occident, et dont le fond est pavé en lames de cuivre [207]. On voit dans cette ville une église con­sacrée aux deux apôtres Pierre et Paul, qui y ont leur sépulture. Au nord des États romains est le pays d’Anberdiya (Lombardie), qui s’étend jusqu’à l’extrémité de la section. Sur le rivage oriental du golfe de la mer auprès duquel Rome est située, s’élève la ville de *132 Nabel (Naples), qui touche aux confins de Killauriya (Calabre), l’un des États francs. Au nord s’étend une partie du golfe de Venise, qui sort du côté occidental de la troisième section pour entrer dans celle‑ci. Ce golfe se dirige parallèlement au bord septentrional de la deuxième section et s’arrête au tiers de la longueur de cette section. La plupart des États vénitiens sont situés sur ses rivages méridio­naux [208], entre ce golfe et la mer Environnante (la mer Romaine). Au nord, dans le sixième climat, est la province d’Ankelaiya (Aquilée).
Dans la troisième section de ce climat, du côté de l’occident, la province de la Calabre s’étend entre le golfe de Venise et la mer Ro­maine. Une partie de son territoire passe dans le quatrième climat et s’avance, sous la forme d’un promontoire, entre deux golfes formés par la mer Romaine et se dirigeant vers le nord, pour entrer dans cette section [209]. A l’orient de la Calabre est située l’Ankebarda [210], pénin­sule qui s’étend entre le golfe de Venise et la mer Romaine. Un cap, p.153 que cette péninsule envoie dans le quatrième climat et dans la mer Romaine, est borné, du côté de l’orient, par le golfe de Venise, qui, se détachant de cette mer, se dirige d’abord vers le nord, puis vers le couchant, avec une direction parallèle à la limite septentrionale de la section. Une vaste chaîne de montagnes sort du quatrième cli­mat et se dirige de la même manière : d’abord elle suit la direction de la mer, qui se porte vers le nord, ensuite elle se tourne vers l’occident ainsi que la mer, entre dans le sixième climat et va s’arrêter, vis‑à‑vis et au nord du golfe, dans le territoire des Ankelaîa (Aquilée), peuple allemand [211], ainsi que nous le dirons. Tant que cette mer et la chaîne de montagnes se dirigent vers le nord, il règne, entre les deux et sur le bord du golfe, une étendue de pays qui fait partie des États vénitiens [212]. A l’endroit où le golfe et la montagne se tournent vers l’ouest, ils renferment la province de Djerouacïa [213] ; puis la contrée des Al‑Lemanïîn (Allemands), située à l’extrémité de ce bras de mer.
*133 La quatrième section de ce climat renferme une portion de [214] la mer Romaine qui vient du quatrième climat. Toute la côte est dé­coupée par des bras de mer qui se dirigent vers le nord. Ces golfes sont séparés les uns des autres par des promontoires qui s’avancent du continent. Vers l’extrémité orientale de la section se trouve le canal de Constantinople, qui, se détachant de cette portion de la mer Romaine qui se trouve au midi, coule vers le nord en ligne di­recte. A peine entré dans le sixième climat, il se tourne vers l’est, pour aller joindre, dans la cinquième section, la mer de Nîtoch [215], qui occupe, de plus, une partie de la quatrième section et de la sixième. Nous en parlerons plus loin. La ville d’El‑Costantîniya (Constantinople) est à l’orient [216] de ce canal, sur la limite septen­trionale de la quatrième section. Cette grande ville, jadis la capitale p.154 des Césars, renferme des restes d’anciens monuments et d’édifices énormes qui ont donné lieu à beaucoup de récits. La partie de cette section qui se trouve entre la mer Romaine et le canal de Constan­tinople renferme le pays de Makedouniya (la Macédoine), qui avait appartenu aux Grecs et avait servi de berceau à leur empire. A l’est du canal, et vers la limite de cette section, se trouve une partie de Bathous [217], pays que je crois être aujourd’hui le domaine des Turco­mans nomades. C’est là que règne le fils d’Othman [218] ; la ville capitale se nomme Borsa (Brousse) [219]. Ce pays avait d’abord appartenu aux Romains, il leur fut enlevé par d’autres peuples et tomba enfin au pouvoir des Turcomans.
Le pays de Batous est au sud‑ouest de la cinquième section de ce climat ; au nord, vers la limite de la section, se trouve le canton *134 d’Ammouriya (Amorium). A l’orient de cette contrée on rencontre le Cobacob [220], rivière qui sort d’une montagne située de ce côté et qui coule vers le sud jusqu’à ce qu’elle verse ses eaux dans l’Euphrate, avant que ce fleuve ait quitté cette section pour entrer dans le qua­trième climat. Là, à l’occident de la section, est la source du Sîhan, et, plus à l’ouest, celle du Djîhan, fleuves dont nous avons parlé plus haut et qui suivent la même direction que l’Euphrate. A l’orient de ces lieux est la source du Tigre, fleuve qui coule parallèlement à l’Euphrate, en se dirigeant du même côté jusqu’à ce qu’il s’y réunisse près de Baghdad. Dans l’angle sud‑est de [221] cette section, au delà de la montagne où le Tigre prend sa source, est la ville de Meïafa­rekîn. La rivière de Cobacob, dont nous avons parlé, divise cette section de climat en deux parties, dont celle du sud‑ouest renferme le pays de Batous. Plus bas, sur la limite septentrionale de la sec­tion, et derrière [222] la montagne qui donne naissance au Cobacob, se p.155 trouve le territoire d’Ammouriya, ville dont nous avons fait mention. La seconde partie occupe le tiers de la section, des côtés nord, est et sud. De ce dernier côté sont les sources du Tigre et de l’Euphrate ; au nord est la province d’El‑Beïlacan, qui confine à celle d’Ammou­riya, et qui est située au delà de la montagne de Cobacob. Elle est d’une largeur considérable. A son extrémité, près de la source de l’Euphrate, se trouve la ville de Kharchena [223]. L’angle nord‑est de cette section renferme une portion de la mer de Nîtoch, qui reçoit du canal de Constantinople une partie de ses eaux [224].
Dans la sixième section de ce climat, vers le côté du sud‑ouest, est située l’Arménie, pays qui se prolonge vers l’est jusqu’à ce qu’il *135 dépasse le milieu de la section. De ce même côté elle renferme la ville d’Erzen, et, du côté du nord, les villes de Tiflîs et de Deïbel. A l’est d’Erzen est la ville de Khalat, puis celle de Berdhâa ; au midi, en tirant vers l’est, on trouve la ville d’Armîniya. C’est là que le ter­ritoire de l’Arménie entre dans le quatrième climat. Dans cette loca­lité est située la ville d’El‑Meragha, à l’orient de la montagne des Curdes appelée Barma. Nous avons fait mention de cette montagne en traitant de la sixième section du (quatrième) climat. Dans la sec­tion qui nous occupe ici, et dans le quatrième climat, dont il a déjà été question [225], l’Arménie a pour limite, du côté de l’orient, le pays d’Aderbeïdjan. A son extrémité, dans la partie orientale de la même section, on trouve la ville d’Ardebîl, située sur la portion de la mer de Taberistan (la mer Caspienne) qui passe de la septième section dans la partie orientale de celle‑ci. Sur le rivage septentrional (de la mer de Taberistan), dans cette section, est située une partie du pays des Khazar, peuple turcoman. Auprès (et à l’occident) de cette partie de la mer, du côté du nord, commence une chaîne de mon­tagnes qui s’étend vers l’ouest jusqu’à la cinquième section de ce climat. Elle la traverse en faisant un détour, enveloppe la pro­vince de Meïafarekîn et passe dans la quatrième climat, auprès p.156 d’Amid. Parvenue dans les provinces inférieures (septentrionales) de la Syrie, elle touche à la montagne de la Chaîne et va se confondre avec le Lokam.
Les montagnes qui occupent la partie septentrionale de cette sec­tion renferment plusieurs cols ou portes par lesquels les voyageurs peuvent les traverser. Au midi se trouve le pays d’El‑Abouab, qui s’étend, vers l’est, jusqu’à la mer de Taberistan. Sur le bord de cette mer, et dans le pays déjà nommé, s’élève la ville de Bab el‑Abouab (la porte des portes, Derbend). Immédiatement au sud‑ouest d’El-­Abouab, *136 on trouve l’Arménie. Entre la limite orientale d’El‑Abouab et les cantons méridionaux de l’Aderbeïdjan, est située la province d’Arran, qui s’étend jusqu’à la mer de  Taberistan. La partie de cette section qui est au nord de ces montagnes renferme, vers son extré­mité occidentale, le royaume de Serîr [226]. L’angle nord‑ouest de la section est occupé en entier par une partie de la mer de Nîtoch, dans laquelle le canal de Constantinople verse ses eaux. Cette portion de la mer de Nîtoch est enveloppée par le pays de Serîr, et baigne les murs de Trabezonda (Trébizonde), ville de cette contrée. Le pays de Serîr s’étend vers l’orient, entre les montagnes d’El‑Abouab et la limite septentrionale de la section, jusqu’à ce qu’il se termine à une montagne qui le sépare du pays des Khazar. A son extrémité s’élève la ville de Soul. Au delà de cette barrière règne une portion du pays des Khazar, qui se termine à l’angle nord‑est de la section, entre son extrémité septentrionale et la mer de Taberistan.
Toute la partie occidentale de la septième section est occupée par la mer de Taberistan. L’extrémité méridionale de cette mer passe dans le quatrième climat et baigne, comme nous l’avons dit, les côtes de Taberistan, ainsi que le pied de la montagne de Deïlem, laquelle se prolonge jusqu’à Cazouîn. Immédiatement à l’ouest de cette par­tie de la mer, il y en a une autre partie située dans la sixième sec­tion du quatrième climat ; au nord de cette même partie, une autre s’étend, qui ne fait qu’entamer la limite orientale de la sixième p.157 section. Un coin de terre reste à découvert au nord‑ouest de cette mer, et c’est par là qu’elle reçoit les eaux de l’Itil (le Volga). Dans la par­tie orientale de cette section, on remarque un espace de terre que *137 la mer n’a pas occupé ; c’est là que sont les campements des Ghozz, peuple de race turque. [On les appelle aussi Khazar, ce qui porte à croire que leur nom, ayant passé dans la langue arabe, a subi une modification par la conversion de la lettre kh en gh, et par le redou­blement du z [227].] Cette portion de terrain est bornée, du côté du sud, par une montagne qui sort de [228] la huitième section, et se dirige vers l’ouest, jusqu’à ce qu’elle s’arrête un peu en deçà du milieu de celle‑ci. Alors elle fait un détour vers le nord, pour atteindre la mer de Taberistan, qu’elle contourne en suivant ses rivages jusqu’au sixième climat. A l’endroit où cette mer change de direction, la mon­tagne fait de même et s’en éloigne. En ce lieu elle porte le nom de mont Chîah [229]. Se dirigeant ensuite vers l’occident, elle passe dans la sixième section du sixième climat, puis elle retourne au midi, où elle entre dans la sixième section du cinquième climat. C’est cette por­tion de la chaîne qui, dans cette section, sépare le pays de Serîr de celui des Khazar. Cette dernière contrée s’étend, sans interruption, aux deux côtés du Chîah, tant dans la sixième que dans la septième section du climat, ainsi que nous le dirons plus bas.
La huitième section du cinquième climat se compose en entier d’un territoire où les Ghozz, peuple de race turque, s’adonnent à la vie nomade. Vers le sud‑est elle enferme le lac de Kharizm (l’Aral), qui reçoit les eaux du Djeïhoun. Ce lac a trois cents milles de circon­férence, et reçoit les eaux de plusieurs autres rivières qui viennent du territoire occupé par les Ghozz nomades. Au nord‑est de la section on trouve le lac de Ghorgoun, qui a quatre cents milles de tour, et dont les eaux sont douces. Dans la partie septentrionale de cette sec­tion s’élève une montagne, dont le nom, Morghar, signifie montagne p.158 de neige [230]. Elle est ainsi nommée parce que la neige n’y fond jamais. Cette montagne touche à l’extrême limite de la section. Au midi du lac *138 de Ghorgoun se trouve une montagne du même nom, qui n’est qu’un rocher absolument nu et qui n’offre aucune trace de végétation. C’est elle qui a donné son nom au lac. De cette montagne, ainsi que de celle de Morghar, au nord du lac, sortent des rivières dont il est impossible d’évaluer le nombre, et qui vont des deux côtés tomber dans ce lac.
La neuvième section de ce climat renferme le territoire des Adkech, peuple de race turque. Cette région est située à l’ouest du pays des Ghozz et à l’est de celui des Keïmak [231]. Du côté de l’orient, vers l’extré­mité de la section, la montagne de Coucaïa sépare cette contrée du pays de Gog et de Magog. Cette chaîne s’étend là comme une bar­rière, du midi au nord, après avoir fait un coude à l’endroit où elle sort de la dixième section pour entrer dans celle‑ci. Elle était déjà sortie de la dixième section du quatrième climat pour entrer dans la dixième section du cinquième. Là elle sert de limite à la mer Environnante, jusqu’à l’extrémité septentrionale de la section ; ensuite elle se dirige vers l’ouest pour arriver auprès de la limite (méridio­nale) de la dixième section du quatrième climat, et, depuis son ori­gine jusque‑là, elle enveloppe le pays des Keïmak. Entrée dans la dixième section du cinquième climat, elle la traverse jusqu’à sa li­mite occidentale, laissant au midi un segment qui s’allonge vers l’ouest et renferme l’extrémité du pays des Keïmak. Pénétrant alors dans la neuvième section, qui l’admet par l’extrémité supérieure (méridionale) de son côté oriental, elle se tourne presque aussitôt p.159 vers le nord et s’avance, dans la même direction, jusqu’à la neuvième section du sixième climat. C’est là que se trouve la barrière dont nous parlerons plus bas. L’angle nord‑est de cette neuvième section ren­ferme le territoire qu’enveloppe la montagne. de Coucaïa ; ce terri­toire se prolonge vers le sud et fait partie du pays de Yadjoudj et Madjoudj.
*139 Dans la dixième section de ce climat, on trouve le pays de Yadjoudj (Gog), qui la remplit en entier, à l’exception d’une petite partie de l’extrémité orientale, qui, depuis le sud jusqu’au nord, est occu­pée par la mer Environnante. Exceptons encore la portion que le mont Coucaïa a isolée en y passant, et qui est située dans la partie sud­-ouest de la section. Tout le reste compose le pays de Gog et Magog.

LE SIXIÈME CLIMAT.
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La mer occupe plus de la moitié (occidentale) de la première sec­tion de ce climat ; ensuite, pour atteindre la limite orientale de la section, elle décrit une courbe en se prolongeant vers le nord, puis elle remonte vers le sud‑est et se termine auprès de la limite mé­ridionale de la section. De cette manière elle laisse à découvert, dans cette section, une portion de terre qui s’avance comme un cap, entre deux bras de la mer Environnante, et s’étend beaucoup en lon­gueur et en largeur. Toute cette contrée forme la Bertaniya (la Bre­tagne). A l’entrée de cet isthme, entre les deux golfes et dans l’angle sud‑est de cette section de climat, se trouve la province de Séis (Séez), qui confine à celle de Bîtou (Poitou). Nous avons parlé du Poitou en décrivant la première et la seconde partie du cinquième climat [232].
Dans la seconde section de ce climat, la mer Environnante entre du côté de l’ouest et de celui du nord. A l’ouest, elle offre une forme allongée qui dépasse la moitié septentrionale du côté oriental de la Bretagne, pays situé dans la première section. Là, du côté du nord, p.160 elle s’unit à l’autre portion de mer qui s’étend d’occident en orient. Dans la moitié occidentale de la section, ce bras de mer s’élargit un *140 peu, et embrasse une partie de l’Angeltara (Angleterre). C’est une île très grande et très large, qui renferme plusieurs villes et qui forme un puissant empire. Le reste de ce pays est situé dans le septième climat. Au midi de ce bras de mer et de son île, dans la moitié oc­cidentale de cette section, on trouve la Normandie [233] et l’Eflandes [234] (Flandre), pays situés sur cette mer. Au sud et à l’ouest de cette sec­tion, s’étend le pays d’Ifrança (France), puis, à l’est, la Borghou­niya (Bourgogne). Toutes ces contrées appartiennent à des peuples Francs. Le pays des El‑Lemanïîn (Allemands) est situé dans la moitié orientale de ce climat. Au midi est la province d’Ankelaiya (Aquilée), et au nord, la Bourgogne ; puis viennent les pays de Lohrenka (la Lorraine) et de Chasouniya (Saxonia, la Saxe). Sur la partie de la mer Environnante qui occupe l’angle nord‑est de cette section, est la province d’Ifrîza [235] (la Frise). Toutes ces contrées sont habitées par des peuples allemands.
Dans le sud de la partie occidentale de la troisième section, est située la Bohême [236], et, dans le nord, (le reste de la) Saxe. Dans la par­tie orientale on trouve, au midi, la contrée d’Onkeriya (Hongrie), et, au nord, celle de Boulouniya (Pologne). Ces deux pays sont sé­parés par la montagne de Belouat (les monts Carpathes), qui, entrée dans la quatrième section, se dirige vers l’ouest en s’inclinant au nord, et se termine dans la Saxe, sur la limite de la moitié occi­dentale (de la troisième section).
Dans la quatrième section, du côté du sud, est le pays de Djethou­liya (la Servie ?), et au‑dessous, vers le nord, le pays d’Er‑Rouciya (la Russie). Ces contrées sont séparées par la montagne du Belouat, qui part du commencement de cette section du côté de l’ouest, pour p.161 s’arrêter dans la moitié orientale de la même section. A l’orient du pays de Djethouliya, est celui de Djermaniya. Dans l’angle sud‑est, on trouve le pays de Constantinople, dont la capitale est située près *141 de l’endroit où le canal qui se détache de la mer Romaine va se dé­charger dans la mer de Nîtoch (le Pont‑Euxin). La portion sud‑est de cette section est occupée par une partie de la mer de Nîtoch, qui reçoit ses eaux par ce canal. Dans l’angle formé par la mer et le ca­nal est située la ville de Mesnat.
La partie méridionale de la cinquième section du sixième climat est occupée par la mer de Nîtoch, qui, en quittant le détroit, dans la quatrième section, s’étend directement vers l’est, traverse toute la cinquième section et une partie de la sixième. Sa longueur, depuis son point de départ, est de treize cents milles, et sa largeur de six cents. Derrière cette mer, dans la partie méridionale de la section, on voit une longue bande de terre qui s’étend d’occident en orient. Dans la partie occidentale de cette lisière se trouve la ville de Hera­cliya (Héraclée), située sur le bord de la mer de Nîtoch et sur les confins du territoire de Beïlecan, pays qui a sa place dans le cinquième climat. A l’orient est la contrée d’El-Laniya (les Alains), dont la capi­tale est Sinoboli (Sinope), située sur le bord de la mer de Nîtoch. Au nord de cette mer, dans la partie occidentale de cette section, est le pays des Bordjan (les Bulgares), et, dans la partie orientale, la contrée des Russes. Tous ces pays sont situés sur la mer de Nîtoch. La Russie enveloppe le pays des Bulgares ; elle le borne à l’est dans cette section du climat ; au nord, dans la cinquième section du sep­tième climat ; à l’ouest, dans la quatrième section de ce climat‑ci.
La partie occidentale de la sixième section renferme le reste de la mer de Nîtoch, qui vient de se détourner un peu vers le nord. Entre cette mer et la limite septentrionale de la section est situé le pays des Comaniya (les Comans). Le reste du territoire des Alains, qui *142 occupe le bord méridional de la cinquième section, se prolonge dans celle‑ci du midi vers le nord, en s’élargissant à mesure que le rivage de la mer fait le détour déjà indiqué. Dans la partie orientale de cette p.162 section, immédiatement à l’est du pays des Khazar, se trouve celui des Berthas. Dans l’angle nord‑est de la section est le territoire des Bulgares, et dans l’angle méridional, la contrée des Belendjer. La montagne nommée Chîah‑Kouîa [237] passe par là. Cette chaîne suit le détour que le rivage de la mer des Khazar fait dans la septième section de ce climat ; puis elle s’éloigne de la mer pour se diriger vers l’ouest, traverse cette section de climat et entre dans la sixième section du cinquième climat ; là elle va joindre les montagnes d’El­-Abouab. A chaque côté de cette chaîne s’étendent les pays habités par les Khazar.
Au sud de la septième section de ce climat est située la contrée qu’entoure le mont Chîah après s’être éloigné de la mer de Tabe­ristan, et qui consiste en une portion du pays des Khazar se prolon­geant, vers l’ouest, jusqu’à la limite de la section. A l’orient de cette contrée se trouve la partie de la mer de Taberistan que cette mon­tagne entoure du côté de l’orient et au nord. Au delà du Chîah, dans la partie nord‑ouest de la section, s’étend le territoire des Berthas ; dans la partie orientale de la même section est placée la contrée des Besguirt (les Bachkirs) et des Bedjnak (les Petchenègues), peuples appartenant à la race turque.
Toute la portion méridionale de la huitième section est occupée par le pays des Khoulkh, qui sont un peuple turc. Sa partie septen­trionale, du côté de l’occident, renferme la Terre‑Puante [238], et, du côté de l’orient, la contrée qui, dit‑on, fut dévastée par Gog et Magog, avant que l’on eût construit la barrière pour les contenir. C’est dans la Terre‑Puante que l’Itil (le Volga) prend sa source. Ce fleuve, un des *143 plus grands du monde, traverse le pays des Turcs et décharge ses eaux dans la mer de Taberistan, dans la septième section du cin­quième climat. Il a beaucoup de sinuosités : sorti d’une montagne de la Terre‑Puante par trois sources, qui se réunissent pour former une seule rivière, l’Itil coule vers l’occident, passe dans la septième p.163 section de ce climat, dont il atteint presque la limite (occidentale) ; puis il se tourne vers le nord, pénètre dans la septième section du septième climat, dont il isole l’angle situé entre le sud et l’ouest ; ensuite il entre dans la sixième section du même climat et se dirige vers l’ouest ; un peu plus loin, il fait un nouveau détour vers le midi, rentre dans la sixième section du sixième climat, et donne naissance à plusieurs branches qui coulent vers l’ouest et vont se jeter dans la mer de Nîtoch, sans quitter cette section. Le fleuve lui-même traverse un territoire situé vers le nord‑est de la section, dans le pays des Bul­gares ; il entre dans la septième section du sixième climat, tourne vers le sud pour la troisième fois, pénètre dans le mont Chîah, traverse le pays des Khazar et entre dans la septième section du cinquième climat. C’est là qu’il décharge ses eaux dans la mer de Taberistan, ayant atteint la portion de cette section que la mer laisse à décou­vert, vers l’angle sud‑ouest.
Dans la partie occidentale de la neuvième section se trouve le pays des Khefchakh ou Kefdjac (Kiptchac), nation turque, ainsi que la contrée des Terkech, autre peuple turc [239]. Dans la partie orientale est situé le pays de Magog. Les deux contrées sont séparées par le Coucaïa, montagne qui entoure une partie de la terre, ainsi que nous l’avons déjà dit. Cette montagne commence près de la mer Environnante, *144 dans la partie orientale du quatrième climat ; elle suit le rivage de la mer jusqu’à l’extrémité septentrionale de ce climat ; puis elle s’en éloigne dans la direction du nord‑ouest, et entre dans la neuvième section du cinquième climat. Reprenant alors sa direction vers le nord, elle traverse du sud au nord, avec une inclinaison vers l’ouest, la section qui nous occupe ici. Là, au centre de cette chaîne, se trouve la barrière construite par Alexandre. Ensuite, conservant la même direction, le Coucaïa passe dans la neuvième section du sep­tième climat, qu’il traverse en partant du sud. Ayant alors rencontré la mer Environnante au nord de la section, il en suit le rivage, puis se p.164 tourne vers l’ouest et se prolonge jusqu’à la cinquième section du septième climat, où il rejoint encore cette mer. Au centre de la neuvième section du sixième climat se trouve [240] la barrière construite par Alexandre. C’est le Coran qui fournit sur ce sujet les seuls ren­seignements qui soient authentiques [241]. Abd Allah Ibn Khordadbeh raconte, dans son Traité de géographie [242], que le khalife El‑Ouathec vit en songe que cette barrière était ouverte. Frappé d’effroi, il s’éveilla et fit partir l’interprète Selama, qui examina l’état du rem­part et en rapporta une description. Mais c’est une longue histoire, qui est en dehors de notre sujet [243].
La dixième section de ce climat renferme le pays de Magog, qui se prolonge, sans interruption, jusqu’à l’endroit où cette section se termine. Là, elle est entourée, à l’est et au nord, par une partie de la mer Environnante qui s’étend en longueur du côté du nord et qui s’élargit à un certain degré du côté de l’est.

LE SEPTIÈME CLIMAT.
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*145 Du côté du nord, la mer Environnante couvre la totalité de ce climat, jusqu’au milieu de la cinquième section, où cet océan ren­contre le mont Coucaïa, qui entoure les pays de Gog et Magog. La première section de ce climat est occupée par la mer, ainsi que la seconde, à l’exception d’un terrain découvert qui forme la por­tion la plus considérable de l’Angleterre et qui est situé dans la deuxième section. Une autre portion, située dans la première sec­tion, se dirige, par un détour, vers le nord ; le reste, ainsi qu’une partie de la mer qui l’entoure, est dans la seconde section du sixième climat, comme nous l’avons indiqué. Entre cette île et le continent il y a un trajet de douze milles. Derrière l’Angleterre et p.165 dans la partie septentrionale de la seconde section, on trouve le Ris­landa [244], île qui s’étend en longueur de l’ouest à l’est.
La troisième section de ce climat est occupée par la mer, excepté vers le sud, où se trouve un territoire de forme allongée, qui s’élargit du côté de l’orient. Dans cette partie s’étend, sans interruption, la Bolouniya (Pologne), pays qui occupe aussi la partie septentrionale de la troisième section du sixième climat, ainsi que nous l’avons dit. La partie occidentale du bras de mer qui tombe dans la troisième section du septième climat renferme une grande île de forme ar­rondie [245], qui communique, au sud, avec le continent, par un isthme qui aboutit à la Pologne. Au nord de ce bras de mer, l’île (ou pres­qu’île) de Bercagha [246] (la Norwége), s’étend en longueur, de l’ouest à l’est, en suivant la limite septentrionale de la section.
Toute la partie septentrionale de la quatrième section est occupée *146 par la mer Environnante, depuis l’ouest jusqu’à l’est ; la partie méri­dionale, restée à découvert, se compose, à partir de l’ouest, du pays qu’habitent les Fîmark [247], peuple turc ; le côté oriental est formé par la contrée de Tabest [248] et par la terre de Reslanda [249], qui s’étend jusqu’à la limite de la section. Ce pays est toujours couvert de neige, et la population y est peu nombreuse ; il confine à la Russie, dans la qua­trième et la cinquième section du sixième climat.
Dans la cinquième section du septième climat, du côté de l’ouest, s’étend la Russie, qui se prolonge vers le nord jusqu’à la partie de la mer Environnante qui se rencontre avec le mont Coucaïa. Dans la portion orientale de cette section, on trouve le pays des Comans, qui, après avoir touché à la partie de la mer de Nîtoch située dans la p.166 sixième section du sixième climat, vient se terminer, dans cette sec­tion, au lac de Tarmi, dont les eaux sont douces. Les montagnes situées au nord et au sud de ce lac lui envoient un grand nombre de rivières. Au nord‑est de cette section et jusqu’à son extrémité s’étend le pays des Benariya [250], peuple turc.
La sixième section, du côté du sud‑ouest, est entièrement occu­pée par le territoire des Comans. Au milieu de cette contrée, on trouve le lac de Ghanoun [251], dont les eaux sont douces. A l’orient du lac sont des montagnes qui lui envoient plusieurs rivières. Dans cette contrée, le froid est si intense que le lac est constamment glacé, ex­cepté durant quelques jours de l’été. A l’orient du pays des Comans s’étend le pays des Russes, qui part de l’angle nord‑est de la cinquième section du sixième climat. Dans l’angle sud‑est de la section qui nous *147 occupe, on trouve le reste de la Bôlghar (Bulgarie), contrée qui commence dans la partie nord‑est de la sixième section du sixième climat. Au milieu de cette partie du territoire bulgare, le fleuve Itel (Volga) fait son premier détour vers le midi, ainsi que nous l’avons dit. Sur la limite septentrionale de la sixième section, du côté du nord, la montagne de Coucaïa s’étend depuis l’occident jusqu’à l’orient.
Dans la septième section de ce climat, et dans sa partie occiden­tale, on trouve le reste du pays des Petchenèges, peuple turc. Cette contrée commence dans la partie orientale de la section qui précède ; elle traverse le sud‑ouest de cette section (la septième), puis elle re­monte et pénètre dans le sixième climat. La partie orientale de cette section renferme le reste du pays des Bachkirs [252] et une partie de la Terre‑Puante, région qui se prolonge vers l’est jusqu’à l’extrémité de la section. La limite septentrionale de cette section est formée par la montagne de Coucaïa, qui l’enferme d’occident en orient.
Dans la partie sud‑ouest de la huitième section on retrouve la p.167 Terre‑Puante, qui s’y étend sans interruption, et dont la partie orien­tale renferme le Terrain‑Creux [253], qui forme une des merveilles du monde. C’est une énorme excavation qui présente une vaste largeur et une telle profondeur qu’il est impossible d’y descendre : on recon­naît qu’elle est habitée par la fumée que l’on aperçoit pendant le jour, et par les feux qui, pendant la nuit, brillent et s’éteignent alterna­tivement [254]. Quelquefois on peut découvrir une rivière qui traverse cette terre du midi au nord. Dans la partie orientale de cette section est la contrée dévastée qui avoisine le rempart (de Gog et Magog). La limite septentrionale de cette section est formée par le Coucaïa, *148 depuis l’occident jusqu’à l’orient.
La partie méridionale de la neuvième section de ce climat est oc­cupée par la contrée des Khefchakh, autrement nommés Kebdjac (les Kiptchacs) ; la montagne de Coucaïa enveloppe ce pays, après s’être détournée du nord, près de la mer Environnante ; elle traverse ensuite le milieu de la section en se dirigeant vers le sud‑est, et entre dans la neuvième section du sixième climat, qu’elle traverse aussi. Là, au milieu de cette chaîne, se trouve le rempart de Gog et Magog. Dans la partie orientale de cette section, derrière le Coucaïa et auprès de la mur, est située la contrée de Magog ; elle a peu de largeur, mais elle s’étend beaucoup en longueur. Elle enveloppe cette montagne du côté de l’orient et du nord.
La dixième section de ce climat est occupée tout entière par les eaux de la mer.
Ici se termine ce que j’avais à dire sur la géographie et sur les sept climats : Et, dans la création des cieux et de la terre, dans la vicissitude des nuits et des jours, il y a des signes qui doivent frapper l’esprit de toutes les créatures [255].


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TROISIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Qui traite des climats soumis à une température moyenne ;
de ceux qui s’écartent des limites où cette température domine,
et de l’influence exercée par l’atmosphère sur le teint des hommes
et sur leur état en général.
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p.168 Nous venons d’exposer que la portion habitable de la terre com­mence au milieu de l’espace que la mer a laissé à découvert et qui s’étend vers le nord ; les contrées du midi éprouvent trop de chaleur, celles du nord, trop de froid, pour être habitables. Comme ces deux extrémités de la terre diffèrent complètement sous le rapport du chaud et du froid, les caractères qui les distinguent doivent se modifier graduellement jusqu’au milieu du monde habité, où ils atteignent leur terme moyen. Le quatrième climat est donc le plus tempéré ; *149 le troisième et le cinquième, qui y confinent, jouissent à peu près d’une température moyenne. Dans le sixième et le second climat, qui avoisinent ceux‑ci, la température s’éloigne considérablement du terme moyen ; puis, dans le premier et le septième, elle s’en écarte bien davantage. Voilà pourquoi dans les sciences, les arts, les bâti­ments, les vêtements, les vivres, les fruits, les animaux et tout ce qui se produit dans les trois climats du milieu, il n’y a rien d’exa­géré. On retrouve ce juste milieu dans les corps des hommes qui habitent ces régions, dans leur teint, dans leurs dispositions natu­relles et dans tout ce qui les concerne. Ils observent la même mo­dération dans leurs habitations, leurs vêtements, leurs aliments et leurs métiers. Ils construisent de hautes maisons en pierre et les ornent avec art ; ils rivalisent entre eux dans la fabrication d’instru­ments et d’ustensiles, et, par cette lutte, ils arrivent à la perfec­tion. Chez eux on trouve les divers métaux, tels que l’or, l’argent, le fer, le cuivre, le plomb et l’étain. Dans leurs relations commer­ciales, ils font usage des deux métaux précieux. Dans toute leur con­duite, ils évitent les extrêmes. Tels sont les habitants du Maghreb, de la Syrie, des deux Iracs, du Sind, de la Chine. Il en est, de même des habitants de l’Espagne et des peuples voisins, tels que les Francs, p.169 les Galiciens et les gens qui vivent à côté ou au milieu d’eux, dans les régions tempérées. De tous ces pays, l’Irac et la Syrie jouissent, par leur position centrale, du climat le plus heureux. Dans les cli­mats situés en dehors de la zone tempérée, tels que le premier, le second, le sixième et le septième, l’état des habitants s’écarte beau­coup du juste milieu ; leurs maisons sont construites en roseaux ou en terre ; leurs aliments se composent de dorra [256] ou d’herbes ; *150 leurs vêtements sont formés de feuilles d’arbres, dont ils s’entourent le corps, ou bien de peaux ; mais, pour la plupart, ils vont abso­lument nus. Les fruits de leurs contrées, ainsi que leurs assaison­nements, sont d’une nature étrange et extraordinaire. Ils ne font aucun usage des deux métaux précieux comme moyens d’échange, mais ils y emploient le cuivre ou le fer, ou les peaux, auxquels ils assignent une valeur monétaire. En outre, leurs mœurs se rap­prochent beaucoup de celles des animaux brutes : on raconte que la plupart des noirs qui occupent le premier climat demeurent dans des cavernes et des forêts marécageuses, se nourrissant d’herbes, vivant dans un sauvage isolement et se dévorant les uns les autres. Il en est de même des Esclavons. Cette barbarie de mœurs tient à ce que ces peuples, vivant dans des pays très éloignés de la région tem­pérée, deviennent, par constitution et par caractère, semblables à des bêtes féroces ; et, plus leurs habitudes se rapprochent de celles des animaux, plus ils perdent les qualités distinctives de l’humanité. Il en est de même sous le rapport des principes religieux : ils ignorent ce que c’est que la mission d’un prophète et n’obéissent à aucune loi, à l’exception, toutefois, d’un bien petit nombre d’entre eux, qui demeurent dans le voisinage des pays tempérés. Tels sont les Abyssins qui habitent non loin du Yémen. Ils professaient la re­ligion chrétienne avant la naissance de l’islamisme, et ils l’ont con­servée jusqu’à nos jours ; tels sont aussi les habitants de Melli, de Gogo et de Tekrour : ils occupent un pays voisin du Maghreb, et sui­vent aujourd’hui l’islamisme, qu’ils ont embrassé, dit‑on, dans le p.170 septième siècle de l’hégire ; tels sont encore les peuples chrétiens qui habitent dans les contrées du nord et qui appartiennent à la race des Esclavons, à celle des Francs, ou à celle des Turcs. Quant aux autres nations qui occupent ces climats reculés, tant ceux du nord que ceux du midi, elles ne connaissent aucune religion, ne possèdent *151 aucune instruction, et, dans tout ce qui les concerne, elles ressemblent plus à des bêtes qu’à des hommes. Et Dieu crée ce que vous ne savez pas. (Coran, sour. XVI, vers. 8.)
On ne saurait opposer à ce que je viens de dire que le Yémen, le Hadramaout, les Ahcaf, les contrées du Hidjaz, le Yemama et la partie de la péninsule arabique qui les avoisine, se trouvent situés dans le premier et le second climat. La presqu’île des Arabes est environ­née de trois côtés par la mer, ainsi que nous l’avons dit, de sorte que l’humidité de cet élément a influé sur celle de l’air et amoindri la sécheresse extrême qui est produite par la chaleur. L’humidité de la mer a donc établi dans ce pays une espèce de température moyenne.
Quelques généalogistes n’ayant aucune connaissance de l’histoire naturelle ont prétendu que les Nègres, race descendue de Ham (Cham), fils de Noé, reçurent pour caractère distinctif la noirceur de la peau, par suite de la malédiction dont leur ancêtre fut frappé par son père, et qui aurait eu pour résultat l’altération du teint de Cham et l’asservissement de sa postérité. Mais la malédiction de Noé contre son fils Cham se trouve rapportée dans le Pentateuque, et il n’y est fait aucune mention de la couleur noire. Noé déclare uniquement que les descendants de Cham seront esclaves des enfants de ses frères. L’opinion de ceux qui ont donné à Cham ce teint noir montre le peu d’attention qu’ils faisaient à la nature du chaud et du froid, et à l’influence que ces qualités exercent sur l’atmosphère et sur les ani­maux qui naissent dans ce milieu. Si cette couleur est générale pour les habitants du premier et du second climat, cela tient à la combi­naison de l’air avec la chaleur excessive qui règne au Midi. En effet, le soleil passe au zénith, dans cette région, deux fois chaque année, p.171 et à des intervalles assez courts ; il garde même la position verticale dans presque toutes les saisons, d’où résultent une lumière très vive et une chaleur qui ne discontinue pas. Cet excès de chaleur a donné un teint noir à la peau des peuples qui habitent de ce côté.
Dans les deux climats septentrionaux, le septième et le sixième, *152 qui correspondent au premier et au second, les habitants ont tous le teint blanc, parce que l’air s’est mélangé avec le froid extrême qui règne du côté du nord. Dans cette région, le soleil reste presque tou­jours auprès de l’horizon visuel ; jamais il ne s’élève jusqu’au zénith ; il ne s’en approche même pas. Cela fait que, dans toutes les saisons, la chaleur est très faible et le froid très intense, d’où résulte que le teint des habitants est blanc et tire même sur le blafard. Le froid ex­cessif y produit encore d’autres effets : les yeux deviennent bleus, la peau montre des taches de rousseur et les cheveux deviennent roux.
Les trois climats intermédiaires, je veux dire le troisième, le qua­trième et le cinquième, jouissent à un haut degré de cette tempé­rature moyenne qui est formée par le juste mélange du froid et du chaud. Le quatrième est le plus favorisé sous ce rapport, attendu qu’il occupe la position intermédiaire, ainsi que nous l’avons dit ; aussi voit‑on, dans les mœurs des habitants et dans la constitution de leur corps cet équilibre parfait qui résulte du caractère de leur atmos­phère. Le cinquième et le troisième climat, qui sont contigus au qua­trième, se rangent immédiatement après celui-ci sous le rapport de ces avantages ; s’ils n’ont pas, comme le quatrième climat, une posi­tion parfaitement centrale ; si l’un incline vers le sud, où règne la cha­leur, et l’autre vers le nord, où domine le froid, ces écarts ne sont pas portés à un extrême.
Quant aux quatre climats qui restent, ils s’éloignent beaucoup du juste milieu, ainsi que le physique et le moral de leurs habitants. Le premier climat et le second offrent, pour caractères, la chaleur et la couleur noire ; le sixième et le septième, le froid et la couleur blanche. On a donné les noms d’Abyssin, de Zendj et de Soudan (noirs) aux peuples du midi, qui habitent le premier et le second p.172 climat, et l’on a employé ces dénominations indifféremment pour désigner tout peuple dont le teint est altéré par un mélange de noir. Il est cependant certain que le nom d’Abyssin doit s’appliquer spécia­lement au peuple qui demeure vis‑à‑vis la Mecque et le Yémen, et que celui de Zendj appartient exclusivement à ceux qui habitent en face de la mer Indienne. Ils n’ont pas reçu ces noms parce qu’ils auraient *153 tiré leur origine d’un homme de couleur noire, que ce fût Cham ou tout autre ; car nous voyons que des nègres, habitants du midi, s’é­tant établis dans le quatrième climat, qui jouit d’une température moyenne, et dans le septième, où tout tend à la couleur blanche, laissent une postérité qui, dans la suite des temps, acquiert un teint blanc. D’un autre côté, lorsque des hommes du nord ou du qua­trième climat vont habiter le midi, la peau de leurs descendants de­vient noire. Cela prouve que la couleur du teint dépend du tempé­rament de l’air. Ibn Sîna (Avicenne), dans son traité de médecine écrit en vers (et connu sous le nom d’Ardjouza), s’exprime ainsi :
Chez les Zendj règne une chaleur qui a changé leurs corps [257],
En sorte que leur peau s’est revêtue de noir.
Les Esclavons ont acquis [258] une couleur blanche,
En sorte que leur peau est devenue lisse.
Les peuples du nord n’ont pas reçu des noms qui aient rapport à la teinte de leur peau ; car le blanc, qui était la couleur des hommes dont le langage a fourni ces dénominations, ne constituait pas un caractère assez remarquable pour attirer l’attention quand il s’agissait de créer des noms propres. On regardait le blanc comme parfaitement convenable et l’on y était habitué. Nous remarquons que les peuples du nord sont désignés par une grande variété de noms : tels sont les Turcs, les Esclavons, les Togharghar [259], les Khazar, les p.173 Alains, une foule de nations franques, les Yadjoudj (Gog), les Ma­djoudj (Magog), qui forment tous des peuples distincts et très nom­breux.
Quant aux habitants des climats du centre, on trouve chez eux un caractère de mesure et de convenance qui se montre dans leur phy­sique et leur moral, dans leur conduite et dans toutes les circons­tances qui se rattachent naturellement à leur civilisation [260], c’est‑à‑dire les moyens de vivre, les habitations, les arts, les sciences, les hauts commandements et l’empire. Ce sont eux qui ont reçu des prophètes ; *154 c’est chez eux que se trouvent la royauté [261], des dynasties, des lois, des sciences, des villes, des capitales, des édifices, des plantations, des beaux‑arts et tout ce qui dépend d’un état d’existence bien réglé. Les peuples qui ont habité ces climats, et dont nous connais­sons l’histoire, sont les Arabes, les Romains, les Perses, les Israé­lites, les Grecs, la population du Sind et celle de la Chine.
Les généalogistes, ayant observé que chacune de ces races se dis­tinguait par son aspect et par d’autres signes particuliers, ont supposé qu’elles devaient ces traits caractéristiques à leur origine. Aussi ont-­ils regardé comme les descendants de Cham tous les habitants du sud qui ont la peau noire ; et, ne sachant comment expliquer la cou­leur de ces peuples, ils se sont attachés à propager une tradition qui ne supporte pas l’examen. Ils ont déclaré aussi que la totalité ou la plupart des habitants du nord descendent de Yafeth (Japhet), et ils ont reconnu pour les descendants de Sem presque tous les peuples bien organisés, c’est‑à‑dire ceux qui habitent les climats du milieu, qui cultivent les sciences et les arts et qui ont une religion, des lois, un gouvernement régulier et un souverain. Cette opinion est con­forme à la vérité dans ce qui regarde les origines des races, mais elle ne doit pas être admise sans restriction ; c’est le simple énoncé d’un fait, mais elle ne prouve pas que les peuples du midi aient reçu le nom de Noirs ou d’Abyssins parce qu’ils descendaient de Cham le noir. Ces écrivains ont été induits en erreur par une fausse idée ; ils p.174 ont cru que chaque peuple doit à son origine les caractères qui le distinguent. Mais cela n’est pas toujours exact : car, bien que certains peuples et certaines races se distinguent assez par leur origine, comme les Arabes, les Israélites et les Perses, il y en a d’autres, tels que les Zendj, les Abyssins, les Esclavons et les Nègres que l’on reconnaît aux traits de leur figure et aux contrées qu’ils habitent. D’autres peuples se distinguent, non seulement par leur origine, mais par certains usages et par des signes caractéristiques : tels sont les Arabes. La distinction peut encore se faire en examinant l’état de chaque peuple, *155 son caractère et les qualités qui lui sont propres. C’est donc une faute que d’énoncer, d’une manière générale, que le peuple de tel en­droit, soit au nord, soit au midi, descend de tel ou tel personnage, parce que l’on aura remarqué chez ce peuple les traits, la couleur, la tournure d’esprit ou les signes particuliers qui se retrouvaient dans cet individu. On tombe dans des erreurs de ce genre parce qu’on n’a pas fait attention à la nature des êtres et des pays ; car tous ces caractères changent dans la suite des générations et ne sauraient de­meurer invariables. Telle est la règle suivie par Dieu à l’égard de [262] ses créatures ; et tu ne trouveras aucun moyen de changer la règle de Dieu. (Coran, sour. XXXIII, vers. 62.)

QUATRIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE

Qui traite de l’influence exercée par l’air sur le caractère des hommes.
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Nous avons tous remarqué que le caractère des Nègres se com­pose, en général, de légèreté, de pétulance et d’une vive gaieté : aussi les voit‑on se livrer à la danse chaque fois qu’ils en trouvent la moindre occasion ; de sorte que, partout, ils ont une réputation de folie. La véritable cause de ce phénomène est celle‑ci : selon un principe qui est bien établi dans les traités de philosophie, la joie et la gaieté résultent naturellement de la dilatation et de l’expansion des p.175 esprits animaux, tandis que la tristesse dérive de la cause contraire, c’est‑à‑dire de la contraction et de la condensation de ces esprits. On a constaté que la chaleur dilate l’air et la vapeur, les raréfie et en augmente le volume ; c’est pourquoi l’homme ivre éprouve une sensation inexprimable de joie et de plaisir. La cause en est que la vapeur de l’esprit qui réside dans le cœur se pénètre de cette chaleur innée que la force du vin excite naturellement dans l’esprit : alors cet esprit se dilate et produit une sensation qui a le caractère de la joie. Il en est de même de ceux qui prennent le plaisir d’un bain : lorsqu’ils en respirent la vapeur, et que la chaleur de cette *156 atmos­phère pénètre jusqu’à leurs esprits et les échauffe, il en résulte pour eux un sentiment de plaisir, qui souvent se manifeste par des chants joyeux.
Comme les Nègres habitent un climat chaud, que la chaleur pré­domine sur leur tempérament, et que, d’après le principe de leur être, la chaleur de leurs esprits doit être en rapport direct avec celle de leurs corps et de leur climat, il en résulte que ces esprits, comparés à ceux des peuples du quatrième climat, sont extrêmement échauf­fés, se dilatent bien plus aisément, éprouvent un sentiment plus ra­pide de joie et de plaisir, et un degré d’expansion plus considérable : ce qui a pour résultat l’étourderie.
Le caractère des peuples qui habitent les pays maritimes se rap­proche un peu de celui-ci. Comme l’air qu’ils respirent est très­ échauffé par l’influence de la lumière et des rayons solaires que ré­fléchit la surface de la mer, la part qu’ils ont dans les sentiments de joie et de légèreté d’esprit qui résultent de la chaleur est plus forte que celle qu’on obtient dans les hauts plateaux et sur les montagnes froides. Nous retrouvons quelques‑uns de ces traits chez les peuples qui habitent le Djerîd [263], contrée du troisième climat : (ils sont portés à la gaieté) par suite de la chaleur intense de cette p.176 région et de son atmosphère. Cette chaleur s’y est fortement dé­veloppée parce que leur pays est très reculé vers le sud, loin des hauts plateaux et des terres labourables. Chez les habitants de l’Égypte, contrée qui est à peu près dans la même latitude que le Djerîd, on peut remarquer avec quelle facilité ils s’abandonnent à la joie, à la légèreté d’esprit et à l’imprévoyance. C’en est au point qu’ils ne font aucune provision de vivres ni pour un an, ni pour un mois, et qu’ils achètent au marché tout ce qu’ils mangent. La ville de Fez, dans le Maghreb, offre un exemple tout contraire aux pré­cédents : étant entourée de plateaux très froids, on y voit les habi­tants marcher, la tête baissée, comme des gens accablés de tristesse, *157 et l’on peut remarquer jusqu’à quel point extrême ils portent la pré­voyance. Cela va si loin qu’un individu entre eux mettra en réserve une provision de blé suffisante pour plusieurs années et, plutôt que de l’entamer, il ira, chaque matin, au marché pour acheter sa nour­riture journalière. Si l’on continue ces observations, en les dirigeant vers les autres climats et les autres pays, on trouvera partout que les qualités de l’air exercent une grande influence sur celles de l’homme. Dieu est le créateur et l’Être qui sait tout. (Coran, sourate XXXVI, verset 81.)
Masoudi avait entrepris de rechercher la cause qui produit, chez les Nègres, cette légèreté d’esprit, cette étourderie et ce penchant extrême à la gaieté ; mais, pour toute solution, il ne rapporte qu’une parole de Galien et de Yacoub Ibn Ishac El-Kindi [264], d’après laquelle ce caractère tient à une faiblesse du cerveau, d’où proviendrait une p.177 faiblesse d’intelligence. Cette explication est sans valeur et ne prouve rien. Dieu dirige celui qu’il veut. (Coran, sour. II, vers. 136.)

CINQUIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Qui traite des influences diverses que l’abondance et la disette exercent sur la société humaine, et des impressions qu’elles laissent
sur le physique et le moral de l’homme.
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Les climats tempérés ne sont pas également fertiles, et leurs habi­tants ne vivent pas tous dans l’aisance. Ils renferment quelques po­pulations qui ont une abondance de céréales, d’assaisonnements, de blé et de fruits, et ils la doivent à la force de la végétation, à la bonne qualité du sol et au grand progrès fait par la civilisation ; mais, *158 dans d’autres endroits, les habitants ne trouvent qu’un terrain brûlé par la chaleur, où il ne pousse ni grain, ni herbe. Ces peuples, sou­mis à une vie de privations, sont les tribus du Hidjaz et du Yémen [265], et les tribus sanhadjiennes qui se voilent la figure, et qui occupent le désert du Maghreb et les régions sablonneuses qui séparent la contrée des Berbers de celle des noirs. Chez les peuples voilés, les grains et les assaisonnements manquent tout à fait ; leur seul aliment, c’est le lait et la chair de leurs troupeaux. Il en est de même des Arabes qui parcourent les régions du désert. Sans doute ils peuvent tirer des Tells (les hauts plateaux du Maghreb les grains et les as­saisonnements dont ils peuvent avoir besoin, mais ils n’en trouvent pas toujours l’occasion, à cause de la surveillance des troupes pré­posées à la garde des frontières [266] ; ils ne sont pas même assez riches pour y faire de grands achats ; aussi, peuvent‑ils à peine se pro­curer le strict nécessaire, bien loin d’obtenir de quoi vivre dans l’abondance. Presque toujours on les voit se borner à l’usage du lait, nourriture qui, pour eux, remplace parfaitement le blé. Eh p.178 bien ! ces mêmes hommes, ces habitants du désert, chez lesquels manquent entièrement les grains et les assaisonnements, surpassent, en qualités physiques et morales, les habitants du Tell, qui vivent dans une grande aisance ; leur teint est plus frais, leurs corps sont plus sains et mieux proportionnés ; ils montrent une plus grande égalité de caractère et une intelligence plus vive quand il s’agit de bien saisir et d’apprendre ce qu’on leur enseigne. C’est ce que l’expérience dé­montre à l’égard de chacun de ces peuples ; aussi voyons‑nous une grande différence, sous ce rapport, entre les Arabes (nomades) et les Berbers, entre les tribus voilées et les habitants du Tell. Celui qui voudra examiner ce fait en reconnaîtra l’exactitude.
Voici, ce me semble, la cause de ce phénomène : l’excès de nourri­ture et les principes humides renfermés dans les aliments excitent, dans les corps, des sécrétions superflues et pernicieuses qui pro­duisent un embonpoint excessif et une abondance d’humeurs *159 pec­cantes et corrompues. Cela amène une altération du teint et enlève aux formes du corps toute leur beauté en les surchargeant de chair. Ces principes humides obscurcissent l’esprit et l’intelligence par l’ef­fet des vapeurs pernicieuses qu’elles envoient au cerveau ; de là ré­sultent l’engourdissement de l’esprit, la nonchalance et un grave écart de l’état normal. La justesse de ces observations se reconnaît à l’examen des animaux qui habitent les déserts et les terrains stériles. Comparez les gazelles, les antilopes, les autruches, les girafes, les ânes sauvages et les bœufs sauvages avec les animaux des mêmes es­pèces qui habitent le Tell, les plaines fertiles et les gras pâturages. Quelle différence énorme existe entre eux pour ce qui concerne le poli de la peau, l’éclat du pelage, les formes du corps, la juste pro­portion des membres et la vivacité de l’intelligence ! La gazelle est sœur de la chèvre ; la girafe est sœur du chameau ; l’âne et le bœuf sauvages sont identiques avec l’âne et le bœuf domestiques. Voyez cependant la différence qui existe entre ces animaux ! La cause en est que la fertilité du Tell a suscité dans les corps des animaux domes­tiques des sécrétions superflues et nuisibles, des humeurs p.179 corrompues, dont l’influence se fait sentir en eux, tandis que la faim con­tribue à produire, chez les animaux du désert, la beauté du corps et des formes.
On reconnaîtra que les mêmes effets ont lieu chez l’homme. Les habitants des régions où l’on vit dans l’aisance et qui abondent en céréales, en troupeaux, en assaisonnements et en fruits, ont, en gé­néral, la réputation d’avoir l’esprit lourd et le corps grossièrement formé. Comparez les Berbers, qui ont du blé et des assaisonnements en abondance, avec les peuples de la même race qui, comme les Mas­mouda, les habitants du Sous et les Ghomara, mènent une vie de pri­vations et se contentent, pour toute nourriture, d’orge ou de dorra. Sous le rapport de l’intelligence et du corps, ceux‑ci sont bien su­périeurs aux premiers. Il en est de même des peuples du Maghreb, *160 chez qui, en général, se trouve une abondance de blé et d’assai­sonnements : comparez‑les avec les habitants de l’Espagne (musul­mane), qui manquent absolument de beurre, et dont la principale nourriture est le dorra [267]. Vous trouverez chez ceux‑ci une vivacité d’esprit, une légèreté de corps, une aptitude à s’instruire, que l’on chercherait vainement chez les Maghrébins. Le même rapport existe, dans presque tout le Maghreb, entre les habitants de la campagne et ceux des villes. Les citadins ont à leur disposition autant d’assai­sonnements que les campagnards ; comme eux, ils vivent dans l’abon­dance, mais ils font subir à leurs aliments des apprêts, une cuisson et un adoucissement par le mélange d’autres ingrédients qui en font disparaître les qualités grossières et en atténuent la consistance. Ils se nourrissent ordinairement de la chair de mouton et de poules ; ils ne recherchent pas le beurre, à cause de son goût fade. Cela fait que leurs mets renferment peu de parties humides, et, par suite, n’apportent au corps qu’une très petite quantité d’humeurs superflues et nuisibles ; aussi les corps des habitants des villes sont‑ils plus délicats que ceux des habitants de la campagne, dont la vie est plus dure. Il en est de p.180 même chez les peuples du désert, qui sont habitués à supporter la faim : leurs corps n’offrent aucune trace d’humeurs, ni épaisses, ni ténues. Dans les pays où l’abondance domine, la religion et l’esprit de dévotion en éprouvent l’influence. Parmi les gens de la campagne et de la ville, ceux qui mènent une vie frugale, et qui sont habitués à supporter la faim et à renoncer aux plaisirs, sont plus religieux, plus disposés à s’adonner à une vie dévote que les hommes opulents et abandonnés au luxe. Les cités et les grandes villes renferment peu d’hommes religieux, attendu que, dans ces lieux, règnent générale­ment une insensibilité de cœur et un esprit d’indifférence qui provien­nent de l’usage trop abondant de la viande, des assaisonnements et *161 de la farine ; aussi les hommes dévots et austères se rencontrent sur­tout parmi les habitants de la campagne, accoutumés à la vie frugale [268].
Dans une même ville, on reconnaît que l’influence de la nourriture sur les hommes varie selon les fluctuations du luxe et de l’aisance ; ainsi voyons‑nous, non seulement dans la population des villes, mais dans celle des campagnes, que les hommes habitués à vivre dans l’abondance et à se plonger dans les plaisirs sont les premiers à suc­comber lorsque quelques années de sécheresse ont amené chez eux la famine et la mort. C’est ce qu’on observe parmi les Berbers du Maghreb, les habitants de la ville de Fez et ceux du Caire, à ce qu’on m’a dit. Il n’en est pas ainsi des Arabes qui habitent les déserts et les solitudes, ni de la population des pays de palmiers, qui se nour­rit, presque exclusivement, de dattes ; ni des habitants actuels de l’Ifrî­kiya, qui vivent presque entièrement d’orge et d’huile ; ni des Espagnols (musulmans), dont les principaux aliments sont le dorra et l’huile. La sécheresse et la famine ne font pas autant de mal à ceux‑ci qu’aux gens qui vivent dans le luxe ; la mortalité causée par la faim n’y est pas aussi considérable ; que dis‑je, il ne s’en présente pas un seul cas. Voici, ce me semble, la cause de cette différence : chez les hommes qui vivent dans l’abondance et qui sont accoutumés à l’usage des assaisonne­ments, et surtout du beurre, les intestins contractent une humidité p.181 supérieure à leur humidité primitive et naturelle, et qui finit par de­venir excessive. Or lorsque ces hommes se trouvent, contre leur habi­tude, réduits à vivre d’une petite quantité d’aliments, à se passer d’assaisonnements et à user d’une nourriture grossière, à laquelle ils ne sont pas accoutumés, les intestins ne tardent pas à se dessécher et à se contracter. Mais cet organe est extrêmement faible et compte parmi ceux dont la lésion cause la mort ; aussi les maladies s’y dé­clarent promptement et amènent une mort rapide. Ceux qui meurent *162 de la famine périssent, moins par suite de la faim actuelle, que par l’effet de cette abondance de nourriture à laquelle ils étaient primitivement habitués. Quant à ceux qui sont accoutumés à vivre de laitage et à se passer de beurre et d’assaisonnements, leur humi­dité naturelle reste dans son état ordinaire, sans aucun accroissement. De tous les aliments qui sont naturels à l’homme, c’est assurément le plus sain ; aussi ces gens n’éprouvent dans les intestins, ni la séche­resse, ni l’altération qui résultent d’un changement de régime, et ils échappent presque tous à la mortalité qu’une nourriture trop abondante et l’excès d’assaisonnements provoquent chez les autres hommes.
Tous ces cas peuvent se réduire à un seul principe : c’est par suite de l’habitude que l’on s’accoutume à certains aliments ou que l’on acquiert la faculté de s’en passer. Celui qui prend souvent une nourri­ture qui convient à sa constitution s’y habitue, et s’il devait y re­noncer (subitement) ou la remplacer (immédiatement) par une autre, il tomberait malade. (Pour produire cet effet) il n’est pas né­cessaire que le nouvel aliment soit dépourvu de qualités nutri­tives ou qu’il appartienne à la classe des poisons, des sucs âcres de certaines plantes, de ces matières dont le caractère est tout à fait anomal. Mais tout ce qui peut nourrir le corps et lui convenir devient, par l’usage, un aliment habituel ; ainsi, quand un homme entreprend de remplacer par le lait et les légumes sa nourriture ordinaire, qui consistait en blé et en grains, et qu’il s’est ha­bitué à ce changement, ces substances deviennent pour lui un p.182 aliment suffisant, et l’on peut être assuré qu’il se passera très bien de celles dont il a cessé de faire usage. Il en est de même de celui qui s’est accoutumé à supporter la faim et à se priver d’aliments, ainsi que le font, dit‑on, certains dévots, qui s’imposent des mor­tifications. Nous avons entendu, à ce sujet, des histoires étonnantes, auxquelles on n’ajouterait aucune foi, si l’on ne savait pas qu’elles sont d’une vérité incontestable.
C’est l’habitude qui produit ces faits ; car, lorsqu’un individu s’est accoutumé à une chose quelconque, elle devient pour lui une chose essentielle, une seconde nature, attendu que la nature de l’homme [269]  est susceptible de modifications très diverses. Qu’elle s’habitue par degrés, et par principe de dévotion, à supporter la faim, cette absti­nence deviendra pour elle une pratique ordinaire et tout à fait na­turelle.
Les médecins se trompent en prétendant que c’est la faim qui fait *163 mourir : cela n’arrive jamais, à moins qu’on ne prive l’homme brus­quement de toute espèce d’aliment ; alors les intestins se ferment tout à fait, et l’on éprouve une maladie qui peut conduire à la mort. Mais lorsque la chose se fait graduellement, et par esprit religieux, en diminuant peu à peu la quantité de nourriture, ainsi que font les soufis, la mort n’est pas à craindre. La même progression est en­core absolument nécessaire lorsque l’on veut renoncer à cette pra­tique de dévotion ; car, si l’on reprenait subitement sa première manière de se nourrir, on risquerait sa vie. Il faut revenir au point de départ, en suivant une gradation régulière, ainsi que cela s’était fait en le quittant. Nous avons vu des hommes qui supportaient une abstinence complète pendant quarante jours consécutifs, et même davantage.
Sous le règne du sultan Abou ’l-Hacen [270], et en présence de nos professeurs, on amena devant ce prince deux femmes, dont l’une p.183 était native d’Algésiras, et l’autre de Ronda. Depuis deux [271] ans, elles avaient renoncé [272] à toute nourriture, et, le bruit s’en étant répandu, on voulut les mettre à l’épreuve. Le fait fut complètement vérifié, et elles continuèrent à jeûner ainsi jusqu’à leur mort. Parmi nos anciens condisciples, nous en avons vu plusieurs qui se contentaient, pour toute nourriture, de lait de chèvre ; à une certaine heure de chaque jour, ou à l’heure de déjeuner, ils tétaient le pis de l’animal. Pendant quinze ans, ils suivirent ce régime. Bien d’autres ont imité leur exemple ; c’est un fait qu’on ne saurait révoquer en doute.
Il faut savoir que la faim est de toute manière plus favorable au corps qu’une surabondance d’aliments, pourvu qu’on puisse s’habi­tuer à l’abstinence et se contenter de très peu de nourriture. Ainsi que nous l’avons dit, la faim exerce, sur l’esprit et le corps, une influence salutaire ; elle sert à éclaircir l’un et à entretenir la santé de l’autre. On peut en juger par l’effet que les aliments produisent *164 sur le corps. Nous avons vu que, si des hommes adoptent pour nourri­ture la chair de gros animaux, leurs descendants prennent les qua­lités de ces animaux. La chose est évidente si l’on compare les habi­tants des villes à ceux de la campagne. Les hommes qui se nourrissent de la chair et du lait de chameau éprouvent, dans leur caractère, l’influence de ces aliments et acquièrent la patience, la modération, la force nécessaire pour porter des fardeaux ; qualités qui sont le par­tage de ces animaux ; leurs intestins se façonnent à l’instar de ceux des chameaux, et prennent de la santé et de la force. On ne re­marque en eux ni faiblesse, ni langueur, et les aliments qui nuisent aux autres hommes ne produisent sur eux aucun mauvais effet. Ils boivent, pour se relâcher le ventre, les sucs des plantes laiteuses et âcres, telles que la coloquinte avant sa maturité, le diryas (Thapsia asclepium), et l’euphorbe, sans les déguiser, et sans que leurs in­testins en reçoivent le moindre mal. Et cependant, si les habitants des villes, gens qui, par suite de leur habitude de se nourrir p.184 délicatement, ont les intestins sensibles et tendres, prenaient de pareils breuvages, la qualité toxique de ces drogues les ferait mourir sur‑le­-champ.
Il est une autre preuve qui atteste l’influence des aliments sur le corps. Suivant ce que rapportent les agriculteurs, et que l’expérience a confirmé, si l’on nourrit des poules en leur donnant des grains cuits avec [273] des excréments de chameau, et que l’on fasse couver les œufs, on aura des petits qui atteindront une grosseur extraordinaire. On peut même se dispenser de donner aux poules des grains cuits de cette manière ; il suffit de mêler ces excréments avec les œufs que l’on fait couver, et il en naîtra des petits qui deviendront d’une gros­seur énorme. On pourrait citer un grand nombre de faits de ce genre.
Quand nous voyons les influences exercées par les aliments sur les corps, nous devons être convaincus que la faim doit en produire d’autres, car, entre deux contraires, il y a rapport constant d’influence *165 ou de non‑influence. L’abstinence a pour effet de débar­rasser le corps des superfluités nuisibles et des humeurs qui affectent également le corps et l’esprit ; la nourriture influe sur l’existence même du corps. Dieu embrasse tout par son savoir.

SIXIÈME DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par l’exercice de pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du monde invisible. Ce chapitre commence par des observations
sur la nature de la révélation et des songes.
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Le Très‑Haut a choisi, dans l’espèce humaine, certains individus auxquels il a concédé le privilège de converser directement avec lui. Les ayant créés pour le connaître, et les ayant placés comme inter­médiaires entre lui et ses serviteurs, il les a chargés d’apprendre aux hommes leurs véritables intérêts, de les diriger avec zèle, de les préserver du feu de l’enfer en leur montrant la voie du salut. Aux connaissances qu’il leur communique et aux merveilles qu’il énonce par leur bouche, il ajoute la faculté de prédire ce qui doit arriver et p.185 d’indiquer les événements qui sont cachés aux autres mortels. Dieu seul peut faire connaître ces choses ; il emploie alors le ministère de quelques hommes d’élite, qui, eux‑mêmes, ne les savent que par son enseignement. Le Prophète a dit : « Quant à moi, je ne sais que ce que Dieu m’a enseigné. » Leurs prédictions ont la vérité pour caractère distinctif et essentiel [274], ainsi que le lecteur pourra le recon­naître lorsque nous lui exposerons la nature réelle du prophétisme.
Un signe caractéristique distingue les individus de cette classe : au moment de recevoir la révélation divine, ils se trouvent complè­tement étrangers à tout ce qui les entoure, et ils poussent des gé­missements sourds. On dirait, à les voir, qu’ils sont tombés dans un état de syncope ou d’évanouissement ; et toutefois il n’en est rien ; mais, en réalité, ils sont absorbés dans le royaume spirituel qu’ils viennent de rencontrer. Cela leur arrive par l’effet d’une puissance perceptive qui leur est propre et qui diffère totalement de celle des *166 autres hommes. Bientôt après, cette puissance redescend jusqu’à la perception de choses compréhensibles aux mortels : tantôt c’est le bourdonnement de paroles dont elle parvient à saisir le sens ; tantôt c’est la figure d’une personne qui apporte un message de la part de Dieu. L’extase se passe, mais l’esprit retient le souvenir de ce qui lui a été révélé.
On interrogea [275] le Prophète sur la nature de la révélation divine, et il répondit : « Tantôt elle me vient comme le tintement d’une cloche, ce qui est très fatigant pour moi ; et, lorsqu’elle me quitte, j’ai retenu ce qu’on m’a dit. Tantôt l’ange prend la forme humaine pour me parler, et je retiens ce qu’il dit. » Dans cet état, il éprouvait des souffrances inexprimables et laissait échapper des gémissements sourds. On lit dans les recueils des traditions : « Il (le Prophète) traitait comme une maladie une certaine espèce de douleur qu’il ressentait à la suite des révélations divines [276]. » Aïcha (la femme de p.186 Mohammed) disait : « Une fois, la révélation lui arriva dans un jour excessivement froid et, lorsqu’elle eut cessé, son front fut baigné de sueur. » Le Très‑Haut a dit (Coran, sour. LXXIII, vers. 5) : Nous allons t’adresser une parole accablante [277].
Ce fut à cause de l’état dans lequel se trouvaient les prophètes, quand ils recevaient des révélations divines, que les polythéistes les taxaient de folie, et disaient, « Celui-là a eu une vision » ; ou bien : « Il a auprès de lui un démon familier ». Mais ces mécréants furent trompés par les circonstances extérieures qui accompagnent l’état d’extase, et celui que Dieu veut égarer ne trouve point de guide. (Coran, sour. XIII, vers. 33.)
On reconnaît encore ces personnages favorisés à la conduite ver­tueuse qu’ils avaient tenue avant d’avoir reçu des révélations, à leur vive intelligence et au soin qu’ils avaient mis à ne pas commettre des actes blâmables, et à éviter toute espèce de souillure : c’est là ce qu’on désigne par le terme eïsma [278]On dirait que tout prophète tient de son caractère inné une profonde aversion pour les choses blâ­mables, et une exacte attention à les éviter. On peut même affirmer que ces choses répugnent à la nature des prophètes.
On lit dans le Sahîh [279] que, lors de la reconstruction de la Caaba, Mohammed, étant encore très jeune, s’y trouva avec son oncle, El-­Abbas, et plaça la pierre noire dans son manteau (afin de la trans­porter à l’endroit qu’elle devait occuper) [280]. S’étant ainsi découvert le corps, il tomba en défaillance et ne revint à lui qu’après s’être enve­loppé dans le manteau. Invité à un festin de noce où les divertisse­ments ne manquaient pas, il tomba dans un sommeil profond et ne *167 s’éveilla qu’au lever du soleil ; de sorte qu’il ne prit aucune part à la fête. Il évita cette tentation, grâce à la disposition naturelle qu’il tenait p.187 de Dieu. Dans la suite, il en vint au point de s’abstenir des mets qui pouvaient être désagréables aux autres : jamais il ne touchait aux oignons ni à l’ail, et, quand on lui demandait pourquoi il agissait ainsi, il répondait : « J’ai souvent à m’entretenir avec d’autres per­sonnes que celles à qui vous avez l’habitude de parler [281]. » Voyez les renseignements qu’il donna à sa femme Khadîdja, au moment où il recevait, d’une manière inattendue, sa première révélation. Voulant savoir au juste ce qui se passait, elle lui dit : « Place‑moi entre toi et ton manteau. » Aussitôt qu’il l’eut fait, le porteur de la révélation s’éloigna. « Ah, dit‑elle, ce n’est pas là un démon, mais un ange ! » paroles qui donnaient à entendre que les anges n’approchent pas des femmes. Elle lui dit encore : « Quand l’ange vient te visiter, quel est le vêtement que tu aimes à lui voir porter ? — Il répondit : « L’habit blanc ou l’habit vert. » « C’est donc réellement un ange ! — s’écria‑t‑elle. Par ces mots, elle rappelait l’idée que le vert et le blanc sont les cou­leurs spéciales à tout ce qui est bon et aux anges, tandis que le noir ne convient qu’à ce qui est mauvais et aux démons. Nous pourrions citer encore beaucoup de traits semblables.
Un autre signe qui caractérise les personnages inspirés, c’est leur zèle à recommander aux hommes la prière, l’aumône, la pureté des mœurs et les autres œuvres de la religion et de la piété. Khadîdja, ayant vu le Prophète agir de cette manière, demeura convaincue qu’il était réellement véridique. Il en était de même d’Abou Bekr ; jamais ils n’eurent la pensée, ni lui ni elle, de recourir à d’autres preuves que celles qu’on pouvait tirer de la conduite du Prophète et de son caractère. Nous lisons dans le Sahîh qu’Héraclius, ayant reçu la lettre par laquelle le Prophète l’invitait à embrasser l’islamisme, fit venir Abou Sofyan et tous les autres Coreïchides qui se trouvaient dans sa ville, afin de les interroger au sujet de Mohammed. Il leur p.188 demanda, entre autres choses, ce que [282] ce réformateur leur ordonnait de faire. Abou Sofyan répondit : « Il nous prescrit la prière, l’aumône, la libéralité et la pureté des mœurs. » A la fin de l’interrogatoire, Hé­raclius *168 prononça ces paroles : « Si cela est vrai, Mohammed est réelle­ment un prophète, et il étendra sa domination sur tout ce qui est maintenant placé sous mes pieds. » La pureté de mœurs (eïfaf), à laquelle Héraclius faisait allusion, est le synonyme du mot eïsma (soin d’éviter le péché). Vous voyez que ce prince trouvait que la conduite vertueuse de Mohammed, et le zèle qu’il montra à propager la religion et la piété, suffisaient pour démontrer la réalité de sa mission ; pour y croire il ne demandait pas des miracles. Cela prouve que la vertu et le zèle pour la religion sont des signes auxquels on reconnaît les hommes ayant le don de la prophétie.
La haute considération dont ces personnages jouissaient chez leurs compatriotes est encore une marque qui sert à les distinguer. On lit dans le Sahîh : « Dieu n’a jamais envoyé aux hommes un prophète qui n’eût pas un bon appui dans son peuple, » ou « qui n’eût pas pour lui une multitude de son peuple. »  Cette dernière leçon est fournie par le Hakem [283], dans une correction faite au texte du Sahîh d’El‑Bokhari et de celui de Moslem. Le Sahîh nous apprend que, dans l’interrogatoire d’Abou Sofyan par Héraclius, ce prince lui de­manda : « Quel cas fait‑on de Mohammed chez vous ? — Il jouit d’une haute considération, » répondit Abou Sofyan. — « Ah ! s’écria Héra­clius, les prophètes reçoivent leur mission lorsqu’ils sont entourés de l’estime de leurs compatriotes », c’est‑à‑dire, lorsqu’ils ont un parti assez fort pour les protéger contre la violence des infidèles, et pour les soutenir jusqu’à ce qu’ils aient rempli leur mission et accompli la volonté de Dieu en achevant le triomphe de la religion et du parti qui la professe.
p.189 Un autre signe consiste dans des manifestations surnaturelles qui viennent confirmer la véracité de ces envoyés ; ce sont des actions au‑dessus du pouvoir de l’homme et justement nommées pour cette raison modjiza (choses qui défient la puissance de l’homme). Elles n’appartiennent pas à la catégorie des choses que Dieu a mises au pouvoir de l’homme ; au contraire, elles s’opèrent dans un domaine qui est en dehors de sa puissance.
Il existe une divergence d’opinion au sujet de la manière dont les miracles ont lieu, et de la nature de la preuve qu’ils fournissent en faveur de la véracité des prophètes. Les théologiens dogmatiques [284], s’appuyant sur la doctrine qu’il n’y a qu’un seul agent libre [285], en­seignent qu’ils s’opèrent par la puissance de Dieu, et que le p.190 prophète n’y est pour rien. Selon les Motazélites [286], les actions des hommes sont des effets de leur volonté, mais les miracles restent en dehors *169 de la catégorie des actes humains. Les deux partis [287] s’accordent à reconnaître que le prophète ne fait qu’annoncer (tahaddi) le miracle et l’amener, avec la permission de Dieu.
Voici en quoi consiste le tahaddi [288] : le prophète déclare qu’un mi­racle aura lieu pour démontrer la vérité de sa doctrine ; le miracle s’opère et remplace parfaitement une déclaration verbale, par laquelle Dieu donnerait l’assurance que son envoyé est véridique. Pour cons­tater la vérité, une preuve de cette nature est décisive. Il résulte de ces observations qu’un miracle probant consiste en un événement surnaturel joint à une annonce préalable (tahaddi)Donc l’annonce fait partie du miracle, ou bien, pour adopter l’expression [289] des théolo­giens dogmatiques, elle en est la qualité spécifique et unique, parce qu’elle en est réellement la partie essentielle [290]. C’est l’annonce préa­lable (tahaddi) qui distingue un miracle d’un prodige [291] opéré par un favori de Dieu, ou par un magicien. Ces deux dernières manifestations n’ont pas pour but nécessaire de démontrer la véracité d’un individu ; p.191 et si le tahaddi s’y trouve, cela ne provient que d’un simple hasard. Si l’homme qui a opéré un prodige l’a annoncé d’avance, ce prodige [292] servira tout au plus à constater la sainteté de l’individu, mais il ne prouvera pas qu’il soit prophète. Le maître, Abou Ishac [293] et d’autres docteurs qui ont examiné cette question n’admettent pas que, dans un prodige, il puisse y avoir un fait surnaturel. Par cette restriction ils veulent empêcher qu’un prodige accompagné d’une annonce préa­lable (tahaddi) ne conduise à confondre la qualité de ouéli, ou favori de Dieu, avec celle de prophète.
D’après ce que nous avons exposé, le lecteur comprendra la diffé­rence qui existe entre ces deux classes de manifestations, et recon­naîtra que l’annonce préalable d’un prodige opéré par un favori de Dieu n’a pas le même résultat que l’annonce d’un miracle opéré par un prophète. Donc l’opinion du maître, telle qu’on nous l’a trans­mise, ne saurait être authentique [294]. Peut‑être ce docteur a‑t‑il seule­ment voulu nier que les choses surnaturelles opérées par les favoris de Dieu soient de la même nature que celles qui émanent des pro­phètes, en se fondant sur le principe qu’à chacune de ces deux classes d’hommes est attribuée une catégorie spéciale de faits surnaturels.
Quant aux Motazélites, ils nient la possibilité d’un prodige opéré par un ouéli ; car, disent‑ils, les faits extraordinaires (surnaturels) n’ap­partiennent pas à la catégorie des actes de l’homme, vu que tous p.192 ses actes sont ordinaires (habituels) ; donc l’extraordinaire ne peut pas avoir lieu de sa part.
Il est absurde de croire que quelque chose de ce genre puisse s’opérer par un imposteur dans le but de tromper le monde. Selon les Acharites [295], l’essentiel d’un miracle c’est de servir à confirmer la véracité d’un prophète, et à diriger les hommes. Si un miracle arrivait qui n’aurait pas ce caractère, la preuve qu’il devait fournir serait incertaine, et la bonne direction serait faussée. Quant à moi, je dirais, en ce cas, que la confirmation de la véracité du prophète *170 serait mensongère, que toutes les vérités reconnues seraient des faus­setés et que les attributs de l’âme seraient renversés. Mais on ne saurait admettre la possibilité d’un fait qui conduirait infaillible­ment à un résultat absurde. Les Motazélites disent que la preuve fournie par un tel miracle serait illusoire, que cette manifestation, au lieu de servir de direction, ne servirait qu’à jeter les hommes dans un égarement déplorable, et qu’une pareille démonstration ne serait pas de Dieu.
Les philosophes [296] enseignent que les faits surnaturels se produisent par l’acte du prophète, quand même ils seraient en dehors du do­maine de la puissance (divine). Ils fondent cette opinion sur le prin­cipe de l’obligation essentielle (par laquelle Dieu est tenu à observer ses propres lois). Les événements, disent‑ils, procèdent les uns des autres. conformément à des conditions invariables et par une suite de causes secondaires qui se rattachent finalement à l’être nécessaire par son essence, agissant par son essence et non pas par sa volonté [297]. Ils enseignent que l’âme douée de la faculté prophétique a des qua­lités qui lui sont spéciales ; c’est ainsi que la production des p.193 événements surnaturels a lieu par le pouvoir du prophète lui-même, et que les éléments lui obéissent pour servir à la formation des êtres. Le prophète, selon eux, a été formé avec la faculté de pouvoir agir sur les diverses catégories d’êtres, toutes les fois qu’il se tourne vers eux et qu’il veut les combiner. Il tient cette faculté de Dieu. Le prophète, disent‑ils, peut faire arriver un événement surnaturel, sans qu’il l’ait annoncé préalablement (tahaddi)et alors même cette manifestation est un témoignage qui constate la véracité de ses paroles, en ce qu’elle démontre qu’il avait le pouvoir d’agir sur les diverses classes de choses existantes ; faculté qui, selon eux, est le caractère distinctif de l’âme douée du pouvoir prophétique. Ils n’admettent pourtant pas que le miracle, en ce cas, ait autant de valeur pour constater la véracité (d’un prophète) qu’un miracle annoncé d’avance, car celui-ci est équi­valent à) une déclaration expresse de Dieu ; donc la preuve fournie par un tel miracle n’est pas décisive, cette opinion contredit celle des théologiens dogmatiques. Ils enseignent aussi que l’annonce préalable ne fait pas partie du miracle, et qu’elle ne peut pas servir à le distin­guer d’un effet de magie ou d’un prodige opéré par un ouéli. Pour dis­tinguer un miracle d’un acte de magie, disent‑ils, on se rappellera que Dieu a formé les prophètes pour faire de bonnes actions et pour éviter les mauvaises ; donc les faits surnaturels produits par un prophète ne peuvent pas amener [298] le mal. Avec le magicien, c’est le contraire ; tout ce qu’il fait est nuisible ou tend à nuire. Pour distinguer un miracle d’un prodige opéré par un ouéli, ils enseignent que les actes surnaturels *171 d’un prophète ont un caractère tout particulier, comme, par exemple, de monter au ciel, de passer à travers les corps solides, de rendre la vie aux morts, de s’entretenir avec les anges, de voler dans les airs. Le ouéli, ou favori de Dieu, opère aussi des choses extraordinaires, mais d’un caractère inférieur ; il peut faire beaucoup de peu, prédire certains événements, et cætera ; actes qui restent au‑dessous de ce que la puissance d’un prophète peut effectuer. Le prophète a le p.194 pouvoir d’opérer les mêmes prodiges que les favoris de Dieu, mais ceux-ci ne sauraient faire des miracles comme les prophètes. C’est là un principe que les Soufis ont consigné dans les traités consacrés à leur doctrine et qu’ils ont appris dans leurs états d’extase [299].
Après avoir reproduit ces opinions, nous dirons au lecteur : Sachez bien que le miracle le plus grand, le plus éclatant, le plus péremp­toire, c’est le noble Coran, que notre prophète a reçu du ciel. En effet, la plupart des manifestations surnaturelles n’arrivent pas simul­tanément avec les révélations dont les prophètes reçoivent commu­nication ; pour qu’elles témoignent de la vérité d’une révélation, il est évident qu’elles ne doivent se présenter qu’après ; or le Coran est, non seulement une révélation, ainsi que le Prophète l’a allégué, mais aussi un miracle tout à fait extraordinaire. Ce livre porte en lui-même la preuve de son inspiration et n’a aucun besoin d’une preuve extrinsèque telle que les miracles venant à l’appui d’une ré­vélation divine. Il est lui-même la preuve la plus claire, étant à la fois la preuve et la chose prouvée. Telle est l’idée que le Prophète a exprimée dans ces termes : « Chaque prophète a reçu des signes manifestes qui inspirent [300] la conviction aux hommes ; mais ce que j’ai reçu, moi, c’est une révélation. Aussi j’espère qu’au jour de la résurrection j’aurai une suite plus nombreuse qu’aucun autre pro­phète. » Par ces mots il donnait à entendre qu’un miracle aussi évi­dent, aussi convaincant que le Coran, livre qui, par sa nature, est la révélation même, devait porter la conviction dans beaucoup d’esprits, en sorte que le nombre des croyants et des fidèles deviendrait très ­grand ; voilà ce qu’il a voulu désigner par le mot suite ou peuple. Du reste, le Très‑Haut en sait plus que nous.
*172 [Ces [301] observations démontrent que, de tous les livres divins, le Coran est le seul dont le texte, paroles et phrases, ait été p.195 communiqué à un prophète par la voie de l’audition. Il en est autrement à l’é­gard du Pentateuque, de l’Évangile et des autres livres divins : les prophètes les reçurent par la voie de la révélation et sous la forme d’idées. Revenus ensuite de leur état d’extase et rentrés dans l’état normal de l’humanité, ils revêtirent ces idées de leurs propres paroles. Aussi le style de leurs écrits n’offre‑t‑il rien de miraculeux. C’est au Coran seul qu’appartient ce caractère. De même que les autres prophètes reçurent leurs livres sous la forme d’idées, le nôtre reçut sous la même forme un grand nombre de communications qui se trou­vent dans les recueils de traditions. Que le texte du Coran lui soit venu par la voie de l’audition, cela est prouvé par cette parole qu’il rapporte dans les mots mêmes de son Seigneur : « N’agite pas ta langue avec trop d’empressement (afin de répéter les paroles divines) ; c’est à nous de les rassembler et de les lire. » (Coran, sour. LXXV, vers. 16, 17.) Ces versets lui furent communiqués à cause de son empressement à répéter les passages du Coran qu’il venait d’enten­dre et de sa crainte de les oublier ; il s’efforçait de fixer et de garder (hafedh) dans sa mémoire les communications divines qu’il recevait par la voie de l’audition, mais Dieu lui épargna cette peine en lui adressant ces paroles : « C’est nous qui avons fait descendre le mé­morial (le Coran) et c’est nous qui en serons les gardiens. » (Coran, sour. XV, vers. 9.) Cela indique parfaitement la nature de la garde (ou conservation) dont le Coran jouit d’une manière spéciale ; elle diffère tout à fait de l’action de garder dans la mémoire, bien que cela ne soit pas l’opinion généralement reçue. Dans le Coran, un grand nombre de versets témoignent que ce livre fut communiqué au Prophète sous la forme d’une lecture (coran) faite à haute voix, et dont chaque sourate était un miracle (de style) qui surpassait le pouvoir des hommes. Parmi les miracles les plus grands qui distin­guent notre prophète, on doit compter le Coran et la facilité avec laquelle il rallia tous les Arabes à sa cause. On aurait vainement dépensé tous les trésors du monde afin de mettre d’accord les diverses tribus arabes ; Dieu seul pouvait le faire et il l’accomplit. Que le lecteur p.196 fasse attention à ces remarques, il reconnaîtra, dans ce que nous *173 venons d’indiquer, une preuve évidente de la supériorité de notre prophète sur tous les autres et de la prééminence du rang qu’il occupe parmi eux.]
Maintenant nous allons exposer la véritable nature du prophé­tisme, en nous conformant aux indications fournies par les docteurs les plus exacts [302]. Nous expliquerons ensuite la nature de la divination et des songes, puis nous traiterons de ce qui concerne les arraf (les sachants) [303], et d’autres matières qui appartiennent au domaine du monde invisible. En commençant ce discours, nous prions Dieu de nous diriger ainsi que nos lecteurs.
Si nous contemplons ce monde et les créatures qu’il renferme, nous y reconnaîtrons une ordonnance parfaite, un système régulier, une liaison de causes et d’effets, la connexion qui existe entre les diverses catégories d’êtres et la transformation de certains êtres en d’autres : c’est une suite de merveilles qui n’a pas de fin et dont on ne saurait indiquer les limites.
Nous commencerons par le monde sensible et matériel, et nous parlerons d’abord du monde visible, celui des éléments. Les élé­ments s’élèvent graduellement de l’état de terre à celui d’eau, puis, à celui d’air, puis à celui de feu, se rattachant ainsi les uns aux autres. Chacun d’eux a une disposition à se transformer en l’élément qui lui est immédiatement supérieur ou inférieur, et quelquefois ce changement a effectivement lieu. L’élément supérieur est plus délié que celui qui se trouve immédiatement au‑dessous de lui ; le plus léger a pour limite le monde des sphères. L’union des sphères entre elles forme une gradation dont la beauté nous échappe ; mais les mouvements que l’on y remarque ont conduit les hommes à p.197 découvrir l’étendue et la position de chaque sphère, et à reconnaître qu’au delà il existe des êtres (littéral. « des essences ») qui exercent sur les sphères ces influences dont on s’aperçoit. Regardons ensuite le monde sublunaire [304] : nous verrons qu’il renferme, dans une grada­tion admirable, les minéraux d’abord, ensuite les plantes, puis les animaux. La catégorie des minéraux touche, par une de ses extrémi­tés, au commencement de la catégorie des plantes, où se trouvent les mauvaises herbes et les végétaux qui ne portent pas semence. *174 L’extrémité de la catégorie des plantes qui renferme le dattier et la vigne est en contact avec la catégorie des animaux où se tiennent les limaçons et les coquillages, êtres qui ne possèdent qu’un seul sens, celui du toucher. En parlant des diverses catégories d’êtres, le mot contact [305] s’emploie pour indiquer que la limite extrême de chaque classe est très disposée à se confondre avec la limite extrême de la classe voisine. Le monde animal est très étendu et se compose d’un grand nombre d’espèces. Dans la gradation des créatures, il a pour dernier terme [306] l’homme, être doué de réflexion et de prévoyance. Occupant cette position, l’homme se trouve placé au‑dessus de la ca­tégorie des singes, animaux qui réunissent l’adresse à l’intelligence, mais qui, dans le fait, ne s’élèvent ni à la prévoyance ni à la réflexion. Ces facultés ne se rencontrent qu’au commencement de la catégorie suivante, qui est celle de l’homme. Ce que nous sommes capables d’apercevoir s’arrête à cette limite.
Dans les diverses [307] catégories d’êtres nous remarquons une variété d’effets (produits par des influences extérieures). Le monde sensible subit l’influence du mouvement des sphères et celle des éléments. Le monde sublunaire est influencé par le mouvement de la croissance et de la maturation. Tous ces phénomènes indiquent l’existence d’un agent [308] dont la nature diffère de celle des corps et qui est, par p.198 conséquent, un agent spirituel. Cet agent est en contact avec tous les êtres de ce monde, parce qu’ils forment des catégories dont les unes sont en contact avec les autres. On rappelle l’âme perceptive, source du mouvement [309]. Au‑dessus d’elle doit nécessairement se trouver un être avec lequel elle est en contact et qui lui communique les facultés de la perception et du mouvement. Cet être supérieur a pour qualités essentielles la perception pure, l’intelligence sans mélange. C’est là le monde des anges. De là résulte nécessairement qu’il y a dans l’âme [310] (de l’homme) une prédisposition à se dépouiller de la nature hu­maine pour se revêtir de la nature angélique, afin de se trouver réellement dans la catégorie des anges, Cela arrive quelquefois, pen­dant l’espace d’un clin d’œil, mais l’âme doit d’abord avoir donné une perfection réelle à son essence spirituelle. Nous reviendrons sur ce *175 sujet. L’âme est en contact avec les catégories qui avoisinent la sienne, ainsi que cela arrive aux êtres disposés par classes. Pour elle, cet état de contact a deux côtés, l’un supérieur, l’autre inférieur. Par celui-ci elle touche au corps, par l’entremise duquel elle acquiert les perceptions recueillies par les sens, et qui la dispose à détenir une intelligence en acte. Par le côté supérieur elle touche à la caté­gorie des anges et obtient ainsi les connaissances fournies par la science (divine) et celles du monde invisible. En effet, la connaissance des événements existe dans les intelligences angéliques [311] en dehors du temps. Tout cela s’accorde avec l’idée que nous avons déjà exprimée au sujet de l’ordre régulier qui règne dans l’univers, ordre qui s’est établi par le contact mutuel des êtres au moyen de leurs natures et de leurs facultés.
L’âme humaine, celle dont nous venons de parler, est invisible, mais ses influences se montrent d’une manière évidente dans le corps. On peut dire que le corps et ses parties, combinées ou isolées, sont des instruments à l’usage de l’âme et de ses facultés. Comme parties p.199 agissantes on peut indiquer la main, qui sert à saisir ; les pieds, qui servent à marcher ; la langue, qui sert à parler, et le corps, qui sert à opérer le mouvement général par des efforts alternatifs. De même que les facultés de l’âme perceptive sont disposées dans un ordre régulier et s’élèvent jusqu’à la faculté supérieure, c’est‑à‑dire jus­qu’à l’âme réfléchissante, nominée aussi l’âme parlante [312], de même les facultés du sens extérieur, dont les instruments sont la vue, l’audition, et cætera, s’élèvent jusqu’au niveau du (sens) intérieur.
La sensibilité [313], première faculté (de l’intérieur) aperçoit les impres­sions ressenties par la vue, l’ouïe, le tact, et cætera. Ces perceptions lui arrivent simultanément, sans produire la moindre confusion, ce qui la distingue complètement des sens externes [314]. Elle transmet ces impressions à l’imagination, puissance qui reproduit dans l’âme, et *176 avec exactitude, les formes des objets aperçus par les sens, formes dépouillées de la matière extrinsèque. L’instrument qui sert aux opérations de ces deux puissances (ou facultés) est le ventricule du cerveau, qui occupe le devant de la tête ; la partie antérieure appar­tient à la sensation, et la partie postérieure à l’imagination [315]. L’ima­gination s’élève ensuite jusqu’au niveau de la faculté qui sert à former des opinions [316] et au niveau de la faculté retentive (la mémoire). La faculté d’opinion sert à saisir les notions attachées aux individualités, comme, par exemple, l’hostilité de Zeid, la franchise d’Amr, la tendresse du père, la voracité du loup. La mémoire sert à contenir toutes les p.200 perceptions qui lui arrivent par l’imagination ou d’autre part ; elle est, pour ainsi dire, un magasin qui les conserve jusqu’au moment où l’on a besoin de les retrouver. L’instrument au moyen duquel ces deux facultés opèrent est le ventricule postérieur du cerveau ; la partie du devant sert à la première [317], et la partie qui est en arrière sert à la seconde. Toutes ces facultés s’élèvent ensuite jusqu’au niveau de la faculté réflective, qui a pour instrument le ventricule central du cer­veau. De cette faculté proviennent le mouvement de la méditation et la tendance de l’âme à devenir intellect pur. Cela tient l’âme dans une agitation continuelle, état qu’elle recherche d’ailleurs par inclination, afin d’échapper à la force qui la retient (dans le monde sensible) et à la disposition qui la lie à la nature humaine. Elle aspire à devenir une intelligence pure afin de s’assimiler à la Compagnie sublime spirituelle [318] et de se placer dans le rang inférieur des êtres spirituels par la faculté d’acquérir des perceptions sans l’entremise des instru­ments corporels. C’est là que tendent tous ses mouvements, tous ses désirs. Une fois dépouillée de la nature humaine qui l’enveloppait, elle passe, au moyen de sa spiritualité, dans la sphère supérieure, celle des anges. Elle y arrive, non pas à cause de ses droits acquis, mais parce que Dieu, en la créant, lui avait donné une tendance na­turelle à y parvenir.
Si l’on envisage les âmes humaines sous ce point de vue, on recon­naît qu’elles peuvent se partager en trois classes. La première est, *177 par sa nature, trop faible pour atteindre à la perception spirituelle ; elle p.201 se contente de s’agiter jusqu à ce qu’elle en arrive à la limite infé­rieure, aux perceptions qui se trouvent dans le domaine des sens et de l’imagination. Elle peut même combiner, d’après un système de règles assez restreint et dans un arrangement particulier [319], les notions réelles (propositions) qu’elle tire de l’opinion [320] et de la mémoire. Par cette opération, elle acquiert des concepts et des notions affirmées [321], seules connaissances que la réflexion peut fournir, tant que cette faculté reste dans les limites du corps. Toutes ces connaissances appartiennent à la puissance imaginative et restent dans des bornes très étroites. En effet, l’âme (chez les gens de cette classe) peut s’é­lever de son point de départ jusqu’au commencement de la catégo­rie supérieure, mais elle n’a pas la force de franchir cette limite. Si, avec cela, ses efforts sont mal dirigés, elle n’accomplit rien qui vaille. Voilà le terme auquel la perception humaine peut générale­ment atteindre, tant qu’elle subit l’influence du corps ; c’est là que les savants s’arrêtent, sans pouvoir aller plus loin.
Les âmes de la seconde classe se laissent porter par le mouvement réfléchissant et par une disposition naturelle vers l’intellect spirituel et vers les perceptions qu’on peut acquérir sans avoir besoin de l’instrumentalité du corps. Pour ces âmes, le champ de la percep­tion s’étend bien au delà du commencement (du monde spirituel), point où s’arrête la puissance perceptive des âmes appartenant à la classe précédente. Parvenues dans cette région, elles parcourent le champ de la contemplation intérieure, où tout est une extase, dont le commencement et la fin sont simultanés. C’est jusque‑là que s’étend p.202 la puissance perceptive des favoris de Dieu (ouéli), de ces gens à qui Dieu a donné la science infuse [322] et les connaissances divines. Les personnes prédestinées au bonheur éternel jouissent de cette percep­tion tant qu’elles restent dans les limbes [323].
Les âmes de la troisième classe sont créées avec la faculté de pou­voir se dégager tout à fait de la nature humaine, de sa corporéité et de sa spiritualité, afin de s’élever jusqu’à la nature angélique de la sphère supérieure, où elles deviennent effectivement anges, mais seulement pendant un clin d’œil. En ce moment, elles aperçoivent la Compagnie sublime (les anges) dans la sphère qui les renferme, et elles entendent, pendant ce court instant, les paroles de l’âme (univer­selle) [324] *178 et la voix de la divinité. Telles sont les âmes des prophètes, auxquels Dieu a départi la faculté de se délivrer de la nature humaine pendant un instant de temps. C’est dans cet état qu’ils reçoivent la révélation, Dieu les ayant créés avec un naturel qui les y prédispose. Afin qu’ils puissent se dégager des obstacles et des empêchements dont le corps les entoure, tant qu’ils restent dans la condition hu­maine, Dieu a établi dans leur nature une pureté de mœurs, un sentiment de droiture qui les porte vers la spiritualité ; il a im­planté dans leur caractère un esprit de piété qui les retient toujours dans cette voie et les conduit au but de leurs désirs. Par ce genre d’affranchissement (qui délivre l’âme des influences du corps), ces hommes se dirigent à volonté vers le monde spirituel, faveur qu’ils doivent, non pas à leurs mérites acquis ni à des moyens artificiels, mais au caractère inné qu’ils tiennent de leur créateur. En se p.203 dépouillant des langes de l’humanité, ils vont trouver la Compagnie sublime et en recevoir des communications. Chargés de ce dépôt, ils retournent vers le domaine de la nature humaine, et le rapportent, comme une révélation venue d’en haut, au milieu des influences mondaines, afin de le communiquer aux hommes [325]. La révélation arrive, tantôt comme le bourdonnement d’un discours confus ; le prophète en saisit les idées et, à peine a‑t‑il cessé d’entendre le bourdonnement, qu’il a su par cœur et compris le message ; tantôt l’ange qui lui communique la révélation paraît sous la forme d’un homme afin de lui parler ; et ce qu’il dit, le prophète le retient par cœur. La communication faite par l’ange, le retour du prophète dans le domaine de l’humanité et son acte de comprendre ce qui lui a été révélé, tout cela se passe dans un seul instant de temps, instant plus court qu’un clin d’œil. En effet ces événements arrivent en dehors du temps et simultanément ; aussi les révélations paraissent se faire très vite, et voilà pourquoi on les a désignées par le mot de ouahi, qui, en langue arabe, signifie se hâter.
Faisons observer que la première manière de communiquer un message divin, celle qui consiste en un bourdonnement, n’est em­ployée qu’envers les personnes qui tiennent le rang de prophète *179 sans avoir à remplir les fonctions d’apôtre. C’est là un principe que l’on regarde comme bien établi. La seconde manière, celle où un ange se présente sous la forme d’un homme qui parle, convient au grade de ceux qui sont en même temps prophètes et apôtres ; elle est donc plus parfaite que la première. L’idée que nous exprimons ici se retrouve dans le récit par lequel notre prophète donna des explica­tions à El-Hareth Ibn Hicham. Celui-ci ayant demandé comment la révélation lui arrivait, Mohammed répondit : « Elle me vient tantôt comme le bourdonnement d’une cloche, ce qui me fatigue beaucoup, et, lorsqu’elle me quitte, j’ai retenu ce qu’on m’a dit. Tantôt l’ange prend la figure d’un homme pour me parler, et je retiens ce qu’il p.204 dit. » La première manière lui paraissait très fatigante, parce que, dans ce contact avec le monde spirituel, c’était pour la première fois que la puissance, chez lui, passa à l’acte. Donc il éprouva un certain degré d’oppression, et, pour cette raison, lorsqu’il fut rentré dans le domaine de l’humanité, il ne reçut plus les communications divines excepté par la voie de l’audition. De l’autre manière, il aurait éprouvé de trop grandes souffrances. Quand on a reçu des révéla­tions plusieurs fois, on supporte plus facilement le contact du monde spirituel ; rentré ensuite dans le domaine de la nature humaine, on se rappelle toutes ces communications, et surtout la portion la plus claire, c’est‑à‑dire les choses qu’on a vues.
Dans l’explication donnée par le Prophète, on a remarqué une grande finesse d’expression : il emploie d’abord [326] le verbe retenir [327] en lui donnant la forme du prétérit ; puis il le répète sous la forme du présent. Voulant figurer au moyen de la parole les deux manières par lesquelles les révélations lui arrivaient, il en assimile la première à un bourdonnement, ce qui est bien différent d’un discours, comme chacun le sait ; puis il ajoute que l’acte de comprendre la révélation et de la confier à sa mémoire se faisait après que ce bruit avait cessé. Pour indiquer que la cessation était arrivée, il emploie le prétérit du verbe, et avec raison, vu que cette forme convient à ce qui est passé et fini. En décrivant la seconde manière, il nous représente l’ange sous la forme d’un homme qui parle, et il nous dit qu’à mesure qu’il entend ce discours il l’apprend par cœur. Ici l’emploi du présent con­vient *180 parfaitement bien, parce que cette forme du verbe indique que l’action peut continuer.
De quelque façon qu’un prophète reçoive une révélation, il éprouve un sentiment d’oppression et de souffrance, fait que Dieu lui-même a indiqué par ces mots du Coran (sourate LXXIIIverset 5) : « Nous allons t’adresser une parole accablante. » Aïcha rapporte qu’une fa­tigue extrême était une des souffrances que Mohammed éprouvait en p.205 recevant une révélation. Elle a dit aussi : « Une révélation descendit sur lui un jour qu’il faisait très froid, et, lorsqu’elle eut cessé, son front fut baigné de sueur. » C’est à la même cause qu’il faut attri­buer ce que nous savons de l’absence d’esprit qu’on remarquait en lui et des gémissements qu’il poussait pendant qu’il était dans cet état. Pour expliquer ces phénomènes, il faut se rappeler le principe que nous venons d’établir, savoir, que la révélation se fait de la manière suivante : l’âme du prophète se détache de la nature humaine pour s’élever jusqu’au domaine angélique, où elle entend la parole de l’âme (universelle) ; or un sentiment de douleur doit avoir lieu toutes les fois qu’une essence quitte son état essentiel et s’en dépouille, afin de pouvoir sortir de sa sphère et s’élever jusqu’à une autre. Voilà ce que signifie l’étouffement dont parlait Mohammed en dé­crivant la première époque de la révélation. « Il m’étouffa, disait‑il, au point que je fus excédé de douleur ; puis, il me lâcha en di­sant : Lis. » Je répondis : « Je ne sais pas lire. » Et ceci eut lieu encore deux fois, ainsi que nous le savons par la tradition. En subissant une oppression à plusieurs reprises, on s’y habitue graduel­lement, de sorte que la douleur paraît légère, en comparaison de celle qu’on éprouvait d’abord. Voilà pourquoi les passages du Co­ran, sourates et versets, qui furent révélés au Prophète pendant qu’il était à la Mecque sont plus courts que ceux qu’il reçut ensuite à Médine.
Voyez, par exemple, ce qu’on raconte au sujet de la manière dont la sourate de la Renonciation (la IXe) fut révélée, pendant l’expédi­tion de Tebouk [328]. Il la reçut, en totalité ou en grande partie, pen­dant qu’il voyageait, monté sur sa chamelle, après avoir quitté la Mecque. Auparavant, il n’avait eu communication que de certaines sourates courtes, comprises maintenant dans le Mofassel [329] et qui lui venaient, un morceau d’abord, et la suite plus tard. Le verset de p.206 *181 la Religion [330], dont la longueur est assez considérable, fut le dernier qu’il reçut à Médine. Avant cette époque, il avait reçu à la Mecque les versets [331] (très courts) qui composent les sourates intitulées : le Misé­ricordieux (LVe), les Éparpillantes (LIe), l’Enveloppé (LXXIVe), la Mati­née (XCIIIe), le Sang coagulé (XCVIe)etc. Dans ce fait, on trouve un moyen de distinguer les sourates et versets révélés à la Mecque de ceux qui furent révélés à Médine. C’est Dieu qui dirige vers la vé­rité. Voilà le sommaire de ce qui concerne le prophétisme.
Passons à la divination. Cette faculté appartient aussi à l’âme hu­maine. En effet, tout ce que nous venons d’exposer fait comprendre que l’âme humaine est portée, par une disposition naturelle, à se dégager de l’humanité, afin de pouvoir se transporter dans un état supérieur, celui de la spiritualité. C’est ainsi que les hommes de la classe des prophètes ont une disposition innée qui leur permet de jeter un regard momentané sur le monde spirituel. Nous avons dit que cela ne leur arrive pas à cause des mérites qu’ils auraient pu acquérir, et qu’ils ne le doivent ni aux perceptions des sens, ni aux efforts de l’imagination, ni aux actes matériels, soit paroles, soit mouvements, ni à aucun autre moyen. C’est uniquement l’opération de l’âme, qui, par suite d’une disposition innée, se dépouille de la nature humaine pour se revêtir de celle des anges, et cela pendant un instant plus court qu’un clin d’œil. Puisqu’il en est ainsi, et que cette disposition appartient réellement à l’humanité, on doit ad­mettre, en faisant une distinction rationnelle, qu’il existe dans le monde une autre classe d’hommes dont le rang, comparé avec ce­lui des prophètes, est comme l’imperfection mise en regard de son opposé, la perfection. En effet, ne pas employer des moyens pour atteindre la perception (du monde spirituel) est tout à fait l’opposé de l’emploi de moyens pour y parvenir. Entre ces deux cas il y a une grande différence. Donc, par la distinction des êtres en catégories, nous apprenons que ce monde renferme une classe d’hommes p.207 tellement organisés par la nature [332], que leur puissance intellectuelle se laisse agiter par la faculté de la pensée et par un effet de la volonté, toutes les fois que cette puissance est excitée par le désir de pénétrer dans le monde spirituel. Mais, comme elle est par sa nature trop faible pour y parvenir, et que cette faiblesse est un obstacle à son *182 progrès, elle s’attache, par une impulsion naturelle, aux moyens secondaires, dont les uns appartiennent au domaine des sens et les autres à celui de l’imagination. Parmi ces moyens nous remarquons les corps diaphanes, les os d’animaux, les discours cadencés [333], les au­gures fournis par les oiseaux ou par les quadrupèdes. Ici, la faculté sensitive ou celle de l’imagination s’emploie avec persistance [334], afin de dégager l’âme de la nature humaine. Pour atteindre ce but, l’âme prend pour guides, soit les sens, soit l’imagination. La puissance qui, chez cette classe d’hommes, mène au premier degré de la perception qu’ils cherchent à obtenir, s’appelle divination. Or, chez ces hommes, l’âme est placée, par sa nature, dans un degré d’infériorité qui ne lui permet pas d’atteindre la perfection ; elle comprend moins facilement les universaux que les particuliers ; aussi s’attache‑t‑elle [335] à ceux‑ci plutôt qu’aux premiers. Pour cette raison, la puissance imaginative existe chez elle dans toute sa force [336]. C’est l’instrument qui agit sur les (idées) particulières et les transperce de part en part, soit pen­dant le sommeil, soit pendant la veille. Si (les particuliers) se trou­vent prêts et présents (dans l’âme), l’imagination en reproduit les formes et sert de miroir dans lequel (l’âme) ne cesse de regarder.
Le devin ne peut pas atteindre d’une manière complète à la per­ception des choses intellectuelles, car la révélation qu’il reçoit vient des démons. Pour arriver au plus haut degré d’inspiration dont il est p.208 capable, il doit avoir recours à l’emploi de certaines phrases qui se distinguent par une cadence et un parallélisme particuliers. Il essaye ce moyen afin de soustraire son âme aux influences des sens et de lui donner assez de forces pour se mettre dans un contact imparfait (avec le monde spirituel). Cette agitation (d’esprit), jointe à l’emploi des moyens extrinsèques dont nous avons parlé, excite dans son cœur (des idées) que cet organe exprime par le ministère de la langue. Les pa­roles qu’il prononce alors sont tantôt vraies, tantôt fausses. En effet, le devin, voulant suppléer à l’imperfection de son naturel, se sert de moyens tout à fait étrangers à sa faculté perceptive et qui ne s’ac­cordent en aucune façon avec elle. Donc la vérité et l’erreur se présentent à lui en même temps ; aussi ne doit‑on mettre aucune confiance en ses paroles. Quelquefois même il a recours à des sup­positions et à des conjectures dans l’espoir de rencontrer la vérité et *183 de tromper ceux qui l’interrogent.
C’est aux gens qui (pour s’exciter l’esprit) emploient des sedjâ [337] qu’appartient spécialement le titre de devin, car ils occupent le rang le plus élevé parmi les hommes de cette classe. Le Prophète a dit, au sujet d’un chant de ce genre, « Voilà un sedjâ de devin » ; indiquant ainsi, par la détermination du génitif, que l’emploi des sedjâ est particulier aux devins. Lorsqu’il interrogea Ibn Saiyad [338] afin de con­naître la nature de l’inspiration qui venait à cet homme, il lui dit : « Comment cela vous arrive‑t‑il ? » L’autre répondit : « Il me vient un être véridique et un être menteur. » — Alors, lui répliqua le Pro­phète, ce que vous recevez est bien embrouillé ! » Par ces paroles il donnait à entendre que le prophétisme avait la vérité pour ca­ractère distinctif et que la fausseté ne pouvait y entrer en aucune manière. En effet, le prophétisme consiste dans le contact de l’esprit [339] du prophète avec la Compagnie sublime, sans avoir eu un guide p.209 pour le conduire et sans avoir employé aucun moyen extrinsèque. Or, puisque celui qui exerce la divination est obligé, par son inca­pacité naturelle, à employer des moyens extrinsèques fournis par l’imagination, et que ces moyens influent sur [340] sa faculté perceptive et se mêlent [341] même aux perceptions qu’il veut atteindre, il reçoit de ce côté‑là des impressions tout à fait fausses. On ne saurait donc prendre cela pour du prophétisme.
Nous avons dit que le degré le plus élevé de la divination s’atteint par l’emploi de phrases cadencées, le plus actif de tous les moyens que la vue et l’ouïe puissent fournir, moyen dont la simplicité indique la grande facilité avec laquelle l’esprit peut se mettre en contact avec le monde spirituel, y recueillir des perceptions et sortir, en quelque degré, de son impuissance (naturelle).
On a prétendu que la faculté de la divination n’existe plus depuis la mission du Prophète, ayant été interrompue, un peu auparavant, par l’effet des étoiles filantes que les anges lancèrent contre les dé­mons pour les empêcher d’apprendre ce qui se passait dans le ciel [342], ainsi qu’il en est fait mention dans le Coran (sourate XV, verset 18). Or (disent‑ils), puisque les nouvelles du ciel ne peuvent arriver à la connaissance des devins que par l’entremise des démons, la faculté de la divination a cessé depuis cette époque. Ce raisonnement n’est *184 pas concluant : les devins tiennent leurs connaissances, non seulement des démons, mais d’eux‑mêmes, ainsi que nous l’avons dit. Nous ajouterons que ce verset du Coran indique seulement qu’on empêcha les démons d’apprendre une seule d’entre les nouvelles célestes, sa­voir, ce qui concernait la mission du Prophète ; quant au reste, rien n’empêchait ces esprits de le recueillir. D’ailleurs la faculté divina­toire, bien qu’elle ait été suspendue peu de temps avant la mission, a pu reprendre ensuite la même activité qu’auparavant. Cela est d’autant plus probable que tous les moyens d’acquérir des percep­tions (du monde spirituel) perdent leur force pendant la durée de p.210 chaque mission prophétique ; ils s’effacent alors de même que les étoiles et les flambeaux perdent leur lumière en présence du soleil. En effet le prophétisme est le grand luminaire devant lequel les autres luminaires se cachent ou disparaissent.
Quelques philosophes ont enseigné, relativement à la faculté divi­natoire, qu’elle existait réellement avant la mission du Prophète et qu’elle cessa lors de cet événement. Selon eux, le même fait s’était reproduit chaque fois qu’un prophète avait paru dans le monde. La manifestation du prophétisme, disent‑ils, doit être nécessairement précédée d’une position des astres [343] qui amène cet événement. Chaque fois que la position est parfaite, la faculté prophétique dont elle an­nonce la prochaine manifestation doit être parfaite. Si, dans la po­sition (des astres), il y a de l’imperfection, le même défaut doit se retrouver dans la nature de la faculté qui résulte de cette position. D’après ce que nous avons dit on reconnaît qu’il s’agit ici des devins. Or, ajoutent‑ils, avant qu’une position parfaite ait lieu, une position imparfaite doit se représenter, et cela a pour résultat l’apparition d’un ou de plusieurs devins. La position parfaite amène un prophète qui est parfait. Si les positions qui indiquent les faits de cette nature cessent d’avoir lieu, aucun de ces résultats n’arrivera plus. Cela est basé sur le principe qu’une position imparfaite (des astres) exerce une influence imparfaite ; mais c’est là une théorie qui n’est pas gé­néralement admise. Il est possible que la position (parfaite des astres) n’exerce son influence que dans des cas exceptionnels [344], et que leur *185 position imparfaite n’amène aucun résultat, n’exerce pas [345] même une influence imparfaite, malgré ce que disent ces philosophes.
(J’ajoute, pour ma part, que) tous les devins contemporains d’un prophète savaient bien que sa parole était la vérité ; ils compre­naient la portée démonstrative de ses miracles, car ils participaient, p.211 dans un certain degré, à la nature prophétique, de même que tous les hommes participent (à la faculté d’obtenir des révélations) par la voie des songes. Mais, sous ce rapport, les perceptions intellectuelles sont plus vives chez les devins. Quand ceux‑ci n’avouaient pas que le prophète était véridique et qu’ils se laissaient entraîner [346] à le démentir, ils ne faisaient qu’obéir aux suggestions de l’amour‑propre, qui les portait à croire que cette faculté aurait dû leur appartenir. Ils tom­baient ainsi dans l’obstination, comme le fit Omaïya Ibn Abi ’s‑Salt, qui espérait devenir prophète. Il en fut de même d’Ibn Saiyad, de Moceïlema [347], et d’autres. Mais, lorsque le triomphe de la vraie foi eut mis un terme à ces vains souhaits, les devins se rallièrent franche­ment à la religion. C’est ce qui arriva à Toleïha ’l-Acedi [348] et à Careb Ibn el‑Asoued [349]. La sincérité de leur conversion est attestée par la bravoure dont ils firent preuve lors des premières conquêtes de l’is­lamisme.
Passons à la vision spirituelle [350]. C’est [351] l’acte par lequel l’âme raisonnable aperçoit, dans son essence spirituelle, et pour un seul instant de temps, les formes des événements. L’âme, étant spirituelle par sa nature, doit contenir ces formes en acte, ainsi que cela a lieu pour toutes les essences spirituelles. Pour atteindre la spiritua­lité, l’âme doit se dépouiller de la matière et se dégager des perceptions recueillies par le corps. Cela lui arrive pendant un court instant et par le moyen du sommeil, ainsi que nous l’expliquerons plus loin. Ayant alors recueilli les notions qu’elle recherchait relati­vement aux événements futurs, l’âme rapporte ces connaissances dans p.212 le domaine de la perception. Si ces notions sont faibles et peu claires, elle tâche de les renforcer [352] et de les retrouver en leur donnant une image et une ressemblance dans l’imagination. Pour comprendre le sens de ces images on est obligé d’avoir recours à l’interprétation. Quelquefois ces notions sont tellement vives que l’âme n’a pas besoin de les figurer dans l’imagination. En ce cas, l’emploi de l’interpréta­tion *186 n’est pas nécessaire, de telles perceptions n’ayant pas été affec­tées par l’imagination ni altérées par une reproduction figurée. L’âme jouit de ce coup d’œil passager, parce qu’elle est une essence spiri­tuelle en acte qui se perfectionne par l’influence et par les percep­tions du corps. Cela continue jusqu’à ce que son essence devienne intellect pur et que son existence acquière la perfection en acte. De­venue alors une essence spirituelle, elle peut avoir des perceptions sans l’instrumentalité du corps ; mais le rang qu’elle obtient parmi les êtres spirituels est au‑dessous de celui des anges, habitants de la sphère sublime, qui ne doivent la perfection de leur essence ni à des perceptions corporelles, ni à autre chose. La disposition dont nous venons de parler se trouve dans l’âme tant que celle‑ci est (renfermée) dans le corps ; elle est de deux espèces, dont l’une est particulière aux favoris de Dieu, et dont l’autre, plus générale, appartient à l’uni­versalité des hommes. C’est à celle‑ci que se rattache la vision spi­rituelle (littéral. « les songes »).
Passons au genre de songes qui est particulier aux prophètes. Ces personnages ont une disposition qui leur permet de se dépouiller de la nature humaine afin d’atteindre à la pure nature angélique, qui est la plus exaltée [353] des natures spirituelles. (Cette disposition) se manifeste très souvent chez eux pendant qu’ils sont encore dans l’état (d’extase qui provient) de la révélation, et en rentrant [354] dans le do­maine des sensations corporelles. (Le prophète) recueille alors des perceptions qui ressemblent, d’une manière frappante, à celles que p.213 l’on éprouve pendant le sommeil. Mais l’état de sommeil est bien in­férieur à celui dont nous parlons.
Ce fut à cause de cette ressemblance que le législateur (Mohammed) disait : « Le songe est une des quarante‑six parties du prophétisme » ; ou, selon une autre leçon, « quarante‑trois », ou, selon une autre, « soixante et dix ». Aucun de ces nombres n’est employé dans cette tradition pour désigner une quantité déterminée ; ils indiquent seu­lement que les degrés du prophétisme sont très nombreux. A l’appui de cette opinion, on peut rappeler que, chez les Arabes du désert, le terme soixante et dix a, parmi ses acceptions, celle de beaucoup. Quelques‑uns de ceux qui adoptent la leçon de quarante‑six l’expliquent en disant que, dans les six premiers mois de la mission (de Mohammed), c’est‑à‑dire pendant la moitié d’une année, la révélation *187 ne lui arrivait qu’en songe, et que la durée entière de sa mission pro­phétique, tant à la Mecque qu’à Médine, était de vingt‑trois ans ; or, la moitié d’une année fait la quarante‑sixième partie de vingt‑trois ans. Cette explication est tirée de trop loin pour mériter un examen ; elle est vraie en ce qui concerne notre Prophète ; mais comment a-t‑on pu savoir que la mission des autres prophètes a eu cette même durée ? Puis elle indique bien le rapport qui existe entre les deux périodes de temps : celle de la vision spirituelle dont le Prophète avait joui et celle de son prophétisme ; mais elle ne nous fait pas connaître la valeur relative de la vision spirituelle et du prophétisme.
Si le lecteur a bien compris la portée des observations que nous lui avons présentées, il saura que cette fraction (numérique) indique le rapport qui existe entre la disposition primitive et commune à tous les hommes, et la disposition moins fréquente qui est spéciale à la classe des prophètes et qu’ils tiennent de leur nature. La dispo­sition la plus faible est commune, disons‑nous, à tous les hommes, mais elle rencontre un grand nombre d’obstacles qui l’empêchent d’agir. Ce qui l’entrave le plus ce sont les sens extérieurs ; aussi le Créateur a‑t‑il donné à l’homme une faculté naturelle, le sommeil, au moyen de laquelle le voile des sens est écarté. Alors l’âme peut p.214 atteindre aux connaissances qu’elle désire recueillir dans le monde de la vérité ; de temps en temps elle peut y jeter un coup d’œil ra­pide et trouver ce qu’elle cherche. Voilà pourquoi le législateur a rangé [355] les songes parmi les pronostics. « En fait de prophétisme, disait‑il, rien n’était resté excepté les pronostics. » On lui demanda ce qu’il entendait par ce dernier mot, et il répondit : « C’est la vision sainte ; l’homme saint la voit, ou bien, elle se fait voir à lui. »
Je vais maintenant expliquer comment le voile des sens est écarté par le moyen du sommeil. L’âme raisonnable ne peut comprendre ni agir que par l’intermédiaire de l’esprit vital [356] du corps, vapeur lé­gère *188 qui a pour siège le ventricule gauche du cœur. C’est ce que nous lisons dans les traités d’anatomie composés par Galien et autres médecins. Cette vapeur, étant renvoyée avec le sang dans les veines et les artères, produit la sensation, le mouvement et les autres fonc­tions du corps. Sa partie la plus déliée s’élève jusqu’au cerveau, dont elle tempère la nature froide et dont elle anime les facultés inté­rieures, de sorte qu’elles puissent exercer toute leur action. L’âme raisonnable ne saurait percevoir ni agir sans l’aide de cet esprit vi­tal, auquel, du reste, elle est intimement attachée. Cette liaison étroite est un résultat du principe qui a réglé la formation des êtres, savoir : « le délié ne fait pas impression sur l’épais. » Or, puis­que cet esprit vital est la plus déliée des matières qui entrent dans la composition du corps, elle est sujette aux impressions de l’essence qui diffère d’elle par l’absence de corporéité ; ce qui veut dire que l’âme raisonnable opère sur le corps par l’intermédiaire de cet esprit. Nous avons déjà fait observer que, dans l’âme, la per­ception se fait de deux manières : par les moyens externes, c’est‑à-dire les cinq sens, et par les moyens internes, qui sont les facultés du cerveau. Ces deux genres de perceptions préoccupent l’âme et l’empêchent d’apercevoir les essences spirituelles qui se trouvent dans p.215 la sphère supérieure ; elle a cependant reçu de la nature la disposi­tion nécessaire pour y parvenir. Les sens externes, étant de leur nature corporels, sont susceptibles de faiblesse et de relâchement, conséquences de la fatigue et de la lassitude ; si on les tient en action trop longtemps, ils finissent par offusquer l’esprit. Dieu a donc créé dans les sens le besoin de repos, afin que leur opération perceptive puisse recommencer avec toute son activité. Cela se fait par un mou­vement de l’esprit vital, qui se détourne des [357] sens extérieurs pour rentrer dans le sens interne. Le refroidissement du corps pendant la nuit contribue à ce changement ; la chaleur naturelle quitte alors l’extérieur du corps pour se porter dans les profondeurs de l’inté­rieur, *189 et la chose à laquelle elle sert de véhicule, c’est‑à‑dire, l’es­prit vital, s’y transporte aussi. Voilà pourquoi le sommeil, chez les hommes, a [358] presque toujours lieu pendant la nuit. L’esprit, s’étant dégagé des sens extérieurs, rentre auprès des facultés internes ; l’âme, débarrassée des préoccupations et des obstacles que lui suscitent les sens, revient aux images conservées dans la mémoire, les combine, les décompose, et leur donne (d’autres) formes offertes par l’imagi­nation. Ce sont presque toujours des formes habituelles, vu que (l’âme) ne s’était détachée de ses perceptions accoutumées que de­puis peu de temps. Elle fait descendre ces formes (ou idées) jus­qu’au sens interne, faculté qui rassemble les perceptions recueillies par les cinq sens, et qui reçoit ce nouveau dépôt comme s’il lui était arrivé par la voie des sens.
Quelquefois l’âme se tourne, pendant un seul instant, vers son essence spirituelle, et cela malgré la résistance que lui opposent les facultés internes. Elle parvient alors, par son organisation natu­relle, à saisir des perceptions au moyen de sa spiritualité. Ayant re­cueilli quelques‑unes des formes (idées) qui s’étaient attachées à p.216 son essence, elle les transmet à l’imagination, qui les reproduit telles qu’elles sont, ou qui les imite (au moyen d’emblèmes) façonnés dans les moules qu’elle a l’habitude d’employer. Les formes produites par l’imitation ne sauraient être comprises sans le secours de l’interpré­tation. (D’un autre côté) l’acte de l’âme qui s’occupe à combiner et à décomposer les formes conservées dans la mémoire, avant d’avoir recueilli des perceptions par un coup d’œil rapide (jeté sur son essence spirituelle), cet acte produit ce que l’on désigne par les mots songes confus [359].
Nous lisons dans le Sahîh que le Prophète a dit : « Il y a trois es­pèces de visions : l’une vient de Dieu, l’autre vient de l’ange, et la troisième de Satan. » Cette classification s’accorde avec les obser­vations que nous venons de présenter. La vision claire est de Dieu ; *190 celle dont l’imagination imite la forme et qui a besoin d’interpréta­tion vient de l’ange ; les songes confus sont l’œuvre de Satan, puis­qu’ils sont tout à fait faux et que Satan est la source de la fausseté. Ces observations suffiront à faire connaître la véritable nature de la vision spirituelle.
La faculté qui produit et amène des visions pendant le sommeil, étant une des qualités particulières à l’âme humaine, existe dans tous les hommes, sans exception ; il n’y en a pas un seul qui n’ait souvent vu en songe des choses dont il a pu reconnaître la vérité après son réveil. On acquiert ainsi, d’une manière certaine et positive, la conviction que l’âme peut atteindre au monde invisible pendant que l’homme dort. Or, puisque cela arrive dans l’état de sommeil, rien n’empêche que la même chose n’ait lieu dans d’autres états ; car, bien que la faculté perceptive soit unique, ses qualités s’appliquent à tous les états (de l’âme). C’est Dieu qui dirige vers la vérité !
Il est rare que les hommes entrent dans cet état par suite de leur volonté et par la puissance innée dont ils sont doués. Cela n’a lieu que pour l’âme qui, se trouvant à portée d’apercevoir une chose, en obtient pendant le sommeil une vue instantanée, sans l’avoir p.217 recherchée. Dans le Kitab el-Ghaïa [360] et d’autres livres composés par des gens qui s’adonnaient aux exercices spirituels [361], on trouve certains noms qui, étant prononcés par un homme au moment de s’endormir, amènent une vision par laquelle il apprend ce qu’il dé­sirait savoir. Les adeptes appellent ce charme halouma [362]. Maslema [363] indique un de ces charmes dans le Kitab el‑Ghaïa et le nomme le halouma de la nature parfaite. Lorsqu’on est sur le point de s’endor­mir, après avoir terminé ses réflexions secrètes et donné à son es­prit une direction convenable, on prononce ces paroles barbares : Temaghis bâdan yeswaad ouaghdas noufena ghadis ; puis on énonce ce qu’on désire savoir. Le sommeil étant survenu, le voile disparaît *191 et laisse apercevoir ce secret. On raconte qu’un homme employa ce moyen après avoir macéré son corps par un jeûne de plusieurs p.218 jours [364], et qu’une personne lui apparut et lui dit : « Je suis ta nature parfaite. » Ayant interrogé ce fantôme, il obtint les renseignements qu’il cherchait. Moi-même, j’ai employé ces mots, et un spectacle étonnant me fit connaître certaines choses que je désirais savoir et qui m’intéressaient personnellement. Mais tout cela ne prouve pas qu’on puisse avoir une vision à volonté ; ces charmes ne font que disposer l’âme à la vision spirituelle. Si la disposition est bien pro­noncée, on peut atteindre la connaissance qu’on cherche ; mais on a beau travailler à fortifier cette disposition, jamais on ne pourra être assuré d’obtenir le résultat pour lequel on s’est donné cette peine. Le pouvoir de se disposer à recevoir une chose est tout autre que le pouvoir d’obtenir cette chose. Que le lecteur sache cela ; qu’il tâche de le bien comprendre, ainsi que les (autres principes) sem­blables qu’il rencontrera. Dieu est l’être sage qui sait tout !
Dans l’espèce humaine se trouvent des personnes qui annoncent les événements futurs. Cette faculté, qu’elles tiennent de leur nature particulière, sert à les distinguer des autres hommes. Pour arriver à l’exercice de leur talent, elles n’ont besoin d’employer ni des secours artificiels, ni l’influence des astres, ni aucun autre moyen. Nous avons reconnu que leur puissance perceptive dépend entièrement d’une certaine aptitude qui leur est innée : Il en est de même à l’égard des sachants [365] et de ceux qui regardent dans les corps réfléchissants (litt. diaphanes), tels que les miroirs et les cuvettes remplies d’eau. On peut ranger aussi dans cette catégorie les aruspices, gens qui inspec­tent les cœurs, les foies et les os des animaux ; les augures, qui ob­servent les signes fournis par les oiseaux et les bêtes sauvages ; les jeteurs, gens qui, pour deviner, jettent par terre des cailloux, des grains de blé ou des noyaux. Il est incontestable que ces facultés existent parmi les hommes ; personne ne saurait le nier. Ajoutons à *192 cette liste les possédés, gens dont la bouche prononce des paroles qu’un être du monde invisible y a mises et qui servent de p.219 renseignements. Nous pouvons mentionner encore les personnes qui, étant sur le point de s’endormir ou de mourir, parlent des choses appartenant au monde invisible ; citons aussi les soufis, hommes qui se livrent aux exercices spirituels. On sait qu’ils obtiennent, comme une marque de la faveur divine, la faculté de recueillir des perceptions dans le monde invisible.
Maintenant nous allons traiter des diverses manières dont on ob­tient ces perceptions ; nous commencerons par la divination, puis nous discuterons successivement toutes les autres. Mais, avant d’a­border ce sujet, nous aurons à présenter quelques observations qui montreront comment l’âme, dans chaque classe des personnes dont nous venons de faire mention, acquiert la disposition qui lui permet de recueillir des perceptions dans le monde invisible.
L’âme, avons‑nous dit, est une essence spirituelle qui existe en puissance, ce qui la distingue du reste des êtres spirituels. Elle passe de la puissance à l’acte par l’opération du corps et des diverses cir­constances dont il peut être affecté : c’est là un fait que tout le monde peut reconnaître. Or ce qui existe en puissance se compose de matière et de forme. La forme qui rend complète l’existence de l’âme consiste en perceptivité et en intellect. L’âme existe d’abord en puissance, avec une disposition qui lui facilite la perception et qui lui permet de recevoir les formes tant universelles que particulières. En­suite sa croissance et son existence en acte se perfectionnent par la coopération du corps, qui l’accoutume à recevoir les perceptions ob­tenues par les sens. L’âme ne discontinue pas d’apercevoir et d’ac­quérir des notions générales, et, comme les formes [366] qu’elle recueille s’intellectualisent les unes après les autres, elle acquiert elle‑même une forme [367] en acte qui se compose de perception et d’intellect. Pen­dant que son essence se perfectionne ainsi, elle reste comme une matière à laquelle la perception fournit successivement diverses formes. Voilà pourquoi les enfants du premier âge sont incapables d’exercer p.220 *193 la faculté perceptive, qui leur est cependant innée ; ils ne peuvent s’en servir ni dans l’état de sommeil, ni dans le moment où une révélation pourrait leur arriver, ni dans aucune autre circonstance. En effet [368], la forme de l’âme, ni son essence réelle, qui se compose de percep­tion et d’intellect, ne sont pas complètes à cet âge : elle ne peut pas [369] s’approprier des universaux. Plus tard, lorsque son essence est de­venue parfaite en acte, l’âme, tant qu’elle reste dans le corps, a deux manières d’apercevoir : l’une, se faisant par l’instrumentalité du corps, qui lui transmet des perceptions corporelles ; l’autre, au moyen de sa propre essence. L’âme se trouve exclue de ce (dernier genre de per­ception) tant qu’elle reste engagée dans le corps et préoccupée par les distractions que les sens lui offrent. Ceux‑ci attirent l’âme sans cesse vers le monde extérieur, parce qu’elle est prédisposée, par sa nature, à s’occuper des perceptions corporelles. Quelquefois cependant elle se détourne de l’extérieur afin de se plonger dans l’intérieur, et alors le voile du corps est enlevé pendant un seul instant de temps. Cela arrive, soit au moyen d’une faculté commune à tous les hommes, telle, par exemple, que le sommeil, ou bien d’une faculté spéciale à certains individus, telle que le talent de la divination et celui de pronostiquer par le jet de cailloux, ou bien encore par l’habitude des exercices spirituels, pareils à ceux qui procurent aux soufis des révélations. Dégagée alors des influences extrinsèques, l’âme se tourne vers les essences qui sont au‑dessus d’elle et qui font partie de la Compagnie sublime ; car sa sphère est réellement en contact avec la leur, ainsi que nous l’avons déjà indiqué. Ces essences sont spiri­tuelles, étant de la perception pure, et des intelligences en acte. Dans elles se trouvent les formes des êtres avec leur véritable p.221 nature, ainsi que nous l’avons dit. Quelques‑unes de ces formes [370] s’y montrent d’une matière assez claire pour que l’âme puisse en prendre connaissance. Elle les transmet alors à l’imagination, afin que cette faculté les façonne [371] dans les moules qu’elle a l’habitude d’employer. Les reprenant ensuite dépouillées de tout mélange extrinsèque, ou bien renfermées dans leurs moules, l’âme les rapporte dans le do­maine des sens, puis elle les fait connaître. Voilà en quoi consiste la disposition qui porte l’âme à recueillir des perceptions dans le monde invisible.
Reprenons le sujet qui nous occupait, c’est‑à‑dire les divers genres *194 de divination.
Ceux qui regardent dans les corps diaphanes, tels que les miroirs, les cuvettes remplies d’eau et les liquides ; ceux qui inspectent les cœurs, les foies et les os des animaux ; ceux qui prédisent par le jet de cailloux ou de noyaux, tous ces gens‑là appartiennent à la caté­gorie des devins ; mais, à cause de l’imperfection radicale de leur na­ture, ils y occupent un grade inférieur. Pour écarter le voile des sens, le vrai devin n’emploie pas de grands efforts ; quant aux autres, ils tâchent d’arriver au but en essayant de concentrer en un seul sens toutes leurs perceptions. Comme la vue est le sens le plus noble, ils lui donnent la préférence ; fixant leurs regards sur un objet à super­ficie unie, ils le considèrent avec attention jusqu’à ce qu’ils y aper­çoivent la chose qu’ils veulent annoncer. Quelques personnes croient que l’image aperçue de cette manière se dessine sur la surface du miroir ; mais ils se trompent. Le devin regarde fixement cette sur­face jusqu’à ce qu’elle disparaisse et qu’un rideau, semblable à un brouillard, s’interpose entre lui et le miroir. Sur ce rideau se des­sinent les formes qu’il désire apercevoir, et cela lui permet de donner des indications, soit affirmatives, soit négatives, sur ce qu’on désire savoir. Il raconte alors les perceptions telles qu’il les reçoit. Les devins, pendant qu’ils sont dans cet état, n’aperçoivent pas ce qui se voit p.222 réellement (dans le miroir) ; c’est un autre mode de perception qui naît chez eux et qui s’opère, non pas au moyen de la vue, mais de l’âme. Il est vrai que, pour eux, les perceptions de l’âme ressemblent à celles des sens [372] au point de les tromper ; fait qui, du reste, est bien connu. La même chose arrive à ceux qui examinent les cœurs et les foies d’animaux [ [373] ou qui regardent dans l’eau, dans les cuvettes ou dans d’autres objets du même genre.] Nous avons vu quelques‑uns de ces individus entraver l’opération des sens par l’emploi de simples fumi­gations ; *195 puis se servir d’incantations afin de donner à l’âme la disposi­tion requise ; ensuite ils racontent ce qu’ils ont aperçu. Ces formes, disent‑ils, se montrent dans l’air et représentent des personnages ; elles leur apprennent, au moyen d’emblèmes et de signes, les choses qu’ils cherchent à savoir. Les individus de cette classe se détachent moins de l’influence des sens que ceux de la classe précédente. L’uni­vers est plein de merveilles.
On appelle zedjr (augure) les prédictions que font certains hommes qui, après avoir vu un oiseau ou un quadrupède passer à leur gauche ou à leur droite, méditent là‑dessus et annoncent ensuite des événe­ments futurs. Cette faculté existe dans l’âme et porte à faire des ré­flexions et des conjectures au sujet des indications fournies par la vue ou par l’ouïe. Comme son influence tient à l’imagination et qu’elle est très forte, ainsi que nous l’avons déjà fait observer, l’augure ex­cite (l’imagination) et la pousse à l’investigation, en employant le se­cours de ce qu’il a vu ou entendu ; il arrive ainsi à un certain résultat [374], ainsi que cela a lieu par l’action de la puissance imaginative pendant le sommeil et l’assoupissement des sens. Dans cet état, (l’imagination) rassemble les perceptions obtenues par la vue dans l’état de veille, et les unit à celles qu’elle a reçues de l’intelligence ; de là résulte la vision spirituelle.
Chez les insensés, l’âme raisonnable est à peine dans la dépendance du corps ; ce qui résulte, en général, de l’imperfection de leur p.223 tempérament et de la faiblesse de leurs esprits animaux. Distraite par cette imperfection et par la maladie dont elle souffre, l’âme ne se laisse pas submerger dans les sens ni s’y absorber. Quelquefois un autre esprit, de nature satanique, force l’âme à se remettre en rap­port avec le corps, et elle, trop faible pour lui résister, montre des indices de folie. Quand cela lui arrive, soit que l’imperfection de son tempérament opère sur l’infirmité du corps, soit que les esprits sata­niques l’obsèdent pendant qu’elle est dans la dépendance du corps, *196 elle se dérobe tout à fait à l’influence des sens et jette un coup d’œil momentané sur son propre microcosme. Ayant alors reçu l’empreinte de quelques formes, elle les livre à l’opération plastique de l’ima­gination. Pendant qu’elle reste dans cet état, l’imagination parle au moyen de la langue de l’insensé, sans que celui-ci ait la volonté d’ar­ticuler une parole. Les perceptions recueillies par les hommes de toutes ces classes offrent un mélange de vérité et d’illusion ; quand même ils se déroberaient à l’influence des sens, ils ne pourraient pas se mettre tout à fait en contact avec le monde spirituel, à moins d’employer le secours des formes extrinsèques, procédé nécessaire, ainsi que nous l’avons déjà établi ; aussi leurs perceptions apportent avec elles un mélange de fausseté.
Les sachants cherchent à obtenir des perceptions spirituelles sans avoir le moyen de mettre leur âme en contact avec le monde invisible. Soumettant à la faculté réfléchissante la chose qu’ils cherchent à connaître, ils ont recours à des suppositions et à des conjectures, en partant de l’opinion qu’ils ont atteint à un commencement de contact [375] et de perception (spirituelle). Ils prétendent obtenir ainsi la connaissance du monde invisible, mais ils n’en apprennent absolu­ment rien.
Voilà l’indication sommaire des faits qui se rattachent à ce sujet. El-Masoudi en a parlé dans son Moroudj ed‑Deheb ; maisen traitant ces matières, il est bien loin d’avoir rencontré juste. On voit, à la p.224 manière dont il s’exprime, qu’étant peu versé dans ce genre de con­naissances il rapporte indifféremment ce qu’il en a entendu dire aux gens capables et aux ignorants.
Ces diverses manières d’obtenir des perceptions du monde spiri­tuel ont toujours existé pour l’espèce humaine. Les anciens Arabes avaient recours aux devins toutes les fois qu’ils voulaient connaître les événements futurs ; quand ils avaient des contestations, ils s’a­dressaient à un devin, et celui-ci leur faisait connaître le bon droit à la suite des perceptions qu’il recueillait dans le monde invisible. Les ouvrages consacrés aux belles‑lettres nous offrent plusieurs faits de ce genre. Dans les temps de l’ignorance (avant la mission de Mo­hammed), deux individus s’étaient illustrés par leurs talents comme devins : l’un se nommait Chicc et l’autre Satîh ; le premier appartenait à la tribu d’Anmar Ibn Nizar, et le second à celle de Mazen Ibn Ghas­san. Le corps de Satîh pouvait se plier comme on plie un drap, *197 car il ne renfermait aucun os, à l’exception du crâne [376]. Parmi les his­toires que l’on raconte à leur sujet, on remarque surtout celle de la manière dont ils expliquèrent le songe de Rebîah Ibn Nasr [377], à qui ils annoncèrent que le Yémen, après avoir été conquis par les Abys­sins, passerait sous la domination du peuple arabe descendu de Mo­der. Ils prédirent aussi l’apparition de Mohammed chez les Coreïch en qualité de prophète. Indiquons encore le songe du Moubedan [378], qui fut expliqué par Satîh. Kisra (Cosroës) avait chargé Abd el‑Ma­sîh d’aller raconter sa vision à Satîh, et celui-ci annonça la venue du Prophète et la chute de l’empire persan.
Les anciens Arabes avaient aussi parmi eux un grand nombre de sachants (arraf) ; ils en ont même fait mention dans leurs vers. Un de leurs poètes a dit :p.225
Je disais au sachant du Yémama : Guéris‑moi ; si tu le fais, tu es un véri­table médecin.
Un autre s’exprime en ces termes :
J’avais proposé au sachant du Yémama et à celui du Nedjd la tâche de ma guérison.
Ils me répondirent : Que Dieu te guérisse ! Par Dieu ! nous n’avons aucun pouvoir sur ce qui est renfermé entre tes côtes.
Le sachant du Yémama se nommait Rebah Ibn Adjla, et celui du Nedjd, El‑Ablac el‑Acedi.
On peut ranger dans la classe des perceptions spirituelles cer­taines paroles qui échappent à l’homme au moment de s’endormir et qui ont rapport aux choses qu’il désirait connaître. Par ces pa­roles il apprend, d’une manière satisfaisante, le secret qu’il cherchait. Ce phénomène n’a lieu qu’au moment où l’on quitte l’état de veille pour entrer dans celui du sommeil, alors que la volonté a cessé d’agir sur la faculté de la parole. En ce moment, l’homme parle comme par une impulsion innée et, tout au plus, parvient‑il à en­tendre et à comprendre ce qu’il vient de prononcer. Des paroles semblables échappent quelquefois aux hommes lorsqu’on leur tranche la tête, ou qu’on leur coupe le corps en deux. Nous avons entendu *198  raconter que certains tyrans faisaient tirer de leurs prisons et mettre à mort les gens qu’ils y tenaient enfermés, voulant savoir, par les dernières paroles de leurs victimes, quelle serait leur propre des­tinée. Les réponses qu’ils obtinrent les remplirent d’épouvante. Mas­lema raconte un procédé de ce genre dans son ouvrage le Ghaïa [379]. On place, dit‑il, un homme dans une jarre remplie d’huile de sé­same ; on l’y tient quarante jours, et, pendant ce temps, on le nour­rit de figues et de noix. Au bout de ce temps, toute la chair du corps a disparu et rien ne reste intact, excepté les veines et les su­tures du crâne. On le retire alors de l’huile, et, pendant qu’il se des­sèche par l’action de l’air, il répond à toutes les questions qu’on lui adresse, et il indique les résultats que doivent avoir les affaires, soit p.226 particulières, soit générales. C’est là une des opérations exécrables que se permettent les magiciens [380], et nous ne l’avons citée que pour montrer combien le microcosme humain est plein de merveilles.
Il y a des hommes qui se livrent aux exercices spirituels dans l’es­poir d’atteindre à la perception du monde invisible, et qui tâchent de se procurer une mort factice en s’efforçant d’anéantir toutes les fa­cultés du corps, et de faire ensuite disparaître de l’âme les traces des souillures que ces facultés y avaient laissées. Mais cela ne peut s’effectuer que par la concentration de la pensée et par des jeûnes pro­longés. On sait, d’une manière positive, qu’au moment de la mort les sensations du corps disparaissent ainsi que le voile qu’elles ten­daient devant l’âme. Celle‑ci prend alors connaissance de sa propre essence et du monde dont elle fait réellement partie [381]. Ces hommes croient que, par des mérites acquis, ils peuvent arriver, pendant qu’ils sont en vie, à un résultat semblable à celui qui a lieu après la mort, c’est‑à‑dire à mettre leur âme en état de connaître les choses du monde invisible.
On peut ranger dans cette classe les hommes qui se livrent à des exercices magiques afin d’obtenir la faculté de voir les choses ca­chées et de faire planer leur âme dans les divers mondes des êtres [382]. Ces gens‑là se trouvent ordinairement dans les climats les plus rapprochés du nord et du midi. On les rencontre surtout dans *199 l’Inde, où ils portent le nom de djoguis. Ils ont beaucoup de livres qui traitent de la manière dont ces exercices doivent se faire. On raconte au sujet des djoguis des histoires surprenantes.
Les exercices des soufis sont purement religieux et se font sans au­cune des mauvaises intentions que nous venons d’indiquer. Ils ont pour but de porter l’âme au recueillement et d’en tourner toutes les pen­sées vers Dieu, afin qu’elle puisse goûter les saveurs de la p.227 connaissance (divine) et de l’identification avec la divinité. Outre le recueil­lement et le jeûne, ils emploient, dans leurs exercices, la méditation, afin de donner à leur esprit la direction convenable. En effet, l’âme, développée par la méditation, se rapproche de la connaissance de Dieu ; l’âme étrangère à la méditation est d’une nature satanique. Ce n’est pas à la suite d’un dessein préconçu, mais par un cas fortuit que les soufis parviennent à la connaissance du monde invisible et ob­tiennent la faculté d’y laisser vaguer leur âme. Ceux qui recherchent ces faveurs avec préméditation donnent à leur âme une direction qui n’est pas celle de Dieu. Chercher avec intention la faculté de vaguer dans le monde invisible et de le contempler est une faute énorme, un véritable acte de polythéisme. A ce sujet un mystique a dit : « Celui qui recherche la connaissance à cause de la connaissance se déclare pour celle‑ci [383]. » Les vrais soufis désirent uniquement se diriger vers l’Être adorable, et tout ce qu’ils peuvent éprouver, pendant qu’ils se trouvent dans cet état, arrive fortuitement et sans aucune préméditation de leur part. Ils tâchent, en général, d’éviter ces (marques de la faveur divine) et ils en détournent leur atten­tion ; car ils recherchent Dieu pour lui-même, et sans aucun autre motif. On sait cependant que ces (faveurs) leur arrivent. Les soufis donnent les noms de feraça (physiognomie) et de kechf (dévoilement) aux connaissances du monde invisible et aux discours (célestes) qui viennent frapper leur esprit ; ils appellent kérama (faveur) la faculté de vaguer (par le monde spirituel). Dans tout cela il n’y a rien de répréhensible, bien que le maître Abou Ishac el‑Isféraïni [384] y ait trouvé *200 à redire, ainsi que Abou Mohamed Ibn Abi Zeïd [385] le Malékite, et d’autres docteurs ; ils voulaient empêcher que certaines marques de p.228 la faveur divine fussent confondues avec des miracles [386]. Il est ce­pendant facile d’éviter toute méprise, si l’on applique le principe admis par les théologiens dogmatiques, d’après lequel tout miracle est accompagné d’une annonce préalable (tahaddi)tandis que les autres signes (de la divine faveur) ne le sont pas.
On lit dans le Sahîh que le Prophète dit à ses compagnons : « Il y a parmi vous des inspirés [387] et Omar est de ce nombre. » On sait que les compagnons eurent souvent l’occasion de reconnaître la vérité de cette parole. Citons, comme exemple, l’exclamation d’Omar : « O Sa­rïa ! à la colline ! » Lors des premières conquêtes de l’islamisme, Sarïa, fils de Zoneïm, commandait, en Irac, un corps de troupes musulmanes. Dans une bataille qui s’engagea entre lui et les infidèles, il songeait à ordonner la retraite, et auprès de sa position était une colline où il pouvait se réfugier. Omar, qui était alors à Médine et qui prê­chait en ce moment dans la mosquée, vit, par intuition [388], ce qui se passait et s’écria : « O Sarïa ! à la colline [389] ! » Sarïa entendit cet ordre dans le lieu même où il se trouvait, et il aperçut auprès de lui une personne ayant la figure d’Oman. L’anecdote est, du reste, bien con­nue [390]. On raconte du khalife Abou Bekr un trait semblable. (Étant sur son lit de mort) il adressa des conseils à sa fille Aïcha, au sujet de quelques charges de dattes dont il voulait lui faire cadeau et qui se trouvaient dans son jardin. Il lui recommanda ensuite de faire la cueillette [391] de ces fruits sans retard, pour les empêcher de devenir la propriété des héritiers. Dans le cours de l’entretien, il fit cette remarque : « Les héritiers, ce sont ton frère et tes deux sœurs. — Comment cela ? lui dit Aïcha ; j’ai là ma sœur Asma ; mais qui est l’autre ? » Il lui répondit : « L’enfant qui est dans le sein de (ma femme) Bint Kharedja est une fille ; je vois cela d’ici [392]. » En effet, c’était une fille. Cette anecdote se trouve dans le Mowatta [393]au cha­pitre intitulé Des donations illégales [394].
Les compagnons, les hommes saints qui vinrent après eux, et les personnes qui les ont pris pour modèles, se sont distingués par plusieurs traits de ce genre. Les soufis, il est vrai, disent que cette *201 faculté (intuitive) se présente très rarement pendant la durée d’une mission prophétique, puisque les aspirants de leur ordre ne peuvent pas se conserver dans leur état (d’exaltation) tant qu’ils se trouvent auprès (du tombeau) du Prophète. Ils vont jusqu’à dire que l’aspi­rant, aussitôt arrivé à Médine, la ville du Prophète, perd le degré de spiritualisme qu’il avait atteint et ne le retrouve qu’après être sorti de là. Puisse le Très‑Haut nous diriger par sa grâce et nous conduire jusqu’à la vérité !
A côté des aspirants au grade de soufi on peut ranger les idiots, gens dont l’esprit est troublé et qui ressemblent plutôt à des pos­sédés qu’à des êtres raisonnables. Malgré leur infirmité, ils arrivent quelquefois aux mêmes stations (d’extase) que les ouélis (ou favoris de Dieu), et aux mêmes états (d’exaltation spirituelle) que les hommes les plus saints [395]. Cela est évident pour tout individu capable de les comprendre ; c’est‑à‑dire, pour quiconque a goûté (des jouissances spirituelles) ; et cependant aucun devoir (religieux) ne leur est imposé. Lorsqu’ils parlent du monde invisible, ils racontent quelquefois des p.230 choses surprenantes, parce qu’aucune considération ne les retient. Aussi peuvent‑ils donner carrière à leur langue et fournir des ren­seignements merveilleux.
Quelques légistes ont refusé d’admettre que les idiots puissent atteindre à aucun état (extatique), parce qu’à leur égard, disent‑ils, le devoir a cessé d’être une obligation, et la faveur de Dieu ne peut s’acquérir que par la pratique de la dévotion. Cette opinion est cer­tainement erronée, puisque la faculté dont il s’agit est une de ces grâces que Dieu accorde à qui il veut (Coran, sour. V, vers. 59), et, pour obtenir sa faveur, l’emploi de la dévotion ou de tout autre moyen n’est pas nécessaire. En effet, l’âme humaine est impérissable, et Dieu peut donner à tout homme des marques spéciales de sa bonté. Chez les idiots l’âme intelligente n’a pas cessé d’exister ; elle n’a pas subi d’altération fâcheuse comme cela est arrivé aux insensés ; rien ne leur manque excepté la raison [396], seule faculté par laquelle l’homme est soumis aux obligations du devoir. La raison, qualité distinctive de l’âme, se compose de connaissances dont l’homme ne saurait se passer et qui le mettent en état d’avoir des vues justes, d’apprendre les moyens d’assurer son existence et de se faire une position convenable dans le monde. Nous sommes donc porté à croire que l’homme capable de penser à ses moyens d’existence n’a aucun prétexte pour se soustraire aux obligations de la religion, s’il veut obtenir un bon accueil dans l’autre vie. La personne à qui cette qualité manque n’est pas, pour cela, dépourvue d’âme ni privée de *202 la conscience de son individualité ; pour elle, l’individualité existe, mais elle ne possède pas la raison, faculté qui impose des devoirs et qui consiste en la connaissance des moyens qu’il faut employer pour subsister. Ce que nous venons d’exposer n’offre rien d’absurde, car Dieu, lorsqu’il choisit un de ses serviteurs afin de lui communiquer la connaissance (la félicité parfaite), ne tient aucun compte de la manière dont cet homme a rempli ses devoirs.
p.231 Ayant établi ce principe, je dois avertir le lecteur qu’on est ex­posé à confondre les idiots avec les insensés, gens dont l’âme rai­sonnable s’est gâtée et qui sont devenus semblables à des animaux brutes. Il y a cependant quelques signes à l’aide desquels on peut les distinguer. D’abord, on trouve chez les idiots un penchant inva­riable vers la méditation et la dévotion, bien qu’ils ne s’y livrent pas de la manière prescrite par la loi ; ce qui provient, avons‑nous dit, de la circonstance que, pour eux, il n’y point d’obligations. Chez les insensés, au contraire, nous ne trouvons aucun indice de ce pen­chant. En second lieu, les idiots sont fous par leur constitution na­turelle et depuis l’époque de leur naissance, tandis que chez les in­sensés la folie est survenue plus tard et à la suite d’accidents naturels qui ont affecté le corps. Quand cela leur arrive, une altération fâ­cheuse se produit dans leur âme raisonnable et ils agissent sans but et sans suite. En troisième lieu, les idiots fréquentent les hommes et leur sont tantôt utiles, tantôt nuisibles ; ils n’en attendent pas la per­mission, parce qu’aucun devoir ne leur est imposé ; les insensés, au contraire, n’aiment pas la société des hommes. Le sujet que nous ve­nons de traiter conduit à un autre dont nous allons parler. Dieu est celui qui dirige vers la vérité.
Quelques personnes prétendent qu’il existe ici-bas des moyens à l’aide desquels l’âme peut obtenir des perceptions du monde spiri­tuel, bien qu’elle ne soit pas détachée de l’influence des sens. Tels sont les astrologues. Ils déclarent que les étoiles fournissent des in­dications ; que, par leurs diverses positions dans la sphère céleste, elles amènent nécessairement certains résultats ; qu’elles exercent une influence sur les éléments, et que, par leurs aspects réciproques, elles combinent leurs natures dans un mélange qui réagit sur l’atmos­phère. Ces gens‑là ne peuvent rien savoir du monde invisible ; ils ne font que des conjectures et des suppositions basées sur l’idée que les *203 astres exercent des influences. Ils enseignent qu’à force de tâtonnements l’observateur peut reconnaître dans l’atmosphère un mélange de ces influences, et indiquer comment il se distribue à toutes les p.232 individualités qui existent dans le monde. Telle est la doctrine de Ptolémée. Plus tard, nous aurons l’occasion d’exposer la vanité de cette science ; elle est, tout au plus, un ramas de conjectures et de suppositions, aussi ne se rattache‑t‑elle, en aucune manière, au genre de connaissances dont nous venons de parler.
Nous pouvons ranger dans la même catégorie certains hommes du bas peuple qui, pour découvrir les choses cachées et connaître l’ave­nir, ont inventé un art qu’ils nomment aligner sur le sable (géomancie), voulant indiquer ainsi la matière sur laquelle ils font leurs opérations. Voici en quoi consiste la géomancie : des points, posés sur quatre rangs, forment des figures qui diffèrent les unes des autres selon que les points dans chaque rang sont les uns doubles et les autres simples, ou bien tous doubles ou tous simples. On a donc seize figures : l’une dont tous les points sont simples ; une autre dont tous sont doubles. Un point simple placé (au lieu d’un double) dans chacun des quatre rangs fournit quatre figures de plus. Le point simple employé deux fois dans chaque combinaison donne six figures. Em­ployé trois fois, il donne naissance à quatre figures. On a ainsi seize figures, dont chacune a reçu un nom particulier [397], et on les partage en deux classes, celle de bonheur et celle de malheur, ainsi que les as­trologues ont fait pour les astres. On prétend que chaque figure a une mansion qui lui correspond dans le monde naturel, aussi devons‑nous supposer que ces mansions sont les douze signes du zodiaque et les quatre points cardinaux. Outre sa mansion, chaque figure a une signi­fication, bonne ou mauvaise [398] ; elle désigne aussi, d’une manière spé­ciale, une certaine partie du monde des éléments. D’après ces prin­cipes, on a établi un art, calqué sur celui de l’astrologie judiciaire, mais qui en diffère sous un certain point de vue. Dans l’astrologie, p.233 tout jugement, selon Ptolémée, s’appuie sur des indications fournies par la nature, tandis que, dans la géomancie, les indications n’existent que par convention [399].
*204 [En effet, Ptolémée s’est borné à traiter de nativités et de mariages, qu’il regarde comme provenant des influences exercées sur le monde des éléments par les astres et par les positions des sphères. Les astrologues venus après lui s’occupèrent à découvrir les pensées (secrètes du destin) [400] à l’égard des choses sur lesquelles on les inter­rogeait ; ils désignèrent la mansion de la sphère à laquelle on devait rapporter chaque question, et ils indiquèrent les jugements que l’on pouvait tirer de chaque mansion [401]. Chez eux, les mansions étaient les mêmes que chez Ptolémée. Or les pensées (secrètes dont il s’agit) n’appartiennent pas au monde des éléments, mais à l’âme (de l’uni­vers aussi ; aussi les influences stellaires, les positions des sphères n’en four­nissent aucune indication. Si encore les questions dont il s’agit ren­traient dans le domaine de l’astrologie, de sorte qu’on pût tâcher de les résoudre par des indications stellaires et par des positions de la sphère (cela suffirait à justifier les prétentions des astrologues) ; mais elles sont tout à fait en dehors de la classe des matières que l’astrologie devait naturellement traiter.
Les gens qui s’occupaient de la géomancie vinrent plus tard. Se détournant (de l’observation) des étoiles et des positions (des sphères p.234 planétaires) pour ne pas se donner la peine de prendre la hauteur des astres [402] au moyen d’instruments astronomiques, et de calculer les positions moyennes (des corps célestes), ils inventèrent des figures de géomancie et leur assignèrent seize mansions, celles de la sphère et les quatre points cardinaux. Ils les rangèrent par classes, l’une heureuse, l’autre malheureuse, la troisième mélangée de bien et de mal, ainsi que cela s’était fait pour les planètes. De tous les aspects, ils ne gardèrent que le sextil, et lui attribuèrent les diverses indications que les astrologues, dans la résolution des problèmes, attribuent aux astres. Mais [403], ainsi que nous l’avons dit, aucune indication réelle ne peut s’obtenir des étoiles, ni de (ce genre de) [404] géomancie. Dans les grandes villes on trouve beaucoup de fainéants qui pratiquent la géomancie pour gagner leur vie ; ils ont même rédigé sur ce sujet plusieurs traités renfermant les principes fondamentaux de leur art. Parmi ces écrivains nous remarquons Ez‑Zenati [405]. Quelques géoman­ciens ont cru obtenir, par l’emploi de leur art, la perception de ce qui se passe dans le monde invisible. Ils essayent de préoccuper les sens en regardant avec attention les figures qu’ils ont tracées, et d’obtenir ainsi cette disposition (à la perception spirituelle) qui, chez d’autres personnes, est une faculté innée. Plus tard nous reviendrons là‑dessus. Parmi les gens du métier, ceux‑ci occupent le rang le plus respectable.
Tous les géomanciens prétendent que leur art tient, par ses racines, aux manifestations du prophétisme qui eurent lieu dans les temps p.235 anciens. Quelques‑uns en attribuent [406] l’invention à Idrîs (Énoch) ou à Daniel, ainsi que cela a eu lieu pour tous les arts. D’autres assurent que la géomancie a été autorisée par la loi divine, et, pour prouver leur assertion, ils citent cette parole du Prophète : Fuit propheta [407] qui delineabat, et ille cujus lineatio congruit, ita est [408]. Cette tradition n’in­dique, en aucune façon, que l’art de tirer des lignes sur le sable (la géomancie) soit autorisé par la loi, bien que plusieurs de ces gens prétendent le contraire. Elle signifie qu’un certain prophète traçait des lignes, et qu’en les traçant il recevait des révélations. Il n’est pas impossible que, parmi les prophètes, quelques‑uns aient eu cette habitude.
[En effet, ils [409] ne se ressemblaient pas tous en ce qui regarde la manière dont ils reçoivent la révélation divine. Dieu lui-même a dit (dans le Coran, sourate 2, verset 254) : Ceux‑là sont des prophètes ; nous avons avantagé les uns plus que les autres. Aux uns les révélations arrivaient et l’ange leur parlait tout d’abord sans qu’ils eussent es­sayé d’y prédisposer leur âme [410]. Les autres cherchaient des révéla­tions lorsqu’ils s’occupaient des affaires d’autrui ; invités par leurs compatriotes à leur donner des éclaircissements sur un point obscur, sur un devoir d’obligation ou sur d’autres questions de cette nature, ils tournaient leur esprit vers le Seigneur, afin d’obtenir de lui la solu­tion de la difficulté. En distinguant ainsi deux espèces (de prophètes), nous avons laissé apercevoir qu’il en existait une autre [411]. En effet, si des révélations arrivent à une personne qui ne s’était nullement p.336 disposée à les recevoir, et nous avons déjà signalé cette classe de pro­phètes, elles peuvent arriver également à des gens qui s’y étaient préparés. Il se trouvait, dit‑on, parmi les Israélites un prophète qui, *206 pour se préparer à recevoir les révélations célestes, écoutait de la musique exécutée par des voix très belles et très douces. Bien que l’authenticité de cette tradition ne soit pas suffisamment constatée, elle n’en a pas moins un certain air de vérité. Au reste, le Tout­-Puissant accorde à ses prophètes et à ses envoyés les distinctions qu’il lui plaît [412].]
On nous a raconté qu’un soufi, parvenu à un haut degré de sain­teté, suivait le même plan. Pour se soustraire à l’influence des sens, il écoutait des musiciens qui chantaient, et, par ce moyen, il dé­gageait son âme des entraves corporelles et la mettait en état de re­cevoir des communications divines. La station qu’il occupait dans le spiritualisme était au‑dessous de celle des prophètes ; mais rien ne nous empêche de reconnaître que c’était une station fort respectable.
[Après avoir soumis ces observations au lecteur, nous lui rappelle­rons ce que nous avons dit au sujet de la géomancie. Les hommes qui pratiquent cet art tracent des lignes sur le sable, et ils tiennent leurs regards fixés sur ces traits, afin de préoccuper les sens et de découvrir les secrets du monde invisible. Il leur survient alors une faculté réelle au moyen de laquelle ils aperçoivent les mystères qui se comprennent par le sens intérieur. Mais, pour y parvenir, ils doivent s’arracher complètement à l’influence des sens, éviter les percep­tions qui sont spéciales à la nature humaine, et viser à celles du monde spirituel. Nous avons déjà expliqué la différence qui existe entre ces deux genres d’impressions. L’opération dont nous venons de parler s’emploie aussi dans la divination, où elle consiste à fixer ses p.237 regards sur des os, des liquides ou des miroirs. Elle diffère tout à fait de celle qui est pratiquée par certains devins et géomanciens, qui mettent en œuvre des moyens artificiels et tâchent de connaître le monde invisible en faisant des suppositions et des conjectures. Ne s’étant pas détachés de l’influence des perceptions corporelles, ils par­courent au hasard le champ des hypothèses. Quelques prophètes, vou­lant disposer leur esprit à entendre la parole de l’ange, ont eu peut-être l’habitude de tracer des caractères pendant leur état d’excitation prophétique ; d’autres individus qui n’appartenaient pas à la classe des prophètes ont voulu les imiter, dans l’espoir d’atteindre à la per­ception spirituelle et de sortir du domaine des sens. Les perceptions que ceux‑ci peuvent acquérir ne sont que spirituelles, tandis que celles dont jouissent les prophètes leur sont apportées par un ange comme une révélation de Dieu. Quant aux divers degrés de perceptivité auxquels les géomanciens peuvent s’élever, par des tentatives fondées sur des hypothèses et des conjectures, à Dieu ne plaise qu’un pro­phète *207 y ait passé ! Un prophète n’essaye jamais de pénétrer dans le monde invisible ; jamais il n’en parle avec l’intention de satisfaire (la curiosité de) qui que ce soit. Dans la tradition déjà mentionnée [413], ] les mots et ille cujus lineatio congruit, ita est, signifient qu’en fait de lignes ou d’écriture, celle‑ci est la bonne, parce qu’elle a pour appui les révélations communiquées à un prophète qui avait l’habitude de les recevoir pendant qu’il traçait des lignes. [Ou bien [414], ces mots peuvent indiquer que ce prophète avait atteint une haute supériorité en se servant [415] de lignes tracées sur le sable ; mais, alors même, il n’y aurait aucun rapport entre son art et celui des géomanciens [416]. L’opération qu’il pratiquait a dû s’accorder avec l’état de son âme, laquelle était déjà disposée à recevoir des révélations ; aussi les recevait‑il par suite de cette disposition.] Si, pour obtenir (des perceptions du monde p.238 spirituel), on se bornait uniquement à tracer des lignes, sans être appuyé par le concours d’une révélation, on arriverait à un résultat sans valeur. Tel est, selon nous, le sens de la tradition. [Elle ne ren­ferme rien qui puisse donner à entendre que la géomancie fût d’ins­titution divine, ou que la pratique de cet art dans le but de con­naître le monde spirituel, ainsi que cela a lieu dans les grandes villes, soit autorisée par la loi de Dieu. Les géomanciens qui inclinent vers l’opinion contraire s’appuient sur le principe que les actions d’un prophète, étant réglées par la loi, doivent servir d’exemple aux autres hommes. Selon eux, la géomancie est autorisée par la loi en consé­quence de la maxime que les règles prescrites à nos prédécesseurs sont obligatoires pour nous. Cette conclusion n’est pas juste ; les règles prescrites par Dieu ne regardent que ses apôtres, chargés eux‑mêmes de régler la conduite des peuples. D’ailleurs, rien dans la tradition n’autorise une pareille conclusion ; cette parole de Mohammed indique seulement que certains prophètes s’étaient trouvés dans un certain état ; or il est permis de supposer que cet état ne leur était pas pres­crit par la loi. Donc l’exemple de ces prophètes ne peut servir de règle ni générale, ni spéciale ; aucun peuple n’est tenu à le suivre, pas même le leur. Du reste, la tradition dont il s’agit indique que cet état était particulier à certains prophètes, donc il ne pouvait pas se trans­mettre à tous les autres hommes. Ici se termine l’examen de la ques­tion qui nous occupait. Dieu, par son inspiration, conduit vers la vérité.]
Les géomanciens qui ont la prétention de découvrir les secrets du monde invisible prennent du papier, ou du sable, ou bien de *208 la farine, et tracent dessus quatre rangs de points, (marqués au ha­sard et sans compter). Cette opération répétée quatre fois donne seize rangs de points. Ensuite ils suppriment les points deux par deux, et mettent à part le point simple ou le point double qui reste à la fin de chaque rang [417]. Ils obtiennent ainsi quatre figures, qu’ils mettent une p.239 à côté de l’autre sur une même ligne. De celles‑ci ils tirent encore quatre figures (nouvelles), en confrontant les points de chaque rang avec ceux qui lui correspondent dans les figures voisines et en tenant compte des points simples et doubles [418]. Ils peuvent alors mettre en ligne huit figures. Chaque couple de figures fournit une autre figure, qui se place au‑dessous d’elles ; on l’obtient en confrontant les points simples de chaque ligne de ces figures avec les points correspondants qui se trouvent dans les autres. De là proviennent quatre nouvelles figures, qui se placent au‑dessous des précédentes. Ces quatre figures en pro­duisent encore deux, que l’on place de la même manière. De celles‑ci on en obtient une quinzième, qui, étant mise en rapport avec la première de toutes, fournit une autre figure, qui complète le nombre de seize. Alors [419] on examine ce qu’on vient de tracer, on tient compte de chaque figure selon qu’elle présage bonheur ou malheur, et l’on pro­nonce des jugements d’après l’essence de la figure, son aspect, son influence, son tempérament, l’objet qu’elle indique parmi les di­verses espèces d’êtres, etc. Ces jugements se forment d’une manière assez étrange.
La pratique de la géomancie s’est répandue dans tout le monde ci­vilisé ; elle forme le sujet de plusieurs livres, et a procuré une grande réputation à divers personnages des temps anciens et modernes. Il est cependant facile de voir combien cette manière de juger est arbitraire et fantastique. Le lecteur doit toujours avoir en vue cette vérité, qu’aucun moyen artificiel ne saurait procurer la connaissance des mystères appartenant au monde invisible. Personne ne peut les dé­couvrir excepté quelques hommes privilégiés, qui, par une disposition *209 innée, ont la faculté de se transporter hors du monde sensible et d’entrer dans le monde spirituel.
p.240 Le mode d’opération suivi par ces géomanciens leur a fait donner, par les astrologues, le nom de zohériens (serviteurs de la planète Vénus), parce qu’il y a une grande analogie entre leurs procédés et la manière de reconnaître les indications par lesquelles, dit‑on, cette planète guide vers la connaissance des choses cachées celui qui prend les nativités pour base de ses opérations. Les gens qui cultivent la géo­mancie ou tout autre art de la même nature, ceux qui inspectent des points, des os ou quelque autre objet, afin d’enlever l’âme à l’influence des sens extérieurs, et lui faire jeter un coup d’œil rapide [420] sur le monde des êtres spirituels, ces hommes peuvent se ranger dans la classe de ceux qui prétendent découvrir les choses cachées en jetant des cailloux, en examinant les cœurs des animaux et en fixant leurs regards sur des miroirs. Quoi qu’il en soit, les gens qui se servent de pareils procédés avec l’intention de connaître les secrets du monde invisible ne font et ne disent rien qui vaille.
La disposition innée qui permet à certaines personnes d’aperce­voir les choses du monde invisible se fait reconnaître de cette ma­nière : lorsqu’elles tournent leur esprit vers la découverte des événe­ments futurs, on remarque qu’au moment de sortir de leur état ordinaire, elles éprouvent, pour ainsi dire, une contraction et une re­laxation (des nerfs), et qu’elles commencent alors à se dégager de l’in­fluence des sens. Ces symptômes varient de force, selon que la fa­culté est plus ou moins développée dans l’individu. Les personnes chez qui cette agitation ne se montre pas sont incapables d’avoir même la moindre perception du monde spirituel, et, si elles prati­quent leur art, c’est pour donner plus de crédit à leurs mensonges.
Il y a une classe d’hommes qui, par l’emploi d’un système de règles, cherchent à découvrir ce qui est caché : ce système n’a au­cune analogie avec le premier dont nous avons parlé, et qui se rap­porte aux perceptions spirituelles de l’âme ; il ne ressemble pas non plus à l’art de former des conjectures en étudiant les influences que Ptolémée prétend appartenir aux astres ; on ne peut pas même p.241 l’assimiler au système de conjectures et d’hypothèses qui plaît tant aux *210 sachants. C’est tout simplement un recueil de tromperies dont ils se servent pour capter les esprits faibles ; aussi n’en aurais‑je point parlé si je n’avais pas voulu indiquer ce que les auteurs ont dit à ce sujet, et satisfaire la curiosité des personnages haut placés.
Parmi ces systèmes, on trouve une espèce de calcul (hiçab) auquel on donne le nom de hiçab en‑nîm [421]. Il en est question vers la fin du Kitab es‑Sîaça (Traité de politique), ouvrage attribué à Aristote [422]. On emploie ce calcul quand deux rois vont se faire la guerre, et que l’on désire savoir lequel sera vainqueur. Voici comment se fait l’opéra­tion : on additionne les valeurs numériques des lettres dont se com­pose le nom de chaque roi ; ce sont des valeurs de convention attri­buées aux lettres de l’alphabet ; elles vont depuis l’unité jusqu’au mille et se classent par unités, dizaines, centaines et milliers. L’ad­dition faite, on retranche neuf de chaque somme autant de fois qu’il faut afin d’avoir deux restes moindres que neuf. On compare ces restes ensemble ; si l’un est plus fort que l’autre, et que tous les deux soient des nombres pairs ou des nombres impairs, le roi dont le nom a fourni le reste le plus faible obtiendra la victoire : Si l’un des restes est un nombre pair et l’autre un nombre impair, le roi dont le nom a fourni le reste le plus fort sera le vainqueur. Si les deux restes sont égaux, et qu’ils soient des nombres pairs, le roi qui est at­taqué remportera la victoire ; si les restes sont égaux et impairs, le roi qui attaque triomphera. On trouve, dans le même livre, deux vers qui se rapportent à cette opération, et qui sont bien connus ; les voici :
Dans les pairs et dans les impairs, c’est le moindre nombre qui l’emporte [423] ; si l’un est pair et l’autre impair, c’est le plus grand qui sera vainqueur.p.242 
Celui qui est attaqué aura la victoire, si les deux nombres égaux sont pairs [424] ; s’ils sont impairs, celui qui attaque triomphera.
Plus tard, les amateurs de cet art inventèrent un système qui s’em­ploie encore, et qui fait connaître ce qui reste (de la somme) des *211 (nombres représentés par les) lettres, après que l’on a retranché de cette somme le plus grand multiple de neuf [425]. Ils réunissent en un seul mot les lettres qui indiquent les unités des quatre premiers ordres [426] ; d’abord l’élif (ﺍ), qui a la valeur d’unité simple ; puis le ya (ﻯ), qui est l’unité du second ordre, c’est‑à‑dire dix ; puis le caf (ﻕ), qui, étant l’unité des centaines, équivaut à cent ; puis le chîn (ﺵ), qui est l’équivalent de mille et l’unité de cet ordre. Au­cune lettre, à elle seule, ne désigne un nombre supérieur à mille, vu que le chîn, chez les Maghrébins, est la dernière lettre de l’alphabet [427]. Ayant placé ces quatre lettres selon le rang qu’elles occupent dans la numération, on obtient un mot quadrilitère, qui s’écrit ainsi ﺵﻘﻴﺍ , aïcach [428]. Ensuite on traite de la même manière les deuxièmes des trois premiers ordres, sans se préoccuper de la deuxième de l’ordre des milliers, vu que mille a pour représentant la dernière lettre de l’alphabet [429]. Les trois lettres qui indiquent les deuxièmes de chaque ordre sont le bé (ﺐ)deuxième simple ; le kaf (ﻙ), deuxième du second ordre et l’équivalent de vingt ; et le ré (ﺭ), deuxième de l’ordre p.243 centenaire, et représentatif de deux cents. Ces lettres, disposées selon leur rang, forment le mot trilitère ﺭﮐﺒ , béker. Par le même procédé on compose, avec les lettres qui représentent les troisièmes de chaque classe numérique, le mot ﺲﻠﺠ , djélès [430]et l’on continue l’opération jus­qu’à ce qu’on ait épuisé l’alphabet. On obtient ainsi neuf mots (ou grou­pes de lettres) qui contiennent les dix unités de chaque ordre ; ce sont :
1° ﺵﻘﻴﺍ , aïcach ; 2° ﺭﮐﺒ , béker ; 3° ﺲﻠﺠ , djélès ; 4° ﺕﻣﺩ , démet ; 5° ﺚﻨﻫ héneth ; 6° ﺦﺻﻭ , ouasakh [431] ; 7° ﺫﻋﺯ , zaâdh [432] ; 8° ﻅﻔﺣ , h’afadh’ [433] ; 9° ﻎﺿﻁ , t’a­d’ogh. Ces mots sont rangés en ordre numérique et chacun d’eux est précédé d’un numéro indiquant cet ordre : le mot ﺵﻘﻴﺍ porte le nu­méro 1 ; le mot ﺭﮐﺒ , le numéro 2 ; le mot ﺲﻠﺠ , le numéro 3, et ainsi *212 de suite jusqu’au mot ﻎﺿﻁ , qui porte le numéro 9 [434]. Maintenant, pour diviser par neuf [435] la somme des valeurs numériques attribuées aux lettres qui composent un nom propre, on cherche chaque lettre dans la série des groupes, et on la remplace par le numéro d’ordre attaché au groupe dont elle fait partie. On fait alors l’addition des numéros par lesquels on vient de remplacer les lettres du nom ; si la somme de ces numéros dépasse neuf, pris une ou plusieurs fois, on retient ce qui reste ; sinon, on la conserve telle qu’elle est. Ayant opéré de la même manière sur l’autre nom, on compare les deux résultats, ainsi que nous l’avons indiqué. Le secret de cette méthode se reconnaît fa­cilement : c’est que le reste que l’on obtient pour tous les nœuds [436] p.244 d’entre les nombres, après en avoir retranché le plus grand multiple de neuf, est toujours une (des huit premières unités). L’auteur du sys­tème n’a donc fait que grouper ensemble les nœuds de même espèce, afin de pouvoir représenter chaque groupe par une des unités. A cet égard, il n’y a pas de différence entre 2, 20 et 200 : tous ces nœuds peuvent se désigner par 2. Pareillement 3, 30, 300, 3000, se dési­gnent par 3. Les nombres placés suivant l’ordre naturel (devant cha­cun des neuf mots ou groupes de lettres) ne servent qu’à représenter ces nœuds. Les lettres de chaque groupe indiquent [437] les espèces de nœuds en fait d’unités, de dizaines, de centaines et de milliers. Le numéro assigné à chacun de ces groupes tient lieu de chacune des lettres faisant partie de ce groupe, peu importe que cette lettre désigne une unité, un dizaine, une centaine ou un millier [438]. On prend donc le chiffre dont un groupe est accompagné à la place de chacune des lettres qui composent ce groupe ; on fait ensuite l’addition de ces nombres, et l’on procède ainsi que nous l’avons dit plus haut. Tel est le système qui, depuis les temps [439] anciens, a été généralement employé ; mais quelques‑uns de mes maîtres sont d’avis que, dans le vrai système, les mots dont nous avons parlé doivent être rem­placés par d’autres qui suivent le même ordre. L’opération se fait de *213 même par la soustraction de neuf. Voici ces mots : 1° ﺐﺮﺍ , areb ; 2° ﻚﻗﺳﻳ [440]ïescak ; 3° ﻁﻟﺯﺟ , djezlot’ ; 4° ﺺﻭﺩﻣ, medous’ ; 5° ﻒﻫ, hef ; 6° ﻥﺫﺣﺘ, tah’den ; 7° ﺶﻏ , ghach ; 8° ﻊﺧ , khâ [441] ; 9° ﻆﺿﺛ , thad’odh [442]p.245 Ces neuf mots sont numérotés suivant l’ordre naturel des nombres. Les uns sont trilitères ; les autres, bilitères ou quadrilitères. On voit qu’aucun principe général n’a réglé leur formation ; je les donne tels que je les ai reçus de mes maîtres. « Nous les tenons, disaient‑ils, d’Abou ’l‑Abbas Ibn el‑Benna [443], le plus grand maître que l’Occident ait jamais produit en astrologie, en magie naturelle et dans la science qui a pour objet les vertus occultes des lettres de l’al­phabet. » Ils déclaraient que, d’après l’avis de cet homme, quand on faisait le genre de calcul nommé hiçab en‑nîm, on était plus sûr d’atteindre la vérité en se servant de ces groupes pour opérer le retranchement du plus grand multiple d’un nombre, qu’en employant ceux qui appartiennent au système aïcach. Dieu sait si cela est exact.
Tous ces moyens de découvrir les secrets du monde invisible ne s’appuyent sur aucune base et ne sont soutenus par aucune démons­tration. Selon les critiques les plus exacts, le livre où il est question du calcul nommé hiçab en‑nîm ne peut pas être d’Aristote, parce qu’il renferme des opinions qui n’ont aucune apparence de probabilité. Le lecteur intelligent pourra s’en convaincre s’il veut prendre la peine de feuilleter le volume [444].
On prétend posséder encore un système artificiel au moyen duquel on peut obtenir la connaissance des choses qui appartiennent au monde invisible. C’est la zaïrdja‑t‑el‑aalem (tableau circulaire de l’u­nivers), dont on attribue l’invention à Abou ’l‑Abbas es‑Sibti [445], natif de Ceuta, l’un des soufis les plus distingués du Maghreb. Vers la fin du Ve siècle, Es‑Sibti se trouvait dans la ville de Maroc pendant que Ya­coub el‑Mansour, souverain des Almohades, occupait le trône. La construction de la zaïrdja (tableau circulaire) est d’un artifice surpre­nant. Bien des personnes haut placées aiment à la consulter afin p.246 d’obtenir du monde invisible des connaissances qui pourraient leur être utiles. Ils essayent d’en employer les procédés énigmatiques, et d’en deviner les mystères dans l’espoir d’atteindre le but qu’ils se pro­posent. La figure sur laquelle ils opèrent a la forme d’un grand cercle *214 qui renferme d’autres cercles concentriques, dont les uns se rappor­tent aux sphères célestes, et les autres aux éléments, aux choses sub­lunaires, aux êtres spirituels, aux événements de tout genre et aux connaissances diverses. Les divisions de chaque cercle sont les mêmes que celles de la sphère qu’il représente ; les signes du zodiaque, l’indi­cation des quatre éléments, etc. s’y trouvent. Les lignes qui forment chaque division s’étendent jusqu’au centre du cercle et portent le nom de rayons [446]. Sur chaque rayon on voit inscrite une série de lettres ayant chacune une valeur numérique et dont quelques‑unes appar­tiennent à l’écriture d’enregistrement, c’est‑à‑dire aux sigles dont les employés de la comptabilité et d’autres administrations maghrébines se servent encore pour désigner les nombres [447]. On y remarque aussi des chiffres appartenant au caractère nommé ghobar [448]Dans l’intérieur de la zaïrdja, entre les cercles concentriques, on remarque les noms des sciences et les lieux des diverses espèces d’êtres [449]. Sur le dos du tableau des cercles, on voit une figure renfermant un grand nombre de cases, séparées les unes des autres par des lignes verticales et ho­rizontales. Ce tableau offre, dans la direction de sa hauteur, cin­quante‑cinq cases, et, dans celle de sa largeur, cent trente et une cases. Les cases qui occupent le bord du tableau sont, les unes vides, les autres remplies [450] ; de celles‑ci les unes renferment des nombres, les autres des lettres. La règle qui a présidé à la distribution de ces caractères dans les cases nous est inconnue, ainsi que le principe p.247 d’après lequel certaines cases doivent être remplies et les autres rester vides. Autour de la zaïrdja se trouvent plusieurs vers appartenant au mètre nommé taouîl, et dont la rime se forme par la syllabe la. Ce poème indique la manière d’opérer sur le tableau lorsqu’on veut obtenir une réponse à la question dont on s’occupe ; mais, par l’ab­sence de clarté et le manque de précision, il demeure une véritable énigme [451]. Sur un des bords du tableau se voit un vers composé par Malet Ibn Woheïb [452], l’un des plus habiles devins du pays de l’Occi­dent. Il florissait sous la dynastie lemtounienne (almoravide) et ap­partenait *215 au corps des uléma de Séville. Voici le vers [453].
On se sert toujours de ce vers lorsqu’on emploie la zaïrdja de cette espèce ou de toute autre dans le but d’obtenir une réponse à une question. Pour avoir la réponse, on met la question par écrit, mais on a soin d’en décomposer les mots en lettres isolées. Ensuite on cherche (dans les tables astronomiques) le signe du zodiaque et le degré de ce signe qui s’élève sur l’horizon (c’est‑à‑dire l’ascendant) au moment de l’opération. Consultant alors la zaïrdja, on cherche le rayon qui forme la limite initiale du signe qui est l’ascendant ; on suit ce rayon jusqu’au centre du cercle, et de là jusqu’à la p.248 circonférence, vis‑à‑vis de l’endroit où le signe ascendant se trouve indiqué, et l’on copie toutes les lettres qui sont inscrites sur ce rayon, depuis le commencement jusqu’à la fin ; on prend aussi les chiffres numé­riques tracés entre ces lettres, et on les transforme en lettres d’après le procédé nommé hiçab el‑djomel [454]. Quelquefois on doit convertir en dizaines les unités obtenues de cette manière, changer les dizaines en centaines, et vice versa, mais toujours en se conformant aux règles qu’on a dressées pour l’emploi de la zaïrdja. Le résultat se place à côté des lettres dont la question se compose. Alors on examine le rayon qui marque la limite du troisième signe du zodiaque, à comp­ter de celui qui est l’ascendant ; on relève toutes les lettres et chiffres inscrits sur ce rayon, depuis son extrémité jusqu’au centre du cer­cle, point où l’on s’arrête, sans passer jusqu’à la circonférence. Les chiffres ainsi trouvés se remplacent par des lettres, selon le procédé déjà indiqué, et ces lettres doivent se placer à côté des autres. En­suite on prend pour clef de toute l’opération le vers composé par Malek Ibn Woheïb, et, l’ayant décomposé en lettres isolées, on les met à part. Ensuite on multiplie le nombre du degré de l’ascendant par un nombre qui s’appelle l’ass [455] du signe. Pour obtenir cet ass, on compte en arrière, depuis la fin de la série des signes ; procédé qui *216 est l’opposé de celui dont on se sert dans les calculs ordinaires, en prenant pour point de départ le commencement de la série. Le pro­duit ainsi obtenu se multiplie avec un facteur nommé le grand ass et le dour [456] fondamental. On applique ces résultats aux cases du tableau, p.249 en se conformant aux principes qui règlent la marche de l’opération, et après avoir employé un certain nombre de dour. De cette manière on tire (du tableau) plusieurs lettres dont une partie doit être sup­primée, et dont le reste se place vis‑à‑vis de celles qui composent le vers d’Ibn Woheïb. On range aussi quelques‑unes de ces lettres parmi celles qui avaient formé les mots de la question et auxquelles on en a déjà ajouté d’autres. On élimine de cette série de lettres celles dont les places sont indiquées par certains nombres appelés dour ; (voici comment :) on passe sur autant de lettres qu’il y a d’unités dans le dour, et, arrivé à la dernière unité du dour, on prend la lettre qui y correspond et on la met à part ; puis on continue l’opération jusqu’à la fin de la série de lettres [457]. On répète cette opération en employant plusieurs autres dour destinés à cet usage. Les lettres iso­lées que l’on obtient ainsi se rangent ensemble et produisent un cer­tain nombre de mots formant un vers, dont la rime et la mesure sont les mêmes que celles du vers qui a servi de clef, et qui a pour auteur Malek Ibn Woheïb. Nous traiterons de toutes ces opérations dans la section des sciences, au chapitre qui indique comment on doit se ser­vir de cette zaïrdja [458].
Nous avons vu beaucoup de personnes haut placées montrer un grand engouement pour la pratique de cet art, et s’y appliquer dans l’espoir de connaître les secrets du monde invisible. Ils croyaient que l’à‑propos des réponses aux questions suffisait pour indiquer que les événements seraient conformes aux réponses. Cette opinion est mal fondée ; le lecteur a déjà compris qu’on ne saurait connaître les se­crets du monde invisible par l’emploi des moyens artificiels. Il est p.250 vrai qu’entre les demandes et les réponses il y a un certain rapport, en ce que les réponses sont intelligibles et conformes (aux questions) ainsi que cela doit l’être dans la conversation. Il est vrai aussi que la réponse s’obtient de la manière suivante : on fait un triage dans la col­lection des lettres fournies par les mots de la question et par les *217 rayons du tableau ; on applique les produits de certains facteurs aux cases du tableau, d’on l’on tire ensuite quelques lettres ; on met à part certaines lettres en faisant plusieurs triages au moyen des dour, et l’on place tout cela vis‑à‑vis des lettres qui forment le vers (de Ma­lek Ibn Woheïb).
Un homme intelligent qui aura examiné les rapports qui existent entre les diverses parties de cette opération parviendra à en décou­vrir tout le secret ; car les rapports mutuels des choses fournissent à l’esprit le moyen d’obtenir la connaissance de l’inconnuet lui ser­vent aussi de voie pour y atteindre. La faculté d’apercevoir les rap­ports des choses se trouve surtout [459] chez les personnes habituées aux exercices spirituels, dont la pratique augmente la puissance raison­nante, et ajoute une nouvelle force à la faculté de la réflexion. C’est là un effet dont nous avons déjà donné l’explication plus d’une fois. L’idée que nous rappelons ici a eu pour résultat que presque tout le monde attribue l’invention des zaïrdja à des hommes qui s’étaient épuré l’âme au moyen d’exercices spirituels ; ainsi la zaïrdja dont je viens de parler est attribuée à Es‑Sibti (qui était soufi). J’en ai vu en­core une autre, imaginée, dit‑on, par Sehel Ibn Abd Allah, et j’avoue que c’est un ouvrage étonnant, produit bien remarquable d’une grande application d’esprit [460]. Pour expliquer comment la zaïrdja d’Es‑Sibti fournit une réponse en forme de vers, je suis porté à croire que l’em­ploi du vers d’Ibn Woheïb, comme type, influe sur la réponse et lui communique la même mesure et la même rime [461]. A l’appui de mon p.251 opinion, je dirai qu’ayant vu opérer (sur des zaïrdja) sans prendre ce vers pour type, j’ai reconnu que la réponse n’était pas versifiée. Nous parlerons encore de ce fait en son lieu et place [462].
Bien des gens refusent d’admettre que cette opération soit sérieuse *218 et qu’elle puisse fournir une réponse à ce qu’on demande. Ils nient qu’elle soit réelle et la regardent comme une suggestion de la fantaisie et de l’imagination. S’il faut les en croire, l’homme qui opère sur la zaïrdja prend les lettres d’un vers qu’il a fait comme il l’entend, et les insère parmi les lettres dont la question se compose et celles qui appartiennent aux rayons ; il opère au hasard et sans règle ; il pro­duit, à la fin, le vers (qu’il a fabriqué) et fait accroire qu’il l’a ob­tenu en suivant un procédé régulier. Une opération conduite de cette manière ne serait qu’un mauvais jeu de l’imagination ; celui qui vou­drait s’y livrer serait bien certainement incapable de saisir les rap­ports qui existent entre les êtres et les connaissances, et de voir combien les opérations de la perception diffèrent de celles de l’in­telligence. Du reste chaque observateur est porté à nier tout ce qu’il n’aperçoit pas. Pour répondre à ceux qui traitent de jongleries les opérations faites sur la zaïrdja, il nous suffira de dire que nous avons vu pratiquer ces opérations selon les règles de l’art, et que, d’après notre opinion bien arrêtée, elles se font toujours de la même manière et suivant un véritable système de règles [463]. Celui dont l’esprit est ca­pable d’un certain degré de pénétration et d’attention n’aura pas le moindre doute à ce sujet, s’il veut assister à une de ces opérations.
L’arithmétique, science dont les résultats sont de la dernière évi­dence, offre beaucoup de problèmes [464], que l’intelligence ne saurait comprendre tout d’abord, parce qu’ils renferment des rapports que l’on ne saisit pas facilement et qui se dérobent à l’observation. Que doit‑il en être à l’égard d’un art comme celui de la zaïrdja, dont la nature est si extraordinaire, et qui se rattache à son sujet par des rap­ports si obscurs ? Nous citerons ici un problème assez difficile, afin de faire comprendre la force de notre observation. On prend plusieurs dirhems (monnaies d’argent) et, à côté de chaque pièce, on place trois folous [465]. Avec la somme des folous on achète un oiseau et avec celle des dirhems on en achète plusieurs autres au même taux que le premier. *219 Combien a‑t‑on acheté d’oiseaux ? La réponse est : neuf. En effet nous savons qu’il y a vingt‑quatre folous dans un dirhem ; donc trois folous sont le huitième d’un dirhem. Or, puisque chaque unité se compose de huit huitièmes, nous pouvons supposer qu’en faisant cet achat nous avons réuni le huitième de chaque dirhem aux huitièmes des autres dirhems, et que chacune de ces sommes fait le prix d’un oiseau. On a donc acheté avec les dirhems seuls huit oiseaux ; nombre qui est celui des huitièmes qui composent l’unité ; ajoutons‑y l’oiseau acheté d’abord avec la somme des folous, et nous aurons, en tout, neuf oiseaux, puisqu’avec les dirhems nous avons acheté au même taux qu’avec les folous [466].
On voit, par cet exemple, comment la réponse est renfermée im­plicitement dans la question, et s’obtient de la connaissance des rap­ports cachés qui existent entre les quantités dont le problème donne l’indication. Lorsqu’une question de cette nature se présente pour la première fois, on s’imagine qu’elle appartient à une catégorie dont la solution ne peut s’obtenir que du monde invisible. Mais, au moyen des rapports mutuels des choses, on parvient à tirer l’inconnu de certaines données. Cela est surtout vrai en ce qui regarde les faits présentés par le monde sensible et par les sciences ; quant aux p.253 événements futurs, ce sont des secrets dont il est impossible d’obtenir une connaissance certaine, tant que nous en ignorons les causes et que nous n’en avons pas des notions certaines. D’après ce que nous ve­nons d’exposer, on comprendra comment le procédé qui, au moyen de la zaïrdja, tire une réponse des mots dont se compose la ques­tion, sa réduit à faire paraître, sous une autre forme, certaines combinaisons de lettres dont l’ordre était d’abord celui des lettres qui formaient la question. Pour celui qui entrevoit les rapports qui existent entre les lettres de la question et celles de la réponse, tout ce qu’il y a de mystérieux devient clair. Les hommes capables de re­connaître ces rapports et d’employer les règles dont nous avons parlé peuvent obtenir assez facilement la solution qu’ils cherchent. Chaque réponse de la zaïrdja, envisagée sous un autre point de vue, offre, par la position et la combinaison de ses mots, un des caractères dont toute réponse est susceptible, c’est‑à‑dire une négation ou une affir­mation. *220 Sous le premier point de vue, la réponse a un autre carac­tère ; ses indications rentrent dans la classe des prédictions et de leur accord avec les événements [467] ; mais on ne parviendra jamais à la connaissance (des événements futurs) si l’on emploie des procédés du genre de celui dont nous venons de parler. Bien plus, il est défendu à l’homme de s’en servir dans ce but. Dieu communique la science à qui il veut ; Dieu sait, et vous ne savez pas. (Coran, sour. II, vers. 213.)


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[1] En arabe, ﻥﺍﺭﻣﻋ , omranCe mot signifie « un lieu habité, la culture, la population d’un pays, sa prospérité, la civilisation », en un mot ce qui garnit, ﺭّﻣﻋ, un pays.
[2] Le Περι χρείας τω̃ν ε̉ν α̉νθρώπον σώματι μορίων fut traduit en arabe par Hobaïch et Honeïn, sous le règne du khalife abbacide El-Mamoun.
[3] Coran, sour. II, vers. 28.
[4] D’après les logiciens arabes, l’objet (maudouâ, υποκείμενον) d’une science est la chose dont les accidents qui affectent son essence fournissent la matière d’un traité spécial. L’objet de la géométrie, c’est la quantité ; celui de la médecine, c’est le corps humain ; celui de l’astronomie, ce sont les corps célestes. Or le géomètre, le médecin, l’astronome, ne sont pas obli­gés à démontrer que la quantité, le corps humain, les corps célestes, sont les objets de leurs sciences respectives. Il en est de même de l’historien quand il prend la civilisation pour l’objet de ses études. L’au­teur aurait pu ajouter qu’on n’est pas même tenu à définir l’objet d’une science. Aristote a dit : « On appelle encore prin­cipes propres, dont on admet aussi l’exis­tence sans démonstration, les choses dans lesquelles la science trouve les propriétés essentielles qu’elle étudie. Ainsi l’arith­métique admet sans démonstration les unités, et la géométrie les points et les lignes ; car elles admettent, sans démons­tration, et l’existence et la définition de ces choses. » (Derniers analytiques, liv. I, ch. X, trad. de M. Barthélemy Saint‑Hilaire.)
[5] Le manuscrit D porte ﺾﺭﻻﺍ ﺕﺣﺗ ﻪﻨﺍ ; l’édition de Boulac offre la même leçon, et remplace ﻪﻨﻋ  par ﻪﻨﻣ , ce qui confirme notre traduction.
[6] Pour ﺔﻴﻼﺒﻟﺍ , il faut lire, avec les ma­nuscrits et l’édition de Boulac, ﺔﻴﻼﺒﻟ . Ce mot est peut‑être une altération de πέλαγος, ou bien il représente ﺕﻨﻼﺘﻟ , l’Atlantique. Ce dernier mot étant changé en ﺔﻨﻼﺘﻟ , puis ponctué d’une manière inexacte, aura produit le mot Leblaïa. El-Bekri, dans sa Description de l’Afrique septentrionalepage 249, donne au mont Atlas le nom de ﺕﻨﻟﺫﺍ , Adlant : le nom d’Atlas était donc connu des Arabes.
[7] Voy. Iagiouge et Magiouge dans la Bibl. or. de d’Herbelot, et ci-après dans la description du sixième climat.
[8] Voy. la copie du planisphère d’Idrîci qui se trouve dans la traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, par M. Reinaud, t. I, p. 120.
[9] Ceci est en contradiction avec ce que l’auteur dit plus loin.
[10] Les anciens géographes donnèrent une longeur excessive à la Méditerranée, et les Arabes adoptèrent leurs mesures. G. Delisle fut le premier à découvrir l’er­reur ; il réduisit de trois cents lieues le chiffre généralement admis.
[11] Dénia n’est pas une île, mais, en l’an 405 (1014-1015 de J. C.), après la chute de la dynastie omeïade, cette ville de l’An­dalousie formait, avec les Baléares, une souveraineté indépendante, que l’on ap­pelait le royaume de Dénia.
[12] ﺵﻁﻴﻨ Nitoch, est une altération du mot ﺵﻁﻨﺒ  Bontoch, c’est‑à‑dire Pontus.
[13] Voy. la traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, par M. Reinaud, p. 288.
[14] Si l’auteur avait écrit quatre cent vingt milles, il aurait été plus près de la vérité.
[15] Pays située au sud du golfe d’Aden.
[16] Voici le vers :
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Sur des chevaux aux queues écourtées, habi­tués aux marches de nuit, chevaux de Berbera. (Voy. Divan d’Amro’lcaïs, p. ۲۷, ligne 13.)
[17] Îles dont les arbres produisaient, dit­-on, des fruits qui ressemblaient à des têtes humaines et qui poussaient des cris de ouac‑ouac. On croit pouvoir identifier ces îles avec les Seychelles.
[18] El-Ahkaf signifie, en arabe, les col­lines de sable. Ce mot désigne ici le vaste désert qui occupe la partie sud‑est de la presqu’île arabique.
[19] M. Quatremère a démontré que les Bedja étaient le même peuple que les an­ciens Blemmyes. (Voyez ses Mémoires sur l’Égypte, t. II. p. 127.)
[20] C’est le golfe Persique.
[21] On peut consulter, sur cette ville, la note de la p. 124 de la traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, par M. Reinaud.
[22] C’est la mer Caspienne.
[23] Notre auteur vient de dire que cette montagne était à.seize degrés au sud de l’équateur, ce qui ferait au moins qua­rante‑huit journées de marche.
[24] L’auteur aurait dû écrire « dans la mer de Fars ».
[25] En arabe Djezîra Maucel (la Mésopo­tamie). Cette grande province, située entre le Tigre et l’Euphrate, porte encore le nom d’El‑Djezîra.
[26] Pour ﻰﻨﺎﺜﻟﺍ lisez ﻥﻣﺎﺛﻟﺍ. Toutes les corrections indiquées dans ces notes sans au­cune observation sont autorisées par les manuscrits.
[27] Il ne faut pas confondre Djordjaniya avec Djordjan ; la première ville est située sur l’Aral et la seconde sur la mer Cas­pienne.
[28] Il s’agit des Kharlokh, peuple turc qui habitait au midi et au sud‑est des contrées baignées par l’Oxus et le Iaxartes. (Voy. Relation des voyages des Arabes en Chine, traduite par M. Reinaud, t. I, p. CXLIII et CLI du discours préliminaire.)
[29] Deux manuscrits et l’édition de Boulac portent ﺎﻬﻳﻔ , à la place de ﺎﻣﻬﻳﻔ  , et fournissent ainsi la bonne leçon.
[30] On ne s’explique pas pourquoi l’auteur a dit le cinquième et le septième, plutôt que le sixième et le septième.
[31] Il s’agit du soleil, de la lune et des planètes.
[32] L’auteur dit : ﺽﺭﻻﺍ ﻰﺣ ﺍﻭﻨ  ﻊﻴﻣﺟ ﻰﻔ  « pour toutes les régions de la terre », ce qui n’est pas vrai : les pays situés sous l’é­quateur sont les seuls dans lesquels on puisse avoir les deux pôles sur l’horizon.
[33] Il ne fallait pas avoir recours aux observations pour établir que le premier climat commençait à l’équateur. Quelques astronomes avaient décidé que cela serait ainsi.
[34] L’auteur emploie ici le terme ﻝﻫﺍ ﺕﻴﻗﺍﻭﻣﻟﺍ , c’est‑à‑dire, les gens qui dressent les calendriers servant à indiquer les heures de la prière.
[35] Quand les signes septentrionaux sont au‑dessus de l’horizon, les signes méridio­naux sont au‑dessous ; aussi, à mesure que le commencement du Cancer s’ap­proche du zénith, le commencement du Capricorne s’éloigne de l’horizon vers le nadir.
[36] Tous les manuscrits portent ﻖﻓﻻﺍ à l’horizon. Cette leçon ne vaut rien ; il faut lire ﺏﻁﻗﻟﺍ .
[37] Les derniers mots de cette phrase sont tout à fait inutiles ; que l’équateur soit per­pendiculaire à l’horizon ou non, la décli­naison du signe reste invariable.
[38] Littéral. « les rayons frappent conti­nuellement sur l’horizon (ﻖﻓﻻﺍ , el-ofk) dans cette région (ﻖﻓﻻﺍ, el-ofk) ». Il est fâcheux que l’auteur, en parlant de l’astro­nomie sphérique, ait employé le mot ofk pour signifier tantôt horizon et tantôt région.
[39] Littéralement, « la représentation de la géographie (el‑djoghrafia). » Dans le texte arabe, il faut mettre un point sur le ghaïn de ﺎﻳﻓﺍﺭﻐﺠﻟﺍ . La même correction doit se faire en plusieurs autres endroits de l’édi­tion de Paris.
[40] Aucun de nos manuscrits ne ren­ferme cette carte. M. Reinaud a donné une copie réduite de celle d’Idrîci dans sa traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, t. I, p. CXX de l’introduction.
[41] L’auteur a remanié ce chapitre en y faisant des additions et des changements. La première rédaction nous est offerte par les manuscrits de la Bibliothèque impé­riale, suppl. n° 7423 et n° 7425. L’édition de Boulac reproduit la seconde rédaction ; celle de Paris fournit la troisième, qui est beaucoup plus détaillée que les précé­dentes, mais elle offre plusieurs fautes graves dont on peut attribuer les unes à l’auteur lui-même, et les autres à son co­piste. Nous avons mis entre des crochets [] les paragraphes additionnels qui appar­tiennent à la troisième rédaction. Nous en ferons de même pour tous les autres cha­pitres qui ont reçu des additions.
[42] Dans les sept chapitres qui vont suivre, Ibn Khaldoun ne fait que reproduire des indications fournies par l’ouvrage d’Idrîci. On sait que ce géographe partagea le quart habitable de la terre en sept climats, et chaque climat en dix sections. Un exem­plaire de sa Géographie, conservé dans la Bibliothèque impériale (suppl. ar. n° 892), renferme soixante‑neuf cartes représen­tant chacune une section de climat. Chaque carte forme un parallélogramme d’environ trente‑deux centimètres de long sur dix‑huit de large. Le sud se trouve en haut, le nord en bas, l’orient à gauche et l’occi­dent à droite ; aussi en décrivant ces cartes on peut désigner les localités situées au sud comme supérieures, et celles qui sont au nord comme inférieures. C’est ce qu’a fait Ibn Khaldoun, qui s’est borné, en général, à décrire chaque carte ou sec­tion de climat. Ses notices sont incom­plètes et peu claires ; pour les bien com­prendre, il faudrait avoir ces cartes sous les yeux. M. Jomard en a fait tirer des copies et les a rassemblées sur une grande feuille, dont la publication est très dési­rée. On posséderait alors un secours in­dispensable pour l’intelligence de la des­cription des sept climats donnée par Ibn Khaldoun. Sur ces cartes, les contours des côtes sont étrangement défigurés, et leur orientation, ainsi que les positions relatives des lieux, est rarement exacte. L’Espagne est placée presque à l’ouest de la France ; les Pyrénées se dirigent du nord au sud, depuis Bayonne jusqu’au midi de Barce­lone ; l’Italie s’étend de l’ouest à l’est, ayant au nord les côtes de la Dalmatie. Les autres pays sont également mal re­présentés.
[43] On serait tenté d’identifier ce person­nage avec Abou Djâfer el‑Khazeni (celui dont il sera question plus bas), si notre auteur ne lui attribuait pas (ci-après, p. 110) un tableau des climats, et à Abou Djâfer (p. III), un autre tableau tout à fait différent.
[44] Pour ﻥﻻ ﺎﻀﻴﺍ , lisez ﻥﺍ ﻻﺍ .
[45] Les mots ﻥﻋ ﺲﻣﺷﻟﺍ  sont évidemment de trop. En les supprimant, il faut remplacer ﻪﺗﻣﺴ ﻰﻟﺍ , par ﻪﺗﻣﺴ  ﻥﻣ .
[46] Le texte, traduit à la lettre, signifie : « On n’est pas d’accord sur la quantité de ces latitudes et sur leur quantité dans les climats » ; ce qui est inintelligible. Comme ce passage appartient à la troisième rédac­tion, dont nous ne possédons qu’un seul manuscrit, la vérification en est impos­sible. Pour rendre la phrase intelligible, il faudrait supprimer le mot ﺎﻫﺭﺍﺩﻘﻣﻭ .
[47] Pour ﺭﺷﻋ , lisez ﻩﺭﺷﻋ .
[48] Ces chiffres n’appartiennent pas à Ptolémée et ne s’accordent pas avec ceux d’Abou ’lféda. (Voy. la traduction de sa Géographie, t. II, p. 10 et suiv.)
[49] Pour ﻥﻮﺗﺴ , lisez ﻥﻴﺗﺴ  .
[50] Lisez ﻒﻠﺍ  et ﻥﻴﺜﻼﺜﻮ .
[51] Pour ﺎﻓﻠﺍ , lisez  ﻒﻠﺍ .
[52] Tous ces calculs sont faux.
[53] Pour ﺭﺷﻋ , lisez ﺓﺭﺷﻋ .
[54] Remplacez encore ﺭﺷﻋ par ﺓﺭﺷﻋ .
[55] Pour ﺔﻨﺳ , lisez ﺖﺴ .
[56] Pour ﺭﺷﻋ , lisez ﺓﺭﺷﻋ , et faites encore la même correction à la page suivante, liges 3 et 4.
[57] Abou Djâfer el-Khazeni, appelé aussi El‑Khazen, était d’origine persane. Il se distingua comme arithméticien, ingénieur, mathématicien et astronome. Parmi les ouvrages qu’il composa, on cite un traité d’algèbre, un autre sur certains instruments astronomiques, ﺔﻳﺩﺼﺭﻟﺍ ﺔﺑﻴﺟﻌﻟﺍ ﺕﻻﻻﺍ ﺐﻨﻛ , des tables astronomiques intitulées ibn_I_111a, un traité sur des problèmes numériques, et un autre sur l’application des sections coniques à la so­lution du problème posé par Archimède dans la quatrième proposition du second livre de son traité de la sphère et du cylin­dre. (Voyez l’Algèbre d’Omar Alkhayyami, traduite par M. Wœpcke, pages 2 et 3.) On connaît de lui un ouvrage très remar­quable, intitulé Mizan el‑Hikma (Balance philosophique), dans lequel il décrit une balance hydrostatique qu’il avait inventée pour déterminer la gravité spécifique de toutes les substances. Il nous apprend qu’il composa le Mizan en l’an 515 (1121 de J. C.), afin d’en faire hommage au sultan seldjoukide Sendjar Ibn Malek‑Chah Ibn Alp‑Arslan. M. le chevalier Khanikoff, consul général de Russie à Tebrîz, en Perse, vient de faire publier, dans le sixième volume du Journal of the American Oriental Society, une analyse et de nom­breux extraits du Mizan d’El‑Khazen. Il ne faut pas confondre El‑Khazen avec Al-­hazen, auteur d’un traité d’optique dont la traduction fut publiée à Bâle en 1572, 1 vol. in‑fol. Celui-ci se nommait El‑Hacen Ibn el‑Mohassen Ibn el‑Heithem, ou, d’a­près le système de transcription suivi par le traducteur, Alhazen, filius Alhayzen (lis. Alhayzem)L’auteur du Tabecat el­-Hokema nous apprend qu’il écrivit un de ses ouvrages en l’an 432 (1040‑1041 de J. C.).
[58] Le géographe Idrîci descendait des Idrîcides de la famille de Hammoud, qui régnèrent en Espagne après les Omeïades.
[59] Idrîci termina son travail dans le mois de choual 548, ce qui correspond au commencement de janvier 1154 de J. C.
[60] Abou ’l‑Cacem Obeïd‑Allah Ibn Khordadbeh, mort en 300 (912 de J. C.). (Voy. la traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, introduction, p. LVII).
[61] Abou ’l‑Cacem Mohammed Ibn Hau­cal, appelé aussi El‑Haucali, célèbre géographe, mourut postérieurement à l’année 366 (976 de J. C.). (Voy. la traduction de la Géographie d’Abou ’lféda, par M. Rei­naud, introduction, p. LXXXII et suiv.)
[62] Jusqu’à présent on n’a aucun ren­seignement sur ce géographe. Son ou­vrage est cité par Idrîci et Cazouîni.
[63] C’est probablement l’Ishac Ibn el-­Hacen el‑Khazeni dont il est question ci­-devant, page 107. (Voy. la Géographie d’Id­rîci, traduction française, t. I, p. XIX).
[64] Ibn Khaldoun s’accorde avec les géographes El‑Bekri et Ibn Saîd, en écrivant ﺕﺍﺩﻟﺎﺧﻠﺍ ﺭﻴﺍﺯﺟﻠﺍ au lieu de ﺕﺍﺩﻟﺎﺧﻠﺍ ﺭﻴﺍﺯﺟ , orthographe d’Abou ’lféda et d’autres géo­graphes arabes. Le premier nom, traduit à la lettre, signifie « les îles les femmes immortelles », ce qui n’offre aucun sens ; le second peut se rendre par « les îles des femmes immortelles ». Pour dire « les îles éternelles », il faudrait employer la forme ﺓﺩﻟﺎﺧﻟﺍ ﺭﻴﺍﺯﺟﻠﺍ .
[65] Le milieu du VIIIe siècle de l’Hégire correspond à l’an 1350 de J. C. Deux cents ans auparavant, Idrîci avait appris qu’un navire parti de Lisbonne s’était avancé dans l’Atlantique jusqu’à une de ces îles. (Voy. la Géographie d’Idrîci, t. IIp. 26 et suiv.)
[66] L’auteur paraît avoir confondu la rose des vents avec le compas de mer ou boussole.
[67] La péninsule d’Aoulîl, appelée main­tenant Arguin, est située vers 21° lat. N. près du cap Blanc. Elle est à environ cent quatre‑vingts lieues au nord de l’embouchure du Sénégal, fleuve que les géo­graphes arabes ont toujours confondu avec le Niger, ou Nil des nègres.
[68] Silla est sur le Niger en amont de Ten­boktou, et à sept degrés sud de cette ville.
[69] Pays situé à cent cinquante ou deux cents lieues sud‑ouest de Tenboktou.
[70] Les Touaregs et tous les autres peu­ples berbers qui habitent le grand désert portent encore aujourd’hui un voile noir sur la figure et ne le quittent jamais. El-B­ekri en parle dans sa Description de l’Afrique, p. 373 du tirage à part de la traduction française, et les voyageurs mo­dernes donnent de nombreux détails sur cette habitude.
[71] Voy. le Negroland de Cooley, p. 114, et le Voyage du docteur Barth.
[72] En arabe cosour, ou, selon la pronon­ciation vulgaire, ksour. Ce sont des villages ceints de murs et entourés de plantations de palmiers ; ils se trouvent dans la partie du grand désert qui avoisine la frontière méridionale de l’Algérie.
[73] Tîgourarîn est le pluriel berber de Tîgourart, diminutif de Gourara. Cette bourgade est signée dans la partie nord­-est de l’oasis de Touat.
[74] L’auteur a écrit Ouerglan. Ce mot est le pluriel berber de Ouergla, nom que l’on prononce aussi Ourgla.
[75] Voy. sa Géographie, t. I, p. 16.
[76] Voy. ma traduction de l’Histoire des Berbers d’Ibn Khaldoun, t. II, p. 110 et suiv.
[77] Voy. les diverses prononciations de ce nom dans le Voyage du docteur Barthvolume IV, page 280 de l’édition an­glaise.
[78] Cette indication, tirée de la Géogra­phie d’Idrîci est tout à fait fausse. (Voy. le Negroland de Cooley, p. 115.) Gogo est situé sur le Niger.
[79] Voy. l’Histoire des Berbers, t. II, p. 111 et suiv.
[80] Les Kanem demeurent au nord du lac Tsad, qui est à 15° E. de Gogo.
[81] Probablement l’Ouadaï.
[82] Les habitants du Darfour.
[83] La bonne leçon est ﺀﻭﺟﺎﺗ , ainsi que l’a démontré M. Reinaud, dans sa traduction de la Géographie d’Aboulféda, t. II, p. 224, note.
[84] Pour ﻰﻠﺎﻣﺷﻟﺍ , lisez ﻞﺎﻣﺷﻟﺍ .
[85] Yacout Ibn Abd Allah el‑Hamaoui, célèbre géographe, mourut en 627 (1229-1230 de J. C.). M. Reinaud a donné une bonne notice de cet auteur dans sa tra­duction de la Géographie d’Abou ’lféda, introduction, p. CXXIX et suiv.
[86] Les Comor habitaient l’extrémité mé­ridionale de l’Inde. Le cap Comorin porte encore leur nom.
[87] Ali Ibn Saîd, géographe et historien, fit ses études à Séville et mourut à Tunis, en 685 (1286 de J. C).
[88] Pour ﺎﻬﻨﻴﺒ , lisez ﺎﻣﻫﻨﻴﺒ .
[89] On trouve une note sur Aloua dans la traduction de la Géographie d’Abou ’l­féda, par M. Reinaud, t. II, p. 230.
[90] Pour journées ﻝﺣﺍﺭﻣ il faut sans doute lire milles ﻝﺎﻴﻣﺍ , car Bilac est l’an­cienne Philé. Ibn Khaldoun s’est laissé tromper par Idrîci, qui a confondu Bilac avec Boulac, village situé dans l’oasis d’El­-Kharegeh, à environ 120 milles géogra­phiques au N. O. des cataractes.
[91] Le Nil Bleu.
[92] Les géographes arabes et les géogra­phes grecs, à l’exception de Strabon, pen­saient que la côte orientale de l’Afrique se dirigeait vers l’est, à partir du cap Garde­fui, et qu’elle se prolongeait jusqu’à l’O­céan, vis‑à‑vis de la Chine.
[93] Ibn Khaldoun écrit ﻊﻟﺍﺯ , à la place de ﻊﻟﻴﺯ , Zeïla, nom qui est mieux connu.
[94] Voyez la Géographie d’Abou ’lféda, traduction de M. Reinaud, t. II, p. 166.
[95] Ville située près de la mer, entre le Yémen et le Hidjaz.
[96] Cette fausse orientation est une con­séquence de la théorie indiquée dans la note 2, p. 118.
[97] Abou ’lféda place cette île auprès du Zanguebar. Idrîci et son copiste Ibn Khal­doun la reculent beaucoup plus à l’est. C’est probablement une des grandes îles de l’archipel indien.
[98] J’ai déjà fait observer que, dans la partie géographique de cet ouvrage, l’au­teur emploie le terme supérieur pour méri­dional et inférieur pour septentrional.
[99] De même que les îles Fortunées sont situées à l’extrémité occidentale de ce cli­mat, les îles de Sîla, dit Abou ’lféda, sont situées à l’extrémité orientale. M. Reinaud croit que ce sont les îles du Japon. (Voy. son édition de la Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et à la Chine, t. II, p. CLXIX du discours préliminaire.)
[100] Pour ﺔﻳﻮﻔﻻﺍ , lisez ﻪﻳﻮﻔﻻﺍ , pluriel de ﻩﻮﻔ .
[101] Sous le règne d’El‑Mamoun l’Abbacide, eut lieu la révolte d’Abou ’s‑Seraïa, qui voulut mettre sur le trône du khalifat un descendant d’Ali, nommé Mohammed Ibn Ibrahîm el‑Tabâtaba. Cette tentative lui coûta la vie. El‑Cacem er‑Ressi, frère de Mohammed, s’enfuit dans l’Inde, où il mourut en l’an 245 (859‑860 de J. C.). Son fils El‑Hoceïn passa dans le Yémen et s’établit dans Sada, forteresse bâtie sur une montagne du même nom et située à l’est de Sanaa. Son fils Yahya s’y fit reconnaître comme chef spirituel et temporel de la secte des Zeïdiya et prit le titre d’El‑Hadi. Ceci eut lieu en l’an 288. Ses enfants régnèrent après lui dans cette localité et firent sou­vent la guerre aux gouverneurs du Yémen. Dans le VIe siècle de l’hégire, ils se laissèrent enlever leur forteresse ; mais ils continuèrent à maintenir leur indépendance et leurs prétentions à l’imamat, jusqu’à l’époque où Ibn Khaldoun écrivait. Dans une autre partie de son histoire, il donne une notice de cette famille. (Voy. ms. de la Bibl. imp. suppl. arabe, n° 7424, t. IV, feuillet 50 ; pour la doctrine des Zeïdiya, voy. l’Histoire des Berbers, t. II, p. 499.)
[102] Le texte imprimé et les manuscrits portent ﻮﮐﻨﺎﺨ ; dans la Géographie d’I­drîci, ce nom est écrit ﻮﻗﻨﺎﺨ , Khancou, la vraie leçon est ﻮﻔﻨﺎﺨ , Khanfou. (Voy. sur cette ville la Relation des voyageurs arabes, etc. édition donnée par M. Reinaud, discours préliminaire, p. CIX et suiv.)
[103] Pour ﻰﻔ , lisez ﻰﻓﻭ .
[104] Selon M. Cooley, dans son Negroland ; le nom de Camnouriya s’appliquait à cette partie du grand désert qui a pour limite, du côté de l’occident, l’océan Atlantique, depuis le cap Blanc jusqu’au cap Bojador.
[105] Pour ﺎﻬﻨﻣ , lisez ﺎﻣﻫﻨﻣ .
[106] A la place de ﺓﺭﺳﻴﻨ les manuscrits portent ﺭﺳﻴﻨ . Dans les manuscrits de la géographie d’Idrîci, on lit ﺭﺳﻴﺘ , Tîcer ; ﺭﺳﻴﻨ , Nîcer ; et ﺭﻴﺳﻨ , NecîrAbou ’lféda écrit ﺭﺳﻴ , mot qui peut se prononcer Yecer, Yoser ou Isser. Le désert qu’on désignait par ce nom était situé au nord de Tenbok­tou, sur la route du Maroc.
[107] Variantes : ﻪﻠﻴﺮﺘﻭ , Outrîla ; ﻪﻛﻴﺯﻨﻭ , Ounzîga ; ﻪﻟﻴﺯﺗﻭ Outzîla. (Voy. l’Histoire des Berbers, t. II, p. 64, 104.)
[108] Les Berbers Azgar forment une branche de la grande tribu des Touaregs. Ils se tiennent aux environs de Ghat, à l’ouest du Fezzan.
[109] Les pays des Koouar est occupé main­tenant par les Tibbou.
[110] Cette indication se trouve dans le texte de l’auteur.
[111] Senteriya, nommée aussi l’oasis de Sîoueh, était autrefois célèbre par son temple, dédié à Jupiter Ammon.
[112] L’auteur confond ici deux localités tout à fait distinctes. (Voy. la Description de l’Afrique d’El‑Bekri, p. 39 du tirage à part de ma traduction.)
[113] Le Nil passe auprès de Cous avant d’arriver à Osîout ou Sîout.
[114] Voyez l’Edrisii Africa de Hartmann, 2e édition, p. 510, et les Mémoires sur l’Égypte, de M. Quatremère, t. I, p. 405, 406.
[115] L’auteur regarde comme un bras du Nil le grand canal, appelé Bahr Youçof.
[116] Remplacez ﻼﻋﻻﺍ  par ﻰﻠﻋﻻﺍ ; à la ligne suivante, renouvelez la correction.
[117] Le pays de Malwa. — M. Reinaud, dans le discours préliminaire de son édi­tion de la Relation des voyages des Arabes, p. XCIV, a déterminé la position de Bel­hera.
[118] Voy. la Relation des voyages, etc. dis­cours préliminaire, p. XLVI.
[119] Le Malabar. Idrîci, sur sa carte, donne très peu de saillie à la péninsule de l’Inde, ce qui l’oblige à porter le Malabar à l’est du Malwa, au lieu de le placer au sud de ce pays.
[120] Pour ﻥﻭﻔﻳﺧ , Khîfoun, il faut lire ﻥﻭﻔﻨﺧ , Khanfoun ou ﻭﻔﻨﺧ , Khanfou. (Voy. ci-devant, p.121, note 1).
[121] Le mot Deren est une altération du mot idraren, pluriel berber d’adrar (mon­tagne). Il se retrouve dans Strabon et dans Pline sous la forme Dyrin. (Voy. Histoire des Berbers, t. IV, p. 579.)
[122] C’est‑à‑dire dans son Histoire des Berbers. (Voy. la traduction de cet ouvrage, t. II, p. 158 et suiv.)
[123] Le mot ribat signifie un poste militaire sur la frontière d’un pays. Dans la prononciation vul­gaire de l’Afrique septentrionale, on dit rabat.
[124] Massa ou Masset, le Masatat de Pline, est situé sur une rivière qui porte le même nom et dont l’embouchure est à une jour­née de marche au sud de celui du Ouad-­Sous.
[125] Les géographes et les historiens ara­bes écrivent tous ce mot avec la lettre l. Ce sont les Européens qui écrivent Noun.
[126] L’auteur veut dire dans la partie occi­dentale.
[127] Voy. l’Histoire des Berbers, t. II, p. 121 et suiv.
[128] Voy. ibid. t. III, p. 179 et suiv.
[129] L’auteur suppose que la chaîne de l’Atlas se prolonge jusqu’à la Cyrénaïque, et que l’Auras en fait partie. Les Kétama occupaient le vaste territoire qui est situé entre Bougie, Bone, Constantine, les Zîban et Setîf.
[130] Il s’agit des Louata. (Voy. l’Histoire des Berbers, t. I, p. 232 et suiv. c’est là que l’auteur renvoie le lecteur.)
[131] Lisez au nord. — On sait que, dans les cartes arabes, l’orientation des pro­vinces marocaines est fausse.
[132] Casr Kotama, appelé aussi El‑Casr’l-Kebîr, l’El-Cassar des Européens, est une ville forte située sur la route de Tanger à Fez. (Voy. l’Histoire des Berbers, t. I, à la table géographique.)
[133] Tous les manuscrits portent ﻪﻟﻳﺻﺍ , Asîla, et c’est la bonne leçon. La forme ﻼﻴﺻﺭﺍ , Arzîla, ne se trouve dans aucun ouvrage arabe. Il est vrai que les Euro­péens écrivent Arzille, mais ce n’est pas là le nom de la ville, tel que les indigènes le prononcent et l’écrivent.
[134] Honeîn était bâtie sur le cap auquel nos cartes donnent les noms d’Onaï, NoéHone, etc. et qui est situé entre l’embou­chure de la Tafna et Djamâ Ghazouat, ville nommée par les Français Nemours.
[135] Château fort situé sur le bord de la mer, entre Tanger et Ceuta. (Voy. dans l’Histoire des Berbers, la table géographique.)
[136] Voy. Histoire des Berbers, t. I, p. LXXXIII.
[137] Ce nom s’écrit en arabe ﺔﻨﻴﻂﻨﺳﻗ (Co­santîna).
[138] Pour ﺭﻴﺷ , lisez ﺭﻳﺸﺍ .
[139] Les traces de la ville d’Achîr se voient encore sur le Kef el‑Akhdar, montagne située entre la province de Tîteri et le désert. (Voy. Bekri, p. 144, et l’Histoire des Berbers, t. II, p. 490.)
[140] Pour ﺓﻮﺍﺭﻔﻨ , lisez ﺓﻮﺍﺯﻔﻨ .
[141] Voy. l’Histoire des Berbers, t. I, p. 307.
[142] C’est‑à‑dire auprès du groupe de montagnes situées au nord d’El-Mecîla et du Hodna. Les ruines de Maggara, appelé maintenant Mogra, se voient à cinq ou six lieues à l’est d’El‑Mecîla. Ce fut de cette ville qu’El‑Maccari, l’historien de l’Es­pagne, tira son surnom.
[143] Pour ﻕﺭﻣﺷﻟﺍ , lisez ﻕﺭﺸﻤﻠﺍ .
[144] L’extrémité septentrionale de la Cy­rénaïque. Sur nos cartes ce cap porte le nom de cap Razat.
[145] Pour ﻼﻋﻻﺍ , lisez ﻰﻠﻋﻻﺍ .
[146] L’ancienne Bérénice, appelée main­tenant Ben‑Ghazi.
[147] La bonne leçon est ﻒﻭﻨﻁﺷ .
[148] Variante, ﻁﻤﺭﻗ ; il faut probablement lire ﻁﻮﻨﺭﺘ , Ternout.
[149] Pour ﺎﻣﻫﻌﻳﻣﺠ , lisez ﺎﻬﻌﻴﻤﺠ .
[150] Pour ﺪﻼﺒ , lisez ﺪﻠﺑ .
[151] Pour ﻟﻫﺭﺛﻛﺍﻭ , lisez ﺎﻫﺭﺛﻜﺍﻮﺍ .
[152] Pour ﺭﺨﺁ , lisez ﺍًﺭﺧﺍ . l’édition de Boulac porte ﺍًﺫﺧﺍ .
[153] Je lis ﺭﺎﻣﺿﻟﺍ , avec deux manuscrits et le dictionnaire géographique intitulé Mera­ced el‑Ittilâ.
[154] Pour ﻪﻨﻤ , lisez ﺪﻨﻋ .
[155] Pour ﻥﺎﺘﺴﺭﻮﺧ , lisez ﻥﺎﺗﺴﺯﻮﺧ , ici et plus loin.
[156] Le mot zomoum, dont le singulier est zemm, désigne les cantonnements des Kurdes. Dans chaque zemm se trou­vent plusieurs villages ou villes. (Voy. la Géographie d’Idrîci, t. I, p. 406.) Dans le dictionnaire géographique intitulé Mera­ced el-Ittilâ, ce mot est écrit remm, et il est placé sous la lettre R. Selon le même ouvrage, il y a un village nommé Zemm qui est situé entre le Djeïhoun et Termid.
[157] Pour ﻥﺎﺟﺭﻴﺷﻠﺍ , lisez ﻦﺎﺠﺭﻳﺴﻠﺍ .
[158] Pour ﺭﻴﺷﺪﺭﺗ , lisez ﺭﻳﺴﺪﺭﺒ , avec deux manuscrits et le Meraced el-Ittilâ.
[159] L’édition de Boulac porte ﺭﺎﺠﻭ Ou­djar ; peut-être faut-il lire ﺏﺎّﺧﻮ , Oukkhab. Idrîci paraît avoir écrit ﻥﺎﺠﻭ , Oudjan.
[160] Variantes : ﺏﺎﺑﺮﺧ , Kharbab, ﺏﺎﻨﺮﺧ , Kharnab, et ﺏﺎﻴﺮﺧ , Khariab, dans la tra­duction de la Géographie d’Idrîci.
[161] Pour ﻝﻳﺠﻟﺍ , lisez ﻝﺗﺧﻟﺍ .
[162] Pour ﻝﺑﺠﻟﺍ , lisez ﻝﺗﺧﻟﺍ .
[163] Pour ﻝﺑﺠﻟﺍ , lisez ﻝﺗﺧﻟﺍ .
[164] Pour ﻪﻨﺴﻮﺭﺷﺍ , lisez ﻪﻨﺷﻮﺭﺴﺍ  .
[165] Ce nom est ponctué diversement dans les manuscrits.
[166] Ce moyen est indiqué dans le second voyage de Sindbad.
[167] Alcantara est située entre Coria et Santarem.
[168] Ici et plus loin l’auteur, se fiant à de mauvaises cartes, a donné de fausses positions à plusieurs villes de la péninsule espagnole.
[169] Cette ville est à trente‑cinq milles au sud de Valence.
[170] Tortose, étant au S. O. de Tarragone, est au‑dessus de cette ville, selon la termi­nologie adoptée par notre auteur.
[171] Toutes ces indications sont fausses.
[172] Sur le planisphère d’Idrîci, l’Espagne est placée presque à l’ouest de la France, et les Pyrénées se dirigent du nord‑ouest au sud‑est pour aboutir à la mer, immé­diatement à l’ouest, c’est‑à‑dire au sud, de Barcelone. Strabon croyait que cette chaîne de montagnes se dirigeait du nord au sud.
[173] Sur la carte d’Idrîci, la Sardaigne est placée à l’ouest de la Sicile.
[174] Pour ﺀﺯﺠﻠﺍ ﺍﺫﻫ ﻥﻣ , lisez ﻢﻴﻟﻗﻻﺍ ﺍﺫﻫ ﻥﻣ , et remplacez ﺙﻟﺎﺛ , par ﺚﻼﺜ .
[175] Le texte arabe porte el‑Hachîchiya el‑Ismaïliya.
[176] C’est‑à‑dire, dévoué, aidé.
[177] L’embouchure du Djîhan est au nord­-est de Selefké (Séleucie).
[178] Les deux rivières ne se réunissent pas.
[179] Pour ﻊﻂﻗﻳﻔ , lisez ﻊﻂﻗﻨﻳﻔ  .
[180] Pour ﻰﻔ , lisez ﻰﻔﻮ .
[181] Il s’agit ici du pays traversé par les deux Zab.
[182] Variante : Belhous. Selon M. Quatremère, Behlous, Fehlous ou Fehla, désignait l’ancienne Parthie, nommée aussi Pehlev. (Voy. Journal des Savants de 1840, p. 344 et suiv.)
[183] Le nom de mer des Khazer se donnait ordinairement à la mer Caspienne, mais il s’employait quelquefois pour désigner la mer Noire. (Voy. Chrestomarabe de M. de Sacy, t. II, p. 16, et la trad. de la Géogrd’Abou ’lféda par M. Reinaud, t. II, p. 43.)
[184] Pour ﻒﻂﻌﻨﻣ , lisez ﻟﺑﺠ ﻪﻔﻄﻌﻨﻣ .
[185] Pour ﻰﻔ , lisez ﻥﻣ .
[186] Pour ﺔﻴﺭﻫﺎﻅﻠﺍ , je lis ﺔﻴﺭﻫﺎﻃﻠﺍ   sur l’autorité du dictionnaire géographique le Meraced el-Ittilâ.
[187] Pour ﺍﺫﻫ ﻥﻣ , lisez ﺍﺫﻫ ﻰﻔ  .
[188] Pour ّﺮﻣﻴ , il faut probablement lire ّﺪﻤﺘ . Deux de nos manuscrits offrent la leçon ﻢﺛ . Dans l’édition de Boulac, le mot est omis.
[189] A l’inspection de la carte on voit que, pour ﻰﻔ , il faut lire ﻰﻔﻮ .
[190] L’autre partie de la province de Fer­ghana occupe l’angle sud‑est de la hui­tième section.
[191] Pour ﻃﻠﺗﺧﺗ , lisez ﻃﻠﺗﺧﻴ  .
[192] Variante : Djîraghoun.
[193] Le mot Coucaïa paraît être une alté­ration de Caucase. Les Arabes plaçaient cette montagne à l’extrémité nord‑est de la terre habitable, tout à fait au nord de la Chine. Ils paraissent avoir confondu la barrière du Derbend, sur le bord de la mer Caspienne, avec la grande muraille de la Chine.
[194] Le texte porte : « du climat ».
[195] Pour ﺾﺭﺍ , lisez ﺏﺭﻏ .
[196] Située à l’embouchure de la rivière de Coïmbre, auprès du cap Mondego.
[197] A cinq lieues sud‑est de Salamanca est située Alba de Tormes. C’est peut‑être la ville qu’Idrîci désigne par le nom d’Abla.
[198] Dans le mot Chant-Yacoub, la seconde lettre de Yacoub est un alef ; mais dans Yâcoub, nom très usité chez les Arabes, la seconde lettre est un aïn.
[199] Pour ﺓﺭﺠﺎﺗ , lisez ﺓﺭﺠﺎﻨ .
[200] Il s’agit des Pyrénées. Dans le texte arabe il faut sans doute insérer le mot ﻞﺒﺠﻠﺍ  entre ﻖﻮﺷﻠﺍ  et ﻯﺬﻠﺍ , bien qu’il manque dans les manuscrits et dans l’édition de Boulac.
[201] Voyez ci-devant, page 140.
[202] Notre auteur aura confondu Burgos, ville dont il a fait mention dans la page précédente, avec Bourges.
[203] Sur la carte, ce golfe a une forme ovale, telle que la surface supérieure d’une dent molaire.
[204] Mont‑Djoun ﻦﻮﺠ ﺖﻨﻣ est évidemment la même chaîne de montagnes dont il est plusieurs fois question dans la Géographie d’Idrîci et dont le nom y est écrit Mont‑Djouz ﺯﻮﺠ ﺖﻨﻣ . Comme c’est du Jura qu’Idrîci et son abréviateur, Ibn Khaldoun, ont voulu parler, il faut lire َﺮﻮﺠ ﺖﻨﻣ dans le texte arabe des deux ouvrages, et Mont Jura dans la traduction française.
[205] L’auteur veut parler de l’Adriatique.
[206] Ce promontoire, c’est l’Italie. Sur la carte d’Idrîci il se dirige vers l’est.
[207] Voy. la traduction française de la Géographie d’Idrîci, t. II, page 251, et l’Abou ’lféda de M. Reinaud, t. II, p. 310.
[208] C’est‑à‑dire ses rivages occidentaux.
[209] Le promontoire, c’est la Calabre ; si­tuée entre le golfe de Tarente et la mer Tyrrhénienne.
[210] Ankebarda signifie la Lombardie. Ici, l’auteur désigne par ce terme la Basilicate, la terre de Bari et celle d’Otrante.
[211] En arabe, Al‑Lemanïîn.
[212] L’Albanie et la Dalmatie.
[213] Ce nom doit se prononcer Guerouacïa, car il s’agit de la Croatie.
[214] Pour ﻰﻔ , lisez ﻥﻣ .
[215] La mer Noire.
[216] Si l’auteur avait examiné la carte d’Idrîci avec plus d’attention, il aurait vu que Constantinople est placée sur le bord occidental du canal.
[217] Il faut, sans doute, lire Natous, c’est­-à‑dire Anatolie ; Idrîci dit que ce nom si­gnifie l’orient.
[218] Voy. ci-devant, p. 143.
[219] Le texte arabe porte ﺎﺻﺭﺑ ; Aujourd’hui le nom de cette ville s’écrit ﺔﺳﻭﺭﺑ , Broucé.
[220] Probablement le Cara‑Sou.
[221] Pour ﻥﻋ , lisez ﻥﻣ .
[222] C’est‑à‑dire, au sud.
[223] Pour ﻪﻨﺷﺭﺣ , lisez ﻪﻨﺷﺭﺧ  .
[224] C’est le contraire qui a lieu.
[225] Il faut supprimer ﺎﻬﻳﻔ , ou lire ﺎﻣﻬﻳﻔ  avec le manuscrit C.
[226] Ce royaume était situé au nord du Caucase et à l’ouest de Derbend.
[227] Le passage que nous avons mis entre des parenthèses ne se trouve que dans un seul manuscrit.
[228] Pour ﻰﻓ , je crois devoir lire ﻥﻣ .
[229] C’est‑à‑dire, le ﻩﻭﻛ ﻩﺎﻳﺳ , Sîah kouh « la montagne noire ».
[230] Car, en turc, veut dire neige ; mais le mot mer ou mor n’existe pas dans cette langue.
[231] A l’inspection de la carte on voit que l’auteur s’est trompé dans ce passage, ayant mis ouest pour est, et est pour nord­-ouest. D’ailleurs la contrée des Ghozz, étant dans la huitième section du cinquième climat, doit avoir le pays des Adkech à l’orient, parce que ce pays est situé dans la neuvième section du même climat. De plus, comme le pays des Keïmak se trouve dans la dixième section du quatrième cli­mat, la contrée des Adkech en est néces­sairement au nord‑ouest.
[232] Ci-devant, page 151. — Après le mot ﺲﻤﺎﺨﻠﺍ, supprimez ﻪﻠﺎﻣﺷﻮ , et insérez-le au commencement de la ligne suivante, avant ﻥﻤﻔ .
[233] Lisez ﻪﻴﺪﻨﻤﺭﻨ , Normendia.
[234] Lisez, avec les manuscrits, ﺲﺪﻨﻼﻔﺍ .
[235] Lisez  . Cette leçon est fournie par le manuscrit D et par la carte d’Idrîci.
[236] Le texte imprimé et celui de nos manuscrits portent ﻪﻳﻨﺍﻮﻴ , Youanïa. Il faut lire, avec le manuscrit d’Idrîci, ﺔﻳﻤﺍﻮﺒ  , Bouamïa.
[237] Ceci est une altération des mots persans Sîah Kouh (montagne noire).
[238] En arabe, El-Ard el‑Montena.
[239] Après le mot ﺎﺿﻳﺍ , supprimez les mots ﺎﻴﺎﻔﻮﻘ ﻞﺒﺠ ; ils ne se trouvent pas dans les manuscrits.
[240] L’emploi du pronom ﻭﻫ « lui » pour signifier il est, il se trouve, est assez rare pour être remarqué.
[241] Voy. Coran, sourate XVIII, vers. 90 et suiv.
[242] Lisez ﺎﻴﻓﺍﺭﻐﺠﻠﺍ , avec un ghaïn.
[243] On peut voir ce récit dans la Géo­graphie d’Idrîci, t. II, p. 416 et suivantes. C’est, sans doute, dans cet ouvrage que notre auteur l’a lu.
[244] Sur la carte ; l’île de Rislanda est pla­cée au nord de l’Écosse (Scouciya)pays re­présenté par une petite péninsule. Comme Idrîci appelle l’Irlande Ghirlanda, la dé­nomination de Rislanda doit s’appliquer à l’Islande.
[245] Cette île, c’est le Danemark. Idrîci l’appelle ﺔﺷﻣﺭﺍﺩ , Darmecha.
[246] En caractères arabes, ﻪﻏﺎﻗﺮﺒ . Il faut lire, avec Idrîci, ﻪﻏﺎﺒﺮﻨ, Norbagha.
[247] Le texte porte ﻙﺯﺎﻣﻳﻔ , Fimazek ; dans Idrîci on lit ﻙﺭﺎﻣﻳﻔ , Fîmark.
[248] Peut‑être la ville de Tavasthus en Finlande.
[249] La carte porte Leslanda. Ce nom pa­raît désigner l’Esthonie.
[250] Sur la carte d’Idrîci on lit Benariya, mais, dans le texte, le même auteur écrit Bolghar.
[251] ﻥﻭﻨﻏ : telle est la leçon d’Idrîci. Le texte d’Ibn Khaldoun porte ﻥﻭﻳﻋ , Oioun.
[252] Dans les manuscrits, ce nom est ponctué de diverses manières. Les manuscrits d’Idrîci portent ﺕﺭﺟﺳﺒ , Basdjert.
[253] En arabe El‑ard el‑Mahfoura.
[254] Voy. Géographie d’Idrîci, t. II, p. 438.
[255] Coran, sour. III, vers. 187, avec une légère modification.
[256] Le dorra (holcus sorghum) est une espèce de mil.
[257] Pour ﺍﺪﺎﺴﺣﻻﺍ , lisez ﺍﺪﺎﺴﺠﻻﺍ .
[258] Pour ﺖﺳﺗﻜﺍ , lisez ﺖﺑﺳﺗﻜﺍ .
[259] En caractères arabes, ﺭﻏﺭﻐﻁﻟﺍ. Ail­leurs ce nom est écrit ﺯﻏﺯﻐﺗﻟﺍ, El-To­ghazghazLes manuscrits varient beaucoup dans la transcription de ce nom, et jusqu’à présent on n’est pas parvenu à le rétablir. Il servait à désigner un peuple turc qui occupait les pays situés entre le Khoraçan et la Chine.
[260] Pour ﺪﺎﻤﺗﻋﻼﻠ , lisez ﺭﺎﻤﺗﻋﻼﻠ .
[261] Pour ﻝﻟﻣﻟﺍ , lisez ﻚﻟﻣﻟﺍ .
[262] Dans le texte arabe on a répété, par mégarde, les sept derniers mots de cette phrase.
[263] Province dans le sud de la régence de Tunis. Elle porte aussi le nom de Belad el‑Djerîd (pays des tiges de dattiers). De ce dernier nom, les voyageurs et les géographes européens ont tiré leur Bile­dulgerid.
[264] Abou Youçof Yacoub Ibn Ishac, sur­nommé El‑Kindi parce qu’il appartenait à la tribu arabe de Kinda, florissait sous les règnes d’El‑Mamoun et d’El‑Motacem ; il vivait encore à la fin du règne d’El‑Mo­tewekkel, en l’année 247 (861 de J. C.). On trouvera dans la Bibl. ar.‑hisp. de Ca­siri, t. I, p. 352 et suiv. la liste de ses nombreux ouvrages. Les sujets qu’il traita étaient la philosophie, la logique, l’arith­métique, l’astronomie, l’astrologie, la géo­métrie, la médecine, la politique et l’op­tique. M. de Sacy lui a consacré une longue note dans son Abdallatif, p. 487 et suiv. M. Fluegel vient de publier, aux frais de la Société asiatique allemande, une notice sur El‑Kindi et ses écrits.
[265] Le Yémen est cependant un pays fer­tile.
[266] Les tribus du désert qui, à l’approche de l’été, cherchent à entrer dans le pays des hauts plateaux pour y faire paître leurs troupeaux, ou pour acheter une provision de blé, sont obligées de payer un impôt au gouvernement.
[267] Ibn et‑Aouwam, dans son grand ou­vrag sur l’agriculture espagnole, traite assez longuement de la culture des di­verses espèces de dorra.
[268] Pour ﻥﻳﻔﺷﺗﻣﻟﺎﺒ , lisez ﻥﻳﻔﺷﻗﺗﻣﻟﺎﺒ  .
[269] Littéral. « l’âme ». Le même mot est encore employé dans cette phrase avec la signification d’individu.
[270] Le règne du sultan merinide Abou ’l-Hacen se trouve raconté au long dans l’Histoire des Berbers, t. IV de la traduction.
[271] En arabe, ﻦﻳﺘﻨﺴ . Quelques manuscrits portent ﻦﻴﻨﺴ  « plusieurs années ».
[272] Pour ﺎﺗﺑﺴﺤ , lisez ﺎﺗﺳﺑﺣ .
[273] Le texte porte ﻰﻔ (dans).
[274] Pour ﺔﻴﺭﻮﺭﺿﻮ , lisez ﻪﺘﻴﺭﻮﺭﺿﻮ  .
[275] Pour ﺪﻗ , lisez ﺪﻗﻮ .
[276] Quand une révélation descendait sur lui (du ciel), il éprouvait une céphalalgie, et (pour en diminuer l’intensité) il appli­quait sur sa tête un cataplasme de hinna (lawsonia inermis). Tradition relative au Prophète et rapportée par Soyouti dans sa Grande Collection ; manuscrit de la Biblio­thèque impériale, supplément arabe.
[277] Littéral. « lourde ». Si l’on regardait au sens du texte plutôt qu’à la lettre, on rendrait le mot ﻼﻳﻗﺛ par « grave, sérieux ».
[278] Eïsma signifie « soin de se contenir, d’éviter le péché ».
[279] Voy. ci-devant, p. 18, note.
[280] Voy. l’Essai de M. Caussin de Perce­val, t. I, p. 341.
[281] « Il ne mangeait ni ail, ni poireaux, ni oignons, parce que les anges venaient le visiter et qu’il s’entretenait avec Gabriel, ne voulant pas que les anges en fussent incommodés. » Tradition rapportée par Soyonti dans sa Grande Collection. Ce Docteur ajoute que Gabriel détestait l’o­deur de ces plantes potagères.
[282] Pour ﻢَﺒِ , lisez َﻢﺒِ .
[283] L’imam Abou Abd Allah Mohammed, natif de Nîsapour et surnommé El‑Hakem, était un docteur du rite chafeïte. Il composa, sur les traditions, le Mostadrek (exa­men critique des deux Sahîhs) et l’Iklîl (la couronne). Il mourut l’an 405 (1014-1015 de J. C.).
[284] En arabe El‑Motekallemîn, terme qui s’emploie pour désigner les scolastiques de l’islamisme. Ils appartenaient ordinai­rement à l’école d’El‑Achâri et professaient la prédestination absolue, tout en recon­naissant aux hommes le libre arbitre (ikhtîar)Ils enseignaient aussi l’existence des attributs de Dieu, distincts de son essence, et reconnaissaient l’éternité du Coran, quant au sens (mâna) de ce livre, mais non pas quant aux termes qui en expriment le sens (eïbarat)(Voy. le Me­wakif d’El‑Idji, p. ۲۴ de l’édition de la cinquième et de la sixième section de cet ouvrage, publiée à Leipzig par M. Soeren­sen, en 1848.)
[285] Selon les théologiens dogmatiques, les actions de l’homme sont ikhtîariya (c’est‑à‑dire elles dépendent de son li­bre arbitre), mais s’opèrent par la puis­sance de Dieu ; celle de l’homme n’ayant aucune influence dans leur exécution. (Mewakif, page ۱۰ە .) Quant aux mira­cles, ce sont des actions de l’agent qui a le libre arbitre (El fâïl el‑mokhtar) ; il les manifeste par l’entremise (à la lettre, par la main) du prophète dont il veut dé­montrer la véracité, et pour se confor­mer au désir de ce prophète. (Mewakif, p. ۱۷۹ .) — Quant aux actions de l’homme, ces docteurs enseignent que Dieu a pour habitude de faire exister dans l’homme une puissance et un libre arbitre ; puis, s’il n’y a pas d’empêchement insurmontable, comme le serait une impossibilité phy­sique ou morale), il produit dans l’homme l’acte déjà prédestiné, en l’associant à cette puissance et à ce libre arbitre qui se trouvent dans l’homme. De cette manière, les actions des hommes sont créées par Dieu et leur sont imputables (meksoub)(Mewakif, p.۱۰ە .) — L’expression Dieu a pour habitude (ou à la lettre, il fait courir l’habitude) est employée par les docteurs orthodoxes afin de faire entendre que la volonté de Dieu est libre et qu’elle n’est régie par aucune loi. Si l’on admettait que Dieu agit toujours d’après des lois invariables, on serait obligé de convenir que sa volonté est bornée et qu’il n’a pas le libre arbitre. Dieu est donc l’agent libre.
[286] Les Motazélites niaient l’existence d’attributs divins distincts de l’essence de Dieu ; ils regardaient le Coran comme créé, et enseignaient que l’homme pos­sède le libre arbitre et qu’il est l’auteur de ses propres actions.
[287] L’édition de Boulac porte ﻥﻳﻣﻠﮐﺗﻣﻟﺍ ﺭﻳﺎﺳ ( les autres théologiens dogma­tiques).
[288] M. de Sacy, dans son Anthologie gram­maticale, fournit trois passages dans les­quels ce mot signifie défi ou sommation de faire une chose surnaturelle. D’après la manière dont ce terme est employé dans les ouvrages théologiques, nous de­vons admettre qu’il a non seulement cette signification, mais aussi celle de l’annonce préalable d’un miracle, jointe à un défi par lequel le prophète somme­rait les infidèles d’opérer un miracle sem­blable.
[289] Le mot ﺓﺮﺎﺑﻋ est employé ici ad­verbialement ; il est à l’accusatif, comme équivalent de ﺓﺮﺎﺑﻋ ﻰﻔ .
[290] Littéral. « car elle en est la réalité de l’essentiel (ﻰﺗﺍﺬﻟﺍ ﻰﻨﻌﻣ) ».
[291] Les docteurs musulmans désignent par le mot kerama (ﺔﻣﺍﺭﮐ marque de faveur) les choses surnaturelles faites par un ouéli (homme saint, favori de Dieu). Pour dé­signer celles qui sont faites par un pro­phète, ils emploient le terme modjiza (ﺓﺯﺠﻌﻣ , qui surpasse le pouvoir de l’homme). Dans cette traduction, le mot kerama est toujours rendu par prodige et le mot mo­djiza, par miracle.
[292] Le pronom affixe, étant au féminin, doit se rapporter à ﺔﻤﺍﺭﻜ .
[293] Abou Ishac Ibrahîm el‑Isferaïni, cé­lèbre docteur du rite chafeïte et auteur d’un grand ouvrage sur la théologie dogma­tique, était natif d’Isferaïn, ville du Kho­raçan. Il mourut à Neïsabour, l’an 418 de l’hégire (1027 de J. C). Dans les ouvrages scolastiques, on le désigne par le titre ho­norable d’ostad, c’est‑à‑dire le maître.
[294] Ibn Khaldoun raisonne mal ici ; mais sa conclusion est juste. Il aurait dû s’ex­primer ainsi : « Un prodige accompagné d’un tahaddi ne se distingue d’un mira­cle que par son résultat moral. Or, avant de connaître ce résultat, on pourrait le prendre pour un miracle, parce qu’il en a tous les caractères. Le maître, dit‑on, a tranché le nœud de la difficulté en sou­tenant qu’aucun prodige ne renferme un fait surnaturel ; mais cette doctrine est absurde, parce que le prodige consiste essentiellement en un fait surnaturel : sans ce fait, il n’y a point de prodige. Aussi est‑il impossible de croire que le maître ait jamais avancé une pareille assertion. »
[295] Abou ’l-Hacen Ali el‑Achari, fondateur d’une école théologique et d’un rite qui porte son nom, mourut vers l’an 330 (941 de J. C.).
[296] Il s’agit des musulmans versés dans la philosophie des Grecs.
[297] Selon ces philosophes, la volonté de Dieu n’est pas libre, parce qu’il est obligé à l’observance de ses propres lois et ne saurait s’en écarter, quand même il le voudrait. Aussi ne peut‑il pas déroger aux lois de la nature en opérant un miracle. Ils se distinguaient des Acharites en ad­mettant le principe de la causalité.
[298] Lisez ّﻢﻟُﻳ .
[299] Le mot ﺩﺟﺍﻭﻣ  est le pluriel de ﺩﺟﻭ . (Voyez Notices et Extraits, t. XII, p. 366, 377.)
[300] Littéral. « dont les pareils inspirent. »
[301] Le paragraphe qui suit ne se retrouve que dans un seul de nos manuscrits. Pour le distinguer nous l’avons placé entre des parenthèses.
[302] Le terme employé par notre auteur est ﻥﻳﻘﻘﺣﻣ (les vérificateurs). Une autre classe de docteurs se désignait par le terme ﻥﻳﻘﻘﺩﻣ (les subtiliseurs). Les premiers ré­solvaient des questions par des preuves démonstratives ; les seconds appuyaient leurs preuves sur de nouvelles preuves. (Voyez Dictionary of the technical terms of the musulman sciences, by Sprenger.)
[303] C’est‑à‑dire les devins, les sorciers.
[304] Le texte porte ﻥﻳﻭﮐﺗﻟﺍ ﻢﻟﺎﻋ , c’est‑à­-dire, le monde où les êtres créés ont été formés avec de la matière préexistante.
[305] En arabe, ittisal.
[306] Pour ﻰﻬﺗﻨﺍ , lisez ﻰﻬﺗﻨﺍﻮ .
[307] Pour ﺎﻬﻔﺍﻼﺗﺧﺍ , lisez ﺎﻬﻔﻼﺗﺧﺍ  .
[308] Littéral. « un être qui influe ».
[309] ﺔﻜﺭﺪﻤﻠﺍ ﺲﻔﻨﻠﺍ (Voy. ci-après, p. 200, note 2).
[310] Pour ﺲﻔﻨﻠﺍ , lisez ﺲﻔﻨﻠﻠ  .
[311] A la place de ﻢﻬﺘﺍﻮﺫ (leurs essences), je lis ﻢﻬﺘﻼﻗﻌﺗ  avec l’édition de Boulac et un des manuscrits de Paris.
[312] ﺔﻘﻁﺎﻨﻠﺍ ﺲﻔﻨﻠﺍ . C’est le λογική ψύχη des philosophes grecs. Nous rendrons ce terme par âme raisonnable.
[313] A la lettre, le sens qui participe aux perceptions des sens extérieurs ; c’est l’αίσθησις κοινή d’Aristote, le sens commun ou général qui réunit les sensations reçues par les sens extérieurs.
[314] Littéral. « du sens externe ».
[315] Pour ﺔﻣﺪﻗﻣ et ﺓﺭﺧﻮﻣ , lisez ﻪﻣﺪﻗﻣ et ﻩﺭﺧﻮﻣ .
[316] Le terme ﺔﻴﻣﻫﻭ désigne la faculté au moyen de laquelle on saisit les qualités des objets et l’on se forme des opinions ﻢﻫﻭ . L’opinion, c’est l’acquiescement de l’esprit à une proposition qui n’a pas été démon­trée, acquiescement accompagné ordinai­rement de doute. C’est au moyen de la faculté d’opinion que les bêtes forment des jugements. (Voy. Mélanges de philo­sophie juive et arabe de M. Munk, p. 363.)
[317] Lisez, avec tous les manuscrits et l’édition de Boulac, ﻰﻠﻭﻼﻠ , à la place de ﻯﺭﺧﻼﻠ .
[318] Les philosophes arabes les plus avan­cés enseignaient qu’un seul être est le pro­duit immédiat de Dieu et en rapport direct avec lui. Cet être, c’est la première intelligence, le premier moteur des étoiles fixes. Le ciel, être incorruptible, simple, tout en acte et mû par une âme, est la plus noble des êtres animés. Il renferme plu­sieurs orbes dont chacun a son intelli­gence. Les intelligences des sphères sont des anges hiérarchiquement subordonnés. (Voy. Averroès et l’Averroïsme de M. Re­nan, 2e édition, p. 116 et suiv.) C’est cette réunion d’intelligences qu’Ibn Khal­doun veut désigner ici par l’expression la Compagnie sublime (el‑Mela ’l-aala).
[319] Il s’agit ici du syllogisme.
[320] Pour ﺔﻴﻤﻫﻮﻟﺍ , lisez ﺔﻴﻤﻫﻮﻟﺍﻭ  .
[321] En arabe ﺔﻳﻘﻳ ﺩﺻﺗﻠﺍﻭ ﺔﻳﺭﻭﺻﺗﻟﺍ ﻢﻭﻠﻌﻠﺍ . Selon les logiciens, toutes nos connais­sances peuvent se ranger en deux classes, dont l’une se compose de simples appré­hensions ou concepts, et l’autre, d’affir­mations ou jugements. Le concept, c’est, par exemple, Dieu, l’homme, éternel ; l’affirmation, c’est Dieu est éternel, l’homme n’est pas éternel. Le concept, disent‑ils, c’est l’existence de l’image d’une chose dans l’entendement, et l’affirmation, c’est un concept joint à un jugement. » ﻢﮐﺣ ﻪﻌﻣ ﺭﻭﺻﺘ  ﻕﻳﺩﺻﺗﻠﺍﻭ  ﻝﻗﻌﻟﺍ ﻰﻔ  ءﻰﺸﻟﺍ  ﺓﺭﻭﺻ ﻝﻮﺻﺣ ﺭﻭﺻﺗﻟﺍ. Les concepts, ce sont les simples idées, et les affirmations, les pro­positions.
[322] L’adjectif ﻰﻨﺩﻟ est formé de l’adverbe ﻦﺩﻟ , de l’expression ﻪﻠﻠﺍ ﻦﺩﻟ ﻥﻣ « d’au­près de Dieu ». Dans le langage des mys­tiques, il désigne les grâces qui viennent de Dieu, ses faveurs spontanées. (Voy. No­tices et extraits, t. XII, p. 203.)
[323] Le mot berzekh signifie ce qui sépare deux choses, comme le temps qui s’écoule entre la mort et la résurrection, comme le tombeau qui est situé entre ce monde et l’autre. Il désigne aussi une région dans l’espace, car les musulmans disent d’un mort qu’il est entré dans le berzekh. Il signifie, de plus, une barrière. On lit dans le Coran (sour. LV, vers. 20) : « Il a séparé les deux mers qui allaient se tou­cher ; entre elles est une barrière (berzekh). »
[324] Voy. ci-devant, p. 198, note 1.
[325] Variantes ﻻﺯﻨﻤ  pour ﻻﺯﻨﺘﻣ , et ﻊﻣﺴﺒ  pour ﻉﺎﻣﺴﺒ . Ces leçons ne changent rien à la signification de la phrase.
[326] Pour ﻞﻮﻻﺍ , lisez ﻰﻟﻮﻻﺍ .
[327] Pour ﻰﺤﻮﻟﺍ , lisez ﻰﻋﻮﻟﺍ .
[328] Voy. l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p. 282.
[329] Le Mofassel, partie du Coran qui commence avec la quarante‑neuvième sourate et finit avec la dernière.
[330] Le cinquième verset de la cinquième sourate.
[331] Pour ﺙﺎﻴﺍ , lisez ﺖﺎﻴﺍ  .
[332] L’édition de Boulac porte ﺍﺭﻮﻃﻔﻣ , leçon qui paraît préférable à celle des manuscrits et de l’édition de Paris.
[333] Carmina, incantations.
[334] Pour ﻡﺪﺗﺳﻴ , lisez ﻡﺪﺗﺳﻴﻔ  .
[335] Pour ﺔﻬﺒﺷﺗﻣ , lisez ﺔﺜﺒﺸﺗﻣ .
[336] L’édition de Paris et les trois manus­crits portent ﻥﻭﮐﺘ ﺎﻣ . Dans l’édition de Boulac, le ﺎﻣ est supprimé. Au reste, on trouvera plus loin des passages où Ibn Khaldoun a employé cette particule d’une manière pléonastique.
[337] Phrases cadencées, incantations, carmina.
[338] Ibn Saiyad, célèbre devin, surnommé par les musulmans Ed‑Deddjal (l’Antechrist), finit par embrasser l’islamisme et mourut vers l’an 63 de l’hégire. On a rap­porté quelques traditions sur son autorité.
[339] Littéral. « de l’essence ».
[340] Littéral. « entrent dans ».
[341] Il faut lire ﺖﺴﺒﺗﻟﺍﻭ  pour ﺐﺒﺴﺗﻟﺍﻭ  avec l’édition de Boulac.
[342] Pour ﺎﻣﺴﻟﺍ , lisez ﺀﺎﻣﺴﻟﺍ .
[343] Le terme ﻰﮐﻟﻓ ﻊﺿﻭ , employé par l’auteur, signifie à la lettre position de la sphère.
[344] Le manuscrit B porte ﺔﻴﺻﺎﺧﻠﺍ , à la place de ﺔﺻﺎﺧﻠﺍ , et l’édition de Boulac remplace ﺔﺋﻴﻬﺒ  par ﻪﺗﻳﻬﺒ   .
[345] A la place de ﻪﻨﺍ ﻻﺍ , l’édition de Boulac porte ﻪﻨﺍ ﻻ . Cette leçon est préférable.
[346] Entre les mots ﻙﻠﺬ  et ﻰﻔ , insérez ﻢﻬﻌﻘﻮﻴﻭ .
[347] Pour l’histoire de ces deux personnages, qui s’étaient donnés pour des prophètes, on peut voir l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p. 289 et suiv. 309 et suiv. et les Annales de Taberi, vol. I, p. 149.
[348] Voyez l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. III, p. 309, 345 et suiv. et les Annales de Taberi, vol. I, p. 99.
[349] Careb Ibn el‑Asoued, chef de la tribu de Thakîf, défendit la ville de Taïf contre Mohammed. Plus tard il embrassa l’isla­misme.
[350] Littéral. « aux songes ».
[351] Pour ﺎﻬﻗﻴﻗﺣﺘﻔ , lisez ﺎﻬﺘﻗﻳﻗﺤﻔ .
[352] Pour ﻪﺗﻴﻨﺎﻋ , lisez ﻪﺘﻨﺎﻋ .
[353] Pour ﻼﻋﺍ , lisez ﻰﻠﻋﺍ .
[354] Ici l’auteur met le verbe au singulier. Tantôt il emploie ﺝﻭﻋ avec la préposi­tion ﻰﻟﻋ , et tantôt avec ﻰﻟﺍ , sans que le sens du verbe en soit modifié.
[355] L’édition de Boulac porte ﺎﻬﻠﻌﺠ ﻚﻟﺬﻟﻮ , leçon préférable à celle des manuscrits, ﺎﻬﻠﻌﺠ ﺎﻣ ﻚﻟﺬﻟﻮ  , et à celle de l’édition de Paris, ﻞﻌﺠ ﺎﻣ ﻚﻟﺬﻟﻮ  . En tout cas, la particule ﺎﻣ  est pléonastique.
[356] ﻰﻨﺍﻭﻳﺣ signifie aussi animal.
[357] Les manuscrits et les éditions imprimées portent ﻦﻣ ; mais il faut, sans doute, lire ﻥﻋ . (Voyez, du reste, p. 189, ligne 3 du texte arabe).
[358] La particule ﺎﻣ  est de trop. Elle ne se trouve pas dans l’édition de Boulac. (Voy. ci-devant, p. 207, note 5, et p. 214, note 1).
[359] Expression coranique ; voy. sour. XII, vers. 44, et sour. XXI, vers. 5.
[360] Le Ghaïa-t‑el‑hakîm (Scopus sapientis) est un des recueils arabes les plus com­plets sur la magie, les sortilèges, la pierre philosophale, etc. Dans le Dictionnaire bibliographique de Haddji Khalifa, cet ouvrage est attribué à Moslim, ﻢﻟﺳﻣ , el­-Madjrîti ; mais c’est Maslema, ﺔﻣﻠﺴﻣ, qu’il faut lire. (Voy. ci-après, note 4.)
[361] Le terme rendu ici par exercices spiri­tuels est rîada, nom d’action d’un verbe qui signifie dompter par l’exercice, par la discipline ; dompter ses passions. Selon l’au­teur du Kholaçat es‑Solouk, la rîada con­siste à s’appliquer à la prière et au jeûne ; à se garder, toutes les heures du jour et de la nuit, contre ce qui entraîne dans le péché et mérite le blâme ; à fermer la porte au sommeil et à éviter la fréquen­tation du monde (litt. la société du peuple) :
ibn_I_217a
(Dictionary of the technical terms used in the sciences of the Musulmans ; vol. I, p. ٥٦۴.)
[362] Ce mot signifie du lait caillé.
[363] Abou ’l-Cacem Maslema Ibn Moham­med el‑Andeloci el-Madjrîti (natif de Madrid en Espagne) était astronome, mathéma­ticien, astrologue et devin. Il composa sur les opérations de la magie et sur les sorti­lèges un ouvrage célèbre, dont nous venons de parler dans la note [1 de la page217]. Il laissa aussi un traité sur les nombres, plusieurs ouvrages sur l’astronomie, dans un desquels il cal­cule le lieu moyen de chaque planète pour le premier jour de l’hégire. Il mourut l’an 398 (1007‑1008 de J. C.), ou selon Haddji Khalifa, en 395. On trouvera une notice sur Maslema et la liste de ses ouvrages dans le Geschichte der arabischen Aertze de Wüstenfeld, p. 61. Il ne faut pas confondre ce Maslema avec l’auteur du Retbat el‑Ha­kîm (Gradus sapientis)Celui-ci se nommait Abou ’l-Cacem Maslema Ibn Ahmed el‑Cor­tobi el‑Madjrîti. Dans son Retba, qui traite de la pierre philosophale, il dit avoir com­mencé la composition de son ouvrage en l’an 439 (1047 de J. C.). (Ms. de la Bibl. imp. suppt n.° 1078.) [css :  en index, le traducteur signale cette note comme ‘à annuler’ ; cf. III, page 172, note].
[364] Littéral. « après une rîada de plusieurs nuits dans la nourriture ».
[365] Voyez ci-devant, p. 196, note 2, et ci-après, p. 223.
[366] Pour ﺓﺭﻮﺼﻠﺍ , lisez ﺭﻮﺼﻠﺍ  .
[367] Le mot ﺓﺭﻮﺼ  est omis, à tort, dans un des manuscrits et dans l’édition de Boulac.
[368] Après le mot ﻚﻠﺬﻮ , il faut insérer ﻥﻻ . L’édition de Boulac et les manuscrits C et D fournissent la bonne leçon.
[369] Tous les manuscrits et l’édition de Boulac portent ّﻢﺗﻳ ﻢﻠ ﻝﺑ . L’insertion de la particule négative est absolument nécessaire. La grammaire exige, en ce cas, le remplacement de ﻢﺗﻳ   par ﻢﻤﺗﻳ  , mais notre auteur néglige assez souvent cette règle. On voit, par exemple, que, dans cette même ligne, il a écrit ﻢﺗﺗ  ﻢﻠ .
[370] Pour ﺓﺭﻮﺻﻟﺍ ﻚﻠﺗ , il faut lire, avec les manuscrits, ﺭﻮﺻﻟﺍ ﻚﻠﺗ .
[371] Pour ﻪﻔﺮﺼﺗﻔ , il faut probablement lire ﺎﻬﻔﺮﺼﻴﻔ  .
[372] Pour ﺲﺣﻟﻟ , lisez ﺲﺣﻟﺍ  .
[373] Cette ligne paraît être une interpolation d’un copiste.
[374] Je lis ﺎّﻣ ٍﻙﺍﺭْﺪٍﺍ
[375] Pour ﻞﺎﺻﻨﻻﺍ , lisez ﻞﺎﺻﺗﻻﺍ  .
[376] Selon les traditions les plus authen­tiques, Satîh avait prédit la mission divine de Mohammed. C’est probablement pour cette raison qu’Ibn Khaldoun ne nie pas son existence.
[377] Voy. l’Essai de M. Caussin de Perceval, t. I, p. 96, et le Sîret er-Rasoul, p. 9 et suiv.
[378] Voy. les Annales Muslemici d’Abou ’lféda, t. I, p. 7.
[379] Voy. ci-devant, p. 217.
[380] Un certain El-Kindi, cité par l’au­teur du Fihrest, dans le chapitre où il traite des Sabéens, attribue à ce peuple une pratique presque semblable. (Voyez Die Ssabier und der Ssabismus, par le Dr Chwolsohn, t. II, p. 19.)
[381] Ou bien, de son microcosme.
[382] Pour ﻢﻠﺎﻌﻠﺍ , lisez ﻢﻠﺍﻮﻌﻠﺍ  .
[383] Cette expression obscure et énigma­tique doit signifier que celui qui recherche la connaissance de la nature divine à cause des jouissances ou des avantages mondains que cette connaissance procure s’est dé­claré pour le monde et contre Dieu.
[384] Voy. ci-devant, p. 191, note 2.
[385] Abou Mohammed Abd Allah Ibn Abi Zeïd, natif de Cairouan et auteur d’un cé­lèbre traité sur la jurisprudence malékite, mourut en 390 (1000 de J. C.). M. Vin­cent a donné un extrait de ce manuel (Rîçala) dans ses Études sur la loi musul­mane. Paris, 1842.
[386] Voy. ci-devant, p. 191.
[387] En arabe, ﺚّﺫﺣﻤ , mohaddeth. « Le mohaddeth, dit Mohammed, est celui dont les visions et les suppositions sont tou­jours justifiées par l’événement. » (Voyez Harîri de M. de Sacy, page ٦٠١.)
[388] Il faut peut-être lire ﻊﻗﻮﻔ  à la place de ﻊﻓﺭﻓ .
[389] Dans le texte arabe, ﻝﺑﺟﻠﺍ ﺔﻳﺭﺎﺳ ﺎﻴ . Il faut lire َﻝﺑﺟﻠﺍ َﻝﺑﺟﻠﺍ ﺔﻳﺭﺎﺳ ﺎﻴ , malgré les manuscrits. Dans de pareilles expressions, quand il y a une ellipse du verbe, le com­plément se répète. (Voyez la Grammaire arabe de M. de Sacy, t. II, p. 460. Voyez aussi Notices et extraits, t. XII, p. 364, où la même anecdote est rapportée.)
[390] Voy. Notices et extraits, loco laudato.
[391] Pour ﺓﺪﺍﺪﺠ , lisez ﻩﺪﺍﺪﺠ  .
[392] Voyez Taberistanensis Annales t. II, p. 147.
[393] Voy. le Mowatta, msde la Bibl. imp. suppt n° 388, f. 114, 115.
[394] Pour ﻒﻮﺠﻴ , lisez ﺯﻮﺠﻴ  .
[395] En arabe siddîkîn. Le compilateur du Dictionary of the technical terms used in the sciences of the Musulmans, définit ainsi le tasdîc, station de sainteté dans laquelle se trouvent les soufis de cette classe : « C’est un degré de sainteté plus élevé que ce­lui de ouéli, mais inférieur à celui de prophète, auquel il touche immédiate­ment ; l’homme qui dépasse ce degré se trouve aussitôt dans celui de prophétisme :
ibn_I_229a
[396] Dans tout ce paragraphe, l’auteur emploie le terme ﻝﻗﻋ (intelligence) pour désigner la raison.
[397] J’aurais pu donner ces figures et leurs noms, mais M. le docteur Perron les a déjà fait connaître dans sa traduction du Voyage au Darfour ; voy. p. 363 et suiv. note. Les personnes curieuses de ces matières trouveront, dans les indications four­nies par ce savant orientaliste, tout ce qui est nécessaire pour éclaircir la description donnée par Ihn Khaldoun.
[398] Pour ﺎﻃﻮﻃﺨ , lisez ﺎﻃﻮﻃﺣ .
[399] Le texte arabe des deux paragraphes qui suivent ne se trouve que dans un seul manuscrit, et il renferme évidemment plusieurs fautes. Il remplace le passage suivant, que nous lisons dans les autres manuscrits et dans l’édition de Boulac  :
ibn_I_233a
c’est‑à‑dire, « mais cela n’est fondé que sur de simples présomptions et des notions hasardées, dont aucune ne peut servir d’argument. »
[400] Je lis ﺭﻳﺎﻣﺿﻟﺍ ﺝﺍﺭﺧﺗﺳﺎﺑ . Le mot ﺭﻳﺎﻣﺿ , pluriel de ﺭﻳﻣﺿ (pensée)paraît être employé par les astrologues et le devins pour dési­gner la pensée secrète du destin. Les manus­crits de la Bibliothèque impériale, sup­plément arabe, n°1122, 1093, 1118, traitent de l’art de consulter le sort, ﺭﻳﺎﻣﺿﻟﺍ ﺝﺍﺭﺧﺍ. Ils renferment des tables au moyen desquelles on obtient une réponse à chaque question relative aux choses qui préoccupent l’esprit. L’expression ﺭﻴﺎﻤﺿﻠﺍ ﺝﺍﺭﺧﺗﺴﺍ équivaut à ﺏﻴﻐﻟﺍ ﺭﻴﻤﺿ ﻥﻣ ﻞﻴﺎﺴﻣﻠﺍ ﺔﺑﻮﺠﺍ ﺝﺍﺭﺧﺗﺴﺍ .
[401] Pour ﺖﻴﺑﻠﺍ ﻚﻟﺫ , je lis ﺕﻮﻴﺒﻟﺍ ﻚﻟﺗ .
[402] Pour ibn_I_234a il faut probablement lire :  ibn_I_234ba
[403] A la place de ﻦﻻ , je lis ﻦﺍ ﻻﺍ .Ce paragraphe ne se trouve que dans un seul manuscrit, dont le texte offre assez souvent des leçons peu satisfaisantes ; les unes sont évidemment fautives et les autres très sus­pectes.
[404] Ici l’auteur entend parler de cette espèce de géomancie dans laquelle l’opérateur dresse un thème céleste sur lequel il tire un horoscope. Le lecteur verra plus loin qu’Ibn Khaldoun ne refuse pas à une autre classe de géomanciens la faculté de regarder dans le monde spi­rituel.
[405] Cet auteur est inconnu à Haddji Kha­life, le bibliographe. C’est peut‑être le même qui composa un traité De modis con­cubitus varus, dont les exemplaires ne sont pas rares en Algérie.
[406] Pour ﺎﻫﻮﺒﺴﻨﻴ , lisez ﺎﻫﻮﺒﺴﻨ  .
[407] Pour ﻰﻨﺒ , lisez ﻰﺑﻨ .
[408] J’ai mis cette tradition en latin pour la rendre mot à mot. Elle est tellement vague et obscure qu’à peine peut‑on y entendre quelque chose ; mais elle doit signifier : il y avait des prophètes qui écrivaient des prédictions ; celui dont les écrits se trouvent conformes aux événe­ments est un de ces prophètes. — Le verbe ﻁﺧ signifie également tracer des lignes et écrire. Notre auteur ne s’est pas préoccupé de l’équivoque.
[409] Les trois paragraphes qui suivent ne se trouvent que dans un seul manuscrit et appartiennent à la dernière rédaction.
[410] Pour ﻚﻟﺬﻠﻮ ﺔﻬﺠﻮﻠﺍﻮ , lisez ﻚﻟﺬﻠ  ﺔﻬﺠﻮﻠﺍ .
[411] C’est‑à‑dire ceux de la première es­pèce recevaient des révélations sans les avoir recherchées ; ceux de la seconde classe les recherchaient sans s’y être prédisposés ; ceux de la troisième se prédisposaient à les recevoir. Les mots ﺪﺠﻮ  ﻥﺍ sont de trop, ou bien il y a quelque chose d’omis. Nous n’avons pas le moyen de contrôler le texte des paragraphes mis entre des parenthèses ; ils ne se trouvent que dans un seul manuscrit, celui que j’ai désigné dans mes notes par la lettre A.
[412] Le paragraphe qui suit est une note marginale du manuscrit A. Dans l’édition imprimée de l’arabe, il se trouve inséré dans le texte.
[413] Fin du paragraphe fourni par le ma­nuscrit qui a servi de prototype à cette édition. Je suis porté à admettre l’authen­ticité de ces additions.
[414] Ceci est encore un passage qui ne se trouve que dans ce même manuscrit.
[415] Pour ﺪﺍﺧﺗﺍ , lisez  ﺫﺍﺧﺗﺍ .
[416] Littéral. « entre lui et elle ».
[417] On place ensuite ces points sur une même ligne, les uns sous les autres, sans les changer de rang.
[418] Voici la règle de cette opération : un point simple étant sur la même ligne ho­rizontale avec un point simple ou un point double donne un point simple ; deux points doubles donnent un point double. On emploie aussi une autre règle qui fournit un résultat différent. Elle porte que deux points semblables donnent un point double, et deux points dissemblables, un point simple. Le docteur Perron (voy. ci-devant, p. 232) n’indique qu’une seule manière d’opérer.
[419] Pour ﻡﺘ , lisez ﻢﺛ .
[420] Pour ﻪّﻃﺧﻠ , lisez ﺔﻆﺣﻠ .
[421] Haddji Khalifa ne fait pas mention de ce genre de calcul. Je ne sais pas quelle signification il faut donner au mot nîm dans l’expression hiçab en‑nîm.
[422] La Bibliothèque impériale possède plusieurs manuscrits du Kitab es‑Sîaça, prétendue traduction de la Politique d’A­ristote. Dans un des exemplaires on trouve indiquée, sur la marge d’un feuillet, la table des mots dont on se sert dans le hiçab en‑nîm.
[423] Dans le texte arabe, le sens, la mesure des vers et l’autorité des manuscrits nous obligent à remplacer les mots : ibn_I_242a
[424] Après les mots ﺝﻮﺯﻠﺍ ﺍﺬﺍ , ajoutez ﻯﻭﺗﺴﻳ , pour les raisons données dans la note précédente.
[425] Le retranchement du plus grand mul­tiple d’un nombre s’exprime en arabe par le mot ﺡﺭﻁ (tarh). Cette opération s’exé­cute pratiquement au moyen d’une divi­sion et joue un rôle important dans l’arith­métique des Arabes. (Voyez l’Arithmétique d’Alkalçadi, p. 20. La traduction de ce traité, faite par M. Woepcke, a été pu­bliée à Rome en 1859.)
[426] Les nombres du premier ordre sont les neuf premiers ; ceux du second ordre sont les dizaines ; ceux du troisième, les centaines, etc.
[427] Voy. Cours de langue arabe de M. Bresnier, p. 84 et suiv. et Grammaire arabe de M. de Sacy, 2e édit. tome I, p. 9.
[428] Voy. Cours de langue arabe, de M. Bres­nier, p. 84 et suiv.
[429] L’auteur aurait mieux fait de s’ex­primer ainsi : « vu qu’il n’y a pas de lettre pour représenter ni le deuxième terme ni le troisième de la série des milliers. »
[430] Ici, et plus bas, le texte imprimé porte ﺵﻠﺠ . C’est une faute.
[431] Le texte imprimé porte, à tort, ﺦﺿﻮ .
[432] On lit dans le texte imprimé ﺪﻏﺯ . C’est une faute à corriger.
[433] Pour ﻂﻓﺤ , lisez ﻅﻔﺤ dans le texte imprimé.
[434] Dans tous les manuscrits et dans les deux éditions on a négligé d’ajouter à chaque groupe de lettres son numéro d’or­dre. Les croix qui séparent ces groupes dans l’édition de Paris n’ont aucune signi­fication et doivent être supprimées.
[435] Ou bien : « pour retrancher le plus grand multiple de neuf ».
[436] On verra, quelques lignes plus loin, que, par le mot nœud (ﺪﻗﻋ), Ibn Khal­doun veut désigner les dix premiers nom­bres et aussi leurs produits, quand on les multiplie par les diverses puissances de dix. Cela est tout à fait conforme à l’in­dication donnée par El-Maredini. Cet arithméticien dit : « Les ordres élémen­taires des nombres sont au nombre de trois : unités, dizaines et centaines, dont chacun comprend neuf nœuds.  (Voyez le traité de M. Woepcke sur l’Introduc­tion de l’arithmétique indienne en Occident, p. 67. Ce volume a été imprimé à Rome en 1859.)
[437] Pour ﺔﻟﺍﺪﻟﺍ  je crois devoir lire ﺔﻠﺍﺪ .
[438] Prenons, comme exemple, le groupe ﺦﺻﻭ qui en est le sixième. Il a la valeur de 666. Les lettres du septième groupe ont la valeur de 777.
[439] Tous les manuscrits et les deux éditions imprimées portent ﺭﻣﻻﺍ . L’auteur a peut-être voulu écrire ﺪﻬﻌﻠﺍ .
[440] L’édition de Paris porte ﻚﻔﺴﻴ , yesfek. Cette leçon est fausse.
[441] L’édition de Boulac porte ﻎﺧ ﺵﻋ , à la place de ﻊﺧ ﺵﻋ . Dans le Kitab es‑Sîaça, attribué à Aristote, manuscrit de la Biblio­thèque impériale, ancien fonds, n° 944, fol. 51 r°, on lit ﻉ ﺥ ﺵ ﻍ , conformé­ment à la leçon de l’édition de Paris.
[442] L’édition de Paris porte ﻅﻀﺘ . Cette leçon est mauvaise, le ﺘ  se trouvant déjà employé dans le groupe n° 6. L’édition de Boulac offre la bonne leçon.
[443] Nous savons, par le dictionnaire biblio­graphique de Haddji Khalifa, qu’Abou ’l-­Abbas Ahmed Ibn el‑Benna composa un traité d’algèbre, un manuel d’arithméti­que et des gloses sur le Keschaf, célèbre commentaire du Coran. Il vivait au commencement du XIIIe siècle. (Voyez le Jour­nal asiatique d’octobre‑novembre 1854, p. 371, note. [css : F. WOEPCKE, Recherches sur l'Histoire des sciences mathématiques chez les Orientaux, d'après des Traités inédits arabes et persans, p. 348-385])
[444] J’ai déjà fait observer, ci-devant, p. 81, que cet ouvrage n’est pas d’Aris­tote.
[445] Il naquit à Ceuta et mourut à Maroc en odeur de sainteté, après avoir distribué tous ses biens aux pauvres. On a de lui un ouvrage intitulé ﻰﻓ  ﻑ ّﻭﺷﺗﻟﺍ  ّﻑﻭﺻﺘﻟﺍ ﻞﺎﺠﺭ . Coup d’œil sur les principaux soufis. — (Traduction turque de la 6e section de Prolégomènes, page ۱٦٦.)
[446] Littéral. « des cordes ». Nous ne pou­vons pas employer ce terme parce qu’en géométrie la corde est une ligne droite qui coupe la circonférence en deux points, sans passer par le centre.
[447] Ces sigles appartiennent au caractère nommé divani. (Voyez Grammaire arabe de M. de Sacy, t. I, planche VIII, et p. 91 de la seconde édition.)
[448] Voy. Grammaire arabe, loc. laud.
[449] Cela paraît signifier : « et les noms de divers êtres ».
[450] Dans l’intérieur du tableau aussi plu­sieurs cases sont vides.
[451] On trouvera le texte de ce poème dans la troisième partie de l’édition arabe des Prolégomènes, p.147 et suiv.
[452] Abou Abd Allah Malek Ibn Woheïb, théologien, soufi, cabaliste et astrologue, se trouvait à la cour du souverain almora­vide Ali Ibn Youçof, quand le mehdi des Almohades s’y présenta pour soutenir une discussion avec les légistes de la ville de Maroc. Ceci eut lieu vers l’an 515 (1121-1122 de J. C.). (Voy. Histoire des Berbers, t. II, p. 169.)
ibn_I_247a
L’édition de Paris porte ﻥﺫﺍ , à la place de ﺍﺫﺍ ; dans la IIIe partie, elle offre la le­çon ﺍﺫﺍ , qui est aussi celle des manuscrits C et D et de l’édition de Boulac. Dans l’édi­tion de Paris, le mot ﺐﻳﺭﻋ doit être sup­primé ; sa présence nuit à la mesure du vers, et n’a pas un seul manuscrit pour la justifier. Au reste, ce vers ne sert qu’à aider la mémoire en indiquant certaines lettres qui doivent s’employer dans cette opération cabalistique, et à montrer l’or­dre dans lequel on doit les prendre.
[454] Le procédé de calcul nommé hiçab el-­djomel s’emploie quand on veut représen­ter des chiffres indiens par des lettres de l’alphabet et vice versa.
[455] Le mot ass signifie base, fondation. En algèbre, il désigne l’exposant d’une puis­sance, mais, dans l’opération sur la zaïr­dja, il indique le nombre de degrés qui se trouve entre la fin du dernier signe du zodiaque et le degré du signe qui est l’as­cendant au moment de l’opération. Cette distance angulaire se mesure en sens con­traire de l’ordre des signes.
[456] Le mot dour signifie circuit, période. En astronomie, ce terme s’emploie pour désigner l’espace de temps dans lequel un point quelconque du ciel fait un révolu­tion complète autour de la terre. Le dour d’une planète, c’est son orbite ou le temps qui s’écoule depuis qu’elle part d’un point du ciel jusqu’à ce qu’elle revienne au même point. Dans l’opération sur la zaïrdja, on appelle dour certains nombres au moyen desquels on se guide en faisant le triage des lettres dont les mots de la réponse doivent se composer. On vient de me com­muniquer un exemplaire d’une traduction turque de la 6e section des Prolégomènes d’Ibn Khaldoun. Il renferme une copie lithographiée de la zaïrdja de Sibti, tableau que j’avais vainement cherché en Al­gérie et à Paris. Je la reproduirai dans la troisième partie de cette traduction.
[457] Je donne ici le sens du texte arabe, trouvant qu’une traduction littérale serait inintelligible.
[458] Voy. t. III, p. 162, du texte arabe.
[459] L’auteur aurait dû écrire ﺎﻣﻳﺴ ﻻ , mais il a suivi l’usage de son pays.
[460] La leçon ﺓﺎﻴﺎﻌﻣﻟﺍ nous paraît préféra­ble ; si on l’adopte, il faut traduire ainsi : « une merveille dont l’explication embar­rasserait l’esprit. »
[461] Voici la traduction littérale de cette phrase : « cela provient de la mise (de certaines lettres) en regard avec les lettres du vers, et, pour cette raison, la (réponse) ver­sifiée en offre la mesure et la rime. »
[462] Voyez la troisième partie du texte, au chapitre de la zaïrdja.
[463] Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n° 1188, se trouvent plusieurs traités sur l’emploi de la zaïrdja d’Es‑Sibti. Nous en reparlerons dans la traduction de la troisième partie.
[464] Dans le texte arabe, il faut lire, ici et plus bas, ﺖﺎﻴﺎﻌﻣﻟﺍ , c’est‑à‑dire, des ques­tions qui fatiguent l’esprit et qui paraissent impossibles à résoudre.
[465] Monnaie de cuivre. Le mot folous dé­rive d’obolus ; les Arabes le regardent comme un pluriel dont le singulier est fels.
[466] L’auteur aurait pu résoudre ce pro­blème d’une manière beaucoup plus simple, en disant : si trois divisé par trois donne un, vingt‑quatre divisé par le même nombre donnera huit ; or huit et un font neuf.
[467] Je crois avoir saisi l’idée que l’auteur a voulu exprimer par la phrase dont voici la traduction littérale : « la catégorie de l’accord du discours avec l’extrinsèque. »

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